Au moment où vous vous
apprêtez à régler d'après une conception nouvelle la situation juridique des
Églises en France, il est assurément indispensable d'examiner quel est le
régime légal adopté dans les autres pays. Pour décrire d'une manière complète
les institutions politico-ecclésiastiques des nations étrangères, les rapports
de droit et de fait entre les divers États de l'Europe ou du Nouveau-Monde, il
faudrait de longues pages. Nous devons ici nous borner à des notions
succinctes. Aussi bien une vue d'ensemble sur la législation étrangère
suffira-t-elle pour faire comprendre la continuité de cette évolution qui, par
des degrés successifs, conduit les nations de l'antique régime théocratique à
celui de la complète laïcité.
Plusieurs pays d'Europe en
sont encore à la première phase, théocratique ou quasi-théocratique, dans
laquelle l'État est, sinon subordonné à l'Église, du moins étroitement uni à
elle, reconnaît la prédominance d'une religion sur toute les
autres et n'admet que des institutions sociales conformes aux principes
de cette religion. D'autres, de beaucoup plus nombreux en Europe, ont atteint
le second stade, celui de la demi-laïcité ; ils proclament les principes de la
liberté de conscience et de la liberté des cultes, mais considèrent, néanmoins,
certaines religions déterminées comme des institutions publiques qu'ils
reconnaissent, protègent et subventionnent.
Enfin, dans quelques pays
d'Europe et surtout dans plusieurs grandes républiques américaines, apparaît le
troisième terme de l'évolution. L'État est alors réellement neutre et laïque ;
l'égalité et l'indépendance des cultes sont reconnues ; les églises sont
séparées de l'État. C'est surtout la législation des pays parvenus à cette
troisième période qu'il convient d'étudier ici avec quelques détails.
L'Espagne est au nombre des
rares pays d'Europe où les rapports entre l'Église catholique et l'État sont
encore réglés par des actes bilatéraux, par des accords conclus avec le chef de
l'Église, des concordats. Le régime concordataire tend, en effet, à disparaître
de plus en plus. Le Concordat conclu en 1827 avec le royaume des Pays-Bas a été
virtuellement abrogé ou dénoncé en Belgique par la constitution de 1831 ; le
concordat conclu avec l'Autriche-Hongrie, en 1855, avait été dénoncé par le
gouvernement autrichien en 1870, au lendemain de la promulgation du dogme de
l'infaillibilité ; il a été abrogé par la loi autrichienne du 7 mai 1874. Celui
qui était intervenu avec le grand duché de Bade avait été dénoncé en 1850. La
création du royaume d'Italie et la loi des garanties du 13 mai 1871 ont mis à
néant les divers Concordats conclus par le Saint-Siège avec les divers États
italiens, antérieurement à l'unification de
On affirmait dans une
discussion parlementaire récente, que toute législation destinée à régler dans
notre pays la situation de l'Église catholique sur d'autres bases que celles
adoptées en 1801 devait, pour être acceptable aux yeux des catholiques, n'être
dictée qu'après entente, après "conversation" avec le
représentant suprême de l'Église. peut-être est-il bon
de faire une remarque à ce propos. il y a, sans doute, En Espagne, en Portugal,
en Bavière, dans certains cantons suisses et au Monténégro, environ 28 millions
de catholiques qui régissent des dispositions légales conformes à des
Concordats écrits ou à des ententes verbales intervenus avec le Saint-Siège ;
en revanche, il y a en Italie 31 millions de catholiques, 20 millions en
Autriche, 9 millions en Hongrie, 12 millions en Prusse, 6 millions en Belgique,
5 millions et demi dans le Royaume de Grande-Bretagne et d'Irlande, etc.
pratiquant librement leur culte conformément à leurs législations nationales,
lesquelles ont été promulguées sans aucune entente, sans aucune convention
préalable avec la curie romaine. De même, dans le Nouveau-Monde, les
législations d'un caractère concordataire ne s'appliquent qu'à un nombre de
catholiques beaucoup moins grand que celui de leur
coreligionnaires vivant au Canada, aux États-Unis, au Mexique, à Cuba,
au Brésil, sous le régime de
En Espagne
La législation
politico-ecclésiastique de ces pays présentent trop
peu d'analogie avec celle qu'il peut être question d'établir dans un État
laïque pour qu'il soit nécessaire d'en faire ici un examen approfondi. La même
observation doit être faite en ce qui concerne ceux des pays d'Europe qui, bien
qu'ayant proclamé et appliqué les principes modernes de la liberté de
conscience et du libre exercice des divers cultes reconnaissent des Églises
nationales et officielles, considèrent un ou plusieurs cultes comme des
institutions d'État subventionnées et réglementées par l'État.
Le nombre de ces pays est
encore considérable. Ce sont d'abord les pays de l'Europe orientale :
Dans les pays
scandinaves la religion luthérienne est religion de l'État. En Norvège, beaucoup de fonctions publiques ne sont accessibles qu'à ceux qui
professent la religion luthérienne. En Suède le libre exercice
des cultes "étrangers" n'a été garanti qu'à une date relativement
récente.
En Prusse, enfin, dans les autres États allemands, et en Autriche, il n'y a pas une religion "dominante", une
religion d'État exclusive de toute autre ; mais plusieurs religions ont un
caractère officiel tout à fait semblable à celui des cultes reconnus de notre
législation actuelle.
Depuis la révolution de
Ces temps sont d'ailleurs
bien oubliés aujourd'hui : presque toutes les dispositions des fameuses "lois de mai" ont été abrogées ; les traitements du clergé
catholique, dont le montant avait été mis sous séquestre, et qui formait un
total de plus de 16 millions, ont été restitué au clergé par la loi du du 24 juin 1891. Les traitements des membres du clergé
catholique et du clergé protestant ont été augmentés par deux lois du 2 juillet
1898.
Dans tous les États
allemands, les cultes catholique et protestants sont,
comme en Prusse, largement dotés par l'État ; en outre, des taxes spéciales
sont perçues dans certains États sur les fidèles pour subvenir aux frais de
chaque culte.
En
Autriche, les rapports entre l'Église
catholique et l'État sont réglés par la loi du 7 mai 1874, dont l'article 1er
abroge la pestante du 5 novembre 1855 portant
promulgation du concordat du 18 août précédent. La loi du 20 mai 1874 est
relative aux communautés religieuses autres que l'église catholique et qui sont
reconnues par l'État. En fait, sinon en droit strict, l'Église catholique est
véritablement une religion officielle.
Les hauts dignitaires de
l'Église jouissent des revenus immenses de leurs bénéfices ecclésiastiques et
sont au nombre des plus riches propriétaires fonciers de l'Europe. Les autres
membres du clergé sont rétribués au moyen des revenus des propriétés des cures,
du "fonds de
religion" (Religionsfond) provenant de la confiscation des biens des
congrégations, ordonnée par Joseph II, et enfin, en cas d'insuffisance de ces
ressources, au moyen d'une dotation de l'État.
Une loi du 19 avril
La
Hongrie a fait dans la voie de la
laïcisation un pas considérable au cours des quinze dernières années. Les lois
de 9 décembre 1894 sur le mariage, la religion des enfants (
en cas de mariage mixte) et les actes de l'état civil ont définitivement
sécularisé l'état civil. La loi du 26 novembre 1895 organise le régime des
cultes. L'article 1er de cette loi proclame la liberté de conscience et la
liberté des cultes, et l'article 5 reconnaît à toute personne le droit de
sortir d'une communion religieuse.( Le
rapport distingue l'Autriche et la Hongrie ; il serait donc intéressant de
remarquer des législations et des états d'esprit très différents dans ce qui
était l'empire d'Autriche-Hongrie, empire qui explosera après
Tous les cultes reçus ou
légalement reconnus constituent des communions ou des associations religieuses
des "corps religieux publics" placés sous la protection et le
contrôle de l'État. Or, ces cultes reconnus étaient fort nombreux à la date de
la promulgation de la loi (culte catholique romain, catholique grec,
protestants de la confession d'Augsbourg, réformé, grec non uni, unitaire,
israélite, etc.) ; et tous les autres cultes peuvent être reconnus moyennant
production de leurs statuts et s'ils remplissent certaines conditions
limitativement énumérées par la loi.
Les communions religieuses
peuvent s'administrer librement, prélever des taxes sur les fidèles, recueillir
des fonds, mais elle ne peuvent posséder d'autres
immeubles que ceux servant à l'exercice du culte, au logement des ministres, à des
œuvres scolaires et charitables, et des cimetières.
Les pasteurs et administrateurs de paroisse sont choisis sans aucune
intervention de l'autorité, mais ils doivent être de nationalité hongroise. Le
ministre compétent a le droit d'exercer une haute surveillance sur les biens de
la des communions religieuses et sur les fondations dont elles sont en
possession ; il doit veiller à ce que les biens soient réellement affectés aux
buts (religieux, scolaire, charitable) qui sont autorisés par la loi.
Cette législation établit, on
le voit, une parfaite égalité entre les divers cultes ; elle ne laisse
subsister que des liens très lâches entre l'État et les Églises ; il n'y est
pas fait mention d'allocations fournies par l'État.
Sans doute le budget des
cultes est incorporé dans le budget de l'État qui se charge du payement des
dépenses afférentes aux divers cultes ; mais ces dépenses sont couvertes par le
montant des taxes d'Église perçues spécialement sur les fidèles de chaque
culte. En sorte que les ressources générales du budget ne sont point affectées
aux cultes et que les citoyens "sans confession" ne
participent aux frais d'aucun culte. Une semblable législation présente, avec
un régime légal de séparation, de grandes analogies. Toutefois, l'Église
catholique demeure en Hongrie une religion officielle : elle celle de la
couronne, sinon de la majorité de la population ( sur
19 254 000 habitants, il n'y a que 9 919 000 catholiques romains). Les hauts
dignitaires de cette Église touchent comme les membres du haut clergé
autrichien les revenus d'un patrimoine foncier très considérable, accumulé
depuis de longs siècles, et, à l'égard duquel n'est intervenue jusqu'à présent
aucune loi de sécularisation.
Il y deux pays voisins du
nôtre où les idées de la laïcité et de neutralité de l'État ont fait, au siècle
dernier, des progrès bien plus sensibles que dans la plupart des États de
l'Europe centrale et orientale, mais où l'on aurait tort néanmoins de vouloir
chercher des exemples d'une séparation véritable entre l'Église et l'État : ces
deux pays sont l'Italie et
Italie.- C'est
L'Église ne possède point une
complète indépendance ; L'État est bien loin d'avoir rompu tout lien avec elle.
L'article 1er du Statuo (Constitution)
du royaume Sarde, promulgué en 1848, déclarait que "la religion catholique apostolique
et romaine est la seule religion de l'État" et que "les
autres cultes existants sont tolérés conformément aux lois" ; et cet article est encore l'un des textes
constitutionnels du royaume d'Italie. Assurément il a cessé depuis
longtemps d'être appliqué à
Le clergé séculier jouit d'une très grand liberté ;
toute restriction à l'exercice du droit de réunion des membres du clergé
catholique a été aboli par l'article 14 de la loi du 13 mai 1871 (loi des
garanties) dont le titre 1er est consacré aux prérogatives du Saint-Siège et le
titre II aux rapports de l'État avec l'Église. Le libre exercice du culte est
donc garanti aux catholiques. Il l'est d'ailleurs aussi aux non catholiques
(protestants, israélites). Le code pénal édicté en 1889, punit par des
dispositions spéciales ( articles 140, 141) la répression de tout trouble
apporté à l'exercice du culte, de tout outrage envers l'un des cultes admis par
l'État : l'article 142 punit quiconque, par mépris de l'un des cultes admis par
l'État, détruit, dégrade ou profane dans un lieu publique des objets destinés au
culte ou bien use de violence contre un ministre du culte ; enfin l'article 143
punit toute détérioration de monuments, peintures, statues, etc. ; placés dans
un lieu destiné au culte. La contre-partie de ces
dispositions se trouve dans les articles 182 et 183 du même code qui répriment
les délits commis par les ministres des cultes dans l'exercice de leurs
fonctions ( blâme ou censure publique des institutions ou des lois de l'État,
excitation au mépris des institutions, à l'inobservation des lois, des prescriptions
de l'autorité ou des devoirs inhérents à une fonction publique, etc.) ;
l'article 184 prévoit en outre que, pour tout délit autre que ceux spécifiés
aux articles précédents la peine est augmentée d'un sixième à un tiers, si
c'est un ministre du culte qui, en se prévalant de sa qualité, a commis le
délit. Dans la pensée des hommes d'État italiens qui, continuant l'œuvre de Cavour, ont achevé l'unification de l'Italie en
donnant au nouveau royaume une législation pénale uniforme, la formule
"l'Église libre dans l'État libre" n'excluait pas, on le voit, les
dispositions très précises concernant la police des cultes.
L'organisation intérieure de
l'Église est en partie indépendante de l'action de l'État. Les évêques sont
dispensés de toute prestation de serment. Le roi n'a ni le droit de nommer, ni
celui de proposer les titulaires des bénéfices ecclésiastiques, sauf en ce qui
touche la collation de certains bénéfices dits "de patronat royal" ( et c'est là, à vrai dire,
une exception importante). Les titulaires de bénéfices ecclésiastiques doivent
dans toute l'Italie, sauf à Rome, être de nationalité italienne. Le pouvoir
civil se refuse se refuse à prêter l'appui du bras séculier pour l'exécution
des actes des autorités ecclésiastiques, en matière spirituelle et
disciplinaire ; ces actes ne produisent d'autres effets juridiques que ceux qui
sont reconnus par les tribunaux civils. En revanche, la publication des actes
des actes des autorités ecclésiastique en matière spirituelle est dispensée de
toute autorisation administrative. En tant que puissance spirituelle, l'Église
catholique se trouve ainsi réellement séparée de l'État. C'est en ce qui
touche l'administration temporelle des cultes que les rapports subsistent. Au
budget italien ne figurent sans doute sans doute ni les traitements ni les
pensions des membres du clergé. Mais c'est une administration de l'État, celle
du fonds pour le culte ( Fondo
per il culto) qui pourvoit au payement des
traitements et pensions dont le taux est fixé par des lois et des décrets
royaux (une loi du 4 juin
Ce qui achève de donner à
l'église catholique le caractère d'une institution publique, sinon une
institution d'État, c'est que les fabriques
des églises paroissiales et cathédrales, les sanctuaires, oratoires, etc., ont
échappé à la suppression générale des corporations et institutions religieuses
effectuées dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle ; il subsiste ainsi un
nombre considérable d'établissements doués de la personnalité juridique,
pouvant recevoir des dons et legs, bref tout à fait semblables aux établissements
publics préposés aux cultes qu'a institué notre droit concordataire. La
législation de l'époque napoléonienne est d'ailleurs encore en vigueur dans une
partie de l'Italie, et les règles relatives à l'acquisition et à l'aliénation
des biens des établissements du culte sont, dans le code civil italien, les
mêmes que dans notre code civil.
La législation
concernant les rapports de l'Église et l'État en Belgique, seraient,
si l'on s'en rapportait aux déclarations faites tant par les catholiques que
par les libéraux lors de l'élaboration de constitution belge, en 1830, inspiré
par le principe de la séparation ; mais ici, plus encore qu'en Italie, il
s'agit plutôt de l'indépendance de l'Église, considérée comme pouvoir
spirituel, à l'égard de l'État, que d'une séparation réelle et complète ; comme
institution temporelle l'Église est subventionnée par l'État.
La constitution, après avoir
proclamé et garanti la liberté de conscience, la liberté des cultes et leur
exercice public (art 14 et 15), déclare que l'État n'a pas le droit
d'intervenir dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un
culte quelconque, ni de défendre à celui-ci de correspondre avec leurs
supérieurs et de publier leurs actes. Mais l'article 117 de cette même
Constitution met à la charge de l'État les traitements des ministres des
cultes. Le budget des cultes a constamment augmenté, surtout dans les vingt
dernières années, pendant lesquelles le parti clérical a été au pouvoir. Il
s'élève, si l'on tient compte des allocations des provinces pour l'entretien
des cathédrales et des séminaires, et de celles des communes pour les dépenses
du culte paroissial en cas d'insuffisance des revenus des fabriques, à plus de
huit millions et demi. Une loi du 24 avril
Cet appui financier n'est pas
le seul privilège dont jouisse l'Église. Tandis que les associations d'un
caractère laïque, qui peuvent se constituer librement et sans aucune
déclaration ni autre mesure préalable (art. 20 de la Constitution) ne possèdent
aucune capacité juridique, n'ont point la personnalité ou la
"personnification civile", comme on dit en Belgique, il en est tout
autrement en ce qui concerne les Églises. La législation datant de l'époque où
la Belgique faisait partie de l'Empire français et considérée comme toujours en
vigueur : les fabriques d'Église continuent à être régies par le décret du 30
décembre 1809 et sont de véritables établissements publics préposés au cultes qui acquièrent et accumulent des biens de
mainmorte dans les mêmes conditions qu'en France sous le régime concordataire.
Une loi du 4 mars
Bref, on peut dire avec le
grand jurisconsulte belge Laurent (L'Église et l'État depuis la révolution)
: "Le système belge ne
consacre pas la vraie séparation de l'Église et de l'État : l'État a des
obligations sans avoir aucun droit tandis que l'Église a des droits sans avoir
aucune obligation."
Il convient de noter qu'en belgique, comme en Italie, la liberté de l'exercice des
cultes est garantie d'une part et d'autre part limité par des dispositions
pénales : l'article 267 du code pénal belge punit les ministres des cultes qui,
hors les cas formellement exceptés par la loi procède à la bénédiction nuptiale
avant la célébration du mariage civil ; l'article 267 punit celui qui, dans
l'exercice de son ministère, et en assemblée publique, attaque le gouvernement,
une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l'autorité publique. Les
articles 142 à 146 reproduisent presque textuellement les articles 260 à 264 de
notre code de 1810 qui réprime les atteintes au libre exercice des cultes
La législation ecclésiastique des Pays-Bas ne diffère guère
de celle de
Il les deux pays d'Europe
dont il nous reste à parler, on rencontre, à côté des Églises officielles, des
Églises libres et séparées de l'État ; et, particularité intéressante, l'Église
catholique est au nombre de ces Églises libres.
Ces deux pays dont il s'agit
sont : la Grande-Bretagne et
Grande-Bretagne
I.- Il y a dans le
Royaume-Uni beaucoup d'Églises protestantes qui ne sont rattachées par aucun
lien avec l'État et n'on jamais été "établies". On range leurs
fidèles sous la dénomination générique de dissenters
(dissidents) et de non-conformistes. Dans tout le pays de Galles, les six
septième de la population ( qui est d'environ 1 574
000 habitants) se rattachent à des sectes non-conformistes (méthodiste,
congrégationaliste, wesleyenne, baptiste, etc.). En Écosse, les fidèles des
Églises indépendantes de l'État sont beaucoup plus nombreux que ceux de
l'Église presbytérienne établie. Enfin, l'Église catholique romaine compte
environ 5 750 000 fidèles, dont 3 308 000 en Irlande. Pendant de longs siècles,
non-conformistes et catholiques furent soumis à un régime d'exception ;
l'exercice de leur culte était à peine toléré et ils étaient privés d'une
partie de leurs droits civils et de tous droits politiques. Il ne reste
aujourd'hui que des vestiges de cette législation draconienne, issue des
guerres religieuses du seizième et du dix-septième siècle. Des lois de 1791 et
de 1829 ont accordé aux catholiques presque tous les droits civils et tous les
droits politiques. Seules quelques hautes fonctions de l'État demeurent
interdites aux dissidents et aux catholiques romains ; encore la question
est-elle controversée. L'exercice du culte dans les églises et les temples est
libre pour toutes les secte dissidentes, mais cet
exercice doit être public. Depuis 1832 aucun "enregistrement", aucune déclaration n'est plus obligatoire pour
l'ouverture d'un lieu de culte. Mais quand les temples sont déclarés, ces
édifices sont exemptés d'impôts, et les ministres qui sont attachés à ces
temples jouissent de certains privilèges analogues à ceux qui appartiennent aux
ministres de l'Église anglicane (exemption du jury, du service dans la milice,
etc.). Une ancienne loi exempte du péage sur les chemins à péage tout ministre
d'un culte et tout fidèle qui se rend les dimanches et jour de fêtes
religieuses de son domicile au lieu du culte, ou qui en revient. Enfin
l'article 26 de la loi du 6 août 1861 (Ann. 24-25 Metoria,
chap. 100), qui est applicable à tous les ministres du culte sans distinction,
punit de deux ans de prison avec ou sans travaux forcés (hard labour)
ceux qui troublent ou menacent un ecclésiastique dans l'exercice de ses
fonctions, soit au cours d'une cérémonie du culte, soit pendant un convoi
funèbre, et ceux qui commettent des violences à l'égard d'un ecclésiastique
dans les mêmes circonstances. La police des cultes existe donc plutôt pour
protéger la liberté des cultes que pour la limiter.
Rien n'est plus fréquent en
Angleterre, on le sait, que des prédications ou réunion d'un caractère
religieux, en plein air et sur la voie publique. Les ministres des divers
cultes jouissent d'une entière liberté de parole, interviennent dans les
affaires politiques ; on en a vu pendant la guerre du Transvaal, apprécier en
chaire, dans les termes les plus sévères, les actes du gouvernement. La
multiplicité des sectes, la faiblesse numérique relative de chacune d'elles
servent de contrepoids, en quelque sorte, à cette liberté de parole presque
illimitée accordée aux ecclésiastiques. L'Église catholique bénéficie comme les
sectes protestantes de ce régime très bienveillant. Elle est toutefois soumise
à quelques restrictions particulières ; on n'a point abrogé la disposition de
1829 qui interdit aux prêtres catholiques, sous peine de 1 250 fr. d'amande d'exercer leur culte ou de porter des habits
sacerdotaux ailleurs que dans les lieux réservés à cet exercice ( ce qui
équivaut à l'interdiction des processions).
L'organisation de l'Église
catholique et des Églises protestantes non établies est, dans le Royaume-Uni,
celle d'associations libres vivant chacune suivant ses propres règles.
L'autorité gouvernementale n'intervient pas dans le fonctionnement de ces
associations. Les difficultés qui peuvent s'élever à ce sujet sont du ressort
des tribunaux. Un schisme s'est produit récemment au sein de l'Église
presbytérienne libre d'Ecosse : la majorité des fidèles et des pasteurs a décidé
de s'unir à l'Église presbytérienne unie, autre fraction du presbytérianisme
qui est également indépendante de l'État (la seule Église unie à l'État est
l'église presbytérienne "établie"). A la suite de ce schisme, le
patrimoine très considérable qui provenait de fondations pieuses et charitables
a naturellement fait l'objet de revendications contradictoires. Le litige a été
portée devant la cour d'Édimbourg et en appel devant
la chambre des lords ; et cette haute juridiction a attribué la totalité du
patrimoine à la minorité composée de quelques pasteurs et d'un petit nombre de
fidèles. Ce n'est pas la première fois, loin de là, que de semblables procès,
où les questions d'ordre religieux et même dogmatique doivent être examinés, sont soumis aux tribunaux anglais.
L'Église catholique a
constitué en Angleterre l'organisation hiérarchique qui lui est particulière.
Sans doute, ses évêchés et ses paroisses ne sont pas érigées en personnes
morales, en corporations ; mais elle participe indirectement à tous les
avantages de la personnalité civile. La législation anglaise du moyen âge
réprimait très sévèrement les abus de la mainmorte ; mais elle a, pour
ainsi dire, disparu grâce à l'institution du fidéicommis, et spécialement du
fidéicommis charitable (charitable trust) qui permet d'affecter à perpétuité à
l'un des buts autorisés par la loi une libéralité déterminée. Depuis la loi de
1601 promulguée sous le règne de d'Élisabeth jusqu'à celles de 1888 et 1891, le
nombre des charitable trusts admis par les législateurs s'est beaucoup accru :
on reconnaît notamment que tout legs fait dans un but religieux entre dans
cette catégorie. Le Roman catholic charities act de 18.. autorise spécialement les
catholiques à instituer toutes sortes de fondations charitables et religieuses.
Toutefois, il faut que tout bien immobilier faisant l'objet d'une fondation
charitable ou religieuse soit vendu ou converti en valeurs mobilières dans
l'année du décès du testateur. Il n'est fait exception qu'à l'égard de terrain
devant servir à la construction d'un temple ou d'un autre bâtiment nécessaire au
fonctionnement de l'œuvre. Enfin la jurisprudence
anglaise refuse de valider certains dons ou legs d'un caractère religieux, telles
que les fondation à charge de dire des messes pour le repos d'une âme : on les
considère comme des usages superstitieux ( superstitious uses) et comme étant à ce
titre entachés de nullité. Le testateur doit, d'après cette jurisprudence, se
borner à faire un legs en vue de l'exercice et du maintient du culte ; il peut
exprimer le désir qu'un ecclésiastique dise des prières à son intention, mais
en stipulant expressément, à peine de nullité du legs, que ce désir ne crée
aucune obligation légale.
Il n'est contesté par
personne que, depuis l'émancipation des catholiques, en 1829, la
puissance matérielle de l'Église catholique en Angleterre n'a fait que
s'accroître, que chapelles, églises, couvents, écoles confessionnelles s'y sont
multipliés. Les ordres monastiques se rattachant au
catholicisme romain n'ont et ne peuvent avoir aucune capacité juridique en tant
qu'êtres collectifs ; mais ils s'enrichissent par l'intermédiaire de leurs
membres, ni la loi, ni la jurisprudence n'ayant pris de précautions sérieuses
contre les fraudes dues à l'interposition de personnes.
II.- La séparation en
Irlande (Disetablishment de l'Église
d'Irlande). - L'Église anglicane s'était imposée par la conquête en Irlande.
"Cette Église, dit Minghetti (L'État et
l'Église - déjà cité),
petite par le nombre de ses fidèles, mais puissante par sa hiérarchie,
fortement organisée, se partageant l'île entière et liguée avec les possesseurs
du sol, avec l'Église d'Angleterre et avec l'État, dominait une nation de
catholiques, réduite au dernier degré de misère." Par la loi du 26 juillet 1869 (Ann. 32-33, Victor, chap. 42),
l'Église d'Irlande cessa d'être une Église officielle et devint une Église
libre. L'article 3 chargea de la liquidation des biens de l'Église trois "commissaires du temporel de
l'Église d'Irlande", au nom desquels
fut transférée toute la propriété ecclésiastique. Les "corporations" existantes (personnes morales correspondant aux
établissements publics de notre droit), telles qu'archevêchés, évêchés, etc.,
furent dissoutes à partir du 1er janvier
III.- Projets de séparation
en Angleterre.- Il y a en Angleterre, surtout depuis une trentaine d'années, un
courant d'opinion assez marqué en faveur de la séparation entre l'Église et
l'État. La liberation society, société fondée en vue
de libérer la religion du patronage et du contrôle de l'État, poursuit avec une
inlassable ténacité la campagne de brochures, de manifestes, de publications de
toute espèce qu'elle a entreprise. D'après les estimations des "libérationnists", c'est à dire partisans de la séparation, les
revenus capitalisés de l'Église anglicane et les églises et cathédrales
représenteraient au total une somme de 220 millions de livres (5 milliards de
francs). On estime qu'en privant l'Église de ses dotations, moyennant de larges
compensations calculées d'après les mêmes bases que pour l'Église d'Irlande en
Les "libérationnists" n'ont jamais espéré ni obtenu que l'appui
politique du parti libéral. Le parti conservateur leur est nettement hostile.
Même si les libéraux revenaient au pouvoir, les partisans de la séparation ne
pourraient sans doute pas songer à la réalisation complète et immédiate de leur
programme, qui est la suppression de toute Église officielle, même en
Angleterre ; mais peut-être ferait-on de nouveaux efforts pour obtenir le
"Disetablishment" dans le pays de Galles et
en Écosse. Des propositions en ce sens ont été faites déjà à diverses reprises
au Parlement anglais et n'ont été repoussées qu'à une très faible majorité. Il
est certain que le maintien d'une Église anglicane officielle dans le pays de
Galles, où cette Église possède des revenus importants et perçoit pour plus de
5 millions de francs de dîmes, ne s'explique guère, alors que l'immense
majorité de la population est détachée de cette Église.
Suisse.- La Constitution fédérale de la confédération suisse
déclare inviolable la liberté de conscience et garanti la liberté des cultes
dans les limites compatibles avec l'ordre public et les bonnes mœurs (art. 49 et 50). Elle autorise la confédération et les
cantons à prendre des mesures pour le maintien de l'ordre public et la paix
entre les membres des diverses communautés religieuses, ainsi que contre les
empiétements des autorités ecclésiastiques sur les droits des citoyens et de
l'État. Elle s'abstient de toute ingérence dans l'organisation et le
fonctionnement des Églises, sauf sur un point : le dernier paragraphe de
l'article 50 stipule qu'il ne peut être érigé d'évêchés sur le territoire
suisse sans l'approbation de
Il y a dans tous les cantons
des Églises nationales, réglementées et, souvent subventionnées par l'État.
Rien, au surplus, n'est moins uniforme que la législation
politico-ecclésiastique des cantons suisses. La scission qui s'est produite
après 1870 entre les vieux catholiques et les catholiques romains, les
tentatives faites par les gouvernements de certains canton, à Genève notamment,
en vue de constituer des Églises catholiques nationales ont rendu les rapports
de fait et de droit entre les Églises et les cantons plus complexes encore.
D'une manière générale on
peut dire que les Églises reconnues et officielles de chaque canton, c'est à
dire l'Église protestante dans les uns, l'Église catholique dans les autres,
les deux Églises dans d'autres encore, sont subventionnées par l'État. Quand
les revenus d'anciennes fondations, qui existent dans presque tous les cantons
où les taxes perçues sur les fidèles ne suffisent pas pour l'entretien du
culte, des allocations sont fournies par les cantons. Les traitements des
ministres des cultes figurent dans la plupart des budgets cantonaux. Il y a des
cantons (Argovie, Zurich, Fribourg, etc.) où des taxes spéciales pour les frais
du culte sont perçues sur les fidèles de chaque Église dans la même forme que
les impôts.. En général, les édifices des cultes
appartiennent aux cantons ou aux communes, qui les mettent gratuitement à la
disposition des cultes.
La situation légale de
l'Église catholique romaine résulte d'anciennes coutumes dans certains cantons,
dans d'autres d'une législation ayant un caractère concordataire : ainsi, pour
le Tessin, des conventions ont été conclues avec le Saint-Siège les 1er et 27
septembre 1884 par le gouvernement fédéral (dont les relations diplomatiques
avec le Vatican étaient cependant rompues depuis dix ans) et par les autorités
cantonales du Tessin. Ailleurs, enfin, cette situation est uniquement réglée
par la loi cantonale.
Parfois l'Église s'est
soumise sans difficulté à la législation civile ; dans le canton de Thurgovie,
par exemple, elle a accepté l'organisation synodale (comportant l'élection des
curés par les fidèles), que la loi lui avait imposée, et elle est restée dans
ces conditions Église officielle. Mais le plus souvent elle a refusé de se
plier à la réglementation faite par le pouvoir civil et a renoncé à tous les
droits et privilèges d'une Église officielle. Les catholiques romains se sont
alors constitués en associations libres, entièrement séparée de l'État. Les
Églises catholiques et officielles subventionnées par les cantons n'ont, depuis
ce moment, compté d'autres fidèles que les vieux catholiques, ou catholiques
chrétiens dont le nombre est fort réduit ( On n'en compte guère plus de 40 000
dans toute la Suisse : le total de la population catholique est d'environ 1 379
000. Il y a près de 2 millions de protestants). Telle est la situation qui
s'est produite notamment à Bâle, à Berne et à Genève. Dans le canton de Genève
c'est une association privée, l'œuvre du clergé, qui
recueille les souscriptions des fidèles et paye les curés et vicaires. Pour
remplacer les églises mises à la disposition des vieux catholiques de nouveaux
édifices ont été construits aux frais des fidèles. Toutefois les relations
entre l'Église catholique et les autorités civiles de Genève, de Berne et de
Bâle, fort tendues il y a une trentaine d'années, se sont beaucoup améliorées.
Des édifices communaux sont mis gratuitement à la disposition des catholiques
romains dans plusieurs communes du canton de Genève, à Bâle et dans le canton
de Berne.
L'Église catholique n'est pas la seule n'est pas la seule qui vive séparée de
l'État dans certains canton suisses ; il y a également à Genève, dans les canton de Vaud et de Neuchâtel, des Églises protestantes
libres à côté des Églises protestantes nationales. Là, comme pour les
catholiques, l'initiative de la séparation est venue non du pouvoir civil, mais
du groupement religieux.
En ce qui touche la police
des cultes, on rencontre également en Suisse les régimes les plus divers. Dans
le canton de Berne a été promulgué, le 14 septembre
1875, une loi sur la "répression
des atteintes portées à la paix confessionnelle". L'article 2 de cette loi punit de l'amende et de la
prison tout ecclésiastique faisant des institutions politiques ou des décisions
des autorités de l'État l'objet d'une publication ou d'un discours de nature à
mettre en danger la paix publique ou l'ordre publique (
disposition reproduisant presque textuellement l'article 130 du code
pénal allemand). L'article 5 interdit sous peine d'amende et d'emprisonnement
les processions et autre cérémonies religieuses en dehors des églises,
chapelles et autres locaux privés. Saisis d'un recours contre ces dispositions
de la loi cantonale, le conseil fédéral déclara, le 13 mai 1875, qu'elles ne
portaient pas atteinte aux principes de la liberté de conscience et de la
liberté des cultes inscrits dans les articles 49 et 50 de la constitution
fédérale. A Genève, la loi du 28 août 1875 contient des dispositions
analogues à la loi bernoise. Les processions sont également interdites dans le
canton de Vaud. Elles sont, au contraire, autorisées dans le Valais et dans les
autres cantons catholiques. Dans le Tessin, notamment, l'administrateur
apostolique, délégué discret du Saint-Siège, a des pouvoirs très étendus ; il
peut faire ordonner des prières publiques et des processions (convention de 1884
conclues avec le Saint-Siège). En vertu des mêmes conventions, les autorités
civiles doivent prêter leur concours aux autorités ecclésiastiques pour
l'exécution des mesures prises par elles.
Le régime de la séparation
des Églises et de l'État, encore si faiblement et incomplètement mis en
pratique en Europe, est, au contraire, largement adopté dans le Nouveau Monde ;
le Canada (où une loi de
États-Unis.- Les rapports entre les pouvoirs civils et les
religions aux États-Unis ont été, dans ces dernières années, fréquemment
exposés. Les ouvrages de MM. le vicomte de Meaux (l'église catholique et la
liberté), Claudio Jannet (les États-Unis
contemporains), P. G. La Chesnais (trois
exemples de séparation), de Bryce (la République américaine - traduit en
français - tome IV), de l'abbé Félix Klein (Au pays de la vie intense)
fournissent à cet égard de nombreux éléments d'information qu'on doit compléter
par l'examen des textes constitutionnels ou législatifs. Le principe de la
laïcité et de la neutralité de l'État est consacré dans la constitution
fédérale, qui décide qu'aucune déclaration de foi religieuse ne peut être
requise comme condition d'aptitude pour l'obtention des charges publiques
dépendant du gouvernement fédéral (article 6) et qui interdit au congrès de
faire aucune loi à l'effet d'"établir" ( c'est
à dire reconnaître officiellement) une religion ou d'interdire son libre
exercice (même article, amendement I). Ces mêmes principes, qui, au début du
dix-neuvième siècle, n'étaient pas encore appliqués dans tous les États de
l'Union sont aujourd'hui uniformément proclamés et mis en pratique sur tout le
territoire de
On s'explique ainsi le
caractère très favorable aux Églises, aux "corporations religieuses" des législations qui les régissent.
On s'explique ainsi certaines
dérogations au principe de la neutralité qui pourraient, au premier abord,
paraître surprenantes : les allocations accordées par les Chambres fédérales
à des chapelains appartenant aux diverses confessions chrétiennes, et qui
disent des prières au début de chaque séance ; la proclamation annuelle du
Président de la République ordonnant des actions de grâce ; les
proclamations analogues des gouverneurs d'Etat fixant des jours pour la
célébration de cérémonies religieuses ; les honneurs publiques rendus et les
égards officiellement témoignés par le Président de la république et toutes les
autorités civiles aux dignitaires ecclésiastiques, notamment aux archevêques et
cardinaux de l'Église romaine, etc.
La police des cultes est
fortement organisée, mais presque uniquement en faveur des religions. Dans un
certain nombre d'États, des lois punissent le blasphème, interdisent de
travailler le dimanche ; dans presque tous les États tout désordre causé au
cours de l'exercice d'un culte, toute entrave au libre exercice des cultes,
toute vente de marchandises, vins ou spiritueux aux alentours des églises et
temples, des lieux destinés à des réunions religieuses ou prédications en plein
air (camp-meeting) sont punis de l'amende et de
Il n'y a, d'autre part,
aucune loi dans les États de l'Union qui réprime spécialement des délits commis
par des ecclésiastiques. Il faut dire que jusqu'à présent les ministres des
divers cultes se sont presque toujours renfermés dans leur mission. La
neutralité de l'État en matière religieuse coïncide réellement et
effectivement, aux États-Unis, avec la neutralité des Églises en matière
politique. C'est un principe unanimement reconnu que "l'Église est un corps spirituel existant
dans un but spirituel et se mouvant dans des voies purement spirituelles." (Bryce, la République américaine, tome
IV, p. 461) "On
n'admet pas, dit le même auteur, qu'un clergyman s'immisce dans les
affaires politiques et traite en chaire aucun sujet séculier" (ibid., p. 474). On ne peut qu'envier la grande
démocratie américaine de ce que la sanction de l'opinion publique y soit
suffisante, sans aucune disposition pénale, pour réprimer certains excès.
L'organisation intérieure des
diverses Églises protestantes et de l'Église catholique est celle
d'associations libres et volontaires ; toutes les questions de propriété,
celles de discipline et de juridiction ecclésiastiques sont, lorsqu'on les
soumet aux tribunaux, résolues suivant les règles du droit commun. Il est à
peine besoin de dire que le pouvoir civil n'intervient à aucun degré dans la
nomination des dignitaires ecclésiastiques. Les Églises protestantes élisent
leurs pasteurs, leurs évêques, suivant les règles adoptées par chacune d'elles.
Les curés catholiques sont choisis par les évêques ; les évêques sont désignés
par la curie romaine sur une double liste de présentation dressée par les curés
du diocèse et les évêques de la province.
Comme la législation
anglaise, la législation américaine est peu défiante à l'égard des
établissements de mainmorte ; le bénéfice de la personnalité civile, qui
emporte le droit de posséder et celui d'acquérir des biens à titre gratuit, est
donc très libéralement accordé aux associations religieuses. Celles-ci peuvent
soit ne pas se faire "incorporer", c'est-à-dire transformer en personnes morales,
et se borner à constituer des fidéicommissaires (trustees) qui assurent
la conservation des biens, soit devenir des corporations, des personnalités
juridiques en vertu d'une déclaration faite devant une autorité administrative
ou judiciaire, ou en vertu d'une loi spéciale. Mais des garanties sont prises
contre l'accroissement illimité des biens de ces associations. Dans certains
États, la loi détermine le maximum du capital qu'elles peuvent posséder
(Alabama, Colorado, Tennessee : 250 000 fr. ;
Michigan, Caroline du Sud : 500 000 fr. , etc.) ;
dans d'autres, c'est le maximum du revenu des biens qui est fixé (maryland,
New-Jersey : 10 000 francs de revenu ; Delaware : 1 500 fr.
de revenu provenant d'immeubles et 3 000 fr. de
revenu provenant de valeurs mobilières ; Californie : 100 000 fr. ; New-Hampshire : 25 000 fr.
; Caroline du Nord, 30 000 fr. ; New-York : 500 000 fr.). Ailleurs, la loi limite le nombre d'acres de terrain
que peut posséder une Église : dans le district de Columbia, chaque association
religieuse ne peut posséder qu'un acre de terrain pour y construire des églises
et autres établissements servant à l'accomplissement du but de la société ;
dans l'Illinois, chaque association ne peut posséder d'autres immeubles que
ceux servant au fonctionnement de l'association ; dans l'Iowa, nul ne peut
donner ou léguer à une association religieuse plus du quart de sa fortune.
On voit que, sous des formes
très diverses, les législations américaines ont pris des précautions contre
l'accroissement des biens de mainmorte. Les corporations religieuses sont
toutefois traitées avec beaucoup de bienveillance, on ne saurait trop le
répéter. leurs biens sont parfois parfois
partiellement exemptés d'impôts. Dans certains États (Maine, Massaschussets) elles sont autorisées non seulement à
réclamer des cotisations, des taxes aux fidèles, mais encore à faire percevoir
ces taxes dans les mêmes formes que les impôts d'État ou les impôts communaux.
Enfin, outre les lois
générales, les législatures des États ont fréquemment édicté des lois spéciales
relatives à telle ou telle Église protestante ou à l'Église catholique afin de
donner à chacune d'elle l'organisation particulière qui lui convient le mieux.
L'Église catholique a largement bénéficié de ces dispositions bienveillantes et
a, dans beaucoup d'États, fait créer ainsi, à son profit, un droit spécial,
qu'elle préfère au droit commun des associations. Un jurisconsulte catholique
faisait naguère remarquer que l'association, c'est-à-dire le libre groupement
de citoyen associés pour exercer un culte , "est la négation pratique et le
renversement de la hiérarchie catholique. (Voir
rapport sur les projets de loi relatifs à la séparation adressé par M. G.
Théry, ancien bâtonnier au barreau de Lille à l'archevêque de Cambrais, dans le
Siècle du 1er janvier 1905.) Or aux États-Unis le désir de ne refuser aucune
concession au sentiment religieux l'a emporté sur le respect dû aux principes
démocratiques. L'Église catholique a dans certains États fait reconnaître et
consacrer par la loi, l'organisation hiérarchique et autoritaire qui lui est
chère. Ainsi dans l'État de New-York, à la suite de la campagne menée par
l'évêque Hugues, une loi du 25 mars
Le vicaire général et le curé
étant eux-mêmes nommés par l'évêque, celui-ci a en réalité les pouvoirs les
plus complets quant à l'administration de
Néanmoins toute ingérence des
fidèles dans l'administration temporelle des Églises n'a pas été entièrement
écartée : généralement le sermon d'un dimanche par an est remplacé par un
compte rendu de gestion aux fidèles.
Un semblable régime légal a,
bien entendu, eu pour conséquence un accroissement rapide de la puissance
morale et matérielle des Églises et notamment de l'Église catholique. Jusqu'à
présent aucun parti politique ne paraît songer à y mettre obstacle. Le nombre
des non-croyants est néanmoins considérable aux États-Unis. Si les
interventions des Églises dans les affaires politiques devenaient plus
fréquentes et moins discrète, si les efforts d'ailleurs couronnés de succès
qu'a fait l'Église catholique en vue de constituer un enseignement primaire
strictement confessionnel, apparaissait un jour comme dangereux à certains
égards, notamment au point de vue du retard qui en résulte pour l'assimilation
des émigrés catholiques et leur fusion avec les autres races (Voir un article
de M. P.-G. La Chesnais dans l'Européen
du 14 janvier 1905), peut-être les Américains connaîtraient-ils à leur tour
cette question cléricale qu'ils considèrent avec un dédain un peu superficiel
et avec la confiance d'un peuple jeune, n'ayant point encore fait certaines
expériences, comme occupant une trop grande place dans les préoccupations
politiques du vieux monde. Peut-être viendra-t-il un jour où il y aura parmi
eux non seulement des non-croyants, des "agnostiques"
mais des anticléricaux. (Chaque
matin aux USA les écoliers doivent réciter une déclaration d'allégeance qui
définit le pays comme ''une nation sous la loi de Dieu''.
Un athée,
Michael Newdow, a intenté, en 2002, une action en
justice qui a soulevé une tempête de protestations et généré un gigantesque
débat dans le pays tout entier.
Mexique.- La séparation des Églises et de l'État apparaît
dans la législation du Mexique sous un tout autre
aspect qu'aux États-Unis. On ne peut parler ici d'une étroite union morale
entre l'État et l'Église tempérant ou altérant les effets de la séparation
juridique.
Rappelons en quelques mots
les origines historiques de la séparation au Mexique que M. P.-G. La Chesnais a exposées très complètement dans son intéressante
brochure intitulée Trois exemples de séparation, publiée par les
soins des Pages libres.
Le clergé catholique, peu
nombreux, mais tout-puissant par ses immenses richesses, possédait au milieu du
dix-neuvième siècle un tiers des biens fonciers de
Le parti fédéraliste devint
un parti nettement anticlérical. En 1856, ce parti, parvenu au pouvoir,
supprima la mainmorte ecclésiastique en autorisant les tenanciers à devenir
propriétaires des terres louées par les titulaires de bénéfices ecclésiastiques
; puis il fit disparaître les congrégations d'hommes, nationalisa les édifices
du culte, laïcisa l'état civil, supprima enfin la légation mexicaine près le
Vatican. Pour conserver ses richesses, le clergé déchaîna la guerre civile,
puis la guerre étrangère. On sait comment se termina tragiquement le règne
éphémère de l'archiduc Maximilien à qui Napoléon III avait cru devoir offrir
l'appui d'une armée française. Le parti fédéraliste fédéraliste
définitivement vainqueur avec Juarez, édicta une loi de laïcisation qui
établissait notamment une séparation complète entre l'État et l'Église. Il
convient de citer ou d'analyser les dispositions de cette loi, promulguée le 14
décembre 1874. (Voir le texte complet dans l'Annuaire de législation
étrangère, publiée par la société de législation comparée, année 1879.)
"L'État et l'Église, dit l'article 1er, sont indépendants l'un de l'autre. Il ne pourra être fait
de loi établissant ou prohibant aucune religion ; mais l'État exerce son
autorité sur chaque religion en ce qui concerne l'ordre public et les
institutions."
L'article 2 est ainsi conçu: " L'État garantit l'exercice des
cultes dans
L'article 3 déclare que les
autorités publiques ne prendront plus part officiellement aux cérémonies d'un
culte quelconque. Ne sont plus reconnus comme jours fériés que ceux ayant pour
objet exclusif la célébration d'événements purement civils. Toutefois, le
dimanche demeure désigné comme jour de repos pour les bureaux et
administrations publiques.
L'article 5 n'autorise la
célébration publique d'un acte religieux que dans l'intérieur d'un temple, et
ce sous peine d'une amende de 10 à 200 piastres et d'une incarcération de deux
à quinze jours ; un emprisonnement de deux à six mois peut être prononcé si
l'acte a un caractère solennel et s'il y est procédé en violation d'une
injonction de l'autorité en ordonnant l'interruption immédiate. Hors des
temples, le port de vêtements et d'insignes est interdit tant aux ministres des
cultes qu'aux fidèles, sous peine de 10 à 200 piastres d'amende.
L'usage des cloches n'est
autorisé qu'en tant qu'il est strictement nécessaire pour appeler les fidèles à
l'office ; il peut faire l'objet de règlement de police (art. 6)
Les Temples doivent faire
l'objet d'une déclaration ou enregistrement. Ils jouissent alors, tant qu'ils
demeurent affectés à l'exercice du culte, de la protection accordée aux lieux
de culte par l'article 969 du code pénal du district fédéral. Ce code contient
huit articles relatifs à aux atteintes à la liberté des cultes (art. 968 à 975)
; l'article 969 punit le trouble apporté à l'exercice du culte dans un lieu
affecté à cet exercice, et l'article 971 réprime l'outrage envers un ministre
du culte dans l'exercice de ses fonctions ; des dispositions analogues se
rencontrent dans les codes pénaux des divers États mexicains.
Les ministres des cultes ne
jouissent, depuis la séparation, d'aucun privilège qui les distingue des autres
citoyens et ne sont soumis à aucune prohibition autre que celles résultant des
lois et de la Constitution (loi de 1874, art. 10)
"Les discours prononcés par les
ministres des cultes, qui contiendront le conseil de désobéir aux lois ou la
provocation à quelque crime ou délit rendent illicite la réunion où ils se
tiennent et cette réunion, cessant de jouir du privilège contenu en l'article 9
de la Constitution, peut être dissoute par l'autorité. L'auteur du discours
restera dans ce cas soumis à la disposition du titre VI, chapitre VIII, livre 3
du code pénal du district fédéral applicable, dans ce cas, à toute
"Toutes les réunions qui auront
lieu dans les temples seront publiques et soumises à la surveillance de la
police et l'autorité pourra y exercer les pouvoirs qui lui appartiennent si les
circonstances l'exigent" (art. 12).
Les organisations religieuses
s'organisent hiérarchiquement comme il leur convient et leur supérieur les
représente devant l'autorité (art. 13). Elles ne peuvent acquérir et posséder
des biens-fonds et des capitaux à eux attachés,
exception faite pour les temples consacrés d'une façon directe au service
public du culte et pour les annexes et dépendances des temples qui sont
strictement nécessaires au service du culte (art. 14). Elles peuvent recevoir
des aumônes et des donations mobilières, mais non des legs. Les quêtes ne sont
permises que dans l'intérieur des temples. Toute infraction à cette
prescription est punissable d'une amende pouvant s'élever jusqu'à 1 000
piastres (art. 15).
Les temples, nationalisés par
la loi du 12 juillet 1859, demeurent propriété de l'État ; ils sont laissés à
l'usage exclusif des institutions religieuses qui doivent veiller à leur
conservation et à leur amélioration (art. 16). Les temples appartenant à l'État
sont exempts de contributions.
Telles sont les dispositions
régissant au Mexique l'exercice des cultes.
La même loi du 14 décembre
Le Mexique possède ainsi la
législation laïque la plus complète et la plus harmonique qui ait jamais été
mise en vigueur jusqu'à ce jour. Il est délivré depuis tente ans de la question
cléricale et a pu se vouer entièrement à son développement économique : il
connaît réellement la paix religieuse. L'Église catholique ne parait pas avoir
souffert, d'ailleurs, du régime légal assez strict mais non oppressif sous
lequel elle vit. "Le
clergé n'est pas à plaindre. Les curés des paroisses rurales ont une situation
plutôt meilleure que sous l'ancien régime. Les dons, les quêtes dans les
églises, le casuel suffisent à soutenir les frais du culte et entretenir les
ministres et les séminaires ... Les églises fort délabrées et mal desservies en
1857, ont recouvré leur splendeur."( P.-G.
La Chesnais, op. cit.
p. 89) Le gouvernement du président Porfirio Diaz n'a
cessé d'appliquer, sans hostilité à l'égard de l'Église mais avec fermeté, la
législation de 1874 ; et, s'il faut en croire une correspondance récemment
adressée de Rome au Journal des Débats, il a toujours opposé une fin de
non-recevoir aux démarches officieuses faites assez fréquemment par le
Saint-Siège en vue de la conclusion d'un nouveau concordat.
Cuba.- La République de Cuba, dont la population est
d'environ 1 572 000 habitants est presque entièrement catholique, offre un
exemple unique assurément. La séparation complète de l'État et de l'Église s'y
est faite "sans phases", pourrait-on dire, sans promulgation d'aucune
loi ni d'aucun décret, sans agitation anticléricale, sans protestation de la
part de l'Église.
Les États-Unis, en
intervenant militairement dans l'île en 1899, n'ont pas seulement donné aux
cubains la liberté et l'indépendance ; ils ont substitué, sans mot dire, au
régime espagnol de la religion d'État le régime américain de
Le règlement du 12 avril
Les processions et
manifestations extérieures du culte ne sont aucunement réglementées. On admet
généralement qu'il appartient aux autorités municipales de les autoriser ou de
les interdire.
Brésil.- Une récente étude de M. Louis Gullaine,
parue dans la Revue politique et parlementaire du 10 janvier
1905, et à laquelle nous empruntons une notable partie des renseignements qui
vont suivre, expose dans quelles conditions la séparation des Églises et de
l'État a été établie et réalisée au Brésil.
Le Brésil est, comme le
Mexique, presque exclusivement peuplé de catholiques ( 15
millions et demi sur une population de 16 millions). Avant la révolution de de 1899, la monarchie brésilienne reconnaissait la religion
catholique romaine comme religion d'État. Jusqu'en 1881, les non-catholiques
étaient exclus de tout mandat législatif. Depuis la révolution, le Brésil est
une république fédérative et décentralisée où les principes de la laïcité de
l'État et de la liberté des cultes ont été reconnus.
Les textes qui organisèrent
le nouveau régime sont le décret du gouvernement provisoire du 7 janvier 1890,
la Constitution du 24 février 1891 et la loi sur les associations du 10
septembre 1893.
L'article 2, paragraphe 2, de
la Constitution interdit aux États de l'union d'établir, de protéger ou
d'entraver les cultes religieux.
L'article 72, paragraphe 7,
interdit toute subvention officielle en faveur d'une Église, tous rapports
officiels avec une Église.
L'article 72, paragraphe 3
consacre, comme l'avait fait l'article 2 du décret du 7 janvier 1890 le
principe du libre exercice - privé ou public - de tout culte.
L'article 72, paragraphe 28,
porte que nul citoyen brésilien ne pourra, en raison de ses croyances ou de ses
fonctions religieuses, être privé de ses droits politiques ni se soustraire à
l'observation de ses devoirs de citoyen.
Le budget des cultes est, on
le voit, entièrement supprimé. Il s'élevait, avant 1889, à environ 2 500 000 fr. et comprenait, outre le traitement des ministres du
culte, les allocations qui étaient accordées aux bienheureux saint Sébastien et
saint Antoine à raison de leurs titres de majors de l'armée brésilienne. C'est
le prieur d'un couvent de Rio-Janeiro qui touchait ces traitements au nom de
leurs célestes titulaires.
Au début, le nouveau régime
fut assez mal accueilli par le haut clergé dont certains membres prirent part à
des conspirations antirépublicaines. Mais peu à peu l'Église s'est ralliée à la
nouvelle législation qui, d'ailleurs, depuis la promulgation de la
Constitution, n'a été ni complétée par des textes ni appliquée par les pouvoirs
publics dans un sens anticlérical. L'Église a perdu les subventions
budgétaires, mais elle est délivrée de la tutelle parfois très dure que le
pouvoir civil exerçait, avant la proclamation de la république, sur l'épiscopat
brésilien. Presque aucune précaution n'est prise pour empêcher l'accroissement
de ses biens. L'acquisition de toute de toute espèce de biens est permise aux
associations religieuses qui ont acquis la personnalité juridique par un
enregistrement au bureau des hypothèques. C'est seulement en cas d'extinction
d'une association, et si aucune association analogue n'est apte à recueillir
son patrimoine, que celle-ci passe au domaine de l'État. Chaque Église a
d'ailleurs conservé la propriété des édifices consacrés au culte et des autres
immeubles dont elle était en possession sous l'ancien régime (décret du 7
janvier 1890, art. 5).
Aucune disposition légale ne limite
le libre exercice des cultes. Les processions et autres manifestations
extérieures sont autorisées, et l'article 72, paragraphe 7, de la Constitution
est si peu strictement appliqué que les autorités civiles figurent dans les
processions et que l'archevêque de Rio-Janeiro est assis aux côtés du président
de la république dans les cérémonies civiles. Les prêtres et séminaristes ne
font pas de service militaire ; le mariage civil ne doit pas obligatoirement
précéder le mariage religieux. Bref, on a pu dire que "la séparation faite en théorie
est loin d'être achevée dans la pratique". Et l'on ne s'en étonne point si l'on songe que la séparation des
Églises et de l'État n'a été décrété qu'il y a quelques années ; qu'elle n'a pu
changer subitement les croyances et les mœurs d'un
peuple profondément catholique, et qu'enfin elle n'a pas été l'œuvre d'anticléricaux ou tout au moins libres penseurs peu
favorables aux Églises, mais d'un groupe de positivistes ennemis de tout
religion officielle et partisans déclarés de la liberté absolue et illimitée
des diverses religions. (Voir à ce sujet, dans le Courrier européen
du 6 janvier 1905, une lettre de M. Miguel Lomos,
chef de "L'Église
positiviste" du Brésil.
Équateur.- La république de l'Équateur était demeurée jusqu'à
la fin du dix-neuvième siècle une véritable théocratie. Les moines y étaient
tout puissants :ils avaient accumulé une énorme
fortune ; ils étaient les maîtres occultes des administrations et du
gouvernement. L'Église catholique était la religion de l'État ; un concordat
avait été conclu avec le Vatican en 1862. Par l'intermédiaire des moines, le
Saint-Siège dominait en réalité la république ; le clergé séculier dépendait
étroitement des ordres monastiques, et des prélats allemands, italiens, espagnols
étaient envoyés dans le pays pour y occuper les hauts emplois ecclésiastiques.
Une révolution, survenue en 1895, amena le parti clérical au pouvoir. Et, en
moins de dix ans, par un changement d'une singulière soudaineté, cette
république théocratique est devenue un État laïque.
Le mariage civil a été rendu
obligatoire ; le divorce ( non encore admis dans les
autres républiques hispano-américaines qui ont institué le mariage civil) a été
autorisé ; la légation près le Vatican a été supprimée. Enfin, une loi sur les
cultes est intervenue le 12 octobre
Les revenus de ces biens sont
affectés, en première ligne, aux besoin des membres
des ordres religieux ; en seconde ligne, à l'exercice et à l'entretien du culte
et du clergé régulier ; s'il y a un excédent, il est attribué dans chaque
province à des œuvres de bienfaisance ou d'utilité
publique. Si ,au contraire, les revenus de ces biens
sont insuffisants pour pour pourvoir tout à la fois
aux besoin du clergé régulier et à l'entretien du culte, l'État doit fournir
une subvention complémentaire pour cet entretien ; mais c'est là un cas
exceptionnel, dont on ne prévoit guère la réalisation, étant donné l'importance
du patrimoine des ordres religieux ; aussi la loi considère-t-elle cette
subvention éventuelle de l'État comme rentrant au nombre des dépenses
extraordinaires. Et il n'y a pas normalement de budget des cultes.
Bref, on peut dire que la
république de l'Équateur, qu'on appelait encore il y a dix ans "la république de Sacré-Coeur", a
décrété tout à la fois la sécularisation des biens du clergé, la limitation du
monarchisme, la neutralité et la laïcité de l'État, la suppression du budget
des cultes et l'abrogation du concordat.
On voit que sous des
formes diverses, et avec des caractères différents, le régime de la séparation
est aujourd'hui en vigueur dans la plus grande partie du nouveau monde. Certaines
républiques sud-américaines, qui ne l'ont pas encore adopté, l'adopteront
peut-être dans un avenir peu éloigné ( on signalait
récemment au Chili une vive agitation en faveur de la suppression du
budget des cultes). D'autre part, plusieurs colonies anglaises n'ont jamais
connu d'autre régime, par exemple, la Nouvelle-Zélande ; et dans
la plupart des colonies où des liens unissait l'État à l'Église ces liens ont
été rompus : au Canada ( on l'a déjà signalé) en 1854, dans les colonies australiennes en 1863, 1866 et 1870, à la Jamaïque en 1870, dans les autres Antilles en 1868, 1871 et
1873, au Cap en 1875, à Ceylan en 1881 (Voir The
Case for disetablishment p.257-262 -
publication de
Ce qui a été ébauché en
Europe et réalisé en Amérique et dans tout l'empire colonial anglais n'est pas
inconnu en Extrême-Orient. Il est piquant de constater qu'une tentative
d'instaurer une religion d'État a été faite au Japon, dans les
trente dernières années et qu'elle a échoué. Le ministère des cultes a été
supprimé et deux bureaux du ministère de l'intérieur ont été chargé
des affaires religieuses. L'égalité et la liberté des divers cultes
(bouddhiste, shintoïste et chrétien) ont été proclamées. La séparation complète
des Églises et de l'État compte de nombreux partisans et une fraction du
Parlement japonais s'est prononcé en faveur de cette
réforme il y a cinq ans (Alexandra Myrial. La Question
religieuse au Japon - Courrier européen du 10 février 1905).
On disait récemment que la politique historique de la France tendait à la distinction complète du domaine civil et du domaine religieux. En réalité, c'est là que tend la politique de toutes les nations civilisées.