Proposition de loi
sur la séparation des Églises et de
l'État
présentée le 25 juin 1903
par MM. Eugène Réveillaud,
Braud, Abel Bernard, Ferrier (Drôme), Vialis, Coulondre, Pajot, Senac,
Astier, Perrin, E. Delbet, Balandreau, Lhopiteau, Antoine-Gras,
L. Sireyjol, E. Trochut.
EXPOSE DES MOTIFS
Messieurs, quoi qu'on en ait dit et
qu'en pensent certains esprits timorés, il n'est pas indiqué
que la séparation des Églises et de l'État doive introduire
nécessairement dans notre pays des éléments nouveaux
de confusion, de discorde et de guerre intestine.
Aux yeux de beaucoup d'excellents
esprits, elle peut être, au contraire, le point de départ
d'une ère nouvelle qui amènera l'apaisement dans l'ordre
de la justice, par l'autonomie des consciences individuelles, par l'affranchissements
des routines et des préjugés séculaires, par la rivalité
féconde des idées philosophiques et des doctrines religieuses.
En tout cas, elle mettrait fin à ce système bâtard
et deux fois illogique qui lie l'État neutre et laïque à
la tutelle de trois ou quatre cultes privilégiés qui s'excluent
et s'anathématisent réciproquement, et qui assure, entre
autre, les honneurs et les ressources du budget à telle Église
dont le pontife est un étranger, dont les prélats et le clergé,
tant séculier que régulier, ont généralement
pris parti, depuis notre grande Révolution, contre l'esprit de nos
institutions modernes et contre les gouvernements les plus attachés
à l'esprit de ces institutions.
Pourquoi cette solution si naturelle,
si logique, de la séparation, qui fonctionne déjà,
à l'approbation générale, et qui a fait ses preuves
dans de grands pays comme les Etats-Unis
d'Amérique, placés sans conteste à l'avant de
la civilisation, ne concillierait-elle pas en France les citoyens de tous
les partis, de toutes les croyances, de toutes les tendances politiques
et religieuses ?
Aux catholiques, nous citerons ce
mot de Pascal :"Le bel état de l'Église quand elle ne s'appuie
que sur Jésus-Christ !" et nous rappellerons que, récemment
encore, M. Le Camus, évêque de La Rochelle, exprimait dans
un mandement public cette opinion que la séparation est devenue
la solution qui s'impose, dans l'état actuel des rapports de l'Église
et de l'État.
Aux protestants, d'ailleurs pour la
plupart, acquis en principe à la thèse de la séparation,
pour les y confirmer, maintes décisions de leurs synodes et
tant de paroles, d'écrits et aussi d'exemples de leurs pasteurs
et laïques les plus éminents : les Alexandre Vinet, les Frédéric
et Adolphe Monod, les Edmond de Pressensé, etc.
Aux israélites, nous dirons
que l'idée de la théocratie, qui fut aux origines de leur
culte, est forcément incompatible avec la dispersion de leur race,
et que par tous pays, sauf le nôtre, où leurs communautés
sont dispersées, ces communautés se suffisent à elle
même, sans avoir besoin du concours de l'État.
Aux libres penseurs enfin qui font
profession de se passer de toute religion et de tout culte, il n'est pas
besoin de dire que la séparation marquera pour eux l'heure de la
délivrance d'un régime dont ils contribuent à payer
l'entretien alors qu'ils en subissent tous les inconvénients.
Nous ne voulons pas nous étendre
davantage, de peur de rééditer, selon le mot de M. F. Buisson,
des thèmes rebattus sur une question épuisée.
La seule objection sérieuse
qu'on fasse couramment à l'adoption du nouveau régime, c'est
que l'ancien système, le régime concordataire, a pour lui
l'usage, l'accoutumance ; qu'il a tant bien que mal ( a vrai dire plus
mal que bien, surtout depuis cinquante ans ), maintenu un certain état
de paix religieuse et de tolérance réciproque au sein de
la nation. N'est-il pas à craindre, nous dit-on, qu'à vouloir
retirer des ces habitudes, même routinières, le gros de la
nation - quand la grand majorité des familles françaises
continue de se rattacher, au moins par ces habitudes, aux cultes subventionnés
par l'État - n'est-il pas à craindre qu'on ne heurte
l'esprit public, qu'on ne trouble la paix des ménages, qu'on
ne sème des dissensions dans les communes et que, dans certaines
régions encore mal préparées au régime de l'autonomie
religieuse, on ne provoque des mouvements d'oppositions au gouvernement
de la République qui pourraient provoquer une réaction redoutable
et fortifier les positions des partis réactionnaires.
Nous n'avons voulu ni méconnaître
ni diminuer la portée de cette objection. Car nous la considérons
comme très grave, en vérité, et elle serait de nature
- si forte que soit notre conviction du bien à attendre de la séparation
- à nous faire hésiter et reculer, si nous ne pensions pas
qu'on peut trouver telle mesure, telle méthode de séparation
qui en préviendra les dangers, en évitant les froissements
que causerait, par exemple, le retrait des églises et des temples
aux fidèles habitués à y célébrer leur
culte - en ménageant les transitions, en rassurant les intérêts
légitimes, issus du fonctionnement du Concordat et des articles
organiques.
Tel est le but que nous avons poursuivi
et que nous espérons avoir atteint par la proposition que nous avons,
messieurs, l'honneur de vous soumettre.
Sous l'empire de cette préoccupation
de faciliter les transitions nécessaires, nous avions un moment
pensé à reprendre une proposition de notre ancien collègue,
M. Yves Guyot, qui distribuait entre les communes le montant du budget
des cultes, en laissant aux municipalités le soin de disposer à
leur gré des fonds de cette répartition.
Nous avons renoncé à
cette idée pour les trois considérations suivantes : d'abord,
il soulèverait, dans la pratique, de grande difficultés d'application
; ensuite, il introduirait dans les communes de fâcheux ferments
de discussion et de discordes et créerait, selon la composition
des municipalités, de grandes inégalités de traitement
pour les ministres des différents cultes, qui pourraient se voir,
ici, comme proscrits ; là, réduits à la portion congrue
; ailleurs, au contraire, comblés d'avantages et d'honneurs. Enfin,
comme l'entretien des cultes n'est pas plus, en bonne doctrine, un service
communal que départemental ou national, ce système irait
contre l'intention du législateur, disposé à laisser
les Églises dans un État libre et souverain, et retarderait,
en l'empêtrant dans le gâchis d'une demi-solution bâtarde,
équivoque et sans précédent dans l'histoire, le succès
de la solution désirable, déjà pratiquée dans
de grands pays et après tout facile à réaliser dans
le nôtre, si l'on veut bien y apporter la prudence et les tempéraments
nécessaires.
Il nous reste donc à indiquer
l'esprit de notre projet et à monter comment il satisfait aux principes
qui doivent nous diriger en cette matière, tout en procédant
par étape pour éviter les dangers que l'intérêt
de la République et le souci du succès même de la grande
cause que nous voulons servir nous conseillent de conjurer.
Notre proposition de loi s'inspire
donc des idées fondamentales suivantes :
1° Par le respect garanti de la
liberté de conscience et de culte, suivant les principes de la déclaration
des droits de l'homme et des constitutions qui ont précédé
le Concordat ( constitutions de 1791, de 1793 et de l'an III ), rassurer
les croyants et les fidèles des diverses églises et confessions
religieuses, à qui l'on voudrait persuader que le nouveau régime
est conçu en haine de la religion et doit entraver la libre profession
des idées religieuses et le libre exercice des cultes. Tel est surtout
l'objet du Titre 1er de notre proposition de loi, intitulé généralités.
2° Appliquer le droit commun aux
églises ou associations religieuses. Or, la formule de ce droit
commun, nous n'avons pas à la chercher bien loin ; nous n'avons
qu'à prendre dans les termes mêmes de la loi de 1901 sur les
associations et dans les décrets qui en ont organisé l'application.
Il n'y a pas de raison, en effet,
pour refuser aux églises ou associations de culte, - à condition
qu'elles se cantonnent dans leur domaine propre, exclusivement moral et
religieux, - l'autonomie et le droit au libre développement que
le législateur a accordé à toutes associations scientifiques,
artistiques, philosophiques, sociales et politique mêmes.
Pour quiconque croit à la loi
du progrès et à la puissance intrinsèque de la vérité,
il n'y a rien à craindre du conflit des doctrines et des dogmes
dans le domaine spéculatif.
La première partie de notre
titre II reconnaît donc aux associations de culte le droit de se
constituer et de se déclarer librement.
3° Tout en permettant aux associations
religieuses ou de culte de se constituer, de vivre et d'assurer le traitement
de leurs agents, prendre des garanties sûres pour que leur organisation
autonome ne puisse pas, par un développement sans limite de leur
puissance financière ou par l'intervention de leur propagande sur
le terrain politique, constituer un danger pour l'État laïque
et souverain. La fin du titre II et notre titre III sur la police des cultes
y pourvoie, croyons nous, dans la juste mesure qui, sans oppression pour
les croyants, doit garantir l'État et le gouvernement républicain
contre les retours offensifs ou l'action persistante du cléricalisme.
4° Le titre IV de notre proposition
de loi abroge le Concordat, les articles organiques et les lois ou décrets
contraires au nouveau régime qu'instituera la séparation.
La rupture du lien concordataire laisse
subsister, au moins comme un engagement moral l'obligation de l'État
d'assurer le sort des ministres des cultes reconnus qui sont entrés
dans les ordres du sacerdoce sur la foi des traités et de la législation
en vigueur. Il convient donc de procéder par extinction à
la suppression du budget des cultes. Les pensions à payer
de ce chef, et qui pourront être considérées comme
achevant le rachat des biens pris aux églises réformées
par Louis XIV et à l'église catholique de France par la Révolution,
doivent être réglées, d'après nous, sur une
base d'humanité et de justice, en tenant compte de l'âge des
ministres du culte en exercice et de l'incapacité où ils
seront généralement, surtout les plus âgés,
de trouver dans la vie civile un emploi nouveau de leur activité
et de leurs facultés.
Si l'on trouvait trop libérale
la disposition de notre projet sur ce point, nous ferions observer que
c'est le meilleur moyen de concilier au nouvel état de choses les
pensionnés ecclésiastiques et de les retenir dans les bornes
de la modération ( car une attitude de combat pourrait entraîner,
selon le droit actuel du pouvoir civil, la suppression de l'indemnité
consentie par l'État ) et enfin d'assurer, vis-à-vis des
populations restées croyantes ou pratiquantes, la transition que
nous envisageons comme nécessaire.
Il faut absorber d'ailleurs que l'attribution
faite aux ministres ou desservants du culte actuellement en fonction s'inspire
de mesures antérieures : qu'il nous suffise de rappeler ici que
c'est par des mesures d'extinction de ce genre qu'a été réglée
la question du traitement des chanoines de Saint-Denis lorsque leur suppression
légale a été décidée.
Certains articles de notre projet
sont la reproduction pure et simple du décret-loi de la convention,
du 3 ventôse an III. D'autres ont été tirés
par nous du projet de M. Francis de Pressensé.
Enfin, les dispositions sur le libre
exercice des cultes sont la reproduction intégrale du texte voté,
en première lecture, par l'Assemblée nationale, en 1874,
sur la proposition d'Edmond de Pressensé, et qui, repris au sénat,
y a fait l'objet d'un rapport favorable d'Eugène Pelletan.
Nous croyons que notre proposition
peut fournir non seulement un thème de discussion utile pour la
solution définitive du grand problème qui se pose devant
cette législature, mais encore les éléments les plus
sûrs de cette solution.
C'est dans cet espoir que nous soumettons
notre travail à la Chambre et à la commission qu'elle a nommée
pour l'étude et le rapport de cette grave question.
Puisse cette grande et féconde
réforme de la séparation de l'État et des cultes,
nécessité par le progrès de la pensé humaine
et par les réclamations chaque jour plus ardentes des consciences
autonomes, se réaliser enfin, sans secousse et sans trouble, dans
la paix, pour l'émancipation des esprits, pour l'affermissement
de la République et de la liberté !
PROPOSITION DE LOI
Titre Ier
GÉNÉRALITÉS
Art. 1er
Art. 2
Art. 3
Art. 4
Art. 5
Titre II
DES ASSOCIATIONS POUR L'EXERCICE DES CULTES
Art. 6
Art. 7
Art. 8
Art. 9
Art. 10
Titre III
DES ÉDIFICES RELIGIEUX ET DES BIENS APPARTENANT AUX ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DU CULTE
Art. 11
Art. 12
Art. 13
Art. 14
Art. 15
Art. 16
Titre IV
POLICE DES CULTES
Art. 17
Art. 18
Art. 19
Art. 20
Art. 21
Art. 22
Art. 23
Art. 24
Art. 25
Art. 26
Art. 27
Art. 28
Art. 29
Art. 30
Art. 31
Art. 32
Art. 33