Voir les projets de loi n° 2045
et 2243
et les propositions de loi :
1° de M. Dejeante et
plusieurs de ses collègues, n° 155
2° de MM. Ernest Roche
, Turigny et Edmond Lepelletier, n° 346
3° de M. Francis de Pressencé et plusieurs
de ses collègues, n° 897
4° de M. Hubbard, n° 935
5° de M. Flourens, n° 982
6° de M. Eugène Réveillaud et plusieurs
de ses collègues, n° 1073
7° de MM. Georges Grosjean et Georges Berthoulat,
n° 1107
8° de M. Sénac n° 2215
Le texte suivant
est recopié du Journal officiel. J'espère ne pas avoir rajouté
de fautes d'orthographe à celles qui existaient.
Le texte
ayant nécessité 48 pages du "Journal officiel de la République
française" : j'ai cru utile d'ajouter au texte
original la table des matières suivante :
Messieurs, en 1788, quelques années à peine avant la Révolution, il existait dans le royaume de France une moyenne de 130 000 ecclésiastiques. On pouvait les répartir ainsi : 70 000 appartenait au clergé séculier, parmi lesquels on comptait 60 000 curés et vicaires ; 2 800 prélats, vicaires généraux, chanoines de chapitres ; 5 600 chanoines de collégiales ; 3 000 ecclésiastiques sans bénéfices. Quant au clergé régulier, le chiffre des ecclésiastiques qu'il comprenait s'élevait à 60 000.
Ces chiffres sont empruntés
à l'abbé Guettée, et Taine les donne comme authentiques.
De Pradt, le célèbre diplomate ecclésiastique, le
conseiller et le collaborateur de Napoléon, nous apporte un dénombrement
analogue.
Ces 130 000 ecclésiastiques
possédaient, à la veille de la révolution, un tiers
de la fortune de la France. Dans son rapport au comité ecclésiastique,
le constituant Treilhard évalue à 4 milliards les biens du
clergé ; et ce chiffre n'a rie d'exagéré. Ces 4 milliards
rapportent annuellement de 80 à 100 millions ; et il faut joindre
à ce revenu ce que produit au clergé la dîme ; soit
123 millions par an ; au total 200 millions.
Pour apprécier l'importance
de ce revenu, en le chiffrant suivant la valeur qu'il aurait aujourd'hui,
il faut parler de 400 millions. Il n'a été question ni du
casuel ni des quêtes.
Et si nous avons placé ici,
au début de ce travail, cet état succinct de la propriété
ecclésiastique, à la veille de la Révolution française,
c'est afin de donner une idée éclatante de ce qu'était
la puissance matérielle de l'Église, en France, au moment
où cette puissance, et l'autorité morale même du catholicisme
vont être mis en question, et pour la première fois contestées
au nom de principes qui s'attaquèrent non seulement aux manifestations
extérieures de l'Église, à ses abus, à certains
de ses dogmes, comme l'avait fait, par exemple , le protestantisme et l'orthodoxie
russe, mais à son esprit même, à sa conception générale
de la vie, et de la divinité.
Si par le seul effort des constituant
et des conventionnels, cette énorme puissance matérielle
a pu être sapée, détruite, anéantie - du moins
pendant la période qui précède le Concordat de de
1801 - c'est donc que les principes de la Révolution laïque
eurent une vertu prodigieuse !
Hélas, nous ne saurions attribuer
aux idées une aussi grande force qu'elles puissent saper ce qui
est profondément enraciné. Si la sécularisation des
biens du clergé put se produire, c'est qu'elle était déjà
préparée par le mécontentement général
qu'avaient causé les excès du haut clergé ou la dictature
intolérable de la papauté.
En vous présentant ce rapport,
nous avons pour objectif de prouver que la seule solution possible aux
difficultés intérieures, qui résultent en France de
l'actuel régime concordataire, est dans une séparation loyale
et complète des Églises et de l'État. Nous montrerons
juridiquement que ce régime est le seul qui, en France, pays où
les croyances sont diverses, réserve et sauvegarde les droits de
chacun. Nous voulons montrer aussi, et d'abord que cette solution est celle
que nous indique l'histoire elle-même, étudiée sans
parti pris ni passion.
La sécularisation des biens
du clergé par la Constituante ne fut pas une oeuvre de haine, dictée
par des principes opposés à ceux du catholicisme, ce fut
une oeuvre nationale exigée par l'ensemble de la nation, moins les
prêtres, et aujourd'hui, ce n'est pas davantage pour satisfaire à
des rancunes politiques, ou par haine de catholicisme, que nous réclamons
la séparation complète des Églises et de l'État
; mais afin d'instaurer le seul régime où la paix puisse
s'établir entre les adeptes des diverses croyances.
Dans la première partie de cette
étude, on verra comment les rapports entre l'Église catholique
et l'État français ne cessèrent jamais d'être
très troubles, malgré les services réciproques qu'ils
s'étaient rendus dès l'origine de notre histoire. Sans insister
sur la partie anecdotique, nous rappellerons avec quelques détails
les principaux expédients grâce auxquels la royauté
française crut pouvoir atteindre à des rapports sereins avec
Rome, et comment elle n'y parvint jamais, pas plus d'ailleurs qu'à
s'affranchir, par le gallicanisme, de la tutelle gênante du Saint-Siège.
Dans une deuxième partie, nous
étudierons les tentatives infructueuses des pouvoirs de la révolution
et nous verrons comment le Concordat napoléonien permit à
l'Église de se reconstituer et d'acquérir, au cours du dix-neuvième
siècle, une puissance égale à celle que nous lui avons
connue quelques années avant la Révolution. Nous nous efforcerons
enfin, dans une troisième partie, de noter les protestations qui
ses sont produites, au cours du dernier siècle, contre un état
des choses aussi intolérable pour les catholiques que pour les libres-penseurs,
ainsi que les remèdes apportés au jour le jour à un
mal qui ne peut s'éteindre qu'avec le régime de la séparation.
DE CLOVIS A MIRABEAU
L'adhésion de Constantin aux
idées chrétiennes avait inauguré une ère nouvelle
dans l'histoire du christianisme. DEpuis le jour où Constantin présida
le concile de Nicée (313), depuis le moment où, après
avoir été le souverain pontife de la religion païenne,
il se proclama, devenu chrétien, "empereur
et docteur, roi et prêtre", les tendances de la religion de
jésus se trouvèrent profondément modifiées.
La parole de Galiléen : "Rendez à César
ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"
fut désormais sans application ; une confusion s'établit
entre le spirituel et le temporel ; l'Église emprunta, pour s'organiser,
les cadres administratifs de l'empire, et elle fut amenée, par la
succession des circonstances, à prendre en main une part considérable
de la puissance temporelle.
Lorsque les Barbares envahirent la
gaule, ils se trouvèrent en face d'une situation de fait : l'Empire
tombé, l'évêque avait remplacé presque partout,
le fonctionnaire romain et il apparut aux envahisseurs comme le véritable
chef de la cité, ayant sa part de l'autorité judiciaire,
administrant les fonds du municipe, percevant les impôts, inspectant
les édifices publics et dirigeant les travaux de construction de
voirie.
Le pouvoir de l'évêque
était si bien établi dans la cité romaine qu'il devint
un des éléments nécessaires à l'installation
définitive des envahisseurs sur le vieux sol gaulois.
C'est la raison même de la conversion
de Clovis. Le récit qu'en a fait Grégoire de Tours, avec
les formes émouvante de sa foi naïve, nous dit quelle force
avait alors la religion sur les volontés hésitantes des chefs
barbares. Cet épisode de la conversion de Clovis a été
vulgarisé, en une belle langue, par Augustin-Thierry ; il est dans
le souvenir de tous et nous le notons ici, car il constitue la première
étape des rapports de l'Église et de la France.
En même temps que Clovis, 3
000 Francs se firent baptiser avec leur roi. Dès lors la victoire
de Clovis sur les Burgondes et les Wisigoths fut préparée
par les évêques orthodoxes qui, établis au milieu des
populations égarées par l'hérésie arienne,
se firent les agents du chef catholique. Et quels agents ! Certes, de par
leur fonction même, ils vivaient confinés dans chacun des
royaumes barbares ; mais, malgré les frontières, ils étaient
en relations les uns avec les autres et leur puissance était décuplée
du fait qu'un chef étranger, l'évêque de Rome, coordonnait
leurs actions et unifiait leurs efforts. Participant dès cette époque
de la puissance romaine, les évêques gallo-romains furent
les plus sérieux adversaires des rois ariens et c'est grâce
à eux que Clovis, baptisé, put préparer la domination
de la dynastie mérovingienne.
Nous avons des renseignements précis
sur les complicités intérieures qui, au sein des nations
ariennes, préparèrent la conquête des Francs, les évêques
Tolisianus et Vérus sont expulsés, Quintianus doit s'enfuir
de son évêché de Rodez ; enfin nous avons la lettre
par laquelle l'évêque le plus considérable de la fin
du cinquième siècle, Avitius, métropolitain de Vienne,
l'adversaire le plus passionné et le plus intelligent de l'hérésie
arienne, félicite Clovis d'une conversion qu'il a d'ailleurs contribué
à rendre inévitable.
Cette lettre est le premier texte
précis, dans lequel se manifestent les intentions, les secrets désirs,
les espérances de Rome. On y sent déjà quelle force
attend l'Église romaine de sa collaboration intime avec la nation,
que préparent les conquêtes de Clovis. Cette lettre fait prévoir
la conception romaine d'un roi de France, fils aîné de l'Église,
et même la prétention qu'aura bientôt Rome, pour établir
définitivement son pouvoir, de créer un monarque placé
sous sa dépendance, et dont le pouvoir temporel s'étendit
aussi loin qu'allait sa force spirituelle. La lettre du métropolitain
de Vienne prévoit déjà l'empire chrétien de
Charlemagne.
Grâce à l'appuis des
évêques catholiques, Clovis va pouvoir triompher des Burgondes
et des Visigoths ; mais l'église romaine ne perdra rien dans le
marché conclu. Désormais, la royauté mérovingienne
est liée à l'épiscopat, et nous assisterons bientôt
à l'alliance des carolingiens avec Rome. Ce lent travail de la papauté
qui, à deux reprises, à travers les siècles, fut sanctionné
d'une manière éclatante par le concordat de Bologne, une
première fois ; puis par la révocation de l'Edit de Nantes,
commence son action méthodique et persévérante. Il
y a une diplomatie ecclésiastique qui, dans ces périodes
troublées, fut d'autant plus féconde en résultats
qu'elle émanait d'un point fixe, Rome, où convergeaient toutes
les forces d'intelligence, toutes les forces d'argent de l'Europe civilisée.
La mainmise de la papauté dans
les affaires intérieures de la royauté franque ne s'établit
pas cependant sans d'assez grandes difficultés. En face des prétentions
romaines, il y eut, dès l'origine, une tendance de la nation à
vivre de ses propres ressources et de sa propre pensée, à
l'abri de toute ingérence extérieure. Mais, à l'époque
qui nous occupe, cette tendance est encore hésitante et imprécise.
La loi qui règle les rapports de l'Église et de la royauté
franque est la loi du chaos. Nous avons remarqué que, à l'arrivé
des barbares, les évêques gallo-romains avaient une puissance
administrative et judiciaire. Ils l'ont conservée. Il existe une
juridiction ecclésiastique dont nous aurons l'occasion de parler
et qui subsiste jusqu'au dix-septième siècle. Cette situation
de fait, accrue encore par le prestige que leur donne la foi superstitieuse
des peuplades barbares, propice à l'accroissement de leurs biens
temporels, les rend puissants et redoutables. Mais ils ne sont pas encore
placés sous la domination directe et impérative de la papauté.
Théoriquement, les élections
canoniques se faisaient alors par le peuple et par le clergé. Survivance
de la primitive Église, le suffrage des croyants y maintenait encore
dans les rangs du clergé le mouvement de la vie. Il est vrai que
cette élection n'était qu'un des actes par lesquels était
institué un évêque. Il fallait, par surcroît,
la confirmation du roi et le consentement du métropolitain.
Tel était, du moins, la règle,
mais en fait, on dut la rappeler fréquemment aux premiers rois qui
avaient inauguré un véritable droit de nomination directe.
Saint Rémi ayant consacré prêtre un certain Claudius,
les évêques protestèrent, et Saint Rémi répliqua
qu'il avait agi ainsi par ordre du roi. L'évêque Quintinius
meurt ; le roi ne reconnaît pas le nouvel élu. Il en nomme
un autre. Nous empruntons à l'Histoire générale
de MM. Lavisse et Rambaud un troisième fait des plus significatifs
: en 562, un synode de Saintes, présidé par métropolitain,
a destitué un évêque nommé par Clotaire et mis
à sa place Heraclius. Quand ce dernier vint chercher la confirmation
auprès de Charibert, le roi le fit jeter sur un chariot rempli d'épines
et conduire à l'exil ; puis il envoya "des
hommes religieux" qui rétablirent le destitué. Le
métropolitain dut payer une forte amende et les autres évêques
furent punis de même.
Les évêques eurent une
revanche à l'occasion d'un synode qui tenta de mettre quelques régularité
dans la nomination aux grades ecclésiastiques. L'édit de
614 rétablit les élections canoniques pour le clergé
et pour le peuple ; il maintient l'institution royale, mais avec cette
réserve que "si l'on nomme quelqu'un du palais,
ce soit pour ses mérites personnels".
Cet édit avait pour objectif
de réduire l'arbitraire royal. Il établit également
par un texte le droit de l'Église à des privilèges
de juridiction ainsi que ses privilèges d'immunités. Il constitue
une victoire de l'aristocratie ecclésiastique qui tend, de plus
en plus, à se former en un corps distinct dans la nation.
Sous la dynastie mérovingienne,
le roi conserve cependant un certain nombre de droits acquis. C'est lui
qui préside les conciles et les synodes, et l'on sait que, parfois,
dans ce chaos où le temporel et le spirituel voisinent et même
se confondent, le roi a souvent employé les conciles aux affaires
publiques. Gontran convoqua tous les évêques de son royaume
pour les faire décider de sa querelle avec Sigebert. IL prétendit
faire juger Brunehaut par un concile ; c'était une extension abusive
de son droit. La coutume était qu'il jugeât les évêques,
comme président d'un synode. Son droit à la présidence
des conciles et des synodes est dès lors incontesté. Les
conciles ne se réunissent qu'avec qu'avec son autorisation, lorsqu'il
l'ordonne ; pour être applicables, les décisions des conciles
doivent être confirmées par lui. On découvre déjà
les forces qui limiteront la puissance de Rome et permettront au gallicanisme
de naître.
Mais nous n'avons pas dit assez les
services réciproques de la papauté et des dynastie franques.
Pendant que sous la dynastie mérovingienne une aristocratie ecclésiastique
se forme, limitative de la domination abusive des rois, toute la politique
de Rome consiste à mettre obstacle aux tendances des divers clergés
à se former en église nationales, indépendantes de
la papauté. Telle est la situation réciproque des combattants
à l'avènement de la maison carolingienne.
La diplomatie romaine remporta une
première victoire décisive, pendant le principat de Charles-Martel.
Elle fit preuve ainsi d'un très grand mérite, car Charles-Martel
ne faisait pas précisément profession de favoriser les dessins
de l'Église. Son autorité se manifesta d'abord contre les
ecclésiastiques. Il dépose Rigobert, évêque
de Reims (717); il fait saisir Euchère, évêque d'Orléans,
qui est conduit sur son ordre à Cologne. Évêques et
abbés sont déposés en foule ; leurs biens - évêchés
et abbayes - sont distribués aux proches de Charles-Martel. Ces
biens, malgré les protestations de Rome, ne furent jamais, dans
la suite, restitués à l'Église ; et c'est une preuve
historique de la facilité avec laquelle les souverains de France
disposèrent de ce qui appartenait au clergé. Mais si Rome
dut se soumettre elle fit payer d'une autre façon ce sacrifice au
puissant maire du palais. C'est sous le principat de Charles-Martel, et
avec sa collaboration, que la papauté commence à imposer
à l'Europe son hégémonie morale et matérielle.
Mais dans quelles circonstances ?
Le moine Winfrid avait reçu du pape la mission d'évangéliser
la Frise, puis la Germanie. Son apostolat consistait à prêcher
l'unité religieuse sous l'égide du catholicisme romain. En
même temps qu'une fois agissante, l'obéissance aux volontés
du Saint-Siège apostolique était exigée des fidèles.
Au printemps 723, Boniface obtint
de Charles-Martel une lettre qui plaçait sous son patronage l'évangélisateur
de la Germanie.
Le prince des Francs avait agi en
politique avisé. La force d'expansion de l'idée chrétienne
permettait à l'influence des Francs de se répandre en dehors.
La mission de Boniface fur couronnée de succès. L'église
de Germanie fut crée. Le nom de Boniface acquit un prestige énorme.
Il se préoccupa, dans la suite, de réformer l'église
d'Austrasie ; une série conciles eurent lieu furent tenus en Austrasie
et en Neustrie ; enfin, en 745, un concile général de tout
le royaume des Francs permit de constater quelle force avait acquise l'activité
du pontife romain. Quelques années après, en 748, Boniface
qui présidait un concile annuel fit voter une formule de soumission
au siège de Rome. L'Église de Gaule, qui avait contribué
à asseoir la dynastie mérovingienne et qui était devenu
assez puissante pour se soustraire à l'arbitraire des rois, se soumet,
à son tour, à l'autorité extérieure de la Rome
pontificale. Une nouvelle étape a été franchie. De
plus en plus, la politique romaine collabore à l'établissement
de la puissance royale, qui rendra possible la fondation de l'empire chrétien
de Charlemagne. Dans une circonstance critique, pour se défendre
contre les Lombards, elle avait déjà fait appel à
Charles-Martel. Étienne II s'adresse à nouveau à pépin.
IL fait le voyage de Paris et conclut bientôt avec le prince des
Francs une alliance décisive qui ouvre définitivement l'ère
de la puissance romaine, en même temps qu'elle contribue à
établir en France la domination de la dynastie capétienne.
Cette domination fut surtout assurée
par une cérémonie, qui empruntait aux croyances religieuses
du temps, une portée immense. Pépin venait d'être élevé
au trône de France. Suivant la coutume, il y avait eu élection.
Mais, au moment où, avec ses deux fils, il allait entreprendre une
guerre contre les Lombards, le pape lui donna l'onction sainte, ainsi qu'à
ses deux fils.
Dans l'Histoire générale
de Lavisse et Rambaud, l'importance essentielle de cette intervention papale
est marquée en quelques phrases décisives :
"Le sacre était une nouveauté chez les Francs. Aucun des
Mérovingiens, pas même Clovis, ne l'avait reçu. Cette
cérémonie mystique élevait le roi au-dessus du peuple,
d'où il était sorti. Les Francs avaient élu pépin,
mais le jour du sacre, le pape leur a interdit à jamais de se servir
de leur droit d'élection ; ni eux, ni leur descendance ne pourront
prendre un roi dans une autre race, celui-ci ayant été élu
par la divine Providence pour protéger le siège apostolique.
désormais les "reins" du roi et de ses fils sont sacrés.
Dieu y a mis le pouvoir d'engendrer une race de princes que les hommes,
jusqu'à la fin des temps ne pourront renier sans être reniés
par le Seigneur. Autrefois les guerriers portaient leur chef sur le bouclier,
au bruit des armes et des acclamations : à Saint-Denis, ce n'est
pas un homme, c'est une dynastie qui a été élue au
chant des cantiques. Le Seigneur a repris aux hommes le pouvoir de faire
des rois. C'est lui qui "les choisit dès le sein de leur mère".
La raison de régner, la source de l'autorité royale sera
désormais la grâce de Dieu."
La force morale qu'en recueillit la
royauté capétienne est incontestable ;mais celle-ci ne fut
pas en reste avec la papauté. Elle contracta envers celle-ci des
obligations que Rome sut lui rappeler au moment voulu. Pour l'instant,
elle obtint d'être débarrassée des Lombards, elle se
fit donner un pouvoir temporel. En 756, le roi des Francs remet les clefs
de vingt-deux villes entre les mains du pape ; il est vrai que, quelques
temps auparavant, Étienne II avait écrit aux Francs: "Selon
la promesse qui nous a été faite par le Seigneur Dieu notre
rédempteur, je vous prends entre toutes les nations, vous, peuple
des Francs, pour mon peuple spécial."
Cette collaboration intime de la papauté
et de la royauté capétienne aboutit, comme c'était
le dessein secret de Rome, à la fondation de l'Empire chrétien
de Charlemagne ; mais cette création, contraire aux tendances de
l'Europe à se former en nationalités distinctes, est bientôt
anéantie et Rome, qui a échoué du côté
des Francs, renouvelle sa tentative de concert avec les princes germaniques.
Cette attitude de la papauté
facilite le développement des tendances du clergé français
à se créer une vie propre, indépendante de Rome.
La royauté capétienne
continue à trouver son principal appui dans le clergé. Charlemagne
a réorganisé l'Église. Il a conservé, et même
accru, l'autorité administrative des évêques. Certes,
cette puissance abandonné au clergé n'est pas sans dangers.
Grâce à ce pouvoir politique considérable, l'Église
accrut encore ses biens. En 851, le concile de Soisson obtint que certains
crimes, entre autre l'inceste, soit soumis à la juridiction ecclésiastique.
Hugues Capet conserve avec les dignitaires de l'Église une union
intime. La féodalité refuse à la royauté capétienne
son appui. Celle-ci trouve dans la société ecclésiastique
la base de son action et les ressources nécessaires à son
établissement. Il s'agit de lutter contre les éléments
anarchiques de la féodalité ; les évêques et
les abbés favorisent la tendance de la royauté nouvelle vers
la centralisation et l'unité ; ils sont membres actifs des assemblés
administratives et judiciaires ; ils fournissent au roi des subsides et
même des ressources pour la guerre.
Mais cette collaboration intime de
la royauté et de l'Église ne favorise nullement les prétentions
romaines. Malgré les tentatives que fera Rome pour se rapprocher
de la France, après les déboires de sa politique germanique,
il lui faudra patienter jusqu'au concordat de Bologne (1516) pour ressaisir
son influence prépondérante dans les affaires intérieures
de notre pays.
Elle s'est faite d'ailleurs de plus
en plus arrogante avec Grégoire VII. Elle a accru ses prétentions
à la domination universelle. Elle les a précisées
dans des textes définitifs, dans des formules, sous des images.
Seul, le pontife romain peut être appelé oecuménique.
Son nom est unique dans le monde. Il ne peut être jugé par
personne. L'Église romaine ne s'est jamais trompé et ne se
trompera jamais. Le pontife romain a le droit de déposer les empereurs.
Il y a ainsi vingt-sept propositions qui affirment à la face du
monde la suprématie du pape sur l'Église et les princes.
Ces principes n'ont pas été
inventés de toute pièces par Grégoire VII. Ils sont
en germe dans le droit canonique et dans les décisions antérieures
des conciles ; mais c'est ce pape, célèbre à juste
titre dans l'histoire de l'Église, qui a coordonné ces éléments
divers et a dressé le monument juridique de la théocratie
romaine.
Armée de cette charte théorique
de ses droits, la papauté a voulu en appliquer les principes au
gouvernements des sociétés. Elle a voulu établir son
autorité indiscutée sur les évêques et les prélats
de toutes les nations chrétiennes. Mais elle a trouvé en
face d'elle les princes, qui, par un usage consacré, avaient conservé
la nomination aux grades ecclésiastiques.
La guerre qui s'ensuivit entre la
papauté et la royauté germanique est demeurée célèbre
sous le nom de "Querelle des investitures". Sans doute, Rome fut finalement
vaincue ; mais à la suite de quelles luttes !....
Au début de cette querelle,
Grégoire VII avait déposé henri IV, en des termes
que l'histoire a conservés et qu'il n'est pas inutile de citer :
" ...Pour l'honneur et la défense de ton église, disait-il,
au nom du Dieu tout puissant, du Père, du Fils et du Saint-Esprit,
par ton pouvoir et ton autorité, je nie au roi henri, qui s'est
insurgé avec un orgueil inouï contre ton Église, le
gouvernement de l'Allemagne et de l'Italie ; je délie tous les chrétiens
du serment de fidélité qu'ils lui ont prêté
ou qu'il lui prêteront ; je défends que personne ne le serve
comme on sert un roi." Quelque temps après, Henri IV faisait
pénitence ; il allait à Canossa, accordant à la papauté
la plus belle victoire qu'elle ait jamais remportée sur une puissance
temporelle.
En France, Philippe 1er ne laissa point
Grégoire VII s'immiscer dans sa politique intérieure. Avant
lui, Hugues Capet avait défendu contre la cour de Rome l'indépendance
de ses églises. Au concile de Saint-Bast avaient été
proclamées les libertés gallicanes. Mais cette attitude s'expliquait
par le fait que la papauté n'était alors qu'un instrument
entre les mains des empereurs germaniques et qu'il eût été
dangereux de favoriser l'intervention d'influences étrangères.
Avec Philippe 1er, la situation a
changé. Les papes ont rompu avec l'empire germanique et ils ont
entrepris la réforme morale du clergé, abandonné à
tous les abus, à toutes les déchéances, à tous
les vices. Cependant Philippe 1er résiste. Quelques après,
Louis le Gros se montre moins énergique dans la lutte contre Rome.
Malgré tout, il maintient résolument son droit d'intervention
dans les élections ecclésiastiques. Philippe Auguste ( 1180-1225);
tout éclatant du prestige de ses victoires, accentue encore cette
tendance. Il contraint les évêques à se présenter
devant sa cour de justice. Il leur enjoint de participer aux frais de la
guerre ; soucieux de mettre obstacle aux ingérences pontificales,
il ne craint pas d'engager pour cela la lutte avec Innocent II ; en un
mot, il prépare la naissance d'un esprit laïque et national,
en opposition avec les prétentions de la théocratie romaine.
Saint Louis continue son oeuvre et ce monarque très chrétien
fut un des plus fervent défenseur de la société laïque.
Loin de se plier devant la papauté,
il obtint d'elle des concessions. Sous son règne, les ecclésiastiques
sont astreints à payer les décimes, douzièmes et centimes.
C'est le moment héroïque des croisades. Le clergé est
appelé à prendre sa part des charges qu'elles occasionnent.
Saint Louis obtint aussi que les clercs mariés ou commerçants
soient enlevés à la juridiction ecclésiastique.
C'est sous le règne de Saint
Louis que vécut Guillaume II, cet évêque de Paris qui
aurait plutôt sacrifié les intérêts de Rome que
ceux de la politique royale.
Les tendances antiromaines de saint
Louis étaient tellement connues qu'on lui a attribué la paternité
d'un document considéré aujourd'hui comme apocryphe, et connu
sous le nom de Pragmatique sanction de saint Louis ou Édit sur les
élections ecclésiastiques et les libertés gallicanes.
Que ce document ait été
rédigé sous l'inspiration du roi très chrétien
ou qu'il ait été composé plus tard de toute pièces,
au moment où il s'agissait de préparer et de rendre possible
la "pragmatique sanction" de Bourges, il est
une chose certaine c'est que saint Louis n'en aurait contesté ni
l'esprit ni les expressions.
Ce document si intéressant
pour l'histoire des origines du gallicanisme débute ainsi : Ludvicus,
Deo Gratia rex Francorum, et le commentateur qui croit à
l'authenticité de la pragmatique, fait remarquer, en une note, que
"les
princes de la troisième race se dirent rois par la grâce de
Dieu, non seulement par pitié, mais encore pour marquer leur autorité
souveraine et leur indépendance des papes, qui s'étaient,
vers ce temps là, arrogé, sans apparence de raisons, le prétendu
droit d'excommunier les souverains et de disposer de leurs royaumes."
Il n'est pas sans intérêt
historique de marquer ici l'importance essentielle de ce simple petit détail.
Quelle était, à l'époque
de Clovis, la conception que se faisait la papauté de ces rapports
avec les princes temporels ? On connaît la comparaison, chère
à la papauté entre le soleil et la lune ; entre l'Église
romaine qui éclaire le monde et la royauté qui en reçoit
les rayons
Une autre figure illustre les théories
romaines de la subordination des rois à l'égard de la papauté
: " Il y a deux glaives : le glaive spirituel et
le glaive temporel ; tous les deux appartiennent à l'Église
; l'un est tenu par elle, par la main du papa ; l'autre est tenu pour elle
par la main des rois, tant que le pape le veut ou le souffre. En outre,
l'un des glaives doit être subordonné à l'autre, le
temporel au spirituel."
Ces théories se sont manifestées
dans plusieurs concile de l'époque. A aucun moment la papauté
n'a admis qu'il y eut égalité de droit entre les deux pouvoirs.
C'est donc une nouveauté, qui
caractérise bien la conception des rois de la dynastie capétienne,
que cette prétention de recevoir directement de Dieu la grâce
qui les consacrait rois. Bossuet en tirera plus tard de beaux effets. Nous
les notons ici comme une première étape décisive vers
la fondation en France d'une Église anglicane
( Je suppose qu'il s'agit d'une faute de composition, c'est gallicane
qu'il aurait fallut écrire !) , indépendante
du pouvoir romain.
Les différents célèbres
entre Philippe le bel et Innocent III vont nous permettre de déterminer
encore la marche ascendante des idées gallicanes. Elles vont prendre
corps et s'organiser en système, grâce au patriotisme des
légistes.
Philippe le bel déclarait net,
dès 1297, qu'il ne tenait sa royauté que de Dieu seul. il
affirmait ainsi, de façon catégorique, l'indépendance
du pouvoir temporel. Il montra bientôt comment il prétendait
se libérer de la domination envahissante des pontifes romains.
Le pape venait de lancer sa bulle
dite clericis laïcos, par laquelle il interdisait à
tout ecclésiastique de rien payer à un laïc sans y avoir
été autorisé par le Saint-Siège, et cela sous
peine d'excommunication. Prétention plus étonnante encore
: Rome frappait d'interdit les villes qui imposaient le clergé.
Philippe le Bel prit une décision
capable de faire réfléchir la papauté. Il interdit
toute exportation d'or et d'argent hors du royaume. C'était réduire
à néant les ressources que Rome recevait de son Église
de France.
Le pape protesta, puis céda.
Il est vrai que vingt-trois évêques français le suppliaient
de revenir sur sa précédente bulle. Il autorisa la perception,
par les laÏcs des droits féodaux, qu'autorisaient les coutumes
du royaume. Les dons d'argent et les prêts, consentis à des
laïcs par les prélats, furent punis. Le roi de France put lever,
dans certains cas, des subsides sur le clergé. Le pape alla lui-même
jusqu'à remettre à Philippe une partie de la collecte de
terre sainte et une année des revenus des bénéfices
vacants, et le garanti de la censure ecclésiastique. Quelques années
après, de nouvelles difficultés se présentent. Elles
atteignent un état aigu. Philippe est amené à faire
ouvrir, devant la cour de Senlis, une procédure contre le pape,
pour "lèse-majesté, rébellion,
hérésie, blasphème, simonie". mais le pape accuse
Philippe de "tyrannie, mauvais gouvernement, fausse monnaie". Dans
une grande assemblée, à Notre-Dame, le roi affirme la doctrine
de l'indépendance absolue du pouvoir royal ; Boniface VIII répond
que "toute créature humaine est soumise au
pontife romain". Des lettres frappant Philippe d'excommunication
sont envoyées en France. On saisit le porteur des lettres à
Troyes ; on le jette en prison, après l'avoir dépouillé.
Le pape prétend, par une bulle, détacher sept princes ecclésiastiques
de France et les dégager de toute fidélité au roi
capétien. Un complot contre Boniface VIII est organisé par
de Nogaret. Le palais pontifical de d'Amagni, où se trouvait le
pape ( été 1303), est envahi. Boniface déclare qu'il
"aime mieux renoncer à la vie qu'à la tiare". Il mourut
quelques jours plus tard à Rome.
Les années qui suivront consacrèrent
le triomphe définitif de la royauté capétienne. Le
voeu intime de Philippe le bel avait toujours été de supprimer
l'ordre militaire des Templiers. Il y parvient. Les templiers étaient
riches à l'excès. Ils avaient ouvert des crédits,
pratiqué l'usure, leurs caisses regorgeaient d'argent, on les poursuivit
comme hérétiques, les Dominicains les interrogèrent
à la mode inquisitoriale. leurs biens furent mis sous séquestre
; 137 frères passèrent par le fer et par le feu.
Un moment il y eu du flottement. La
papauté était récalcitrante. Alors, Philippe ressuscita
son idée de poursuivre Boniface VIII. Il était mort. On fit
le procès de sa mémoire ... Finalement, tout s'arrangea.
Boniface VIII ne fut pas considéré comme hérétique,
mais les Templiers furent sacrifiés. On prononça la suppression
de l'ordre en concile de Vienne (1311-1312). Philippe s'empara du numéraire
et converti en caisse royale la caisse du Temple.
Au cours de cette époque troublée,
parallèlement aux actes se développent les idées d'un
droit national opposé aux prérogatives de Rome. C'est pendant
les luttes, dont nous venons de donner une brève impression, entre
Philippe le bel et Boniface VIII, que, pour la première fois, le
roi de France en appelle des déclarations du pape à un concile
général. La supériorité des conciles nationaux,
par rapport au Saint-Siège deviendra une de thèses les plus
chères du clergé gallican.
Nous ne sommes pas encore au moment
de la déclaration gallicane de 1682, nous ne sommes même pas
encore à la pragmatique sanction de Bourges; mais nous constatons
l'élaboration doctrinale de ces deux actes essentiels dans l'existence
de l'Église libre de France. Les légistes de l'an 1300, les
Guillaume de Nogaret, les Pierre Flotte, les Enguerrand de Marigny préparent,
dans leurs écrits et par leurs actes, les événements
importants qui vont suivre. Tandis que Philippe le bel posait, sur le terrain
des faits, le grave problème de la séparation de l'Église
romaine et de l'État, ses conseillers légistes le posaient
sur le terrain des idées.
Nous passerons sur les événements
qui suivirent. Ils sont importants cependant pour l'histoire de la papauté.
C'est le grand schisme d'Occident, d'abord bicéphale, puis tricéphale.
Ce sont les conciles qui, peu à peu, s'établissent en limitateur
de la puissance romaine. C'est le concile de Constance qui, en 1418, malgré
la fuite du pape, se déclare oecuménique et proclame que
"tout chrétien, y compris le pape, lui doit obéissance pour
ce qui concerne la foi, l'extinction du schisme et la réforme générale
de l'église, dans son chef et dans se membres." C'est le
concile de Bâle (1431) qui abolit l'impôt des annates, principal
revenu des papes.
Eugène IV, alors pape, adresse
une encyclique aux princes de l'Europe, disant qu'un concile a émis
la prétention de porter atteinte à ses prérogatives
et de diriger l'Église, en ses lieu et place. Il transfère
le concile à Ferrare. Celui de Bâle se maintient et nomme
un antipape.
Quelle est, dans ce conflit, l'attitude
du roi de France ? Elle est d'un homme prudent, d'un politique avisé.
Charles VII se déclare pour Eugène IV ; mais, au même
moment, il travaille à recueillir, dans le décret de Constance
et de Bâle, ce qui peut être favorables aux théories
gallicanes, et avec ces éléments il crée le statut
nouveau de l'Église de France, la pragmatique sanction de 1438.
La
pragmatique sanction
Charles VII avait déjà
eu l'occasion, a plusieurs reprises, de faire montre de sentiments nationaux
dans la questions des rapports entre l'Église de France et la papauté.
Un des commentateurs de la pragmatique constate que, tout jeune encore
- il n'était que dauphin - Charles VII ayant été chargé
de gouvernement publia, en mars 1418, sous le nom de son père, des
lettres qui rétablissaient l'ancien droit des Églises de
France et du Dauphiné, relativement aux élections et collations
des bénéfices, " sans aucun égard
aux réserves expectatives et aux autres prétendus droits
de la cour romaine, dont il ordonnait de faire cesser les exactions".
Plus tard, Charles VII avait aussi
publié d'autres lettres relatives à la collation des bénéfices,
"non par rapport à l'ordre des nominations, mais par rapport aux
personnes qui pouvaient être nommées". De tout temps,
constate le commentateur, les rois de France avaient défendu qu'aucun
étranger ne fût reçut à aucun bénéfice
du royaume (lettre du 10 mars 1831)( plutôt
1431 ?) Mais leur défense avait été
mal observée. Charles VII l'avait renouvelée dans des lettres
adressées au concile de Constance. Charles VII en fit, dans la suite,
comme nous le disons, signifier de semblables. Le pape favorisait le "parti
anglais "donnant les bénéfices dans les États
de Charles à ceux qui tenaient ce même parti. Depuis qu'Eugène
IV avait succédé à Martin V, Charles l'avait fait
prier de conférer les bénéfices considérables
et de dignité "aux personnes nobles et de
grand mérite, de la loyauté, prud'homie, prudence et littérature
desquels il était dûment informé". Mais Eugène
continuait de donner les bénéfices à des étrangers
et même, parfois, a des ennemis du roi, "ce
qui était préjudiciable à l'État, et même
dangereux, car, par là, non seulement les finances passaient en
main ennemies, mais des forteresses importantes, dépendantes de
grands bénéfices, se trouvaient confiées à
des personnes pouvant en abuser".
Les tendances nationales de Charles
VII se présentèrent encore à mesure qu'il prit l'habitude
du pouvoir.
De graves problèmes avaient
été posés au concile de Bâle. Charles VII convoqua
son clergé pour en étudier les éléments. On
vit à cette assemblée extraordinaire cinq archevêques,
vingt-cinq évêques et un grand nombre de prélats. L'assemblé
s'ouvrit le 1er mai 1438 mais elle ne fut complète que le 5 juin.
Des envoyés avaient été dépêchés
de Bâle et de Ferrera, porteurs de requêtes. On leur donna
aux uns et aux autres, de bonnes paroles et on fit un examen minutieux
des décrets du concile de Bâle, afin de juger s'ils étaient
bien conformes aux exigences de l'Église gallicane. Tous les membres
de l'assemblée étaient d'accord pour considérer les
libertés de l'Église gallicane non comme des privilèges,
mais comme des droits "acquis", mais comme
des droits primordiaux, essentiels, nécessaires à l'Église
de France et à toute Église qui veut demeurer à l'abri
des atteintes que tous les papes s'efforcent trop souvent de lui porter.
Le travail
fut terminé le 7 juillet, et c'est le même jour que Charles
VII publia l'édit célèbre intitulé : "Pragmatique
sanction sur l'autorité des conciles généraux, la
collation des bénéfices, élections expectatives, appellations,
annotés, etc."
Le préambule de ce document
important constitue un violet et amer réquisitoire contre les abus
du Saint-Siège. Les Églises de France sont victimes de cupidités
insatiables. Des "usurpations très graves"
sont commises et d'"intolérables entreprises"
accomplies. L'argent du royaume est entraîné
"en des régions étrangères". D'autre part,
le culte du Christ s'atténue : c'est la faveur qui règle
l'avancement des clercs. Il convient donc de recourir, pour les maux de
l'Église, aux remèdes indiqués par le concile de Bâle.
Les deux premiers articles de la pragmatique
déclarent que les conciles sont supérieurs à toute
autre autorité en matière de foi et de discipline. Un concile
oecuménique devra être convoqué tous les dix ans.
Les autres articles interdisent la
fête des fous et les spectacles donnés dans les églises,
limitent l'incontinence des clercs. Mais les articles qui intéressent
surtout le clergé gallican sont ceux qui diminuent, dans de notables
proportions, les droits du Saint-Siège en matière de bénéfice
ecclésiastiques et de procès. Évêques et abbés
devront être élus par les chapitres et les couvents. Le pape
n'aura plus le droit de consacrer le nouvel élu, sauf le cas où
celui-ci se trouverait à Rome au moment de son élection.
La pragmatique déclare supprimer les annates et le pape ne pourra
juger les procès en appel qu'une fois que les plaideurs auront épuisé
toutes les juridictions.
Faut-il ajouter maintenant que cette
charte du clergé gallican ne fut pas toujours appliquée ?
Charles VII fit lui-même des entailles chaque fois qu'il eût
intérêt à se faire venir du Saint-Siège.
C'est l'histoire continuelle des rapports
entre la royauté française et la papauté. Aux exigence
de la foi et des principes se mêlent des raisons d'ordre politique
ou d'intérêt privé qui les dénaturent. C'est
ainsi que la pragmatique fut bientôt viciée de par la volonté
même du roi de France. Elle donnait aux chapitres le droit d'élection
des évêques et des abbés. Les rois jugèrent
bientôt que l'autorité des chapitres en serait trop considérablement
accrue et qu'elle limiterait la leur et ils s'entendirent avec Rome pour
défaire ce qu'ils avaient fait.
En 1463, Louis XI déclare la
pragmatique abolie. Elle n'avait d'ailleurs jamais été reconnue
par le Saint-Siège.
Cette abolition fut complétée
par la convention de 1470. Il est vrai que le roi obtenait du pape l'engagement
de ne nommer que des Français et de tenir compte de la recommandation
du roi. Nous entrons dans une période où la papauté
reprend progressivement son influence. C'est le moment où Machiavel,
alors ambassadeur en France (1501), écrivait au cardinal d'Amboise
: "Les Français n'entendent rien à
la politique ; autrement, ils ne laisseraient pas l'Église si grande."
En 1515, François 1er se rencontre
à Bologne avec le pape Léon X. Un accord s'établit
entre eux pour le gouvernement de l'église de France. L'année
suivante, le concordat de Bologne est signé. Il consent l'abolition
de la pragmatique sanction de Bourges. Le roi et le peuple se donnent réciproquement
des attributions, qu'ils n'avaient pas eues jusque-là. Le roi se
réserve la nomination des évêques et des abbés
; le pape institue les prélats et reçoit l'annate des biens
ecclésiastiques.
Par l'article 40 du
traité de 1516, les prélats ont l'obligation, dès
qu'ils sont institués, de payer au pape une somme équivalente
au montant des revenus annuels de l'église ou de l'abbaye.
C'est cette contribution flétrie
et supprimée par la pragmatique qui a reçu le nom d'annate.
Le résultat de cet accord de
la royauté française avec Rome fut d'établir en France
un pouvoir étranger, favorable, certes, dans certains cas, aux intérêts
personnels du roi, mais nuisible au pays. Des abus furent dénoncés
sous henri II, dans les perceptions romaines. De multiples compétitions
se produisirent, lorsqu'un bénéficiaire, élu d'après
les canons des conciles, se trouvait en rivalité avec celui qu'avait
nommé le roi. On portait alors l'affaire devant le grand conseil.
Et quels abus n'entraîne point parfois la nomination royale ! Les
évêques, abandonnant le soin de leurs diocèses laissèrent
leurs vicaires les administrer et ils allèrent aux Tuileries se
confondre dans la mêlée des courtisans. Le roi tira de ce
clergé domestique d'excellents fonctionnaires. Napoléon recherchera
plus tard dans un concordat calqué sur celui de Bologne les avantages
qu'y avait trouvé François 1er.
Les grands corps de l'État
- parlement, Université - avaient vu le danger et s'étaient
opposés à l'enregistrement du Concordat, puis à son
exécution. Nous empruntons à la Bibliothèque historique
le
texte des protestations du parlement :
"La cour, toutes
chambres assemblées, voyant et considérant les grandes menaces
dont on usait à son égard, ayant tout lieu d'appréhender
sa propre dissolution, qui entraînerait celle du royaume, craignant
que si aucunes étaient suscitées à l'occasion du délai
de la publication du Concordat, on ne lui impute des malheurs qui pourraient
arriver ; craignant encore que les alliances faites ou à faire avec
les autres princes chrétiens ne fussent rompues ou empêchées
par le refus d'enregistrement, et après que la cour a fait tout
ce qui lui était humainement possible pour obvier à cette
publication et enregistrement, par devant et en présence de sir
Michel Blondel, évêque et duc de Langres, pair de France,
comme authentique personne, elle a protesté et proteste, tant en
général qu'en particulier, conjointement et divisement, qu'ils
n'étaient et ne sont en liberté et franchise, et si la publication
a lieu, ce n'était ni de l'ordonnance ou du consentement de la cour,
mais par le commandement du roi, force et impression ci-dessus déclarées,
que ce n'était point leur intention de juger les procès conformément
au Concordat, mais de garder, observer comme auparavant les saints décrets
de la pragmatique sanction, dont le procureur du roi aurait appelé,
tant pour et au nom de la cour, que de tous les sujets du royaume ; la
cour adhérant à ce premier appel et y persistant, appelle
de nouveau au pape mieux informé, au premier concile général
et à celui et à ceux auxquels il appartiendra."
Si le Concordat, contre lequel le
pouvoir laïque et national protesta dans les termes que nous venons
d'indiquer, favorisa l'existence d'un épiscopat de courtisans, il
y eu cependant dans le clergé français une majorité
d'évêques et de prélats attachés aux libertés
gallicanes qui unirent leur protestation à celle de l'Université
et du parlement. Il suffit de lire les Mémoires du clergé
pour en être convaincu. On y voit que " l'Église
de France n'a jamais approuvé le concordat de 1516, et ne le reconnaît
pas comme règle de discipline".
Mais un nouveau fait va contribuer
à atténuer, pour un temps assez long, les protestations du
clergé gallican. Les abus de la cour de Rome, les vices et les dépravations
du clergé de la renaissance italienne, la domination envahissante
de la papauté avaient permis aux tendances des chrétiens
évangélistes de se traduire dans une doctrine nouvelle, qui
va avoir ses savants, ses héros et ses martyrs. Le protestantisme
profite du besoin général qu'on avait au quatorzième
siècle d'une vie religieuse plus réelle et plus profonde
que celle des du catholicisme romain, immobilisé dans le dogme et
dans la pratique minutieuse des cérémonies dont les sens
échappait à la plupart de ceux qui s'y soumettaient par contrainte.
La religion avait été transformée par les papes en
un simple moyen de gouvernement ; Luther affranchit la conscience. En Vingt
années, la moitié de la chrétienté rompt avec
le chef et les dogmes du catholicisme.
Il y eu un protestantisme français.
Il naquit parmi les humanistes, impressionnés par la lecture de
l'Évangile, retrouvé parmi les textes de l'antiquité
grecque et latine. " Ils étaient habitués
à un culte qui attribuait une importance capitale aux observances,
aux rites, aux pratiques, qui réclamait leurs dévotions pour
la vierge, les saints et les saintes ; ils lisent le texte même du
nouveau Testament et tout disparaît : il ne reste que Jésus-Christ
: lui, toujours lui !"
Le clergé gallican se sentit
anéanti par le développement de l'idée évangélique
et le résultat fut qu'il resserra ses liens avec Rome. On le verra
bientôt lorsqu'il s'agira de "recevoir" en France les décrets
du concile de Trente.
Ce concile avait été
réuni, sur l'initiative de la papauté, pour tenter de rétablir
l'unité brisée de l'Église catholique (1545-1563).
On s'attacha, d'une part, à maintenir la pureté du dogme,
et, d'autre part, à rétablir la discipline au sein du clergé
et à en réformer les moeurs. Pour donner aux décrets
de ce concile une force inusitée, on décida que les décrets
concernant le dogme exigeraient la foi et que seraient déclaré
hérétiques ceux qui refuseraient à y souscrire. Outre
ces graves décisions, le concile avait également décidé
que le jugement des évêques serait réservé au
pape, que les juridictions ecclésiastiques conserveraient la faculté
de prononcer des peines temporelles - amende ou emprisonnement - et que
leurs privilèges seraient maintenus aux ordres religieux.
La "réception"
du concile de Trente en France occasionna de multiples péripéties.
On examina la question en conseil du roi. Les décrets furent furent
vivement critiqués par le chancelier de l'Hôpital qui les
accusait de "trahir les libertés de l'Église
gallicane". Catherine de Médicis, alors régente, qui
voulait ménager les Huguenots, promit "de
faire exécuter le concile en particulier, sans le publier en général".
Cette réponse politique marque le début des guerres de religion.
Elles avaient eu déjà
leurs prodromes tragiques. A Paris, les premiers bûchers furent montés
de 1525 à 1528, bien avant, par conséquent, le concile de
Trente. François 1er, qui venait d'unir son action à celle
de la papauté, était hésitant. Le 24 juin 1539, on
publie l'édit général contre les luthériens,
Étienne Dolet, condamné comme athée à l'occasion
d'un dialogue de Platon, monte au bûcher le 3 avril 1546 ; la chambre
ardente, instituée sous Henri II pour expédier les procès
d'hérésie, émet quatre cent trente-neuf sentences,
dont soixante condamnations capitales. Et les édits se succèdent.
Le
chef d'oeuvre classique, le monument de cette législation est l'édit
de Chateaubriand ( 27 juin 1551), véritable code de la persécution.
Tout est réglé dans ces quarante-six articles avec une précision
juridique, depuis la surveillance minutieuse de l'imprimerie jusqu'à
la dénonciation de ceux qui lisent la Bible. Interdiction de tout
emploi public, même d'une place de régent, à quiconque
ne produirait pas un certificat de bon catholique ; ordre aux procureurs
généraux de de se livrer à une enquête sur les
magistrats et officiers de justice de tout rang, pour sévir contre
ceux qui seraient suspects de négligence dans la punition des luthériens
; défense aux simples particuliers, que la pitié pourrait
égarer, d'adresser aucune supplique ou demande de grâce en
faveur d'un hérétique ; interdiction, sous les peines les
plus graves, de favoriser l'émigration à Genève ;
"
et, pour ce que plusieurs sans aucun savoir, en prenant leurs repas ou
bien en allant aux champs, parlent, devisent et disputent des choses concernant
la foy et les cérémonies de l'Église et font des questions
curieuses et sans fruit ; défense à toutes personnes non
lettrées, de quelque estat qu'ils soient, de ne faire plus d'ores
en avant telles propositions, questions et disputes ; commandement très
exprès à tous d'aller assidûment à la messe
avec due révérence et démonstration ". Enfin
comme sanction, outre les pénalités habituelles, une disposition
nouvelle " le dénonciateur recevra le tiers
des biens confisqués au dénoncé "(L' Histoire
universelle de Lavisse et Rambaud). Il y a plus : un autre édit,
celui de Compiègne (1557), unifie la peine : ce sera la mort.
En 1555, l'Église réformée
de Paris s'était fondé. En mai 1558 elle réunit 5
000 à 6 000 personnes au Pré-aux-Clercs et, dans cette assemblée,
on distingua deux neveux du connétable de Montmorency, d'Andelot
et l'amiral de Coligny. En 1559, eut lieu le synode des Églises
réformées de France.
Parallèlement à ce mouvement
ascendant de l'idée protestante, se produit, au sein du parlement,
un mouvement d'idées qu'il est nécessaire de signaler, car
il révèle une nouvelle conception du droit et il prépare
les vues juridiques d'après lesquelles nous envisageons aujourd'hui
le problème des rapports de l'Église et de l'État,
du spirituel et du temporel. Le Tiers apparaît, avec ses formes de
pensées, ses notions juridiques, sa conception particulière
de la vie. C'est Pierre Séguier et de Harlay, à la Chambre
de la Tournelle, se refusant à prononcer la peine de mort pour choses
de religion. Audacieuse prétention ? C'est Anne du Bourg qui, en
une séance solennelle des Chambres réunies - le roi est présent
- revendique la liberté de pensée : "
Ce n'est pas chose de petite importance de condamner ceux qui, au milieu
des flammes, invoquent le nom de Jésus-Christ !" Anne du
Bourg est envoyée au bûcher.
Après la mort de Henri II,
une trêve se produit. Les États généraux sont
convoqués, le Tiers formule ses prétentions : les causes
de la détresse publique sont les richesses et le luxe du clergé.
Les nobles et les communs sont d'accord pour émettre l'avis que
l'on rembourse les dettes publiques en vendant les biens de l'Église,
estimés à 120 millions de livres. Le connétable et
le duc de Guise demandent à l'église 15 millions de livres.
Elle offre 9 millions et demi, qui seront payés en six ans et elle
remboursera les dettes de l'Hôtel de Ville de Paris. En général,
le Tiers est favorable aux protestants. Entre les extrêmes, se place
le parti des Politiques , qui prépare notre doit moderne.
A une époque où, catholiques et protestants, d'accord en
cela avec l'opinion publique, jugeaient impossible l'existence simultanée
dans un pays de deux religions, dès 1504 (
???), les
Politiques émirent
cette idée que c'est le rôle de l'État de garder la
neutralité, d'accorder aux deux cultes m'existence légale
et de faire respecter le droit de chacun. Suprême ironie à
l'instant où l'on assiste aux massacres de la Saint-Barthélémy
que célèbre le pape par des actions de grâce, où
le dominicain Jacques Clément poignarde le roi Henri II (ou
III ?), coupable de faiblesse à l'égard
des hérétiques, où henri IV doit abjurer afin de régner.
Le premier acte politique de Henri
IV fut de se réconcilier avec le Saint-Siège, en promettant
de "faire observer le décret du concile de Trente, excepté
aux choses qui ne se pourront exécuter sans troubler la tranquillité".
Le deuxième acte fut l'édit de Nantes ( 13 avril 1598)
Cet édit célèbre,
après avoir constaté que le culte catholique était
rétabli là où il avait été supprimé
et après avoir reconnu au clergé la totalité de ses
biens et droits antérieurs, assurait à la religion réformée
la légalité. Il ne garantissait cependant l'exercice du culte
que là où il existait déjà. Il fut donc, comme
auparavant, défendu de pratiquer le culte réformé
à Paris, ainsi que dans un certain nombre de villes d'où
les protestants avaient été exclus par de récentes
capitulations. Ils y purent cependant demeurer à la condition d'avoir
leur prêches dans les faubourgs. Dans ces dispositions accessoires,
les droits civils étaient reconnus aux protestants, ainsi que l'accès
des emplois publics, universités, collèges et hôpitaux.
Amnistie générale était proclamée en faveur
de quiconque avait été condamné pour sa foi.
Le constant effort de la papauté
va tendre maintenant à rendre éphémère cette
victoire de l'esprit laïque. L'édit autorise le clergé
à reprendre, moyennant indemnité, tous ceux de ses biens
qui, depuis quarante ans, avaient été aliénés.
ce travail de reconstitution territoriale occupa d'abord les ressources
d'ingéniosité de la diplomatie catholique. Elle sait quelle
influence décisive a l'argent, que c'est le nerf non seulement de
la guerre, mais de toutes les luttes, politiques ou idéales et qu'avec
de l'argent, à propos employé, on peut agir efficacement
sur les rois eux-mêmes.
Si l'on envisage, d'une façon
superficielle, le résultat obtenu par la diplomatie ecclésiastique,
le grand événement de la révocation de l'édit
de Nantes, apparaît dans un énorme relief, et d'autant plus
important et décisif que les ruines, morales et matérielles,
qu'il a causées, ont été plus grandes.
Mais cette révocation de l'édit
de nantes, si l'on étudie les événements qui l'ont
précédée, accompagnée et suivie ne peut pas
être considérée comme une victoire de la papauté.
Elle fut l'acte nécessaire, inévitable, de celui qui, pour
asseoir davantage sa domination absolue, voulut réaliser l'unité
de l'Église de France, croyant, comme il était encore commun
au dix-septième siècle, que l'on peut, par la persécution,
extirper la foi des consciences, et éteindre la pensée dans
les cerveaux.
Le concordat de Bologne, fruit d'un
accord entre la royauté française et la cour de Rome, avait
enlevé la nomination des évêques et des prélats
au clergé pour la confier au roi. En échange de cet abandon
de privautés, qu'elle avait, elle aussi, revendiquées, la
papauté avait reçu des compensations pécuniaires.
Ce nouveau privilège de la
royauté permit aux souverains français, et aux ministres,
qui conseillaient leur politique, d'élever aux dignités importante
de l'épiscopat des hommes dont le dévouement et la fidélité
pouvaient paraître sûrs. L'épiscopat n'y gagna point
en dignité. Un clergé domestiqué permit à Louis
XIV de triompher plus facilement dans ses conflits avec Rome. Il prétendait
devenir le chef incontesté de l'Église de France. Sa politique
fut antiromaine, car il voulait annihiler toute autre autorité que
la sienne. Elle devait être antiprotestante, pour que son église
fut plus forte, en étant unifiée, et que sa puissance temporelle
s'accrût de la force agissante d'une foi incontestée.
Cette réalisation totale du
gallicanisme, qui se produisit sous le règne de Louis XIV, fut préparé
par l'action des pouvoirs qui se succédèrent en France depuis
la mort de henri IV.
Ce fut, en premier lieu, sous la régence
de Marie de Médicis, l'action des États généraux
de 1614, où le tiers état, au premier article de son cahier,
posait comme loi fondamentale "qu'il n'y a personne
en terre, quelle qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun
droit sur le royaume, le roi ne tenant sa couronne que de Dieu seul."
ce fut ensuite Richelieu qui, dès son arrivée aux affaires,
se trouva en opposition avec le pape et inaugura une politique essentiellement
laïque. Sous son inspiration, ou du moins sans qu'il y eût opposition
de sa part, des livres son imprimés où l'on se plaint de
"l'oppression que le pouvoir des papes fait subir à la France"
. Il interdit aux prédicateurs toute allusion désagréable
au gouvernement et, au besoin même, il leur fait obligation d'en
faire l'éloge. Une assemblée de prélats se réunit
en 1641. Il l'épure, lorsqu'elle lui parait dangereuse. Deux archevêques
et quatre évêques, opposés à ses projets, doivent
quitter la ville ; les lettres royales qui leur enjoignent de partir se
terminent ainsi : "Je prie Dieu, monsieur l'archevêque,
qu'il vous donne une meilleure conduite."
Le jour où, devenu majeur, Louis
XIV prit en mains les rênes du gouvernement, l'archevêque de
Rouen, Harley de Champvallon, fut reçu par le roi : "Sire,
lui dit-il, j'ai l'honneur de présider à l'assemblée
du clergé de votre royaume. Votre majesté m'avait ordonné
de m'adresser à M. le cardinal Mazarin pour toutes les affaires
; le voilà mort ; à qui Sa Majesté veut-elle que je
m'adresse à l'avenir ? " " - A moi, monsieur l'archevêque,
je vous expédierai bientôt."
Ce fut lui, en effet, qui expédia
toutes les affaires de son royaume. On connaît la formule :
" L'État, c'est moi !" Il l'étendit aux choses de
l'Église et Bossuet légitima ses prétentions dans
des écrits où aboutissent, pour se transformer en un système
cohérent, toutes les tendances qui s'étaient fait jour dans
les assemblées de la bourgeoisie et qui affirmaient la royauté
de droit divin, la supériorité des conciles sur les papes
et l'indépendance du clergé français vis-à-vis
de la cour de Rome.
Il devint impossible à un évêque
d'établir une correspondance avec la cour de Rome, sans avoir au
obtenu préalable une autorisation régulière émanant
du roi. L'usage des relations directes directes entre Rome et les évêques
de France se perdit bientôt. Le clergé devient un corps de
fonctionnaires, sur lequel Louis XIV conserve une autorité sans
limites, ce qui fait écrire à Fénelon que "
le roi est beaucoup plus chef de l'Église que le pape ... L'Église
de France, privée de la liberté d'élire des pasteurs,
est un peu au-dessous de la liberté dont jouissent les catholiques
sous l'empire du Grand Turc."
Louis XIV pensait que le roi, représentant
l'État, était le seul propriétaire de la fortune publique.
Il en résultait pour lui le droit de disposer librement des biens
ecclésiastiques. C'est lui, d'ailleurs, qui répartissait
les bénéfices. Chaque fois qu'il devait communier le lendemain
il se mettait d'accord avec son confesseur pour donner des titulaires aux
postes vacants. On remplissait la "feuille des bénéfices"
qui
était soumise au pape, par simple formalité.
Le souverain absolu intervint aussi
dans les affaires de l'Église pour régler, ou plutôt
pour achever d'anéantir son droit séculaire de juridiction.
Le droit à une juridiction temporelle ecclésiastique datait
de l'empereur Constantin. Au douzième siècle, en France,
cette juridiction appartient non seulement aux évêques, mais
aux autres ecclésiastiques : archidiacres, archiprêtres, chapitres,
abbés des monastères. Elle s'exerçait au moyen des
cours de chrétienté, qu'on appela par la suite des officialités.
La compétence des ces cours
là était très étendue. Il suffisait d'être
tonsuré pour en être justiciable et les historiens constatent
que vers 1288, il y eut jusqu'à 20 000 marchands qui "se
faisaient donner par les barbiers couronne de clercs, pour profiter d'une
procédure qui, à cette époque là, était
plus raisonnable que celle de la justice féodale". Outre
les clercs, les veuves, les orphelins, les croisés, les écoliers
des universités étaient, dans certain cas, soumis à
leur compétence.
Les matières de la juridiction
ecclésiastique avait à connaître étaient relative
à la foi, à la discipline ecclésiastique. Dans le
domaine temporel, elles jugeaient tous les procès qui avaient trait
au mariage, aux propriétés du clergé, aux testaments,
aux conventions confirmées par serment. Elle jugeait encore les
crimes contre la religion, tels le sacrilège, le blasphème,
la sorcellerie et tous les crimes commis dans des lieux saints. Elle édictait
des peines, qui consistaient en des pénitences, emprisonnement et
amendes, lesquelles étaient attribuées à des oeuvres
de piété. Elle excommuniait fréquemment aussi. Mais,
sous prétexte que Ecclesia abhorret a sanguine , elle
transmettait aux cours séculières les coupables qui méritaient
la peine de mort ou les mutilations douloureuses.
Cette juridiction fut d'abord combattue
par les barons féodaux ; de Philippe le bel à François
1er, sa compétence fut réduite. Des édits avaient
transmis aux juges séculiers la connaissance des questions immobilières,
des restrictions se trouvent réunis dans l'édit que prit
Louis XIV en 1695 et qui traite en même temps de l'érection
des cures, des fabriques , de l'entretien
des églises et des cimetières, de la surveillance des maîtres
et des maîtresses d'école par le clergé, des prières
publiques.
L'Église fut définitivement
soumise à la justice civile, car, d'autre part, au moyen de l'appel
comme d'abus, les juges séculiers pouvaient s'immiscer dans les
affaires spirituelles elles-mêmes. Cette théorie de l'appel
comme d'abus avait été élaborée par les légistes.
Tout acte qui semblait contraire aux libertés de l'Église
gallicane put être supprimé par le parlement comme abusif.
L'auteur de cet acte pouvait même être condamné à
l'amende et à la saisie de son bénéfice. Et Fénelon
de s'écrier :" Ce n'est plus de Rome que viennent
les empiétements et les usurpations ; le roi est en réalité
plus maître de l'Église gallicane que le pape ; l'autorité
du roi sur l'Église a passé aux mains des juges séculiers
; les laïques dominent les évêques."
Louis XIV avait atteint son but. Il
avait un clergé impuissant à réagir contre son empreinte.
On constata à quel point il était indépendant de Rome,
au moment du conflit avec la papauté, à propos du droit de
régale.
En vertu de ce droit séculaire,
le roi de France percevait à la place des évêques décédés
ou démissionnaires, les revenus de leurs diocèses, tout le
temps de leur vacance, et ils nommaient aux bénéfices dont
l'évêque avait, comme tel, la collation.
Il est juste d'ajouter qu'à
plusieurs reprises, le Saint-Siège avait protesté contre
la deuxième de ces prérogatives. D'autre part, certains diocèses
s'étaient rachetés à prix d'argent et il y en avait
un certain nombre qui n'avaient jamais été soumis au droit
de régale.
Cet édit amena les protestations
de deux évêques atteints. Les autres ne protestèrent
point. Innocent XI se rangea du côté des plaideurs ; mais
à la suite de diverses péripéties, une assemblée
du clergé réunie à paris, au couvent des Grands-Augustins,
confirma la régale universelle (1681)
Le pape refuse de s'incliner ; il annule
les actes de l'assemblée générale du clergé
de France et demande aux évêques de se rétracter ;
mais avant que sa lettre soit parvenue à destination, le clergé
de France a signé une déclaration, divisée en quatre
articles et rédigée de la main même de Bossuet. En
voici le texte. Il est important, car cette déclaration constitue
la charte essentielle du clergé de France.
" Plusieurs
personnes s'efforcent en ce temps-ci de ruiner les décrets de l'Église
gallicane et ses libertés, que nos ancêtres ont soutenu avec
tant de zèle, et, de renverser leurs fondements appuyés sur
les saints canons et la tradition des pères. D'autres, sous prétexte
de les défendre, ne craignent pas de donner atteinte à la
primauté de Saint-Pierre et des pontifes romains, ses successeurs,
instituée par Jésus-Christ, et à l'obéissance
que tous les chrétiens leur doivent, et de diminuer la majesté
du Saint-Siège apostolique, respectable à toutes les nations
où la vraie foi est enseignée et où l'unité
de l'église se conserve. D'un autre côté, les hérétiques
mettent tout en oeuvre pour faire paraître cette autorité,
qui maintient la paix de l'Église, odieuse et insupportable aux
rois et aux peuples, et pour éloigner par ces artifices les âmes
simples de la communion de l'Église leur mère, et par là
de celle de Jésus-Christ. Afin de remédier à ces inconvénients,
nous, archevêques et évêques assemblés à
paris par ordre du roi, représentant l'Église gallicane avec
d'autres ecclésiastiques députés, avons jugé,
après mûre délibération, qu'il est nécessaire
de faire les règlements et la déclaration qui suivent :
I
" Que Saint-Pierre
et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et que toute l'Église
même, n'ont reçu d'autorité de Dieu que sur les choses
spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles
et civiles ; Jésus-Christ nous apprenant lui-même que son
royaume n'est pas de ce monde, et, en un autre endroit, qu'il faut rendre
à César ce qui appartient à César, et à
Dieu ce qui appartient à Dieu. Qu'il faut s'en tenir à ce
précepte de Saint Paul : que toute personne soit soumise aux puissances
supérieures, car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu,
et c'est lui qui ordonne celles qui sont sur terre : c'est pourquoi celui
qui s'oppose aux puissances résiste à l'ordre de Dieu.
" En conséquence,
nous déclarons que les rois ne sont soumis à aucune puissance
ecclésiastique par l'ordre de Dieu, dans les choses qui concernent
le temporel, qu'ils ne peuvent être déposés directement
ou indirectement par l'autorité des chefs de l'Église ; que
leurs sujets ne peuvent être exemptés de la soumission et
de l'obéissance qu'ils leur doivent, ou dispensés du serment
de fidélité ; que cette doctrine, nécessaire à
la paix publique, et autant avantageuse à l'Église qu'à
l'État, doit être tenue comme conforme à l'Écriture
sainte et à la tradition des pères de l'Église et
aux exemples des saints.
II
" Que la plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de Saint-Pierre, vicaires de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles est telle néanmoins que les décrets du saint concile oecuménique de Constance, contenus dans les sessions 4 et 5, approuvés par le Saint-Siège apostolique et confirmés par la pratique de toutes l'Église et des pontifes romains, et observés de tout temps religieusement par l'Église gallicane, demeurent dans leur force de vertu, et que l'Église de France n'approuve pas l'opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou les affaiblissent, en disant que leur autorité n'est pas établie, qu'ils ne sont point approuvés ou que leur disposition ne regarde que le temps du schisme.
III
" Qu'il faut régler l'usage de l'autorité apostolique par les canons faits par l'esprit de Dieu et consacrés par le respect général de tout le monde ; que les règles, les moeurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans l'Église gallicane doivent avoir leur force et leur vertu et que les usages de nos pères doivent demeurer inébranlables ; qu'il est de même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les loi et les coutumes établies du consentement de ce siège et des Églises aient l'autorité qu'elles doivent avoir.
IV
" Que, quoique
le pape ait la principale part dans les questions de foi, et que ses décrets
regardent toutes les Églises, et chaque Église en particulier,
son jugement n'est pas réformable, si le consentement de l'Église
n'intervient.
"Ce sont les
maximes que nous avons reçues de nos pères et que nous avons
arrêté d'envoyer à toutes les Églises gallicanes
et aux évêques que la Saint-Esprit y a été établis
pour les gouverner, afin que nous disions tous la même chose, que
nous soyons tous dans le même sentiment et que nous tenions tous
la même doctrine."
Le
parlement de Paris enregistre le lendemain un édit par lequel il
était défendu d'enseigner ou d'écrire rien qui fut
" contraire à la doctrine contenue dans la déclaration".
Désormais
les quatre articles devront être enseignés dans les séminaires.
Innocent
XI, en réponse à la déclaration, refusa l'institution
canonique aux évêques qui, étant prêtres, auraient
assistés, comme délégués à l'assemblée
de 1682 et signé la déclaration. Or, comme Louis XIV se gardait
bien d'en nommer d'autres, il arriva qu'en janvier 1688, trente-cinq églises
cathédrales se trouvaient sans pasteurs.
Innocent XI
meurt en 1689. Son successeur, Alexandre III, déclare nulle la déclaration
de 1682. Le conflit devient de plus en plus aigu ; mais il meurt à
son tour et, avec Innocent XII l'entente a lieu. Louis XIV donnera des
ordres pour que l'édit ne soit pas observé et le pape s'inclinera
devant les volontés du roi, en ce qui concerne le droit de régale.
Cependant, les
parlementaires n'abdiquèrent pas. Ils ne cessèrent d'appliquer,
dans leur jurisprudence, les quatre articles de la déclaration.
Au dix-huitième siècle, ils reparaîtront dans les édits
royaux. On les verra aussi rappelés dans les articles organiques
du Concordat de 1801.
Trois ans après la déclaration
du clergé gallican, le 17 octobre 1685, Louis XIV signait l'édit
de révocation de celui de Nantes, corollaire de la déclaration
et qui devait, dans l'esprit du roi, réaliser l'unité du
culte en France. Les réformés furent autorisés à
demeurer en France. Autorisation précaire, puisque tout culte public
leur était interdit et que leurs enfants devaient être élevé
dans le catholicisme. Il avait été ordonné précédemment
que les notaires et huissiers protestants abandonnent leur charges à
des catholiques (1682) ; que les officiers protestants de la maison du
roi devraient abandonner leur place ou se convertir au catholicisme (1683)
; que les épiciers fermeraient leurs boutiques, sous peine de 3
000 fr. d'amande. Une déclaration royale avait interdit aux sages-femmes
protestantes "de se mêler d'accoucher".
Par le fait de ces décisions,
10 000 familles protestantes s'étaient expatriées avant la
révocation. Vauban estime à 100 000 le nombre des protestants
qui désertèrent la France à la suite de l'édit,
avec 60 millions de francs. Cette exode causa la ruine du commerce ; les
flottes ennemies furent grossies de 9 000 matelots, les meilleurs du royaume
; leurs armées de 600 officiers et de 12 000 soldats plus aguerris
que les leurs.
Cette révocation avait été
préparée par une action patiente et minutieuse du clergé
français. Louis XIV n'était encore qu'un enfant qu'il entendait
Choiseul, l'évêque de Comminges, lui dire :
" Nous ne demandons pas à Votre Majesté de bannir encore
de votre royaume cette malheureuse liberté de conscience qui détruit
la liberté des enfants de Dieu, s'il n'est en votre pouvoir d'étouffer
l'hérésie d'un seul coup, de la faire du moins périr
peu à peu."
Le clergé réclama d'abord
que l'on observât strictement l'édit de Nantes, sans tenir
aucun compte des événements survenus depuis sa promulgation.
Louis XIV fit envoyer des commissaires dans les provinces. Des temples
furent démolis sous le prétexte qu'ils se trouvaient sur
des lieux où le culte public n'avait pas été fait
en l'année 1593 et 1597, ainsi que l'indiquait l'édit de
Nantes. Le 17 juin 1681, une déclaration paraît "portant
que les enfant de la R.P.R. pourront se convertir à l'âge
de sept ans et défend à ceux de la R.P.R. de se faire élever
dans les païs étrangers". On n'a jamais pu noter pareille
atteinte à l'autorité du père de famille. Faut-il
parler des dragonnades qui suivirent ? Les protestants avaient huit jours
pour devenir catholiques ; ensuite ils étaient chargés par
des troupes, que conduisaient des évêques.
Louis XIV avait voulu réaliser
l'unité du culte français. Il avait également pris
part à la lutte contre les jansénistes - Port-Royal avait
été rasé - et aussi contre les inoffensifs quiétistes.
La conséquence inévitable de cette politique se produira
bientôt : aucun pouvoir humain n'empêchera de naître
la philosophie du dix-huitième siècle.
" La politique
inepte du gouvernement eut deux conséquences également funeste
pour la royauté et pour l'église, écrit M. Debidour,
dans l'introduction de son important et consciencieux travail sur le sujet
qui nous occupe ( Histoire des rapports de l'Église de l'État
en France, de 1789 à 1870 - Armand Colin, Paris) ; La première
fut d'enhardir la magistrature au point que, dès le milieu de dix-huitième
siècle, elle pût ébranler le vieil édifice de
l'absolutisme monarchique et que, par le seul exemple de ses résistances,
elle rendit la Révolution inévitable ; la seconde fut de
rendre ridicules et odieuses les querelles théologiques, les persécutions,
les d'affaiblir singulièrement la foi dans les classes supérieures
et moyennes de la nation, de faire enfin le jeu des philosophes qui s'emparèrent
dès lors de l'opinion et familiarisèrent bientôt beaucoup
d'esprit avec l'idée de rejeter non seulement l'infaillibilité
du pape, mais toute autorité sacerdotale, toute religion révélée.
ce n'est plus dans l'Augustinus ou dans les Réflexions
morales de l'ancien testament que l'on va chercher des arguments
: c'est dans l'Encyclopédie et dans le Dictionnaire
philosophique. Le mot d'ordre n'est plus de faire son salut,
mais de fonder la liberté."
Les dernières années
du règne de Louis XIV illustrent cette vérité démontrée
par l'histoire, qu'un pouvoir temporel ne peut être que l'ennemi
de Rome ou son jouet. Louis XIV, on vient de le voir, s'était rapproché
de Rome, en deux circonstances ; Rome empiéta. Le jansénistes
avaient contesté l'infaillibilité du pape ; la compagnie
de Jésus, émanation agissante de la papauté, convainquit
le souverain absolu de la nécessité d'une publication urgente
de la célèbre bulle Unigenitus (1713). Or,
cette bulle ne conseille rien moins que l'obéissance aveugle aux
ordres du Saint-Siège que Louis XIV avait mis tant d'acharnement
à combattre. Quelques temps après, les jansénistes
en ayant appelé des décisions du Saint-Siège au concile,
celui-ci ne put avoir lieu. Le pape reprenait la prééminence
perdue.
Le parlement repoussa la bulle et,
lorsque sous le règne de Louis XV, par ordre de l'archevêque
de Paris, plusieurs curés exigèrent des mourants la déclaration
qu'ils adhéraient à la bulle Unigenitus ou
un billet de confession provenant d'un prêtre non janséniste,
le parlement invita l'archevêque à retirer son mandement.
Le roi casse l'arrêt du parlement. Mais celui-ci ne se tient pas
pour battu, et le conflit se poursuit et s'aggrave. Louis XIV en arrive
à exiler les membres du parlement (1713); mais aucune juridiction
ne veut s'incliner devant les décisions du roi. Finalement Louis
XIV cède au parlement. Billets de confession, refus des sacrements
sont interdits, et Benoît XIV déclare que les ordonnances
de l'archevêque ne seront applicables qu'à ceux qui seraient
"publiquement et notoirement réfractaires à la bulle Unigenitus"
(1756).
Le parlement a triomphé.
Le triomphe s'accompagne d'une réaction
contre les jésuites. Gallicans, philosophes, encyclopédistes,
sociétés secrètes se liguent contre eux. La faillite
du P. Lavalette, ruiné à la Martinique, faillite dont les
jésuites se refusent à solder le déficit, permet au
procureur général du parlement de Paris d'examiner les statuts
de l'influente compagnie. En 1764, elle est supprimée par un édit
royal. En 1776, une commission, dite des réguliers, est nommée
par le roi pour réformer
"le clergé
régulier". Un édit du 24 mars 1778 prépare
la disparition d'un grand nombre de monastères. Les protestants
profitent de la détente générale ; l'édit de
novembre 1787 leur rend l'état civil. Ce sont les signes avant-coureurs
de la prochaine liquidation. Cependant le clergé romain est toujours
le premier de la nation. Il est le plus riche, il est encore le puissant,
au moment ou va s'ouvrir la période de la Révolution française.
La suppression de la dîme, dans
la fameuse nuit du 4 août, inaugure, pour le clergé, un ordre
social nouveau. L'histoire des discussions, qui agitèrent alors
l'Assemblée nationale, est suffisamment connu et nous ne l'entreprendrons
pas ici. On sait qu'après avoir affirmé solennellement les
droits de l'homme, l'Assemblée, inquiète à l'annonce
des troubles et des violences qui affligeaient les provinces, lasses d'être
pressurées, dans un mouvement spontané déclara que
l'impôt serait désormais payé par tous les membres
de la nation, que les droits féodaux seraient rachetables, et que
les servitudes seraient radicalement abolies.
Ces sacrifices, acceptés du
clergé et de la noblesse par le souci de sauver du naufrage l'existence
même de leurs ordres, provoquèrent un bel enthousiasme. Avec
une égale sincérité, chacun affirmait son dévouement
à la chose publique par l'abandon d'un d'un de ses privilèges,
d'un de ses droits séculaires. Il se produisit comme un entraînement
à la renonciation. A deux heures du matin, tout était consommé.
Aussitôt, les membres du clergé, se ressaisissant, accusèrent
l'Assemblée de précipitation.
Le 11 août, Camus se vit obligé
de combattre le maintien des Annates,
réclamé par de prétendus banquiers
"en cours de Rome", qui en faveur de leur proposition se disaient
partisan d'une entente entre la France et l'Italie. Camus déclara
que les richesses expédiées à Rome étaient
perdues pour la France.
La veille, Sieyès avait démontré
qu'il avait été bien entendu, le 4 août, que la dîme
appartenait, en toute légitimité, à l'État
et que ce n'est point platoniquement que des sacrifices avaient été
faits à l'intérêt national.
Le projet d'arrêté destiné
à sanctionner les décisions prises pendant la nuit du 4 août
était en butte aux attaques sournoises de deux ordres qui s'étaient,
contre eux-mêmes, dépouillés de leurs plus chers privilèges.
Mais, en dépit de tous leurs efforts, la nation eut le dessus. Le
11, tous les articles furent décrétés.
Le régime féodal était
à tout jamais anéanti. Les dîmes de toute natures se
trouvaient détruites, "sauf à aviser
aux moyens de subvenir d'une autre manière à la défense
du culte divin".
L'État paraissait donc, par
cette formule, reconnaître une obligation le liant au clergé.
Cependant, dans les écrits du temps, inspirés clairement
par le tiers ordre, on lit que le prêtre doit vivre désormais
de l'autel et que les fidèles doivent contribuer à la dot
du pasteur. Assurément, la situation de l'État vis-à-vis
du clergé n'apparaissait pas encore aux membres de l'Assemblée
nationale sous un jour très clair.
Le tiers état réformateur
se contentait du résultat positif atteint : 133 millions de livres,
soit 250 millions de francs (1901)
, revenant à la partie la plus travailleuse de la nation, au lieu
d'aller annuellement grossir les recettes du budget clérical.
Des obligations nouvelles, du fait
même de cette suppression, liaient-elles l'État au clergé
? Rien ne paraît moins certain. mais il n'est pas moins vrai qu'une
situation équivoque venait de surgir, situation qui durera jusqu'au
10 octobre, jour où Talleyrand spécifiera nettement les droits
de la nation sur le clergé.
L'évêque d'Autun était
partisan de l'accomplissement total des réformes. Il était
d'avis que l'État devait assumer toutes les charges qui pouvaient
le rendre tout-puissant. Mais l'état des finances n'était-il
pas tel qu'on ne saurait sans imprévoyance l'engager dans une série
illimitée d'innovations ? Et, puisque impérieuses sont les
transformations de la société, à quelles ressources
extraordinaires l'État a-t-il le droit de faire appel ?
Ce sont ces idées que Talleyrand
développa, le 10 octobre, avec une clarté remarquable.
Ces ressources extraordinaires ? mais
où les trouver, sinon dans les biens du clergé ? Et qu'on
ne vienne point prétendre que l'Assemblée fera subir à
cet ordre la faix d'une nouvelle charge. Les "charges
politiques" ne peuvent être qu'allègrement consenties.
L'évêque d'Autun envisage
ensuite les droits qu'a l'état de s'approprier les biens ecclésiastiques.
La nation souveraine peut sans conteste
mettre la main sur les biens vacants des associations qu'elle juge inutiles.
Cela est indiscutable. Peut-elle réduire le revenu des bénéficiaires
vivants ? Oui, si elle laisse au clergé ce qui est nécessaire
à sa subsistance. Le surplus, elle l'emploiera au soulagement des
déshérités de la nature et de la fortune, se substituant,
de cette manière, à l'Église qui, jusqu'alors, avait
le soin de l'assistance et qui y était tenue selon l'intention première
des donateurs du clergé.
La totalité des fonds du clergé
s'élève à la somme de 70 millions et les dîmes,
qui doivent être acquittées quelque temps encore, à
80 millions.
Une fois en possession de la fortune
cléricale, c'est la subsistance de quatre-vingt mille ecclésiastiques
qu'il faudra assurer. Talleyrand explique comment il entend les voies et
moyens de cette opération.
Par la vente du capital, estimé
2 milliards, l'État rembourserait les rentes viagères et
les rentes perpétuelles sur le roi. Le déficit serait comblé.
Il resterait - 100 millions étant assurés au clergé
- 35 millions pour former le premier fond d'amortissement, destiné
à adoucir la prestation de la dîme jusqu'au jour où
elle serait définitivement abolie.
De nombreux applaudissements accueillirent
la lecture de ce projet, dont l'impression fut ordonnée au nombre
de 1 200 exemplaires.
Cependant il ne devait pas être
donné à l'évêque d'Autun d'attacher son nom
à la réalisation de cette grande opération financière.
Il est indéniable
que son rapport avait montré à tous l'opportunité
de la réforme, mais la leur avait fait apparaître complexe,
difficile, savante ; mais ce n'est point un tel langage qu'entend une assemblée
politique. C'est ce que comprit Mirabeau avec son sens affiné de
conducteur de majorités. Aussi, deux jours plus tard, le 12 octobre,
inopinément, comme d'une manière épisodique, Mirabeau,
en peu de mots, demande que la propriété du clergé
fasse retour à la nation " à charge
par elle de pourvoir à l'existence des membres de cet ordre ",
et que la disposition de ces biens soit telle qu'aucun curé ne puisse
avoir moins de 1 200 livres avec le logement.
Le principe de la nationalisation
était ainsi posé.
Quand, le lendemain 13, la discussion
s'ouvrit, la droite fit remarquer qu'un tel procès de propriété
ne devait se juger qu'à la dernière extrémité.
Et les membres du clergé tentèrent l'impossible pour éluder
la question.
Mais on alla aux voix et l'Assemblée
décréta que la proposition de Mirabeau allait être
examinée.
Camus affirma que l'État ne
peut toucher aux propriétés de l'Église, sans s'exposer
à détruire ce "corps social".
Plusieurs abbés s'essayèrent à prouver que la propriété
du clergé ne peut être revendiquée par l'État,
sinon contre tout droit et contre toute justice. L'abbé d'Eymar
renforça son opinion de cette assertion que c'est vouloir porter
atteinte à la religion que de salarier le clergé.
Mais Barnave revint au fait : la distribution
des fonds assignés au service religieux appartient-elle à
la nation ? Il est deux sortes de biens : ceux qui ont pour source la nation
et ceux qui viennent des fondateurs. Ces derniers appartiennent également
de droit à la nation.
Les fondations ayant pour double objet
l'assistance et le payement d'un service public ne sont qu'un dépôt
entre les mains du clergé. Et Barnave déclare que, sans le
bon vouloir de l'État, le clergé ne pourrait manifester aucune
activité propre ; les biens ecclésiastiques ne peuvent lui
appartenir. Puis, quittant le domaine de la théorie, Barnave montre
que l'État de chose national nécessite la nationalisation.
La suppression des dîmes a dépouillé inégalement
le clergé ; il y a là une injustice à réparer.
Enfin, dernier argument, par la vente des immeubles de l'Église,
l'État évite la banqueroute.
L'abbé Maury répliqua
que l'Assemblée, en tolérant le procès de la propriété
ecclésiastique allait au-devant d'un péril social ; à
remonter à l'origine des propriétés, on aboutit à
la loi agraire. En outre, c'est ébranler les assises de l'État,
car si le clergé n'est pas propriétaire des biens fonds,
s'il est doté par le fisc, au premier revers dans les finances,
les particuliers refuseront de payer. La religion seule est la sauvegarde
de l'empire.
L'ancien gouverneur de la Guyane,
Malouet, apporta au milieu de cette passionnante discussion une note personnelle.
Pour lui, il reste indiscutable que
les biens du clergé sont propriété nationale. L'État
doit en régler l'emploi, afin que leur double destination soit rigoureusement
remplie : entretien du clergé et soulagement des pauvres. Mais il
ne saurait les aliéner sans méconnaître ses devoirs
essentiels vis-à-vis de l'Église et vis-à-vis des
malheureux ; s'il lui est permis de disposer du revenu de ces propriétés,
ce ne peut être que les années où, grâce à
une meilleure administration, les ministères de l'Église
étant entretenus et les pauvres secourus, un excédent résulterait
des exercices.
Ce modus vivendi n'était
pas conçu sans habileté. Il rallia de nombreux curés
qui formèrent ainsi un parti intermédiaire, une minorité
agissante moins faible. Contre les questions de principe, que la majorité
posait inlassablement, on ne pouvait rien. Thouret proclamait que le clergé
ayant cessé d'être un corps politique, son droit de propriété
était inexistant puisque la loi ne connaît que les propriétaires
réels. Ces corps ne peuvent donc pas posséder ; sans spoliation,
la nation peut donc reprendre au clergé les biens qu'elle lui avait
seulement permis de posséder.
Les représentants du clergé
s'évertuaient à rétorquer ces arguments de droit et
de fait par un ensemble d'affirmations sèches, raides, scolastiques.
Le clergé est une personne morale, disait-ils ; il peut être
propriétaire. Le travail, les acquisitions sont de suffisants titres
de propriété ; mais en réalité il a acquis
à deniers comptants et par échanges ; ces actes ne sont pas
ceux d'un usufruitier, mais d'un propriétaire.
Ce débat juridique eût
pu s'éterniser si Mirabeau, le 30 octobre, n'était venu trancher
la question avec son éloquence et sa logique coutumières.
Loin d'accorder au clergé une qualité d'usufruitier, il ne
voit en lui que le dispensateur des biens qui, depuis un temps immémorial,
était à la disposition du roi. Et il démontre qu'il
doit être le principe que la nation est seule propriétaire
des biens de son clergé.
Le 2 novembre, il combat de nouveau,
avec une force dialectique encore plus puissante, le second discours de
l'abbé Maury, tissé de menaces et sophismes canoniques. Il
répond aussi, moins sèchement toutefois, aux paroles de l'archevêque
d'Aix. Et il n'est pas une seule raison, parmi celles que le clergé
met en ligne, qui résiste à ses arguments politiques et théoriques.
" Vous allez
décider une grande question, dit-il. Elle
intéresse la religion et l'État. C'est moi, messieurs, qui
ai eu l'honneur de vous proposer de déclarer que la nation est propriétaire
de tous les biens du clergé.
" Ce n'est point
un nouveau droit que j'ai voulu faire acquérir à la nation
; j'ai seulement voulu constater celui qu'elle a, qu'elle a toujours eu,
qu'elle aura toujours, et j'ai désiré que cette justice lui
fût rendue, parce que ce sont les principes qui sauvent les peuples
et les erreurs qui les détruisent."
Suivant Mirabeau, la nation a le droit
"d'établir
ou de ne pas établir des corps" . " Ce n'est point la réunion
matérielle des individus qui forme une agrégation politique.
Il faut qu'elle ait une personnalité distincte et qu'elle participe
aux effets civils. Or de pareils droits, intéressant la société
entière, ne peuvent émaner que de sa puissance."
Par la suite, la société,
ayant le droit d'établir, ou de ne pas établir, des corps,
a également "le droit de décider si
les corps qu'elle admet, doivent être propriétaires ou ne
l'être pas".
"La nation,
dit-il,
a ce droit, parce que si les corps n'existent
qu'en vertu de la loi, c'est à la loi à modifier leur existence
; parce que la faculté d'être propriétaire est au nombre
des effets civils, et qu'il dépend de la société de
ne point accorder à tous les effets civils : des agrégations
qui ne sont que son ouvrage ; parce qu'enfin la question de savoir s'il
convient d'établir des corps est entièrement différente
du point de déterminer que ces corps soient propriétaires."
M. l'abbé Maury avait prétendu
qu'aucun corps ne peut exister sans propriété. Mais Mirabeau
lui répond :
"Quels sont
les domaines de la magistrature et de l'armée ? Quelle était
donc la propriété du clergé dans la primitive église
? Quels étaient les domaines des membres des premiers conciles ?
On peut supposer un état social sans propriété, même
individuelle, tel que celui de Lacédémone, pendant la législation
de Lycurgue. Pourquoi donc ne pourrait-on pas supposer un corps quelconque,
et surtout un corps du clergé, sans propriété ?"
Mirabeau continue en disant que partout
où des corps existent, la nation " a le droit
de les détruire, comme elle a eu celui de les établir"
" Il n'est aucun
acte législatif qu'une nation ne puisse révoquer ; elle peut
changer, quand il lui plaît, les lois, sa constitution, son mécanisme."
Il ajoute que l'Assemblée devant
laquelle il parle n'est pas seulement législative, mais constituante,
et qu'elle a, pour cela seul, tous les droits que peuvent exercer les premiers
individus qui formèrent la nation française.
Appliquant les principes au clergé,
Mirabeau en déduit que la nation a le droit de décider que
"le
clergé ne doit plus exister comme agrégation politique".
Et si elle exerce ce droit, qu'en
résultera-t-il ? que deviendront les biens du clergé ?
Mirabeau envisage plusieurs hypothèses
: Retourneront-ils aux fondateurs ? Seront-ils présidés par
chaque église particulières ? Seront-ils partagés
entre tous les ecclésiastiques ? La nation en sera-t-elle propriétaire
? Il lui paraît évident que seule la dernière est légitime.
" Tous les biens de l'Église n'ont pas des titulaires ; les titulaires
mêmes n'ont pas des détenteurs, et il faut nécessairement
que des biens qui ont une destination générale aient une
administration commune.
"Il ne reste
donc que la nation à qui la propriété des biens
du clergé puisse appartenir ; c'est là le résultat
auquel conduisent tous les principes."
Mais une question se pose alors :
sera-t-il de l'époque de la loi, que la nation sera propriétaire,
ou l'aura-t-elle toujours été ? Faut-il, comme dit M. l'abbé
Maury, tuer le corps du clergé pour s'emparer de ses domaines ?
Ou bien est-il vrai que l'Église n'a jamais eu que l'administration,
que le dépôt de ces mêmes bien :
Mirabeau soutient cette deuxième
thèse:
" En effet,
dit-il,
si tout corps peut être détruit, s'il peut être déclaré
incapable de posséder, il s'ensuit que ses propriétés
ne sont qu'incertaines, momentanées et conditionnelles ; il s'ensuit
que les possesseurs des biens, dont l'existence est aussi précaire,
ne peuvent être regardés comme des propriétaires incommutables,
et qu'il faut par conséquent supposer pour ces biens un maître
plus réel, plus durable et plus absolu."
" ... C'est
pour la nation entière que le clergé a recueilli ses richesses
; c'est pour elle que la loi lui a permis de recevoir des donations, puisque,
sans les libéralités de fidèles, la société
aurait été forcée elle-même de donner des revenus,
dont ces propriétés, acquises de son consentement, n'ont
été que le remplacement momentané. Et c'est pour cela
que les propriétés de l'Église n'ont jamais eu le
caractère de propriété particulière."
D'ailleurs,
ne rentrent-elles point dans la même catégorie que celles
qu'on a appelées le domaine de la couronne ? Est-ce qu'il ne serait
pas au pouvoir de la nation de l'aliéner, d'en retirer le prix et
de l'appliquer au payement de la dette ?
Pour décider
cette question, Mirabeau compare les propriétés de l'Église
avec toutes les autres propriétés qui lui sont connues. Elles
n'en possèdent aucun des caractères.
"
Ils n'ont pas été donnés à des individus, mais
à un corps ; non pour transmettre, mais pour administrer ; non à
titre de salaire, mais comme un dépôt ; non pour l'utilité
de ceux qui devaient les posséder, mais pour fournir des dépenses
qui auraient été à la charge de la nation."
Par
contre, les possessions de l'Église ont la même origine, la
même destination, les mêmes effets que le domaine de la couronne.
"
Les biens, comme le domaine de la couronne, sont une grande ressource nationale.
Les ecclésiastiques n'en sont ni les maîtres, ni même
les usufruitiers ; leu produit est destiné à un service public
; il tient lieu d'un impôt qu'il aurait fallu établir pour
le service des autels, pour l'entretien de leurs ministres ; il existe
donc pour la décharge de la nation.
" C'est donc
pour son intérêt personnel, et, pour ainsi dire, en son nom,
que la nation à permis au clergé d'accepter les dons des
fidèles ; et, si le clergé cesse de posséder ces biens,
la nation seule peut avoir le droit de les administrer, puisque leur destination
est uniquement consacrée à l'utilité publique."
A
la suite de ce discours, la sécularisation des biens du clergé
fut votée par 568 voix, contre 346 et 40 nulles.
Par
ce vote, l'Assemblée n'avait, à vrai dire, fait que poser
le principe. Comment l'appliquer dans la pratique ? mais des conséquences
forcées découlaient naturellement de ce vote.
Le 13, Treilhard
proposa de mettre le scellé sur tous les bénéfices,
excepté les cures ; ce qui fut décrété sur-le-champ.
D'autre part, le comité des finances s'inquiétait de l'état
du trésor. Le 19 décembre, un plan de son rapporteur, Le
Coulteux de Canteleu, proposait la création d'une caisse destinée
à recevoir le produit de la vente des biens du clergé, caisse
devenue nécessaire par le fait des votes précédents,
particulièrement celui du 17 décembre, par lequel Treilhard,
au nom du comité ecclésiastique, réclame la suppression
de tous les couvents et maisons religieuses
" dont l'inutilité est évidente".
Ne seraient conservés que les ordres qui se consacrent à
l'étude et au soulagement des malades. Le comité prévoyait
des pensions pour les religieux quittant le monastère.
De telles dispositions
étaient inspirées par un sévère souci d'équité.
Mais elle n'eurent pas le don de plaire au haut clergé qui ne se
fit point faute de manifester violemment son mécontentement. Déjà,
il adressait des menaces directes à l'État, encouragé
qu'il était par ceux de ses membres qui avaient passé la
frontière.
L'Assemblée,
prise par l'urgence de débats nouveau, ne put discuter le projet
de Treilhard que le 11 février 1790.
L'évêque
de Clermont formula des voeux tendant à ce que les ordres monastiques
reprissent leur ancienne splendeur ; l'évêque de Nancy proclame
que le catholicisme est une religion d'État. La séance du
13 fut des plus tumultueuses. En face des insolences de la droite, la majorité
jugea trop modérées les propositions de Treilhard et elle
décréta que désormais la nation ne reconnaissait plus
les voeux monastiques et toutes les congrégations furent supprimées.
Les établissements de charité et d'éducation étaient
cependant maintenus provisoirement.
Cette loi porta
au comble l'irritation du clergé. Des tentatives contre-révolutionnaires
furent signalées en divers diocèses ; et, avant tout opération
financières, les immeubles de l'Église, que l'État
avait repris, étaient discrédités en chaque province.
D'autre part,
la dîme n'étant due que jusqu'en 1791, l'entretien du clergé
devenait un problème pressant. Mais, comme les domaines ecclésiastiques
répondaient seuls de cet entretien, il s'agissait de les arracher
à l'Église qui les détenait encore.
Tout d'abord
l'Assemblée eut souci de rassurer les futurs acquéreurs des
biens dits du clergé. Et comment, sinon en mettant à la charge
de l'État la dette totale du clergé ?
Ensuite, le
9 avril, le rapporteur du comité des dîmes, le jurisconsulte
Chasset donna communication d'un projet de décret aux termes duquel
le traitement de tous les ecclésiastiques serait payé en
argent. A cet effet, une somme déterminée serait inscrite
au budget de l'État. Et les anciens bien ecclésiastiques,
tenus en état par les départements et par les villes, administrés
par des citoyens élus, produiront des revenus qui serviront uniquement
à payer les intérêts de la dette publique.
Chasset fixait
les frais du culte à 130 millions.
Il était
donc possible, avec une telle somme, d'assurer un traitement convenable
aux membres du clergé. Mais c'est le principe même du salariat,
que l'Église repoussait ; et elle ne pouvait se faire à l'idée
qu'elle était dépossédée de son titre de propriétaire.
Il lui paraissait que, sans richesse matérielle, son prestige avait
cessé d'être, ainsi que toute autorité morale et toute
domination temporelle.
Ainsi, est-ce
solennellement, au nom de tous les établissements religieux, que
l'évêque de Nancy déclare ne pouvoir consentir au décret
et à tout ce qui s'ensuivrait. L'archevêque d'Aix crut nécessaire
d'user de moyens de conciliation et fit une offre de 300 millions hypothéquée
sur les biens du clergé, qui en payerait les intérêts
et en rembourserait le capital par des ventes progressives. Mais l'archevêque
achevait son discours d'apaisement en évoquant la "puissance
ecclésiastique", ce qui déplut
à nombre de membres. Don Garbo fut encore plus maladroit. "Il
faut décréter, dit-il, que la religion catholique, apostolique
et romaine est et demeure, et pour toujours, la religion de la nation,
et que son culte sera le seul autorisé." Un
tel fanatisme, qui eut été compréhensible un siècle
plus tôt, déchaîna le tumulte et ce fut au milieu de
propositions et de contre propositions, de harangue menaçantes que
le projet Chasset fut adopté dans son économie essentielle.
Le clergé
n'était plus désormais qu'un corps de fonctionnaires salariés
par l'État. En moins d'un an, l'Église catholique avait perdu
tous se privilèges : son pouvoir temporel, assise inébranlable
de sa domination spirituelle, lui était ravi par l'État,
maître de ses propre destinées.
Elle ne souffrit
point partielle déchéance. Ses ministres s'enrôlèrent
dans les rangs des ennemis de la révolution, tandis que la nation
après avoir détruit l'édifice de l'ancienne Église,
se donna pour devoir d'établir selon ses vues un nouvel ordre de
choses religieux.
La constitution civile du clergé.
Le 6 février
1790, l'Assemblée avait chargé son comité ecclésiastique
de dresser un plan de réorganisation du clergé. afin d'accélérer
ses travaux, elle adjoignit à ce comité quinze nouveaux membres
qui, pour éviter les fâcheuses critiques, furent choisis parmi
les amis de l'Église.
L'Assemblée
avait à coeur de se tenir en dehors des matières spirituelles.
Son rôle, elle désirait le borner à déterminer
législativement les rapports que l'État devait entretenir
avec l'Église, à établir de nouveaux principes qui
subordonneraient le clergé, service public, à l'administration
nationale.
Il paraît
surprenant que les réformateurs de l'Assemblée constituante
n'aient pas perçu ce qu'il y avait, dans leur tentative, de contraire
à la réalité, à la nature même des choses.
Prétendre transformer le clergé en un corps de salariés,
soumis à l'État, n'était-ce point méconnaître
le caractère de l'Église catholique, universelle, romaine,
n'était-ce pas renouveler l'erreur du gallicanisme, aboutissant
à la bulle Unigenitus?
La temporalité
était l'unique domaine où les constituants se donnaient le
droit de légiférer. Mais dès l'instant où l'État
fait intervenir son autorité dans les matières de juridiction
ecclésiastique, n'est-il pas fatal de le voir aux prises avec des
questions de droit canon ? On croirait vraiment que nos grands laïcisateurs
avaient perdu le souvenir d'une époque, pourtant récente,
où s'était affirmée avec tant de force la toute-puissance
de Rome sur son clergé. D'autre part, si les visées de leur
politique étaient de susciter à nouveau une Église
gallicane, comment n'eurent-ils pas la prévoyance de la mettre à
l'abri de toute réaction, en s'assurant le dévouement de
la plus forte partie du clergé ?
Mais ce serait
aller, croyons nous, contre la vérité historique, que de
prêter aux hommes de 1789 un projet aussi résolu dans leur
esprit.
L'Église
temporelle n'existait plus ; aucun des privilèges d'autrefois ne
subsistait. Cependant, la crédulité religieuse ne paraissait
pas avoir reçu des atteintes sérieuses ; à cette loi
il fallait des serviteurs. L'État commit l'erreur de s'imaginer
qu'il lui était possible de les créer de toute pièces,
de sa propre autorité ; et cette assemblée, qui se révoltait
quand on lui proposait de décréter le catholicisme religion
nationale, s'asservit à une collectivité d'hommes vivant
du commerce des croyances, tout en prétendant les soumettre à
son despotisme, elle qui proclamait la liberté.
A cette époque
de la Révolution, la paix et la liberté religieuse eussent
pu être réalisées, si les esprits plus avisés
avaient su reconnaître dans le principe de la séparation des
Églises et de l'État, la solution de bon sens, la solution
logique.
Bien au contraire,
dans l'état des choses qu'elle prétendait instaurer, l'Assemblée
nationale manifesta une légitime susceptibilité au sujet
de son indépendance. Elle se montra indignée, quand le pape
Pie VI prononça, le 29 mars 1790, la condamnation des principes
révolutionnaires. Et dans la crainte que ce clergé, qu'elle
voulait à son service, ne prit au pied de la lettre les paroles
enflammées du Saint-Siège, elle se décidera à
rompre en visière avec Rome.
Mais, d'autre
part, l'Assemblée ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que des
ecclésiastiques français, avec lesquels elle désirait
négocier, lui échappaient chaque jour. Par tous les diocèses
ils lançaient de fougueux mandements, encourageant la levée
de libelles incendiaires, fanatisant les populations et leur ouvrant le
paradis si elles marchaient d'une belle ardeur à la guerre sainte.
De terribles émeutes ensanglantaient le Midi et l'Ouest ; les anciennes
congrégations devenaient des armées et les autorités
civiles, harcelées, insultées, menacées, ne pouvant
plus arrêter le flot des émeutiers catholiques, faisaient
le sacrifice de leurs jour.
Un tel spectacle
eut dû ouvrir les yeux de l'Assemblée. En quels rangs du clergé
avait-elle la possibilité de recruter ses troupes ? L'Église
toute entière s'insurgeait contre la nation !
Mais non, La
Constitution civile, en dépit des événements, fut
portée à l'ordre du jour le 29 mai et le 12 juillet, le projet
était décrété.
Elle donna lieu
à des débats extrêmement laborieux. Le clergé
répétait comme une antienne que les pouvoirs de l'Église
sont inaliénables, imprescriptibles et illimités, que Jésus-Christ
n'a pas donné aux empereurs le gouvernement ecclésiastique
et qu'enfin la législation, la juridiction, l'enseignement sont
ses droits inviolables.
Devant une pareille
irréductibilité, il apparaissait difficile de composer. Les
constituants ne se laissèrent pas rebuter, tant ils avaient conscience
que la nécessité sociale leur commandait la réglementation
civile de l'Église. Ils avaient beau entendre et souffrir des panégyriques
du pape dans ce goût : "Le pape a la
primatie d'honneur et de juridiction sur toute l'Église"
, ils ne s'émouvaient pas et persistaient dans leur intention de
soustraire le clergé français au pouvoir romain. N'est-ce
pas Robespierre qui déclarait l'obligation pour l'État d'attacher
étroitement les prêtres à la société,
de leur inculquer la nation de l'intérêt public ?
Les représentants
ecclésiastiques révoltés contre les "hérésies"
des réformateurs n'avaient pas à leur égard d'épithètes
assez blessantes. L'une d'elles était que l'on "conduisait
la nation au presbytérianisme" ! La
majorité fit bon accueil à l'accusation. On proclama qu'en
effet elle travaillait à fonder une Église gallicane, libérée
à tout jamais des doctrines ultramontaines.
Ainsi sa constitution
civile se ressent-elle, dans toute se parties, de ce souci de création
politique, de cet effort, pour dresser l'édifice juridique où
s'abritera la nouvelle Église.
Elle se divise
en quatre parties : la première est consacrée aux offices
ecclésiastiques, la seconde à la nomination aux bénéfices,
la troisième a rapport au traitement des ministres de la relation
et le quatrième établit les dispositions de la loi de résidence.
Le principe du
titre 1er est que la configuration des diocèses reproduira les divisions
départementales de l'empire. Les seuls titres reconnus par l'administration
sont ceux dévêques et de curés ; par la suite, les
offices autres que les évêchés et les cures sont abolis.
De plus, l'évêque ne devient qu'un président de consistoire
; le conseil, qui l'assiste, donne souverainement son avis. Ainsi désormais
l'évêque ne sera plus le soldat obéissant du pape et,
partant, les appels en cours de Rome ne seront plus possibles.
Le titre II
réglementait la procédure de la nomination aux bénéfices.
Les évêques et les curés seraient les élus du
peuple. En effet, ne sont-ils pas assimilés aux fonctionnaires civils
? Or ceux-ci sont nommés par une assemblée électorale
; et, comme tels, les ecclésiastiques seront soumis à toutes
les formalités ordinaires jusques et y compris celle du serment.
Quant à l'investiture, elle serait donnée par le métropolitain
du diocèse. Solliciter la confirmation du pape eût été
un acte de rébellion contre l'État.
Les curés
étaient élus parmi les prêtres ayant exercé
le sacerdoce pendant cinq ans. Après avoir prêté le
serment consacré d'être fidèle à la nation,
à la loi et au roi, l'élu était admis à recevoir
l'investiture canonique. Les curés avaient toute latitude pour choisir
leurs vicaires.
On voit que
la direction de l'Église était mise tout entière dans
les mains du pays. C'est ce que les adversaires de la loi se refusaient
à tolérer ; mais la disposition qui dépassait leur
entendement était celle qui dépossédait le pape du
droit essentiel du pontificat : le droit d'accorder ou de refuser l'institution
canonique. Ils n'avaient pas de mots pour exprimer l'effet d'un tel outrage
sur leur âme de chrétien. Quant à l'obligation du serment,
c'était la consécration du schisme ; les prêtres qui,
cédant aux mesures coercitives de la nation, jureraient respect
à la constitution seraient déchus de leur dignité
de ministre de Dieu. Mais les défenseurs du projet ne se dérobaient
pas aux attaques. Et, tout d'abord, ils justifiaient l'élection
en rappelant l'état primitif de l'Église, véritable
démocratie. Et, pour exprimer la raison de l'éloignement
où la Constitution tenait le pape, ils demandaient si le souverain
pontife pouvait être autre chose, aux yeux des Français, que
l'évêque de Rome.
Le titre suivant,
qui faisait bénéficier le clergé d'avantages pécuniaires,
fut adopté sans difficultés. La gauche de l'Assemblée
s'éleva contre cette loi qui rentait trop magnifiquement, à
son avis, ceux-là qui n'étaient plus que des fonctionnaires.
La réclamation demeura sans écho.
En outre, Robespierre
invoqua la justice de l'Assemblée en faveur des ecclésiastiques
"vieillis
dans le ministère et qui, à la suite d'une longue carrière,
n'ont recueilli de leurs travaux que des infirmités". Libéralement,
de nombreuses pensions de retraite furent octroyées aux invalides.
Enfin, par la
loi de résidence, objet du titre IV, il était interdit aux
évêques de s'absenter de leur diocèse sans y être
autorisé par le directoire du département ; leur absence
ne pouvait s'élever au delà de quinze jours. De même,
les curés et les vicaires n'avaient pas le droit de séjour
ailleurs que dans leur cure ; si des nécessités impérieuses
les réclamaient ailleurs, le directoire du district examinait leur
demande de congé.
Aussi l'Assemblée
ne pouvait-elle accorder aux ecclésiastiques le droit de poser leur
candidature à des emplois qui les auraient obligés à
rester éloignés de leur offices. Cependant exception est
faite pour les élections à l'Assemblée nationale et,
d'autre part, la raison d'interdire au clergé au clergé l'entrée
des divers conseils administratifs de leur commune ne subsistait plus ;
l'Assemblée même avait tendance à encourager les prêtres
à s'occuper des affaires publiques, puisque son ambition était
de doter la nation d'un clergé patriote et libéral.
Chaque article
donna lieu à de violents débats ; lentement, péniblement
on atteignit le 12 juillet et l'ensemble de la loi fut adopté.
Quelques jour
plus tard, le 24, Chasset, au nom du comité ecclésiastique,
déposa un projet de loi sur les retraites, destiné à
compléter les dispositions relatives au traitement du clergé.
Les évêques supprimés, selon les propositions du comité,
devaient jouir des deux tiers, à la condition que le tout n'excédât
pas 30 000 francs ; les évêques conservés se démettant
de leurs fonctions recevaient pareille somme.
Il ne parut
à aucun des membres de la majorité que la loi n'était
pas suffisamment favorable au personnel de l'Église. On demanda
même qu'il ne fut rien donné à ceux qui ne prouvaient
pas
que leur retraite était nécessitée par des raisons
valables. Mais, par esprit de conciliation et pour s'assurer le dévouement
de tout le clergé, les vues du comité furent adoptées.
Les largesses
de l'Assemblée, loin de désarmer les ecclésiastiques,
ennemis de la constitution, prirent l'aspect d'une faiblesse et l'incitèrent
d'avantage à la rébellion.
Le clergé
démasqua sa politique. Il s'efforçait d'agir à la
fois sur l'esprit du roi et sur celui du paysan ; l'un et l'autre étaient
sensibles aux prédictions fanatiques. A celui-ci, il évoquait
le roi, déchu de son autorité. A celui-là, il parlait
du maître de tous les rois, du vicaire de Jésus-Christ, couvert
d'invectives, bafoué, dont l'autorité spirituelle se trouvait
compromise, sinon détruite, par les lois hérétiques
de la Constituante.
Mais Pie
VI, malgré son désir d'entre en lutte contre la France révolutionnaire,
hésitait, tergiversait, tant il avait souci de ne point exposer
son domaine d'Avignon.
De son côté,
le roi, pris entre les incitations du clergé et les menaces réservées
de l'Assemblée, balançait à prendre une décision.
Tout - son éducation, ses intérêts, ses influences
- complotaient à lui faire opposer son veto à la promulgation
de la loi. Mais une telle indépendance vis-à-vis des législateurs
ne pouvait que mettre sa couronne en péril. dans son irrésolution,
il réclama le secours du pape ; celui-ci répondit que le
dernier mot sur la constitution appartenait au sacré collège.
Dès lors, Louis XVI, mis au pied du mur, promulgua, le 24 août,
la loi religieuse.
Les évêques
décidèrent de combattre sans le secours du pape ni du roi.
L'archevêque d'Aix lança un manifeste qui, après la
réfutation des théories laïques, provoquait à
la guerre civile. Désormais, l'Assemblée allait avoir, à
l'ordre du jour de ses séances, des interpellations incessantes
sur les troubles cléricaux.
Sans tarder,
elle prit des mesures énergiques pour vaincre la révolte
de l'Église. Tous les évêques et les curés en
fonction furent tenus de prêter le serment constitutionnel, dans
la huitaine, sous peine de perdre leurs offices. Ce décret, présenté
par Veydel, fut rendu le 27 novembre, grâce à un discours
de Mirabeau, qui légitima, avec une abondante éloquence,
tout ce que l'Assemblée pourrait tenter pour assurer le respect
de ses droits.
Mais le roi ne peut se résigner
à sanctionner le décret. Le peuple se soulève contre
son souverain que Rome subjugue. L'émeute gronde. Le roi est soupçonné
de trahison. Et ce sera le premier ébranlement sérieux que
son royaume subira. Les assauts furieux et répétés
de l'Église contre le pouvoir national prépareront la mesure
trop tardive, qui deviendra le salut public, la séparation des Églises
et de l'État.
Il ne nous
appartient pas d'exposer ici tous les événements religieux
qui se placent entre la Constitution de 1790 et le décret du 27
novembre 1793. Avec eux, nous sommes dans la période de l'insurrection.
Et, s'ils forment comme une trame serrée, si les actes législatifs
auxquels ils donnent naissance paraissent découler légèrement
les uns des autres, c'est qu'à toute cette agitation il n'était
qu'un aboutissant politique : la dénonciation de l'erreur législative
de 1789, de la constitution civile du clergé.
Et si, par la force de choses,
on en arriva à abandonner l'Église, c'est que les législateurs
acquirent l'expérience que toutes les mesures qu'ils peuvent prendre
à l'égard du clergé révolté serait insuffisant
à assurer l'ordre et le respect de l'État laïque.
Le 18 septembre
1794, la Convention, par mesure de financière, sur proposition de
Cambon, vota un projet, qui d'abord posait en principe que la République
française ne payerait plus les frais ni les salaires d'aucun culte.
Ce principe,
Cambon le dit formellement, était "dans
tous les coeurs". Il n'était donc pas
dicté uniquement par un état des choses financier ; il résultait
des leçons de l'expérience. "Proclamez
un principe religieux, dit Cambon, de
suite il faudra des temples, qui devront être gardés par des
personnes, qui s'en prétendront les ministres ; ils demanderont
des traitements ou des revenus. S'ils réussissent dans leur première
demande, ils élèveront bientôt de nouvelles prétentions,
et, sous peu, ils établiront des hiérarchies et des privilèges."
On ne
saurait mieux faire apparaître le danger que fait courir à
l'État une union avec l'Église. Mais, nous l'avons dit, ce
n'est pas d'un coup que les conventionnels de 1794 arrivèrent à
posséder une conscience aussi nette des intérêts supérieurs
des deux partis. De 1790 à 1794, l'étape fut longue, ardue
; sanglante à plusieurs reprises, la solution finale ne manqua pas
d'être présentée, formulée même et désirée.
C'est d'abord
la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, lorsque le pape,
prévoyant l'annexion d'Avignon, refusa de recevoir notre ambassadeur,
M. de Ségur. Dès que la nouvelle fut connue à Paris,
le 30 mai 1791, le nonce fut informé d'avoir à quitter aussitôt
la France. Rien alors ne put mettre un frein à la violence des ecclésiastiques
contre la constitution civile ; et de nombreux curés assermentés,
cédant à leur tendance ultramontaine, violèrent toutes
les prescriptions de la loi à plaisir afin de la rendre inexistante.
Ils ne tardèrent pas à atteindre leur but ; la Constitution,
qui avait donné naissance à un nouveau clergé maintenant
en révolte, n'était rien autre, à la fin de 1791;
qu'un poids mort, qu'un monument législatif tout en façade,
sans vertu, sans sanction, au nom duquel il fallait verser le sang, puisque
l'Église, en portant ses coups contre la Constitution, visait en
plein coeur la nation. Il est donc tout naturel que, dès cette époque,
de bons esprits aient cru politique pour l'Assemblée de détruire
elle-même son oeuvre.
André
Chénier, dans une lettre adressée au Moniteur, le 22 octobre,
disait que les prêtres cesseront d'être dangereux le jour où
la nation se désintéressera des religions : "
les prêtres ne troublent point les États quand on ne s'y occupe
point d'eux".
Le 6 février
1792, l'Assemblée législative demanda au ministre de l'intérieur,
M. Cahier de Gerville, un tableau général de la situation
du royaume. Celui-ci lut, à la séance du 18 février,
un exposé détaillé de l'état de la France.
Ce qui avait trait aux troubles religieux occupe la majeure partie de son
rapport ; et, en matière de conclusion, il exprimait de judicieuses
pensées qui étaient le signe d'un nouvel état d'esprit.
Tout ce que peut faire une
bonne constitution, c'est favoriser toutes les religions sans en distinguer
aucune. Il n'y a point en France, de religion nationale. Chaque citoyen
doit jouir librement du droit d'exercer telle pratique religieuse que sa
conscience lui prescrit, et il serait à désirer que l'époque
ne fut pas éloignée où chacun eût la charge
de son culte. Le fanatisme est comme un torrent qui détruit et renverse
toutes les barrières qu'on lui oppose et qui s'écoule sans
ravage lorsqu'on lui ouvre les issues ... L'intérêt des prêtres
ne doit entrer pour rien dans le combinaisons du législateur. La
patrie attend une loi juste qui puisse entrer dans le code de peuples libres,
et qui dispense de prononcer ici les mots : Prêtres et religions.
Le 18 novembre
1792, au cours d'un important débat sur le régime des impôts,
Cambon monte à la tribune de la Convention et formule le principe
de la séparation tel qu'il découlait de la situation financière
de l'État :
"Ayant
à nous occuper de l'état des impositions en 1793, nous devons
nous poser cette question : si les croyants doivent payer pour leur culte.
Cette dépense pour 1793, qui coûterait 100 millions, ne peut
pas être passée sous silence, parce que la trésorerie
nationale ne peut pas la payer. Il faudrait donc que le comité des
finances eut l'impudeur de venir demander le sang du peuple pour payer
des fonctions non publiques. Votre comité a regardé cette
question sous tous les points de vue. Il s'est demandé : qu'est-ce
que la Convention ? Ce sont des mandataires qui viennent stipuler pour
tout ce que la société entière ne pourrait stipuler
elle même. Ils ne doivent point fixer des traitements lorsque chacun
y peut mettre directement la quotité. Alors il s'est dit : faisons
l'application des vrais principes qui veulent que celui qui travaille soit
payé de son travail, mais payé par ceux qui l'emploient."
Cependant, en
dépit de toute les raisons puissantes qui militaient en faveur de
la proposition de Cambon, Robespierre, Danton et quelques autres se rangèrent
d'un côté tout opposé. Selon eux, l'État devait
continuer à salarier son clergé pour ne point aggraver par
une suppression radicale le caractère de sédition qui éclatait
de toutes parts ; et la motion que Cambon développa en plusieurs
séances fut définitivement écartée.
Il la
reprit lui-même deux ans plus tard, quand la Convention décimée
ne pouvait plus lui opposer ses antagonismes d'autrefois. La situation
financière ne laissait pas que d'être encore plus alarmante,
et les derniers conventionnels eux-mêmes trempés dans la tourmente
terroriste, ayant appris jusqu'à quels crimes pouvait aller l'esprit
d'insubordination du clergé, inclinait vers l'unique solution capable
de dissiper l'équivoque de 1790. Tous étaient partisans d'une
rupture avec tous les errements des premières heures de la Révolution
que, par une fausse conception des rapports du clergé et de l'État,
il avait paru bon de conserver. Mais, sauf le financier Cambon, nul ne
s'aventurait à exprimer l'esprit de la nouvelle politique.
Ce mérite
revint à Grégoire qui, le 23 décembre 1794, fit la
lumière sur les velléités communes à tous les
conventionnels et formula les véritables principes de liberté
en matière religieuse. Car il n'était pas suffisant de dire
que, la constitution civile n'existant plus, l'Église avait seule
à prendre souci d'elle même. Grégoire s'élève
au dessus du moment et spécifie qu'absolument, dans tous les pays
et dans tous les temps, l'État n'a pas à légiférer
en ce qui concerne les choses cultuelles.
"Le
gouvernement, dit-il, ne peut adopter, encore moins salarier aucun culte,
quoiqu'il reconnaisse à chaque citoyen le droit d'avoir le sien.
Le gouvernement ne peut donc, sans injustice, refuser protection, ni accorder
préférence à aucun. Dès lors, il ne doit se
permettre ni discours, ni acte qui, en outrageant ce qu'une partie de la
nation révère, troublerait l'harmonie ou romprait l'égalité
politique. Il doit les tenir tous dans la juste balance, et empêcher
qu'on ne les trouble et qu'ils ne troublent.
Ils faudrait
cependant proscrire une religion qui n'admettrait pas la souveraineté
nationale, la liberté, l'égalité, la fraternité
dans toute leur étendue ; mais, si un culte ne les blesse pas, et
que tous ceux qui en sont sectateurs jurent fidélité aux
dogmes politiques, qu'un individu soit baptisé ou circoncis, qu'il
crie Allah ou Jéhova, tout cela est hors du domaine de la politique".
On ne peut pas
mieux dire. Nous sommes loin de l'opinion terre à terre de Cambon.
Mais Grégoire, sans doute, pêchait par le défaut contraire
; il perdait son époque de vue et disait la législation d'un
siècle plus calme. Il réclamait que les autorités
fussent chargées de garantir à tous les citoyens l'exercice
libre de leur culte, en prenant les mesures que commandaient l'ordre et
la tranquillité. Mais permettre le libre exercice du culte, n'était-ce
point déchaîner la fureur homicide du clergé contre
la Révolution ? Néanmoins, l'Assemblée manifesta clairement,
avant de passer à l'ordre du jour, qu'elle était assez détachée
des religions pour laisser les prêtres à leur pratique, "
à la condition, dit Legendre, qu'ils ne rétrécissent
point l'esprit public".
Les événements
donnèrent raison à la Convention.. Il n'était pas
un point de la France où il ne fallut réprimer des émeutes
cléricales, sinon des batailles rangées ; la messe était
un acte subversif. Et ce ne fut que lorsque la Vendée, définitivement
écrasée, réclama, comme une justice, la libre pratique
des cultes que la Convention crut possible de détendre sa politique
de défense révolutionnaire.
Le 21 février,
elle étudia un projet de décret ne réglementant que
la police des cultes. C'était tout un ensemble de garanties contre
tout culte qui deviendrait exclusif ou dominant ; la liberté de
chacun était minutieusement protégée. Plus d'oppression
vis-à-vis de l'Église, mais une large et sévère
surveillance.
Les communes
ne pourront acquérir ni louer de local pour l'exercice des cultes
; il ne peut être formé aucune dotation perpétuelle
ou viagère, ni établi aucune taxe pour entretenir les prêtres.
Aucun signe particulier à un culte ne peut être élevé,
fixé sur quelque lieu que ce soit, sauf les églises et dans
les maisons particulières. La République interdit en outre
les exhibitions d'emblèmes, les proclamations confessionnelles,
le port de tout insigne sacerdotal
Les sanctions
à toute cette série de prescriptions, nécessaires
à rendre réelle la liberté de conscience, étaient
des amendes de 100 à 1 000 livres et des emprisonnements d'un mois
à dix ans
A la faveur
de cette loi, l'ancien clergé constitutionnel se réorganisa
promptement. Le 17 mars, il lança une encyclique, à laquelle
adhérèrent de nombreux évêques assermentés.
Sa politique fut d'amener à lui les membres du clergé réfractaire
; mais il n'y réussit pas.
D'ailleurs,
bien que très agissant, le clergé gallican avait perdu toute
popularité. Les croyants se tournaient vers l'Église dite
orthodoxe, vers les insermentés et les émigrés. Chaque
jour, les prêtres proscrits rentraient nombreux , et ils n'avaient
rien de plus empressé, aussitôt sur le sol de la République,
que d'user de la liberté nouvelle pour combattre les idées,
les institutions et les hommes de la Révolution. Si bien que les
menées audacieuses des anciens réfractaires provoquaient
à la Convention, le 17 avril 1795, un violent débat qui aboutit
au décret du 1er mai, condamnant à mort tous les émigrés
saisis ;les prêtres insermentés avaient un mois pour franchir
la frontière.
Le clergé
antinational ne tenait, en effet, aucun compte du décret sur la
liberté des cultes ; il disait la messe dans des églises
qui lui étaient interdites et prêchait ouvertement le royalisme.
La loi
du 21 février fut donc encore prématurée, puisque
la révolte contenue éclata plus violemment que jamais. Cependant,
la République, pour ne point exaspérer les esprits et pour
faire cesser la guerre civile, mit toutes les église non aliénées
à la disposition des prêtres qui feraient acte de soumission
aux lois du pays. Mais ce nouveau serment, le clergé voulut pas
le prêter, et il considéra cette formalité comme un
prétexte pour mettre encore en mouvement ses compagnies d'émeutiers.
La Convention dut encore voter des lois de bannissement et compléter
la loi sur la police des cultes.
Les prêtres
gallicans, par contre, protestèrent de leur égal respect
pour l'autorité civile et pour l'autorité papale ; mais leurs
efforts pour apaiser la lutte de l'Église romaine et monarchique
contre la République n'aboutit pas. Les prêtres réfractaires
violèrent chaque jour la loi sur la police des cultes. Le Directoire,
pour anéantir les ennemis de la nation, se résout alors à
attaquer directement la papauté ; Contre les prêtres insoumis,
il vote des lois de salut public. Mais les Anciens ne le suivent pas dans
cette voie ; ils désiraient plutôt l'indulgence à l'égard
des révoltés ; et, le 5 septembre 1796, les prêtres
étaient admis à prendre jouissance des biens qui avaient
appartenu à l'Église d'autrefois.
D'un autre
côté, par l'intermédiaire du général
Bonaparte, le Gouvernement fait pressentir le pape pour le décider
à prêcher aux réfractaires la soumission à l'État.
Le Saint-Siège, qui apercevait dans la République de sérieux
symptômes de désagrégation, ne se hâtait point
d'acquiescer ; le triomphe de la contre-révolution l'assurait d'un
meilleur avenir. En effet, elle était déjà triomphante.
Les réfractaires, par la loi du 24 août étaient solennellement
amnistiés ; il fallut que la république, dans un sursaut
d'énergie se défendit par la loi du 19 fructidor, véritable
coup d'État révolutionnaire. Le clergé insoumis et
le pape subirent les durs effets de cette loi. Celui-là, par des
prescriptions en masse, rapides et sans conditions ; celui-ci par par la
lutte qu'il eut à soutenir dans sa ville pour empêcher que
ne se dresse, en face de son pouvoir, un gouvernement démocratique.
A Rome,
on ne recula point devant l'assassinat de l'ambassadeur Basseville et du
général Duphot ; et la république dut lancer contre
son ennemi une armée qui fit prisonnier celui dont la Révolution
avait tant à redouter.
Mais le
régime de fructidor ne fut pas sans réveiller le fanatisme.
Partout, ce sont des insurrections ; les provinces sont travaillées
par les prêtres qui, bien que bannis, viennent de nouveau ensanglanter
la France. Plus qu'aux périodes troublées que le pays vient
de vivre, la passion contre-révolutionnaire fanatise les esprits
et devient, cette fois, invincible. Le directoire était au dessous
de sa tâche. Bonaparte s'offrit en sauveur.
Il voulut
d'abord la restauration religieuse. Rien n'était plus politique
pour l'accomplissement de ses ambitions. Un clergé gallican ne pouvait
être utile à Bonaparte, puisque ce clergé, en dehors
de Rome, était sans autorité sur le pays. Il était
donc de toute nécessité que les relations avec le Saint-Siège
fussent reprises. Mais un tel acte devait se produire à son moment.
Bonaparte n'apporta aucune hâte malencontreuse dans la poursuite
de ses desseins.
La pacification
religieuse, il l'obtint par des mesures pondérées, où
les concessions mutuelles s'équilibraient habilement. Son ambition
n'était, semble-t-il, que d'assurer la plus complète liberté
des cultes ; il y arriva sans secousses. Que lui demander de plus ? Le
clergé, autrefois réfractaire, entretenait librement avec
le Saint-Siège les relations qui lui convenaient. Sous ce régime,
la France revenait au calme.
Toutefois,
Bonaparte poursuivait son idée. Pour exercer sur le pays le pouvoir
du maître, il avait besoin de rétablir en France les pratiques
religieuses d'autrefois ; de plus, pour la complète réussite
de ses ambitions politiques, il fallait qu'il pût mettre à
leur service la complaisance, sinon la complicité du souverain pontife.
Dès
la nomination du nouveau pape, le 15 mars 1800, le premier consul commença
ses avances. Du premier coup il offrait à Pie VII ses anciens États.
Par la même occasion, il lui demandait son avis sur l'état
des choses ecclésiastiques en France. Mais le gouvernement consulaire
ne paraissait pas suffisamment stable au Saint-Siège pour qu'il
engageât d'emblée des négociations.
Ce fut
seulement aux lendemains de Marengo que le pape, s'attendant à voire
l'Italie envahie par les troupes françaises, fit entendre à
Bonaparte qu'il était prêt à entamer des pourparlers.
Selon le désir du premier consul, c'est à Paris qu'ils s'ouvrirent.
L'archevêque Spina, bien que délégué officiel
du pape, était néanmoins sans pouvoirs pour traiter quoi
que ce fût. Mis en face du représentant du Gouvernement, il
exposa d'une façon si casuistique les prétentions du Saint-Siège,
que l'accord entre eux ne put établir.
Le plan de Bonaparte
n'était pas compliqué.
L'État
salarie les ministres du culte. On fait table rase : réfractaires
et constitutionnels donnent leur démission. Le premier consul désigne
les titulaires ; le pape donne l'institution canonique. Les évêques
nomment les curés. L'Église accepte la confiscation des biens
ecclésiastiques. tout le clergé prête serment de fidélité
au Gouvernement.
Sur ces
bases l'entente est possible.
Mais Rome a
d'autres visées.
En premier lieu,
elle veut qu'il soit proclamé que le catholicisme est religion d'État
en France. Quant au réfractaires, aux ennemis de la République,
ils avaient trop mérité de l'Église pour que le Saint-Siège
pût les contraindre à donner leur démission. Quant
aux évêques constitutionnels, il exigeait que tous reconnussent
publiquement leurs erreurs.
D'autre part,
le pape s'opposait aux règlements de police, quels qu'ils fussent.
L'état civil n'avait aucun droit de commandement, de surveillance
sur l'Église omnipotente. Enfin, en ce qui concerne les biens, il
faisait abandon de ce qui avait été aliéné
; mais il voulait que l'Église pût recevoir des biens-fonds
par voie de legs ou de donation.
Tels étaient
le desiderata du pape en face de ceux du premier consul. Bonaparte aima
mieux attendre l'écrasement de l'Autriche avant de conclure avec
Rome. De son côté, le pape désirait connaître
les résultats de la guerre avant de prendre de sérieux engagements
avec le gouvernement français.
Mais, après
le traité de Lunéville, alors que les armées françaises
occupaient tout le territoire de l'Église, Pie VII, par la force
des choses, dut négocier avec le premier consul. Le délégué
de Rome réclama Ferrare, Bologne et Ravenne. Il n'eut rien. Napoléon
ne voulait point entendre parler de restitutions tant que le concordat,
tel qu'il l'avait conçu et rédigé, n'aurait pas obtenu
l'agrément du pape. Et, pour brusquer les choses, le premier consul
expédia à Rome le diplomate Cacault, qui avait pour mission
de forcer la main du pape. Mais il n'aurait pu y parvenir. Le pape avait
fait dresser un contre-projet par une congrégation de cardinaux,
et il se préparait à connaître la réponse qu'allait
lui faire le premier consul, quand il reçut un avis officiel qu'un
délai de cinq jours lui était accordé pour accepter
le Concordat présenté par la France.
Aussitôt
le pape envoie à Paris un négociateur, muni des pleins pouvoirs,
le cardinal Consalvi, qui, voyant sur place combien les hommes du gouvernement
et des hauts fonctionnaires étaient contraires à l'idée
d'un concordat, eut la crainte de laisser échapper l'occasion de
traiter avec Bonaparte s'il ne lui faisait pas de pénibles mais
nécessaires concessions.
On ne parla
plus d'une religion d'État ; il fut question d'une religion catholique
"
qui est celle de la majorité des Français"
. Sur tous les autres points, Napoléon resta intraitable. Il exprima
même le désir de voir l'Église soumise , sans arrière-pensée,
à un règlement de police.
Le cardinal
Consalvi ne se permit aucune objection. Le 15 juillet 1801, le Concordat
était signé, mais ne fut mis en vigueur qu'au mois d'avril
1802, après l'établissement de la législation à
la police de cultes.
Il est indiscutable
que le mécontentement contre le premier consul fut très vif
dans toutes les sphères politiques fidèles aux principes
de la Révolution. Le conseil d'État même le désapprouva
par son silence. Le clergé constitutionnel, qui voyait de nouveau
s'ouvrir l'ère des bulles pontificales et qui, en sa qualité,
n'ignorait pas tout ce dont étaient capables la rouerie et l'astuce
du gouvernement romain, fit part à Napoléon de ses justes
alarmes. Le Sénat, le Corps législatif souffraient pour la
dignité nationale, car alors même que le Concordat était
favorable aux intérêts de l'État français, il
n'en restait pas moins que la France venait de conclure un accord avec
le pape ; or la France de la Révolution ignore Rome ; elle ne saurait
négocier avec le maître de l'Église.
Mais par ses
règlements de police, Bonaparte ne doutait pas de voir se calmer
l'émotion des révolutionnaires. Le Concordat devait lui attirer
les bonnes grâces de l'Église ; ultérieurement il présenterait
son interprétation de l'acte consenti avec la papauté, le
correctif nécessaire, tous les tempérament propres à
faire de l'Église, l'esclave docile de l'État.
On comprend
que le premier consul n'ait éprouvé aucun besoin de dévoiler
sa pensée entière, il le ferait seulement le jour où
le pape serait pris, pieds et poings liés, dans le piège
du Concordat. D'ici là, il lui paraissait politique de laisser le
champ libre à la cour de Rome, de l'encourager même à
se donner des airs d'autorité souveraine.
Comme l'organisation
concordataire de l'épiscopat pressait, Napoléon fit des efforts
pour que le pape usât sans tarder des prérogatives que lui
conférait l'accord de 1801. En effet, il était temps que
la nouvelle église fût organisée sur les bases solides
que l'on avait prévues. Mais rien n'était moins facile. Pour
nommer des évêques, n'était-il pas nécessaire
d'obtenir la démission des occupants ? Or Bonaparte avait à
coeur de réserver l'honneur épiscopal aux anciens constitutionnels
; tandis que Rome ne pouvait se décider à les faire
rentrer dans la communion de l'Église s'ils ne se soumettaient pas
aux formalités humiliantes de l'abjuration publique de l'erreur
gallicane. Rome se montrait irréductible. Pour lui forcer la main,
Napoléon tenait en réserve ses fameux articles organiques,
dont il fit donner lecture au légat du pape, dès que celui-ci
eut légitimé les nouvelles circonscriptions diocésaines
et rendu possible le fonctionnement régulier de l'Église
concordataire.
Quelle est donc
l'économie générale de ces articles organiques que
Napoléon considérait comme le chef-d'oeuvre de ses ressources
astucieuses ? Etaient-ils réellement de nature à mettre en
échec l'autorité romaine ?
Ce serait une
grave erreur de le croire. Un siècle d'expérience a démontré
la fragilité et l'insuffisance de ces précautions que le
Saint-Siège n'a jamais voulu reconnaître.
En premier lieu,
Napoléon céda aux instances du pape, qui se refusait à
observer toutes les prescriptions du règlement. Ainsi l'article
17 ordonnait l'information pour les candidats à l'épiscopat
par-devant l'ordinaire du lieu de leur résidence. Rome qui se considère
comme " la source de l'épiscopat"
, ne souffre pas de rester en dehors de l'acte préparatoire à
l'institution canonique, puisque cette institution est le lien avec lequel
elle a toujours tenu en laisse le monde chrétien et les empires.
La question était donc d'importance ; le pouvoir du Saint-Siège
en France en dépendait. Néanmoins, Napoléon se rangea
à l'avis du pape.
Ensuite, quelles
étaient les innovations de ces articles ? L'enseignement des quatre
propositions du clergé ? Mais ce n'était point une invention
de l'esprit révolutionnaire, puisqu'elles dataient de 1682 ; et,
par la suite, d'ailleurs, certaines des dispositions qui émanaient
de cet esprit, tombèrent en désuétude.
Cependant, il
est indéniable que, sur certains points, le nouveau règlement
affirme la prépotence du pouvoir laïque. Mais, après
les années que la France venait de vivre, et qui avaient consacré
dans les moeurs un nouvel état des choses, les législateurs
ne pouvaient pas suivre une marche opposés aux tendances de l'opinion
publique.
Enfin, cette
loi sur la police des cultes n'est pas le contrepied du Concordat lui-même,
ainsi qu'on aurait voulu le faire entendre. Le Concordat, au dire des intéressés,
satisfait pleinement les besoins de la religion ; au culte, il assure la
liberté et la sûreté, il lui accorde des temples et
des ministres. Les articles organiques ne démentent d'aucune manière
ces dispositions. D'autre part, l'accord de 1801 est exempt de matière
bénéficiale ; le clergé peut, de lui-même, pourvoir
au nécessaire, le superflu seul est interdit. Le règlement
de 1802 reste aussi étranger à cette question.
En outre, ce
soit-disant correctif de la convention avec Rome ne répare pas ce
qu'avait d'antinational cet acte quand il stipule que le Gouvernement français
doit nommer les évêques dans un délai donné,
alors que le pape n'a point de terme pour instituer. C'était mettre
la France en état d'infériorité vis-à-vis de
Rome.
Avec le pape,
Napoléon essaya de jouer au plus fin ; mal lui en prit. Sa soi-disante
Église, qu'il voulait docile à ses ordres, ne fut rien autre
que romaine. Jamais, même au temps de la monarchie, elle se montra
plus dépendante du Saint-Siège ; dépouillée
de ses biens temporels, comment aurait-elle pu vivre en dehors des volontés
de Rome ? Elle était une indigente à qui il n'était
plus possible de se tracer librement un plan d'existence conforme à
ses goûts, à son tempérament.
Napoléon
a donc mis entre les mains du pape une arme dangereuse pour la France.
Le salaire, loin de produire un lien d'attachement entre celui qui donne
et celui qui reçoit, contribue plutôt à les éloigner
l'un de l'autre. En 1801, cette vérité était moins
sensible. On a voulu assimiler le clergé aux autres serviteurs de
l'État ; le clergé a d'abord protesté, sa dignité
lui faisait un devoir de refuser ce qu'il considérait comme une
aumône ; par la suite, il a bien voulu consentir à recevoir
son salaire, mais il se vengea en se dévouant tout entier à
Rome contre la France.
Cependant Rome
crut de bonne foi avoir été jouée, quand elle connut
les articles organiques. Dans le consistoire de 1802, le pape formula véhémentement
ses plaintes contre un règlement de police élaboré
et dicté sans son consentement. Mais n'eut garde de mécontenter
le 1er consul, le concordat dépassant ses espérances.
Les démêlés
de Napoléon 1er avec le pape n'entrent pas dans le cadre de ce rapide
exposé historique. Quels sont les actes législatifs qui sanctionnent
les relations de l'État avec Rome ? Telle et la question que jusqu'ici
nous avons eu en vue et qui, au début du nouvel état des
choses crées par le premier consul, sacré empereur, revêt
à nos yeux une importance spéciale, puisque nous entrons
dans la période contemporaine de ces relations.
Le pape, en
retour de la consécration religieuse du nouvel empereur, comptait
bien recevoir Bologne, Ravenne et Ferrare ; en outre, il espérait,
à brève échéance, de la magnanimité
de Napoléon, le rétablissement des ordres religieux et l'abolition
des articles organiques. Sa déception fut cruelle, car il n'obtint
rien et, dès ce jour sans doute, il n'aspira qu'au retour des Bourbons.
La prise d'Ancône exaspéra encore d'avantage ses sentiments
d'hostilité à l'égard de l'empire. Plus tard, l'occupation
de Civita-Vecchia mit le comble à son indignation. Le mariage de
raison entre l'Église et l'État avait eu pour effet, presque
immédiat, de susciter querelles sur querelles. Napoléon,
il est vrai, était un prince trop remuant ; mais, de son côté,
le pape apportait tout son mauvais vouloir à l'expédition
des affaires religieuses de la France. Et ce n'est point tant parce qu'il
an avait contre l'empereur, mais bien plutôt parce que traiter avec
l'autorité laïque lui était insupportable. Lorsqu'il
réclamait avec tant d'insistance la restitution de toutes les parties
de son domaine temporel, c'était pour que l'intégrité
de son autorité spirituelle sur son armée cléricale
ne fût pas atteinte par une diminution de sa puissance matérielle
et qu'il pût mieux écraser les États du poids de sa
domination. Dès qu'il lui paraît que, sur les champs de bataille,
Napoléon court à un échec, aussitôt il s'applique
à entraver lui-même ses relations avec la France, à
rendre son administration religieuse plus tracassière, lente, compliquée.
Mais, de plus en plus, Napoléon fait sentir à la cour de
Rome que c'est sa déchéance temporelle qu'il vise et qu'il
obtiendra, si les relations ne s'améliorent pas ; l'invasion de
l'État pontifical par le général Miollis était
un commencement d'exécution du projet impérial qui se réalisa
définitivement, quelques jours plus tard, par la main-mise sur la
puissance spirituelle du pape. Tout le sacré collège fut
épuré des cardinaux qui entretenaient des intelligences avec
les Bourbons, et, le 17 mai 1809, les États pontificaux étaient
annexés à l'empire. La papauté temporelle n'était
plus. Néanmoins, le pape conservait son autorité spirituelle.
Napoléon
n'hésita pas à s'y attaquer ; l'enlèvement de Pie
VII n'a pas d'autres raison, et il est indiscutable que la destruction
du Saint-Siège était dans la pensée de l'empereur
.
La seule vengeance
permise au pape ne pouvait être que le refus de l'institution canonique.
Et du reste, le Concordat subsistait-il réellement ? L'une des parties
contractante avait enfermé l'autre à Savone !
Napoléon
ne trouvait pas l'expédient capable de mettre un terme à
ces difficulté inextricables. Il s'en remit du soin de la chercher
à une commission ecclésiastique, mais ce n'est pas une solution
qu'il lui demandait. Il désirait être simplement instruit
sur les véritables droits de l'Église.
Les travaux
de la commission traînèrent, puis furent brusquement interrompus
par le vote d'une loi réglant les rapports du pape et de l'empereur.
L'État pontifical formait deux départements français.
Le pape ne disposerait désormais que de son autorité spirituelle
; deux millions de revenus lui étaient assurés et l'empire
aurait la charge des dépenses du sacré collège et
de la propagande. En outre, les quatre propositions de 1682 étaient
proclamées lois de l'empire.
Le Gouvernement
donnait ensuite l'ordre à tous les cardinaux romains d'évacuer
les domaines pontificaux, et il faisait saisir les archives du Vatican.
Les menées
, qui s'exercèrent autour de la captivité du pape, les complots
royalistes, qui, sourdement, se tramaient dans l'ombre, éveillèrent
les soupçons de l'empereur. Il vit que le schisme conduisait à
la restauration et se décida à convoquer une seconde commission
ecclésiastique pour parer du danger.
Elle se proposa
trois objets principaux : 1° prévenir les communications avec
le pape ; 2° faire adopter une mesure relative à l'institution
canonique ; 3° faire rendre la liberté au pape.
Quand la commission
et terminé ses travaux, à la fin mars 1811, quatre de ses
membres allèrent en députation auprès du pape lui
annoncer que l'empereur consentait à revenir au Concordat de 1801
si les évêques nommés étaient institués
; que, de plus, il pourrait se rendre à Rome, s'il prêtait
le serment prescrit par le Concordat. S'il refuse, il résidera à
Avignon, avec la liberté d'administrer à sa guise le spirituel,
et un concile d'Occident sera convoqué.
Le pape, en
réponse aux négociateurs, rédigea une note par laquelle
il s'engageait à accorder l'institution canonique aux sujets nommés,
mais il ne signa que le premier article des quatre propositions.
Il est compréhensible
que devant toutes ces intrigues l'opinion restât confondue. La convocation
d'un concile oecuménique pour le 9 juin 1811 fut un nouvel événement
qui attira l'attention du monde catholique.
Ce concile était
formé
de tout l'épiscopat de France, d'Italie et d'Allemagne ; il se tint
à l'archevêché de Paris. Son objet était de
régulariser l'ordre de l'institution canonique. M. de Pradt fait
remarquer que les Italiens paraissent plus gallicans que les Français
et ceux-ci plus Italiens, plus Romains que gallicans : voilà qui
indique que l'un des effets les plus remarquables de Concordat avaient
été de rapprocher l'Église de France de la Rome papale.
Dès l'ouverture
du concile, lecture fut donnée d'un message impérial ; c'était
une violente critique de l'attitude du pape, depuis la signature du Concordat.
L'intention formelle de Napoléon s'y trouvait formulée, d'instituer
dorénavant les évêques selon les formes antérieures
au Concordat, sans que jamais un siège pût vaquer au delà
de trois mois. Cette volonté du maître, que l'on sentait planer
menaçante déplut au concile ; ses membres demandèrent
que la liberté de discussion fût respectée par le Gouvernement
et, comme il n'en était rien, chacun s'employa à déranger
l'ordre des travaux.
La commission
des évêques proposa de déclarer le concile compétent
pour statuer sur l'adoption du mode d'institution par le métropolitain,
quand il y avait nécessité. Pareille proposition ne manqua
pas d'être repoussée ; le concile entendait que le pape, en
matière d'institution, fût le seul maître de déclarer
incompétent ; c'était aller au devant de la dissolution.
Des discussions sans fin prirent naissance. Napoléon s'apercevait
qu'un sentiment de vive hostilité contre sa personne se manifestait
en toute occasion. Loin de devenir conciliant, il montra à tous
que sa volonté était prépondérante. Les ministres
déclarèrent au Corps législatif que le Concordat n'existait
plus et que les évêques assemblés n'avaient pour objet
que de pourvoir aux sièges vacants. Dès lors, toute idée
de réconciliation paraissait bannie. De son côté, le
concile n'eut plus à cacher son jeu ; il affirma sa politique romaine.
Cependant, désireux
de préparer un terrain d'entente, Napoléon essaya de faire
prendre le change à la commission du concile en lui annonçant
que le pape entrait dans ses vues. La supercherie était trop évidente.
Le concile, un instant abusé, s'abrita de nouveau sous l'autorité
suprême du pape.
Napoléon
prit un décret de dissolution et envoya au donjon de Vincennes les
chefs de l'opposition.
Le procédé
ne fut pas sans produire quelque effet sur l'esprit des prélats
; ils se montrèrent disposés à venir à résipiscence
pour peu qu'on les y engageât. Napoléon aussi désirait
transiger à tout prix. Le concile démembré fut de
nouveau réuni ; le projet impérial se trouva être du
goût de tout le monde et son adoption se fit sans difficulté.
Il était
donc admis que les sièges épiscopaux ne pourraient être
vacants plus d'un an ; l'empereur nommerait les candidats et, dans les
six mois, le pape devrait donner l'institution canonique. En cas de refus,
le plus ancien évêque de la province ecclésiastique
présidait à l'institution.
Ce décret
devait être soumis à l'approbation du pape.
Une seconde
députation, composée de cinq cardinaux, fut envoyée
à Savone. Le pape accéda à tout ce qui lui était
proposé et sanctionna le décret du concile.
Le bref du pape
paraissait être selon les désirs de Napoléon ; néanmoins,
celui-ci crut lire entre les lignes l'expression d'une indépendance
invincible, de revendications temporelles, et il se demanda s'il n'était
pas joué. Il en eut bientôt la certitude quand, après
un long retard, les bulles d'institution canonique parurent ; le pape parlait
en maître comme si Rome était son domaine. Les bulles ne furent
pas publiées.
A cette époque,
les événements de Russie pressaient Napoléon ; aussi
voulait-il en finir avec la question du pape. Rien ne semblait plus difficile.
Pie VII se refusait à renoncer à la souveraineté de
Rome et Napoléon retardait la publication du bref parce que les
prétentions papales y étaient trop visibles. D'autre part,
l'absence de conseillers apostoliques auprès de lui interdisait
au pape d'entamer de nouvelles négociations.
Napoléon
avait hâte de brusquer les choses. Il fit connaître au pape
que, si le bref n'était pas révisé, le droit d'instituer
les évêques ne appartiendrait plus. Le pape répondit
qu'il n'obéirait pas aux injonctions tant qu'il ne jouirait pas
d'une pleine liberté. Nouvelle sommation, et, cette fois, plus autoritaire
que jamais. Mais elle resta sans résultats. Il fut donc notifié
au pape que les Concordats étaient abrogés et qu'il n'aurait
plus à intervenir dans l'institution canonique.
Le clergé,
s'étant, à maintes occasions, montré outré
de la conduite de l'empereur à l'égard du pape, ne se contint
plus et fulmina au grand jour contre le maître de la France. La réponse
ne se fit pas attendre.
Un décret
du 15 novembre 1811 porte un coup terrible à l'enseignement religieux,
en exigeant que les élèves des institutions libres suivent
les cours des établissements laïques et en inscrivant que toutes
les écoles pour candidats à la prêtrise soient soumises
à l'Université ; que, du reste, il n'en soit toléré
qu'une par département. En outre, les élèves des séminaires
n'obtiendront aucune sorte de bourses, et ils seront soumis au service
militaire. Les arrestations de prêtres loyalistes se multiplient
à ce moment, et les chapitres doivent obéissance aux évêques
nommés par l'empereur. Enfin, le pape est transféré
de Savone à Fontainebleau, ce qui paraît aggraver le caractère
de sa captivité.
Mais après
le désastre de Russie, l'empereur revint plus conciliant. L'alliance
avec l'Église lui parut une consolation à ses déboires
; il fit tout pour aboutir à un rapprochement. Le 29 décembre
1812, l'empereur écrivit ses intentions à Pie VII. Peu de
temps après, l'évêque de Nantes se présenta
auprès du pape en négociateur. Mais cette première
tentative resta vaine. Napoléon alla lui-même à Fontainebleau,
le 18 janvier. Quelques jours suffirent pour amener une entente parfaite,
et le 25 janvier, le Concordat de 1813 était signé.
Le pape devait
exercer le pontificat en France et dans le royaume d'Italie de la même
manière et dans les mêmes formes que ses prédécesseurs.
C'était déjà une sérieuse concession à
l'Église. Mais le but de ce concordat était d'établir
une institution canonique régulière : il fallait que les
vacances indéterminées de sièges devinssent impossibles.
Sur ce point, il paraît que que Napoléon a pu dicter ses propres
instructions. Six mois étaient accordés à l'empereur
pour nommer et six mois au pape pour instituer ; les six mois expirés,
le métropolitain, et à son défaut l'évêque
le plus proche, aurait à procéder à l'institution.
Mais, Pie VII
avait bien tenu à signifier qu'il acceptait ces dispositions par
"considération
à l'état actuel de l'Église"
Napoléon,
heureux d'être enfin parvenu à une résolution acceptable,
offrit au pape 300 000 fr. Pie VII les réfusa. Il ne pouvait se
résoudre à accepter la paix, et il attendit une occasion
pour revenir sur ses engagements.
En effet, l'article
sur l'institution des évêques était, à ses yeux,
la négation même de la souveraineté spirituelle, et
toutes les concessions qu'avait pu lui faire Napoléon ne rachetaient
pas ce douloureux sacrifice. Pourtant, l'empereur étant allé
jusqu'à l'extrême limite des concessions que pouvait permettre
le souci de son prestige et la sauvegarde de ses droits.
N'avait-il pas,
avec l'abandon des articles de 1682, remis au pape les évêchés
de ses états pontificaux ?
Mais qu'était
cela pour le pape ? Ce qu'il réclamait, c'était l'intégrité
de sa puissance et, ne reculant pas devant une nouvelle rupture, il refuse
les bulles instituant les nouveaux évêques. Puis, par une
lettre datée du 24 mars, il reprit sa parole. Le lendemain même
parut un décret rendant obligatoire le concordat de 1813 à
tous les archevêques, évêques et chapitres, et déférant
aux cours impériales, et non plus au conseil d'État, le recours
comme d'abus.
Il n'était
plus possible de conclure un accord. Napoléon s'y résigna.
Il pourvu d'évêques les diocèses vacants et s'interdit
toutes relations avec Pie VI. Dans la suite, il réfléchit
que se réconcilier avec le pape serait d'un heureux effet sur l'esprit
de ses ennemis, et il fit dire à son prisonnier que la souveraineté
temporelle ne lui serait plus contestée s'il agréait l'amitié
l'amitié de l'empereur. Pie VII se refusa à de nouvelles
ouvertures, "la restitution de ses états,
disait-il,
étant un acte de justice"
.
Pareille situation
eût été sans issue si les coalisés, en abattant
l'empire, n'avaient en même temps rendu au chef de l'Église
sa pleine et entière liberté.
Ils la lui rendirent
trop complète pour que les Bourbons pussent échapper à
son emprise théocratique. Ce furent eux qui, en livrant l'État
aux chaînes de l'Église, permirent à celle-ci de reprendre
un nouvel essor, une puissance qui pèsera sur tout un siècle
et contre laquelle le pouvoir laïc n'essaya de lutter que par intermittence.
Après
Coblentz, une nouvelle génération sacerdotale envahissait
la France. L'Église devint double. Il y avait plusieurs évêques
pour un seul siège, et le clergé resté en France n'était
que toléré. Une refonte le ferait disparaître.
Telles étaient
les disposition d'esprit des hommes de la Restauration à l'égard
de l'Église, de la Révolution et de l'empire. Leur programme
réformiste était dicté par la même haine des
années vécues depuis 1789.
Les rapports
entre l'Église et l'État redevenaient ce qu'ils étaient
sous la monarchie. Par conséquent, l'Église reconquérait
sa puissance temporelle. Les anciens diocèses étaient reconstitués
et le clergé doté en biens-fonds ou en rente perpétuelles.
Les ordres religieux pouvaient accroître leurs biens indéfiniment.
Les évêques réfractaires, connus sous le nom de "petite
Église", émettaient encore d'autres prétentions.
Louis XVIII
n'était pas d'avis de les suivre jusqu'au bout de leurs prétentions.
La charte proclame la liberté des cultes, mais elle dit que le catholicisme
est la religion de l'État. Les prêtres constituaient son entourage
et le circonvenaient. Après avoir détruit l'Université,
le 17 février 1815, Louis XVIII proposa à Rome de rétablir
le concordat de François 1er ; mais Pie VII répondit que
le Concordat de 1801 avait été librement consenti par lui.
Le retour de
Napoléon interrompit les négociations.
La seconde Restauration
déchaîna les fureurs réactionnaires que l'on connait.
Elle voulut, plus encore que la première, l'Église toute-
puissante. Non seulement le parti des prêtres réclamait la
restitution des biens non vendus, mais même une inscription de rentes
au grand livre de la dette publique. Ses revenus eussent été
de 82 millions. La chambre introuvable regimba contre de telles prétentions.
Il y eut des royalistes assez avisés pour affirmer que l'État
avait le droit de supprimer les corporations ; que, par suite, la propriété
de ces corporations appartenaient légitimement à l'État.
L'article concernant le retour à l'Église des domaines non
vendus fut seul voté.
L'Église
ne se tint pas pour battue. La souveraineté par l'argent lui échappant
en partie, elle réclama le monopole de l'enseignement afin d'imprimer
une empreinte ineffaçable sur l'esprit des générations
futures et d'assurer ainsi son règne moral.
Louis XVIII
se vit déborder par les prêtres et leurs partisans ; il inclina
vers un léger libéralisme et fit reprendre les négociations
avec Rome.
Le 25 août
1816, l'ambassadeur du roi auprès du souverain pontife put enfin
expédier à son gouvernement un projet de concordat. Le concordat
de 1516 serait rétabli, mais celui de 1801 n'était pas annulé.
Seuls, les articles organiques devaient être établis. En outre,
le pape exigeait la démission des évêques qui ne reconnaissait
point le Concordat de 1801.
Ces propositions
n'eurent pas le don de plaire à Paris. Le gouvernement monarchique
n'était point opposé aux articles organiques.
De nouvelles
négociations aboutirent. Le 11 juin 1817, le quatrième concordat
avait pris forme.
Son apparition
remua extrêmement l'opinion. Elle donna naissance à un nombre
considérable d'écrits, la plupart contre cette convention.
On était,
en effet arrivé à une époque où tout acte religieux
émanant de Rome inspirait une vive défiance. La plus violente
critique porta sur ce point que le Concordat est tout de matière
bénéficiale, alors qu'il n'y a plus de bénéfices.
Et ces bénéfices, il n'est pas dit quel en sera le nombre
ni qui les payera.
L'opinion se
révoltait contre l'abolition des articles organiques, parce que
publiés, disait le Concordat, sans l'aveu du Saint-Siège
et, parce que contraires à la doctrine et aux lois de l'Église.
Or en quoi atteignaient ils ces lois ? On ne saurait le spécifier
exactement ; mais il est probable que le principal grief du pape consistait
à reprocher à ces articles la liberté qu'ils accordaient
aux ordinaires d'informer sur les évêques nommés.
Enfin, l'augmentation
des sièges épiscopaux paraissait exorbitante ; l'État
oubliait trop que c'était le contribuable qui devait en faire les
frais. " L'ordre religieux se maintient par
tributs publics, les établissements religieux ne peuvent être
multipliés que par impôts."
cette
vérité, M. Frayssinous la méconnaissait trop, lorsqu'il
disait qu'il est bon de multiplier les sièges pour qu'il y ait plus
de prêtres et plus de vocations. A quoi M. de Pradt répliquait
: " M. Frayssinous entend-il que la France
devienne une tribu de Levi uniquement occupée à produire
des prêtres et de provoquer des vocations ?"
D'autre part, les évêques choisis étaient ceux qui
s'étaient signalés par une longue opposition à la
constitution civile, à la Révolution et à l'Empire.
L'opinion publique
n'était donc pas sans inquiétude. Pour la rassurer, le Gouvernement
publia un projet de loi garantissant les libertés. Mais il n'atteignit
que difficilement son but.
Le Concordat
paraissait antinational au premier chef. Il était contraire au droit
public, au gouvernement constitutionnel, au droit du gallicanisme. La France
s'était laissée imposer quatre-vingt douze diocèse
; elle avait toléré que le pape, pour pourvoir à l'entretien
de l'Église, assignât lui-même une dotation en bien-fonds
ou en rente de l'État.
Dans toutes
ces dispositions, le Concordat et la bulle de circonscription avaient l'aspect
d'une provocation à la société nouvelle.
On a dit qu'à
cette époque la France devenait une "terre
d'indemnités". Rien n'est plus vrai.
Le budget de 1818, à la charge du Trésor, était de
29 millions, et encore faut-il ajouter à ce chiffre les dépenses
locales, les suppléments de traitements, les entretiens de cathédrales,
d'évêchés, etc., etc.
Mais le Gouvernement
se ressaisissait. Il décida qu'un projet de loi serait présenté
aux Chambres pour rendre la convention de 1818 plus acceptable ; mais,
peu après, il le retira, pour ne pas courir le risque d'aller à
un échec. Il aima mieux se contenter d'envoyer à Rome un
négociateur pour amender le Concordat ; ce fut le comte Portalis
. Un accord eut lieu entre Rome et la France sans qu'il y eut abrogation
du Concordat. Il constitue la France en pays d'obédience, c'est
à dire que les évêques en fonction ont l'autorisation
d'administrer les nouveaux diocèses. Cet accord, qui n'avait pour
but que de pourvoir aux sièges vacants, fait dépendre du
pape tout l'ordre religieux.
Le clergé
se plaignait d'avoir été tenu à l'écart de
cette dernière négociation avec Rome ; on pouvait lui répondre
qu'il avait pris soin de faire défendre ses intérêts
par le pouvoir temporel. Cette observation qui faisait écrire à
un homme d'État de l'époque : "Le
clergé continue d'attacher son salut à la protection du temporel."
Le temporel
d'alors ne méritait pas le reproche de ne pas assez prendre soin
du clergé.
Dans son rapport,
le ministre de l'intérieur trace au roi le tableau ancien et nouveau
de l'Église en France.
Avant 1815,
le budget du clergé actif était de 11 500 000 fr.
En 1819, il
est de 25 millions. Les pensions ecclésiastiques se montent à
11 millions.
Et cette somme
de 33 millions était doublée, chaque année, par les
suppléments de traitement que votaient les conseils généraux
et les communes.
Le traitement
des curés de 1re et de 2e classe augmentait en proportion de l'âge.
Les vicaires généraux et chanoines étaient inscrits
pour une somme de 5 000 fr. Les archevêques et évêques
pour la somme de 10 000 à 50 000 fr. Les séminaires recevaient
un supplément de pension de 300 000 fr. Les congrégations
religieuses avaient à se partager la somme de 200 000 fr. Et pour
la réparation des églises, on prévoyait une somme
de 650 000 fr.
Le clergé
manifestait cependant le plus vif mécontentement. Dans leur lettre
au pape, les évêques, sous prétexte de réclamer
l'exécution du Concordat, se plaignent de la précarité
de leur traitement. Le roi dut s'engager à faire jouir le clergé
"d'une position stable et définitive"
et d'augmenter le nombre des sièges épiscopaux, selon sa
promesse et selon les "formes constitutionnelles".
Mais, répondant
au clergé, le pape annonce que le Concordat est suspendu, parce
que la création des quarante-deux nouveaux sièges est cause
d'embarras financiers et que le royaume ne cesse d'apporter des obstacles
à l'exécution du Concordat.
Les évêques
en fonctions conservaient l'administration des circonscriptions, conformément
à la bulle de 1801, et le pape instituait les évêques
nommés aux sièges vacants.
L'avortement
du Concordat exaspéra le parti clérical. Jamais, a-t-on écrit,
la cour de Rome n'a reçu "d'hommage
aussi ardents". Et quand les royalistes et
les ultramontains arrivèrent au pouvoir, après la chute du
libéral Decazes, l'église triompha pleinement.
Dix-huit nouveaux
sièges furent crées. La France était soumise à
Rome. Les contestations n'étaient plus possibles, puisque le Gouvernement
avait aliéné se droits de gouvernement libre. La question
primordiale qui parut nécessiter le Concordat, la régularisation
de l'institution canonique, n'a plus sa raison d'être ; les ultramontains
agissent comme bon leur semble, suivant les intérêts de l'Église
universelle.
La Révolution
de 1830 ne fut pas irréligieuse, mais les hommes qui en bénéficièrent
paraissaient résolus à repousser les entreprises théocratiques
et à débarrasser le Gouvernement des doctrines ultramontaines.
Ils ne purent y réussir, soit que leur énergie combative
n'égalât pas celle du parti clérical, soit que la conscience
des nécessités politiques modernes leur fit défaut.
Et cependant
le programme d'action anticlérical était dicté, pour
ainsi dire, par l'église elle-même. Elle visait, pour l'instant,
à l'anéantissement de l'Université ; il était
donc de toute nécessité de protéger et d'affermir
celle-ci. Les congrégations, affluant de tous côtés,
attendait la chute de la rivale pour s'emparer de de l'enseignement et
arrêter l'essor des idées d'émancipation ; il importait
d'appliquer les lois contre certaines d'entre elles et de dissoudre les
autres. Rien de tout cela ne fut fait.
Le clergé
séculier, aux ordre de Rome, put, sans risques ni péril,
mener la contre-révolution, de concert avec le clergé régulier.
Ils firent tourner au cléricalisme le plus éhonté,
le Gouvernement de Juillet ; ils dénaturèrent l'oeuvre révolutionnaire
de 1848 ; ils préparèrent le coup d'État de Décembre
et triomphèrent sous ce régime, qui abattit définitivement
l'enseignement universitaire, favorisa les congrégations, protégea
le concile de 1869 et accomplit, en moins de vingt ans, un tel effort de
réaction, que la troisième République en est réduite
à étayer l'édifice politique de la Révolution
sapé, durant près d'un siècle, par ses pires ennemis.
Le labeur est
immense, car les crimes commis contre la liberté sont innombrables
; mais nous atteignons le moment où nous verrons la chaîne
se renouer.
Déjà,
par la libération de l'Université, par la loi sur les congrégations,
un vaste terrain est reconquis. Nous voici un jour où la séparation
de l'Église et de l'État mettra fin à ce mariage insensé,
contre nature, de deux parties qui ne parlent pas le même langage
et qui sont d'espèces différentes.
En 1830, il
est incontestable cependant qu'une victoire fut remportée. On supprima
de la charte que le catholicisme est la religion d'État. Un pareil
acte contenait comme l'engagement implicite de rompre tous les liens concordataires
avec l'Église. Lamenais, d'ailleurs, ne s'y trompera point quand,
un peu plus tard, il écrira que la séparation est inscrite
dans la charte du 7 août.
Cependant, en
l'absence de toute nouvelle réglementation, les principes du Concordat
de 1801 et des articles organiques constituèrent la base des rapports
entre le Vatican et le gouvernement français. Mais le pouvoir laïque
restait incapable de faire respecter ce Concordat, qui n'avait pour raison
d'être que de l'asservir à l'Église ; tandis que les
obligations de l'État vis-à-vis du clergé étaient
énormes, celui-ci demeurait en dehors de tout engagement. Il y a
plus : le clergé combattait l'esprit dont s'était inspiré
le Concordat en travaillant à ruiner l'autorité civile et
à se substituer à elle.
Certains ecclésiastiques
répugnèrent à jouer ce rôle, non par pure moralité,
mais pour assurer le repos à leur conscience et pour combattre avec
plus d'indépendance ; ils s'élevèrent contre le Concordat
et en demandèrent la suppression. Un grand mouvement d'opinion prit
ainsi naissance : Lamennais, Montalembert
, Lacordaire , tous ultramontains déterminés,
en étaient les promoteurs. Leur conception n'était pas sans
grandeur. Partisans de la prédominance du spirituel sur le temporel,
ils revendiquaient pour l'Église une une indépendance absolue.
Libre, elle saurait conquérir la suprématie à laquelle
elle est appelée par la loi divine, s'emparer de ce qui est de sa
compétence et que l'État s'est approprié. L'Église
seule a pour mission de régénérer l'humanité.
Lamenais et
ses sectateurs ne pouvaient désavouer les conquêtes de la
Révolution, puisque, dans leur pensée, l'Église se
substitue à l'État pour réaliser le bonheur des peuples.
Dès lors, l'Église doit être elle-même et non
plus compromettre sa cause en servant des dynasties et des oligarchies
; et, en se séparant de l'État, en refusant fidélité
aux factions politiques, en n'étant qu'universelle et apostolique,
il ne serait plus possible de l'abîmer d'accusation affreuses : complaisances
envers le gouvernement, convoitises temporelles, atteintes aux droits de
l'homme.
Pour vivre
sa vie propre, il ne fallait à l'Église que la liberté
et l'égalité. Et, à la monarchie de Juillet se réclamant
de la Révolution de 1789, ce sont toutes les liberté que
Lamenais demandait pour elle : liberté des cultes, de l'enseignement,
de la presse, de réunion. Afin de mieux défendre, avec sa
belle ardeur, ses théories, Lamenais fonda, en octobre 1830, un
journal politique, l'Avenir, qui, dès son premier
numéro, indiquait sa tendance :
" Tous les amis de la religion
doivent comprendre qu'elle n'a besoin que d'une seule chose, la liberté.
Sa force est dans la conscience des peuples, non dans l'appui des gouvernements.
Elle ne redoute de la part de ceux-ci que leur dangereuse protection, car
le bras, qui s'étend pour la défendre, s'efforce presque
toujours de l'asservir ..."
La campagne de l'Avenir
dura un an. Elle fut ardente, impétueuse, mais remarquable par sa
logique et sa bonne foi. Maints articles fourmillent d'argument en faveur
de la séparation, qui, si elle doit affranchir l'Église d'une
tutelle qui lui fait horreur, n'en sera pas moins féconde en avantages
pour l'État.
Et l'on ne saurait
dire que l'opinion de Lamenais demeurait sans écho. Innombrables
sont les lettres que le directeur de l'Avenir recevait des membres du clergé
et qu'il publiait à la bonne place. Plusieurs prêtres d'un
diocèse du Nord lui écrivent que le clergé "
ne sera hostile à aucun gouvernement qui lui laissera toutes les
libertés et tous les droits spirituels qu'il tient de la divine
institution. Plus de nominations aux évêchés et aux
cures par les hommes du pouvoir, plus de budget ecclésiastique.
Nous voulons une liberté large, sauf la soumission aux lois et au
droit commun".
Un autre groupe
de curés signe cette autre déclaration : "
Nous ne demandons au Gouvernement ni protection ni privilèges. Nous
préférons notre indépendance et la liberté
à de prétendus bienfaits. Entre Dieu et le Trésor,
il faut choisir. La liberté de notre conscience, de notre culte,
de notre hiérarchie, voilà notre premier besoin."
Les appréciations
de la presse parisienne sur la campagne de l'Avenir furent
très divers. Le Globe dit que l'État continuera
à payer le clergé , parce qu'il ne pourra se passer d'un
Salvum
fac. Le Courrier français souscrit
à l'opinion de Lamennais. Liberté pour tous ; par ce moyen,
on déchargeait le budget national de 36 millions. La Gazette
de France craint que la suppression du budget des cultes n'entraîne
la chute de la plus grande partie des établissements ecclésiastiques.
Le Journal des Débats fait des réserves ; il
s'étonnerait qu'on accordât à une classe d'hommes une
liberté sans surveillance, que nul ne possède dans l'État.
A cette objection, l'Avenir répond : "
L'État connaît le citoyen ; il ignore le prêtre ; le
prêtre n'est atteint par l'État que quand il viole une obligation
de citoyen."
Cependant, le
Courrier
français, favorable à la séparation, se demandait
si "ce projet plairait aux archevêques,
évêques et aux prêtres catholiques. L'archevêque
de Paris consentirait-il jamais à renoncer à son palais épiscopal,
à ses 100 000 fr. de traitement et à Conflans ?"
Et le Courrier raille M. de Frayssinous possesseur de "canapés
soyeux", d'un "
billard", entouré de
"toutes les jouissances de la vie".
Ces encouragements
permettent à Lamenais de triompher. Il proclame que "la
religion ne peut être sauvée que par la liberté, et
que la condition de cette liberté est la séparation totale
de l'Église et de l'État".
Et, à
tous ceux qui veulent des atermoiements, il demande "si
les rapports qui unissaient l'Église à l'État, lorsque
celui-ci était catholique, peuvent subsister lorsqu'il a cessé
de l'être".
Alors, prenant
une plus exacte conscience de la justice de la cause qu'il défend,
à ses arguments secs, rudes, impitoyables il mêle des invectives,
un esprit sarcastique, dont ses adversaires se montrent confondus :
"Si Néron
ressuscitait, écrit-il, et qu'il envoyât un prétorien
vous demander un Te Deum, on vous condamnerait à le
chanter. S'il réclamait votre bénédiction avant de
frapper le ventre de sa mère et que vous eussiez l'audace de la
lui refuser, tous les préfets de l'empire vous adresseraient une
proclamation, au nom de l'honneur et de la patrie, pour vous rappeler que
vous vivez des bienfaits de l'État. Car, entendez-le : ils exigent
de vous des prières dont votre conscience ne reste pas juge et ils
l'exigent en n'invoquant qu'une raison ; c'est que vous êtes payés
; ils n'ont pas besoin d'être justes : vous êtes payés.
"Ils n'ont point de compte
à vous rendre : vous êtes payés ... Catholiques ! voilà
ce que vous coûtent les millions de l'État : la liberté
de conscience."
Ainsi, par respect
pour la dignité de l'église la séparation de l'Église
et de l'État s'imposerait.
Elle s'imposerait,
parce que, nous dit Lamennais, "L'Église
veut accomplir ses destinées". De quel
droit l'État peut-il l'en empêcher ? Si ces destinées
sont périlleuses pour lui, il saura intervenir, pensent aujourd'hui
les partisans de la séparation.
On connaît
la fin de Lamennais et de ses théories, Celles-ci, il n'en faut
pas douter, furent partagées par l'ensemble du clergé, par
les humbles curés qui aspiraient à "n'avoir
que dieu pour patrimoine". Mais elles furent
désavouées par l'idole même de Lamennais, par le pape.
Quant aux évêques, ils refusaient de devenir pareils aux "prolétaires"
. Le 15 novembre 1831, l'Avenir dur cesser de paraître.
Mais les opinions
qui y furent si âprement défendues ayant produit un certain
ébranlement dans l'Église, le pape, par son encyclique du
15 août 1832, fulminait contre les principes de 1789, que le Concordat
approuvait ; et, fait étrange, la séparation y était
condamnée , comme attentatoire à la puissance spirituelle.
Les amis de
Lamennais poursuivirent la lutte dans un sens qui ne pouvait que plaire
à Rome. Ils ne parlèrent plus de séparation, mais
réclamèrent la liberté d'enseignement et la liberté
d'association.
La monarchie
de Louis-Philippe s'inféodant de jour en jour au clergé,
on ne voit pas ce qui pouvait empêcher le Gouvernement de céder
aux instances de l'Église. Le budget des cultes atteignit la somme
de 34 491 000 fr. en 1840 et il augmentait chaque année, selon une
proportion constante. Grâce à un nombre considérable
de sociétés religieuses militantes, les associations s'emparaient
de tout le territoire français. Les couvents et fabriques
ouvraient leurs caisses aux dons et legs ; la "main-morte"
devenait formidable. les congrégations non autorisées violaient
la loi, sûres de l'impunité et essaimaient leurs établissements
en tous les départements, en toutes les régions. On disait
que les jésuites sortaient
"de dessous
terre" ; et, dès qu'ils apparaissaient
en quelque endroit, c'étaient des acclamations enthousiastes. Les
doctrines des disciples d'Ignace de Loyola formaient la substance de l'enseignement
donné dans des écoles religieuses. Une
"association catholique" , composée
d'éléments divers, se posait comme l'état-major de
cette guerre à outrance contre la société civile ;
elle encourageait les combattants et leur indiquait les tactiques de faire
triompher Rome.
La mission des
soldats du Christ était aisée, le gouvernement lui-même
ouvrant les partes aux ennemis de l'État.
Dès lors,
grassement renté, officiellement protégé, libre de
s'enrichir, bien stupide eût été le clergé s'il
ne s'était plaint que la monarchie ne lui accordait pas les faveurs,
les avantages auxquels il déclarait avoir droit. Selon ses dires,
l'autorité laïque n'avait n'avait pas à lui mesurer
ses libéralités ou plutôt, la restitution des pouvoirs
spirituel ou temporel dont la Révolution l'avait frustré.
Louis-Philippe
pensait sans doute comme le clergé. Et quand l'archevêque
de Paris vint lui dire que l'Église réclamait la liberté
de l'enseignement, s'il n'avait tenu qu'à lui de la décréter,
il n'aurait pas su refuser à l'Église un régime sous
lequel elle comptait écraser les dernières libertés.
Mais elle ne
doutait pas du succès. Guizot , en
1836, lui avait donné des preuves certaines de son dévouement
en autorisant la création d'établissement libres. En 1843,
ses dispositions d'esprit ne paraissent pas moins favorables ; il se devait
d'élaborer une loi enfin efficace, démolissant les derniers
remparts du monopole universitaire.
En effet, le
principe de la liberté de l'enseignement fut consacré par
la loi ; mais le ministre Villemain, peu favorable aux jésuites,
l'ayant présenté, le parti clérical ne voulut pas
considérer la force qu'il en retirait. La surveillance et l'inspection
de l'État étaient à ses yeux des survivances d'une
époque impie, et l'article qui obligeait les directeurs à
déclarer qu'ils n'appartenaient à aucune congrégation
non autorisée était condamnable au premier chef par les lois
de l'Église. Il disait que la liberté d'ouvrir des institutions,
presque sous condition n'avait rien de loyal. Et Villemain se voyait voué
aux gémonies, alors qu'il s'était efforcé de plaire
à Montalembert et de mécontenter les Troplong, les Dupin,
qui proclamaient les droits de l'État sur l'éducation publique.
De nouveau,
l'Église fit entendre un branle-bas de combat. Elle réédita
ses accusations contre l'État qui, dans ses écoles, encourageait
le parricide, l'homicide, l'inceste, l'adultère, l'infanticide,
etc. Le Gouvernement subissait les pires affronts, souffrait les menaces.
Il n'était plus possible de faire face au débordement des
passions cléricales. C'est alors que l'on remarqua, au palis Bourbon,
parmi les partis de gauche, un courant d'opinion en faveur d'une rupture
entière avec l'Église. Déjà en 1843, Lamartine,
à la tribune, avait avoué qu'il ne connaissait qu'un moyen
à l'État pour résister aux assauts des factions cléricales
: la séparation. Quand, un an après, la loi Villemain fut
mise en discussion, cette opinion, bien que prévalant chez les républicains,
n'osa s'affirmer avec force et conviction.
Le 24 mai 1845
à la suite de débats passionnés, la loi sur l'enseignement
secondaire, amendée dans un sentiment clérical, fut adoptée
par la Chambre des pairs. La surveillance et l'inspection n'appartenait
plus à l'État, mais à un conseil de l'enseignement.
C'était dire que l'Université n'avait plus la confiance du
pays.
Cependant, la
Chambre des députés ne paraissait nullement disposée
à voter la loi. Thiers , rapporteur
du projet, énumérait toutes les garanties auxquelles l'État
ne pouvait renoncer. Son rapport bannissait les complaisances que l'on
serait tenté d'accorder aux partis de l'Église. Et, timidement
encore, il laissait entrevoir la nécessité pour le gouvernement
d'enchaîner le cléricalisme par une loi sur les congrégations
Jamais les jésuites
n'avaient été aussi redoutables. Incroyables était
leur pouvoir sur les croyants ; et l'Église tout entière
se trouvait entre leurs mains. Poussé par eux, l'archevêque
de Lyon ne venait-il pas de condamner les articles organiques ?
Il avait une
opinion favorable à la répression. Thiers ouvrit les hostilités
; il démontra que les lois sur les congrégations n'avaient
cessé d'être en vigueur et que les évêques français
inféodés à l'ordre des jésuites constituaient
un "péril national".
Son ordre du
jour était explicite mais le Gouvernement ne cacha pas qu'il aimait
mieux s'entendre avec Rome. Il en fut ainsi décidé.
Les jésuites
s'organisèrent pour la résistance. Et, quand Rome répondit
au Gouvernement que les jésuites n'existeraient plus en France,
ils étaient prêts à interpréter à leur
façon la volonté du pape. Ce fut une duperie.
Du reste, ce
qui suivit montre amplement que Thiers et les autres avaient été
joués.
Le comte de Salvandy,
succédant à Villemain, élabora, à son tour,
un nouveau projet de loi sur l'enseignement, de concert avec des conseillers
à sa dévotion. L'Université n'était plus consultée.
Le ministère l'avait achevée.
Aussi l'Église,
reprenant confiance, assura le succès des élections de 1846.
Ses candidats annonçaient que "la lutte
pour la liberté religieuse n'aurait ni fin ni trêve"
. Ils devinrent, au Parlement, une majorité importante. Et, pour
le gouvernement, les élections prenant le caractère d'une
indication formelle, la tolérance vis-à-vis de l'Église
devint politique.
Sous le couvert
même de l'État, qui cessait de jour en jour d'être laïque,
les congrégations prirent une nouvelle vigueur, tandis que les professeurs,
les fonctionnaires civils se voyaient dénoncés, persécutés,
poursuivis. La délation des hommes et des doctrines était
à l'ordre du jour.
Et le clergé,
inassouvi, continuait à se plaindre. Son porte-parole auprès
du pape fut l'archevêque de Paris lui-même. Le projet de loi
Salvandy était devenu insuffisant. D'ailleurs, à quoi bon
cacher son jeu ? L'Église disait bien haut qu'elle voulait l'anéantissement
de l'État.
Ainsi, durant
tout le règne de Louis-Philippe, la lutte de l'Église contre
l'État fut surtout dirigé contre l'Université. C'était
elle qu'il fallait abattre pour que l'écroulement de tout l'édifice
laïque s'ensuivit.
On sait que que
la révolution de 1848 fit surgir un état d'esprit à
la fois socialiste, républicain et catholique. Sans doute, les idées
de Lamennais avaient germé.
Dans ce retour aux doctrines
de la primitive Église et à lévangile, où la
bourgeoisie libérale reconnaissait, sans difficulté, les
rudiments d'un bon gouvernement démocratique, le haut clergé
ne se berçait pas d'illusions. Ses visées n'avaient pas cessé
d'être la conquête intégrale du pouvoir spirituel par
l'enseignement et la soumission absolue de la France à l'ultramontanisme.
Nul doute qu'à
cette époque le clergé plébéien n'ait éprouvé
une sincère sympathie envers les sentiments fraternitaires, mais
chez les catholiques de haute volée, l'attachement aux opinions
démocratiques n'était que calcul ; les faits qui suivirent
ne le prouvèrent que trop.
Lamennais et
certains de ses amis restèrent fidèles à leurs idées.
Ils s'imaginaient que la séparation de l'Église et de l'État
était une mesure qui ne pouvait que trouver bon accueil au sein
d'une Assemblée libérale. Erreur ; la Constituante, après
avoir affirmé qu'il est des devoirs et des droits antérieurs
aux lois positives accorde la liberté à tous les cultes,
sans renoncer à salarier le clergé.
Il est vrai
que le Concordat, avec ses articles organiques, apparaissait comme un monument
législatif quelque peu démodé, depuis qu'une Constitution,
animé d'un souffle nouveau, régissait les Français.
De bons esprits pensèrent que que les rapports entre l'autorité
et le pouvoir spirituel réclamaient une consciencieuse révision.
Le comité des cultes eut à examiner des propositions ; mais
aucune n'aboutit, les ecclésiastiques du comité ayant fait
ressortir que les législateurs français, sans le consentement
et les lumières du pape, ne pouvaient s'autoriser à refondre
les lois concordataires.
En revanche,
le comité consacra de longues séances à discuter des
propositions de réforme, qui toutes s'inspiraient du souci de républicaniser
le sacerdoce. Mais de nouveau on rencontra l'opposition des évêques.
L'idée de 1789, d'appeler le peuple à l'élection des
évêques, sans être théoriquement combattue, fut
repoussée comme impraticable. De même, il ne fut pas possible
de faire admettre que les desservants, ne jouissant pas de l'inamovibilité
curiale fussent en droit d'être assimilés aux curés
après cinq ans d'exercice. Mais les évêques avaient
trop grand soin de défendre l'intégrité de leur autorité
despotique pour qu'on pût leur adhésion à de telles
formules.
Voilà
qui montre suffisamment que l'Église, loin d'abandonner les privilèges
qu'elle tenait du Concordat, manifestait, à chaque occasion, sa
ténacité à défendre pied à pied le statu
quo de 1801. Ce qui suivra fera jaillir les idées cachées
et montrera que ses ambitions, sans limites, encore non avouées,
aspiraient jusqu'à détrôner l'État.
Pour atteindre
à ses fins, elle avait sa politique. Rien ne lui aurait servi de
découvrir son jeu ; avant de ruiner le prestige de l'État
et de le démanteler, elle avait à l'utiliser.
L'autorité
temporelle du pape étant mise en danger par les révolutions,
qui allaient changer la face de l'Europe et constituer de nouvelles nationalités,
le clergé n'eut de cesse, avant d'avoir convaincu le Gouvernement
que les traditions françaises lui commandaient de courir au secours
de Rome. Mais pour qu'un pareil acte pût s'accomplir, elle aperçut
fort bien qu'une toute autre politique gouvernementale devait être
inaugurée. N'est-ce pas elle qui a contribué de toute son
influence au succès du coup d'État qui confia les destinées
de la France au plus dangereux des princes ? En tant que président
de la République, Louis-Napoléon lui avait donné les
plus sérieux gages de son dévouement ; grâce à
lui, le pape rentrait en possession de ses États et, par la suite,
de sa puissance temporelle et l'enseignement prenait d'emblée un
caractère nettement anticlérical. La main mise sur l'éducation,
l'Église ne pensait réaliser que plus tard cet article de
son programme ; d'un coup sa prédominance s'établissait au
centre même du pouvoir national. C'était une seconde campagne
de Rome, selon le mot de Montalembert, une "campagne
de Rome à l'intérieur" . Le
comte Falloux , ministre de l'instruction
publique, la mena à bien.
Il présidait
lui même la commission à qui était confié le
soin d'élaborer la nouvelle loi. Thiers faisait fonction de vice-président,
obéissant aux ordres de Dupanloup, de Montalembert, de Riancey.
Les débats furent vivement menés ; mise en discussion en
janvier 1850, la loi fut votée le 15 mars de la même année.
En voici les dispositions
essentielles :
Un conseil supérieur
de l'Université groupait huit membres de l'Université, trois
archevêques, un évêque, un ministre protestant, un ministre
de la confession d'Augsbourg, trois conseillers d'État et trois
membres de l'Institut ; chacun d'eux était élu par ses pairs
; le gouvernement ne désignait que trois représentants de
l'enseignement libre.
Les attributions
de ce conseil étaient suffisamment vastes pour priver l'Université
d'une direction directe et effective de l'enseignement ; règlements
d'examens, de concours, programmes, surveillance des écoles libres,
autorisations de livres, créations de facultés, de lycées,
etc., etc.
D'autre part,
les conseils académiques dirigeaient sans contrôle enseignement
primaire et enseignement secondaire qui étaient, l'un et l'autre,
accessibles aux religieux. Le titre de ministre du culte suffisait pour
professer dans les écoles primaires et aucune autorisation administrative
n'était requise pour ouvrir une école libre, secondaire ou
primaire.
De tous côtés,
la loi ouvrait des voies d'accès à l'envahissement du clergé.
L'Église
triompha et dès lors ne se crut plus tenue à cacher l'audace
de ses entreprises. Après l'enseignement, l'assistance publique
devint l'objet de ses convoitises. Le gouvernement n'eut garde de la mécontenter
; dans toutes les lois sur la bienfaisance, l'influence cléricale
fut favorisée et devint prépondérante.
Le Concordat
lui-même n'était plus observé. Les évêques
quittaient leurs diocèses ; ils allaient à Rome recevoir
des bulles pontificales. Bien plus, ils se plaçaient en dehors du
droit commun sans être inquiétés ; les conciles, les
synodes se multipliaient, alors que pour les autres citoyens la liberté
de réunion avait disparu.
Il est tout
naturel que les conséquences financières de cette renaissance
cléricale aient été importantes. En 1848, le budget
des cultes était de 42 millions ; en 1852, de 44 millions ; en 1858,
il dépassait 46 millions.
En outre, l'État
subventionnait de nombreuses communautés. Et les couvents, par les
dons et legs autorisés et par des fidéicommis, atteignaient
un chiffre de fortune considérable. En 1859, les congrégations
étaient propriétaires de 14 66O hectares de terre ; la valeur
des immeubles leur appartenant s'élevait à 105 millions ;
leurs valeurs en portefeuille restaient ignorées.
Quant aux congrégations
non autorisées, rien ne s'opposait au développement de leur
influence et de leurs richesses.
Les prescriptions
de l'autorité laïque était impunément violées.
La loi Falloux
portait ses fruits. Les écoles primaires n'avaient qu'à de
rares exceptions des instituteurs laïques. Et, dans l'enseignement
secondaire, le nombre des lycées et des collèges diminuait,
tandis que les établissements libres se multipliaient et prospéraient.
En 1850, 914 écoles dirigées par des évêques,
des prêtres séculiers ou des congrégations, étaient
signalées ; en 1854, elles étaient au nombre de 1 081. D'autre
part, des séminaires pour enfants possédaient au bas mots
25 000 élèves.
Enfin, les ordres
hospitaliers prenaient une influence toujours plus grande. Les hôpitaux
s'ouvraient aux soeurs de la charité ; les petites soeurs des pauvres,
en moins de quatre ans, acquéraient pour plus de 25 millions de
francs de biens-fonds déclarés. Des sociétés
de propagande, sous le couvert de la charité, agitaient l'opinion
et rendaient l'Église plus militante, plus active qu'elle n'avait
jamais été.
Napoléon
III laissait donc l'Église prendre soin de ses intérêts
en lui accordant toutefois la plus large protection. Il n'avait que le
soucis de marcher sur les brisées de son oncle et il rêvait
d'être sacré pareillement par le Saint-Siège. Mais
celui-ci entrevoyait l'affaire sous l'aspect d'un marché ; il imposait
ses conditions : abolitions des articles organiques et de la loi sur le
mariage civil. Napoléon résista et les négociations
avortèrent.
Le résultat
fut un changement dans la politique de l'empire. La loi Falloux fut amendée
dans un sens plus libéral : le nombre des académies passa
de 86 à 16 et les recteurs jouirent d'une plus grande indépendance
vis-àvis de l'épiscopat.
Mais l'empereur
allait avoir d'autres occasions de lutter contre l'ultramontanisme vainqueur.
Pie IX, mis en
goût par la puissance temporelle et spirituelle que depuis longtemps
Rome n'avait pas possédée à un tel degré, formait
le projet d'en finir avec les principes de la Révolution. L'Église,
il se l'était promis, devait dépasser son omnipotence, en
absolutisme, en intransigeance, tout ce que les papes rois du moyen âge
avaient pu rêver.
En premier lieu,
l'Église avait à s'affirmer infaillible. Pie IX n'avait pour
cela qu'à agir en souverain absolu, au mépris de tout concile
oecuménique. Il proclama donc, de sa propre autorité, le
dogme de l'Immaculée conception de la Vierge, le 8 décembre
1854.
L'épiscopat,
que Rome n'avait pas consulté, ne se rebiffa point, tant il s'était
donné corps et biens, à l'ultramontanisme. Mais Napoléon
témoigna quelque humeur contre Pie IX, qui décelait trop
ouvertement sa fiévreuse ambition. Ensuite, l'empereur se rapprochait
de Victor-Emmanuel ; et ce ne pouvait être qu'au préjudice
du pape, car un des premiers articles du programme piémontais était
le démembrement de l'État pontifical. Dès que l'empereur
le sut, il mit au service de la cause italienne l'armée et l'argent
de la France ; mais, dès que son entourage lui présenta qu'il
s'aliénait l'Église s'il persistait dans sa politique internationale,
il signa avec l'Autriche les préliminaires de Villafranca.
Cependant, le
peuple italien, qui voulait, à tout prix, réaliser l'unité
nationale, ne comprit pas que l'on arrêta la révolution. Le
traité de Villafranca disait, en effet, que la confédération
italienne aurait le pape comme président honoraire, à la
condition qu'il introduisit dans son royaume les réformes indispensables.
Mais de telles stipulations ne pouvaient être prises au sérieux
; le pape se refusait à les admettre, tandis que les initiateurs
du mouvement populaire entendaient que le mouvement unitaire ne reçût
aucune entrave.
Cette agitation
détruisit la bonne entente qui jusque-là avait régné
entre l'empire et l'Église. Napoléon, attaqué par
le haut clergé, encourageait ceux-là qui prêchaient
au pape l'abandon de sa souveraineté temporelle. Et lui-même
écrivit à Pie IX de renoncer à ses légations
qui naturellement, par la force de choses, se détachaient de lui.
La réponse
du souverain pontife fut une encyclique déclarant qu'en vouloir
à son autorité spirituelle équivalait à haïr
son pouvoir spirituelle, et que les États du Saint-Siège
étaient la légitime propriété, non de la papauté,
mais du monde catholique.
Ces véhémentes
protestations n'empêchèrent pas l'annexion des légations
pontificales au Piémont. Pie IX en fut réduit à excommunier
ses spoliateurs.
Alors, le catholicisme,
sans distinctions de nuances, déclare la guerre à l'Empire,
"fauteur de désordre", choryphée
de l'anarchie. L'on vit se répandre des brochures cléricales,
où les théories les plus séditieuses se donnaient
carrière. D'un autre côté, les partis démocratiques
reprochaient à l'empereur d'avoir manqué à ses engagements
par le traité de Villafranca.
Le gouvernement
impérial se maintient en protestant du dévouement de l'empereur
au Saint-Siège et en donnant des ordres pour que les troupes françaises
quittassent Rome.
Cette duplicité
ne pouvait qu'aggraver l'état de choses. L'empereur crut trouver
un modus vivendi; il fit connaître au pape qu'il était prêt
à lui garantir l'intégrité des possessions qui ne
lui avaient pas été confisquées, et que les puissances
catholiques ne lui refuseraient pas un subside et un corps de troupe. L'orgueil
du pape était trop irréductible pour qu'il acceptât
; c'est à l'aristocratie catholique qu'il se résolut à
jeter un appel désespéré. On sait que ce ne fut pas
en vain.
Un nouveau Coblentz
sembla renaître à Rome, et l'irritation de Napoléon
s'accrut d'autant.
L'audace du
pape précipita le dénouement. Son armée, défaite
à Castelfidardo, mit fin aux hésitations. Cavour ouvrit à
Turin le premier Parlement italien.
L'Église,
blessée au coeur, gémit et se révolta. Les mandements
épiscopaux prirent la couleur d'appels à la guerre civile
; ils suscitèrent parmi les croyants la plus vive émotion.
Et bientôt toute la bourgeoisie conservatrice, et même libérale,
manifesta à l'égard de l'empereur une indignation telle que
celui-ci, en manière de réponse, tempéra son absolutisme
gouvernemental. Le sénat et le Corps législatif furent autorisés
à juger la politique impériale, et le prince Napoléon
eut toute la liberté pour combattre à la tribune la puissance
temporelle de la papauté. On vit alors les partisans cléricaux
de Napoléon passer dans le camps de l'opposition, exhaler leurs
lamentations en face de leurs espoirs ruinés.
Napoléon,
aigri par cette agitation, n'aurait pas répugné à
se rapprocher de Rome ; mais Pie IX repoussait toutes les ouvertures de
transactions comme injurieuses pour sa dignité. D'ailleurs, il n'était
pas sans agir ; 280 ecclésiastiques venaient, par son ordre, d'affirmer
l'inviolabilité des domaines pontificaux et de jurer fidélité
à une théocratie absolue, négation radicale de tous
les principes du droit moderne.
Toutes ces démonstrations
accusaient plus profondément le divorce moral entre l'État
laïque et l'Église. Napoléon le sentit tellement qu'il
engagea la Russie et la Prusse à reconnaître le nouveau royaume
d'Italie. Mais, cédant aux instances de certains conseillers, craignant
que sa majorité d'autrefois ne tournât à la légitimité
ou à l'orléanisme, Napoléon imprima à sa politique
une direction nouvelle. A l'Italie, qui réclamait Rome pour capitale,
il ne répondit pas; au parti clérical qui, depuis des mois
l'outrageait et le vilipendait, il fit des avances pour la constitution
d'un ministère conservateur. Le maintien du pouvoir temporel du
pape devint, aux élections de 1864, l'article primordial du programme
des candidatures.
Néanmoins,
Pie IX ne sut aucun gré à l'empereur de ce revirement. Il
ne craignit pas de lui créer des embarras, dès qu'il en eut
l'occasion. De vive force, il imposa la liturgie romaine au diocèse
de Lyon. Et il s'obstina dans ses errements gouvernementaux, si opposés,
si contraires aux principes de 1789.
Il est vrai
que la France blessait les convictions du souverain pontife. Après
l'opposition gouvernementale, de bons catholiques battaient en brèche
sa politique théocratique. Au congrès de Malines, Montalembert
fit le procès de l'Inquisition et réclama toutes les liberté,
jusques et y compris celle de "l"erreur".
De telles "hérésies"
décidèrent enfin Pie IX à rompre les liens qui créaient
quelques solidarité entre lui et les États laïques,
à condamner radicalement les sociétés issues de la
Révolution.
La convention
du 15 septembre 1864, par laquelle la France et l'Italie s'engagèrent
à respecter Rome, si l'ordre n'y était pas troublé,
parut au pape une menace dissimulée, d'autant plus que les deux
gouvernements lui avaient laissé ignorer les négociations.
Le
Syllabus
Pie IX n'y tint
plus et se sépara avec éclat d'une société
qu'il abominait. Le 8 décembre 1864, l'encyclique Quanta cura
apprit au monde la rupture complète du droit laïque et des
principes théocratiques, la déclaration de guerre ouverte,
sans trêve ni merci, que le pape adressait aux gouvernements qui
refusent de se soumettre à sa puissance temporelle et spirituelle.
Et pour qu'il n'y eût pas d'équivoque, Pie IX spécifia
dans le Syllabus les quatre-vingt propositions
qualifiées : Erreurs principales de notre temps, que Rome tiendrait
pour hérétiques.
La prépotence
du pouvoir civil, la libre recherche de la vérité, les droits
de la conscience, la neutralité scolaire, le droit civil, le suffrage
universel, la police des cultes, la civilisation moderne, l'indépendance
de la morale et de la philosophie vis-à-vis du catholicisme, la
science, la liberté de la presse et de la parole, tels sont les
objets principaux que le souverain pontife vise et réprouve. Enfin
la séparation de l'Église et de l'État est la cinquante-cinquième
proposition, que l'on ne saurait formuler sans encourir les foudres de
la Rome papale.
Les catholiques
se voyaient donc dans la nécessité de prendre parti pour
l'État ou pour l'Église ; de proclamer celle-ci supérieure
à celui-là ou d'abjurer leur foi.
Beaucoup d'entre
eux - le plus grand nombre - avaient, depuis longtemps, promis obéissance
à Rome ; quant aux intolérants, ils résistèrent
dans leur conscience aux injonctions de la papauté. Les évêques
lancèrent des mandements destinés à faire connaître
aux fidèles l'esprit de l'encyclique et du Syllabus
; dans leur chaire, ils commentèrent abondamment les deux
documents romains. Un seul gallican osa les critiquer. Le gouvernement
impérial, qui vainement s'opposa à la propagation des paroles
papales, mis moralement en demeure de se prononcer, répondit, selon
la coutume, d'une façon détournée, en projetant de
faire décréter la gratuité et l'obligation de l'enseignement
primaire. Duruy fut chargé du rapport. Mais Napoléon, circonvenu
par Thiers et par un certain nombre de conservateurs, qui réagissaient
contre l'opposition républicaine, désavoua le rapport Duruy.
Puis, quelque
temps après, Pie IX ayant réprimandé les ecclésiastiques
fidèles à l'empereur, Napoléon, las de cette ingérence
continue de Rome dans ses affaires, se rapprocha de l'Italie unifiée,
en ordonnant le rappel du corps d'occupation.
Cependant, comme
il apparaissait de bonne politique de ménager les ultramontains,
il déclara respecter la souveraineté temporelle du Saint-Siège.
Mais il est
nulles transactions qui puissent tempérer l'ardeur du clergé
militant ; l'oeuvre laïque de Duruy était maintenant le point
de mire de l'Église. Que prétendait-il inaugurer ? La soumission
des congrégations enseignantes au droit commun. Rome encourageait
ses fidèles de France de ses prédications théocratiques.
Pie IX, au mois de juin 1867, exaltait le Syllabus devant
450 évêques et projetait, ce même jour, la réunion
d'un concile oecuménique pour décider que la politique nouvelle
du Saint-Siège sera enseignée comme un dogme et que l'infaillibilité
pontificale deviendra un acte de foi. Il rêvait d'une monarchie papale
et tenait à s'assurer le concours des évêques dans
les luttes futures ; ceux-ci, après la destruction de l'Église
monarchique, n'avaient plus que le pape comme objet de sincère attachement.
Contre les révolutions politiques et sociales, qui pouvaient de
nouveau survenir, ils estimaient que l'Église trouverait la force
de résister aux assauts de ses adversaires dans la fusion intime
des pouvoirs ecclésiastiques, dans l'absolutisme de ses doctrines
et de ses commandements. Ce coup d'État religieux jugé nécessaire,
un concile oecuménique fut convoqué pour le 8 décembre
1869.
Dans sa bulle
d'induction de 1868, le pape indiquait que le but du concile était
de fortifier la discipline ecclésiastique ; d'examiner et de déterminer
ce qu'il convient de faire "en ces temps si
calamiteux " pour proscrire les
"sectes impies" et "redresser les erreurs
qui bouleversent la société civile".
De nouveau,
le gouvernement impérial allait être anathémisé
par le prochain concile ; ce n'était point douteux. Et pourtant
il avait sacrifié à cette Rome intolérante la précieuse
amitié de la jeune Italie, vaincue à Mentana par l'armée
même de Napoléon. Contre ce pouvoir exorbitant du Saint-Siège,
qu'il avait à la fois louangé et blâmé, critiqué
et protégé, il ne lui était plus possible de conclure
une alliance pour la suprême sauvegarde du droit moderne.
Les intentions
de l'Église ne pouvaient cependant faire illusion aux gouvernements
des puissances dites catholiques. Pour lutter contre "l'esprit
du siècle", contre le "
mal", il n'était à ses yeux
qu'un procédé : ériger en lois positives, en dogmes,
le contenu et de l'encyclique et du Syllabus, affirmer les droits inébranlables
de Sièges apostolique.
Du reste, la
bulle de convocation, le 29 juin 1868, fut commentée dans la basilique
de Saint-Pierre en des termes tels que les fidèles et les dirigeants
des nations purent avoir un avant-goût de ce que seraient les prochains
débats du concile. Le concile, disait le doyen des protonotaires
apostoliques, devra "réprimander tout
vice et repousser toute erreur, afin que notre auguste religion et sa doctrine
salutaire reprennent partout une vigueur nouvelle, qu'elles se propagent
de jour en jour, qu'elles reconquièrent leur légitime empire"
.
Les convocations
furent faites aux cardinaux, aux évêques, aux abbés,
selon les traditions des précédents conciles. Seulement,
pour la première fois, les "princes
laïques" ne reçurent aucune invitation.
N'étaient-ce pas eux qui, autrefois, convoquaient les conciles,
les imposaient au pape ? Benoît XIV remarquait même que la
présence des princes ou celle de leurs ambassadeurs relevait l'éclat
des conciles.
La bulle de
Pie IX ne faisait que s'adresser indirectement à ces "
princes laïques" en un langage quelque
peu dédaigneux : " Nous voulons croire,
disait-elle, que les souverains et les chefs des peuples, particulièrement
les princes laïques, reconnaissent de plus en plus avec quelle abondance
tous les biens découlent de l'Église sur la société
humaine ..."
Mais n'était-ce
pas consacrer, par une situation de fait, la rupture politique entre les
États moderne et l'Église, que de ne point inviter les princes
laïques à assister aux travaux du concile ? Par la publication
de l'Encyclique et du Syllabus, Pie IX s'était inscrit
en faux contre l'esprit même du Concordat de 1801 : la reconnaissance
par la papauté de la Révolution de 1789 et de toutes les
réformes juridiques, politiques et sociales qui en découlaient,
sécularisation de l'État, expropriation des biens du clergé,
abolition des corporations religieuses, etc. ne point consulter le pouvoir
civil, c'était donc confirmer ouvertement la dénonciation
du Concordat par Rome elle-même.
Et il parait
indiscutable que la séparation de l'Église d'avec l'État
laïque était une volonté expresse du Saint-Siège
; mais c'était une séparation morale, en quelque sorte, la
dénonciation d'un Concordat fondé sur des théories
impies, mais aussi la conservation de ce même Concordat en tant qu'il
assure à l'Église des avantages pécuniaires. La casuistique
seule peut expliquer cette subtilité.
La bulle d'induction
présentait aussi une nouvelle doctrine : celle de l'infaillibilité
pontificale. Une telle innovation suffisait à infirmer la valeur
légale du Concordat, l'Église revêtant un caractère
spirituel et temporel qu'elle n'avait pas au temps des négociations
de 1801. Il eût été opportun pour nos hommes politiques
et nos jurisconsultes de l'époque d'envisager la situation nouvelle
créée par l'Église et de s'éloigner du pape,
puisqu'il prétend être roi du monde spirituel et temporel,
tout-puissant, infaillible, avec qui, par conséquent, ne saurait
être conclu ni contrat ni concordat. Des avantages, des privilèges,
comment les lui concéder, les lui reconnaître, puisqu'il n'est
aucun prince du temporel au-dessus de lui ?
Le concile s'ouvrit
le 8 décembre 1869 à la basilique de Bramantes et de Michel-Ange.
Dès le début, il apparut que l'Église aurait recours
à la pire intransigeance pour combattre le principes laïques.
L'archevêque de Paris, plus libéral que ses coreligionnaires,
en informe l'empereur et n'hésite pas à faire appel à
son intervention. Il avoue d'abord que la liberté de discussion
n'est pas respectée ; puis :
"je
me demande, dit-il,
si l'intérêt général, l'intérêt
de de la société religieuse et civile n'exige pas qu'on nous
vienne en aide. Le gouvernement de l'empereur ne pourrait-il pas faire
connaître au gouvernement pontifical les appréhensions que
les débuts du concile causent même à des esprits sérieux
et non prévenus, et lui laisser entrevoir les conséquences
possibles des tendances et des agissements signalés ... ? ne faudrait-il
pas dire au public ... que l'on veille à ce que les intérêts
dont l'État est le défenseur soient suffisamment sauvegardés
et à ce que la bonne entente, établie entre les deux autorités
par le Concordat, ne soient pas compromise comme elle le serait certainement,
si les résolutions du concile étaient trop peu en rapport
avec les institutions, les lois et les habitudes de la France ? "
Mais le gouvernement
impérial se montrait résolu à se désintéresser,
comme incompétent, des objets que le concile discutait.
Cependant, le
21 janvier, les pères du Concile reçurent un schéma
sur la constitution de l'Église, le schéma nommé de
Ecclesia. Il est divisé en quinze chapitres ; vingt et un
canons le complètent.
Les chapitres
affirment que l'Église est un "corps
mystique" qu'elle est une société
parfaite, spirituelle et surnaturelle, que son unité est indivisible,
que la communion avec elle assure, qu'elle est indéfectible, infaillible
dans l'enseignement, qu'elle possède une puissance de juridiction,
que le pape jouit d'une primauté de juridiction et de garanties
temporelles. L'un des chapitre envisage les rapports de l'Église
et du pouvoir laïque ; et, cette fois, le concile émet l'opinion
que la séparation de l'Église et de l'État ne saurait
s'imposer. Bien plus, la loi divine la condamne, car l'État a pour
devoir primordial de protéger la seule vraie religion ; et le concile
ajoute qu'il ne sera plus question de séparation le jour où
les maîtres du pouvoir temporel reconnaîtront que l'Église
est plus précieuse que leurs États.
Mais l'Église
n'attend pas pas ce jour, sans doute encore lointain, pour prétendre
qu'elle a le droit de veiller à l'enseignement, de fonder en toute
liberté les ordres religieux qu'il lui plaira d'acquérir,
de posséder sans tolérer l'ingérence du pouvoir civil.
Les canons qui
suivent donnent à ces différents postulats l'armature dogmatique
:
"Si
quelqu'un dit que l'infaillibilité de l'Église est restreinte
aux choses contenues dans la révélation divine et qu'elle
ne s'étend pas aussi à toutes les vérités nécessaires
à la conservation intégrale du dépôt de la révélation
; qu'il soit anathème.
"Si quelqu'un
dit que les lois de l'Église n'ont pas la force d'obliger tant qu'elles
n'ont pas été confirmées par la sanction du pouvoir
civil, ou qu'il appartient audit pouvoir de décréter en matière
de religion, en vertu de son autorité suprême ; qu'il soit
anathème."
Les canons concernant
les rapports de l'Église et de l'autorité laïque ne
revêtent pas une bien grande importance ; ils sont conformes, à
cette idée, que la société civile et la société
religieuse sont l'une et l'autre deux sociétés indépendantes.
La première procède de Dieu immédiatement ; la seconde,
médiatement. Il paraissait donc que l'Église se fit tolérante,
puisqu'il n'était plus admis que la société laïque
était soumise à la puissance ecclésiastique.
Mais, dès
qu'il eut connaissance de ces canons, le gouvernement impérial s'émut.
Le comte Daru, ministre des affaires étrangères, trouva exorbitant
que le concile tranchât, de sa propre autorité, des questions
politiques, et envahit ainsi un domaine où il ne lui appartenait
pas de pénétrer. Le pouvoir d'agir, de légiférer,
de commander en dehors de l'autorité laïque, l'Église
ne saurait avoir le droit de se l'arroger et il importait de le lui contester.
Ainsi pensait
M. Daru ; mais il n'était pas libre de parler au nom du ministère,
car celui-ci s'opposait à ce que la politique de l'empire vis-à-vis
du Saint-Siège devint agressive. Rome pouvait donc empiéter
sur les droits de la société civile, sans crainte de nous
voir intervenir.
Le 6 mars 1870,
Pie IX estima qu'il était temps de faire proclamer le dogme de l'infaillibilité.
Il fit donc distribuer le schéma, concernant la question qui lui
tenait le plus à coeur. Mais ses dispositions d'esprit furent mieux
indiquées dans un bref, qu'il adressait au bénédictin
Gueranger, auteur de la Monarchie pontificale :
"Les
adversaires de l'infaillibilité sont des hommes qui, tout en se
faisant gloire du nom de catholiques, se montrent complètement imbus
de principes corrompus, ressassent des chicanes, des calomnies, des sophismes
pour abaisser l'autorité du chef suprême que Christ a préposé
à l'Église et dont ils redoutent les prérogatives.
Ils ne croient pas, comme les autres catholiques, que le concile est gouverné
par le Saint-Esprit."
Le comte Daru
s'était autorisé à rappeler le concile au droit public
français. Le 19 mars, le cardinal Antonelli lui répondit
qu'il s'étonnait que le projet de constitution de l'Église
pût faire naître des alarmes, les thèses et les principes
du concile ayant été de tous temps ceux de l'Église
; un bon catholique ne peut nier que la mission de l'Église soit
de conduire les hommes à une foi surnaturelle. Et puis, insinue
avec impertinence le cardinal Antonelli, l'État français
n'a-t-il pas le concordat pour le protéger ? "Les
rapports de l'Église et de l'État sur des objets de compétence
mixte ayant été réglés par ce pacte, les décisions
que le concile du Vatican viendrait à prendre en semblable matière
n'altéreraient pas les stipulations spéciales conclues par
le Saint-Siège tant avec la France qu'avec d'autres gouvernements,
toutes les fois que ceux-ci de leur côté ne mettent point
d'obstacle à l'entière observation des choses convenues."
Il
est certain qu'ainsi que le faisait obligeamment entendre le cardinal Antonelli,
le Concordat pouvait être invoqué contre un excès d'audace
de l'Église. Mais d'autre part, et c'est un cercle vicieux, si les
enseignements du schéma de Ecclesia avait sur les esprits l'influence,
prévue par l'Église, le Concordat, violé par les catholiques,
deviendrait inexistant. M. Émile Ollivier, lui-même en convient,
et il va jusqu'à prévoir l'apparition d'un nouveau
Concordat tout pénétré de l'esprit théocratique.
Cependant les
chéma de Ecclesia et ses canons n'étaient
pas les actes du concile qui donnaient surtout lieu aux inquiétudes
des défenseurs de l'ordre laïque. Le schéma sur l'infaillibilité
seul, assombrissait l'avenir. Cette infaillibilité absolue, personnelle,
dictatoriale, apparaissait comme un élément de subversion
pour les États et pour l'Église, car elle avait trop de points
de contact avec les conditions politiques des sociétés.
Il fut convenu,
en conseil des ministres, qu'un mémorandum serait adressé
au pape, protestant contre les maximes qui subordonnent la société
civile à la société religieuse ; mais le ministère
spécifie que son intention n'est que morale. Quel effet dès
lors pouvait-elle produire sur Rome ?
Les débats
suivirent leur cours. Et le 24 avril, la constitution de fide
était adopté. C'était toute une série de propositions
dogmatiques sur la création, la révélation, le rapport
de la raison avec la foi.
La discussion
de l'infaillibilité était impatiemment attendue de tout le
monde catholique. Et il n'était pas une puissance étrangère
qui se désintéressât des résolutions du concile
à ce sujet. Les croyants approuvaient et blâmaient ; en Angleterre,
en Allemagne, on tendait vers la protestation. La France était profondément
divisée.
Le 13 mai la
discussion s'ouvrit. Les discours furent nombreux et passionnés.
Une des raisons justifiant l'infaillibilité fut qu'il faut
"garantir la divine certitude avec laquelle la révélation
chrétienne s'est transmise jusqu'à nous".
La minorité contre l'infaillibilité ne combattait pas la
doctrine, mais la définition dans le moment présent, son
opportunité.
La constitution
relative à l'infaillibilité fut enfin adoptée le 18
juillet.
Elle est divisée
en chapitres. Le premier a trait à l'institution de la papauté
apostolique ; les suivants dissertent sur la perpétuité et
la nature de cette primauté, enfin sur le "magister
infaillible" du souverain pontife.
Il y est dit
que l'infaillibilité est destinée à affermir les bases
de l'Église. Le concile en donne la définition :
" Le pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est à
dire lorsque, remplissant la charge de pasteur et de docteur de tous les
chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique,
il définit qu'une doctrine sur la foi ou sur les moeurs doit être
crue par l'Église universelle, jouit pleinement, par l'assistance
divine qui lui a été promise dans la personne du bienheureux
Pierre, de cette infaillibilité dont le divin rédempteur
a voulu que son Église fût pourvue en définissant la
doctrine touchant la foi et les moeurs ; et par conséquent de telles
définitions sont irréformables d'elles-mêmes et non
en vertu du consentement de l'Église."
Tel est le dogme.
Anathème contre celui qui y contredirait.
On en voit toutes
les conséquences. Le pape désormais ne consultera plus l'épiscopat
avant de formuler ses définitions, qui sont définitives,
irréformables, obligatoires, grâce uniquement à "l'assistance
divine" ; le pape demeure le seul maître.
Contre lui,
les
"princes laïques"
ne sauraient opposer leurs théories, leurs politiques ; vainement
, ils prétendraient l'influencer, le circonvenir, l'amener à
composition ; l'ère des pactes est définitivement close.
D'autre part, le pouvoir pontifical s'isole de l'épiscopat pour
ne point s'exposer à des menées personnelles, dont les suites
fatales seraient l'affaiblissement de sa toute puissance.
Les évêques,
qui constituèrent au concile la minorité opposante, firent
leur soumission. Et le Gouvernement français lui-même ne mit
aucun obstacle à la publication de la Constitution. Il est vrai
que des événements plus graves occupaient alors son attention.
L'Italie seule
répondit au concile. En septembre 1870, elle anéantissait
la puissance temporelle du pape ; c'était obéir à
la logique de son histoire. Il n'en est pas moins vrai que ce coup cruel
porté à la soi-disant invulnérabilité du pontificat
déchaîna la réaction ultra-catholique qui, se réclamant
du Syllabus, rompit en visière avec la troisième république
et l'eût mise en péril si les partis démocratiques
n'avaient sonné le ralliement en face de l'ennemi commun.
On vient de voir
comment la papauté, poursuivant son évolution naturelle,
avait fait inscrire dans sa constitution l'infaillibilité du chef
suprême de l'Église, infaillibilité qu'elle avait déjà
revendiquée au cours des siècles et qu'elle imposait désormais
à ses fidèles comme un article de foi.
Ce dessein persévérant
d'atteindre à la domination universelle se manifesta en France au
lendemain des événements de 1870, à l'heure où
la nation venait de se donner la forme républicaine. A mesure que
la démocratie se développera dans notre pays, à mesure
que les esprits s'éveilleront plus nombreux aux vérités
scientifiques, apparaîtra plus profond l'abîme qui sépare
le catholicisme romain de la civilisation moderne. Des mois seront édictées
pour dégager progressivement les intelligences enfantines de l'obscurité
du dogme. De là des luttes, des crises, dont on a perdu le souvenir.
Avant qu'un Parlement ait pu envisager comme possible - et prochaine -
la séparation complète des Églises et de l'État,
des mesures de transition ont dû être prises, qui toutes ont
provoqué les protestations les plus vives à la cour de Rome.
Nous les allons indiquer brièvement et l'on verra que depuis trente-cinq
ans la société laïque a marché, d'un pas mesuré
mais sûr, vers son émancipation définitive.
En 1873, l'Église
romaine est toute-puissante. En pleine crise nationale et sociale, au moment
où l'Assemblée nationale expédiait les affaires de
France, dans une pétition, les évêques n'avaient pas
craint de réclamer le rétablissement du pouvoir temporel
du pape. Habile aux expédients parlementaires, M. Thiers avait su
faire enterrer la protestation par le renvoi pur et simple au ministère
des affaires étrangères, malgré l'intervention de
l'évêque Dupanloup. le 24 mai consacre le règne du
clergé. Une délégation de la Chambre s'est retirée
des obsèques civiles de M. le député Brousses. Dans
un ouvrage d'une belle tenue littéraire, qui prend par instant l'allure
d'un pamphlet, MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix font un exposé
de la situation du clergé, que nous ne pouvons mieux faire que de
citer :
"Mis
en possessions d'églises, d'édifices innombrables, dont la
flèche domine les villes, tous les hameaux, dont les cloches remplissent
l'air, attestent qu'il est partout et que nul ne peut lui échapper,
de séminaires où il élève ses recrues, le
clergé prélève sur le budget de l'État une
somme de 49 millions, qui chaque année augmente ; le budget de l'instruction
publique est de 36 millions.
"Ce n'est pas
tout : du département et des communes, il touche une somme minimum
de 31 millions ; soit une part dans l'impôt général
de 80 millions. A ces 80 millions, vous, nous tous, libres penseurs, contribuons.
"Ce n'est pas
tout : ces hommes qui sont au conseil supérieur de l'instruction
publique, ce sont des évêques et des archevêques ; ils
sont encore dans le conseil départemental de l'instruction publique
; ils nomment et destituent l'instituteur. Voici le curé qui entre
dans l'école, la loi de 1850 à la main, disant à l'instituteur
: Vous devez, avant toute autre, l'instruction religieuse.
"Le prêtre
est partout : il a l'assistance publique, on le trouve dans les prisons,
à l'armée, sur chaque vaisseau. L'armée lui prête
ses canons et ses armes pour célébrer ses fêtes. Généraux,
fonctionnaires, magistrats, professeurs suivent ses processions et courbent
la tête sous la bénédiction de l'évêque.
"Quant à
ses charges, il n'en a pas ; il est exempt du service militaire, il en
fait exempter ses acolytes ...
"Et quand le
prêtre a pris sa place partout, dans toute la société,
quand il tient l'éducation d'une main, l'assistance de l'autre,
il descend dans la congrégation. Les articles 291 et 292 du code
pénal lui sont inconnus. La congrégation se forme, se développe,
enfonce ses racines dans le sol, en fait émerger de vastes casernes,
d'immenses bâtiments, séquestre, enferme des multitudes, fouille
de ses tentacules toutes les couches sociales pour en aspirer la vie et
la richesse."
La
solution de MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix était celle que
nous préconisons aujourd'hui : répondre aux principes de
persécution du clergé, par des principes de liberté
; rejeter les prêtres dans leurs églises, pour que soit affranchie
la société laïque.
Depuis que ces
lignes ont été écrites, la solution qu'elles préconisaient
n'a pas été atteinte ; mais des mesures de défenses
ont été prises par la société laïque pour
lutter contre l'ingérence cléricale ; elles sont présentes
dans tous les esprits. Les noms de Gambetta
, de Jules Ferry surtout, de Paul Bert, de Goblet
, de Waldeck-Rousseau et de
Combes
demeurent attachés au souvenir de ces mesures, de ces réformes
essentielles.
C'est Jules
Ferry , qui, en 1879, a fait voter la loi réorganisant le conseil
de l'enseignement public, et les conseils académiques. L'élément
ecclésiastique qui s'y était glissé à la faveur
de la loi Falloux en était éliminé. C'est Jules Ferry
qui fit voter la loi restituant à l'État le monopole de la
collation des grades universitaires, supprimant les jury mixtes, obligeant
les élèves des établissements libres d'enseignement
supérieur à prendre leurs inscriptions dans les facultés
de l'État ; et enlevant le droit d'enseigner ou de diriger un établissement
d'instruction à tout membre d'une congrégation non autorisée.
Mais cette dernière
disposition, adoptée par la Chambre, fut repoussée
par le Sénat. C'est le fameux article 7. Jules Ferry suppléa
à cette lacune de loi, en prenant les décrets du 29 mars
1880, qui, au nom des lois existantes, prescrivaient la dissolution des
congrégations non autorisées. Il était encore ministre
de l'instruction publique dans le cabinet Freycinet. Il les fit appliquer
quelques temps après, comme président du conseil. Il est
de nouveau ministre de l'instruction publique en 1882, et il fait voter
la loi prescrivant la gratuité, l'obligation et la laïcité
de l'instruction primaire.
L'oeuvre laïque
de Jules Ferry se continue par la loi qui faisait participer les séminaristes
aux obligations militaires. Enfin, le ministère Waldeck-Rousseau
fit voter cette loi sur les associations qui, depuis que la République
existe, fut réclamée comme le prélude indispensable
à la séparation, notamment par M. Gobelet. On va voir comment,
appliquée par M. Combes, avec une énergie à laquelle
tous les républicains ont rendu hommage, elle devait logiquement
avoir pour conséquence la séparation.
Mais il convient
auparavant, par quelques faits empruntés à notre histoire
depuis trente ans, de répondre à ceux qui prétendent
que le Concordat a réalisé la pacification religieuse dans
le pays.
En réalité, le Concordat
ne fut jamais observé, dans sa lettre par la papauté. Il
n'y eut d'accord entre elle et la France qu'au moment où Rome espérait
pouvoir reprendre, dans notre pays, sa suprématie perdue.
Trois occasions permirent surtout
au clergé ultramontain de manifester ses secrètes tendances.
Rarement, la crise fut plus aiguë
qu'en mai 1877. Elle fut le contre-coup d'une décision de la Chambre
italienne. Celle-ci avait voté une loi sur les abus du clergé,
qui avait soulevé l'indignation de la papauté. Au cours d'une
allocution, qu'il prononça à l'occasion d'un consistoire,
Pie IX dénonça comme des persécutions dirigées
contre l'Église certaines mesures législatives, telles que
la conversion de la mainmorte ecclésiastique, la sécularisation
de l'enseignement public ; et il invita les évêques à
agir auprès de leurs gouvernements en faveur du Saint-Siège
opprimé.
Un certain nombre de députés
et de sénateurs français, appartenant à la droite
du Parlement, firent, à ce propos, une démarche auprès
de M. Decazes, alors ministre des affaires étrangères, lequel
répondit évasivement. Obéissant aux injonctions papales,
des évêques faisaient parvenir au Gouvernement des mandements.
L'évêque de Nimes annonçait que "le
pouvoir temporel des papes revivrait après quelques secousses profondes
où s'engloutiraient peut-être bien des armées et bien
des couronnes". Dans une lettre au maréchal de Mac-Mahon,
l'évêque de Nevers le suppliait de "renouer
la chaîne des anciennes traditions de notre France, et de reprendre
sa place de fils aîné de l'Église". L'évêque
de Nevers avait pris également soin de faire parvenir copie de cette
lettre à tous les maires de son diocèse, en réclamant
leur concours officiel à la propagande des évêques.
Pour répondre à cette
agitation anticoncordataire, M. Jules Simon
, alors président du conseil, interdit le colportage de la pétition
"dont les termes sont offensant pour les pouvoirs publics d'un pays voisin
et ami". Certaines tolérances, dont on usait à l'égard
du clergé catholique, furent restreintes. A la Chambre des députés,
une interpellation signée des président des trois gauches,
permit à M. Jules Simon de faire connaître "les
mesures qu'il avait prises et se proposait de prendre pour réprimer
les menées ultramontaines dont la recrudescence inquiétait
le pays".
M. Jules Simon constate, dans son
discours, que "le clergé et la religion catholique
ont en France autant et peut-être plus de liberté qu'ils n'en
ont jamais eue. Ainsi, les évêques se rassemblent en synodes
sans autorisation ; ils se rendent sans autorisation à la cour de
Rome ; ils possèdent ... Enfin, on publie des bulles et des brefs
pontificaux, et je dois dire que si c'est sans autorisation qu'on les publie,
c'est aussi sans légalité ; jamais de telles infractions
n'auraient été tolérées par les régimes
précédents".
M. Jules Simon promet, en terminant,
de faire appliquer la loi ; mais c'est Gambetta qui exprima le sentiment
de la gauche.
"Il faut savoir,
dit-il,
que depuis 1870, depuis qu'on a proclamé le dogme qui a fait que
du pape le docteur infaillible des vérités de l'Église,
le clergé et l'épiscopat français ne comptent plus
d'opposants, ne comptent plus de résistants, et quand Rome a parlé,
tous sans exception, les prêtres, les curés, les évêques,
tout le monde obéit.
"L'esprit clérical,
avec habileté et la souplesse qui le caractérisent, a commencé,
au début, par être fort modeste en ses prétentions.
Il s'est contenté de demander une humble place au soleil ; puis,
quand cette place a été obtenue, il n'a cessé de ridiculiser,
de couvrir de ses sarcasmes la déclaration de 1682, c'est-à-dire
les anciens principes de l'Église de France".
En terminant, l'orateur déclare qu'il ne veut défendre le
Concordat que tout autant que le contrat sera interprété
comme un contrat bilatéral qui oblige l'Église et la tient,
comme il oblige l'État et le tient.
"Il faut que, malgré le mépris que peuvent inspirer au robuste
bon sens de la France ces menées coupables, le Gouvernement déclare
qu'il entend délivrer la France des étreintes de la politique
ultramontaine."
L'ordre
du jour suivant, accepté par le cabinet fut voté comme conclusion
des débats :
"La
Chambre, considérant que les manifestations ultramontaines, dont
la recrudescence pourrait compromettre la sécurité intérieure
et extérieure du pays, constituent une violation flagrante des droits
de l'État, invite le Gouvernement, pour réprimer cette agitation,
à user des moyens légaux dont il dispose, et passe à
l'ordre du jour."
Une
nouvelle levée de crosses se produisit, en 1891, au moment où
des pèlerins français se permirent, à Rome, d'acclamer
le "pape roi". M. Gouthe-Soulard trouva cette manifestation de son goût
et le déclara hautement. Sa réponse à une circulaire
demandant aux évêques de suspendre leurs pèlerinages,
le fit traduire devant la cour d'appel de Paris. "On
nous offre l'apaisement, disait-il
, avec un gouvernement qui a déclaré que le cléricalisme
est l'ennemi, qui a brisé le Concordat en supprimant les traitements
ecclésiastiques, qui a dispersé les congrégations
vouées à l'enseignement, à la prédication,
au soulagement des pauvres et des malades, qui a frappé d'une taxe
les congrégations autorisées, qui a édicté
l'obligation du service militaire pour le clergé, qui a chassé
la religieuse des salles d'asile et de l'hôpital ! Nous ne voulons
pas de cet apaisement ; ce serait de l'avilissement."
Une interpellation du sénateur Dide permit à M. de Freycinet
de s'expliquer au nom du Gouvernement. Le président du conseil fit
allusion, en commençant, aux manifestations épistolaires
des évêques qui avaient suivi la condamnation de M. Gouthe-Soulard.
"Il résulte de la lecture de ces documents
, dit-il, qu'une partie des membres du clergé
affiche la prétention d'être au-dessus des lois ... Ils sont
allés jusqu'à soutenir cette thèse que le ministre
de la justice, appliquant la loi à l'un d'eux, le tribunal devant
lequel il comparaissait n'avait pas la qualité pour juger. Cette
doctrine ne s'est jamais manifestée d'une manière aussi claire.
"Si les moyens
que la loi met au service du Gouvernement ne suffisent pas pour faire respecter
les droits de l'État, nous n'hésiterons pas à proposer
aux Chambres les moyens complémentaires qui pourraient nous faire
défaut.
"Je sais bien
que de ce côté-ci ( la droite), on ne reconnaît pas
la valeur des articles de loi auxquels je fais allusion. On affecte de
séparer les lois organiques du Concordat. Je sais que cette prétention
a été élevée et l'honorable M. Buffet me fait
un signe d'assentiment qui semble indiquer que, sans doute, il partage
cette opinion.
"M. Buffet,
- Complètement !
"M. le président
du conseil. - Eh bien ! je déclare, quant à moi, que je la
trouve renversante.
" ... Les évêques
sont, j'imagine, des citoyens français. Est-ce que les lois organiques
ne sont pas des lois applicables comme les autres lois ? Si ces lois répugnent
à leur conscience, qu'ils ne sollicitent pas un siège épiscopal.
Personne ne les y a contraints ...
"Nous voulons
vivre en paix ; mais nous ne voulons pas être dupes.
" Le cabinet
qui siège sur ces bancs ne croit pas avoir le mandat, ni des Chambres
ni du pays, d'accomplir la séparation des Églises et de l'État,
ni de la préparer ; mais nous avons le mandat de faire respecter
l'État, et si la séparation devait s'accomplir à la
suite de l'agitation à laquelle je viens de faire allusion, la responsabilité
en tomberait sur ses auteurs et non sur nous."
Après
le discours du président du conseil on adopta l'ordre du jour suivant
:
"Le
sénat, considérant que les manifestations récentes
d'une partie du clergé pourraient compromettre la paix sociale et
constituent une violation flagrante des droits de l'État.
"Confiant dans
les déclarations du Gouvernement.
"Compte qu'il
usera des pouvoirs dont il dispose ou qu'il croira nécessaire de
demander au Parlement, afin d'imposer à tous le respect de la République
et la soumission à ses lois, et passe à l'ordre du jour."
Cet
ordre du jour porte, entre autres signatures, celle de M. Ranc. Au cours
de la séance, M. René Goblet avait affirmé ses préférences
pour la séparation des Églises et de l'État.
Cette thèse
fut également défendue, quelques jours plus tard, à
la Chambre des députés, par M. Pichon, à l'occasion
d'une interpellation de M. Hubbard.
L'orateur constate
que, depuis le Syllabus, le clergé ultramontain n'a jamais cessé
d'intervenir dans les affaires intérieures. Le pape intervient directement
par des brefs. Dans leurs mandements, les évêques invitent
à voter pour les candidats catholiques. Dans un moment critique
pour lui, le clergé conseille au maréchal Mac-Mahon, dans
le cas où il ne serait pas soutenu par le sénat,
"de pourvoir au salut de la France d'une autre manière. Il faut
faire appel à la nation, après vous êtes assuré
de l'armée" . C'est la théorie
du coup d'État. Ce qui importe à l'Église, ce n'est
pas la tranquillité de l'État, mais le succès de sa
doctrine, qui est celle du Syllabus.
Au cours de
cette discussion, le principe de la séparation avait été
nettement posé. Il l'avait été déjà
d'ailleurs par M. de Freycinet, dans sa déclaration, après
les élections de 1885. "L'intervention
du clergé dans nos luttes politiques, et récemment encore
dans les élections,
disait-il,
est pour les esprits sages le sujet de sérieuses préoccupations.
Chacun a compris qu'une telle situation ne saurait se perpétuer
et que le grave problème de la séparation des Églises
et de l'État ne tarderait pas à s'imposer irrésistiblement.
" Et, en 1881, M. Ferry disait déjà : "
Si nous voyons, aux élections prochaines, ce que nous avons vu à
une époque toute récente, s'il se fait une collusion entre
les préfets de la France et les ennemis de la République,
alors nous demanderons la séparation ; nous qui ne la voulons pas,
nous vous dirons alors : l'heure est venue."
Chaque fois
que le problème se posait ainsi avec précision, la nécessité
d'une loi préalable sur les associations apparaissait à l'esprit.
C'est à M. Waldeck-Rousseau qu'il appartint de la faire voter.
C'est dans son
discours de Toulouse, le 28 octobre 1900, que M. Waldeck-Rousseau exposa,
pour la première fois, le problème avec une pleine lucidité.
Après
avoir prévu que la loi nouvelle qu'il allait proposer aux Chambres
aurait pour résultat de ne soumettre qu'au droit commun les associations,
il ajoutait :
"Il s'agit ensuite, par la même loi, de faire face au péril
qui naît du développement continu, dans une société
démocratique, d'un organisme qui, suivant une définition
célèbre dont le mérite revient à nos anciens
parlements, "tend à introduire dans l'État, sous le voile
spécieux d'un institut religieux, un corps politique dont le but
est de parvenir d'abord à une indépendance absolue, et, successivement,
à l'usurpation de toute autorité ..."
"Je
parle en homme qui n'est animé d'aucun esprit sectaire, mais simplement
de l'esprit qui a dominé non seulement la politique de la Révolution,
mais toute la politique historique de la France."
Dans ce même
discours, M. Waldeck-Rousseau avait fait allusion aux agitations politiques
des moines. En janvier avait eu lieu, en effet, le procès des Assomptionnistes
qui avait permis de constater l'intervention de cette congrégation
militante dans les élections de 1898.
La congrégation
fut dissoute comme illicite, et le lendemain du jour où elle était
condamnée, le cardinal de Paris, M. Richard, allait rendre visite
aux pères assomptionnistes.
Le Gouvernement
lui demanda des explications et le blâma. Il supprima, en même
temps, les traitements de l'archevêque d'Aix, des évêques
de Montpellier, Versailles, qui avaient écrit aux pères assomptionnistes
des lettres de félicitations ou d'encouragement.
Comme on le
voit, le clergé ultramontain n'avait pas abdiqué.
Le 31 janvier
1901 fut voté le premier article de la loi ; elle devait être
bientôt adoptée définitivement par les deux Chambres.
Le 3 octobre,
expirait le délai imparti aux congrégations religieuses pour
se conformer aux prescriptions de la nouvelle loi.
Sur 753 congrégations
non autorisées ( 14 d'hommes et 606 de femmes ), 53 congrégations
d'hommes avaient sollicité leur autorisation et 482 congrégations
de femmes. Les jésuites s'étaient dispersés.
Quelque temps
après, en juin 1902, M. Waldeck-Rousseau ayant abandonné
le pouvoir, M. Combes recueillit la lourde responsabilité de faire
respecter la loi nouvelle. Il le fit avec une énergie à laquelle
il convient de rendre hommage. 321 voix l'approuvèrent à
la Chambre lorsqu'il affirma que les ministres de son cabinet étaient
"
bien décidés à assurer la suprématie de la
société laïque sur l'obédience monacale". Cette
majorité lui fut fidèle et le bloc ne se déjugea point
lorsqu'il s'agit de tirer de la loi de 1901 toutes les conséquences
que nécessite son application intégrale.
L'action cléricale
se manifesta, à cette occasion, sous différentes formes.
L'agitation gagna la rue. La Bretagne fut en proie aux excitations cléricales
les plus violentes. Des officiers en service commandé refusèrent
de procéder à des expulsions. Enfin, le 15 octobre, se produisit
la manifestation traditionnelle de l'épiscopat ultramontain. Une
pétition fut adressée par soixante-douze archevêques
et évêques aux membres du Parlement pour les prier de se monter
favorables aux demandes d'autorisation formulées par certaines congrégations
religieuses. C'était une nouvelle et flagrante violation du Concordat.
Le conseil des ministres déféra "
comme d'abus" au conseil d'État cette
pétition des membres de l'épiscopat. Puis le traitement de
M. Perraud fut supprimé. L'année suivante, en avril et mai
1903, des moines furent accueillis dans les églises concordataires.
Il y eut, à ce propos, des bagarres, notamment dans les églises
d'Aubervilliers et de Belleville.
Le 19 mai, M.
Combes dut répondre à une interpellation sur "la
légalité des circulaires par lesquelles était interdite
la prédication dans les églises aux moines sécularisés."
dans sa réponse à M. Gayraud
, le président du conseil se demande si "le
Concordat et les articles organiques, qui en sont le développement
prévu et voulu, ne créent des obligation qu'à l'État,
ou si les prescriptions s'imposent également au pouvoir ecclésiastique."
"Tout le monde
sait,
ajoutait M. Combes
, que l'État n'a a sa disposition que des armes insuffisantes pour
garantir ses droits et les faire triompher.
"L'appel comme
d'abus fait sourire, et lorsqu'il est réclamé par le ministre
des cultes pour l'honneur des principes, il lui attire le plus souvent,
de la part de l'ecclésiastique incriminé, une belle protestation
publique, à laquelle nombre de se collègues s'empressent
de s'associer.
"La suppression
du traitement est d'un mode moins solennel et d'un usage plus efficace,
comme tous les coups qui frappent à la bourse. La généralité
du bas clergé la redoute. Pour le haut clergé, c'est un jeu
de la braver, quand ce n'est pas un calcul prémédité,
en raison des avantages pécuniaires qu'il en retire, sous forme
de souscriptions et d'offrandes. Reste la prison sur la paille très
peu humide ... On peut se demander seulement s'il serait sage d'y recourir
systématiquement.
" ... Quant
à nous, déclarait M. Combes, puisqu'on nous demande notre
sentiment, nous estimons préférable de faire l'opinion publique
juge de la conduite de l'épiscopat. Notre raison est que les rapports
entre l'État et l'Église catholique sont entrés, depuis
quelque temps, dans une phase nouvelle."
Le
président du conseil montre comment la procédure de l'entente
préalable, imposée par le pape Pie IX et le cardinal Antonelli
à la faiblesse des ministres de la République, a permis au
pouvoir ecclésiastique d'installer à la tête de la
plupart des diocèses de France les candidats de ses préférences
par le refus d'agrément dont il a frappé les candidats du
pouvoir civil. Alors de constantes viciations du Concordat se sont produites,
si bien que l'opinion publique se demande ce qu'elle doit augurer d'un
tel spectacle.
"
Pour peu que le spectacle se prolonge, elle sera amené à
rejeter sur le Concordat la responsabilité d'un ordre des choses,
où les écarts de conduite et les intempérances du
clergé s'enhardissent par l'insuffisance même des moyens de
répression. Puis, la logique aidant, l'opinion publique inclinera
forcément à conclure que le Concordat de 1801 a fait son
temps, et que le seul remède au désordre moral dont il s'agit
ne peut se trouver que dans l'une ou l'autre de ces solutions : ou bien
la séparation de l'Église et de l'État suivant une
formule qui fera l'Église libre sous la souveraineté de l'État,
ou bien une révision sérieuse et efficace des règlements
de police jugés nécessaires pour le maintien de la tranquillité
publique par l'auteur même du Concordat."
A
la suite de ce discours, on se demanda vers quelle solution penchait alors
M. Combes. Dans les discours qu'il prononça ensuite aux banquets
démocratiques de Marseille, de Tréguier et de Clermont-Ferrand,
il parle de légiférer sur les rapports de l'Église
et de l'État, mais sans autre précision. Sans doute, il souhaitait
une transformation prochaine des liens concordataires entre le Vatican
et la France ; mais se fera-t-elle dans le sens de la liberté pour
l'église ou dans le sens d'une aggravation des articles organiques.
Ce n'est qu'au
banquet d'Auxerre que M. Émile Combes se prononça ouvertement
en faveur de la séparation des Églises et de l'État.
Une commission parlementaire s'était constituée à
la Chambre et un projet de loi était résulté de ses
travaux. De plus en plus, au sein du parlement une opinion se formait,
nettement favorable au principe de séparation. M. Combes y vit une
indication assez nette et il collabora même, on le verra, par le
dépôt d'un projet de loi, à l'oeuvre qui s'élaborait
dans le sein de votre commission.
Divers incidents
nouveaux, et des plus graves, s'étaient d'ailleurs produits, qui
mettaient à l'ordre du jour, d'une manière particulièrement
pressante, la question des rapports de l'Église et de l'État.
A l'occasion de la loi qu'avait déposé M. Combes dans le
but de supprimer l'enseignement congréganiste, une véritable
rébellion des cardinaux s'était produite. Leur protestation
prit la forme d'une lettre au Président de la République.
Elle était nouvelle, elle était imprévue. Sans doute,
elle était en contradiction avec l'esprit du Concordat, mais nul
article ne lui était applicable. La chose finit ainsi qu'il devait
arriver : au conseil d'État.
Un fait plus
grave, qui acquit une extrême importance par les événements
qui s'ensuivirent, fut la protestation que le pape, récemment élu,
Pie IX, adressa aux chancelleries à l'occasion de la visite que
le Président de la République venait de faire au roi d'Italie.
En France, on fut presque unanime à trouver intolérable cette
prétention du Saint-Siège à porter un jugement sur
notre politique extérieure. D'ailleurs, une phrase contenue dans
les exemplaires reçus par les puissances catholiques, et dont le
texte fut révélé par le journal l'Humanité,
ne se trouvait pas dans la note qui avait été adressée
au quai d'Orsay. Cette phrase laissait entendre que la même attitude
de la part des autres puissances catholiques provoquerait le rappel immédiat
du nonce. Ce document a sa place ici, car il aura exercé sur les
événements une influence décisive.
"Des chambres
du Vatican. - 28 avril 1904.
"La venue à
Rome en forme officielle de M. Loubet, Président de la République
française, pour rendre visite à Victor-Emmanuel III, a été
un événement de si exceptionnelle gravité que la Saint-Siège
ne peut laisser passer sans appeler sur lui la plus sérieuse attention
du gouvernement que Votre Excellence représente.
" Il est à
peine nécessaire de rappeler que les chefs d'États catholiques,
liés comme tels par des liens spéciaux au pasteur suprême
de l'Église, ont le devoir d'user vis-à-vis de lui des plus
grands égards, comparativement aux souverains des États non
catholiques, en ce qui concerne sa dignité, son indépendance
et ses droits imprescriptibles. Ce devoir, reconnu jusqu'ici et observé
par tous, nonobstant les plus graves raisons de politique, d'alliance ou
de parenté, incombait d'autant plus au premier magistrat de la République
française, qui, sans avoir aucun de ces motifs spéciaux,
préside en revanche une nation qui est unie par les rapports traditionnels
les plus étroits avec le pontificat romain, jouit, en vertu d'un
pacte bilatéral avec le Saint-Siège, de privilèges
signalés, à une large représentation dans le Sacré-Collège
des cardinaux, et par suite dans le gouvernement de l'Église universelle
et possède par singulière faveur le protectorat des intérêts
catholiques en Orient. Par suite, si quelque chef de nation catholique
infligeait une grave offense au souverain pontife en venant prêter
hommage à Rome, c'est-à-dire au lieu même du siège
pontifical et dans le même palais apostolique, à celui qui
contre tout droit détient sa souveraineté civile et en entrave
la liberté nécessaire et l'indépendance, cette offense
a été d'autant plus grande de la part de M. Loubet ; et si,
malgré cela, le nonce pontifical est resté à Paris,
cela est dû uniquement à de très graves motifs d'ordre
et de nature en tout point spéciaux. La déclaration faite
par M. Delcassé au Parlement français ne peut en changer
le caractère ni la portée - déclaration suivant laquelle
le fait de rendre visite n'implique aucune intention hostile au Saint-Siège
; car l'offense est intrinsèque à l'acte d'autant plus que
le Saint-Siège n'avait pas manqué d'en prévenir ce
même Gouvernement.
"Et l'opinion
publique, tant en France qu'en Italie, n'a pas manqué d'apercevoir
le caractère offensif de cette visite, recherchée intentionnellement
par le gouvernement italien dans le but d'obtenir par là l'affaiblissement
des droits des droits du Saint-Siège et l'offense faite à
sa dignité, droits et dignité que celui-ci tient pour son
devoir principal de protéger et de défendre dans l'intérêt
même des catholiques du monde entier.
"Afin qu'un
fait aussi douloureux ne puisse constituer un précédent quelconque,
le Saint-Siège s'est vu obligé d'émettre contre lui
les protestations les plus formelles et les plus explicites, et le soussigné
cardinal secrétaire d'État, par ordre de Sa Sainteté,
en informe par la présente Votre Excellence, en vous priant de vouloir
porter le contenu de la présente note à la connaissance du
gouvernement de ...
"Il saisit en
même temps cette occasion de confirmer à Votre Excellence
les assurances ... etc., etc. ...
"Cardinal MERRY DEL VAL."
Le
résultat de cette protestation incorrecte fut le rappel de notre
ambassadeur au Vatican. Vers le même moment, des plaintes qui avaient
autrefois été portées contre deux évêques
concordataires, MM. Le Nordez et Geay.- le premier du diocèse de
Dijon, le second du diocèse de Laval.- eurent des suites. Les deux
prélats furent sommés de comparaître devant le saint
office. Ils opposèrent quelque résistance et finalement,
ayant reçu une lettre du secrétaire d'État Merry Del
Val leur enjoignant sous menace des plus graves sanctions canoniques, d'être
à Rome dans la quinzaine, ils la remirent à leur chef hiérarchique,
M. Dumay, directeur des cultes.
Il y avait là,
de la part du Saint-Siège, une nouvelle violation du Concordat,
une atteinte des plus graves aux droits de l'État. Le ministre des
cultes refusa aux deux évêques l'autorisation de comparaître
devant un pouvoir étranger. Ceux-ci tentèrent d'abord de
résister à Rome, puis sentant finalement leur position intenable
dans leurs diocèses, ils les quittèrent un jour et allèrent
se soumettre à l'autorité du Saint-Siège, en implorant
sa pitié. Le Gouvernement ne put que supprimer leur traitement.
Mais il continua
à les considérer comme évêques, bien qu'ils
eussent été destitués canoniquement par le pape.
La situation
ne s'aggrava point en ce qui concerne M. Geay ; il n'en fut pas de même
dans la circonscription de M. Le Nordez. Le pouvoir y était, en
réalité, exercé par deux vicaires généraux,
considérés comme représentants de l'évêque.
Le ministre des cultes adressait sa correspondance à M. l'évêque
de Dijon et les vicaires répondaient, en empruntant la signature
épiscopale. La fiction subsistait.
Mais les deux
vicaires s'avisèrent de prendre des mesures contraires à
l'esprit qui avait dicté auparavant le actes de M. Le Nordez. Celui-ci,
se souvenant alors qu'il était encore évêque, et faisant
acte de pouvoir administratif, les révoqua.
M. Combes ne
pouvait qu'approuver cette solution.
Quelques jours
après, M. Bienvenu Martin devenait ministre des cultes. C'est lui
que M. Morlot interpella sur cette situation bizarre.
Le nouveau ministre
des cultes fit des déclarations très nettes en faveur de
séparation et la majorité républicaine de la Chambre
s'y associa.( Texte de l'ordre du jour voté par la Chambre, le 10
février 1905, à la majorité de 386 voix contre 111
: " La Chambre, constatant que l'attitude
du Vatican a rendu nécessaire la séparation des Églises
et de l'État, et comptant sur le Gouvernement pour en faire aboutir
le vote immédiatement après le budget et la loi militaire
... passe à l'ordre du jour." ) Depuis,
l'évêque de Dijon a désigné au Gouvernement
deux vicaires généraux de son choix. Ils eurent l'agrément
du ministre des cultes, et Rome, soudain conciliante, voulut bien les agréer
aussi, accordant pour un instant à M. Le Nordez des pouvoirs qu'elle
lui avait contestés.
Les Rapports
de la République avec Rome en sont là au moment même
où va s'ouvrir devant vous la discussion sur la séparation
des Églises et de l'État.
Chaque fois qu'au
cours des chapitre d'histoire qui précèdent nous avons rencontré
un chiffre représentant les charges qui résultent pour l'État
de son union concordataire avec l'Église romaine, nous nous sommes
fait une obligation de la noter. Il nous parait cependant utile, au risque
de faire des répétitions, de redonner ici, dans une brève
notice, un état des divers budgets des cultes, depuis le Concordat
de 1801 ; ne serais-ce que pour répondre par une statistique victorieuse
à ceux qui prétendent que la France républicaine est
demeurée dans la limite stricte des obligations budgétaires
qu'elle a souscrites envers l'Église.
M. Clémenceau , s'appuyant sur les chiffres fournis dans son
ouvrage par M. Charles Jourdain
(Budget des cultes depuis le Concordat)
et sur la statistique dressée par M. Nicolas (Budget de la
France depuis le commencement du dix-neuvième siècle)
avait déjà fait cet utile travail, qui fut publié
en articles dans le journal l' Aurore.
Nous nous sommes
reportés à ces articles, aux sources qu'ils signalent, ainsi
qu'a l'article inséré par M. Léon Say, dans son Dictionnaire
des finances.
Il en résulte
de nos recherches que le budget des cultes, consenti par la troisième
République, est trois fois supérieur au premier budget concordataire,
qui est celui de 1810. Les années précédentes, le
Concordat n'avait pas été appliqué dans sa rigueur
et l'on connut le budget insignifiant de 1802 (1 258 197 fr) et celui de
1804 ( 4 millions environ)
Le premier budget,
établi suivant les obligations concordataires, se répartissait
ainsi :
Chap.
1er.- Service intérieur : traitement du ministre, des employés
et frais de bureau : 315 000
Chap. 2.- Traitement
des ministres des cultes en activité (haut clergé) :
1 480 234
Chap. 3.- Curés
et desservants
10 660 000
Chap. 4.- Pensions
accordées par décrets impériaux
156 000
Chap. 5.- Séminaires
700 000
Chap. 6.- Dépenses
diverses
535 530
Chap. 7.- dépenses
accidentelles
493 230
Total
14 370 000
Aux
termes du Concordat, l'État ne devait assurer que le traitement
des
archevêques et des évêques fixé, pour les archevêques
à 15 000 fr. et, pour les évêques, à 10 000
fr. , et celui des curés proprement dits qui étaient divisés
en deux classes : dans l'une, on touchait 1 500 fr., dans l'autre, 1 000
fr.
Il n'était rien alloué aux autres titulaires ecclésiastiques.
Le traitement des vicaires généraux et des chanoines restait
à la charge des budgets locaux.
Mais, dans la
suite - première atteinte au Concordat - ces dépenses furent
mises à la charge de l'État.
Un arrêté consulaire du 14 ventôse an XI, assure à
l'un des trois vicaires généraux de chaque évêché
2 000 fr. et 1 500 fr. aux deux autres, ainsi qu'à tous les vicaires
généraux reconnus des évêchés.
En 1819, ces
traitements seront portés à 4 000 francs, 3 000 fr. et 1
500 fr. On alloua depuis à ces derniers 100 fr. de plus.
Notons que ces
nouvelles obligations consenties par l'État n'empêchaient
point les départements et les grandes villes de voter des suppléments
en faveur des vicaires généraux et des chanoines. Ils en
ont joui jusqu'à ces dernières années.
Malgré
les nouvelles charges qui résultèrent pour l'État
de ces nouveau traitements, le budget des cultes atteignait à peine,
en 1820, la moitié de ce qu'il est aujourd'hui. Il a fallu l'empire
et le gouvernement de l'ordre moral pour lui donner l'extension considérable
qu'on lui a vu prendre.
On va voir,
d'après les chiffres de M. Léon Say, quelle progression il
a subie de 1860 à 1875. On notera ensuite un mouvement décroissant
dû à ce que les gouvernements devenant démocratiques
se sont refusés de plus en plus à accorder le concours de
l'État au culte catholique, pour l'entretien des bourses dans les
séminaires et pour les secours aux communautés religieuses.
Voici la statistique
de M. Léon Say :
ANNÉES | CARDINAUX
archevêques et évêques, chapitre de Saint-Denis, chapelain de Sainte-Geneviève |
MEMBRES
des chapitres et clergé paroissial |
BOURSES
des séminaires et secours |
SERVICES
intérieur des édifices diocésains. Travaux d'entretien et réparation |
TOTAL |
1860
1865 1870 1875 1880 1885 |
1 698 975,78
1 895 452,36 1 915 896,69 1 983 607,54 1 449 609,12 921 712,76 |
35 876 588,78
38 488 749,34 39 271 305,20 39 339 597,19 39 076 981,27 38 083 359,59 |
2 007 561,91
2 139 550,19 2 086 908,57 2 157 943,32 2 021 647,02 903 294,93 |
8 595 493,64
3 110 793,89 2 932 138,70 8 707 307,20 7 609 226,27 4 291 990,93 |
48 178 620,11
45 634 545,76 46 206 249,16 52 188 455,25 50 156 871,62 44 200 397,35 |
Les chiffres empruntés par M. Clémenceau aux deux sources que nous avons indiquées sont assez sensiblement plus élevées, bien qu'ils permettent de noter une progression semblable. On trouverait la raison de cette différence, en analysant les chapitres qu'ils représentent. Nous les donnons ici tels qu'ils se trouvent dans les articles de M. Clemenceau :
Le budget des cultes atteint :
1817
1820 1823 1826 1830 1831 (monarchie de juillet) 1843 1846 1847 1848, environ 1853 1855 |
21 900 364
24 711 777 26 677 792 30 584 581 36 513 573 34 624 789 37 687 694 38 170 855 38 970 855 40 000 000 44 498 699 45 580 880 |
1856
1860 1867 1869 1871 1872 1876 1880 1882 1884 1886 1887 |
47 422 136
50 088 543 54 035 667 54 532 936 49 963 526 53 216 748 53 727 995 53 443 666 53 365 866 51 407 006 46 318 763 45 649 563 |
Depuis cette époque, le budget des cultes s'est maintenu à ce taux approximatif, que différents rapporteur du budget des cultes, tels MM. Georges Leygues et Lasserre, ont donné comme étant la conséquence inévitable des obligations concordataires
Une loi de séparation des Églises et de l'État ne peut être vraiment équitable qu'à la condition de respecter la constitution interne de toutes les Églises et de leur permettre, au lendemain de l'abrogation du budget des cultes, une organisation telle qu'elles puissent réunir les ressources nécessaires à la continuation de leur oeuvre. Briser leurs cadres ecclésiastiques, les forcer à adopter un régime contraire à leur traditions et à leur besoins, serait une mesure d'oppression. Il est donc au plus haut point important de connaître les principes et la forme ecclésiastique de chaque confession religieuse.
En ce qui concerne
les Églises protestantes, notons, dès le début, les
caractères généraux et la situation de fait qui les
différencient toutes de l'Église catholique romaine.
1° L'Église
catholique a une constitution monarchique. Un seul y commande, le pape,
qui ne tient ses pouvoirs que de Dieu et les délègue au clergé,
maître absolu en matière religieuse.
Les Églises
protestantes françaises ont une constitution démocratique
et parlementaire. C'est le peuple qui choisit ses représentants
et qui, par eux, nomme son clergé. La prédominance ou l'égalité
numérique de l'élément laïque est assuré
dans tous les corps directeurs et dans toutes les assemblées délibérantes
;
2° Le centre
et la tête de l'église catholique est à Rome.
Les églises
protestantes sont strictement nationales ;
3° Les circonscriptions
ecclésiastiques de l'église catholique sont indépendantes
les unes des autres et ne relèvent que du Vatican. L'archevêque
de Paris n'a, par exemple, aucun pouvoir sur l'archevêque de Lyon.
Chaque archidiocèse a son autonomie complète.
Les circonscriptions
ecclésiastiques protestantes dépendent les unes des autres.
Le système synodal, qui est celui de la plupart de ces Églises
et des plus importantes, a pour base la paroisse, pour couronnement le
synode national ayant autorité sur toutes les paroisses. Aucun groupement
régional n'a et ne peut avoir une vie absolument indépendante.
4° L'Église
catholique compte "nominalement" plus de 37 millions de fidèles,
uniformément répartis sur tout le territoire français
Les Églises
protestantes ont environ 650 000 fidèles très inégalement
dispersés dans toute la France. D'après le recensement officiel
de 1872, le dernier qui ait tenu compte des opinions religieuses, un seul
département compte plus de 100 000 protestants.
12 départements
en comptent de 10 000 à 47 000.
16 départements
en comptent de 4 000 à 10 000 .
23 départements
en comptent de 1 000 à 3 000.
35 départements
en comptent de 17 à 973.
ceci d'un façon
générale, il n'est peut-être pas inutile de rappeler,
à traits rapides, comment le culte protestant a été
introduit en France, dans quelles circonstances et sur quelles bases ses
Églises s'y sont constituées.
La réforme
religieuse du seizième siècle avait trouvé, dans notre
pays, d'ardents défenseurs. Les adeptes des idées nouvelles
n'envisagèrent pas, il est vrai, à l'origine, la possibilité
comme la nécessité d'une rupture avec l'Église romaine
; ils étaient plutôt disposés à croire que cette
Église accepterait les réformes qu'ils réclamaient.
Un long travail de préparation précéda l'organisation
définitive du nouveau culte. Le mouvement réformateur trouva
en Jean Calvin l'homme qui, par la puissance du génie, la netteté
de l'esprit et le labeur infatigable, devait le faire aboutir à
la création de ces Églises réformées de France,
qui furent souvent appelées, du nom de leur célèbre
fondateur : Églises calvinistes.
Ce fut, en effet,
sur le modèle de la première Église réformée
française, crée par Calvin en 1538 à Strasbourg, devenu
l'asile des persécutés, que fut fondée à Meaux,
en 1546, la première Église réformée de France.
Dix ans plus tard, l'Église de Paris était "
dressée", suivant l'expression du temps,
et si rapidement furent les progrès de la réforme religieuse
que le 25 mai 1559 se réunissait dans cette ville le premier synode
national où 72 Églises étaient représentées.
Le soucis de
la défense des intérêts religieux, le devoir de faire
connaître leurs doctrines, la nécessité d'une organisation
ecclésiastique étaient la justification de cette assemblée
dont les membres se réunissaient au milieu des feux de la persécution.
Dans ce synode
furent posées les bases de cette organisation presbytérienne
synodale - c'est-à-dire gouvernement de l'Église par des
prêtres et des anciens - à laquelle les réformés
devaient rester invariablement fidèles et qu'ils considèrent
encore aujourd'hui comme la condition même de leur existence. Il
sera intéressant d'en exposer les principes tels qu'ils furent par
la suite définitivement établis, alors que les Églises
réformées étaient sous le régime de l'édit
de Nantes.
A la base se
trouvait l'Église desservie par un ou plusieurs pasteurs ou ministres,
nommés par le consistoire, conseil des anciens, élus
"par le peuple". Les ministres devaient être
présentés à l'Église avant d'être nommés,
le consistoire devant examiner et juger les protestations qui pourraient
s'élever.
"Le silence du peuple était
tenu pour exprès consentement." Chaque
Église avait sa vie particulière et dans chaque Église
nul pasteur ne pouvait prétendre à un rang plus élevé
que celui de ses collègues et nulle Église ne pouvait "prétendre
domination" sur une autre Église. Cependant,
comme des intérêts communs existaient entre elles, des liens
étroits les unissaient dans une gradation sagement étudiée.
C'est ainsi
que plusieurs Églises d'une même province formaient "un colloque",
composé des divers pasteurs de ces Églises accompagné
d'un "ancien"
désigné par le consistoire. Le colloque était appelé
à juger en première instance des différents qui s'élevaient
dans les Églises qui le composaient.
Les Églises
d'une même province se réunissaient en un synode appelé
provincial, auquel chaque Église députait un pasteur et un
ancien. Le synode réglait toutes les affaires ressortissant de la
province, à l'exception de certaines questions et particulièrement
les questions de doctrine sur lesquelles le synode national statuait définitivement.
Cette assemblée
était composée de députés laïques et ecclésiastique.
Chaque synode provincial élisait dans son sein, deux pasteurs et
deux anciens et autant de membres suppléants, chargés de
représenter les intérêts de la province au synode national
qui s'appela ainsi, dans l'origine, et à travers les siècles
gardera toujours ce caractère.
On peut dire
que, dans les temps anciens, les églises réformées
réalisèrent en pratique, surtout après la fin des
guerres de religion, où le protestantisme cessa d'être un
parti politique, le principe "de l'église
libre dans l'État souverain" . Sans
doute, elles eurent des écoles, des collèges, des académies,
mais elles obéissaient à une nécessité que
justifiait le caractère exclusivement catholique de tous les établissements
d'instruction de l'ancien régime. Le caractère égalitaire
et démocratique de ce gouvernement ecclésiastique, provenant
de l'élection populaire et se maintenant par la libre discussion,
suffit à expliquer l'invincible attachement qu'il a toujours inspiré
aux protestants et leur désir unanime de le conserver.
L'Église
réformée était en fait séparée de l'État,
car si Henri IV, après l'édit de Nantes, accorda aux Églises
une subvention "des deniers royaux"
, il ne s'en réserva pas le contrôle. Le synode national était
chargé d'en assurer la distribution, du reste fort minime, car,
en 1598 chaque pasteur ne reçut que 52 écus et 37 sols. Louis
XIII maintint cette subvention pendant les premières années
de son règne ; en 1628 elle cessa d'être payée.
Le clergé
catholique n'avait accepté que contraint et forcé l'édit
de Nantes qui assurait la liberté du culte aux réformés.
Avec une persévérance que rien ne lassa, il considéra
que "la destruction de l'hérésie
était sa principale affaire "(en
1660, on comptait en France 631 églises desservies par 711 pasteurs,
et la population protestante représentait le dixième de la
population totale.) Pendant trente ans ( 1655-1685),
les assemblées générales du clergé de France
ne cessèrent de demander et d'obtenir du gouvernement de Louis XIV
des mesures persécutrices qui devaient aboutir à la révocation
de l'édit de Nantes ( 18 octobre 1685)
Par une mesure
aussi injuste qu'elle était impolitique, les Églises réformées
de France furent condamnées à disparaître. Tous les
pasteurs furent exilés, partout les temples furent démolis,
tous les biens des Églises furent donnés aux hôpitaux
catholiques et plus de de cinq cent mille Français durent s'exiler
pour sauvegarder la liberté de leur conscience. Les dragonnades
dévastèrent les provinces protestantes et par milliers furent
jetés dans les prisons et les bagnes les réformés
qui ne voulurent pas accepter "la religion
du roi". La persécution ne respecta
pas même la mort et, sans respect de l'âge ou du sexe, les
cadavres des réformés furent souvent jetés à
la voirie. On comprend qu'un historien ait pu écrire :
" C'est une date à marquer au tableau noir des grands désastres
nationaux, des déroutes humiliantes, des traités ruineux."
(
A Soret)
Il pouvait sembler
que les églises réformées ne se relèveraient
jamais de leurs ruines ; mais trente années plus tard, un jeune
homme âgé de vingt ans, Antoine court, qui a le mérite
d'être appelé le restaurateur du protestantisme en France,
réunissait le 21 août 1715 quelques réformés,
restés fidèles à leur foi malgré les persécutions,
et reprenait la tradition synodale. Les Églises se reconstituèrent
lentement au milieu de danger sans nombre, pasteurs et fidèles étant
sans cesse sous la menace de la mort ou du bagne, et de toute manière
dans la condition la plus misérable du monde, car une législation
odieuse refusait l'état civil aux protestants, faisait de leur mariage
un concubinage et condamnant leurs enfants à la bâtardise.
A la veille
de la Révolution française, lorsque fut promulgué
l'édit de Tolérance de 1787 qui ne rendait aux protestants
"que ce que le droit et la nature ne permettaient pas de leur refuser",
c'est-à-dire l'état civil, la réorganisation des églises
était un fait accompli, alors même que le culte ne se célébrât,
suivant une expression alors consacrée, qu'au désert, c'est-à-dire
en plein air, la loi interdisant tout culte public aux réformés.
Pendant tout les dix-huitième siècle, les églises
réformées avaient été non seulement séparées
de l'État, mais surtout persécutées par l'État.
Le 21 août
1789, les États généraux rendirent le célèbre
décret ordonnant que nul ne devait être inquiété
pour ses opinions, même religieuses, et posèrent ainsi le
principe constitutif de la la liberté des cultes. mais en 1793 les
Églises réformées subirent, comme l'Église
catholique, une profonde crise qui amena la suspension du culte pendant
plusieurs années. Lorsqu'elle eut pris fin, les protestants voulurent,
une fois de plus, réorganiser leurs Églises et, au moment
où le premier consul se préparait à signer le Concordat,
quelques-uns de leurs représentants les plus connus demandèrent
leur union avec l'État. Telle fut l'origine de la loi du 18 germinal
an X, qui devait régler si longtemps les rapports entre les Églises
protestantes et l'État. Avec la loi de germinal commençait
une nouvelle période de l'histoire du protestantisme français.
Si la liberté du culte était reconnue et proclamée,
si même son clergé, naguère persécuté,
recevait un salaire, il n'en était pas moins vrai qu'elle n'avait
plus le privilège d'être une Église libre, maîtresse
de ses destinées. Le principe de l'élection populaire avait
disparu, les intérêts religieux étaient confiés
aux plus imposés au rôle des contributions directes, l'égalité
entre les ministres du culte n'existait plus, le plus âgé
des pasteurs étant appelé à la présidence du
consistoire devenu une création purement arbitraire. Si le synode
provincial était encore maintenu, sa convocation était rendue
si difficile qu'en fait il était impossible de le réunir.
Quant au synode national, la loi du 18 germinal n'en faisait aucune mention.
Fidèles
à toutes leurs traditions, les protestants français n'ont
pas cessé au cours du siècle dernier, de demander une révision
profonde de la loi de germinal, si contraire à l'esprit démocratique
de la Réforme. Le décret-loi du 26 mars 1852 rétablit
le suffrage paroissial et créa un conseil central des Églises
réformées, dont les membres nommés d'abord par le
Gouvernement, devaient par la suite être élus par les consistoires.
Il semblait qu'ainsi dût être comblée la grave lacune
qui laissait les Églises réformées sans représentation
autorisée de leurs intérêts auprès du Gouvernement
; les consistoires qui les représentaient vivant dans une complète
indépendance les uns des autres.
Mais rien ne
devait égaler la ténacité des protestants dans la
revendication de droits qu'ils estimaient indiscutables. En 1848, ils provoquèrent
la réunion d'un synode général, mais sans l'autorisation
du Gouvernement. Sa tâche fut de procéder à une révision
de la loi de germinal. Après la guerre de 1870, cédant à
leurs instances, M. Thiers, le 20 septembre 1871, rendait le décret
qui convoquait les synodes provinciaux pour la nomination de leurs délégués
au synode national qui se réunit à Paris le 6 juin 1872.
L'histoire du
protestantisme français montre donc de manière évidente,
que son organisation
ecclésiastique, à
l'abri de toute influence étrangère, exige, pour être
complète, le fonctionnement régulier des synodes qui doivent
être être la représentation de toutes les Églises
réformées de France. Limité à une action exclusivement
religieuse, étranger, par cela même, aux questions politiques,
le fonctionnement du synode national, loin d'être un danger, présente
au contraire des garanties d'ordre, en raison du rôle d'arbitre qui
lui est dévolu. Aussi rien ne parait plus justifié que de
rendre possible, par un dispositif de la loi, la convocation des assemblées
religieuses, sans lesquelles, comme le disait, en 1659, le modérateur
du synode de Loudun, "la religion protestante
ne saurait subsister".
Quant à
la séparation de l'Église et de l'État, on ne saurait
oublier qu'elle a trouvé des défenseurs éloquents
dans les Églises réformées, longtemps avant que la
question se posât devant l'opinion publique. Dès 1829, le
pasteur samuel Vincent écrivait dans les Vues sur le protestantisme
: "Je suis fortement convaincu que la séparation
finale de l'Église et de l'État doit se réaliser un
jour ... Le changement sera sensible, sans doute, et beaucoup d'intérêts
privés pourront en être lésés, mais le protestantisme
n'a rien à craindre. La liberté sera pour lui la force et
la vie, et, c'est à ce prix peut-être qu'il peut voir s'accomplir
les destinées que l'avenir lui prépare".
Aussi demandait-il déjà l'abrogation du trop célèbre
article du code pénal, relatif aux associations de plus de vingt
personnes. "Il respire,
disait-il, la jalousie et le despotisme, il
tient en réserve la persécution pour tout mouvement de l'esprit
; il affranchit vingt personnes, la charte parle de tous les Français."
Mais nulle influence ne peut-être comparée à celle
qu'exerça et qu'exerce toujours le penseur Vinet dont on peut dire
qu'il fut le théoricien de la séparation de l'Église
et de l'État, dans les Églises protestantes de langue française.
"Aucune religion, a-t-il écrit, n'est digne du nom de religion si
elle dit : "Mon règne n'est pas de ce monde". Aucune
religion n'est une religion si elle se propose l'alliance du pouvoir civil
comme moyen ou comme but."
Conséquent
avec ses principes, Vinet avait été l'un des fondateurs de
l'Église libre du canton de Vaud. Son exemple devait trouver des
imitateurs en France. Après la révolution de Juillet, quelques
Églises s'étaient fondées, ne se rattachant pas aux
Églises officielles. Le synode de 1848 amena une scission, plus
profond, car, par suite de son refus de promulguer une confession de foi,
les dissidents convoquèrent un synode constituant de nouvelles Églises
le 20 août 1849, sous la présidence du pasteur Frédéric
Monod, où treize Églises constituées et dix-huit en
formation furent représentées. Les nouvelles Églises
adoptèrent l'organisation presbytérienne synodale qu'elles
ont toujours fidèlement maintenue et prirent comme dénomination
le titre d'Union évangélique libre de France. Elles ont réalisé
depuis cette époque, de la manière la plus complète,
le principe de la séparation de l'Église et de l'État.
Avoir pris courageusement l'initiative d'une aussi réforme est un
titre d'honneur pour ces Églises qui, malgré leur petit nombre,
une cinquantaine, ont donné un grand exemple. Il est impossible
d'oublier qu'Edmond de Pressensé, disciple de Vinet, qui fut au
cours de sa carrière politique le partisan résolu, le défenseur
si autorisé de la séparation, était l'un des pasteurs
de cette Église libre. (L'union des Églises libres
de France se compose d'Églises situées dans les départements
les plus divers : Ardèche, Tarn, Lot-et-Garonne, Gironde, Rhône,
Deux-Sêvres, Charente-Inférieure, Seine, Aveyron. Ces Églises,
au même titre que les églises réformées, ont
un caractère national.)
Ce mouvement
séparatiste ne s'est pas limité à l'union des Églises
évangéliques libres ; il s'est produit au sein même
des Églises réformées et a abouti à la formation
de communautés indépendantes de l'État (En
dehors de Églises reconnues par l'État, se trouvent de nombreuses
communautés se rattachant cependant aux Églises réformées
et qui au lendemain de la séparation en seraient parties intégrantes.),
mais rattachées officiellement aux Églises réformées.
Il est nécessaires, en effet, de faire remarquer qu'à côté
de l'organisation administrative qui régit les rapports des Églises
protestantes et de l'État, s'est constitué, depuis un quart
de siècle, une double organisation de caractère purement
officieux à laquelle se rattachent les deux grandes fractions qui
se partagent le protestantisme français. Elles reproduisent l'une
et l'autre, sous des noms divers, le type consacré des Églises
de la réforme française. On peut y voir une préparation
à la séparation ; c'est à ce titre qu'il n'était
pas inutile d'en faire mention ; mais l'État est toujours demeuré
étranger à ces organisations particulières.
D'autres Églises
existent de type congrégationaliste, c'est-à-dire séparées
de l'État, ne se rattachant à aucune organisation et ne dépendant
que d'elles-mêmes. Elles sont très peu nombreuses et se trouvent
sur le littoral de la Méditerranée, à Nice, Menton,
Cannes, Hyères, Saint-Raphaël, Antibes.
Il en est de
même des Églises baptistes, qui se groupent en association
régionales du Nord, de l'Ouest, de l'Est et du Midi.
Mention doit
être faite de l'Église évangélique méthodiste
de France, dont l'organisation se rapproche de celle des Églises
presbytériennes synodales.
Les chiffres
qui suivront donneront une indication à peu près exacte sur
la situation et les forces respectives des diverses Églises protestantes
à l'heure actuelle :
L'Église
réformée de France comprend 101 consistoires dont dépendent
534 paroisses. Pour les desservir existent 639 places de pasteurs
ainsi réparties :
12 places hors
classe Paris à 3 000 fr.
100 places de
1ère classe à 2 200 fr.
91 places de
2è classe à 2 000 fr.
427 places de
3è classe à 1 800 fr.
Les 101 consistoires sont répartis
en 21 circonscriptions synodales formant chacune un synode provincial.
Le synode national
est composé des délégués laïques et ecclésiastiques
élus chaque année par chaque synode provincial.
Le synode national
n'a pas été réuni depuis l'année 1873.
L'église
réformée possède, d'après un rapport établi
en 1899, 887 temples ou oratoires et 162 presbytères, 120 temples
appartiennent aux conseils presbytéraux, 50 aux consistoires, 325
aux communes, 87 à l'État, 20 à des particuliers.
La propriété de 89 est contestée. Les oratoires appartiennent,
61 aux conseils presbytéraux, 78 aux consistoires, 38 aux communes,
6 à l'État, 84 à des particuliers, 2 aux départements
et 36 sont contestés.
Quant aux presbytères,
voici leur répartition :
23 aux conseil
presbytéraux, 16 aux consistoires, 98 aux communes, 1 à l'État,
20 à des particuliers, 4 dont la propriété n'est pas
déterminée.
Ces chiffres
sont exacts à quelques unités près, quelques temples
et presbytères ayant été construits depuis cette époque
(1899).
L'Église
réformée possède deux facultés de théologie,
l'une à Montauban, l'autre à Paris, celle-ci commune aux
réformés et aux luthériens. Le budget de ces facultés
dépend du ministère de l'instruction publique.
La population
des églises réformées ne peut être donnée
que d'une manière approximative, mais elle peut être évaluée
à 550 000, ce chiffre étant à considérer comme
un minimum. Les centres de population protestante sont dans le Gard, l'Ardèche,
la Drôme, la Lozère, les Deux-Sèvres, la Seine, Tarn-et-Garonne,
etc. Bordeaux, Lyon, Marseille, Nancy, Lille, Le Havre forment d'importantes
églises. Au 25 novembre 1904, il n'y avait que neuf places vacantes
dans l'Église réformée.
L'Église
évangélique de la confession d'Augsbourg, désignée
souvent sous le nom d'église luthérienne, comprend 6 consistoires
et 49 paroisses, réparties entre deux synodes particuliers, celui
de Paris et celui de Montbéliard, dont les délégués
forment le synode général, qui nomme une commission exécutive
permanente chargée de la défense des intérêts
de l'Église.
Les 62 places
de pasteurs sont ainsi divisées :
10 places, Paris
à 3 000 fr. ;
5 places, 1ère
classe à 2 200 fr. ;
7 places, 2è
classe à 2 000 fr.
40 places, 3è
classes à 1 800 fr.
Paris et Montbéliard
sont les deux centres de la population luthérienne qui s'élève
à environ 80 000 âmes.
On ne saurait
oublier que, par la suite de l'annexion de l'Alsace et la Lorraine, l'église
luthérienne a perdu près des trois quarts de ses membres,
outre sa faculté de Strasbourg. L'église luthérienne
comprenait alors 44 consistoires, elle n'en a plus que 6 aujourd'hui.
Les pasteurs
de l'église luthérienne font leurs études à
la faculté de théologie de Paris, où professent des
professeurs luthériens et réformés. Au 20 octobre
1904 il n'y avait qu'une place vacante dans l'église luthérienne.
Églises
séparées de l'État
Nous avons dit
qu'en dehors des églises officielles mais se rattachant d'une manière
officieuse à l'église réformée, se trouvaient
de nombreuses églises fondées par l'activité de la
société centrale d'évangélisation. Ces églises
sont considérées, en effet, comme des annexes des paroisses
officielles, dans le ressort desquelles elles ont été fondées.
Ces création d'églises sont dues au fait que le crédit
réservé aux création d'églises nouvelles
a été supprimé par la loi de finances du 23 décembre
1880. Ces églises répandues par toute la France ne reçoivent
aucune subvention ou traitement du Gouvernement bien qu'elles se rattachent
à l'église réformée reconnue par l'État.
L'union des
églises évangéliques de France comprend 61 églises
ou station d'évangélisation desservies par 64 pasteurs ou
évangélistes.
La population
de ces églises peut être évaluée entre
12 et 15 000, répartie surtout dans le Tarn, le Gard, l'Ardèche,
Paris.
L'église
évangéliste méthodiste compte 27 églises desservies
par 29 pasteurs, se trouvant principalement dans le Gard et la Drome. Leur
population s'élève à 5 ou 6 000 âmes.
Les églises
baptistes sont congrégationalistes, chaque église étant
indépendante, mais elles sont reliées cependant par l'unité
doctrinale et la communauté du but poursuivie. Elles sont au nombre
de 24, les principales dans les département du Pas-de-Calais, de
l'Aisne et de l'Oise. On peut évaluer leur population religieuse
à 2 ou 3 000 âmes.
Les églises
indépendantes fondées par la société évangélique
de France ne sont souvent que des postes d'évangélisation.
De même on doit citer un certain nombre d'église ne se rattachant
à aucune organisation ecclésiastique comme les églises
de menton, de Cannes, d'Antibes. Elles ont du moins toutes un caractère
commun, c'est d'être séparées de l'État.
Sous l'ancien régime, les juifs,
soumis au bon vouloir de l'autorité royale, tour à tour expulsés,
tolérés ou spoliés, ne jouissant d'aucun droit et
n'avaient pas de culte constitué, leurs communautés n'avaient
qu'une existence précaire.
Les penseurs et les écrivains
qui, durant le cours du dix-huitième siècle, préparèrent
le grand mouvement révolutionnaire ne furent pas sans réclamer
des mesures de tolérance et de liberté pour les juifs de
France. La monarchie atténua les rigueurs dont ils étaient
l'objet et leur accorda même quelques privilèges. En juin
1776, notamment, et en janvier 1784, Louis XVI rendit des édits
favorables aux israélites. "Nous voulons, disaient les lettres patentes
de 1776, qu'ils soient traités et regardés ainsi que nos
autres sujets nés en notre royaume et réputés tels."
Peu d'année avant la Révolution,
Malesherbes avait formé une commission chargée
d'examiner les questions relatives à l'émancipation des juifs.
Les événements se précipitèrent et ce fut l'Assemblée
constituante qui accomplit l'oeuvre de libération.
Dès le 3 août 1789, l'abbé
Grégoire appelait l'attention de ses collègues sur la situation
des juifs français. Joignant ses efforts à ceux de
son collègue Grégoire, Clermont-Tonnerre portait la question
à la tribune le 3 puis le 28 septembre 1789.
Discutée avec ardeur
et passion par Rewbell, l'abbé Maury et l'évêque de
Nancy, la cause des juifs fut défendue par Clermont-Tonnerre, Duport,
Barnave et Mirabeau, au cours des séances des 21, 23, et 24 décembre.
Le premier résultat de ces délibérations fut un décret
du 28 janvier 1790, confirmant les privilèges des israélites
du Midi et leur reconnaissant les droits de citoyens. Le 26 février
1790, puis le 26 mai 1791, la municipalité de Paris fit des démarches
auprès de l'Assemblée afin que les israélites de la
capitale fussent compris dans les dispositions du décret de 1790.
Le 23 août 1789, la Constituante
avait déjà proclamé le grand principe de la liberté
de conscience. Elle le sanctionna par l'article 10 de la Déclaration
des droits qui forma le préambule de la Constitution de 1791. S'appuyant
sur ces principes, Duport soumit à l'Assemblée, le 27 septembre
1791, un projet démancipation des juifs, et dans la même séance,
la Constituante rendit un décret qui accordait aux juifs français
tous les droits du citoyen.
La Constitution de 1793 reconnut et
garantit également le libre exercice de tous les cultes. Celle de
l'an III, qui rétablit en fait et en droit la liberté religieuse,
laissa aux citoyens, tous égaux devant la loi, le soin de pourvoir
aux dépenses de leur culte.
Les israélites, qui n'avaient
jamais cessé de subvenir par eux-même aux besoin des communautés,
continuèrent à entretenir par des taxes rituelles et des
contributions volontaires l'exercice de leur culte et le fonctionnement
de leurs oeuvres de charité et d'assistance.
Il n'existait cependant aucun groupement
régulier, officiel, reliant les communautés entre elles.
Les ministres de la religion n'étaient investis d'aucune autorité
administrative. Ils devaient se conformer aux prescriptions de la loi leur
enjoignant de ne donner la bénédiction nuptiale qu'à
ceux qui auraient contracté mariage devant l'officier d'État
civil. (Arrêté du 1er prairial, an X)
Cette organisation du culte israélite
fut l'oeuvre de Napoléon. Elle vint, après le Concordat et
les lois organiques de l'an X, compléter l'ensemble de la législation
qui règle l'exercice des trois religions reconnues par l'État.
Un décret du 30 mai 1806 convoqua
à Paris une assemblée de juifs notables, désignés
par les préfets, d'après le tableau suivant : Haut-Rhin,
12 membres ; Bas-Rhin, 15 ; Mont-Tonnerre, 9 ; Rhin et Moselle, 4 ; Sarre,
1 ; Roër, 1 ; Moselle, 5 ; Meurthe, 7 ; Vosges, 7 ; Gironde, 2 ; Basses-Pyrénées,
2 ; Vaucluse, 2 ; Côte-d'Or, 1 ; Seine, 6.
Dans les autres départements,
les préfets devaient désigner un délégué
par 500 citoyens de religion juive.
Conformément aux disposition
du décret de mai, les délégués se réunirent
à l'hôtel de ville le 26 juillet. Ils étaient au nombre
d'environ 120.
Napoléon Chargea Mathieu Molé,
Portalis fils et Pasquier des fonctions de commissaires auprès de
l'assemblée. Une commission de neuf membres fut nommée par
les délégués et de concert avec Molé, Portalis
et Pasquier, un règlement organique du culte mosaïque fut élaboré.
L'Assemblée l'adopta à l'unanimité le 10 décembre
1806. En outre, la commission prépara un certain nombre de décisions
doctrinales qui furent soumises à l'approbation et à la sanction
d'une autre assemblée, le grand sanhédrin, composé
en majeure partie de rabbins. Ce Sénat juif, qui composait soixante-et-onze
membres, se réunit à l'hôtel de ville le 9 février
1807 et approuva les formules morales proposées par la commission
des neuf et par les trois commissions supérieures. Ces formules,
imprégnées de l'esprit moderne, résumaient les principes
de doctrine morale et religieuse dont devaient s'inspirer les ministres
du culte et les administrateurs de des communautés et des consistoires
établis par le règlement organique. L'ordonnance de mai 1844,
dont nous parlerons plus loin, et qui forme actuellement le principal corps
de la législation concernant les israélites, le reproduit
dans se grandes lignes.
Le règlement du culte mosaïque
groupait les synagogue et communautés en consistoires départementaux
ou en circonscriptions consistoriales comprenant plusieurs départements
; fixait le mode d'élection des consistoires et de nomination des
rabbins ; plaçait les consistoires de province sous le contrôle
d'un consistoire central à Paris. Il indiquait le chiffre du traitement
destiné aux rabbins, sans le mettre à la charge de l'État.
Un décret du 11 décembre
1808, signé au camp de Madrid, fixa le nombre des consistoires à
treize, et les établit à Paris, Strasbourg, Wintzenheim,
Mayence, Metz, Nancy, TRèves, Coblentz, Crefeld, Bordeaux, Marseille,
Turin et Casal.
Deux ordonnances de Louis XVIII, l'une
du 29 juin 1818, l'autre du 20 août 1823, apportèrent quelques
modifications au règlement organique de 1806 et mirent la législation
en rapport avec les besoins nouveaux crées par l'accroissement de
la population.
Sous Charles X, un arrêté
ministériel autorisa, en 1829, l'établissement d'une école
centrale rabbinique à Metz. Un règlement fixa le nombre des
élèves, le programme des études, le mode d'attribution
des diplômes rabbiniques. L'école était placée
sous la direction du consistoire de Metz et sous l'autorité du consistoire
central de Paris.
Il était pourvu aux frais de
premier établissement de l'école sur des fonds réservés
du traitement de l'un des plus grands rabbins du consistoire central pour
1827. Les dépenses annuelles étaient payées au moyen
d'une allocation au budget du consistoire central, laquelle devait être
répartie entre les divers consistoires de province.
Les ministres du culte étaient
payés, eux aussi, par les communautés et les consistoires.
Ce fut seulement sous le règne de Louis-Philippe que le traitement
des rabbins fut mis à la charge du Trésor. La proposition
en fut faite par la Chambre, le 7 août 1830, au moment de la discussion
de la charte par Viennet et Berryer. L'article du projet gouvernemental
attribuait aux seuls ministre des cultes chrétiens un traitement
de l'État. De Rambuteau proposa la suppression du "seuls
" et son amendement fut adopté.
Le 13 novembre 17830, un projet de
loi ainsi conçu fut présenté à la Chambre :
"A compter du
1er janvier 1831, les ministres du culte israélite recevront des
traitements du Trésor public"
Rapporté par Augustin Périer,
le projet fut adopté à une grande majorité et passa
à la chambre des pairs, présidée par Pasquier. Celle-ci,
sur le rapport de Portalis, vota à son tour, par 57 voix contre
37, le 1er février, l'adoption du projet.
La loi du 8 février 1831 consacra
ainsi l'égalité des différents ministres des cultes
au point de vue des traitements. Deux ordonnaces, l'une du 22 mars, l'autre
du 6 août 1831, fixèrent les détails de ces traitements
pour les rabbins. La période historique de l'organisation du culte
isrélite en France était close.
"Plusieurs dispositions
de ces décrets et ordonnances sont encore en vigueur. Mais la législation
du culte israélite est presque tout entière renfermée
dans l'ordonnance fondamentale des 25 mai-14 juin 1844, qui est pour ainsi
dire la charte de ce culte - le décret du 15 juin 1850 sur les consistoires
départementaux - le décret important du 29 août 1852
portant modification de l'ordonnance du 25 mai 1844 - le décret
du 5 février 1867 sur les élections consistoriales - le décret
du 12 septembre 1872 sur les élections des grands rabbins et rabbins.
Il faut y ajouter divers dispositions légales relatives à
l'administration des biens et à la comptabilité des consistoires,
ainsi qu'aux inhumations et pompes funèbres." (Baugey.
de la condition légale du culte israélite.)
Nous nous proposons d'extraire des
textes énumérés dans ce résumé les dispositions
qui régissent actuellement le culte israélite.
Celui-ci est administré, sous
le contrôle du consistoire central, par les consistoires départementaux
et par les commissions administratives.
Consistoire
central
Le consistoire central se compose
d'un grand rabbin et d'autant de membres laïques qu'il y a de consistoires
départementaux ( actuellement neuf dans la métropole et trois
en Algérie). Les membres laïques du consistoire central sont
élus pour huit ans par l'assemblée des électeurs ;
le grand rabbin est nommé à vie par un collège électoral
composé des membres du consistoire central et des délégués
choisis par les électeurs à raison de deux par circonscription
consistoriale.
Le consistoire central est l'intermédiaire
entre le ministre des cultes et les consistoires départementaux.
Il est chargé de la haute surveillance des intérêts
du culte israélite. Il approuve les règlements relatifs à
l'exercice du culte. Il a le droit de censure à l'égard des
membres laïques des consistoires départementaux ; il peut provoquer,
pour des causes graves, la révocation de ces membres, et même
la dissolution d'un consistoire départemental. Il délivre
seul les diplômes du premier et du second degré pour l'exercice
des fonctions rabbiniques, donne son avis sur la nomination des rabbins
départementaux et des rabbins communaux ; il statue sur la révocation
des ministres officiants, proposée par les consistoires départementaux.
Enfin, il approuve le budget, ainsi que les comptes de l'ordonnateur de
chaque communauté consistoriale, et délibère sur les
tarifs proposés par les consistoires pour la quotité et le
mode de perception des diverses taxes.
Consistoires
départementaux
Chaque consistoire départemental
se compose du grand rabbin de la circonscription et de dix membres laïques.
Le grand rabbin est nommé par
le consistoire central sur une liste de trois candidats présentée
par le consistoire départemental auquel s'adjoint une commission
composée :
1° d'un délégué
nommé par les électeurs inscrits de chaque communauté
ayant un ministre du culte rétribué par l'État.
2° d'un nombre égal de
délégués choisis par les électeurs du chef-lieu
consistorial. Les membres laïques sont élus pour huit ans par
les électeurs de la circonscription.
Le consistoire départemental
a l'administration et la police des temples de sa circonscription et des
temples et des établissements et associations pieuses qui s'y rattachent.
Il fait, sous l'approbation du consistoire central, les règlements
concernant les cérémonie religieuses relatives aux inhumations
et à l'exercice du culte dans tous les temples de son ressort. Il
institue auprès de chaque temple un commissaire administrateur ou
une commission administrative qui agit sous sa direction et sous son autorité.
Il représente en justice les synagogues de son ressort et exerce
en leur nom les droits qui leur appartiennent. Il participe à la
nomination du grand rabbin et à celle des rabbins communaux, dans
les conditions ci-dessus énoncés ; il nomme les sous-rabbins,
le ministre officiant et tous les agent du temple du chef-lieu consistorial.
Il surveille les ministres du culte de la circonscription consistoriale,
sur lesquels il exerce des pouvoirs disciplinaires. Il est chargé
de l'administration des biens de la communauté consistoriale, sur
lesquels il exerce, en outre, vis-à-vis des communautés non
consistoriales les attributions dévolues au consistoire central
aux communautés consistoriales.
Outre son rôle administratif,
le consistoire départemental a un rôle social ; ainsi, il
est chargé par le règlement de 1806 d'encourager par tous
les moyens possibles les israélites de la circonscription consistoriale
à
l'exercice des professions utiles et par l'arrêté du 17
avril 1832 de surveiller et d'encourager les écoles primaires israélites.
Enfin, l'article 22 de l'ordonnance
de 1844 charge le consistoire d'adresser chaque année au préfet
un rapport sur la situation morale des établissements de charité,
de bienfaisance ou de religion spécialement destinés aux
israélites.
Il faut ajouter que le consistoire
de Paris a été chargé par un décret en date
du 1er juillet 1859 de l'administration de l'école centrale rabbinique,
transférée à Paris le 1er novembre 1859. cette école,
où sont formés les ministres du culte, est moins un séminaire
qu' "un établissement d'enseignement supérieur,
puisqu'on y est admis qu'à la condition de produire le diplôme
de bachelier ès lettres. C'est la faculté de théologie
israélite qui délivre des diplômes de licenciés
en théologie aux élèves ayant quatre années
de scolarité, et, à la fin de leurs études, des certificats
d'aptitude au titre de sous-rabbin, rabbin ou grand rabbin (Baugey)."
Son programme comprend, outre les études religieuses et théologiques,
l'histoire de la philosophie, la littérature grecque, la littérature
latine, le chaldéen, le syriaque, l'arabe, etc.
Ses circonscriptions
consistoriales sont au nombre de neuf, savoir :
Circonscription
consistoriale de Bayonne (2 000 âmes) : Basse-Pyrénées,
Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège, Pyrénées-Orientales,
Aude, Tarn, Aveyron, Tarn-et-Garonne, Gers, Lot, Lot-et-Garonne, Landes.
Circonscription
consistoriale de Besançon ( 2200 âmes) : Doubs, JUra.
Circonscription
consistoriale de Bordeaux ( 3 000 âmes) : Gironde, Dordogne, Corrèze,
Creuse, Haute-Vienne, Charente, Charente-Inférieur, Vendée,
Deux-Sèvres, Vienne, Maine-et-Loire, Loire-Inférieure, Mayenne,
Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes-du-Nord, Finistère.
Circonscription
consistoriale d'Épinal ( 8 700 âmes) : Haute-Saône,
Haute-Marne, Vosges, territoire de Belfort.
Circonscription
consistoriale de Lille (3 800 âmes) : Nord, Pas-de-Calais, Somme,
Oise, Aisne, Ardennes, Marne.
Circonscription
consistoriale de Lyon (2 600 âmes) : Rhône, Isère, Savoie,
Haute-Savoie, Ain, Saône-et-Loire, Nièvre, Cher, Allier, Puy-de-Dôme,
Loire, Haute-Loire, Cantal.
Circonscription
consistoriale de Marseille (5 500 âmes) : Bouches-du-Rhônes,
Vaucluse, gard, Hérault, Lozère, Ardèche, Drôme,
Hautes-Alpes, Basses-Alpes, Alpes-Maritimes, Var, Corse.
Circonscription
consistoriale de Nancy ( 4 500 âmes ) : Meurthe-et-Moselle, Meuse,
Yonne, Aube.
Circonscription
consistoriale de Paris ( 50 000 âmes) : Seine, Seine-et-Marne, Seine-et-Oise,
Seine-Inférieure, Eure, Eure-et-Loir, Loiret, Loir-et-Cher, Indre,
Indre-et-Loire, Sarthe, Orne, calvados, Manche.
Des chiffres
indiqués pour chaque circonscription, il ressort que le total de
la population israélite en métropole s'élève
à 77 350 âmes ; mais ces chiffres ne comprennent que les israélites
connus comme tels n'étant basés sur aucun recensement officiel.
Ils ne sont qu'approximatifs et certainement inférieur au nombre
réel des israélites habitant la métropole, que l'on
peut évaluer à 120 000 âmes environ.
Commissions
administratives
Les
commissions administratives sont instituées, par délégation
du consistoire départemental, auprès de chaque temple de
la circonscription. Dans la pratique, les électeurs de chaque communauté
choisissent les membres de la commission chargé de l'administration
de leur temple et font ratifier leur choix par le consistoire départemental.
Les commissions administratives exercent surtout les attributions relatives
aux biens qu'elles sont chargées d'administrer conformément
aux prescriptions du décret du 27 mars 1893.
Ministres
du culte
Les
ministres du culte sont : le grand rabbin du consistoire central ; les
grands rabbins des consistoires départementaux ; les rabbins communaux,
les sous rabbins et les ministres officiants.
Le mode de nomination
de grand rabbin du consistoire central et des grands rabbins des consistoires
départementaux a été indiqué ci-dessus.
Les rabbins
communaux sont nommés par le consistoire départemental assisté
d'une commission composée de délégués élus
au scrutin de liste, moitié par le chef-lieu de la circonscription
rabbinique, moitié par les autres communautés de cette
circonscriptions, le nombre de ces délégués ne pouvant
dépasser six.
Les sous-rabbins
sont nommés par les consistoires départementaux.
Les ministres
officiants sont élus par une assemblée, comprenant au moins
cinq membres, tous désignés par le consistoire départemental.
Conclusion
L'esprit
qui a présidé à l'élaboration de ces divers
textes qui ont établi le régime légal du culte israélite
en France a été fort bien défini dans le rapport qui
sert de préambule à l'ordonnance du 25 mai 1844.
Après
avoir indiqué l'origine du décret du 16 mars 1808 et exposé
la méthode suivie pour la confection de la nouvelle ordonnance,
destinée à compléter ou à modifier les dispositions
des textes antérieurs, le garde des sceaux, ministre de la justice
et des cultes, termine son rapport par ces lignes, qu'il est bon de reproduire
parce qu'elles caractérisent bien la charte constitutive du culte
israélite :
"Dans
son ensemble, cette ordonnance ( celle de 1844) assure à l'autorité
publique la légitime part d'influence qui lui appartient sur les
intérêts administratifs du culte israélite, sans permettre
que jamais elle s'immisce dans des questions dogmatiques auxquelles elle
est étrangère, conciliant ainsi l'indispensable surveillance
du pouvoir avec la liberté de conscience. Elle resserre les liens
de la discipline et de la hiérarchie ; elle définit les droits
et les devoirs des consistoires et des ministres du culte israélite
; elle obtint, lorsqu'elle n'était encore qu'en projet, l'assentiment
des israélites éclairés, auxquels elle fut communiquée.
Tous leurs coreligionnaires applaudiront, je n'en doute pas, à ses
dispositions diverses."
Les
prévisions formulées par l'auteur de l'ordonnance de 1844
se sont réalisées. Grâce aux dispositions qu'elle contient,
les communautés israélites se sont développées
; la centralisation et la hiérarchie établies par les pouvoirs
publics, tout en permettant de donner satisfaction aux aspiration variées
qui se manifestent dans toute collectivité, ont maintenu dans les
diverses agrégations israélites l'unité et la concorde
indispensables, surtout aux minorités.
Au moment où vous vous apprêtez
à régler d'après une conception nouvelle la situation
juridique des Églises en France, il est assurément indispensable
d'examiner quel est le régime légal adopté dans les
autres pays. Pour décrire d'une manière complète les
institutions politico-ecclésiastiques des nations étrangères,
les rapports de droit et de fait entre les divers États de l'Europe
ou du Nouveau-Monde, il faudrait de longues pages. Nous devons ici nous
borner à des notions succinctes. Aussi bien une vue d'ensemble sur
la législation étrangère suffira-t-elle pour faire
comprendre la continuité de cette évolution qui, par des
degrés successifs, conduit les nations de l'antique régime
théocratique à celui de la complète laïcité.
Plusieurs pays d'Europe en sont encore
à la première phase, théocratique ou quasi-théocratique,
dans laquelle l'État est, sinon subordonné à l'Église,
du moins étroitement uni à elle, reconnaît la prédominance
d'une religion sur toute les autres et n'admet que des institutions sociales
conformes aux principes de cette religion. D'autres, de beaucoup plus nombreux
en Europe, ont atteint le second stade, celui de la demi-laïcité
; ils proclament les principes de la liberté de conscience et de
la liberté des cultes, mais considèrent, néanmoins,
certaines religions déterminées comme des institutions publiques
qu'ils reconnaissent, protègent et subventionnent.
Enfin, dans quelques pays d'Europe
et surtout dans plusieurs grandes républiques américaines,
apparaît le troisième terme de l'évolution. L'État
est alors réellement neutre et laïque ; l'égalité
et l'indépendance des cultes sont reconnues ; les églises
sont séparées de l'État. C'est surtout la législation
des pays parvenus à cette troisième période qu'il
convient d'étudier ici avec quelques détails.
L'Espagne est
au nombre des rares pays d'Europe où les rapports entre l'Église
catholique et l'État sont encore réglés par des actes
bilatéraux, par des accords conclus avec le chef de l'Église,
des concordats. Le régime concordataire tend, en effet, à
disparaître de plus en plus. Le Concordat conclu en 1827 avec le
royaume des Pays-Bas a été virtuellement abrogé ou
dénoncé en Belgique par la constitution de 1831 ; le concordat
conclu avec l'Autriche-Hongrie, en 1855, avait été dénoncé
par le gouvernement autrichien en 1870, au lendemain de la promulgation
du dogme de l'infaillibilité ; il a été abrogé
par la loi autrichienne du 7 mai 1874. Celui qui était intervenu
avec le grand duché de Bade avait été dénoncé
en 1850. La création du royaume d'Italie et la loi des garanties
du 13 mai 1871 ont mis à néant les divers Concordats conclus
par le Saint-Siège avec les divers États italiens, antérieurement
à l'unification de la péninsule. Le Concordat qui a le plus
récemment disparu est celui de la république de l'Équateur
avec le Saint-Siège qui datait de 1862. Une loi du 12 octobre 1904
l'a abrogé en tant que loi de la république, sans aucune
dénonciation préalable.
On affirmait dans une discussion parlementaire
récente, que toute législation destinée à régler
dans notre pays la situation de l'Église catholique sur d'autres
bases que celles adoptées en 1801 devait, pour être acceptable
aux yeux des catholiques, n'être dictée qu'après entente,
après "conversation" avec le représentant
suprême de l'Église. peut-être est-il bon de faire une
remarque à ce propos. il y a, sans doute, En Espagne, en Portugal,
en Bavière, dans certains cantons suisses et au Monténégro,
environ 28 millions de catholiques qui régissent des dispositions
légales conformes à des Concordats écrits ou à
des ententes verbales intervenus avec le Saint-Siège ; en revanche,
il y a en Italie 31 millions de catholiques, 20 millions en Autriche, 9
millions en Hongrie, 12 millions en Prusse, 6 millions en Belgique, 5 millions
et demi dans le Royaume de Grande-Bretagne et d'Irlande, etc. pratiquant
librement leur culte conformément à leurs législations
nationales, lesquelles ont été promulguées sans aucune
entente, sans aucune convention préalable avec la curie romaine.
De même, dans le Nouveau-Monde, les législations d'un caractère
concordataire ne s'appliquent qu'à un nombre de catholiques beaucoup
moins grand que celui de leur coreligionnaires vivant au Canada, aux États-Unis,
au Mexique, à Cuba, au Brésil, sous le régime de la
séparation.
En Espagne,
au contraire, le concordat de 1851 est toujours en vigueur ; il a même
été complété récemment par un nouveau
concordat relatif aux congrégations. D'autre part, l'Espagne et
le Portugal sont les seuls pays d'Europe où la religion catholique
soit encore reconnue effectivement comme religion d'État, au sens
ancien de l'expression, comme 'religion dominante". Malgré cette
union intime entre l'Église et l'État, vestige de l'antique
subordination de l'État à l'Église, les principes
de société moderne ont dû être proclamés
dans les textes constitutionnels des deux royaumes de la péninsule
ibérique. L'article 11 de la constitution espagnole porte que nul
ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses
ni pour l'exercice de son culte, sauf le respect dû à la morale
chrétienne ; en revanche, il prohibe toutes les manifestations et
cérémonies publiques d'une religion autre que celle de l'État.
En
Portugal, l'article 146, paragraphe 4 de la constitution proclame
le principe de la liberté de conscience ; mais les cultes autres
que la religion d'État ne peuvent être exercés que
dans des édifices n'ayant pas la forme extérieure de temples.
Dans ces deux pays la religion catholique est, bien entendu, largement
dotée par le budget.
La législation politico-ecclésiastique
de ces pays présentent trop peu d'analogie avec celle qu'il peut
être question d'établir dans un État laïque pour
qu'il soit nécessaire d'en faire ici un examen approfondi. La même
observation doit être faite en ce qui concerne ceux des pays d'Europe
qui, bien qu'ayant proclamé et appliqué les principes modernes
de la liberté de conscience et du libre exercice des divers cultes
reconnaissent des Églises nationales et officielles, considèrent
un ou plusieurs cultes comme des institutions d'État subventionnées
et réglementées par l'État.
Le nombre de ces pays est encore considérable.
Ce sont d'abord les pays de l'Europe orientale : la Russie,
où l'Église orthodoxe, placée sous l'autorité
suprême du Saint-Synode et du tsar, a tous les caractères
d'une grande institution d'État ; la Grèce,
où la religion orthodoxe est essentiellement nationale, et qui est
le foyer d'une propagande à la fois religieuse et politique en faveur
de l' hellénisme . Ce
sont la Roumanie, la Bulgarie et la Serbie
, avec leurs églises également rattachées au rite
grec orthodoxe, mais nationale et autocéphales, indépendantes
de tout pouvoir religieux étranger et, en même temps, reconnues,
organisées, dotées par l'État.
Dans les pays scandinaves
la religion luthérienne est religion de l'État. En Norvège
, beaucoup de fonctions publiques ne sont accessibles qu'à ceux
qui professent la religion luthérienne. En Suède
le libre exercice des cultes "étrangers
" n'a été garanti qu'à une date relativement récente.
En Prusse,
enfin, dans les autres États allemands, et en Autriche,
il n'y a pas une religion "dominante", une
religion d'État exclusive de toute autre ; mais plusieurs religions
ont un caractère officiel tout à fait semblable à
celui des cultes reconnus de notre législation actuelle.
Depuis la révolution de 1848,
l'organisation des Églises protestantes (évangéliques)
de la Prusse et d'autres États allemands a été profondément
modifiée ; de monarchique, elle est devenue élective et synodale
; et une indépendance presque complète a été
reconnue l'Église pour l'administration de ses biens. Pourtant l'Église
évangélique de Prusse, pas plus que celle d'autres États
allemands, n'est une Église libre et séparée de l'État.
Le souverain temporel est en même temps le chef de l'Église
le
summus episcopus ; l'organisation intérieure de
l'Église est réglée par l'ordonnance du roi en sa
qualité de chef de l'Église ; les rapports de l'Église
et de l'État sont réglés par le Landtag. Les traitements
et pensions du clergé protestant sont fixés et payés
par l'État. Les rapports de la Prusse avec l'Église catholique
ne sont guère moins étroits. celle-ci est aussi une Église
officielle dotée par l'État. Même au temps de la lutte
âpre qui fut engagée par le prince Bismarck contre le Vatican,
il ne fut jamais question d'une séparation entre l'Église
et l'État mais au contraire d'une réglementation plus étroite
de l'Église par l'État.
Ces temps sont d'ailleurs bien oubliés
aujourd'hui : presque toutes les dispositions des fameuses "lois
de mai" ont été abrogées ; les traitements
du clergé catholique, dont le montant avait été mis
sous séquestre, et qui formait un total de plus de 16 millions,
ont été restitué au clergé par la loi du du
24 juin 1891. Les traitements des membres du clergé catholique et
du clergé protestant ont été augmentés par
deux lois du 2 juillet 1898.
Dans tous les États allemands,
les cultes catholique et protestants sont, comme en Prusse, largement dotés
par l'État ; en outre, des taxes spéciales sont perçues
dans certains États sur les fidèles pour subvenir aux frais
de chaque culte.
En Autriche,
les rapports entre l'Église catholique et l'État sont réglés
par la loi du 7 mai 1874, dont l'article 1er abroge la pestante du 5 novembre
1855 portant promulgation du concordat du 18 août précédent.
La loi du 20 mai 1874 est relative aux communautés religieuses autres
que l'église catholique et qui sont reconnues par l'État.
En fait, sinon en droit strict, l'Église catholique est véritablement
une religion officielle.
Les hauts dignitaires de l'Église
jouissent des revenus immenses de leurs bénéfices ecclésiastiques
et sont au nombre des plus riches propriétaires fonciers de l'Europe.
Les autres membres du clergé sont rétribués au moyen
des revenus des propriétés des cures, du
"fonds de religion" (Religionsfond) provenant de la confiscation
des biens des congrégations, ordonnée par Joseph II, et enfin,
en cas d'insuffisance de ces ressources, au moyen d'une dotation de l'État.
Une loi du 19 avril 1885 a fixé
le montant des traitement et pensions du clergé catholique. Les
autres communautés religieuses reconnues par l'État couvrent
les frais du culte au moyen de taxes spéciales perçues dans
les mêmes formes que les impôts publics.
La Hongrie
a
fait dans la voie de la laïcisation un pas considérable au
cours des quinze dernières années. Les lois de 9 décembre
1894 sur le mariage, la religion des enfants ( en cas de mariage mixte)
et les actes de l'état civil ont définitivement sécularisé
l'état civil. La loi du 26 novembre 1895 organise le régime
des cultes. L'article 1er de cette loi proclame la liberté de conscience
et la liberté des cultes, et l'article 5 reconnaît à
toute personne le droit de sortir d'une communion religieuse.(
Le rapport distingue l'Autriche et la Hongrie ; il serait donc intéressant
de remarquer des législations et des états d'esprit très
différents dans ce qui était l'empire d'Autriche-Hongrie
, empire qui explosera après la Première Guerre mondiale)
Tous les cultes reçus ou légalement
reconnus constituent des communions ou des associations religieuses des
"corps religieux publics" placés sous la protection et le contrôle
de l'État. Or, ces cultes reconnus étaient fort nombreux
à la date de la promulgation de la loi (culte catholique romain,
catholique grec, protestants de la confession d'Augsbourg, réformé,
grec non uni, unitaire, israélite, etc.) ; et tous les autres cultes
peuvent être reconnus moyennant production de leurs statuts et s'ils
remplissent certaines conditions limitativement énumérées
par la loi.
Les communions religieuses peuvent
s'administrer librement, prélever des taxes sur les fidèles,
recueillir des fonds, mais elle ne peuvent posséder d'autres immeubles
que ceux servant à l'exercice du culte, au logement des ministres,
à des oeuvres scolaires et charitables, et des cimetières.
Les pasteurs et administrateurs de paroisse sont choisis sans aucune intervention
de l'autorité, mais ils doivent être de nationalité
hongroise. Le ministre compétent a le droit d'exercer une haute
surveillance sur les biens de la des communions religieuses et sur les
fondations dont elles sont en possession ; il doit veiller à ce
que les biens soient réellement affectés aux buts (religieux,
scolaire, charitable) qui sont autorisés par la loi.
Cette législation établit,
on le voit, une parfaite égalité entre les divers cultes
; elle ne laisse subsister que des liens très lâches entre
l'État et les Églises ; il n'y est pas fait mention d'allocations
fournies par l'État.
Sans doute le budget des cultes est
incorporé dans le budget de l'État qui se charge du payement
des dépenses afférentes aux divers cultes ; mais ces dépenses
sont couvertes par le montant des taxes d'Église perçues
spécialement sur les fidèles de chaque culte. En sorte que
les ressources générales du budget ne sont point affectées
aux cultes et que les citoyens " sans confession"
ne participent aux frais d'aucun culte. Une semblable législation
présente, avec un régime légal de séparation,
de grandes analogies. Toutefois, l'Église catholique demeure en
Hongrie une religion officielle : elle celle de la couronne, sinon de la
majorité de la population ( sur 19 254 000 habitants, il n'y a que
9 919 000 catholiques romains). Les hauts dignitaires de cette Église
touchent comme les membres du haut clergé autrichien les revenus
d'un patrimoine foncier très considérable, accumulé
depuis de longs siècles, et, à l'égard duquel n'est
intervenue jusqu'à présent aucune loi de sécularisation.
Il y deux pays voisins du nôtre
où les idées de la laïcité et de neutralité
de l'État ont fait, au siècle dernier, des progrès
bien plus sensibles que dans la plupart des États de l'Europe centrale
et orientale, mais où l'on aurait tort néanmoins de vouloir
chercher des exemples d'une séparation véritable entre l'Église
et l'État : ces deux pays sont l'Italie et la Belgique.
Italie.- C'est, on
le sait, le grand ministre italien Cavour qui a repris et rendu célèbre
la formule de
Montalembert : l'Église
libre dans un État libre. On a dit parfois que dans sa pensée
cette formule visait presque exclusivement les rapports de la dynastie
de savoie avec le pape résidant dans la capitale du royaume italien.
En réalité, Cavour et les hommes politique qui collaborèrent
à son oeuvre, tels que Minghetti auteur d'un ouvrage célèbre
sur la séparation de l'Église et de l'État (Statuto
e Chiesa - traduit en français par L. Borguet), entendaient
appliquer la même formule aux rapports avec le clergé séculier
tout entier et l'ensemble des catholiques. Mais leur idéal n'a point
encore été réalisé. La législation italienne
ne présente que l'ébauche d'une séparation.
L'Église ne possède
point une complète indépendance ; L'État est bien
loin d'avoir rompu tout lien avec elle. L'article 1er du Statuo
(Constitution) du royaume Sarde, promulgué en 1848, déclarait
que "la religion catholique apostolique et romaine
est la seule religion de l'État" et que "les
autres cultes existants sont tolérés conformément
aux lois" ; et cet article est encore l'un des textes constitutionnels
du royaume d'Italie. Assurément il a cessé depuis longtemps
d'être appliqué à la lettre. Les principes de l'égalité
et de la liberté des cultes et de la liberté de conscience
sont hautement reconnus en Italie ; les questions religieuses ne jouent
aucun rôle en ce qui touche l'aptitude aux fonctions et emplois publics
; les principaux services publics ( état civil, instruction, assistance
) ont un caractère laïque. Pourtant l'ancienne disposition
du Statuo n'est point tout à fait oubliée ;
le parti clérical l'invoque dans les polémiques présentes
relatives à l'obligation de l'enseignement religieux dans les école
primaires ( voir le Courrier européen
du 27 janvier 1905)
Le clergé séculier
jouit d'une très grand liberté ; toute restriction à
l'exercice du droit de réunion des membres du clergé catholique
a été aboli par l'article 14 de la loi du 13 mai 1871 (loi
des garanties) dont le titre 1er est consacré aux prérogatives
du Saint-Siège et le titre II aux rapports de l'État avec
l'Église. Le libre exercice du culte est donc garanti aux catholiques.
Il l'est d'ailleurs aussi aux non catholiques (protestants, israélites).
Le code pénal édicté en 1889, punit par des dispositions
spéciales ( articles 140, 141) la répression de tout trouble
apporté à l'exercice du culte, de tout outrage envers l'un
des cultes admis par l'État : l'article 142 punit quiconque, par
mépris de l'un des cultes admis par l'État, détruit,
dégrade ou profane dans un lieu publique des objets destinés
au culte ou bien use de violence contre un ministre du culte ; enfin l'article
143 punit toute détérioration de monuments, peintures, statues,
etc. ; placés dans un lieu destiné au culte. La contre-partie
de ces dispositions se trouve dans les articles 182 et 183 du même
code qui répriment les délits commis par les ministres des
cultes dans l'exercice de leurs fonctions ( blâme ou censure publique
des institutions ou des lois de l'État, excitation au mépris
des institutions, à l'inobservation des lois, des prescriptions
de l'autorité ou des devoirs inhérents à une fonction
publique, etc.) ; l'article 184 prévoit en outre que, pour tout
délit autre que ceux spécifiés aux articles précédents
la peine est augmentée d'un sixième à un tiers, si
c'est un ministre du culte qui, en se prévalant de sa qualité,
a commis le délit. Dans la pensée des hommes d'État
italiens qui, continuant l'oeuvre de Cavour, ont achevé l'unification
de l'Italie en donnant au nouveau royaume une législation pénale
uniforme, la formule "l'Église libre dans l'État libre" n'excluait
pas, on le voit, les dispositions très précises concernant
la police des cultes.
L'organisation intérieure de
l'Église est en partie indépendante de l'action de l'État.
Les évêques sont dispensés de toute prestation de serment.
Le roi n'a ni le droit de nommer, ni celui de proposer les titulaires des
bénéfices ecclésiastiques, sauf en ce qui touche la
collation de certains bénéfices dits
"de patronat royal" ( et c'est là, à vrai dire, une
exception importante). Les titulaires de bénéfices ecclésiastiques
doivent dans toute l'Italie, sauf à Rome, être de nationalité
italienne. Le pouvoir civil se refuse se refuse à prêter l'appui
du bras séculier pour l'exécution des actes des autorités
ecclésiastiques, en matière spirituelle et disciplinaire
; ces actes ne produisent d'autres effets juridiques que ceux qui sont
reconnus par les tribunaux civils. En revanche, la publication des actes
des actes des autorités ecclésiastique en matière
spirituelle est dispensée de toute autorisation administrative.
En tant que puissance spirituelle, l'Église catholique se trouve
ainsi réellement séparée de l'État. C'est
en ce qui touche l'administration temporelle des cultes que les rapports
subsistent. Au budget italien ne figurent sans doute sans doute ni les
traitements ni les pensions des membres du clergé. Mais c'est une
administration de l'État, celle du fonds pour le culte ( Fondo
per il culto ) qui pourvoit au payement des traitements et pensions
dont le taux est fixé par des lois et des décrets royaux
(une loi du 4 juin 1899 a augmenté le traitement des curés).
Le fonds pour le culte a été constitué en 1866, au
début de la grande sécularisation des biens ecclésiastiques
( le produit des deux tiers du patrimoine ecclésiastique sécularisé
a été affecté à ce fonds. L'administration
du Fondo per il culto n'est pas la seule qui soit chargée
des affaires ecclésiastiques. Il existe, en outre, une administration
du patrimoine ecclésiastique de laquelle dépendent les économats
et subéconomats des bénéfices vacants. La gestion
des biens temporels affectés au culte est, en effet, en cas de vacance
du siège, conservé par l'autorité civile ; de même
que tous les actes des autorités ecclésiastiques (pape et
évêques) concernant le temporel des cultes (collation des
bénéfices ecclésiastiques, administration des biens
ecclésiastiques) sont soumis à l'approbation gouvernementale
ou préfectorale (exequatur royal et placet royal)
Ce qui achève de donner à
l'église catholique le caractère d'une institution publique,
sinon une institution d'État, c'est que les fabriques
des églises paroissiales et cathédrales, les sanctuaires,
oratoires, etc., ont échappé à la suppression générale
des corporations et institutions religieuses effectuées dans la
seconde moitié du dix-neuvième siècle ; il subsiste
ainsi un nombre considérable d'établissements doués
de la personnalité juridique, pouvant recevoir des dons et legs,
bref tout à fait semblables aux établissements publics préposés
aux cultes qu'a institué notre droit concordataire. La législation
de l'époque napoléonienne est d'ailleurs encore en vigueur
dans une partie de l'Italie, et les règles relatives à l'acquisition
et à l'aliénation des biens des établissements du
culte sont, dans le code civil italien, les mêmes que dans notre
code civil.
La législation concernant
les rapports de l'Église et l'État en Belgique,
seraient, si l'on s'en rapportait aux déclarations faites tant par
les catholiques que par les libéraux lors de l'élaboration
de constitution belge, en 1830, inspiré par le principe de la séparation
; mais ici, plus encore qu'en Italie, il s'agit plutôt de l'indépendance
de l'Église, considérée comme pouvoir spirituel, à
l'égard de l'État, que d'une séparation réelle
et complète ; comme institution temporelle l'Église est subventionnée
par l'État.
La constitution, après avoir
proclamé et garanti la liberté de conscience, la liberté
des cultes et leur exercice public (art 14 et 15), déclare que l'État
n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination, ni dans l'installation
des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à celui-ci
de correspondre avec leurs supérieurs et de publier leurs actes.
Mais l'article 117 de cette même Constitution met à la charge
de l'État les traitements des ministres des cultes. Le budget des
cultes a constamment augmenté, surtout dans les vingt dernières
années, pendant lesquelles le parti clérical a été
au pouvoir. Il s'élève, si l'on tient compte des allocations
des provinces pour l'entretien des cathédrales et des séminaires,
et de celles des communes pour les dépenses du culte paroissial
en cas d'insuffisance des revenus des fabriques, à plus de huit
millions et demi. Une loi du du 24 avril 1900 a réglementé
à nouveau les pensions et les traitements ecclésiastiques.
Les traitements fixés par cette loi sont très supérieurs
à ceux du clergé catholique en France. Le logement du ministre
du culte est à la charge des communes.
Cet appui financier n'est pas le seul
privilège dont jouisse l'Église. Tandis que les associations
d'un caractère laïque, qui peuvent se constituer librement
et sans aucune déclaration ni autre mesure préalable (art.
20 de la Constitution) ne possèdent aucune capacité juridique,
n'ont point la personnalité ou la "personnification civile", comme
on dit en Belgique, il en est tout autrement en ce qui concerne les Églises.
La législation datant de l'époque où la Belgique faisait
partie de l'Empire français et considérée comme toujours
en vigueur : les fabriques d'Église continuent à être
régies par le décret du 30 décembre 1809 et sont de
véritables établissements publics préposés
au cultes qui acquièrent et accumulent des biens de mainmorte dans
les mêmes conditions qu'en France sous le régime concordataire.
Une loi du 4 mars 1870 a réglé
le mode de gestion des bien paroissiaux et la comptabilité des conseils
de fabrique. Les autres cultes reconnus (protestants, israélite
et anglican) dont les fidèles sont d'ailleurs très peu nombreux
jouissent aussi de la personnalité civile et sont soumis à
une réglementation analogue à celle prévue pour le
culte catholique.
Bref, on peut dire avec le grand jurisconsulte
belge Laurent (L'Église et l'État depuis la révolution)
: "Le système belge ne consacre pas la vraie
séparation de l'Église et de l'État : l'État
a des obligations sans avoir aucun droit tandis que l'Église a des
droits sans avoir aucune obligation."
Il convient de noter qu'en belgique,
comme en Italie, la liberté de l'exercice des cultes est garantie
d'une part et d'autre part limité par des dispositions pénales
: l'article 267 du code pénal belge punit les ministres des cultes
qui, hors les cas formellement exceptés par la loi procède
à la bénédiction nuptiale avant la célébration
du mariage civil ; l'article 267 punit celui qui, dans l'exercice de son
ministère, et en assemblée publique, attaque le gouvernement,
une loi, un arrêté royal ou tout autre acte de l'autorité
publique. Les articles 142 à 146 reproduisent presque textuellement
les articles 260 à 264 de notre code de 1810 qui réprime
les atteintes au libre exercice des cultes
La
législation ecclésiastique des Pays-Bas
ne diffère guère de celle de la Belgique. La constitution
proclame la liberté des opinions religieuses et déclare qu'une
protection égale est accordée à toutes les communions
religieuses. Mais il y a trois religions privilégiées, subventionnées
par l'État : ce sont les cultes catholique, protestants et israélite.
Il les deux pays d'Europe dont il nous
reste à parler, on rencontre, à côté des Églises
officielles, des Églises libres et séparées de l'État
; et, particularité intéressante, l'Église catholique
est au nombre de ces Églises libres.
Ces deux pays dont il s'agit sont
: la Grande-Bretagne et la Suisse.
Grande-Bretagne
et Irlande. - Il y a , dans le pays, deux Églises officielles,
"établies" : ce sont l'Église anglicane (Church of England)
en Angleterre, et l'Église presbytérienne en Ecosse. Le souverain
en est le chef suprême. On sait que la hiérarchie ainsi que
les dogmes et les rites de l'Église anglicane diffèrent assez
peu de ceux du catholicisme romain, tandis que l'église établie
d'Ecosse est organisée d'après le système électif
généralement adopté par les sectes protestantes. Ces
Églises officielles sont spécialement protégées
par l'État, mais non pas subventionné par lui. Il n'y a pas
de budget des cultes. Les revenus des dotations immobilières attachées
depuis de longs siècle aux divers titres ecclésiastiques
(archevêchés, évêchés, chapitres et cures)
le produit des dîmes, les contributions des fidèles constituant
les ressources de l'Église anglicane. Mais on ne peut s'attarder
ici à l'étude de ces Églises établies. Il est
plus utile d'examiner la condition juridique des Églises séparées
et libres et aussi de rappeler dans quelles conditions a été
opéré, il y a trente-six ans une véritable séparation
d'une Église et de l'État, à savoir le Disestablishment
de l'Église protestante d'Irlande.
I.- Il y a dans le Royaume-Uni beaucoup
d'Églises protestantes qui ne sont rattachées par aucun lien
avec l'État et n'on jamais été "établies".
On range leurs fidèles sous la dénomination générique
de dissenters (dissidents) et de non-conformistes. Dans tout
le pays de Galles, les six septième de la population ( qui est d'environ
1 574 000 habitants) se rattachent à des sectes non-conformistes
(méthodiste, congrégationaliste, wesleyenne, baptiste, etc.).
En Écosse, les fidèles des Églises indépendantes
de l'État sont beaucoup plus nombreux que ceux de l'Église
presbytérienne établie. Enfin, l'Église catholique
romaine compte environ 5 750 000 fidèles, dont 3 308 000 en Irlande.
Pendant de longs siècles, non-conformistes et catholiques furent
soumis à un régime d'exception ; l'exercice de leur culte
était à peine toléré et ils étaient
privés d'une partie de leurs droits civils et de tous droits politiques.
Il ne reste aujourd'hui que des vestiges de cette législation draconienne,
issue des guerres religieuses du seizième et du dix-septième
siècle. Des lois de 1791 et de 1829 ont accordé aux catholiques
presque tous les droits civils et tous les droits politiques. Seules quelques
hautes fonctions de l'État demeurent interdites aux dissidents et
aux catholiques romains ; encore la question est-elle controversée.
L'exercice du culte dans les églises et les temples est libre pour
toutes les secte dissidentes, mais cet exercice doit être public.
Depuis 1832 aucun "enregistrement ", aucune
déclaration n'est plus obligatoire pour l'ouverture d'un lieu de
culte. mais quand les temples sont déclarés, ces édifices
sont exemptés d'impôts, et les ministres qui sont attachés
à ces temples jouissent de certains privilèges analogues
à ceux qui appartiennent aux ministres de l'Église anglicane
(exemption du jury, du service dans la milice, etc.). Une ancienne loi
exempte du péage sur les chemins à péage tout ministre
d'un culte et tout fidèle qui se rend les dimanches et jour de fêtes
religieuses de son domicile au lieu du culte, ou qui en revient. Enfin
l'article 26 de la loi du 6 août 1861 (Ann. 24-25 Metoria, chap.
100), qui est applicable à tous les ministres du culte sans distinction,
punit de deux ans de prison avec ou sans travaux forcés (hard
labour) ceux qui troublent ou menacent un ecclésiastique dans
l'exercice de ses fonctions, soit au cours d'une cérémonie
du culte, soit pendant un convoi funèbre, et ceux qui commettent
des des violences à l'égard d'un ecclésiastique dans
les mêmes circonstances. La police des cultes existe donc plutôt
pour protéger la liberté des cultes que pour la limiter.
Rien n'est plus fréquent en
Angleterre, on le sait, que des prédications ou réunion d'un
caractère religieux, en plein air et sur la voie publique. Les ministres
des divers cultes jouissent d'une entière liberté de parole,
interviennent dans les affaires politiques ; on en a vu pendant la guerre
du Transvaal, apprécier en chaire, dans les termes les plus sévères,
les actes du gouvernement. La multiplicité des sectes, la faiblesse
numérique relative de chacune d'elles servent de contrepoids, en
quelque sorte, à cette liberté de parole presque illimitée
accordée aux ecclésiastiques. L'Église catholique
bénéficie comme les sectes protestantes de ce régime
très bienveillant. Elle est toutefois soumise à quelques
restrictions particulières ; on n'a point abrogé la disposition
de 1829 qui interdit aux prêtres catholiques, sous peine de 1 250
fr. d'amande d'exercer leur culte ou de porter des habits sacerdotaux ailleurs
que dans les lieux réservés à cet exercice ( ce qui
équivaut à l'interdiction des processions).
L'organisation de l'Église
catholique est des Églises protestantes non établies est,
dans le Royaume-Uni, celle d'associations libres vivant chacune suivant
ses propres règles. L'autorité gouvernementale n'intervient
pas dans dans le fonctionnement de ces associations. Les difficultés
qui peuvent s'élever à ce sujet sont du ressort des tribunaux.
Un schisme s'est produit récemment au sein de l'Église presbytérienne
libre d'Ecosse : la majorité des fidèles et des pasteurs
a décidé de s'unir à l'Église presbytérienne
unie, autre fraction du presbytérianisme qui est également
indépendante de l'État (la seule Église unie à
l'État est l'église presbytérienne "établie").
A la suite de ce schisme, le patrimoine très considérable
qui provenait de fondations pieuses et charitables a naturellement fait
l'objet de revendications contradictoires. Le litige a été
portée devant la cour d'Édimbourg et en appel devant la chambre
des lords ; et cette haute juridiction a attribué la totalité
du patrimoine à la minorité composée de quelques pasteurs
et d'un petit nombre de fidèles. Ce n'est pas la première
fois, loin de là, que de semblables procès, où les
questions d'ordre religieux et même dogmatique doivent être
examinés, sont soumis aux tribunaux anglais.
L'Église catholique a constitué
en Angleterre l'organisation hiérarchique qui lui est particulière.
Sans doute, ses évêchés et ses paroisses ne sont pas
érigées en personnes morales, en corporations ; mais elle
participe indirectement à tous les avantages de la personnalité
civile. La législation anglaise du moyen âge réprimait
très sévèrement les abus de la mainmorte
; mais elle a, pour ainsi dire, disparu grâce à l'institution
du fidéicommis, et spécialement du fidéicommis charitable
(charitable trust) qui permet d'affecter à perpétuité
à l'un des buts autorisés par la loi une libéralité
déterminée. Depuis la loi de 1601 promulguée sous
le règne de d'Élisabeth jusqu'à celles de 1888 et
1891, le nombre des charitable trusts admis par les législateurs
s'est beaucoup accru : on reconnaît notamment que tout legs fait
dans un but religieux entre dans cette catégorie. Le Roman
catholic charities act de 18.. autorise spécialement les
catholiques à instituer toutes sortes de fondations charitables
et religieuses. Toutefois, il faut que tout bien immobilier faisant l'objet
d'une fondation charitable ou religieuse soit vendu ou converti en valeurs
mobilières dans l'année du décès du testateur.
Il n'est fait exception qu'à l'égard de terrain devant servir
à la construction d'un temple ou d'un autre bâtiment nécessaire
au fonctionnement de l'oeuvre. Enfin la jurisprudence anglaise refuse de
valider certains dons ou legs d'un caractère religieux, telles que
les fondation à charge de dire des messes pour le repos d'une âme
: on les considère comme des usages superstitieux
( superstitious
uses) et comme étant à ce titre entachés de nullité.
Le testateur doit, d'après cette jurisprudence, se borner à
faire un legs en vue de l'exercice et du maintient du culte ; il peut exprimer
le désir qu'un ecclésiastique dise des prières à
son intention, mais en stipulant expressément, à peine de
nullité du legs, que ce désir ne crée aucune obligation
légale.
Il n'est contesté par personne
que, depuis l'émancipation des catholiques, en 1829, la puissance
matérielle de l'Église catholique en Angleterre n'a fait
que s'accroître, que chapelles, églises, couvents, écoles
confessionnelles s'y sont multipliés. Les ordres monastiques se
rattachant au catholicisme romain n'ont et ne peuvent avoir aucune capacité
juridique en tant qu'êtres collectifs ; mais ils s'enrichissent par
l'intermédiaire de leurs membres, ni la loi, ni la jurisprudence
n'ayant pris de précautions sérieuses contre les fraudes
dues à l'interposition de personnes.
II.- La séparation en Irlande
(Disetablishment de l'Église d'Irlande). - L'Église
anglicane s'était imposée par la conquête en Irlande.
"Cette Église, dit
Minghetti (L'État et l'Église - déjà
cité)
, petite par le nombre de ses fidèles, mais puissante par sa hiérarchie,
fortement organisée, se partageant l'île entière et
liguée avec les possesseurs du sol, avec l'Église d'Angleterre
et avec l'État, dominait une nation de catholiques, réduite
au dernier degré de misère." Par la loi du 26 juillet
1869 (Ann. 32-33, Victor, chap. 42), l'Église d'Irlande cessa d'être
une Église officielle et devint une Église libre. L'article
3 chargea de la liquidation des biens de l'Église trois "commissaires
du temporel de l'Église d'Irlande", au nom desquels fut transférée
toute la propriété ecclésiastique. Les "
corporations" existantes (personnes morales correspondant aux établissements
publics de notre droit), telles qu'archevêchés, évêchés,
etc., furent dissoutes à partir du 1er janvier 1871. L'oeuvre de
sécularisation, de "dédotation"
disendowment
de l'Église d'Irlande est aujourd'hui presque achevée. Le
patrimoine ecclésiastique, que Gladstone évaluait à
360 millions en capital, s'est retrouvé être en réalité
plus considérable encore. Le payement des rentes viagères
et allocations dues aux évêques et autre dignitaire, aux curés,
etc., d'une indemnité globale de 11 250 000 fr. remis au corps représentatif
de la nouvelle Église libre pour compensation de la perte des dotations
privées, terres et dîmes, des dépenses afférentes
aux édifices, et de divers autres indemnités a absorbé
une somme totale de 279 millions, supérieur d'un tiers environ à
celle qui avait été promise en 1869. Et après avoir
ainsi pourvu d'une manière extrêmement large aux besoins de
l'Église "désétablie"
il a été possible d'affecter une somme de 135 millions aux
besoins de l'Irlande, notamment à l'instruction et à
l'assistance publique de l'île. La même loi de 1869 supprime
tous les droits de patronage, royaux et autres, afférents à
la collation des fonctions ecclésiastiques. Elle accorde au clergé
pleine liberté de se réunir et de s'associer. Elle décide
que les statuts et règles dogmatiques ou disciplinaires de l'Église
d'Irlande ne vaudront qu'à l'égard des fidèles, et
à titre de stipulation librement consenties dans les conditions
du droit commun. Pour les édifices du culte, l'article 25 de la
loi contient les dispositions suivantes : les édifices religieux
ne servant plus au culte, mais devant être conservés à
titre de monuments historiques, sont remis à l'administration des
travaux publics (Commissionners of Public Works) de l'Irlande,
avec charge de veiller à leur conservation ; les églises
qui seront réclamées pour le service du culte par les représentants
de l'Église leur sont attribuées ; les églises non
réclamées par ces représentants de l'Église
et enlevées aux frais d'un particulier sont remis au donateur, sur
sa demande, ou aux héritiers du testateur, pourvu toutefois que
le décès du testateur soit à l'année 1800.
Dans les autres cas, les commissaires peuvent disposer de ces édifices
comme ils l'entendent. On le voit, dans un pays voisin du nôtre,
la séparation d'une église officielle et de l'État
a été légalement opérée ; et l'application
de la loi n'a soulevé aucune difficulté particulière
; la question agraire seule, à l'exclusion de la question religieuse,
et celle de l'autonomie législative ( Home Rule) sont
demeurées en Irlande des causes d'agitation. L'Église protestante
d'Irlande ne paraît pas d'ailleurs avoir souffert des modifications
ordonnées par la loi, et la disparition de ses privilèges
et de son caractère officiel n'a pas nui à son développement
; et elle s'est reconstituée, depuis la séparation, un patrimoine
considérable.
III.- Projets de séparation
en Angleterre.- Il y a en Angleterre, surtout depuis une trentaine d'années,
un courant d'opinion assez marqué en faveur de la séparation
entre l'Eglise et l'État. La liberation society, société
fondée en vue de libérer la religion du patronage et du contrôle
de l'État, poursuit avec une inlassable ténacité la
campagne de brochures, de manifestes, de publications de toute espèce
qu'elle a entreprise. D'après les estimations des "libérationnists
", c'est à dire partisans de la séparation, les revenus capitalisés
de l'Église anglicane et les églises et cathédrales
représenteraient au total une somme de 220 millions de livres (5
milliards de francs). On estime qu'en privant l'Église de ses dotations,
moyennant de larges compensations calculées d'après les mêmes
bases que pour l'Église d'Irlande en 1869, l'État pourrait
disposer d'environ 3 milliards. Tout un plan a été élaboré
; il comporte l'attribution au domaine des terres de rapport, l'attribution
des anciennes églises ( antérieures à 1818) aux habitants
des paroisses, qui pourraient les employer au mieux de leurs intérêts
ou les aliéner ; l'attribution des églises modernes aux groupes
de fidèles qui les ont construites, ou aux particuliers qui les
ont fait élever à leurs frais, s'ils sont encore vivants
(Ayral,
la Séparation des Églises et de l'État en Angleterre
-
Annales de l'école libre des sciences politiques, année 1886).
Les "libérationnists
" n'ont jamais espéré ni obtenu que l'appui politique du
parti libéral. Le parti conservateur leur est nettement hostile.
Même si les libéraux revenaient au pouvoir, les partisans
de la séparation ne pourraient sans doute pas songer à la
réalisation complète et immédiate de leur programme,
qui est la suppression de toute Église officielle, même en
Angleterre ; mais peut-être ferait-on de nouveaux efforts pour obtenir
le "Disetablishment" dans le pays de Galles et en Écosse. Des propositions
en ce sens ont été faites déjà à diverses
reprises au Parlement anglais et n'ont été repoussées
qu'à une très faible majorité. Il est certain que
le maintien d'une Église anglicane officielle dans le pays de Galles,
où cette Église possède des revenus importants et
perçoit pour plus de 5 millions de francs de dîmes, ne s'explique
guère, alors que l'immense majorité de la population est
détachée de cette Église.
Suisse.-
La Constitution fédérale de la confédération
suisse déclare inviolable la liberté de conscience et garanti
la liberté des cultes dans les limites compatibles avec l'ordre
public et les bonnes moeurs (art. 49 et 50). Elle autorise la confédération
et les cantons à prendre des mesures pour le maintien de l'ordre
public et la paix entre les membres des diverses communautés religieuses,
ainsi que contre les empiétements des autorités ecclésiastiques
sur les droits des citoyens et de l'État. Elle s'abstient de toute
ingérence dans l'organisation et le fonctionnement des Églises,
sauf sur un point : le dernier paragraphe de l'article 50 stipule qu'il
ne peut être érigé d'évêchés sur
le territoire suisse sans l'approbation de la confédération.
Enfin, l'article 49, paragraphe 6, porte que nul n'est tenu de payer les
impôts dont le produit est spécialement affecté aux
frais du culte d'une communauté religieuse à laquelle il
n'appartient pas. De l'ensemble de ces prescriptions on ne doit point inférer
qu'un régime analogue à celui de la séparation des
Églises et de l'État est établi en Suisse. Si la liberté
de conscience et la liberté du culte sont pleinement assurées
dans chaque canton conformément aux principes posés par la
Constitution fédérale, la disposition relative à la
participation aux frais du culte est à peu près inapplicable.
Les subventions allouées par beaucoup de cantons à certains
cultes étant payées sur les ressources générales
du budget et non pas fournies par des impôts spéciaux, les
contribuables participent ainsi nécessairement aux frais d'un culte
non pratiqué par eux.
Il y a dans tous les cantons des Églises
nationales, réglementées et, souvent subventionnées
par l'État. Rien, au surplus, n'est moins uniforme que la législation
politico-ecclésiastique des cantons suisses. La scission qui s'est
produite après 1870 entre les vieux catholiques et les catholiques
romains, les tentatives faites faites par les gouvernements de certains
canton, à Genève notamment, en vue de constituer des Églises
catholiques nationales ont rendu les rapports de fait et de droit entre
les Églises et les cantons plus complexes encore.
D'une manière générale
on peut dire que les Églises reconnues et officielles de chaque
canton, c'est à dire l'Église protestante dans les uns, l'Église
catholique dans les autres, les deux Églises dans d'autres encore,
sont subventionnées par l'État. Quand les revenus d'anciennes
fondations, qui existent dans presque tous les cantons où les taxes
perçues sur les fidèles ne suffisent pas pour l'entretien
du culte, des allocations sont fournies par les cantons. Les traitements
des ministres des cultes figurent dans la plupart des budgets cantonaux.
Il y a des cantons (Argovie, Zurich, Fribourg, etc.) où des taxes
spéciales pour les frais du culte sont perçues sur les fidèles
de chaque Église dans la même forme que les impôts..
En général, les édifices des cultes appartiennent
aux cantons ou aux communes, qui les mettent gratuitement à la disposition
des cultes.
La situation légale de l'Église
catholique romaine résulte d'anciennes coutumes dans certains cantons,
dans d'autres d'une législation ayant un caractère concordataire
: ainsi, pour le Tessin, des conventions ont été conclues
avec le Saint-Siège les 1er et 27 septembre 1884 par le gouvernement
fédéral (dont les relations diplomatiques avec le Vatican
étaient cependant rompues depuis dix ans) et par les autorités
cantonales du Tessin. Ailleurs, enfin, cette situation est uniquement réglée
par la loi cantonale.
Parfois l'Église s'est soumise
sans difficulté à la législation civile ; dans le
canton de Thurgovie, par exemple, elle a accepté l'organisation
synodale (comportant l'élection des curés par les fidèles),
que la loi lui avait imposée, et elle est restée dans ces
conditions Église officielle. Mais le plus souvent elle a refusé
de se plier à la réglementation faite par le pouvoir civil
et a renoncé à tous les droits et privilèges d'une
Église officielle. Les catholiques romains se sont alors constitués
en associations libres, entièrement séparée de l'État.
Les Églises catholiques et officielles subventionnées par
les cantons n'ont, depuis ce moment, compté d'autres fidèles
que les vieux catholiques, ou catholiques chrétiens dont le nombre
est fort réduit ( On n'en compte guère plus de 40 000 dans
toute la Suisse : le total de la population catholique est d'environ 1
379 000. Il y a près de 2 millions de protestants). Telle est la
situation qui s'est produite notamment à Bâle, à Berne
et à Genève. Dans le canton de Genève c'est une association
privée, l'oeuvre du clergé, qui recueille les souscriptions
des fidèles et paye les curés et vicaires. Pour remplacer
les églises mises à la disposition des vieux catholiques
de nouveaux édifices ont été construits aux frais
des fidèles. Toutefois les relations entre l'Église catholique
et les autorités civiles de Genève, de Berne et de Bâle,
fort tendues il y a une trentaine d'années, se sont beaucoup améliorées.
Des édifices communaux sont mis gratuitement à la disposition
des catholiques romains dans plusieurs communes du canton de Genève,
à Bâle et dans le canton de Berne.
L'Église
catholique n'est pas la seule n'est pas la seule qui vive séparée
de l'État dans certains canton suisses ; il y a également
à Genève, dans les canton de Vaud et de Neuchâtel,
des Églises protestantes libres à côté des Églises
protestantes nationales. Là, comme pour les catholiques, l'initiative
de la séparation est venue non du pouvoir civil, mais du groupement
religieux.
En ce qui touche la police des cultes,
on rencontre également en Suisse les régimes les plus divers.
Dans le canton de Berne a été promulgué, le 14 septembre
1875, une loi sur la "répression des atteintes
portées à la paix confessionnelle". L'article 2 de
cette loi punit de l'amende et de la prison tout ecclésiastique
faisant des institutions politiques ou des décisions des autorités
de l'État l'objet d'une publication ou d'un discours de nature à
mettre en danger la paix publique ou l'ordre publique ( disposition reproduisant
presque textuellement l'article 130 du code pénal allemand). L'article
5 interdit sous peine d'amende et d'emprisonnement les processions et autre
cérémonies religieuses en dehors des églises, chapelles
et autres locaux privés. Saisis d'un recours contre ces dispositions
de la loi cantonale, le conseil fédéral déclara, le
13 mai 1875, qu'elles ne portaient pas atteinte aux principes de la liberté
de conscience et de la liberté des cultes inscrits dans les articles
49 et 50 de la constitution fédérale. A Genève, la
loi du 28 août 1875 contient des dispositions analogues à
la loi bernoise. Les processions sont également interdites dans
le canton de Vaud. Elles sont, au contraire, autorisées dans le
Valais et dans les autres cantons catholiques. Dans le Tessin, notamment,
l'administrateur apostolique, délégué discret du Saint-Siège,
a des pouvoirs très étendus ; il peut faire ordonner des
prières publiques et des processions (convention de 1884 conclues
avec le Saint-Siège). En vertu des mêmes conventions, les
autorités civiles doivent prêter leur concours aux autorités
ecclésiastiques pour l'exécution des mesures prises par elles.
Le régime de la séparation
des Églises et de l'État, encore si faiblement et incomplètement
mis en pratique en Europe, est, au contraire, largement adopté dans
le Nouveau Monde ; le Canada (où une loi de 1854 a sécularisé
certains ecclésiastiques et enlevé à l'Église
anglicane tout caractère officiel), les États-Unis, le Mexique
n'en connaissent point d'autre. On le rencontre encore dans la jeune république
de Cuba, dans trois républiques du Centre-Amérique et enfin
dans le plus important des États de l'Amérique du Sud : les
États-Unis du Brésil.
États-Unis.
- Les rapports entre les pouvoirs civils et les religions aux États-Unis
ont été, dans ces dernières années, fréquemment
exposés. Les ouvrages de MM. le vicomte de Meaux (l'église
catholique et la liberté), Claudio Jannet (les États-Unis
contemporains), P. G. La Chesnais (trois exemples de séparation)
, de Bryce (la République américaine - traduit en français
- tome IV), de l'abbé Félix Klein (Au pays de la vie
intense) fournissent à cet égard de nombreux éléments
d'information qu'on doit compléter par l'examen des textes constitutionnels
ou législatifs. Le principe de la laïcité et de la neutralité
de l'État est consacré dans la constitution fédérale,
qui décide qu'aucune déclaration de foi religieuse ne peut
être requise comme condition d'aptitude pour l'obtention des charges
publiques dépendant du gouvernement fédéral (article
6) et qui interdit au congrès de faire aucune loi à l'effet
d'"établir" ( c'est à dire reconnaître officiellement)
une religion ou d'interdire son libre exercice (même article, amendement
I). Ces mêmes principes, qui, au début du dix-neuvième
siècle, n'étaient pas encore appliqués dans tous les
États de l'Union sont aujourd'hui uniformément proclamés
et mis en pratique sur tout le territoire de la République. Presque
toutes les constitutions des États déclarent que nul ne doit
être forcé de contribuer aux dépenses d'une Église
ou de se rendre à ses offices ; beaucoup prohibent toute marque
de préférence à l'égard d'une secte particulière.
L'égalité des divers cultes est aussi complète que
leur liberté. Mais la neutralité de l'État ne comporte,
en Amérique, ni hostilité ni même indifférence
à l'égard des religions. C'est de l'incompétence du
pouvoir laïque en matière religieuse et d'un sentiment profond
de l'égalité que dérivent ces législations
excluant toute religion officielle. La neutralité de l'État
est essentiellement une neutralité bienveillante à l'égards
des religions dont l'utilité est généralement reconnue.
Ainsi que l'a très justement fait observer Migheti, il y a une séparation
juridique, mais une véritable union morale entre l'État et
les Églises et M. Bryce a pu aller jusqu'à dire que le
"christianisme est en fait considéré comme étant,
sinon la religion légalement établie, du moins la religion
nationale". "Les fondateurs de notre gouvernement et les auteurs de notre
constitution ont reconnu qu'entre la religion chrétienne et un bon
gouvernement il y a une intime connexion et que cette religion est le fondement
le plus solide d'une saine morale. " Ainsi
s'exprimait un juriste un juriste américain dans une étude
sur le régime légal des Églises dans l'État
de New-York. Ces citations, auxquelles on pourrait en ajouter bien d'autres,
permettent de comprendre quelle est la conception spéciale de la
laïcité qui est admise aux États-Unis.
On s'explique
ainsi le caractère très favorable aux Églises, aux
"corporations
religieuses" des législations qui les
régissent.
On s'explique
ainsi certaines dérogations au principe de la neutralité
qui pourraient, au premier abord, paraître (
illisible) les allocations
accordées par les (
illisible) à
des chapelains appartenant à des confessions chrétiennes,
et (illisible
) prières au début de chaque (
illisible) proclamation
annuelle du Président (
illisible) ordonnant
des actions de grâce (
illisible) analogues
des gouverneurs d'(
illisible) des jours
pour la célébration de cérémonies religieuses
; les honneurs publiques (
illisible) et les
égards officiellement témoignés par le Président
de la république et toutes les autorités civiles aux dignitaires
ecclésiastiques, notamment aux archevêques et cardinaux de
l'Église romaine, etc.
La police des
cultes est fortement organisée, mais presque uniquement en faveur
des religions. Dans un certain nombre d'États, des lois punissent
le blasphème, interdisent de travailler le dimanche ; dans presque
tous les États tout désordre causé au cours de l'exercice
d'un culte, toute entrave au libre exercice des cultes, toute vente de
marchandises, vins ou spiritueux aux alentours des églises et temples,
des lieux destinés à des réunions religieuses ou prédications
en plein air (camp-meeting) sont punis de l'amende et de la prison. Les
cérémonies religieuses et processions sur les voies publiques
sont également autorisées ; pourtant une loi de 1880 les
a interdites dans l'État de New-York.
Il n'y a, d'autre
part, aucune loi dans les États de l'Union qui réprime spécialement
des délits commis par des ecclésiastiques. Il faut dire que
jusqu'à présent les ministres des divers cultes se sont presque
toujours renfermés dans leur mission. La neutralité de l'État
en matière religieuse coïncide réellement et effectivement,
aux États-Unis, avec la neutralité des Églises en
matière politique. C'est un principe unanimement reconnu que "l'Église
est un corps spirituel existant dans un but spirituel et se mouvant dans
des voies purement spirituelles. " (Bryce,
la République américaine, tome IV, p. 461) "On
n'admet pas, dit le même auteur, qu'un
clergyman s'immisce dans les affaires politiques et traite en chaire aucun
sujet séculier"
(ibid., p. 474).
On ne peut qu'envier la grande démocratie américaine de ce
que la sanction de l'opinion publique y soit suffisante, sans aucune disposition
pénale, pour réprimer certains excès.
L'organisation
intérieure des diverses Églises protestantes et de l'Église
catholique est celle d'associations libres et volontaires ; toutes les
questions de propriété, celles de discipline et de juridiction
ecclésiastiques sont, lorsqu'on les soumet aux tribunaux, résolues
suivant les règles du droit commun. Il est à peine besoin
de dire que le pouvoir civil n'intervient à aucun degré dans
la nomination des dignitaires ecclésiastiques. Les Églises
protestantes élisent leurs pasteurs, leurs évêques,
suivant les règles adoptées par chacune d'elles. Les curés
catholiques sont choisis par les évêques ; les évêques
sont désignés par la curie romaine sur une double liste de
présentation dressée par les curés du diocèse
et les évêques de la province.
Comme la législation
anglaise, la législation américaine est peu défiante
à l'égard des établissements de mainmorte ; le bénéfice
de la personnalité civile, qui emporte le droit de posséder
et celui d'acquérir des biens à titre gratuit, est donc très
libéralement accordé aux associations religieuses. Celles-ci
peuvent soit ne pas se faire "incorporer
", c'est-à-dire transformer en personnes morales, et se borner à
constituer des fidéicommissaires (trustees) qui assurent
la conservation des biens, soit devenir des corporations, des personnalités
juridiques en vertu d'une déclaration faite devant une autorité
administrative ou judiciaire, ou en vertu d'une loi spéciale. Mais
des garanties sont prises contre l'accroissement illimité des biens
de ces associations. Dans certains États, la loi détermine
le maximum du capital qu'elles peuvent posséder (Alabama, Colorado,
Tennessee : 250 000 fr. ; Michigan, Caroline du Sud : 500 000 fr. , etc.)
; dans d'autres, c'est le maximum du revenu des biens qui est fixé
(maryland, New-Jersey : 10 000 francs de revenu ; Delaware : 1 500 fr.
de revenu provenant d'immeubles et 3 000 fr. de revenu provenant de valeurs
mobilières ; Californie : 100 000 fr. ; New-Hampshire : 25 000 fr.
; Caroline du Nord, 30 000 fr. ; New-York : 500 000 fr.). Ailleurs, la
loi limite le nombre d'acres de terrain que peut posséder une Église
: dans le district de Columbia, chaque association religieuse ne peut posséder
qu'un acre de terrain pour y construire des églises et autres établissements
servant à l'accomplissement du but de la société ;
dans l'Illinois, chaque association ne peut posséder d'autres immeubles
que ceux servant au fonctionnement de l'association ; dans l'Iowa, nul
ne peut donner ou léguer à une association religieuse plus
du quart de sa fortune.
On voit que,
sous des formes très diverses, les législations américaines
ont pris des précautions contre l'accroissement des biens de mainmorte.
Les corporations religieuses sont toutefois traitées avec beaucoup
de bienveillance, on ne saurait trop le répéter. leurs biens
sont parfois parfois partiellement exemptés d'impôts. Dans
certains États (Maine, Massaschussets) elles sont autorisées
non seulement à réclamer des cotisations, des taxes aux fidèles,
mais encore à faire percevoir ces taxes dans les mêmes formes
que les impôts d'État ou les impôts communaux.
Enfin, outre
les lois générales, les législatures des États
ont fréquemment édicté des lois spéciales relatives
à telle ou telle Église protestante ou à l'Église
catholique afin de donner à chacune d'elle l'organisation particulière
qui lui convient le mieux. L'Église catholique a largement bénéficié
de ces dispositions bienveillantes et a, dans beaucoup d'États,
fait créer ainsi, à son profit, un droit spécial,
qu'elle préfère au droit commun des associations. Un jurisconsulte
catholique faisait naguère remarquer que l'association, c'est-à-dire
le libre groupement de citoyen associés pour exercer un culte ,
"est la négation pratique et le renversement de la hiérarchie
catholique. (Voir rapport sur les projets
de loi relatifs à la séparation adressé par M. G.
Théry, ancien bâtonnier au barreau de Lille à l'archevêque
de Cambrais, dans le Siècle du 1er janvier 1905.) Or aux États-Unis
le désir de ne refuser aucune concession au sentiment religieux
l'a emporté sur le respect dû aux principes démocratiques.
L'Église catholique a dans certains États fait reconnaître
et consacrer par la loi, l'organisation hiérarchique et autoritaire
qui lui est chère. Ainsi dans l'État de New-York, à
la suite de la campagne menée par l'évêque Hugues,
une loi du 25 mars 1863 a admis que la paroisse catholique, qui constitue
une " corporation",
c'est-à-dire une personne morale, serait administrée par
l'évêque du diocèse, un vicaire général,
le curé de la paroisse et deux laïques nommés par les
trois premiers membres.
Le vicaire général et
le curé étant eux-mêmes nommés par l'évêque,
celui-ci a en réalité les pouvoirs les plus complets quant
à l'administration de la paroisse. La personnalité civile
de l'évêché ou du diocèse, que l'Église
a fait tant d'efforts pour faire reconnaître en France depuis le
Concordat, a été obtenue dans plusieurs États ; tantôt
des lois spéciales ont reconnu la personnalité juridique
de certains archevêchés ou évêchés nominativement
désignés (Michigan : loi du 27 mars 1867. - Massachusetts
: loi du 11 juin 1897); tantôt les lois déclarent en termes
généraux que l'évêque ou tout autre chef spirituel
d'une communion religieuse peut constituer ce que le droit anglo-saxon
appelle corporation sole, c'est-à-dire une personnalité
juridique apte à posséder et à acquérir à
titre gratuit des biens affectés à un but religieux et devant
être transmis aux titulaires successifs de la fonction ecclésiastique
(Californie, Oregon).
Néanmoins toute ingérence
des fidèles dans l'administration temporelle des Églises
n'a pas été entièrement écartée : généralement
le sermon d'un dimanche par an est remplacé par un compte rendu
de gestion aux fidèles.
Un semblable régime légal
a, bien entendu, eu pour conséquence un accroissement rapide de
la puissance morale et matérielle des Églises et notamment
de l'Église catholique. Jusqu'à présent aucun parti
politique ne paraît songer à y mettre obstacle. Le nombre
des non-croyants est néanmoins considérable aux États-Unis.
Si les interventions des Églises dans les affaires politiques devenaient
plus fréquentes et moins discrète, si les efforts d'ailleurs
couronnés de succès qu'a fait l'Église catholique
en vue de constituer un enseignement primaire strictement confessionnel,
apparaissait un jour comme dangereux à certains égards, notamment
au point de vue du retard qui en résulte pour l'assimilation des
émigrés catholiques et leur fusion avec les autres races
(Voir un article de M. P.-G. La Chesnais dans l'Européen
du 14 janvier 1905), peut-être les Américains connaîtraient-ils
à leur tour cette question cléricale qu'ils considèrent
avec un dédain un peu superficiel et avec la confiance d'un peuple
jeune, n'ayant point encore fait certaines expériences, comme occupant
une trop grande place dans les préoccupations politiques du vieux
monde. Peut-être viendra-t-il un jour où il y aura parmi eux
non seulement des non-croyants, des " agnostiques"
mais des anticléricaux.
(Chaque matin aux USA les écoliers doivent réciter une déclaration
d'allégeance qui définit le pays comme ''une nation sous
la loi de Dieu''.
Un athée,
Michael Newdow, a intenté, en 2002, une action en justice qui a
soulevé une tempête de protestations et généré
un gigantesque débat dans le pays tout entier. http://perso.wanadoo.fr/jocelyn.bezecourt/pledgeofallegiance.html
)
Mexique.-
La séparation des Églises et de l'État apparaît
dans la législation du Mexique sous un tout autre aspect qu'aux
États-Unis. On ne peut parler ici d'une étroite union morale
entre l'État et l'Église tempérant ou altérant
les effets de la séparation juridique.
Rappelons en quelques mots les origines
historiques de la séparation au Mexique que M. P.-G. La Chesnais
a exposées très complètement dans son intéressante
brochure intitulée Trois exemples de séparation,
publiée par les soins des Pages libres.
Le clergé catholique, peu nombreux,
mais tout-puissant par ses immenses richesses, possédait au milieu
du dix-neuvième siècle un tiers des biens fonciers de la
nation. Après la guerre d'indépendance, qui libéra
le Mexique de la suzeraineté de l'Espagne, il ne cessa point d'intervenir
dans les luttes politiques.
Le parti fédéraliste
devint un parti nettement anticlérical. En 1856, ce parti, parvenu
au pouvoir, supprima la mainmorte ecclésiastique en autorisant les
tenanciers à devenir propriétaires des terres louées
par les titulaires de bénéfices ecclésiastiques ;
puis il fit disparaître les congrégations d'hommes, nationalisa
les édifices du culte, laïcisa l'état civil, supprima
enfin la légation mexicaine près le Vatican. Pour conserver
ses richesses, le clergé déchaîna la guerre civile,
puis la guerre étrangère. On sait comment se termina tragiquement
le règne éphémère de l'archiduc Maximilien
à qui Napoléon III avait cru devoir offrir l'appui d'une
armée française. Le parti fédéraliste fédéraliste
définitivement vainqueur avec Juarez, édicta une loi de laïcisation
qui établissait notamment une séparation complète
entre l'État et l'Église. Il convient de citer ou d'analyser
les dispositions de cette loi, promulguée le 14 décembre
1874. (Voir le texte complet dans l'Annuaire de législation
étrangère , publiée par la société
de législation comparée, année 1879.)
"L'État
et l'Église, dit l'article 1er, sont
indépendants l'un de l'autre. Il ne pourra être fait de loi
établissant ou prohibant aucune religion ; mais l'État exerce
son autorité sur chaque religion en ce qui concerne l'ordre public
et les institutions. "
L'article 2 est ainsi conçu:
"
L'État garantit l'exercice des cultes dans la République.
Il ne punira que les actes et pratiques qui, bien qu'autorisés par
quelque culte, constituent une contravention ou un délit conformément
aux lois pénales."
L'article 3 déclare que les
autorités publiques ne prendront plus part officiellement aux cérémonies
d'un culte quelconque. Ne sont plus reconnus comme jours fériés
que ceux ayant pour objet exclusif la célébration d'événements
purement civils. Toutefois, le dimanche demeure désigné comme
jour de repos pour les bureaux et administrations publiques.
L'article 5 n'autorise la célébration
publique d'un acte religieux que dans l'intérieur d'un temple, et
ce sous peine d'une amende de 10 à 200 piastres et d'une incarcération
de deux à quinze jours ; un emprisonnement de deux à six
mois peut être prononcé si l'acte a un caractère solennel
et s'il y est procédé en violation d'une injonction de l'autorité
en ordonnant l'interruption immédiate. Hors des temples, le port
de vêtements et d'insignes est interdit tant aux ministres des cultes
qu'aux fidèles, sous peine de 10 à 200 piastres d'amende.
L'usage des cloches n'est autorisé
qu'en tant qu'il est strictement nécessaire pour appeler les fidèles
à l'office ; il peut faire l'objet de règlement de police
(art. 6)
Les Temples doivent faire l'objet
d'une déclaration ou enregistrement. Ils jouissent alors, tant qu'ils
demeurent affectés à l'exercice du culte, de la protection
accordée aux lieux de culte par l'article 969 du code pénal
du district fédéral. Ce code contient huit articles relatifs
à aux atteintes à la liberté des cultes (art. 968
à 975) ; l'article 969 punit le trouble apporté à
l'exercice du culte dans un lieu affecté à cet exercice,
et l'article 971 réprime l'outrage envers un ministre du culte dans
l'exercice de ses fonctions ; des dispositions analogues se rencontrent
dans les codes pénaux des divers États mexicains.
Les ministres des cultes ne jouissent,
depuis la séparation, d'aucun privilège qui les distingue
des autres citoyens et ne sont soumis à aucune prohibition autre
que celles résultant des lois et de la Constitution (loi de 1874,
art. 10)
"Les discours
prononcés par les ministres des cultes, qui contiendront le conseil
de désobéir aux lois ou la provocation à quelque crime
ou délit rendent illicite la réunion où ils se tiennent
et cette réunion, cessant de jouir du privilège contenu en
l'article 9 de la Constitution, peut être dissoute par l'autorité.
L'auteur du discours restera dans ce cas soumis à la disposition
du titre VI, chapitre VIII, livre 3 du code pénal du district fédéral
applicable, dans ce cas, à toute la République. Les délits
commis à l'instigation ou à la suggestion du ministre du
culte dans les cas ci-dessus constituent ce dernier auteur principal du
fait" (art. 11).
"Toutes les
réunions qui auront lieu dans les temples seront publiques et soumises
à la surveillance de la police et l'autorité pourra y exercer
les pouvoirs qui lui appartiennent si les circonstances l'exigent"
(art. 12).
Les organisations religieuses s'organisent
hiérarchiquement comme il leur convient et leur supérieur
les représente devant l'autorité (art. 13). Elles ne peuvent
acquérir et posséder des biens-fonds et des capitaux à
eux attachés, exception faite pour les temples consacrés
d'une façon directe au service public du culte et pour les annexes
et dépendances des temples qui sont strictement nécessaires
au service du culte (art. 14). Elles peuvent recevoir des aumônes
et des donations mobilières, mais non des legs. Les quêtes
ne sont permises que dans l'intérieur des temples. Toute infraction
à cette prescription est punissable d'une amende pouvant s'élever
jusqu'à 1 000 piastres (art. 15).
Les temples, nationalisés par
la loi du 12 juillet 1859, demeurent propriété de l'État
; ils sont laissés à l'usage exclusif des institutions religieuses
qui doivent veiller à leur conservation et à leur amélioration
(art. 16). Les temples appartenant à l'État sont exemps de
contributions.
Telles sont les dispositions régissant
au Mexique l'exercice des cultes.
La même loi du 14 décembre
1874 a supprimé l'enseignement religieux et les exercices religieux
dans les écoles et tous les établissements publics (art.
4). Elle refuse aux ministres des cultes la capacité d'être
institués héritiers ou légataires par ceux à
qui ils ont prêté leurs secours spirituels (art. 8 et 9).
Elle interdit enfin les ordres monastiques (art. 19 et 20), supprime le
serment religieux (art. 21), refond les lois antérieures sur la
laïcisation de l'état civil et le mariage civil ( art. 22,
23 et 24), sur la laïcisation des cimetières, etc., prohibe
tout pacte ou convention ayant pour objet la perte ou le sacrifice irrévocable
de la liberté de l'individu.
Le Mexique possède ainsi la
législation laïque la plus complète et la plus harmonique
qui ait jamais été mise en vigueur jusqu'à ce jour.
Il est délivré depuis tente ans de la question cléricale
et a pu se vouer entièrement à son développement économique
: il connaît réellement la paix religieuse. L'Église
catholique ne parait pas avoir souffert, d'ailleurs, du régime légal
assez strict mais non oppressif sous lequel elle vit. "Le
clergé n'est pas à plaindre. Les curés des paroisses
rurales ont une situation plutôt meilleure que sous l'ancien régime.
Les dons, les quêtes dans les églises, le casuel suffisent
à soutenir les frais du culte et entretenir les ministres et les
séminaires ... Les églises fort délabrées et
mal desservies en 1857, ont recouvré leur splendeur."( P.-G.
La Chesnais, op. cit. p. 89) Le gouvernement du président
Porfirio Diaz n'a cessé d'appliquer, sans hostilité à
l'égard de l'Église mais avec fermeté, la législation
de 1874 ; et, s'il faut en croire une correspondance récemment adressée
de Rome au Journal des Débats, il a toujours opposé une fin
de non-recevoir aux démarches officieuses faites assez fréquemment
par le Saint-Siège en vue de la conclusion d'un nouveau concordat.
Cuba.-
La République de Cuba, dont la population est d'environ 1 572 000
habitants est presque entièrement catholique, offre un exemple unique
assurément. La séparation complète de l'État
et de l'Église s'y est faite "sans phases", pourrait-on dire, sans
promulgation d'aucune loi ni d'aucun décret, sans agitation anticléricale,
sans protestation de la part de l'Église.
Les États-Unis, en intervenant
militairement dans l'île en 1899, n'ont pas seulement donné
aux cubains la liberté et l'indépendance ; ils ont substitué,
sans mot dire, au régime espagnol de la religion d'État le
régime américain de la séparation. Sous la domination
espagnole les frais du culte catholique (traitements, pensions, entretien
des édifices) étaient supportés par le budget ; les
autres cultes n'étaient que tolérés et leur exercice
n'étaient permis que dans des locaux privés. Dès le
début de l'intervention américaine l'Église catholique
cessa d'être subventionnée par l'État ; l'exercice
de tous les cultes devint libre. Ce changement radical s'opéra sans
bruit, sans difficulté d'aucune sorte. Et depuis l'établissement
définitif de la république cubaine (20 mai 1902) aucune loi
n'est intervenue à l'effet de régler cette situation nouvelle.
Les seuls textes qui aient trait à la question sont un règlement
relatif aux cimetières, qui fut édicté le 12 avril
1899 par l'autorité militaire américaine, un acte notarié
intervenu entre le gouvernement américain et les représentants
de l'Église catholique pour reconnaître à celle-ci
la propriété de certains immeubles qu'avait confisqués
le gouvernement espagnol, et enfin l'article 26 de la Constitution de la
nouvelle république. Cet article déclare que l'exercice de
tous les cultes est libre, que l'Église est séparée
de l'État et que l'État ne peut en aucun cas subventionner
un culte quelconque.
Le règlement du 12 avril 1899
a confié aux municipalités l'administration des cimetières
construits aux frais des communes, et à l'église celle des
cimetières construits à ses frais. L'article 5 spécifie
en termes généraux que tous les édifices du culte
ou autres bâtiments servant à un but religieux ; dont les
ministres du culte ou les représentants d'une Église sont
en possession, seront considérés comme propriétés
de l'Église tant qu'il n'en aura pas été décidé
autrement par l'autorité compétente ; et ce texte provisoire
parait avoir suffi à trancher jusqu'à présent toute
difficulté.
Les processions et manifestations
extérieures du culte ne sont aucunement réglementées.
On admet généralement qu'il appartient aux autorités
municipales de les autoriser ou de les interdire.
Brésil.-
Une récente étude de M. Louis Gullaine, parue dans la Revue
politique et parlementaire du 10 janvier 1905, et à laquelle
nous empruntons une notable partie des renseignements qui vont suivre,
expose dans quelles conditions la séparation des Églises
et de l'État a été établie et réalisée
au Brésil.
Le Brésil est, comme le Mexique,
presque exclusivement peuplé de catholiques ( 15 millions et demi
sur une population de 16 millions). Avant la révolution de de 1899,
la monarchie brésilienne reconnaissait la religion catholique romaine
comme religion d'État. Jusqu'en 1881, les non-catholiques étaient
exclus de tout mandat législatif. Depuis la révolution, le
Brésil est une république fédérative et décentralisée
où les principes de la laïcité de l'État et de
la liberté des cultes ont été reconnus.
Les textes qui organisèrent
le
nouveau régime sont le décret du gouvernement provisoire
du 7 janvier 1890, la Constitution du 24 février 1891 et la loi
sur les associations du 10 septembre 1893.
L'article 2, paragraphe 2, de la Constitution
interdit aux États de l'union d'établir, de protéger
ou d'entraver les cultes religieux.
L'article 72, paragraphe 7, interdit
toute subvention officielle en faveur d'une Église, tous rapports
officiels avec une Église.
L'article 72, paragraphe 3 consacre,
comme l'avait fait l'article 2 du décret du 7 janvier 1890 le principe
du libre exercice - privé ou public - de tout culte.
L'article 72, paragraphe 28, porte
que nul citoyen brésilien ne pourra, en raison de ses croyances
ou de ses fonctions religieuses, être privé de ses droits
politiques ni se soustraire à l'observation de ses devoirs de citoyen.
Le budget des cultes est, on le voit,
entièrement supprimé. Il s'élevait, avant 1889, à
environ 2 500 000 fr. et comprenait, outre le traitement des ministres
du culte, les allocations qui étaient accordées aux bienheureux
saint Sébastien et saint Antoine à raison de leurs titres
de majors de l'armée brésilienne. C'est le prieur d'un couvent
de Rio-Janeiro qui touchait ces traitements au nom de leurs célestes
titulaires.
Au début, le nouveau régime
fut assez mal accueilli par le haut clergé dont certains membres
prirent part à des conspirations antirépublicaines. Mais
peu à peu l'Église s'est ralliée à la nouvelle
législation qui, d'ailleurs, depuis la promulgation de la Constitution,
n'a été ni complétée par des textes ni appliquée
par les pouvoirs publics dans un sens anticlérical. L'Église
a perdu les subventions budgétaires, mais elle est délivrée
de la tutelle parfois très dure que le pouvoir civil exerçait,
avant la proclamation de la république, sur l'épiscopat brésilien.
Presque aucune précaution n'est prise pour empêcher l'accroissement
de ses biens. L'acquisition de toute de toute espèce de biens est
permise aux associations religieuses qui ont acquis la personnalité
juridique par un enregistrement au bureau des hypothèques. C'est
seulement en cas d'extinction d'une association, et si aucune association
analogue n'est apte à recueillir son patrimoine, que celle-ci passe
au domaine de l'État. Chaque Église a d'ailleurs conservé
la propriété des édifices consacrés au culte
et des autres immeubles dont elle était en possession sous l'ancien
régime (décret du 7 janvier 1890, art. 5).
Aucune disposition légale ne
limite le libre exercice des cultes. Les processions et autres manifestations
extérieures sont autorisées, et l'article 72, paragraphe
7, de la Constitution est si peu strictement appliqué que les autorités
civiles figurent dans les processions et que l'archevêque de Rio-Janeiro
est assis aux côtés du président de la république
dans les cérémonies civiles. Les prêtres et séminaristes
ne font pas de service militaire ; le mariage civil ne doit pas obligatoirement
précéder le mariage religieux. Bref, on a pu dire que
"la séparation faite en théorie est loin d'être achevée
dans la pratique" . Et l'on ne s'en étonne point si l'on
songe que la séparation des Églises et de l'État n'a
été décrété qu'il y a quelques années
; qu'elle n'a pu changer subitement les croyances et les moeurs d'un peuple
profondément catholique, et qu'enfin elle n'a pas été
l'oeuvre d'anticléricaux ou tout au moins libres penseurs peu favorables
aux Églises, mais d'un groupe de positivistes ennemis de tout religion
officielle et partisans déclarés de la liberté absolue
et illimitée des diverses religions. (Voir à ce sujet, dans
le Courrier européen du 6 janvier 1905, une lettre
de M. Miguel Lomos, chef de " L'Église positiviste"
du Brésil.
Equateur.-
La république de l'Équateur était demeurée
jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle une véritable
théocratie. Les moines y étaient tout puissants :ils avaient
accumulé une énorme fortune ; ils étaient les maîtres
occultes des administrations et du gouvernement. L'Église catholique
était la religion de l'État ; un concordat avait été
conclu avec le Vatican en 1862. Par l'intermédiaire des moines,
le Saint-Siège dominait en réalité la république
; le clergé séculier dépendait étroitement
des ordres monastiques, et des prélats allemands, italiens, espagnols
étaient envoyés dans le pays pour y occuper les hauts emplois
ecclésiastiques. Une révolution, survenue en 1895, amena
le parti clérical au pouvoir. Et, en moins de dix ans, par un changement
d'une singulière soudaineté, cette république théocratique
est devenue un État laïque.
Le mariage civil a été
rendu obligatoire ; le divorce ( non encore admis dans les autres républiques
hispano-américaines qui ont institué le mariage civil) a
été autorisé ; la légation près le Vatican
a été supprimée. Enfin, une loi sur les cultes est
intervenue le 12 octobre 1904. L'article final de cette loi abroge le concordat.
L'article 1er proclame la liberté et l'égalité des
cultes. La loi exige que tous les évêques, curés, vicaires
et autres ministres des cultes soient de nationalité équatorienne.
Elle interdit la fondation de nouveaux couvents, l'immigration des moines
étrangers, elle supprime par extinction les couvents cloîtrés
en leur interdisant de recevoir des novices. Les biens des ordres monastiques
sont placés sous le contrôle du gouvernement. Ils ne peuvent
plus être aliénés sans son autorisation ; ils doivent
tous être loués aux enchères publiques ou administrés
par des commissaires gouvernementaux.
Les revenus de ces biens sont affectés,
en première ligne, aux besoin des membres des ordres religieux ;
en seconde ligne, à l'exercice et à l'entretien du culte
et du clergé régulier ; s'il y a un excédent, il est
attribué dans chaque province à des oeuvres de bienfaisance
ou d'utilité publique. Si ,au contraire, les revenus de ces biens
sont insuffisants pour pour pourvoir tout à la fois aux besoin du
clergé régulier et à l'entretien du culte, l'État
doit fournir une subvention complémentaire pour cet entretien ;
mais c'est là un cas exceptionnel, dont on ne prévoit guère
la réalisation, étant donné l'importance du patrimoine
des ordres religieux ; aussi la loi considère-t-elle cette subvention
éventuelle de l'État comme rentrant au nombre des dépenses
extraordinaires. Et il n'y a pas normalement de budget des cultes.
Bref, on peut dire que la république
de l'Équateur, qu'on appelait encore il y a dix ans "la
république de Sacré-Coeur", a décrété
tout à la fois la sécularisation des biens du clergé,
la limitation du monarchisme, la neutralité et la laïcité
de l'État, la suppression du budget des cultes et l'abrogation du
concordat.
On voit que sous des formes diverses,
et avec des caractères différents, le régime de la
séparation est aujourd'hui en vigueur dans la plus grande partie
du nouveau monde. Certaines républiques sud-américaines,
qui ne l'ont pas encore adopté, l'adopteront peut-être dans
un avenir peu éloigné ( on signalait récemment au
Chili
une vive agitation en faveur de la suppression du budget des cultes). D'autre
part, plusieurs colonies anglaises n'ont jamais connu d'autre régime,
par exemple, la Nouvelle-Zélande ;
et dans la plupart des colonies où des liens unissait l'État
à l'Église ces liens ont été rompus : au Canada
( on l'a déjà signalé) en 1854, dans les
colonies australiennes en 1863, 1866 et 1870, à la Jamaïque
en 1870, dans les autres Antilles en 1868,
1871 et 1873, au Cap en 1875, à
Ceylan
en 1881 (Voir The Case for disetablishment p.257-262 - publication
de la Liberation Society).
Ce qui a été ébauché
en Europe et réalisé en Amérique et dans tout l'empire
colonial anglais n'est pas inconnu en Extrême-Orient. Il est piquant
de constater qu'une tentative d'instaurer une religion d'État a
été faite au Japon, dans les
trente dernières années et qu'elle a échoué.
Le ministère des cultes a été supprimé et deux
bureaux du ministère de l'intérieur ont été
chargé des affaires religieuses. L'égalité et la liberté
des divers cultes (bouddhiste, shintoïste et chrétien) ont
été proclamées. La séparation complète
des Églises et de l'État compte de nombreux partisans et
une fraction du Parlement japonais s'est prononcé en faveur de cette
réforme il y a cinq ans (Alexandra Myrial. La Question religieuse
au Japon - Courrier européen
du 10 février 1905).
On disait récemment que la politique historique de la France tendait à la distinction complète du domaine civil et du domaine religieux. En réalité, c'est là que tend la politique de toutes les nations civilisées.
Telle est, dans les principales nations du monde, l'état de la législation appliquée aux diverses religions ; telle est, en France, la situations des trois cultes reconnus au moment où vous êtes appelés à résoudre l'un des plus gros problèmes politiques qui aient jamais sollicité l'attention du législateur. Ce problème, votre commission a pu l'étudier et s'efforcer à le résoudre en toute impartialité comme en toute sérénité d'esprit.
Le moment où
elle a été constituée, les conditions dans lesquelles
elle a entrepris et poursuivi son oeuvre la mettaient à l'abris
des coups de passion et lui permettaient d'envisager sa tâche avec
le calme et le sang froid désirables. Le 18 juin 1903, date à
laquelle elle a été nommée, les événements
n'avaient pas pris encore le caractère aigu et pressant que les
conflits avec le Saint-Siège lui ont donné depuis. La question
de la séparation n'était pas posée dans le domaine
des faits : elle restait sous la seule influence des considérations
théoriques et des raisons de principe. C'est à dire que l'on
pouvait croire encore lointaine la solution qui s'impose aujourd'hui.
La majorité
de la commission, favorable en principe à la réforme, ne
travaillait donc pas pour un résultat immédiat ; la fièvre
du succès prochain ne risquait pas de troubler ses délibérations.
Si elle ne se désintéressa à aucun moment de la tâche
que vous lui aviez confiée c'est que, d'abord, elle comprit toute
la valeur de la propagande que pourraient avoir dans le pays et au sein
du Parlement même, ses efforts ; c'est qu'ensuite elle ne tarda pas
à se laisser prendre toute entière par le vif intérêt
des travaux. Les membres de la minorité eux-même n'échappèrent
pas à cette attraction et c'est leur honneur, pendant les trente
neuf séances qui ont été consacrées par la
commission à l'accomplissement de son mandat, collaboré loyalement,
avec un zèle persistant et une entière sincérité,
avec leurs collègues de la majorité dans la recherche des
solutions qui vous sont aujourd'hui proposées.
Nous pouvons
dire que le projet finalement adopté est l'oeuvre de la commission
toute entière. Beaucoup de ses dispositions portent l'empreinte
de la minorité, dont le succès a souvent couronné
les efforts, attestant que l'esprit systématique et le parti pris
étaient exclus des délibérations communes. S'il en
avait été autrement, les travaux de votre commission eussent
été frappés de stérilité. de par sa
composition même, elle semblait, en effet, dès l'origine,
vouée à une incurable impuissance, et l'on ne peut pas reprocher
à son honorable président de s'être montré exagérément
pessimiste quand, après avoir accepté une fonction qui ne
devait pas être pour lui une sinécure, il prononça
ces paroles peu rassurantes :
"Aucun de vous ne se dissimule les conditions très spéciales,
pour ne rien dire de pis, dans lesquelles notre commission aborde sa tâche.
"Elle est venue
au jour sous des auspices peu favorables, les augures sont unanimes à
lui prédire la vie difficile. Ils ne s'entendent d'ailleurs que
sur un point : que peu faire d'utile une commission partagée par
moitiés
égales à une unité près ? La
discussion y sera, dirent les uns, si passionnée, la lutte à
chaque séance si acharnée, que le temps passera en longue
querelle sans issue, et que la commission se perdra dans le bruit. Au contraire,
disent les autres, le sentiment même de l'inutilité des débats
qui ne peuvent pas aboutir, paralysera vite, des deux parts, l'ardeur des
combattants : la commission se perdra dans le silence."
Si cette sombre
prédiction ne s'est pas réalisée, si votre commission
a pu conduire à bonne fin la tâche lourde et difficile que
vous lui aviez confiée, c'est, je le répète, grâce
à la bonne volonté réciproque dont n'ont cessé
de faire montre les membres de la minorité et de la majorité.
Dans sa première
réunion constitutive, la commission avait élu pour président
M. Ferdinand Buisson ; pour vice-présidents MM. Bepmale et Baudon
; pour secrétaires MM. Gabriel Deville et Sarraut ; pour rapporteur
provisoire le signataire de ce rapport. Aussitôt après, elle
adoptait à la majorité de 17 voix contre 15, un ordre du
jour proposé par MM. Allard et Vaillant, et ainsi conçu :
"La commission
décide qu'il y a lieu de séparer les Églises et l'État,
et de commencer l'examen des systèmes divers proposés
pour remplacer le régime du Concordat".
C'était,
dès le premier jour, les travaux de la commission nettement orientés
dans le sens de la séparation. Les séances qui suivirent
furent consacrées à l'examen des diverses propositions de
loi qui avaient été déposées au cours de la
législature sur le bureau de la Chambre et renvoyées à
la commission.
Ces propositions,
il convient de les rappeler ici, dans leur ordre chronologique, et de leur
consacrer une rapide analyse.
Elles ont ouvert
ou jalonné la voie que la commission a suivie, et par leur influence
directe ou indirecte, certainement concouru à ses conclusions finales.
Proposition
Dejeante.- La première
en date est celle de M. Dejeante
, déposée à la à la séance du 27 juin
1902. Elle reproduit la proposition de notre collègue Zévaès
sous la précédente législature et se caractérise
par une économie des plus simples. Elle a pour objet la dénonciation
du Concordat, la suppression immédiate de toutes les congrégations
religieuses, la reprise par l'État des biens appartenant aux congrégations
et aux établissements ecclésiastiques. Les capitaux et les
ressources rendus disponibles par la suppression du budget des cultes seraient
affectés à la constitution d'une caisse des retraites ouvrières.
Proposition
Ernest Roche.- Très succinctement
aussi est libellée la proposition de
M. Ernest Roche, du 20 octobre 1902. Elle prononce la dénonciation
du Concordat, supprime le budget des cultes et l'ambassade auprès
le Vatican. Les associations formées pour l'exercice des cultes
sont soumises au droit commun. Les immeubles dont les églises ont
actuellement la disposition feraient l'objet de baux librement conclus
avec l'État ou les communes. Les ressources devenues disponibles
par ce nouveau régime seraient remises comme premier apport à
une caisse des retraites ouvrières constituée sans délai.
Une loi spéciale déterminerait les mesures transitoires rendues
nécessaires par l'application de ces dispositions.
Ces deux propositions, assez laconiques, avaient surtout dans la pensée de leurs auteurs la caractère de projets de résolution. Elles devaient permettre à la Chambre de se prononcer sur le principe même de la séparation des Églises et de l'État. C'est dans sa séance du 20 octobre que la chambre, après avoir repoussé l'urgence sur les propositions de MM. Dejeante et Roche, adoptait la motion de M. Reveillaud qui instituait une commission de trente-trois membres chargée d'examiner tous les projets relatifs à un nouveau régime des cultes.
Proposition
de Pressencé.- Le premier qui
fut déposé depuis fut celui de M. Francis de Pressencé,
le 7 avril 1903.
Il serait difficile
de rendre un hommage exagéré à un travail aussi savant
et aussi consciencieusement réfléchi.
M. de Pressencé
s'est donné pour tâche, et a eu le très grand mérite
de poser nettement toutes les principales difficultés soulevées
en aussi grave matière, et d'envisager résolument le problème
dans toute son étendue.
Les solutions
qui ont été adoptées dans la suite peuvent être
différentes, souvent même divergentes de celles qu'il indiquait
lui-même ; il n'en demeure pas moins que sa forte étude a
contribué beaucoup à faciliter les travaux de la commission.
La caractéristique
du projet est de réaliser radicalement la séparation des
Églises et de l'État en tranchant tous les liens qui les
rattachent. Il garanti expressément la liberté de conscience
et de croyance. Dénonciation du Concordat, cessation de l'usage
gratuit des immeubles affectés aux services religieux et au logement
des ministres des cultes, suppression du budget des cultes et de toutes
subventions par les départements ou les communes, telles sont les
mesures générales par lesquelles serait assurée la
laïcisation complète de l'État. Des dispositions spéciales
et et une période de transition déterminent les pensions
allouées aux ministres des cultes en exercice, sous certaines conditions
très strictes d'âge et de fonction. Les immeubles, provenant
des libéralités exclusives des fidèles, seraient attribués
à des "société civiles" formées pour l'exercice
du culte. ; tous les autres feraient retour à l'État ou aux
communes, selon qu'ils sont actuellement diocésains ou paroissiaux.
Les Églises et presbytères pourraient être pris en
location par les sociétés cultuelles..
Selon une disposition
intéressante, dont certains n'ont peut-être pas bien compris
le but éloigné de toute arrière pensée de vexation,
l'État ou les communes pourraient insérer dans les baux des
stipulations leur réservant le droit, à certains jours, en
dehors des heures de culte et de réunion religieuse, d'user des
immeubles loués, pour des cérémonies civiques, nationales
ou locales.
Les sociétés
cultuelles se formeraient selon le droit commun. Elles ne pourraient cependant
posséder plus de cathédrales, évêchés,
presbytères, que les établissements ecclésiastiques
n'en ont aujourd'hui à leur disposition, proportionnellement au
nombre de fidèles, ni plus de capitaux que ceux produisant un revenu
égal aux sommes nécessaires pour la location des édifices
religieux et le traitement des ministres du culte.
Les sociétés
cultuelles doivent rendre public le tarif des droits perçus ou des
prix fixés pour les cérémonies du culte et pour la
location des chaises. Ce tarif ne pourra, en aucun cas, s'élever
au-dessus du tarif en cours à l'époque de la promulgation
de la loi.
La police des
cultes est déterminée, dans ce projet, avec un soin précis,
pour empêcher toute action ou manifestation étrangère
au but religieux des sociétés cultuelles.
Par des dispositions
minutieuses relatives aux privilèges, dispenses, incompatibilités
dont les ministres du culte sont actuellement l'objet, aux aumôneries,
au serment judiciaires, aux pompes funèbres, toutes les particularités
inscrites encore dans la législation pour des motifs religieux,
toutes les manifestations ou signes extérieurs du culte sont supprimés.
Une analyse
exacte et complète de ce texte étendu exigerait des développements
que nous ne pouvons malheureusement lui consacrer. Son rédacteur
a cherché, tout en sauvegardant fermement les intérêts
de la société laïque, à effectuer une séparation
nette et décisive entre l'État et les Églises.
Proposition
Hubbard.- L'originale proposition
de M. Hubbard présentée le 26 mai 1903 ne tendait pas uniquement
à ce but. Elle assimile les associations religieuses aux associations
ordinaire et s'efforce de les rapprocher en fait. Elle supprime tous les
textes relatifs au régime des cultes et le budget des cultes. Les
prêtres, pasteurs et rabbins qui justifieraient de ressources personnelles
insuffisantes recevraient pendant deux ans une indemnité. Celle-ci
serait payée au titre à titre viager aux vieillards et infirmes.
Les biens des menses seraient repris par l'État, ceux des fabriques
par les communes, sauf revendications des donateurs pour les dons et legs
recueillis depuis moins de trente ans.
Mais l'idée
toute nouvelle de la proposition est la création qu'elle prescrit,
dans chaque commune et chaque arrondissement urbain d'un conseil communal
d'éducation sociale. Ce conseil, composé en partie de femmes
(qui
n'auront le droit de vote qu'en 1945
), administrerait les biens affectés gratuitement aux cultes et
à leurs ministres et en réglerait l'usage. Il aurait de même
des droits et obligation de gérance pour tous les immeubles servant
aux cérémonies et au fonctionnement de toutes les associations
d'enseignement ou de prédication morale, philosophique ou religieuse.
Toute les manifestations extérieures du culte, toutes réunions
seraient régies par le droit commun.
Nous ne pouvons
entrer dans le détail de cette organisation. M. Hubbard a voulu
rapprocher dans la pratique toutes les formes de la vie religieuse et de
la vie intellectuelle ou morale et leur donner comme des guides communs.
Son projet est, dans le fond comme dans l'expression, particulièrement
philosophique.
Proposition
Flourens.- La proposition de M. Flourens,
du 7 juin 1903, réalise l'indépendance absolue et légalise
la création ou la résurrection de toutes les associations
religieuses quelconques. L'État, une période de transition
écoulée, ne subventionnerait aucune de ces associations.
Encore devrait-il, sur simple demande de celles-ci, mettre à leur
disposition les édifices actuellement affectés à l'usage
religieux, sous la seule condition de ne pas les détourner de cette
affectation. La partie caractéristique de cette proposition est
sans nulle doute celle qui est relative aux oeuvres et fondations charitables
des associations cultuelles et à la propagation et l'enseignement
des doctrines.
Toutes les formes
de pareilles manifestations de la vie ecclésiastique sont réalisables
; les associations sont libres sans restriction et sans qu'il y ait lieu
de chercher si leurs adhérents ou ceux qui sont à leur service
ont appartenu à des congrégations ou communautés autorisées
ou non autorisées.
Il apparaît
immédiatement que l'effet certain d'un tel projet serait la libération
sans garantie de l'Église, sa mise à l'abri de toute règle
légale d'intérêt public, et la reconstitution définitive
et inébranlable de toutes les congrégations.
Proposition
Réveillaud.- La proposition
que de M. Réveillaud présentée le 25 juin 1903, est
marquée par le caractère vraiment libéral, mais tient
compte des nécessités et des droits de la société
civile.
Suivant un plan
très net, elle garantie la liberté religieuse. et n'y marque
d'autre limite que celles demandées par l'intérêt public.
Les associations
sont régies par la loi de 1901.
Les édifices
religieux ou affectés au logement des ministres des cultes, qui
appartiennent à l'État ou aux communes, sont laissés
à la disposition des associations cultuelles, sous la condition
de payer une redevance annuelles de 1 fr. par an destinée à
assurer la pérennité du droit de propriété
des concédants. Les meubles et immeubles appartenant aux menses,
fabriques et consistoires seraient dévolus, sans frais, aux associations
nouvelles. Les ministres des cultes actuellement salariés par l'État
toucheraient la totalité de leurs traitement leur vie durant, s'ils
ont plus de cinquante ans d'âge ; la moitié s'ils ont de trente
à cinquante ans et le quart s'ils ont moins de trente ans.
La police des
cultes est strictement assurée et fixe, pour chaque infraction,
des peines mesurées avec modération.
L'exercice du
culte est réglementé suivant des dispositions puisées
dans une proposition de M. Edmond de Précenssé, votée
en première lecture par l'Assemblée nationale, et qui a fait
au Sénat l'objet d'un rapport favorable d'Eugène Pelletan.
La proposition
de M. Réveillaud contient un article dont le principe a été
repris et adopté par la commission.
Il fixe le maximum
des valeurs mobilières placées en titres nominatifs au capital
produisant un revenu ne pouvant dépasser la moyenne des sommes dépensées
pendant les cinqderniers exercices.
Proposition
Grosjean et Berthoulat.- Ce qui caractérise
la proposition de MM. Grosjean et Berthoulat du 29 juin 1903 est le soucis
de laisser aux Églises le maximum de libertés et d'avantages
compatibles avec les garanties indispensables à l'ordre public.
le droit commun
d'association leur est applicable.
Les édifices
appartenant à l'État ou aux communes sont mis gratuitement
à la disposition des communautés religieuses. Il en résulte
du silence de la proposition que les grosses réparations de ces
édifices gratuitement concédés resteraient à
la charge de l'État ou des communes propriétaires.
L'ouverture
des édifices religieux et la tenue des réunions religieuses
ne sont soumises qu'à une seule et simple déclaration faite
à la municipalité.
Les ministres
du culte ayant dix ans de fonction jouiraient à vie du traitement
qu'ils reçoivent actuellement. Les dispositions relatives à
la police des cultes reproduisent les règles unanimement admises
avec des peines modérées pour les infractions prévues.
D'après
cette proposition, un budget des cultes considérable resterait durant
de longues années nécessaire pour le service des pensions
du clergé.
En outre, les
édifices religieux, loin de produire le moindre revenu, seraient
pour leurs propriétaires nominaux, l'État ou les communes
la cause de dépenses élevées.
Proposition
Sénac.- La proposition de M.
Sénac, déposée le 31 janvier 1903, la dernière
en date, s'inspire de toute autre préoccupation. En maintenant provisoirement
l'état actuel des choses, elle vise à donner à toute
heure au Gouvernement le droit de briser l'action individuelle ou collective
des membres des associations cultuelles, qui pourraient être contraire
aux intérêts de la République.
L'État,
les départements et les communes auraient la propriété
de tous les édifices religieux. Ceux-ci resteraient à la
disposition des diverses cultes qui en jouissent actuellement, mais les
propriétaires pourraient leur en retirer à volonté
l'usage.
Les ministres
des cultes recevraient, à titre de subvention, leur traitement actuel,
mais il devrait leur être annuellement accordé. Les ministres
des cultes, non encore en fonctions, recevraient sous certaines conditions
des secours ou indemnité. Ces traitements, subventions et secours
pourraient à tout moment être supprimés et celui qui
aurait été l'objet de pareille mesure ne pourrait plus exercer
son ministère dans un édifice public affecté au culte.
Cette proposition,
qui a pour objet évident la défense laïque, établit
plutôt un régime de police des cultes qu'elle ne réalise
la séparation des Églises et de l'État.
Tels sont les
divers projets émanant de l'initiative parlementaire, qui, présentés
à la Chambre au cours de cette législature, ont été
renvoyés à la commission. Celle-ci a entendu tous leurs auteurs,
sauf M. Sénac, dont la proposition fut déposée au
moment même où la commission mettait la dernière main
à ses travaux.
La première
discussion ouverte sur ces propositions révéla qu'aucune
d'elle ne répondait pleinement aux voeux de la commission. Celle-ci
manifesta la volonté d'établir elle-même un texte complet
qui serait, en son nom, proposé à la Chambre. Mais, dans
une matière aussi délicate, où tant de questions graves
et complexes se posaient, il était indispensable qu'un plan de discussion
clair et méthodique fût arrêté d'abord, selon
lequel la commission pourrait discuter et faire connaître ses vues
sur chacune des difficultés essentielles du problème à
résoudre.
Le rapporteur
provisoire proposa aux délibérations de ses collègues
le plan suivant qui fut adopté à l'unanimité :
1°
Le projet devra-t-il se borner à établir un régime
de séparation des Églises et de l'État à l'exclusion
de toute disposition concernant les congrégations ?
2°
Le projet s'inspirera-t-il exclusivement du droit commun ou bien édictera-t-il,
au moins à titre transitoire, des mesures de précaution dans
l'intérêt à la foi de l'État et de l'Église
?
3°
Les associations constituées en vertu de la loi de 1901 pour assurer
l'exercice des différents cultes auront-elles la faculté
:
a)
De
se fédérer entre elles régionalement et nationalement
?
b)
De recevoir des dons de l'État, des départements et des communes
?
4°
A quel régime seront soumis les édifices publics affectés
au culte ?
5°
Le projet abrogera-t-il toutes les législations antérieures
par une seule disposition générale ou devra-t-il, par des
articles spéciaux et précis, régler chaque point particulier
?
Après
avoir discuté longuement et minutieusement sur chacune des questions
posées, la commission se détermina dans le sens de l'affirmative
sur la première. Le projet à rédiger ne devra contenir
aucune disposition relative aux congrégations
Sur la deuxième,
il fut décidé à l'unanimité que le régime
de séparation devrait être établi selon "la
liberté la plus large dans le droit commun ; qu'il convenait de
n'en s'écarter que le moins possible et seulement dans l'intérêt
de l'ordre public".
Sur la troisième,
la commission conclut au droit pour les associations cultuelles de s'organiser
en fédérations régionales et nationales. Elle se prononça
contre toute subvention de l'Etat au profit des cultes, mais elle ne put
formuler une opinion sur le droit à accorder ou à refuser
aux départements et aux communes de subventionner les églises.
Treize de ses membres avaient voté pour l'affirmative et treize
contre.
Il fut également
impossible à la commission démettre un avis formel sur les
deux dernières questions posées.
Elle décida
de s'en remettre à son rapporteur provisoire du soin de rédiger,
en tenant compte des indications recueillies au cours des dernières
discussions, un avant-projet complet qui servirait de base aux délibérations
ultérieures.
Ainsi fut-il
fait. Et cet avant-projet, après des débats nombreux et approfondis
au cours desquels plusieurs dispositions furent amendées sur les
propositions de membres tant de la majorité que de la minorité,
fut finalement adopté en première lecture par la commission.
En voici le texte :
Premier texte de la commission
Titre 1er
PRINCIPES
Article 1er
Art. 2
Titre II
ABROGATION DES LOIS ET DÉCRETS
SUR LES CULTES.-
DÉNONCIATION DU CONCORDAT.-
LIQUIDATION
Art. 3
Art. 4
Art. 5
Art. 5 bis
Art. 6
Art. 7
Art. 7 bis
Art. 8
Art. 9
Art. 10
Titre III
PROPRIÉTÉ ET LOCATION
DES ÉDIFICES DU CULTE
Art. 11
Art. 12
Art. 13
Art. 14
Art. 15
Titre IV
ASSOCIATIONS POUR L'EXERCICE DU
CULTE
Art. 16
Art. 17
Art. 18
Art. 19
Art. 20
Art. 20 bis
Titre V
POLICE DES CULTES
Art. 21
Art. 22
Art 23
Art. 24
Art. 25
Art. 26
Art. 27
Art. 28
Art. 29
Art. 29 bis
Art. 30
Art. 31
Titre VI
§ 1er.- MANIFESTATIONS ET
SIGNES EXTÉRIEURS DU CULTE
Art. 32
Art. 33
Art. 34
§ 2.- CIMETIÈRES
Art. 35
Art. 36
Art. 37
Art. 38
Art. 39
Art. 40
La commission en était là de ses travaux : elle procédait déjà à une deuxième et dernière délibération sur son texte quand, le 10 novembre 1904, lui fut envoyé le projet de loi ci-dessous que M. Émile Combes, président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes, venait de déposer, au nom du Gouvernement, sur le bureau de la Chambre.
Projet
Combes
(déposé le 10 novembre 1904.
J'en rajoute l'exposé des motif qui ne figurait pas dans le rapport
de M. Briand)
EXPOSE DES MOTIFS
Art. 1er
Art. 2
Art. 3
Art. 4
Art. 5
Titre II
ASSOCIATION POUR L'EXERCICE D'UN
CULTE
Art. 6
Art. 7
Art. 9
Art. 10
Titre III
POLICE DES CULTES ET GARANTIE DE
LEUR LIBRE EXERCICE
Art. 11
Art. 12
Art. 13
Art. 14
Art. 15
Art. 16
Art. 18
Art. 19
Art. 20
Titre IV
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
ET TRANSITOIRES
Art. 21
Art. 22
Art. 23
Art. 24
Art. 25
Il suffisait de lire ce projet pour constater que son économie générale était sensiblement différente de celle du projet provisoirement adopté par la commission. En ce qui concerne, par exemple, le régime de la propriété et de la location des édifices du culte, celui des associations cultuelles, le système de pensions, les solutions proposées par le Gouvernement étaient en désaccord flagrant avec celles de la commission.
Pour l'attribution
de la propriété des biens immobiliers des Églises,
constitués à leur profit depuis le Concordat par dons et
libéralités provenant en tout ou en partie des fidèles,
la commission proposait une solution qui n'était peut-être
pas très juridique, mais avait, du moins, le mérite de trancher
la question une fois pour toutes, d'une façon nette et définitive.
Elle avait fait deux parts des édifices : ceux qui ont été
construits sur des terrains de l'État ou des communes ou achetés
au moyen de leurs subventions ; ceux, au contraire, qui ont été
bâtis sur des terrains donnés par les fidèles ou achetés
avec le produit de leurs dons et libéralités. Les premiers
étaient déclarés propriété de l'État
ou des communes ; les seconds propriétés des Églises.
Le système
proposé par le Gouvernement ne tranchait pas la question de propriété.
Des biens ecclésiastiques, mobiliers ou immobiliers, qui sont postérieurs
au Concordat, il faisait un lot que l'État, après prélèvement
des biens donnés par lui ou ayant une destination charitable, répartirait
par voie de concessions décennales renouvelables, entre les associations
cultuelles dans la limite de leurs besoins. L'avantage de ce système
serait de permettre la constitution, au profit des paroisses pauvres, d'un
patrimoine pour assurer le service du culte. Grâce à cette
manière de procéder, l'État étant juge et maître
de la répartition aurait sur l'emploi de ces biens un droit de contrôle
qui n'est certes pas négligeable. Mais ce système devait
avoir pour conséquence de perpétuer l'immixtion de l'État
dans l'administration des choses ecclésiastiques. D'où la
nécessité, dans le projet du Gouvernement, de conserver la
direction des cultes que la commission, se plaçant à un autre
point de vue, avait cru devoir supprimer.
En tout cas,
si sur ce point, le projet du Gouvernement pouvait paraître acceptable,
il n'en était pas de même quant au silence gardé par
lui sur la question de propriété relative aux biens mobiliers
et immobiliers antérieurs au Concordat. Il était imprudent
et dangereux de ne pas affirmer avec force et netteté, comme l'avait
fait la commission, la propriété de l'État ou des
communes.
M. Combes n'avait
pas cru nécessaire d'affirmer le droit de propriété
de l'État et des communes, parce qu'il lui avait paru suffisamment
établi par une jurisprudence constante. Mais la jurisprudence, c'est
pure affaire d'interprétation, et celle-ci peut varier selon les
cas, les temps et les juges. Jusqu'à ce jour, il est bien vrai que
les décisions de justice ont été conformes au droit
de l'État et des communes ; qui pourrait assurer que demain il n'en
serait autrement ?
Puis, un jugement,
un arrêt, valent seulement pour les cas qu'ils ont appréciés
; leur force exécutoire est strictement limitée à
l'espèce jugée. Il en résulte que projet du Gouvernement,
une fois transformé en loi, rencontrerait des difficultés
d'application presque insurmontables. Partout, dans les paroisses, l'Église
revendiquerait la propriétés de édifices antérieurs
au Concordat. Avant que l'État pût en disposer, il faudrait
que cette question préjudicielle fût tranchée. Ce serait
des procès innombrables et interminables.
Puisqu'une occasion
s'offrait de consacrer l'oeuvre de la Révolution en affirmant, une
fois pour toutes, et sans contestation possible, le droit de l'État
et des communes, pourquoi ne pas la saisir ?
Mais c'est aussi
quant à la disposition des biens mobiliers et immobiliers antérieurs
au Concordat, que les solutions de la commission et du Gouvernement apparaissaient
divergentes. Alors que la première rendait à l'État
et aux communes, après une période de location de dix ans
obligatoire, la libre disposition de leur propriété, celle
du gouvernement édictait, au profit des associations cultuelles,
un système de concessions décennales indéfiniment
renouvelables, même pour les immeubles des départements ou
des communes qui se seraient montrés hostiles au renouvellement.
Il en résultait une grave atteinte au principe de la séparation.
Cette obligation indéfinie, imposée aux communes et aux département,
de laisser leurs biens entre les mains des représentants des Églises,
prenait, en effet, le caractère d'une véritable subversion
en faveur des cultes. C'était en outre, là aussi, l'immixtion
de l'État qui se perpétuait dans les affaires ecclésiastiques.
Sur le chapitre
des pensions aux ministres des cultes, la dissemblance était tout
entière dans la question de mesure. Le projet de la commission ne
pensionnait que les ministres des cultes qui réalisaient certaines
condition d'âge et de durée de services concordataires. Celui
du Gouvernement, beaucoup moins exigeant, tant pour l'âge que pour
la durée des services, allait jusqu'à accorder, pendant une
période de quatre années, à tous les curés
et desservants concordataires sans exception, une pension de 400 fr.
D'après
l'application de ce système de pension, faite par les soins de la
direction des cultes, il devait entraîner pour l'État une
dépense annuelle de 22 444 000 fr., qui irait, naturellement, en
décroissant chaque année.
Quant au régime des associations cultuelles, la différence la plus importante entre les deux textes était relative aux unions. Alors que la commission les avait autorisées, même nationales, le projet du Gouvernement, par son article 8 , les enfermait dans les limites du département. C'était imposer aux Églises une formation arbitraire qui, en les contraignant à modifier leur organisation intérieure, pouvait entraîner pour elles les difficultés les plus graves. Les Églises protestantes dont les fidèles, peu nombreux relativement, sont disséminés sur tous les points de la France, n'auraient pas pu s'accommoder de ce régime. Il en eût été de même pour la religion israélite.
Enfin, au chapitre de la police des cultes, pour ne noter que l'innovation la plus grave apportée par le projet Combes, nous signalons l'article 17 dont les termes imprécis et vagues étaient de nature à inquiéter les consciences par l'interprétation arbitraire auquel ils pouvaient donner lieu.
Le premier examen
du projet du Gouvernement provoqua, au sein de la commission, les résistances
les plus vives. Finalement, les membres de la majorité consentirent
à délibérer sur les articles, mais après de
fortes réserves, et seulement parce que les circonstances commandaient
d'éviter un conflit qui, en ajournant de plusieurs mois la discussion
devant la Chambre, eût irrémédiablement compromis,
au moins dans cette législature, le succès de la réforme.
mais s'ils consentaient à adopter le projet soumis à leur
délibération c'était à la condition expresse
que des modifications fussent consenties par le Gouvernement sur les points
de divergence les plus graves.
Le rapporteur
fut chargé de s'entremettre auprès du président du
conseil à fin de transaction. Dès la première entrevue,
il devint évident que M. Combes, animé du plus vif désir
de conciliation, acceptait d'entrer dans les vues de la commission pour
le règlement de la plupart des difficultés qui lui étaient
signalées. Il consentit successivement : 1° à insérer
en tête de son projet une déclaration de principe conforme
à celle du texte de la commission ; 2° à affirmer que
le doit de propriété de l'État et des communes sur
tous les biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat
; 3° à remettre à l'État et aux communes la libre
disposition de ces biens dès l'expiration de la période de
dix ans obligatoire pour la location aux associations cultuelles ; 4°
à n'imposer aux unions d'autres limites que celles des circonscriptions
ecclésiastiques existantes ; 5° à supprimer les délits
spéciaux crées par l'article 17.
Il ne restait
plus à régler que la question des pensions et quelques points
de détails relatifs à l'ingérence de l'administration
préfectorale dans les affaires ecclésiastiques pour aboutir
à l'accord complet et définitif. Le rapporteur ne désespérait
pas d'y réussir, et déjà il se proposait de tenter
une dernière démarche dans ce but, quand le ministère
Combe prit la résolution de quitter le pouvoir.
L'un des premiers
actes de son successeur fut de saisir la Chambre d'un nouveau projet sur
la séparation des Églises et de l'État. Déposé
le 9 février 1905, il fut renvoyé à l'étude
de votre commission. En voici le texte.
Projet
du Gouvernement
Je rajoute l'exposé des motif qui ne
figurait pas dans le rapport de M. Briand)
présenté au nom de de M. Émile
Loubet, Président de la République française,
par M. Rouvier, président du conseil,
ministre des finances ;
par M. Bienvenu Martin, ministre de l' instruction
publique des beaux-arts et des cultes ;
par M. Delcassé, ministre des affaires
étrangères, et par M. Étienne, ministre de l'intérieur.
EXPOSE DES MOTIFS
Titre Ier
Principes
Article 1er
Art. 2
Titre II
Dévolution des biens appartenant
aux établissements publics des cultes -, pensions
Article 3
Article 4
Article 5
Article 6
Article 7
Article 8
Titre III
Des édifices des cultes
Article 9
Article 10
Art. 11
Titre IV
Des associations pour l'exercice
des cultes
Article 12
Article 13
Article 14
Article 15
Article 16
Titre V
Police des cultes
Article 18
Article 19
Article 20
Article 21
Article 22
Article 23
Article 24
Article 25
Article 26
Article 27
Article 28
Titre VI
Dispositions générales
Article 29
Article 30
Article 31
Article 32
Il pouvait être
procédé d'autant plus vite et plus facilement à l'examen
de ce projet que la plupart des dispositions essentielles reproduisaient
celles qu'avaient elle-même adoptées la commission antérieurement
au dépôt du projet Combes. Quelques différences existaient
bien entre les deux textes, notamment pour les pensions, pour la disposition
des archevêchés, évêchés, presbytères,
séminaires ; mais ces différences d'ordre secondaires n'apparaissaient
pas irréductibles. En effet, dès sa première entrevue
avec la commission, l'honorable M. Bienvenu Martin, ministre de l'instruction
publique et des cultes, avait fait connaître que le désir
du Gouvernement était de collaborer étroitement avec elle
à la rédaction d'un texte commun.
Dans ces conditions,
l'entente devenait facile. Elle fut réalisée dans la séance
du 4 mars dernier, au cours de laquelle fut adopté le projet de
loi ci dessous, que nous avons l'honneur de vous présenter au nom
de la commission. Toutefois, nous devons vous faire remarquer qu'au moment
du vote les membres de la minorité et plusieurs membres de la majorité
réservèrent expressément leur droit de soutenir devant
la Chambre par le moyen d'amendements ou de contre-projets, leur opinion
personnelle sur la question.
Titre Ier
PRINCIPES
Article 1er
Article 2
Mais une question se pose ici pour
le législateur soucieux de l'équité. Ne lèse-t-il
pas des droits acquis ?
En ce qui concerne les ministres des
cultes protestants et israélites, il n'est pas douteux que les
traitements et allocations qu'ils reçoivent n'ont
d'autre raison d'être que la volonté du législateur.
Consentis
d'année en année, ils peuvent être
supprimés à la fin de l'exercice.
Pour le clergé catholique on
a prétendu et soutenu que le traitement qui est alloué à
ses membres n'est
que l'acquittement annuel des arrérages d'une
dette perpétuelle. Certains n'ont même pas hésiter
à déclarer que refuser de payer cette dette serait, à
cet égard, pour l'État faire banqueroute de ses engagements.
Nous ne pouvons ici discuter cette
théorie dans tous ses détails ( On consultera avec fruit
sur ce point comme sur beaucoup d'autre l'intéressant et suggestif
ouvrage de M. Grunebaum-Ballin, la Séparation des Églises
et de l'État, Paris 1905). Il est cependant impossible de la passer
absolument sous silence. Il n'est pas douteux qu'en droit public les gouvernements
successifs assument chacun les charges dont leurs prédécesseurs
ont grevé les finances publiques. Il faut donc rechercher si l'article
2 peut se légitimer en droit et en équité.
On a vu dans la partie historique
du rapport que le 2 novembre 1789 (la veille de la déclaration des
droits de l'homme), l'Assemblée constituante avait
voté une motion proposée par Mirabeau et ainsi conçue
:
"Les biens ecclésiastiques
sont à la disposition de la nation à la charge de pourvoir
d'une manière
convenable aux frais du culte,
à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres."
Il est difficile de saisir exactement
ce qu'entendait le grand orateur, en proposant un texte rédigé
en
termes aussi peu juridiques.
Il faut constater tout d'abord qu'il n'y
a pas eu de contrat. C'est une simple déclaration par laquelle
l'Assemblée décide de remettre entre les
mains de la nation les biens ecclésiastiques, et ajoute libéralement
qu'elle prend à sa charge les frais du culte,
l'entretien des ministres et le soulagement des pauvres.
Il résulte des documents de
l'époque et des travaux préparatoires, que l'assemblée
constituante ne
pensait ni ne voulait dépouiller l'Église
d biens qu'elle possédait ; elle entendait restituer à la
nation
propriétaire l'administration et l'usufruit des
biens ecclésiastiques dont l'Église jouissait.
Comme le dit la motion même
les biens ecclésiastiques (appartenant à l'État et
mis à la disposition de
l'Église catholique) sont simplement remis à
la disposition de la nation.
D'accord avec ses principes et dans
l'intérêt de la paix publique la constituante prenait aussi
les
résolutions de pourvoir aux frais du culte, à
l'entretien des ministres et au soulagement des pauvres.
Elle estimait, en effet, que l'exercice
de la religion et de la charité constituaient des nécessités
sociales
qui devaient faire l'objet de services publics. Reprenant
à ceux qui étaient chargés de ce service les biens
qui leur permettaient de vivre, elle inscrivait au budget
général les crédits pour rémunérer leurs
fonctions
jugées indispensables.
Il y avait en outre une préoccupation
de sage politique, afin que le culte fût exercé partout sans
aucune
suspension possible et afin que les oeuvres charitables
entreprises par l'Église à l'aide de ces ressources
fussent continuées. Il y avait aussi une pensée
bienfaisante en faveur des membres du clergé qui avaient
cru pouvoir compter toujours pour eux-mêmes sur
les bienfaits mis à leur disposition.
Mais il ne pouvait y avoir, dans l'allocation
prévue, aucun caractère d'indemnité.
L'indemnité ne se conçoit
et ne peut se concevoir lorsqu'il y a faute ou quasi-délit. L'allocation
eût été
l'aveu d'une spoliation. Rien, ni dans la discussion
qui a précédé la motion, ni dans l'analyse de la motion
elle-même, ne permet de prétendre que la
Constituante a cru léser quelque droit acquis en remettant entre
les mains de la nation ce qui n'avait cessé de
lui appartenir. Elle n'a voulu et n'a fait qu'exercer un droit
certain et imprescriptible.
Il est vrai que la théorie
de la charge perpétuelle est d'origine récente et n'avais
cours ni sous la
Révolution ni au début du dernier siècle,
qu'en 1816 la Chambre introuvable elle-même repoussait la
proposition d'une création de dotation permanente
en faveur du clergé.
La résolution de la Constituante
pour les cultes et leurs ministres était un acte gracieux de l'autorité
législative, et à ce titre essentiellement
précaire.
Il est probable qu'à l'origine
le budget des cultes avait pour les Églises un caractère
transitoire, et pour
leurs ministres un caractère viager. On voulait
en reprenant les biens ecclésiastiques donner viagèrement
au clergé en exercice, un traitement suffisant.
Aussi, la Constitution de 1791 porte-t-elle
cette disposition : " Sous aucun prétexte les fonds nécessaire
à l'acquittement de la dette nationale ne pourront
être refusés ou suspendus. Le traitement des ministres
du culte catholique pensionnés, conservés,
élus ou nommés en vertu de décret de l'Assemblée
constituante fait partie de la dette nationale." ce texte
aussi précis prouve, à l'évidence, qu'il ne s'agissait
que des ministres régulièrement admis à
ce moment par la Constituante. La loi stipulait pour le passé et
non pour ceux qui seraient nommés à l'avenir.
C'était une disposition semblable
à celle du projet actuel pour les pensions allouées aux ministre
des
cultes en fonctions.
Ces traitements et pensions auraient
pris fin, mais l'article 14 du Concordat créa un régime nouveau.
Il
porte : " Le Gouvernement assurera
un traitement convenable aux évêques et curés"
. Il n'est pas douteux
que si le budget des cultes avait le caractère
d'une charge perpétuelle assumée en raison de la reprise
des
biens ecclésiastiques, le Concordat eût
pris soin de le rappeler et de confirmer un droit aussi important.
Il décide, au contraire, comme
s'agissant d'un droit nouveau et purement contractuel, il ne dit rien du
passé et ne stipule que pour l'avenir. Le silence
du Concordat sur la dette de l'État vis-à-vis de l'Église
catholique est décisif. Le sort de l'article 14
est lié à celui du pacte lui-même ; il tombe avec lui.
Et d'ailleurs pourquoi discuter en
théorie ? En admettant même cette erreur certaine que le budget
des
cultes a eu le caractère d'indemnité, il
y a aurait lieu d'apprécier si le total de ces indemnités
payées à ce
jour n'a pas suffi à compenser le préjudice
subi.
Remarquons tout d'abord que si indemnité
il y a, elle doit être payée tout à la fois aux Églises,
aux
ministres des cultes et aux pauvres. Elle continue à
être payée aux pauvres qui sont les créanciers indivis
et solidaires du clergé. Il y a même lieu
de croire que la République lui a donné à cet égard
des
proportions que les contractants de la dette n'avaient
pas prévues.
Mais pour l'Église elle-même,
le budget des cultes, de 4 millions en 1803, a atteint sous le second
empire le chiffre de 50 millions. Il est aujourd'hui
de plus de 40 millions.
Que l'on calcule
ce qui a été payé par la nation à l'Église
catholique depuis la Constituante ; qu'on y
ajoute la libre et pratique disposition de tous les édifices
religieux appartenant à l'État ou aux communes,
les traitements alloués aux innombrables membres
du clergé non concordataires, les indemnités de
logement et toutes les allocations inscrites au budget
des communes et l'on ne sera pas éloigné de conclure que,
loin d'être spoliée, l'Église se trouverait, dans un
pareil règlement de compte, débitrice de la
République. Celle-ci lui a assuré depuis
assez longtemps une assez riche dotation pour pouvoir supprimer
le budget des cultes en toute sérénité.
Titre II
Dévolution des biens, pensions
Article 3
Article 4
Article 5
Article 6
I - Qui doit opérer la dévolution des biens
actuellement possédés par les établissements du culte
?
Votre commission, avons-nous dit,
a estimé que les établissements publics du culte détenaient
actuellement ces biens en quelque sorte au nom et pour
le compte des fidèles.
Représentants légaux
de ces fidèles, ils ont pari tout naturellement désignés
pour transmettre les biens
aux associations appelées à leur succéder.
Cette solution offrant, en pratique, les avantages les plus
appréciables. Si l'État avait fait, par
l'organe de ses préfets ou autres, la dévolution nécessaire,
ou aurait
pu prétendre que certaines attributions, cependant
consciencieusement faites, avaient été inspirées par
une arrière-pensée politique.
Comme, vraisemblablement, dans
de nombreux cas les mêmes personnes qui administrent
l'établissement public du culte composeront l'association
nouvelle, c'était simplifier considérablement la
procédure que de laisser aux intéresser
eux-même le soin d'effectuer légalement la transmission.
Il était aussi plus logique,
à l'heure où l'on proclamait la séparation de l'Église
et de l'État, de ne pas
laisser à l'État la responsabilité
de liquider la fortune de l'Église.
Ce seront donc les membres de l'administration
de l'établissement public du culte qui feront librement
la dévolution, et cela dans tous les cas. Ils
joueront en quelque sorte le rôle de liquidateur à l'heure
de la
distribution des deniers aux créanciers vérifiés.
Les biens grevés d'une affectation
charitable ou étrangère à l'exercice du culte seront
attribués aux
services publics ou d'utilité publique. Ici, cependant,
l'attribution ne sera pas libre absolument. Il s'agit, en
effet, de biens appartenant, en droit naturel, non à
la collectivité religieuse, mais aux pauvres, ou, pour les
biens scolaires, aux écoliers. Il était
juridique, et il était prudent de soumettre à l'approbation
du préfet,
tuteur légal des établissements publics
ou d'utilité publique, appelé à recevoir ces nouvelles
ressources,
l'affectation qui en était faite.
A défaut d'une telle disposition,
l'établissement public du culte aurait pu détourner tout
ou partie de ces
biens de leur destination normale
Mais pour qu'en sens contraire, le
préfet n'exerce pas abusivement les pouvoirs qui lui sont ainsi
conférés, l'article 5 stipule qu'en cas
de non approbation il sera statué en conseil d'État.
Quant aux biens qui ont une destination
strictement religieuse, l'établissement public du culte les
transmet toujours, et librement, à l'association
cultuelle de son chois. Si une contestation s'élève au sujet
de la dévolution ainsi faite, le tribunal civil
décide décide, saisi par le ministère publique ou
tout intéressé.
Le tribunal civil n'est pas dans ce
cas seulement arbitre, il est juge au sens complet du mot. C'est-à-dire
qu'il statue suivant la procédure du droit commun.
C'est une nouvelle compétence qui lui est attribué par
le projet de loi. Les parties intéressées
pourront faire appel du jugement d'après les règles du code
de
procédure et se pourvoir en cassation. Mais ici,
une observation est nécessaire.
Le tribunal civil s'inspirera pour
sa décision de trois motifs principaux. Deux de droit : Les associations
sont-elles légalement formées dans les
termes de la loi de 1901 et de la loi de séparation de l'Église
et de
l'État ? La dévolution des biens
a-t-elle été faite régulièrement et dans les
délais prescrits ?
L'autre de fait : Ces associations
sont-elles sérieuses ? Quelle est celle, ou quelles sont celles
qui
continuent à représenter les fidèles
et peuvent légitimement revendiquer au nom de leur collectivité
? IL
n'est pas douteux que, pour ce troisième point,
le nombre des membres qui composent l'association et
leur personnalité elle-même fourniront des
présomptions précieuses.
Devant la cour de cassation la preuve
du fait n'étant point admise, les pourvois ne pourront se former
que pour composition illégale des associations
auxquelles les tribunaux civils auraient donné gain de cause
pour défaut de motif ou pour violation des règles
essentielles à la validité des décisions judiciaires.
C'est dans ces conditions que les
tribunaux sont appelés à statuer sur la dévolution
des biens lorsque
celle-ci est sujette à contestation.
Il est facile de légitimer
l'attribution de compétence qui leur est faite.
La loi pouvait désigner, pour
trancher la difficulté, soit par acte gouvernemental, le préfet,
soit par
décision contentieuse, le conseil d'État
ou le conseil de préfecture.
Il y avait en théorie et en
pratique les plus grands inconvénients à laisser les juridictions
administratives
décider en matière aussi délicate.
En principe, la séparation étant accomplie, il faut rompre
le plus tôt
possible et le plus radicalement possible tous les rapports
entre l'État et les Églises. ; en pratique on aurait
toujours suspecté l'équité gouvernementale
dans ces dévolutions et la moindre erreur aurait servi de
prétexte pour une agitation antirépublicaine.
Le conseil d'État, éloigné
de chaque paroisse et n'ayant d'autre moyens d'information que les rapports
officiels et l'expertise, aurait difficilement réglé
la tâche qui lui eût été assignée.
Les conseils de préfecture,
composés de membres amovibles, eussent été l'objet
d'inévitables
suspicions.
Le tribunal civil avait, dans cette
circonstance, le triple avantage : d'être situé sur les lieux
mêmes du
litige, d'être composé de juges inamovibles
et de rendre des décisions, après débats contradictoires,
emportant force de chose jugée. D'ailleurs, il
s'agira en définitive de question de propriété et
les tribunaux
judiciaires sont juges de droit commun en ces matières.
II - Délais dans lequel la dévolution doit
s'opérer .
Il fallait ici éviter un double
inconvénient. Le plus grave était la possibilité pour
les établissements
publics du culte de perpétuer leur existence en
ne procédant pas à la mission qui leur est confiée.
Le
projet, pour éviter pareil attitude, fixe à
un an, le délai dans lequel la dévolution doit être
faite. Si, à
l'expiration de l'année, l'établissement
public n'a pas rempli sa tâche, il cesse, par le fait même
de la loi,
d'exister, et, le tribunal civil est saisi par le ministère
public ou tout intéressé.
Mais ce délai d'un an est un
délai maximum. L'article 4 a voulu ainsi poser un terme avant lequel
normalement la transmission des biens devra être
effectuée.
L'autre inconvénient pouvait
résulter de l'envoi en possession précipité, octroyé
par l'établissement
public du culte à une association hâtive.
Parmi les fidèles, quelques
personnes avisées pourraient préparer avant le vote de la
loi, et fonder
immédiatement après, une petite association,
réduite au minimum de membres et rigoureusement fermée à
toute adhésion. De connivence avec les les administrateurs
de l'établissement public du culte, ils
recevraient, sans délais, les biens ecclésiastiques
et toute autre association, moins diligente et cependant
plus nombreuse, plus sérieuse, représentant
plus véritablement dans la paroisse la masse des
coreligionnaires, se trouverait par ce moyen dépouillée
de ressources sur lesquelles elle avait pu
légitimement compter.
Pour permettre à toutes les
associations éventuelles le moyen et leur donner le temps
de se constituer,
votre commission a, dans le texte élaboré
(art. 6), prescrit, à peine de nullité absolue, que les attributions
de biens ne pourront être faite par les établissement
qu'un mois après la promulgation du règlement
d'administration publique prévu à l'article
36.
Ce règlement doit être
rendu dans les trois mois. Le délai maximum de l'article 6 sera
donc de quatre
mois. Le règlement d'administration publique exigera
sans doute une étude assez prolongée pour que le
danger d'une dévolution hâtive soit écarté.
III - Comment et à qui cette dévolution
doit-elle être faite ?
Le règlement d'administration
publique à intervenir déterminera la forme juridique dans
laquelle les
biens seront transmis, les formalités qui devront
qui devront être observées, en particulier pour l'
inventaire qu'il faudrait dresser. L'établissement
public du culte procédera à ces formalités et cessera
immédiatement après d'exister ; l'association
ou les associations cultuelles qui recueilleront les biens
pourvoieront, sans interruption, à l'exercice
du culte. L'établissement public du culte désignera, ainsi
qu'il
a été dit plus haut, même en cas
de compétition entre plusieurs associations cultuelles, celle qui
recueillera
les biens. Si des procès s'ensuivent, l'association
à laquelle aura été faite la dévolution restera
en
possession et jouissance jusqu'au règlement du
litige. C'est seulement dans le cas où la dévolution n'aurait
pas été faite dans le délai prescrit
que les biens seront, conformément au paragraphe 2 de l'article
6, placé
sous séquestre par décision du président
du tribunal.
Pour déterminer à qui
les biens seront dévolus dans ces conditions, il faut distinguer
suivant leur nature
et leur convenance.
Le projet de loi (art. 4 et 5) distingue
entre les biens servant directement ou indirectement à l'exercice
du culte, les biens grevés d'une fondation pieuse
et les biens grevés d'une affectation charitable ou de
toute autre affectation étrangère à
l'exercice du culte.
Le patrimoine entier des établissements
publics du culte, à l'exception des biens provenant de l'État,
ou
grevés d'une affectation étrangère
à l'exercice du culte, est transmis par l'établissement public
à une ou à
des associations cultuelles de son choix. Nous avons
dit de quel principe la commission s'est inspirée pour
établir une semblable règle. Il lui a paru
que, d'une part, le possesseur naturel de ce patrimoine, les
communautés religieuses, ne disparaissait pas
à la suppression de l'établissement public du culte et que
dès
lors la théorie des biens vacants et sans maître
avait contre elle, ici, le droit et l'équité ; elle a pensé
aussi
que le besoin social pour la satisfaction duquel ce patrimoine
a été constitué existait indéniablement
encore, avec des exigences impérieuses et qu'une
sage politique devait la respecter et lui laisser toute
liberté et toute satisfaction légitime.
Ce patrimoine constitué depuis
le Concordat est considérable ( en 1902 la statistique officielle
appréciait
à 50 290 hectares l'étendue des immeubles
appartenant aux établissements publics du culte.) Pour la partie
mobilière les documents ne sont pas précis, mais elle est
certainement de plus de 100 millions.
L'Église, dans le nouveau régime
des cultes, ne sera pas dès lors, du jour au lendemain sans ressources.
Il y a lieu d'ailleurs, dans un esprit libéral,
de s'en réjouir pour le maintien de la paix publique.
Ces biens dévolus aux associations
cultuelles seront transmis avec toutes les charges et obligations qui
les grèvent actuellement. Les fondations pieuses
devront continuer à être respectées dans toutes les
conditions suivantes lorsqu'elles ont été
consenties. Le passif des établissements publics du culte sera
supporté par les associations nouvelles dans la
même mesure que l'actif.
Rien ne sera donc changé ni
dans la destination des biens ecclésiastiques ni dans leurs modalités
juridiques ; le principe est simple et facilement applicable.
Toutefois, les biens qui proviendront
de l'État et qui ne seront pas grevés d'une fondation pieuse
retourneront à l'État.
Ce sont tous les biens, sans distinction,
pour lesquels il est ainsi disposé. Pour les meubles "meublant",
l'article 2279 du code civil sera naturellement observé
; pour les autres dotations mobilières ou
immobilières ( tout particulièrement les
biens nationaux concédés aux fabriques et menses curiales
sous le
premier empire), elle reviennent à l'État.
On comprend à merveille les
raisons qui ont motivé cette disposition. Si l'on met à part
les fondations
pieuses, ces biens ont été non pas aliénés,
mais concédés par l'État pour un service public. Ce
service
public disparaissant, l'État n'a plus les mêmes
obligations ; il a le droit de considérer ses concessions
comme sans objet ; il reprend ses dotations, pour leur
donner une autre destination publique. On conçoit
qu'au lendemain de la séparation, chacun des contractants
reprenne son apport.
Quant aux bien grevés d'une
affectation charitable ou étrangère à l'exercice du
culte ( scolaire par
exemple ), il n'était pas conforme au droit public
de les transmettre aux associations cultuelles.
Le communautés religieuse les
avaient recueillis en violation du principe de la spécialité
des
établissements publics ou d'utilité publique.
Les avis du conseil d'État en date des 13 avril, 13 juillet et 4
mai 1881 ont remis en vigueur ce principe, à l'application
duquel échappaient jusque là, les établissements
publics des cultes. Il exige que chaque personne morale
se consacre et consacre toutes ses ressources au
sel but pour lequel elle a été constituée.
Les nouvelles associations cultuelles ne devront avoir pour objet
que l'exercice du culte. Leur patrimoine devra être
entièrement affecté à ce but. Elles n'avaient aucune
qualité pour recevoir les biens constitués
par les établissements publics du culte antérieurement à
1881.
Cependant, par une mesure toute d'équité,
le projet de loi laisse aux représentants légaux des
établissements publics des cultes le soin de transmettre
eux même les biens charitables ou autres à des
services, des établissements publics publics ou
d'utilité publique.
Les préfets tuteurs de ces
établissements devront approuver ces attributions ainsi que nous
l'avons
indiqué. Leur rôle se bornera à examiner
si la présente loi a été observée et si le
principe de la spécialité
est respecté. Il convient de faire deux remarques
sur le texte même adopté par votre commission. Elle a
cru devoir admettre les établissement d'utilité
publique à bénéficier des attributions faites en vertu
de
l'article 5. Les biens charitable ou autres ont été,
en effet, confiés aux établissements ecclésiastiques
par
des donateurs ou légataires qui ont évidemment
désiré, par une telle mesure, les affecter au profit de leur
coreligionnaires. Les adeptes de chaque culte ayant fondé
un assez grand nombre d'oeuvres reconnues
d'utilité publique, il sera possible dans presque
tous les cas, de respecter la pensée et la volonté des
donateurs des biens dévolus.
Il faut observer aussi que l'article
3 ne limite pas aux établissements publics ou d'utilité publique,
situé
dans la circonscription ou les circonscriptions voisines
de celles des établissements des cultes, le bénéfice
de ses dispositions. C'est une facilité de plus
donnée aux établissements publics des cultes de conserver
aux biens qu'ils ne peuvent transmettre aux associations
cultuelles leur destination intégrale.
Tous ces biens seront recueillis aussi,
grevés de toutes les charges et obligations dont ils étaient
affectés
antérieurement à leur transmission.
Tel est le mode de dévolution
des biens composant aujourd'hui le patrimoine des établissements
ecclésiastiques. IL sera effectué dans
les conditions que nous venons de préciser.
Il restait cependant à prévoir
deux cas. Fallait-il les actions en reprise ou revendication des biens
donnés
ou légués ? Votre commission a adopté
la solution libérale ; elle a reconnu la légitimité
de ces actions. La
loi de 1901 sur les associations avait pris une disposition
semblable à propos des biens possédés par les
congrégations Le projet pose cependant une condition
et une restriction au droit de revendication : en ce
qui concerne les bien grevés d'une affectation
charitable ou de toute autre affectation étrangère à
l'exercice
du culte, l'action doit être exercée dans
les six mois à dater du jour de leur dévolution. Il eût
été fâcheux
de laisser trop longtemps les établissements qui
recevront ces biens sous la menace d'une dépossession
éventuelle au profit des donateurs ou de leurs
héritiers.
L'action en revendication ne peut
être intentée que par les auteurs mêmes de la donation
ou par leurs
héritiers en ligne directe.
Pour les auteurs, c'était le
droit commun ; pour leurs héritiers on a admis qu'ils continuaient
en quelque sorte leurs personne. Mais les simples légataires ou
héritiers en ligne collatérale n'ont pas le même
caractère. C'eût été ouvertement
violer la volonté expresse du donateur ou du testateur que d'attribuer
à
ces collatéraux des biens dont les auteurs les
avaient délibérément privés pour leur donner
une destination
bienfaisante.
En dehors de ces conditions, le projet
de loi ne soumet à aucune disposition spéciale la revendication
éventuelle des dons et legs à la suite
de la transmission des biens des établissements ecclésiastiques.
Le
droit commun s'appliquera, et il appartiendra aux tribunaux,
suivant les circonstances de chaque espèce,
de décider si, alors que les charges et conditions
continuent à être exécutées et qu'il s'est produit
seulement un changement dans la personne morale chargée
d'y pourvoir, il y a cependant matière à
révocation.
Nous savons déjà que
si plusieurs associations cultuelles sérieuses se forment, elles
pourront réclamer
devant le tribunal civil tout ou partie des biens attribués
par les établissements public du culte à l'une
d'elles. Le tribunal appréciera, en fait, quelle
est celle, ou quelles sont celles, qui représentent
véritablement la collectivité des fidèles
pratiquant le même culte.
Mais cette hypothèse ne pas
être seulement prévue pour le lendemain de la promulgation
de la loi. Il
peut arriver aussi que, dans la suite, une scission se
produise dans une association cultuelle et donne
naissance à un conflit pour la possession et la
jouissance de ces biens. La loi serait incomplète si elle ne
prévoyait pas une aussi grave difficulté
et n'indiquait pas un juge pour la trancher. ce sera encore le
tribunal civil qui statuera en pareil cas sur des éléments
d'appréciation que nous avons indiqués plus haut.
Une dernière difficulté
devait être prévue et solutionnée. IL se peut que dans
la description d'un
établissement public, du culte aucune association
cultuelle ne se forme. Il n'est pas absurde de concevoir
qu'en certaines régions les habitants soient si
complètement détachés des habitudes religieuses que
les sept personnes majeures et domiciliées, suffisantes pour constituer
une association, ne se rencontrent pas. Il
est encore plus vraisemblable d'admettre que dans d'autres
régions ou l'esprit clérical et combatif
dominera, on pourrait chercher à faire échec
à la loi en faisant en quelque sorte la grève des fidèles
et en
refusant de constituer les associations cultuelles prévues
par le projet. Il fallait bien, en pareil cas,
déterminer le mode de dévolution des biens
ecclésiastiques. A qui seraient-ils attribués ? Pour ne pas
dépouiller de leur bénéfice les
régions même où ils sont actuellement possédés,
l'article 4 décide qu'à
l'exception de ceux qui ne sont pas grevés d'une
fondation pieuse, ils pourront être réclamés par la
commune, à charge pour elle de les affecter à
des oeuvres d'assistance ou de prévoyance. Ainsi, à défaut
d'un usage religieux pour le maintien duquel les anciens
paroissiens de l'église n'auront manifesté aucune
volonté expresse, le patrimoine qui servait aux
besoins du culte pourra en quelque manière augmenter le
bien-être des pauvres et des travailleurs. LIbres
penseurs et croyants seront unanimes à approuver une
telle disposition.
Article 7
Article 8
Article 9
Titre III
Des édifices des cultes
Article 10
On a voulu ainsi, pendant deux ans
donner aux associations cultuelles toute facilité pour se constituer,
se développer et réunir, à l'abri
de toute dépense immédiate, une certaine réserve.
Si l'on tient compte de
ce que, pendant un an, les ministres du culte recevront
leur traitement intégral et pendant la deuxième
année les deux tiers de ce traitement, on constatera
dans quel esprit de véritable libéralisme et de prudente
politique cette disposition a été conçue. Le lendemain
de la promulgation, rien ne sera changé en fait.
L'exercice du culte sera continué sans aucune
interruption. La transformation sera juridique et de principe, avant d'être
réalisée en pratique. Aucune application brutale et inattendue
ne sera de nature à susciter une
agitation ou une inquiétude chez les croyants.
Si quelques troubles se produisent, on aura le droit de les
considérer comme factices, et la responsabilité
ne pourra en incomber au législateur.
Article 11
A l'expiration du délais
ci-dessus fixé, L'État, les départements et les communes
devront consentir aux associations, pour une
durée n'excédant pas cinq ans,
la location des presbytères et pour une durée n'excédant
pas dix ans, la location des
cathédrales, églises, chapelles
de secours, temples, synagogues ainsi que des objets mobiliers qui
les garnissent.
Le loyer ne sera pas supérieur
à 10 p. 100 du revenu annuel moyen des établissements supprimés,
ledit revenu calculé d'après les résultats des cinq
dernières années antérieures à la promulgation
de la présente loi, déduction faite des recettes supprimées
par la loi du 28 décembre 1904.
Les réparations locatives et d'entretien
ainsi que les frais d'assurance seront à la charge des établissements
et associations.
En cas d'inexécution de ces prescriptions,
la location sera résiliable.
Les associations locataires ne pourront
se prévaloir contre l'État et les communes des dispositions
de articles 1720 et 1721
du code civil. Elles pourront demander la résiliation
du bail dans le cas où le bailleur se refuserait à exécuter
les grosses
réparations indispensables pour assurer
la jouissance de l'immeuble.
Les édifices actuellement à
la disposition d'établissements publics pour l'exercice du culte
et qui sont al
propriété de l'État, des départements
ou des communes devront, à l'expiration de la jouissance gratuite
concédée pendant deux ans, être loués,
sur leur demande, aux associations cultuelles.
Observons tout d'abord qu'on s'est
abstenu de prescrire pour ces édifices aucune règle d'inaliénabilité.
Les monuments historiques demeurent soumis à leur
régime particulier à ce point de vue comme à tous
autres. Mais pour ceux qui ne sont point classés
à ce titre, ils font, par le fait même de l'article 2, partie
du domaine privé, et les déclarer inaliénables eût
été créer sans raison sérieuse une législation
spéciale à leur
égard. Il n'y avait aucun intérêt,
au contraire, à les maintenir dans les limites du droit commun,
car l'État,
les départements et les communes pourront ainsi,
selon leur libre volonté, les céder aux associations
cultuelles.
Pendant dix ans, ces édifices
seront loués ainsi que leur mobilier moyennant un prix extrêmement
modéré qui peut être abaissé
jusqu'à un chiffre de pur principe, et qui ne peut dépasser
10 p. 100 du
revenu annuel moyen des établissements supprimés,
ce revenu calculé d'après le résultat des cinq
dernières années. On déduit même,
et c'est justice, les recette supprimées par la loi du 28 décembre
1904.
Ainsi, pour une fabrique dont le revenu moyen aurait
été de 3 000 fr., le loyer ne pourra pas être
supérieur à 300 fr.; il pourra être
abaissé au gré des parties jusqu'à 1 fr.
Les cas de loyers fictifs ainsi consentis
à des établissements publics ou des oeuvres d'utilité
publique ou d'intérêts collectifs, sont nombreux. Il ne fallait
pas le jour même de la fondation d'une association
cultuelle lui imposer des dépenses trop fortes
qui eussent risqué risqué souvent d'en faire une institution
mort-née. Il ne fallait pas surtout, dès
l'instant où l'on reprenait les édifices servant à
l'exercice du culte
depuis de longs siècles, sans rémunération
aucune, donner à cet acte de reprise un caractère vexatoire.
Cette période de dix ans, pendant laquelle on
pourra réclamer aux associations un loyer, modeste pour les
édifices mis à leur disposition, suffira
dans la plupart des cas pour permettre ces associations de se
développer et de faire face à toutes les
charges qui, dans la suite, pourraient légitimement leur être
imposées.
Elle est prévue pour tous les
édifices sans exception, affectés au culte : cathédrale,
église, chapelles de
secours, temples et synagogues.
Les archevêchés, évêchés,
séminaires, facultés de théologie protestantes ne
bénéficient pas de ces
dispositions.
Il a paru à votre commission
qu'aucune raison de principe ni de politique ne permettait après
deux ans
de jouissance gratuite, de les comprendre dans un régime
d'exception et de faveur. Toutefois, par un
sentiment de bienveillance à l'égard des
paroisses et de leurs desservants, les presbytères seront loués
pendant cinq ans aux associations cultuelles d'après
les règles déterminées pour les édifices du
culte. En
raison du faible traitement accordé aux curés,
pasteurs et rabbins, on ne pouvait leur imposer du jour au
lendemain la charge d'un loyer élevé.
Durant la jouissance gratuite de la
période de location de tous ces immeubles, les réparations
locatives
et d'entretien, ainsi que que les frais d'assurance,
seront à la charge des établissements et des associations.
Il faut éviter que par l'insouciance et l'incurie
des directeurs des associations, les propriétaires des
immeubles assistent impuissants à la dépréciation
de leur propriété. C'est pourquoi, si l'association
locataire laisse dépérir volontairement
les immeubles qu'on lui a cédés à bail pour un loyer
aussi modeste,
la location sera résiliable. Les tribunaux apprécieront
en fait s'il y a eu faute lourde commise.
Les grosses réparations restent
à la charge de l'État ou des communes. Mises à la
charge des
associations cultuelles elles auraient entraîné
pour elles des dépenses considérables auxquelles, dans bien
des cas, ces associations récentes n'auraient
pu suffire et qui ont finalement paru à votre commission
inconciliables avec la jouissance de courte durée
prévue dans le projet de loi. Il eût été aussi
excessif de
cumuler cette charge avec le loyer exigé des établissements
et associations. Mais votre commission a jugé
qu'étant donné la modicité de ce
loyer, il serait raisonnable de laisser à la charge des associations,
en outre
des réparations locatives, celles d'entretien.
C'est une exception au droit commun. Mais le droit commun,
si on l'invoque, laisse au propriétaire le libre
choix du locataire avec le plein droit de fixer le prix de ses
loyers. Il les calcule d'après ses charges et
les réparations d'entretien ne sont pas la moindre. En enlevant
à l'État et aux communes tous les droits, tous les avantages
de la propriété, eût-il été juste de
ne leur laisser
que les inconvénients ?
Votre commission n'a pas cru devoir
imposer les grasses réparations à l'État et aux communes.
Ils n'y
procéderont que s'ils considèrent que tel
est leur intérêt. On a, dans ce but, apporté une dérogation
aux
articles 1720 et 1724 du code civil. Mais l'équité
exigeait que les associations locataires ne fussent pas
contraintes de respecter leur bail si l'on négligeait
d'effectuer les grosses réparations nécessaires pour
assurer la jouissance de l'immeuble.
Dans ce cas, le bailleur serait considéré
comme violant à l'égard du locataire les bases mêmes
du contrat et ce dernier pourrait réclamer la résiliation
du bail.
Nous verrons à l'article 17
que des crédits sont prévus au budget de l'État et
des communes pour ces
grosses réparations.
Article 13
Article 14
Article 15
Titre IV
Des associations pour l'exercice des cultes
Article 16
Article 17
Article 18
Observons, en outre, que, pour que
les Églises protestantes, le droit d'union s'imposait. En fait,
elles
sont dispersées et disséminées dans
la France entière. De nombreux départements ne comptent que
quelques centaines de fidèles. Agglomérés
dans certaines grandes villes comme Paris, Nîmes, Lyon, ils
sont répandus dans toutes les autres régions
en nombre extrêmement faible.
L'Église protestante de beaucoup
la plus nombreuse, l'Église réformée de France, ne
compte au total
que la moitié environ d'adeptes du diocèse
catholique le moins peuplé. Le protestantisme aussi, par son
principe de libre examen, a provoqué la création
de nombreuses petite communautés indépendantes de 1
000, 2 000, et la plus nombreuse 20 000 membres dispersés
par groupe parfois de 10 ou de 100 fidèles.
A défaut d'union générale et de
caisse centrale, constituée pour donner un centre commun à
cette
poussière de paroisses, la plupart seraient condamnées
à disparaître et se déclareraient légitimement
en
butte à de véritables mesures d'oppression
religieuse.
Le budget des cultes constitue actuellement
pour toutes les Églises protestantes reconnues le centre
commun indispensable. Le jour de son abrogation, il faudra
le remplacer.
Mais en droit, plus encore qu'en fait,
les protestants réclament avec raison l'union générale
pour la
conservation de leur constitution séculaire.
Elle l'ont toutes établies
sur des bases semblables. La plus importante, l'Église réformée,
a, ainsi que
nous l'avons expliqué, une organisation parlementaire
et démocratique. La paroisse nomme au suffrage
universel son ou ses pasteurs et représentants
( conseil presbytéral). Les conseils presbytéraux nomment
les délégués au consistoire. Au
dessus du consistoire se trouve le synode régional, et, enfin, l'Église
entière est gérée par un synode national, dont la
légalité a été reconnue par avis solennel du
conseil d'État. Ce
synode national où les laïques sont en majorité,
a tous les pouvoirs d'un véritable, ecclésiastique et
financier. L'anéantir serait priver l'Église
réformée de ce qui forme sa caractéristique particulière.
Louis
XIV, seul, par la révocation de l'édit
de Nantes, a cru devoir le faire. L'union générale avec sa
capacité
juridique peut seule respecter la constitution protestante
en ce qu'elle a d'essentiel et de caractéristique.
Les israélites, tout aussi dispersés
et possédant aujourd'hui légalement un consistoire central,
réclament
à juste titre, les mêmes dispositions, non
pas bienveillantes, mais simplement équitables.
Et si l'on songe que demain des dissidents
catholiques, protestants ou israélites, des adeptes de religions
nouvelles, peuvent fonder des associations cultuelles ; si l'on prévoit
que leurs adhérents seront au début
recrutés un peu parmi tous les fidèles
de France sur tout le territoire, et vraisemblablement peu nombreux
dans un premier temps, on devra conclure que pour permettre
la naissance et le développement de ces
nouvelles associations cultuelles, il faut leur donner
le droit de fonder, alors qu'elles sont faibles encore,
leur foyer commun et leur budget commun.
Tout le monde reconnaît que
ce qui est accordé aux uns doit l'être à tous ; c'est
pourquoi, sans
distinction de confession religieuse, votre commission
a cru devoir admettre les unions générales
d'associations cultuelles avec capacité juridique.
Pour en revenir à l'Église
catholique, si les militants parmi les fidèles voulaient exercer
un rôle politique
et social, ils ne le feraient pas par le moyen d'associations
cultuelles, mais par le moyen d'associations
ordinaires qui, elles, ont bien sans limitation le droit
de se fédérer.
Le projet tel qu'il est conçu
ne leur permettrait pas sans danger d'agir avec succès sous le couvert
de
communautés religieuses. Nous le répétons,
trop de précautions sont prises à cet effet.
Au point de vue financier, les ressources
des associations cultuelles ne proviennent que de certains
revenus spécialisés.
Ceux-ci doivent être affectés
uniquement à l'exercice du culte. Les associations ne peuvent recevoir
ni
dons ni legs. Leurs comptes sont soumis à un contrôle
financier et précis, éclairé et sévère.
La violation des règles financières
peut entraîner la dissolution de l'association.
Au pont de vue politique et social,
les associations ne peuvent servir à d'autres fins que l'exercice
du
culte. Leurs actes collectifs sont soumis à des
règles très strictes : ni elles-mêmes, ni leurs directeurs
ou
ministre ne peuvent poursuivre un but différent
de celui qui est déterminé par leurs statuts. Les paroles
même de ces ministre encourent dès qu'elles
sont subversives des pénalités sévères. Toute
contravention
peut entraîner la dissolution de l'association
ou de l'union.
En présence de telles mesures
et de précautions aussi minutieuses on est en droit de dire que
le danger
qui pourrait résulter de l'union générale
d'associations trop nombreuses ou trop riches est, sinon illusoires,
au moins très atténué.
Il n'est pas tel que l'on doive limiter
les fédérations des associations catholiques et briser l'organisation
traditionnelle des minorités religieuses ; le
maintien de l'union des associations avec la capacité juridique
prévue par le projet de loi s'impose donc au législateur.
Le Gouvernement s'est rallié, sur ce point encore,
aux vues de la commission.
Article 19
Article 20
Article 21
Article 22
Titre V
Police des cultes
Article 23
Article 24
Article 25
Article 26
Article 27
Article 28
Article 29
Article 30
Article 31
Article 32
Article 33
Titre VI
Dispositions générales
Article 34
Article 35
Article 36
Article 37
L'abrogation du Concordat pouvait-elle
être valablement prononcée par un acte unilatéral et
sous quelle
forme ?
Il faut distinguer entre la loi qui
a rendu exécutoire en France le Concordat, et la convention elle-même
conclue avec le Saint-Siège. La loi peut être
abrogée par une autre loi et ne peut l'être autrement. L'acte
législatif est libre et le parlement a toujours
le droit de l'accomplir.
Le Concordat, convention sui generis,
est indéniablement un contrat synallagmatique, dont la durée
n'a
pas été déterminée conventionnellement,
qui s'exécute par des actes continus et successifs, et pour les
difficultés d'interprétation ou d'application
duquel aucun tribunal ne peut être compétent.
Est-il perpétuel ? Qu'on le
considère comme un traité diplomatique, ou comme de droit
privé, s'il
portait clause de perpétuité, celle-ci,
en vertu de notre droit moderne, devrait être considéré
comme non
écrite. Les États ne peuvent, pas plus
que les individus, obliger indéfiniment leurs successeurs et les
lier
par des liens indissolubles.
Mais pareille clause n'existe pas
dans le Concordat ; il garde simplement le silence sur la rupture des
accords qu'il consacre, et prévoit seulement le
cas où le chef de l'État français ne serait pas catholique
et
où il y aurait lieu de procéder à
une nouvelle convention (XVII).
Comment pourrait-il prendre fin ?
Par la volonté exprimée
de l'une des parties de ne pas remplir ses engagements ; par la volonté
présumée de l'une des parties de ne plus
se conformer à ses obligations (article 1184 du code civil) ; par
une entente entre les deux parties.
Il n'y a pas entre le Gouvernement
français d'entente proprement dite avec le pape. Il n'y a pas eu
de
volonté expressément notifiée par
une des parties de ne plus exécuter la convention. Mais il y a eu
certains
actes de la papauté qui ont été
interprétés par le Gouvernement français en ce sens
qu'elle se refusait sur
les matières à propos desquelles ces actes
avaient été accomplis, à observer les obligations
du Concordat.
Il est vrai qu'un tribunal n'a pas
été appelé à juger ce différend. Mais
aucun tribunal n'avait pareille
compétence et ce défaut de juge ne pouvait
donner au Concordat une pérennité contraire au droit privé,
public et international.
Nous n'avons pas ici à chercher
si le Gouvernement français a eu raison d'apprécier l'attitude
du pape,
en certaines circonstances, comme un refus de se conformer
au Concordat. Il y a un acte gouvernemental interprétant ainsi les
agissements de la papauté. C'est là un fait accompli. Le
Concordat est considéré et
doit être considéré comme rompu par
la volonté présumée et unilatérale du pape,
qui a agi de telle sorte
que le Gouvernement de la République a considéré
ses actes comme une inexécution délibérée du
contrat.
Dès lors, le Gouvernement peut
et doit convier le parlement à abroger la loi déclarant le
Concordat
exécutoire comme loi française.
L'article 37 a cet objet.
S'il est vrai qu'une dénonciation
diplomatique de la convention eût été conforme au droit
international,
elle est aujourd'hui impossible, les relations diplomatiques
étant rompues entre la République française et
le pape.
Du reste avant la rupture de ces relations
une note du ministre des affaires étrangères officiellement
notifiée au cardinal secrétaire d'État,
en date du 29 juillet 1904, avertissait solennellement le Vatican que
le Gouvernement de la république française
"a
prévenu le Saint-Siège de la conclusion qu'il serait amené
à
tirer de la méconnaissance
persistante de ses droits" ( concordataires) et que
"obligé de constater ... que le Saint-Siège maintient les
actes accomplis à l'insu du pouvoir avec lequel il a signé
le Concordat, le
Gouvernement de la république
a décidé de mettre fin à des relations officielles
qui, par la volonté du
Saint-Siège, se trouvent
sans objet".
C'est dire, en termes diplomatiques,
que le Gouvernement considérait que, par la volonté du
Saint-Siège, le Concordat n'était plus
observé et que, par suite, les relations existant entre la République
et le pape devenaient sans objet.
Dès lors la dénonciation
du Concordat devient fautile, les agissements du Saint-Siège ayant
été tels que
le Gouvernement français a pu en déduire
l'intention du pape de ne plus exécuter intégralement la
convention signée par Bonaparte et Pie VII
Ce n'est plus
l'heure d'insister sur les considérations théoriques qui
militent en faveur de la séparation des Églises et de l'État.
Elles ont été abondamment, et de tout temps, produites par
des écrivains et des orateurs dont on essaierait vainement de dépasser
on même d'égaler l'éloquence. Aujourd'hui, il n'est
plus personne pour contester sérieusement que la neutralité
de l'État en matière confessionnelle ne soit l'idéal
de toutes les sociétés modernes. Dans une démocratie
surtout, dont les institutions ont pour base le suffrage universel, c'est
à dire le principe de la souveraineté du peuple, le maintien
d'un culte officiel est un tel défi à la logique et au bon
sens qu'on a le droit de se demander comment la République française
a pu pendant trente-quatre ans s'accommoder de ce régime équivoque.
C'est que, plus
forte et plus décisives que toutes les raisons de principe, les
considérations de fait ou d'opportunité ont toujours prévalu
jusqu'ici.
Depuis l'avènement
de la troisième République les hommes d'État qui se
sont succédé au pouvoir ont persisté dans la poursuite
de cette chimère : asservir à leurs desseins la puissance
politique de l'Église. Et la plupart se sont bercés de cette
illusion que le Concordat pouvait leur en donner les moyens. La faculté
de suspendre ou de supprimer les traitements, l'appel comme d'abus, surtout
le droit de faire des évêques leur paraissaient des prérogatives
énormes au service de la République. On a vu, par l'histoire
de ces trente dernières années, combien sont restées
inefficaces, aux mains des gouvernements républicains, ces prétendues
armes concordataires. Elles n'ont jamais pu faire obstacle aux heures décisives,
c'est-à-dire chaque fois que la République a été
en danger ou qu'elle a entrepris la réalisation d'un progrès
laïque, aux tentatives d'insubordination du clergé français
et de ses chefs. Le "préfet violet"
a rarement pardonné à ce régime les brigues humiliantes
du curé d'antan, et toute occasion a été bonne pour
essayer de faire oublier à Rome les excès de zèle
concordataire du candidat à la mitre. Si la République a
vécu, si elle a progressé c'est malgré l'Église,
contre ses effort et grâce à l'indifférence religieuse
qui, croissant de jour en jour, a fini par rendre ce pays impénétrable
aux excitations du clergé.
Cependant, malgré
toutes les leçons du passé, peut-être les rapports
officiels entre les Églises et l'État eussent-ils duré
encore au-delà de toute prévision, si des événements
n'avaient surgi dont la force brutale a changé brusquement le cours
des choses. Ce que n'aurait osé la timidité gouvernementale
ou parlementaire, en quelques mois la foi ardente et combative d'un pape
audacieux l'a réalisé. Le Concordat, ce pacte sacro-saint,
devant lequel pendant trente-quatre ans avait capitulé tous les
principes républicains, il a suffit à Pie X de deux ou trois
accès d'absolutisme pour le déchirer et le réduire
en miettes.
Devant le fait
accompli, il fallait bien s'incliner. Le régime concordataire étant
aboli, il ne restait plus qu'une issue à une situation devenue intenable
: la séparation. Les républicains les plus modérés
ont dû avouer que le problème se posait désormais d'une
façon si pressante qu'il devenait impossible d'en ajourner la solution.
Votre commission
ne croit pas que vous puissiez prendre en considération l'idée
de remettre à un an, c'est à dire jusqu'après les
élections générales, toute détermination sur
la situation présente. Lier, pour un si long temps, dans les circonstances
actuelles, les mains au Gouvernement, ce serait, on en conviendra, faire
au Saint-Siège la partie belle et facile ; ce serait vouloir mettre
la République dans une posture singulièrement humiliante
et dangereuse. Faire dépendre du résultat des prochaines
élections législatives l'issue du conflit, autant vaudrait
offrir une prime à l'agitation cléricale. Un an d'impuissance
imposé au Gouvernement de la République, d'émancipation
électorale accordée au clergé ; quel est le républicain
soucieux des intérêts de ce régime qui oserait envisager
sans inquiétude une telle perspective ?
Puis, sur quoi
le corps électoral serait-il consulté ? Sur le principe même
de la réforme ? Mais tous les électeurs républicains
sont, théoriquement, favorables à la séparation. Une
réponse par oui ou par non à une question de cette nature
ne vous apporterait pas les éléments d'appréciation
désirables pour l'étude d'un régime qui vaudra surtout
par les modalités selon lesquelles il aura été réalisé.
Est-ce donc sur ces modalités mêmes que la consultation devrait
avoir lieu ? Mais chacun reconnaît que le problème est si
délicat, si complexe, que ce ne sera pas trop de toute la bonne
volonté, de tout l'effort du Parlement, pour le résoudre.
Peut-on raisonnablement penser qu'en pleine effervescence électorale,
le suffrage universel serait à même de se prononcer sur cette
matière, et jusque dans la minutie des détails, le jugement
réfléchi que quelques-uns semblent attendre de lui ?
Tout le monde
s'accorde à proclamer que la question doit être posée,
discutée et tranchée dans le calme, avec sang froid. Au sortir
d'une période électorale, qui n'aurait pu être qu'effroyablement
agitée, la chambre se trouverait-elle dans les conditions désirables
pour aborder l'examen du problème ?
Il serait puéril
et peu digne de vous, dans une aussi grave occurrence, de recourir à
des moyens dilatoires pour esquiver les responsabilités de l'heure.
Vous êtes des hommes politiques aux prise avec des difficultés
d'un problème posé par des événements qu'il
n'a pas été en votre pouvoir d'éviter. Ce problème,
vous avez le devoir de lui donner la prompte solution que comportent à
la fois les principes et les intérêts de la République.
Le projet que
vous présente la majorité des membres de votre commission
est de nature à vous faciliter la tâche. Conçu, discuté,
voté avec un large esprit de tolérance et d'équité,
il sauvegarde tout ensemble les légitimes respectables préoccupations
des consciences et les intérêts des personnes et les droits
supérieurs de l'État. Ce n'est pas une oeuvre de passion,
de représailles, de haine, mais de raison, de justice et de prudence
combinées, à laquelle votre commission vous demande de vous
associer.
On y chercherait
vainement la moindre trace d'arrière-pensée de persécution
contre la religion catholique. Les trois cultes reconnus en France y reçoivent
un traitement égal. Toutes les dispositions concernant le régime
des édifices, celui des associations, les précautions d'ordre
public, la situation des ministres leur sont communes.
Le projet adopté
par votre commission ne s'écarte du droit commun que dans l'intérêt
de l'ordre public.
Il est bien
vrai qu'il édicte des pénalités plus ou moins sévères
selon les cas, contre les ministres des cultes qui, dans l'intérieur
des édifices religieux, au cours des cérémonies, se
laisseraient entraîner à prêcher la révolte contre
l'exécution des lois, contre les institutions publiques, ou bien
à outrager, à diffamer les agents de l'autorité. Mais,
par contre, il réprime aussi tous les actes - cris, manifestations,
violences - qui pourraient troubler les cérémonies religieuses
et faire entrave au libre exercice du culte.
En faisant cesser,
par la suppression du budget spécial, toute contrainte pour les
citoyens de participer de leurs deniers, sous la forme de l'impôt,
à l'entretien du culte, il consacre la liberté de conscience
dans la réalisation d'un de ses principes essentiels. Mais, soucieux
en même temps de ne porter aucune atteinte aux droits acquis, il
assure aux intéressés des indemnités et des pensions
généreuses proportionnées à l'importance et
à la durée des services rendus.
Enfin, par tout
un ensemble de dispositions libérales et prévoyantes, appliquées
à l'usage des édifices religieux, il rend possible, sans
tâtonnements ni heurts, le passage de l'état des choses actuel
au régime nouveau.
En le votant, vous ramènerez l'État à une juste appréciation de son rôle et de sa fonction ; vous rendez la République à la véritable tradition révolutionnaire et vous aurez accordé à l'Église ce qu'elle a seulement le droit d'exiger, à savoir la pleine liberté de s'organiser, de vivre, de se développer selon ses règles et par ses propres moyens, sans autre restriction que le respect des lois et de l'ordre public.
Texte
présenté aux député
( avec
les modifications des 12 et 19 avril)
(J'y ai rajouté
le texte voté et le texte actuel)
Loi du 9 décembre 1905
concernant la séparation des Églises
et de l'État.
(Journal Officiel du 11 décembre 1905)
Le Sénat et la chambre des députés
ont adopté,
Le Président de la République
promulgue la loi dont la teneur suit :
Le Président de la République,
Émile LOUBET
Le président du conseil, ministre des
affaires étrangères,
ROUVIER
Le ministre de l'instruction publique, des beaux-arts
et des cultes,
Bienvenu MARTIN
Le ministre de l'intérieur,
F. DUBIEF
Le ministre des finances,
P. MERLOU
Le ministre des colonies,
CLEMENTEL.
par la Commission Titre Ier Principes Article 1er Article 2 Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. Titre II
Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l'inventaire descriptif et estimatif : 1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ; 2° Des biens de l'État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance. Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une notification faite en la forme administrative. Les agents chargés de l'inventaire auront le droit de se faire communiquer tous titres et documents utiles à leurs opérations.(nouvelle rédaction au 12 avril) Article 4 (nouvelle rédaction au 19 avril) Toutefois,
ceux des biens désignés à l'article précédent
qui proviennent de l'État et qui ne sont pas grevés d'une
fondation pieuse feront retour à l'État.
Article 4 bis Les associations attributaires des biens des établissements
ecclésiastiques supprimés seront tenues des dettes de ces
établissements ainsi que de leurs emprunts sous réserve des
dispositions du troisième paragraphe du présent article ;
tant qu'elles ne seront pas libérées de ce passif, elles
auront droit à la jouissance des biens productifs de revenus qui
doivent faire retour à l'État en vertu de l'article 4.
Article 5 Les biens mobiliers ou immobiliers
grevés d'une affectation charitable ou d'une toute autre affectation
étrangère à l'exercice du culte seront attribués,
par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques,
aux services ou établissements publics ou d'utilité publique,
dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution
devra être approuvée par le préfet du département
où siège l'établissement ecclésiastique. En
cas de non-approbation, il sera statué par décret en Conseil
d'État.
Article 6 A l'expiration dudit délai et à la requête des intéressés ou du ministère public, les biens à attribuer seront, jusqu'à leur dévolution , placés provisoirement sous séquestre par décision du président de ce tribunal. Dans le cas où les biens d'un établissement seront, soit dès l'origine, soit dans la suite, réclamés par plusieurs associations légalement formées pour l'exercice du même culte, l'attribution que l'établissement en aura été faite pourra être contestée devant le tribunal civil qui statuera comme dans le cas du premier paragraphe du présent article. Si dans les trois mois qui suivront l'expiration
du délai fixé par le premier paragraphe de l'article 4 il
ne s'est présenté devant le tribunal civil, en vue
de l'attribution des biens visés par ledit article, aucune association
légalement formée dans l'ancienne circonscription dudit établissement,
ces biens seront de plein droit dévolus à la commune où
l'établissement a son siège, à charge pour elle de
les affecter à des oeuvres de bienfaisance ou de prévoyance
; toutefois, ceux de ces biens qui seront grevés de fondations pieuses
seront attribués aux associations constituées dans les circonscriptions
voisines en remplacement d'établissements analogues.. (nouvelle
rédaction au 12 avril)
Article 7 Faute d'attribution régulière et dans le cas ou plusieurs associations formées légalement pour l'exercice d'un même culte revendiqueraient les biens, l'attribution sera faite, à la requête de la partie la plus diligente, par le tribunal de l'arrondissement où l'association dissoute avait son siège. A défaut de toute association apte à recueillir les biens de l'association dissoute, ceux de ces biens qui ne seront pas grevés d'une fondation pieuse pourront être réclamés par les communes dans les conditions fixées au paragraphe 3 de l'article 4. Article 8 Les attributions prévues par
les articles précédents ne donnent lieu à aucune perception
au profit du Trésor.
Article 9 Cette pensions ne pourront pas être
inférieure à 400 fr., ni supérieure à 1.200
fr.
Les ministres des cultes actuellement
salariés par l'État, qui ne seront pas dans les conditions
exigées pour la pension recevront, pendant quatre ans à partir
de la suppression du budget des cultes, une allocation égale à
la totalité de leur traitement pour la première année,
aux deux tiers pour la deuxième, à la moitié pour
la troisième, au tiers pour la quatrième.
Les départements et les communes
pourront, sous les mêmes conditions que l'État, accorder aux
ministres des cultes actuellement salariés par eux, des pensions
ou des allocations établies sur la même base et pour une égale
durée.
Les pensions ne pourront se
cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement alloué,
à titre quelconque par l'État les départements ou
les communes.
Ces
pensions et allocations seront incessibles et insaisissables dans les mêmes
conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en
cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante et
elles pourront être suspendues pendant un délai de deux à
cinq ans en cas de condamnation pour l'un des délits prévus
aux articles 31 et 32 de la présente loi.
Titre III
Article 10 Les édifices
antérieurs au Concordat, servant à
l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres , cathédrales,
églises, chapelles de secours, temples, synagogues, archevêchés,
évêchés, presbytères, séminaires, ainsi
que leur dépendances immobilières,
et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits
édifices ont été remis aux cultes, sont et demeurent
propriétés de l'État, des départements, des
communes ***
L'État, les départements
et les communes seront soumis à la même obligation en ce qui
concerne les édifices postérieurs au Concordat dont ils seraient
propriétaire, y compris les faculté de théologie protestante.
***qui devront en laisser la jouissance gratuite,
pendant deux années à partir de la présente loi, aux
établissements ecclésiastiques puis aux associations formées
pour l'exercice du culte dans les anciennes circonscriptions des établissements
ecclésiastiques supprimés.
Article 11 Le loyer ne sera pas supérieur à 10 p. 100 du revenu annuel moyen des établissements supprimés, ledit revenu calculé d'après les résultats des cinq dernières années antérieures à la promulgation de la présente loi, déduction faite des recettes supprimées par la loi du 28 décembre 1904. Les réparations locatives et d'entretien
ainsi que les frais d'assurance seront à la charge des établissements
et associations.
Article 12 Toutefois aucun acte de location ou d'aliénation ne pourra être consenti avant les trois dernières années du bail en cours. Article 13 Article 14 Article 15 En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations, pourront être classés dans les mêmes conditions que s'ils appartenaient à des établissements publics. Il n'est pas dérogé, pour le surplus, aux dispositions de la loi du 30 mars 1887. Des associations pour l'exercice des cultes Article 16 Elles
pourront
recevoir, en outre, des cotisations prévues par l'article 6 de la
loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour
les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies
et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs
et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service
des funérailles dans les édifices religieux et à la
décoration de ces édifices.
Elles pourront verser, sans donner
lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à
d'autres associations constituées pour le même objet.
Article 18 Article 19 Le contrôle financier est exercé sur les associations par l'administration de l'enregistrement et sur les unions par la cour des comptes. Article 20 Indépendamment de cette réserve, qui devra être placée en valeurs nominatives, elles pourront constituer une réserve spéciale dont les fonds devront êtres déposés à la Caisse des dépôts et consignations pour y être exclusivement affectés, y compris les intérêts, à l'achat, à la construction, à la décoration ou à la réparation d'immeubles ou meubles destinés aux besoins de l'association ou de l'union. Article 21 Les tribunaux pourront, dans le cas d'infraction au paragraphe 1er de l'article 20, condamner l'association ou l'union à verser à l'État l'excédent constaté par le contrôle financier. Ils pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe 1er du présent article, prononcer la dissolution de l'association ou de l'union. Article 22
Les biens meubles et immeubles, propriété
des associations et unions, sont soumis aux mêmes impôts que
ceux des particuliers.
Ils ne sont pas assujettis à la
taxe d'abonnement ni à celle imposée aux cercles par l'article
33 de la loi du 8 août 1890.
Titre V
Article 23 Une seule déclaration suffit pour l'ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lieu dans l'année. Article 24 Article 25 Les cérémonies funèbres seront réglées dans toutes les communes par arrêté municipal dans les conditions de la loi du 15 novembre 1887. Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal. Article 26 Article 27 Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 23, 24 et 25 , ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 23 et 24 , ceux qui ont fourni le local. Article 28 Article 29 Article 30 Article 31 Article 32 Article 33 Si l'immeuble a été loué à l'association par l'État, les départements ou les communes en vertu de la présente loi, la résiliation du bail pourra être demandée par le bailleur. Titre VI
Article 34 Article 35 Article 36 Article 37 1° La loi du 18 germinal an X ; portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ; 2° Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ; 3° Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l'ordonnance du 28 mai 1844 sur le culte israélite ; 4° Les décrets des 22 septembre 1812 et 19 mars 1859 ; 5° Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du code pénal 6° Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l'article 136 et l'article 167 de la loi du 5 avril 1884 ; 7° Le décret du 30 décembre 1809 et l'article 78 de la loi du 26 janvier 1892.
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Titre Ier
Article 1er Article 2 Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. Titre II
Article 3 Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l'inventaire descriptif et estimatif : 1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ; 2° Des biens de l'État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance. Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une notification faite en la forme administrative. Les agents chargés de l'inventaire auront le droit de se faire communiquer tous titres et documents utiles à leurs opérations. Article 4 Article 5 Les attributions de biens ne pourront
être faites par les établissements ecclésiastiques
qu'un mois après la promulgation du règlement d'administration
publique prévu à l'article 43
. Faute de quoi la nullité pourra en être demandée
devant le tribunal civil
par toute partie intéressée ou par le ministère public.
Article 6 Les associations attributaires des biens des établissements
ecclésiastiques supprimés seront tenues des dettes de ces
établissements ainsi que de leurs emprunts sous réserve des
dispositions du troisième paragraphe du présent article ;
tant qu'elles ne seront pas libérées de ce passif, elles
auront droit à la jouissance des biens productifs de revenus qui
doivent faire retour à l'État en vertu de l'article 5.
Article 7 Les biens mobiliers ou immobiliers
grevés d'une affectation charitable ou d'une toute autre affectation
étrangère à l'exercice du culte seront attribués,
par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques,
aux services ou établissements publics ou d'utilité publique,
dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution
devra être approuvée par le préfet du département
où siège l'établissement ecclésiastique. En
cas de non-approbation, il sera statué par décret en Conseil
d'État.
Article 8 A l'expiration dudit délai, les biens à attribuer seront, jusqu'à leur attribution, placés sous séquestre. Dans le cas où les biens attribués
en vertu de l'article 4 et du paragraphe 1er du présent article
seront, soit dès l'origine, soit dans la suite, réclamés
par plusieurs associations formées pour l'exercice du même
culte, l'attribution qui en aura été faite
par les représentants de l'établissement ou par décret
pourra être contestée devant le
Conseil d'État, statuant au contentieux , lequel prononcera en tenant
compte de toutes les circonstances de fait.
Article 9 En cas de dissolution d'une association, les biens qui lui auront été dévolus en exécution des articles 4 et 8 seront attribués par décret rendu en Conseil d'État, soit à des associations analogues dans la même circonscription ou, à leur défaut, dans les circonscriptions les plus voisines, soit aux établissement visés au paragraphe 1er du présent article. Toute action en reprise ou
en revendication doit être exercée dans un délai de
six mois à partir du jour le décret aura été
inséré au Journal officiel. L'action ne pourra être
intentée qu'en raison de donation ou de legs
et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe.
Article 10 Les attributions prévues par
les articles précédents ne donnent lieu à aucune perception
au profit du Trésor.
Article 11 Ceux qui seront âgés de plus de quarante-cinq ans et qui auront, pendant vingt ans au moins, rempli des fonction ecclésiastiques rémunérées par l'État recevront une pension annuelle et viagère égale à la moitié de leur traitement. Les pensions allouées par les deux paragraphes précédents ne pourront pas dépasser 1.500 francs . En cas de décès des titulaires, ces pensions sont réversibles. jusqu'à concurrence de la moitié de leur montant au profit de la veuve et des orphelins mineurs laissés par le défunt et, jusqu'à concurrence du quart, au profit de la veuve sans enfants mineurs. A la majorité des orphelins, leur pension s'éteindra de plein droit. Les ministres des cultes actuellement
salariés par l'État, qui ne seront pas dans les conditions
ci-dessus, recevront, pendant quatre ans à partir de la suppression
du budget des cultes, une allocation égale à la totalité
de leur traitement pour la première année, aux deux tiers
pour la deuxième à la moitié pour la troisième,
au tiers pour la quatrième.
Titre III
Article 12 Les édifices qui
ont été mis à la disposition de la nation et qui,
en vertu de la loi du 18 germinal an X, servent
à l'exercice public des cultes ou au logement de leurs ministres
(cathédrales, églises, chapelles, synagogues, archevêchés,
évêchés, presbytères, séminaires), ainsi
que leur descendance immobilière,
et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits
édifices ont été remis aux cultes, sont et demeurent
propriétés de l'État, des départements, des
communes.
Pour ces édifices, comme pour ceux postérieurs
à la loi du 18 germinal an X, dont l'État, les départements
et les communes seraient propriétaires, y compris les facultés
de théologie protestante, il sera procédé conformément
aux dispositions des articles suivants.
Article 13 La cessation de cette jouissance, et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret, sauf recours au Conseil d'État statuant au contentieux : 1° Si l'association bénéficiaire est dissoute : 2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs : 3° Si la conservation de l'édifice ou celle des objets mobiliers classés en vertu de la loi de 1887 et de l'article 16 de la présente loi est compromise par insuffisance d'entretien, et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut du préfet : 4° Si l'association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ; 5° Si elle ne satisfait pas soit aux obligations de l'article 6 ou du dernier paragraphe du présent article, soit aux prescriptions relatives aux monuments historiques. La désaffectation et ces immeubles pourra, dans les cas ci-dessus prévus être prononcée par décret rendu en Conseil d'État. En dehors de ces cas, elle ne pourra l'être que par une loi. Les immeubles autrefois affectés aux cultes et dans lesquels les cérémonies du culte n'auront pas été célébrées pendant le délai d'un an antérieurement à la présente loi, ainsi que ceux qui ne seront pas réclamés par une association cultuelle dans le délai de deux ans après sa promulgation, pourront être désaffectés par décret. Il en est de même pour les édifices dont la désaffectation aura été demandée antérieurement au 1er juin 1905. Les établissements publics du culte, puis les associations bénéficiaires, seront tenus des réparations de toute nature, ainsi que des frais d'assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant. Article 14 Les archevêchés, évêchés,
les presbytères et leurs dépendances, les grands séminaires
et facultés de théologie protestante seront laissés
gratuitement à la disposition des établissements publics
du culte, puis des associations prévues à l'article 13, savoir
: les archevêchés, et évêchés pendant
une période de deux années ; les presbytères dans
les communes où résidera le ministre du culte, les grands
séminaires et facultés de théologie protestante, pendant
cinq années à partir de la promulgation de la présente
loi.
Les indemnités de logement incombant actuellement aux communes, à défaut de presbytère, par application de l'article 136 de la loi du 5 avril 1884, resteront à leur charge pendant le délai de cinq ans. Elles cesseront de plein droit en cas de dissolution de l'association. Article 15 Dans ces mêmes départements, les cimetières resteront la propriété des communes. Article 16 Les objets mobiliers ou les immeubles par destination mentionnés à l'article 13, qui n'auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l'effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé par le ministre compétent, dans le délai de trois ans, au classement définitif de ceux de ces objets dont la conservation présenterait, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt suffisant. A l'expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit. En outre, les immeubles et les objets
mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations,
pourront être classés dans les mêmes conditions que
s'ils appartenaient à des établissements publics.
Article 17 Les immeubles par destination classés
en vertu de la loi du 30 mars 1887 ou de la présente loi sont inaliénables
et imprescriptibles
Titre IV
Article 18 Article 19 Dans les communes de moins de 1.000 habitants, de sept personnes ; Dans les communes de 1.000 à 20.000 habitants, de quinze personnes ; Dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000, de vingt-cinq personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse. Chacun de leurs membres pourra s'en
retirer en tout temps, après payement des cotisations échues
et de celles de l'année courante, nonobstant toute clause contraire.
Elles pourront verser, sans donner
lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes à
d'autres associations constituées pour le même objet.
Article 20 Article 21 Le contrôle financier est exercé sur les associations et sur les unions par l'administration de l'enregistrement et par l'inspection générale des finances. Article 22 Indépendamment de cette réserve, qui devra être placée en valeurs nominatives, elles pourront constituer une réserve spéciale dont les fonds devront êtres déposés, en argent ou en titres nominatifs, à la Caisse des dépôts et consignations pour y être exclusivement affectés, y compris les intérêts, à l'achat, à la construction, à la décoration ou à la réparation d'immeubles ou meubles destinés aux besoins de l'association ou de l'union. Article 23 Les tribunaux pourront, dans le cas d'infraction au paragraphe 1er de l'article 22, condamner l'association ou l'union à verser l'excédent constaté aux établissements communaux d'assistance ou de bienfaisance. Ils pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe 1er du présent article, prononcer la dissolution de l'association ou de l'union. Article 24 Les édifices servant au logement des ministres des cultes, les séminaires, les facultés de théologie protestante qui appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes, les biens qui sont la propriété des associations et unions sont soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers. Les
associations et unions ne sont en aucun cas assujetties à la taxe
d'abonnement ni à celle imposée aux cercles par article 33
de la loi du 8 août 1890, pas plus qu'à l'impôt de 4
% sur le revenu établi par les lois du 28 décembre 1880 et
29 décembre 1884.
Titre V
Article 25 Une seule déclaration suffit pour l'ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lieu dans l'année. Article 26 Article 27 Les sonneries des cloches seront
réglées par arrêté municipal, et, en cas de
désaccord entre le maire et le président ou directeur de
l'association cultuelle, par arrêté préfectoral.
Article 28 Article 29 Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 25, 26 et 27 , ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 25 et 26 , ceux qui ont fourni le local. Article 30 Il sera fait application aux ministres des cultes qui enfreindront ces prescriptions, des dispositions de l'article 14 de la loi précitée. Article 31 Article 32 Article 33 Article 34 La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du présent article et de l'article qui suit. Article 35 Article 36 Titre VI
Article 37 Article 38 Article 39 Article 40 Article 41 Article 42 Article 43 Des règlements d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonies. Article 44 1° La loi du 18 germinal an X ; portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ; 2° Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ; 3° Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l'ordonnance du 28 mai 1844 sur le culte israélite ; 4° Les décrets des 22 septembre 1812 et 19 mars 1859 ; 5° Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du code pénal 6° Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l'article 136 et l'article 167 de la loi du 5 avril 1884 ; 7° Le décret du 30 décembre 1809 et l'article 78 de la loi du 26 janvier 1892. La présente loi, délibérée et adoptée par le sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'État. |
Titre Ier
Article 1er Article 2 Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. Titre II
Article 3 Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l'inventaire descriptif et estimatif : 1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ; 2° Des biens de l'État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance. Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une notification faite en la forme administrative. Les agents chargés de l'inventaire auront le droit de se faire communiquer tous titres et documents utiles à leurs opérations. Article 4 Article 5 Les attributions de biens ne pourront
être faites par les établissements ecclésiastiques
qu'un mois après la promulgation du règlement d'administration
publique prévu à l'article 43. Faute de quoi la nullité
pourra en être demandée devant le tribunal
de grande instance par toute partie intéressée
ou par le ministère public.
Article 6
Les annuités des emprunts
contractés pour dépenses relatives aux édifices religieux,
seront supportées par les associations en proportion du temps pendant
lequel elles auront l'usage de ces édifices par application des
dispositions du titre III.
Article 7
Toute action en reprise, qu'elle soit qualifiée en revendication, en révocation ou en résolution, concernant les biens dévolus en exécution du présent article, est soumise aux règles prescrites par l'article 9. Article 8 A l'expiration dudit délai, les biens à attribuer seront, jusqu'à leur attribution, placés sous séquestre. Dans le cas où les biens attribués
en vertu de l'article 4 et du paragraphe 1er du présent article
seront, soit dès l'origine, soit dans la suite, réclamés
par plusieurs associations formées pour l'exercice du même
culte, l'attribution qui en aura été faite par les représentants
de l'établissement ou par décret pourra être contestée
devant le Conseil d'État, statuant au contentieux , lequel prononcera
en tenant compte de toutes les circonstances de fait.
Article 9
1° Les édifices affectés au culte lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et les meubles les garnissant deviendront la propriété des communes sur le territoire desquelles ils sont situés, s'ils n'ont pas été restitués ni revendiqués dans le délai légal ; 2° Les meubles ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques ci-dessus mentionnés qui garnissent les édifices désignés à l'article 12, paragraphe 2, de la loi du 9 décembre 1905, deviendront la propriété de l'État, des départements et des communes, propriétaires desdits édifices, s'ils n'ont pas été restitués ni revendiqués dans le délai légal ; 3° Les immeubles bâtis, autres que les édifices affectés au culte, qui n'étaient pas productifs de revenus lors de la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 et qui appartenaient aux menses archiépiscopales et épiscopales, aux chapitres et séminaires, ainsi que les cours et jardins y attenant, seront attribués par décret, soit à des départements, soit à des communes, soit à des établissements publics pour des services d'assistance ou de bienfaisance ou des services publics ; 4° Les biens des menses archiépiscopales et épiscopales, chapitres et séminaires, seront, sous réserve de l'application des dispositions du paragraphe précèdent, affectés dans la circonscription territoriale de ces anciens établissements, au paiement du reliquat des dettes régulières ou légales de l'ensemble des établissements ecclésiastiques compris dans ladite circonscription, dont les biens n'ont pas été attribués à des associations cultuelles, ainsi qu'au paiement de tous frais exposés et de toutes dépenses effectuées relativement à ces biens par le séquestre, sauf ce qui est dit au paragraphe 13 de l'article 3 ci-après. L'actif disponible après l'acquittement de ces dettes et dépenses sera attribué par décret à des services départementaux de bienfaisance ou d'assistance. En cas d'insuffisance d'actif il sera pourvu au paiement desdites dettes et dépenses sur l'ensemble des biens ayant fait retour à l'État, en vertu de l'article 5 ; 5° Les documents, livres, manuscrits et oeuvres d'art ayant appartenu aux établissements ecclésiastiques et non visés au 1° du présent paragraphe pourront être réclamés par l'État, en vue de leur dépôt dans les archives, bibliothèques ou musées et lui être attribués par décret ; 6° Les biens des caisses de retraite et maisons de secours pour les prêtres âgés ou infirmes seront attribués par décret à des sociétés de secours mutuels constituées dans les départements où ces établissements ecclésiastiques avaient leur siège. Pour être aptes à recevoir ces biens, lesdites sociétés devront être approuvées dans les conditions prévues par la loi du 1er avril 1898, avoir une destination conforme à celle desdits biens, être ouvertes à tous les intéressés et ne prévoir dans leurs statuts aucune amende ni aucun cas d'exclusion fondés sur un motif touchant à la discipline ecclésiastique. Les biens des caisses de retraite et maisons de secours qui n'auraient pas été réclamés dans le délai de dix-huit mois à dater de la promulgation de la présente loi par des sociétés de secours mutuels constituées dans le délai d'un an de ladite promulgation, seront attribués par décret aux départements où ces établissements ecclésiastiques avaient leur siège, et continueront à être administrés provisoirement au profit des ecclésiastiques qui recevaient des pensions ou secours ou qui étaient hospitalisés à la date du 15 décembre 1906. Les ressources non absorbées par le service de ces pensions ou secours seront employées au remboursement des versements que les ecclésiastiques ne recevant ni pension ni secours justifieront avait faits aux caisses de retraites. Le surplus desdits biens sera affecté par les départements à des services de bienfaisance ou d'assistance fonctionnant dans les anciennes circonscriptions des caisses de retraite et maisons de secours. 2. En cas de dissolution d'une association, les biens qui lui auront été dévolus en exécution des articles 4 et 8 seront attribués par décret rendu en Conseil d'État, soit à des associations analogues dans la même circonscription ou, à leur défaut, dans les circonscriptions les plus voisines, soit aux établissement visés au paragraphe 1er du présent article. 3. Toute action en reprise, qu'elle soit qualifiée en revendication, en révocation ou en résolution doit être introduite dans le délai ci-après déterminé. Elle ne peut être exercée qu'en raison de donations, de legs ou de fondations pieuses , et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe. Les arrérages de rentes dues aux fabriques pour fondations pieuses ou cultuelles et qui n'ont pas été rachetées cessent d'être exigibles. Aucune action d'aucune sorte ne pourra être intentée à raison de fondations pieuses antérieures à la loi du 18 germinal an X. 4. L'action peut être exercée contre l'attributaire ou, à défaut d'attribution, contre le directeur général des domaines représentant l'État en qualité de séquestre. 5. Nul ne pourra introduire une action, de quelque nature qu'elle soit, s'il n'a déposé, deux mois auparavant un mémoire préalable sur papier non timbré entre les mains du directeur général des domaines qui en délivrera un récépissé daté et signé. 6. Au vu de ce mémoire, et après avis du directeur des domaines, le préfet pourra en tout état de cause, et quel que soit l'état de la procédure, faire droit à tout ou partie de la demande par un arrêté .... 7. L'action sera prescrite si le mémoire préalable n'a pas été déposé dans les dix mois à compter de la publication au Journal officiel de la liste des biens attribués ou à attribuer avec les charges auxquelles lesdits biens seront ou demeureront soumis, et si l'assignation devant la juridiction ordinaire n'a pas été délivrée dans les trois mois de la date du récépissé. Parmi ces charges, pourra être comprise celle de l'entretien des tombes. 8. Passé ces délais, les attributions seront définitives et ne pourront plus être attaquées de quelque matière ni pour quelque cause que ce soit. Néanmoins, toute personne intéressée pourra poursuivre devant le Conseil d'État statuant au contentieux, l'exécution des charges imposées par les décrets d'attribution. 9. Il en sera de même pour les attributions faites après solution des litiges soulevés dans le délai. 10. Tout créancier, hypothécaire, privilégié ou autre, d'un établissement dont les biens ont été mis sous séquestre, devra, pour obtenir le paiement de sa créance, déposer préalablement à toute poursuite un mémoire justificatif de sa demande, sur papier non timbré, avec les pièces à l'appui au directeur général des domaines qui en délivrera un récépissé daté et signé. 11. Au vu de ce mémoire et sur l'avis du directeur des domaines, le préfet pourra en tout état de cause, et quel que soit l'état de la procédure, décider, par un arrêté pris en conseil de préfecture, que le créancier sera admis, pour tout ou parti de sa créance, au passif de la liquidation de l'établissement supprimé. 12. L'action du créancier sera définitivement éteinte si le mémoire préalable n'a pas été déposé dans les six mois qui suivront la publication au Journal officiel prescrite par le paragraphe 7 du présent article, et si l'assignation devant la juridiction ordinaire n'a pas été délivrée dans les neuf mois de ladite publication. 13. Dans toutes les causes auxquelles s'appliquent les dispositions de la présente loi, le tribunal statue comme en matière sommaire, conformément au titre 24 du livre II du Code de procédure civile. Les frais exposés par le séquestre seront, dans tous les cas, employés en frais privilégiés sur le bien séquestré, sauf recouvrement contre la partie adverse condamnée aux dépens, ou, sur la masse générale des biens recueillis par l'État. Le donateur et les héritiers en ligne directe soit du donateur, soit du testateur ayant, dès à présent, intenté une action en revendication ou en révocation devant les tribunaux civils, sont dispensés des formalités de procédure prescrites par les paragraphes 5, 6 et 7 du présent article. 14. L'État, les départements les communes et les établissements publics ne peuvent remplir ni les charges pieuses ou cultuelles, afférentes aux libéralités à eux faites ou, aux contrats conclus par eux, ni les charges dont l'exécution comportait l'intervention soit d'un établissement public du culte, soit de titulaires ecclésiastiques. Ils ne pourront remplir les charges comportant l'intervention d'ecclésiastiques pour l'accomplissement d'actes non cultuels que s'il s'agit de libéralités autorisées antérieurement à la promulgation de la présente loi, et si, nonobstant l'intervention de ces ecclésiastiques, ils conservent un droit de contrôle sur l'emploi desdites libéralités. Les dispositions qui précèdent s'appliquent au séquestre. Dans les cas prévus à l'alinéa 1er du présent paragraphe, et en cas d'inexécution des charges visées à l'alinéa 2, l'action en reprise, qu'elle soit qualifiée en revendication, en révocation ou en résolution, ne peut être exercée que par les auteurs des libéralités et leurs héritiers en ligne directe. Les paragraphes précédents s'appliquent à cette action sous les réserves ci-après : Le dépôt du mémoire est fait au préfet, et l'arrêté du préfet en conseil de préfecture est pris, s'il y a lieu, après avis de la commission départementale pour le département, du conseil municipal pour la commune et de la commission administrative pour l'établissement public intéressé. En ce qui concerne les biens possédés par l'État, il sera statué par décret. L'action sera prescrite si le mémoire n'a pas été déposé dans l'année qui suivra la promulgation de la présente loi, et l'assignation devant la juridiction ordinaire délivrée dans les trois mois de la date du récépissé. 15. Les biens réclamés, en vertu du paragraphe 14, à l'État, aux départements, aux communes et à tous les établissements publics ne seront restituables, lorsque la demande ou l'action sera admise, que dans la proportion correspondant aux charges non exécutées, sans qu'il y ait lieu de distinguer si lesdites charges sont ou non déterminantes de la libéralité ou du contrat de fondation pieuse et sous déduction des frais et droits correspondants payés lors de l'acquisition des biens. 16. Sur les biens grevés de fondations de messes, l'État, les départements, les communes et les établissements publics possesseurs ou attributaires desdits biens, devront, à défaut des restitutions à opérer en vertu du présent article, mettre en réserve la portion correspondant aux charges ci-dessus visées. Cette portion sera remise aux sociétés de secours mutuels constituées conformément au paragraphe 1er, 6°, de l'article 9 de la loi du 9 décembre 1905, sous la forme de titres de rente nominatifs, à charge par celles-ci d'assurer l'exécution des fondations perpétuelles de messes. Pour les fondations temporaires, les fonds y afférents seront versés auxdites sociétés de recours mutuels, mais ne bénéficieront pas du taux de faveur prévu par l'article 21 de la loi du 1er avril 1898. Les titres nominatifs seront remis et les versements faits à la société de secours mutuels qui aura été constituée dans le département, ou à son défaut dans le département le plus voisin. A l'expiration du délai de dix-huit mois prévu au paragraphe 1er, 6° ci-dessus visé, si aucune des sociétés de secours mutuels qui viennent d'être mentionnées n'a réclamé la remise des titres ou le versement auquel elle a droit, l'État, les départements, les communes et les établissements publics seront définitivement libérés et resteront propriétaires des biens par eux possédés ou à eux attribués, sans avoir à exécuter aucune des fondations et messes grevant lesdits biens. La portion à mettre en réserve, en vertu des dispositions précédentes sera calculée sur la base des tarifs indiqués dans l'acte de fondation, ou, à défaut, sur la base des tarifs en vigueur au 9 décembre 1905. Article 10
2. Les transferts, transcriptions, inscriptions et mainlevées, mentions et certificats seront opérés ou délivrés par les compagnies, sociétés et autres établissements débiteurs et par les conservateurs des hypothèques, en vertu, soit d'une décision de justice devenue définitive, soit d'un arrêté pris par le préfet ... , soit d'un décret d'attribution. 3. Les arrêtés et décrets, les transferts, les transcriptions, inscriptions et mainlevées, mentions et certificats opérés ou délivrés venu desdits arrêtés et décrets ou des décisions de justice susmentionnés seront affranchis de droits de timbre, d'enregistrement et de toute taxe. 4. Les attributaires de biens immobiliers seront, dans tous les cas, dispensés de remplir les formalités de purge des hypothèques légales. Les biens attribués seront francs et quittes de toute charge hypothécaire ou privilégiée qui n'aurait pas été inscrite avant l'expiration du délai de six mois à dater de la publication au Journal officiel ordonnée par le paragraphe 7 de l'article 9. Article 11 Ceux qui seront âgés de plus de quarante-cinq ans et qui auront, pendant vingt ans au moins, rempli des fonction ecclésiastiques rémunérées par l'État recevront une pension annuelle et viagère égale à la moitié de leur traitement. Les pensions allouées par les deux paragraphes précédents ne pourront pas dépasser 1.500 francs (15 F). En cas de décès des titulaires, ces pensions sont réversibles. jusqu'à concurrence de la moitié de leur montant au profit de la veuve et des orphelins mineurs laissés par le défunt et, jusqu'à concurrence du quart, au profit de la veuve sans enfants mineurs. A la majorité des orphelins, leur pension s'éteindra de plein droit. Les ministres des cultes actuellement
salariés par l'État, qui ne seront pas dans les conditions
ci-dessus, recevront, pendant quatre ans à partir de la suppression
du budget des cultes, une allocation égale à la totalité
de leur traitement pour la première année, aux deux tiers
pour la deuxième à la moitié pour la troisième,
au tiers pour la quatrième.
Titre III
Article 12
Pour ces édifices, comme pour ceux postérieurs à la loi du 18 germinal an X, dont l'État, les départements et les communes seraient propriétaires, y compris les facultés de théologie protestante, il sera procédé conformément aux dispositions des articles suivants. Article 13
La cessation de cette jouissance, et, s'il y a lieu, son transfert seront prononcés par décret, sauf recours au Conseil d'État statuant au contentieux : 1° Si l'association bénéficiaire est dissoute : 2° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs : 3° Si la conservation de l'édifice ou celle des objets mobiliers classés en vertu de la loi de 1887 et de l'article 16 de la présente loi est compromise par insuffisance d'entretien, et après mise en demeure dûment notifiée du conseil municipal ou, à son défaut du préfet : 4° Si l'association cesse de remplir son objet ou si les édifices sont détournés de leur destination ; 5° Si elle ne satisfait pas soit aux obligations de l'article 6 ou du dernier paragraphe du présent article, soit aux prescriptions relatives aux monuments historiques. La désaffectation et ces immeubles pourra, dans les cas ci-dessus prévus être prononcée par décret rendu en Conseil d'État. En dehors de ces cas, elle ne pourra l'être que par une loi. Les immeubles autrefois affectés aux cultes et dans lesquels les cérémonies du culte n'auront pas été célébrées pendant le délai d'un an antérieurement à la présente loi, ainsi que ceux qui ne seront pas réclamés par une association cultuelle dans le délai de deux ans après sa promulgation, pourront être désaffectés par décret. Il en est de même pour les édifices dont la désaffectation aura été demandée antérieurement au 1er juin 1905. Les établissements publics du culte, puis les associations bénéficiaires, seront tenus des réparations de toute nature, ainsi que des frais d'assurance et autres charges afférentes aux édifices et aux meubles les garnissant. L'État, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale pourront engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. Article 14
Les établissements et associations sont soumis, en ce qui concerne ces édifices, aux obligations prévues par le dernier paragraphe de l'article 13. Toutefois, ils ne seront pas tenus des grosses réparations. La cessation de la jouissance des établissements et associations sera prononcée dans les conditions et suivant les formes déterminées par l'article 13. Les dispositions des paragraphes 3 et 5 du même article sont applicables aux édifices visés par le paragraphe 1er du présent article. La distraction des parties superflues des presbytères laissés à la disposition des associations cultuelles pourra, pendant le délai prévu au paragraphe 1er, être prononcée pour un service public par décret rendu en Conseil d'État. A l'expiration des délais de jouissance gratuite, la libre disposition des édifices sera rendue à l'État, aux départements ou aux communes. Ceux de ces immeubles qui appartiennent à l'État pourront être, par décret, affectés ou concédés gratuitement, dans les formes prévues à l'ordonnance du 14 juin 1833, soit à des services publics de l'État, soit à des services publics départementaux ou communaux. Les indemnités de logement incombant actuellement aux communes, à défaut de presbytère, par application de l'article 136 de la loi du 5 avril 1884, resteront à leur charge pendant le délai de cinq ans. Elles cesseront de plein droit en cas de dissolution de l'association. Article 15 Dans ces mêmes départements, les cimetières resteront la propriété des communes. Article 16 Les objets mobiliers ou les immeubles par destination mentionnés à l'article 13, qui n'auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l'effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Il sera procédé par le ministre compétent, dans le délai de trois ans, au classement définitif de ceux de ces objets dont la conservation présenterait, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt suffisant. A l'expiration de ce délai, les autres objets seront déclassés de plein droit. En outre, les immeubles et les objets
mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations,
pourront être classés dans les mêmes conditions que
s'ils appartenaient à des établissements publics.
Article 17
Dans le cas où la vente ou l'échange d'un objet classé serait autorisé par le ministre compétent, un droit de préemption est accordé : 1° aux associations cultuelles ; 2° aux communes ; 3° aux départements ; 4° aux musées et sociétés d'art et d'archéologie ; 5° à l'État. Le prix sera fixé par trois experts que désigneront le vendeur, l'acquéreur et le président du tribunal de grande instance. Si aucun des acquéreurs visés ci-dessus ne fait usage du droit de préemption la vente sera libre ; mais il est interdit à l'acheteur d'un objet classé de le transporter hors de France. La visite des édifices et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance. Titre IV
Article 18 Article 19
Dans les communes de moins de 1.000 habitants, de sept personnes ; Dans les communes de 1.000 à 20.000 habitants, de quinze personnes ; Dans les communes dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000, de vingt-cinq personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription religieuse. Chacun de leurs membres pourra s'en
retirer en tout temps, après payement des cotisations échues
et de celles de l'année courante, nonobstant toute clause contraire.
Les associations pourront recevoir,
en outre, des cotisations prévues par l'article 6 de la loi du 1er
juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du
culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies
et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs
et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service
des funérailles dans les édifices religieux et à la
décoration de ces édifices.
Article 20 Article 21 Le contrôle financier est exercé sur les associations et sur les unions par l'administration de l'enregistrement et par l'inspection générale des finances. Article 22 Indépendamment de cette réserve, qui devra être placée en valeurs nominatives, elles pourront constituer une réserve spéciale dont les fonds devront êtres déposés, en argent ou en titres nominatifs, à la Caisse des dépôts et consignations pour y être exclusivement affectés, y compris les intérêts, à l'achat, à la construction, à la décoration ou à la réparation d'immeubles ou meubles destinés aux besoins de l'association ou de l'union. Article 23 Les tribunaux pourront, dans le cas d'infraction au paragraphe 1er de l'article 22, condamner l'association ou l'union à verser l'excédent constaté aux établissements communaux d'assistance ou de bienfaisance. Ils pourront, en outre, dans tous les cas prévus au paragraphe 1er du présent article, prononcer la dissolution de l'association ou de l'union. Article 24 Les édifices servant au logement des ministres des cultes, les séminaires, les facultés de théologie protestante qui appartiennent à l'État, aux départements ou aux communes, les biens qui sont la propriété des associations et unions sont soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers. Toutefois, les édifices affectés à l'exercice du culte qui ont été attribués aux associations ou unions en vertu des dispositions de l'article 4 de la présente loi sont, au même titre que ceux qui, appartiennent à l'État, aux départements et aux communes, exonérés de l'impôt foncier et de l'impôt des portes et fenêtres. Les associations et unions ne sont en aucun cas assujetties à la taxe d'abonnement ni à celle imposée aux cercles par article 33 de la loi du 8 août 1890, pas plus qu'à l'impôt de 4 % sur le revenu établi par les lois du 28 décembre 1880 et 29 décembre 1884. Titre V
Article 25 Article 26 Article 27 Les sonneries des cloches seront
réglées par arrêté municipal, et, en cas de
désaccord entre le maire et le président ou directeur de
l'association cultuelle, par arrêté préfectoral.
Article 28 Article 29 Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 25, 26 et 27, ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 25 et 26, ceux qui ont fourni le local. Article 30 Abrogé par Ordonnance 2000-549 15 Juin
2000 art. 7
Article 31 Article 32 Article 33 Article 34 La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du présent article et de l'article qui suit. Article 35 Article 36 Titre VI
Article 37 Article 38 Article 39 Article 40 Article 41 Abrogé par Décret-loi 4 Avril 1934
JORF 5 avril 1934 en vigueur le 1er janvier 1935.
Article 42
Article 43 Des règlements d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonies. Article 44 1° La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ; 2° Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ; 3° Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l'ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte israélite ; 4° Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859 ; 5° Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal ; 6° Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12, de l'article 136 et l'article 167 de la loi du 5 avril 1884 ; 7° Le décret du 30 décembre 1809 et l'article 78 de la loi du 26 janvier 1892. |