Rapport fait le 4 mars 1905
au nom de la commission relative
à la séparation des Églises et de l'État
et de la dénonciation du Concordat
chargée d'examiner le projet de loi
et les diverses propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État,
par M. Aristide Briand

Voir les projets de loi n° 2045 et 2243
et les propositions de loi :
de M. Dejante et plusieurs de ses collègues, n° 155
2° de MM. Ernest Roche , Turigny et Edmond Lepelletier, n° 346
3° de M. Francis de Pressensé et plusieurs de ses collègues, n°897
4° de M. Hubbard, n° 935
5° de M. Flourens, n° 982
6° de M. Eugène Réveillaud et plusieurs de ses collègues, n° 1073
7° de MM. Georges Grosjean et Georges Berthoulat, n° 1107
8° de M. Sénac n° 2215

    Le texte suivant est recopié du Journal officiel. J'espère ne pas avoir rajouté de fautes d'orthographe à celles qui existaient.
    Le texte ayant nécessité 48 pages du "Journal officiel de la République française", le fichier html aurait nécessité plus de 1Mo ; trop long à télécharger ( Je vous en offre quand même la possibilité ).
J'ai donc coupé le texte en plusieurs fichiers, après l'introduction,  et j'ai cru  utile d'ajouter au texte original la table des matières suivante :
 
I - Culte catholique.
DE CLOVIS A MIRABEAU
La pragmatique sanction
Le concordat de Bologne
La déclaration de 1682

DE LA RÉVOLUTION AU CONCORDAT
La constitution civile du clergé
Le concordat de 1801

DU CONCORDAT AU SYLLABUS
Le Concordat de 1817
Campagne séparatiste
Le Syllabus

DE 1870 A 1905

LE BUDGET DU CULTE CATHOLIQUE

II - Culte protestant
Églises séparées de l'État

III - Culte israélite
Consistoire central
Consistoires départementaux
Commissions administratives
Ministres du culte
Conclusion

IV - Législations étrangères : (Il s'agit des législation de 1905. Pour la situation actuelle européenne, je vous recommande l'étude réalisée par le Sénat .)
Espagne ; Portugal.
Russie ; Grèce ; Roumanie ; Bulgarie ; Serbie.

Norvège ; Suède.
Prusse et états allemands.
Autriche.
Hongrie.
Italie.
Belgique.
Pays-Bas.
Grande-Bretagne et Irlande.
Suisse.
États-Unis.
Mexique.
Cuba.
Brésil.
Équateur.

V - Analyse des propositions et projets de loi.
Proposition Dejante
Proposition Ernest Roche
Proposition de Pressensé
Proposition Hubbard
Proposition Flourens
Proposition Réveillaud
Proposition Grosjean et Berthoulat
Proposition Sénac
Premier texte de la commission
Projet Combes
Projet du Gouvernement

VI Discussion des articles

VII - Conclusion
Projet de loi présenté (auquel j'ai joint, pour comparaison, le texte voté et le texte actuel. Il est préférable d'utiliser Netscape pour une meilleure concordance des articles.)

    Messieurs, en 1788, quelques années à peine avant la Révolution, il existait dans le royaume de France une moyenne de 130 000 ecclésiastiques. On pouvait les répartir ainsi : 70 000 appartenait au clergé séculier, parmi lesquels on comptait 60 000 curés et vicaires ; 2 800 prélats, vicaires généraux, chanoines de chapitres ; 5 600 chanoines de collégiales ; 3 000 ecclésiastiques sans bénéfices. Quant au clergé régulier, le chiffre des ecclésiastiques qu'il comprenait s'élevait à 60 000.

    Ces chiffres sont empruntés à l'abbé Guettée, et Taine les donne comme authentiques. De Pradt, le célèbre diplomate ecclésiastique, le conseiller et le collaborateur de Napoléon, nous apporte un dénombrement analogue.
    Ces 130 000 ecclésiastiques possédaient, à la veille de la révolution, un tiers de la fortune de la France. Dans son rapport au comité ecclésiastique, le constituant Treilhard évalue à 4 milliards les biens du clergé ; et ce chiffre n'a rie d'exagéré. Ces 4 milliards rapportent annuellement de 80 à 100 millions ; et il faut joindre à ce revenu ce que produit au clergé la dîme ; soit 123 millions par an ; au total 200 millions.
    Pour apprécier l'importance de ce revenu, en le chiffrant suivant la valeur qu'il aurait aujourd'hui, il faut parler de 400 millions. Il n'a été question ni du casuel ni des quêtes.
    Et si nous avons placé ici, au début de ce travail, cet état succinct de la propriété ecclésiastique, à la veille de la Révolution française, c'est afin de donner une idée éclatante de ce qu'était la puissance matérielle de l'Église, en France, au moment où cette puissance, et l'autorité morale même du catholicisme vont être mis en question, et pour la première fois contestées au nom de principes qui s'attaquèrent non seulement aux manifestations extérieures de l'Église, à ses abus, à certains de ses dogmes, comme l'avait fait, par exemple , le protestantisme et l'orthodoxie russe, mais à son esprit même, à sa conception générale de la vie, et de la divinité.
    Si par le seul effort des constituant et des conventionnels, cette énorme puissance matérielle a pu être sapée, détruite, anéantie - du moins pendant la période qui précède le Concordat de de 1801 - c'est donc que les principes de la Révolution laïque eurent une vertu prodigieuse !
    Hélas, nous ne saurions attribuer aux idées une aussi grande force qu'elles puissent saper ce qui est profondément enraciné. Si la sécularisation des biens du clergé put se produire, c'est qu'elle était déjà préparée par le mécontentement général qu'avaient causé les excès du haut clergé ou la dictature intolérable de la papauté.

    En vous présentant ce rapport, nous avons pour objectif de prouver que la seule solution possible aux difficultés intérieures, qui résultent en France de l'actuel régime concordataire, est dans une séparation loyale et complète des Églises et de l'État. Nous montrerons juridiquement que ce régime est le seul qui, en France, pays où les croyances sont diverses, réserve et sauvegarde les droits de chacun. Nous voulons montrer aussi, et d'abord que cette solution est celle que nous indique l'histoire elle-même, étudiée sans parti pris ni passion.
    La sécularisation des biens du clergé par la Constituante ne fut pas une œuvre de haine, dictée par des principes opposés à ceux du catholicisme, ce fut une œuvre nationale exigée par l'ensemble de la nation, moins les prêtres, et aujourd'hui, ce n'est pas davantage pour satisfaire à des rancunes politiques, ou par haine de catholicisme, que nous réclamons la séparation complète des Églises et de l'État ; mais afin d'instaurer le seul régime où la paix puisse s'établir entre les adeptes des diverses croyances.

    Dans la première partie de cette étude, on verra comment les rapports entre l'Église catholique et l'État français ne cessèrent jamais d'être très troubles, malgré les services réciproques qu'ils s'étaient rendus dès l'origine de notre histoire. Sans insister sur la partie anecdotique, nous rappellerons avec quelques détails les principaux expédients grâce auxquels la royauté française crut pouvoir atteindre à des rapports sereins avec Rome, et comment elle n'y parvint jamais, pas plus d'ailleurs qu'à s'affranchir, par le gallicanisme, de la tutelle gênante du Saint-Siège.
    Dans une deuxième partie, nous étudierons les tentatives infructueuses des pouvoirs de la révolution et nous verrons comment le Concordat napoléonien permit à l'Église de se reconstituer et d'acquérir, au cours du dix-neuvième siècle, une puissance égale à celle que nous lui avons connue quelques années avant la Révolution. Nous nous efforcerons enfin, dans une troisième partie, de noter les protestations qui ses sont produites, au cours du dernier siècle, contre un état des choses aussi intolérable pour les catholiques que pour les libres-penseurs, ainsi que les remèdes apportés au jour le jour à un mal qui ne peut s'éteindre qu'avec le régime de la séparation.

Suite du rapport