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Proposition de loi
tendant à la suppression du budget des cultes
et au retour à la nation des bien dits de mainmorte, meubles ou immeubles,
appartenant aux congrégations religieuses,
présentée par MM. Dejante, Maurice Allard, Bénézech,
Bouveri, Chauvière, Coutant, Constans, Delory,
Marcel Sembat, Thivrier, Édouard Vaillant, Walter,
lors de la séance du 27 juin 1902.

Exposé des motifs

    Messieurs, nous croyons utile, dès le seuil de cette législature, de reprendre la proposition qui fut déposée au cours de la dernière législature par notre excellant ami le citoyen Alexandre Zévaès, et qui avait pour but : la dénonciation du Concordat, la suppression des congrégations religieuses et le retour à la nation des biens dits de mainmorte.

    Au lendemain de la période électorale que nous venons de traverser, alors que partout les congrégations diverses ( jésuites, assomptionnistes, chartreux, dominicains, etc. ) ont mené la campagne la plus violente contre la démocratie, alors que chaque jour la vérification des pouvoirs signale des preuves indéniables de pression cléricale et religieuse, l'urgence de notre proposition apparaîtra, nous en sommes certains, à tous les véritables républicains.

    Ils comprendront la nécessité immédiate de mesures qui ne sont pas à proprement parler des revendications socialiste, qui sont purement et simplement d'ordre républicain..

    En tête du vieux programme républicain à toujours figuré, en effet, la lutte contre le cléricalisme et la séparation des Églises et de l'État. Il importe de réaliser cette séparation au plus tôt. Il importe d'en finir immédiatement avec cet État dans l'État que constitue ,
un siècle après la Révolution de 1789, le clergé catholique et romain. Il importe de soumettre l'Église au droit commun en lui enlevant tous les privIlèges qu'elle tient de l'époque où elle était, où elle faisait la loi.

    Mais la séparation des Églises et de l'État, ne frappant que le clergé séculier, ne serait qu'une mesure singulièrement inefficace si elle n'était complétée par des mesures contre le clergé régulier: Sur ce dernier point, il n'y a qu'à revenir à la tradition même de la Révolution  française; il n'y a qu'a reprendre les admirables décrets de la Constituante et de la Législative supprimant les congrégatIons et nationalIsant leurs biens.

    Ce sont, en effet, ces biens des congrégations, se chiffrant à cette heure par plusieurs milliards ct employés à alimenter tous les complots césariens, qui constituent pour la république le plus grave péril. Leur expropriation s'impose d'autant mieux que ces biens ne représentent pas seulement une longue exploitation religieuse des masses, mais aussi une exploItation industrielle et commerciale directe.

    Depuis longtemps déjà, l'Église - qui sait, quand l'exigent ses intérêts matériels et financiers, transiger avec la société moderne - s'est mise au pas de votre régime capitaliste. A ses sacristies, à ses confessionnaux, à ses chapelles, elle a adossé des ouvroirs, des orphelinats, des usines et autres maisons de travail et de profit. Et pour les bénéfices réalisés, comme pour les tortures infligées aux travailleurs de tout sexe et de tout âge, ces bagnes ecclésiastiques ne le cèdent en rien aux bagnes les plus laïques. Il y a là des millions qui ont été acquis sur le dos de milliers et milliers d'enfants du peuple ouvrier et sur lesquels, par la suite, ce dernier a autant de droits que n'en avait le Tiers État de 1789 sur les dîmes ecclésiastiques. Le retour à la nation de la propriété mobilière et immobilière des corporations religieuses a donc pour lui le droit et les précédents.

    Enfin, nous demandons que, protégeant la liberté de conscience de la classe qui n'a que son travail pour vivre, la république intervienne pour empêcher les employeurs d'édifier des chapelles particulières à l'intérieur de leurs exploitations industrielles, d'enrôler dans les sociétés dites de Notre-dame-de-l'Usine et de contraindre à des pratiques religieuses quelconques des milliers de femmes et d'hommes placés entre la perte de leur pain et le sacrifice de leurs sentiments les plus intimes à la religion du maître. En même temps que l'église sera séparée de l'État, il importe pour assurer la liberté de conscience prolétarienne, de séparer l'Église de l'atelier, sans quoi la suppression du budget des cultes n'aurait d'autre effet que de faire supporter, par les seuls travailleurs, tout le poids de l'entretien des différents clergés.

    En conséquence, nous soumettons à la chambre la proposition de loi suivante :
 
 

Proposition de loi

    Art. 1er.- Le Concordat et les articles organiques sont abolis.
        Le budget des cultes est supprimé.

    Art. 2.- Toutes les congrégations religieuses précédemment autorisées ou non autorisées sont supprimées.
        Sont réputées congrégations toutes les associations dont les membres vivent en commun dans un but religieux, liés par des voeux perpétuels ou temporaires d'obéissance, de pauvreté ou de célibat.

    Art. 3.- Les biens dits de mainmorte, meubles et immeubles, appartenant aux congrégations religieuses, y compris toutes les annexes industrielles et commerciales de ces congrégations, sont déclarés biens nationaux.
        Tous droits consentis ou aliénés à dater du dépôt de la présente loi sur les biens appartenant aux congrégations religieuses sont entachés de nullité absolue.

    Art. 4.- Il est interdit à tout employeur collectif ou individuel d'ériger aucune chapelle particulière, d'enrôler ses ouvriers ou ouvrières dans aucune société religieuse et de les soumettre à aucune pratique religieuse.

    Art. 5.- Les crédits rendus disponibles par la suppression du budget des cultes, ainsi que la propriété ecclésiastique qui a fait retour à la nation, sont exclusivement consacrés à la constitution d'une caisse de retraites pour les vieillards et les invalides du travail.

    Art. 6.- Toute contravention à l'article 4 sera punie d'une amende de 300 à 3 000 fr. et, en cas de récidive, d'un emprisonnement de quinze jours à trois mois.

    Art. 7.- Toutes les dispositions contraires à la présente loi sont et demeurent abrogées.