DE CLOVIS A MIRABEAU
L'adhésion
de Constantin aux idées chrétiennes avait inauguré une
ère nouvelle dans l'histoire du christianisme. DEpuis le jour où
Constantin présida le concile de Nicée (313), depuis le moment
où, après avoir été le souverain pontife de la
religion païenne, il se proclama, devenu chrétien, "empereur et docteur, roi et prêtre", les tendances de la religion de jésus se trouvèrent
profondément modifiées. La parole de Galiléen
: "Rendez à César ce qui est à
César et à Dieu ce qui est à Dieu" fut désormais sans application ; une confusion s'établit
entre le spirituel et le temporel ; l'Église emprunta, pour s'organiser,
les cadres administratifs de l'empire, et elle fut amenée, par la
succession des circonstances, à prendre en main une part considérable
de la puissance temporelle.
Lorsque les Barbares
envahirent la gaule, ils se trouvèrent en face d'une situation de
fait : l'Empire tombé, l'évêque avait remplacé
presque partout, le fonctionnaire romain et il apparut aux envahisseurs comme
le véritable chef de la cité, ayant sa part de l'autorité
judiciaire, administrant les fonds du municipe, percevant les impôts,
inspectant les édifices publics et dirigeant les travaux de construction
de voirie.
Le pouvoir de
l'évêque était si bien établi dans la cité
romaine qu'il devint un des éléments nécessaires à
l'installation définitive des envahisseurs sur le vieux sol gaulois.
C'est la raison même
de la conversion de Clovis. Le récit qu'en a fait Grégoire de
Tours, avec les formes émouvante de sa foi naïve, nous dit quelle
force avait alors la religion sur les volontés hésitantes des
chefs barbares. Cet épisode de la conversion de Clovis a été
vulgarisé, en une belle langue, par Augustin-Thierry ; il est dans
le souvenir de tous et nous le notons ici, car il constitue la première
étape des rapports de l'Église et de la France.
En même temps
que Clovis, 3 000 Francs se firent baptiser avec leur roi. Dès lors
la victoire de Clovis sur les Burgondes et les Wisigoths fut préparée
par les évêques orthodoxes qui, établis au milieu des
populations égarées par l'hérésie arienne, se
firent les agents du chef catholique. Et quels agents ! Certes, de par leur
fonction même, ils vivaient confinés dans chacun des royaumes
barbares ; mais, malgré les frontières, ils étaient en
relations les uns avec les autres et leur puissance était décuplée
du fait qu'un chef étranger, l'évêque de Rome, coordonnait
leurs actions et unifiait leurs efforts. Participant dès cette époque
de la puissance romaine, les évêques gallo-romains furent les
plus sérieux adversaires des rois ariens et c'est grâce à
eux que Clovis, baptisé, put préparer la domination de la dynastie
mérovingienne.
Nous avons des renseignements
précis sur les complicités intérieures qui, au sein
des nations ariennes, préparèrent la conquête des Francs,
les évêques Tolisianus et Vérus sont expulsés,
Quintianus doit s'enfuir de son évêché de Rodez ; enfin
nous avons la lettre par laquelle l'évêque le plus considérable
de la fin du cinquième siècle, Avitius, métropolitain
de Vienne, l'adversaire le plus passionné et le plus intelligent de
l'hérésie arienne, félicite Clovis d'une conversion qu'il
a d'ailleurs contribué à rendre inévitable.
Cette lettre est
le premier texte précis, dans lequel se manifestent les intentions,
les secrets désirs, les espérances de Rome. On y sent déjà
quelle force attend l'Église romaine de sa collaboration intime avec
la nation, que préparent les conquêtes de Clovis. Cette lettre
fait prévoir la conception romaine d'un roi de France, fils aîné
de l'Église, et même la prétention qu'aura bientôt
Rome, pour établir définitivement son pouvoir, de créer
un monarque placé sous sa dépendance, et dont le pouvoir temporel
s'étendit aussi loin qu'allait sa force spirituelle. La lettre du
métropolitain de Vienne prévoit déjà l'empire
chrétien de Charlemagne.
Grâce à
l'appuis des évêques catholiques, Clovis va pouvoir triompher
des Burgondes et des Visigoths ; mais l'église romaine ne perdra rien
dans le marché conclu. Désormais, la royauté mérovingienne
est liée à l'épiscopat, et nous assisterons bientôt
à l'alliance des carolingiens avec Rome. Ce lent travail de la papauté
qui, à deux reprises, à travers les siècles, fut sanctionné
d'une manière éclatante par le concordat de Bologne, une première
fois ; puis par la révocation de l'Edit de Nantes, commence son action
méthodique et persévérante. Il y a une diplomatie ecclésiastique
qui, dans ces périodes troublées, fut d'autant plus féconde
en résultats qu'elle émanait d'un point fixe, Rome, où
convergeaient toutes les forces d'intelligence, toutes les forces d'argent
de l'Europe civilisée.
La mainmise de
la papauté dans les affaires intérieures de la royauté
franque ne s'établit pas cependant sans d'assez grandes difficultés.
En face des prétentions romaines, il y eut, dès l'origine, une
tendance de la nation à vivre de ses propres ressources et de sa propre
pensée, à l'abri de toute ingérence extérieure.
Mais, à l'époque qui nous occupe, cette tendance est encore
hésitante et imprécise. La loi qui règle les rapports
de l'Église et de la royauté franque est la loi du chaos. Nous
avons remarqué que, à l'arrivé des barbares, les évêques
gallo-romains avaient une puissance administrative et judiciaire. Ils l'ont
conservée. Il existe une juridiction ecclésiastique dont nous
aurons l'occasion de parler et qui subsiste jusqu'au dix-septième siècle.
Cette situation de fait, accrue encore par le prestige que leur donne la
foi superstitieuse des peuplades barbares, propice à l'accroissement
de leurs biens temporels, les rend puissants et redoutables. Mais ils ne
sont pas encore placés sous la domination directe et impérative
de la papauté.
Théoriquement,
les élections canoniques se faisaient alors par le peuple et par le
clergé. Survivance de la primitive Église, le suffrage des
croyants y maintenait encore dans les rangs du clergé le mouvement
de la vie. Il est vrai que cette élection n'était qu'un des
actes par lesquels était institué un évêque. Il
fallait, par surcroît, la confirmation du roi et le consentement du
métropolitain.
Tel était,
du moins, la règle, mais en fait, on dut la rappeler fréquemment
aux premiers rois qui avaient inauguré un véritable droit de
nomination directe. Saint Rémi ayant consacré prêtre un
certain Claudius, les évêques protestèrent, et Saint Rémi
répliqua qu'il avait agi ainsi par ordre du roi. L'évêque
Quintinius meurt ; le roi ne reconnaît pas le nouvel élu. Il
en nomme un autre. Nous empruntons à l'Histoire générale
de MM. Lavisse et Rambaud un troisième fait des plus significatifs
: en 562, un synode de Saintes, présidé par métropolitain,
a destitué un évêque nommé par Clotaire et mis
à sa place Heraclius. Quand ce dernier vint chercher la confirmation
auprès de Charibert, le roi le fit jeter sur un chariot rempli d'épines
et conduire à l'exil ; puis il envoya "des hommes religieux" qui
rétablirent le destitué. Le métropolitain dut payer
une forte amende et les autres évêques furent punis de même.
Les évêques
eurent une revanche à l'occasion d'un synode qui tenta de mettre quelques
régularité dans la nomination aux grades ecclésiastiques.
L'édit de 614 rétablit les élections canoniques pour
le clergé et pour le peuple ; il maintient l'institution royale, mais
avec cette réserve que "si l'on nomme
quelqu'un du palais, ce soit pour ses mérites personnels".
Cet édit avait
pour objectif de réduire l'arbitraire royal. Il établit également
par un texte le droit de l'Église à des privilèges de
juridiction ainsi que ses privilèges d'immunités. Il constitue
une victoire de l'aristocratie ecclésiastique qui tend, de plus en
plus, à se former en un corps distinct dans la nation.
Sous la dynastie
mérovingienne, le roi conserve cependant un certain nombre de droits
acquis. C'est lui qui préside les conciles et les synodes, et l'on
sait que, parfois, dans ce chaos où le temporel et le spirituel voisinent
et même se confondent, le roi a souvent employé les conciles
aux affaires publiques. Gontran convoqua tous les évêques de
son royaume pour les faire décider de sa querelle avec Sigebert. IL
prétendit faire juger Brunehaut par un concile ; c'était une
extension abusive de son droit. La coutume était qu'il jugeât
les évêques, comme président d'un synode. Son droit à
la présidence des conciles et des synodes est dès lors incontesté.
Les conciles ne se réunissent qu'avec qu'avec son autorisation, lorsqu'il
l'ordonne ; pour être applicables, les décisions des conciles
doivent être confirmées par lui. On découvre déjà
les forces qui limiteront la puissance de Rome et permettront au gallicanisme
de naître.
Mais nous n'avons
pas dit assez les services réciproques de la papauté et des
dynastie franques. Pendant que sous la dynastie mérovingienne une aristocratie
ecclésiastique se forme, limitative de la domination abusive des rois,
toute la politique de Rome consiste à mettre obstacle aux tendances
des divers clergés à se former en église nationales,
indépendantes de la papauté. Telle est la situation réciproque
des combattants à l'avènement de la maison carolingienne.
La diplomatie
romaine remporta une première victoire décisive, pendant le
principat de Charles-Martel. Elle fit preuve ainsi d'un très grand
mérite, car Charles-Martel ne faisait pas précisément
profession de favoriser les dessins de l'Église. Son autorité
se manifesta d'abord contre les ecclésiastiques. Il dépose Rigobert,
évêque de Reims (717); il fait saisir Euchère, évêque
d'Orléans, qui est conduit sur son ordre à Cologne. Évêques
et abbés sont déposés en foule ; leurs biens - évêchés
et abbayes - sont distribués aux proches de Charles-Martel. Ces biens,
malgré les protestations de Rome, ne furent jamais, dans la suite,
restitués à l'Église ; et c'est une preuve historique
de la facilité avec laquelle les souverains de France disposèrent
de ce qui appartenait au clergé. Mais si Rome dut se soumettre elle
fit payer d'une autre façon ce sacrifice au puissant maire du palais.
C'est sous le principat de Charles-Martel, et avec sa collaboration, que
la papauté commence à imposer à l'Europe son hégémonie
morale et matérielle.
Mais dans quelles
circonstances ? Le moine Winfrid avait reçu du pape la mission d'évangéliser
la Frise, puis la Germanie. Son apostolat consistait à prêcher
l'unité religieuse sous l'égide du catholicisme romain. En même
temps qu'une fois agissante, l'obéissance aux volontés du Saint-Siège
apostolique était exigée des fidèles.
Au printemps 723,
Boniface obtint de Charles-Martel une lettre qui plaçait sous son
patronage l'évangélisateur de la Germanie.
Le prince des Francs
avait agi en politique avisé. La force d'expansion de l'idée
chrétienne permettait à l'influence des Francs de se répandre
en dehors. La mission de Boniface fut couronnée de succès. L'église
de Germanie fut crée. Le nom de Boniface acquit un prestige énorme.
Il se préoccupa, dans la suite, de réformer l'église
d'Austrasie ; une série conciles eurent lieu furent tenus en Austrasie
et en Neustrie ; enfin, en 745, un concile général de tout
le royaume des Francs permit de constater quelle force avait acquise l'activité
du pontife romain. Quelques années après, en 748, Boniface
qui présidait un concile annuel fit voter une formule de soumission
au siège de Rome. L'Église de Gaule, qui avait contribué
à asseoir la dynastie mérovingienne et qui était devenu
assez puissante pour se soustraire à l'arbitraire des rois, se soumet,
à son tour, à l'autorité extérieure de la Rome
pontificale. Une nouvelle étape a été franchie. De plus
en plus, la politique romaine collabore à l'établissement de
la puissance royale, qui rendra possible la fondation de l'empire chrétien
de Charlemagne. Dans une circonstance critique, pour se défendre contre
les Lombards, elle avait déjà fait appel à Charles-Martel.
Étienne II s'adresse à nouveau à pépin. IL fait
le voyage de Paris et conclut bientôt avec le prince des Francs une
alliance décisive qui ouvre définitivement l'ère de
la puissance romaine, en même temps qu'elle contribue à établir
en France la domination de la dynastie capétienne.
Cette domination
fut surtout assurée par une cérémonie, qui empruntait
aux croyances religieuses du temps, une portée immense. Pépin
venait d'être élevé au trône de France. Suivant
la coutume, il y avait eu élection. Mais, au moment où, avec
ses deux fils, il allait entreprendre une guerre contre les Lombards, le pape
lui donna l'onction sainte, ainsi qu'à ses deux fils.
Dans l'Histoire
générale de Lavisse et Rambaud, l'importance essentielle
de cette intervention papale est marquée en quelques phrases décisives
: "Le sacre était une nouveauté chez les
Francs. Aucun des Mérovingiens, pas même Clovis, ne l'avait reçu.
Cette cérémonie mystique élevait le roi au-dessus du
peuple, d'où il était sorti. Les Francs avaient élu
pépin, mais le jour du sacre, le pape leur a interdit à jamais
de se servir de leur droit d'élection ; ni eux, ni leur descendance
ne pourront prendre un roi dans une autre race, celui-ci ayant été
élu par la divine Providence pour protéger le siège
apostolique. désormais les "reins" du roi et de ses fils sont sacrés.
Dieu y a mis le pouvoir d'engendrer une race de princes que les hommes, jusqu'à
la fin des temps ne pourront renier sans être reniés par le
Seigneur. Autrefois les guerriers portaient leur chef sur le bouclier, au
bruit des armes et des acclamations : à Saint-Denis, ce n'est pas
un homme, c'est une dynastie qui a été élue au chant
des cantiques. Le Seigneur a repris aux hommes le pouvoir de faire des rois.
C'est lui qui "les choisit dès le sein de leur mère". La raison
de régner, la source de l'autorité royale sera désormais
la grâce de Dieu."
La force morale qu'en recueillit la royauté
capétienne est incontestable ;mais celle-ci ne fut pas en reste avec
la papauté. Elle contracta envers celle-ci des obligations que Rome
sut lui rappeler au moment voulu. Pour l'instant, elle obtint d'être
débarrassée des Lombards, elle se fit donner un pouvoir temporel.
En 756, le roi des Francs remet les clefs de vingt-deux villes entre les
mains du pape ; il est vrai que, quelques temps auparavant, Étienne
II avait écrit aux Francs: "Selon la promesse
qui nous a été faite par le Seigneur Dieu notre rédempteur,
je vous prends entre toutes les nations, vous, peuple des Francs, pour mon
peuple spécial."
Cette collaboration intime de la papauté
et de la royauté capétienne aboutit, comme c'était le
dessein secret de Rome, à la fondation de l'Empire chrétien
de Charlemagne ; mais cette création, contraire aux tendances de l'Europe
à se former en nationalités distinctes, est bientôt anéantie
et Rome, qui a échoué du côté des Francs, renouvelle
sa tentative de concert avec les princes germaniques.
Cette attitude de la papauté facilite
le développement des tendances du clergé français à
se créer une vie propre, indépendante de Rome.
La royauté capétienne continue
à trouver son principal appui dans le clergé. Charlemagne a
réorganisé l'Église. Il a conservé, et même
accru, l'autorité administrative des évêques. Certes,
cette puissance abandonné au clergé n'est pas sans dangers.
Grâce à ce pouvoir politique considérable, l'Église
accrut encore ses biens. En 851, le concile de Soisson obtint que certains
crimes, entre autre l'inceste, soit soumis à la juridiction ecclésiastique.
Hugues Capet conserve avec les dignitaires de l'Église une union intime.
La féodalité refuse à la royauté capétienne
son appui. Celle-ci trouve dans la société ecclésiastique
la base de son action et les ressources nécessaires à son établissement.
Il s'agit de lutter contre les éléments anarchiques de la féodalité
; les évêques et les abbés favorisent la tendance de
la royauté nouvelle vers la centralisation et l'unité ; ils
sont membres actifs des assemblés administratives et judiciaires ;
ils fournissent au roi des subsides et même des ressources pour la
guerre.
Mais cette collaboration intime de la
royauté et de l'Église ne favorise nullement les prétentions
romaines. Malgré les tentatives que fera Rome pour se rapprocher de
la France, après les déboires de sa politique germanique, il
lui faudra patienter jusqu'au concordat de Bologne (1516) pour ressaisir son
influence prépondérante dans les affaires intérieures
de notre pays.
Elle s'est faite d'ailleurs de plus en
plus arrogante avec Grégoire VII. Elle a accru ses prétentions
à la domination universelle. Elle les a précisées dans
des textes définitifs, dans des formules, sous des images. Seul, le
pontife romain peut être appelé œcuménique. Son nom est
unique dans le monde. Il ne peut être jugé par personne. L'Église
romaine ne s'est jamais trompé et ne se trompera jamais. Le pontife
romain a le droit de déposer les empereurs. Il y a ainsi vingt-sept
propositions qui affirment à la face du monde la suprématie
du pape sur l'Église et les princes.
Ces principes n'ont pas été
inventés de toute pièces par Grégoire VII. Ils sont en
germe dans le droit canonique et dans les décisions antérieures
des conciles ; mais c'est ce pape, célèbre à juste titre
dans l'histoire de l'Église, qui a coordonné ces éléments
divers et a dressé le monument juridique de la théocratie romaine.
Armée de cette charte théorique
de ses droits, la papauté a voulu en appliquer les principes au gouvernements
des sociétés. Elle a voulu établir son autorité
indiscutée sur les évêques et les prélats de toutes
les nations chrétiennes. Mais elle a trouvé en face d'elle
les princes, qui, par un usage consacré, avaient conservé la
nomination aux grades ecclésiastiques.
La guerre qui s'ensuivit entre la papauté
et la royauté germanique est demeurée célèbre
sous le nom de "Querelle des investitures". Sans doute, Rome fut finalement
vaincue ; mais à la suite de quelles luttes !....
Au début de cette querelle, Grégoire
VII avait déposé Henri IV, en des termes que l'histoire a conservés
et qu'il n'est pas inutile de citer : " ...Pour l'honneur
et la défense de ton église, disait-il, au nom du Dieu tout
puissant, du Père, du Fils et du Saint-Esprit, par ton pouvoir et
ton autorité, je nie au roi Henri, qui s'est insurgé avec un
orgueil inouï contre ton Église, le gouvernement de l'Allemagne
et de l'Italie ; je délie tous les chrétiens du serment de
fidélité qu'ils lui ont prêté ou qu'il lui prêteront
; je défends que personne ne le serve comme on sert un roi."
Quelque temps après, Henri IV faisait pénitence ; il allait
à Canossa, accordant à la papauté la plus belle victoire
qu'elle ait jamais remportée sur une puissance temporelle.
En France, Philippe 1er ne laissa point
Grégoire VII s'immiscer dans sa politique intérieure. Avant
lui, Hugues Capet avait défendu contre la cour de Rome l'indépendance
de ses églises. Au concile de Saint-Bast avaient été
proclamées les libertés gallicanes. Mais cette attitude s'expliquait
par le fait que la papauté n'était alors qu'un instrument entre
les mains des empereurs germaniques et qu'il eût été dangereux
de favoriser l'intervention d'influences étrangères.
Avec Philippe 1er, la situation a changé.
Les papes ont rompu avec l'empire germanique et ils ont entrepris la réforme
morale du clergé, abandonné à tous les abus, à
toutes les déchéances, à tous les vices. Cependant Philippe
1er résiste. Quelques après, Louis le Gros se montre moins
énergique dans la lutte contre Rome. Malgré tout, il maintient
résolument son droit d'intervention dans les élections ecclésiastiques.
Philippe Auguste ( 1180-1225); tout éclatant du prestige de ses victoires,
accentue encore cette tendance. Il contraint les évêques à
se présenter devant sa cour de justice. Il leur enjoint de participer
aux frais de la guerre ; soucieux de mettre obstacle aux ingérences
pontificales, il ne craint pas d'engager pour cela la lutte avec Innocent
II ; en un mot, il prépare la naissance d'un esprit laïque et
national, en opposition avec les prétentions de la théocratie
romaine. Saint Louis continue son œuvre et ce monarque très chrétien
fut un des plus fervent défenseur de la société laïque.
Loin de se plier devant la papauté,
il obtint d'elle des concessions. Sous son règne, les ecclésiastiques
sont astreints à payer les décimes, douzièmes et centimes.
C'est le moment héroïque des croisades. Le clergé est appelé
à prendre sa part des charges qu'elles occasionnent. Saint Louis obtint
aussi que les clercs mariés ou commerçants soient enlevés
à la juridiction ecclésiastique.
C'est sous le règne de Saint Louis
que vécut Guillaume II, cet évêque de Paris qui aurait
plutôt sacrifié les intérêts de Rome que ceux de
la politique royale.
Les tendances antiromaines de saint Louis
étaient tellement connues qu'on lui a attribué la paternité
d'un document considéré aujourd'hui comme apocryphe, et connu
sous le nom de Pragmatique sanction de saint Louis ou Édit sur les
élections ecclésiastiques et les libertés gallicanes.
Que ce document ait été rédigé
sous l'inspiration du roi très chrétien ou qu'il ait été
composé plus tard de toute pièces, au moment où il s'agissait
de préparer et de rendre possible la "pragmatique
sanction" de Bourges, il est une chose certaine c'est que saint Louis
n'en aurait contesté ni l'esprit ni les expressions.
Ce document si intéressant pour
l'histoire des origines du gallicanisme débute ainsi : Ludvicus,
Deo Gratia rex Francorum, et le commentateur qui croit à l'authenticité
de la pragmatique, fait remarquer, en une note, que "les princes de la troisième race se dirent rois
par la grâce de Dieu, non seulement par pitié, mais encore pour
marquer leur autorité souveraine et leur indépendance des papes,
qui s'étaient, vers ce temps là, arrogé, sans apparence
de raisons, le prétendu droit d'excommunier les souverains et de disposer
de leurs royaumes."
Il n'est pas sans intérêt
historique de marquer ici l'importance essentielle de ce simple petit détail.
Quelle était, à l'époque
de Clovis, la conception que se faisait la papauté de ces rapports
avec les princes temporels ? On connaît la comparaison, chère
à la papauté entre le soleil et la lune ; entre l'Église
romaine qui éclaire le monde et la royauté qui en reçoit
les rayons
Une autre figure illustre les théories
romaines de la subordination des rois à l'égard de la papauté
: " Il y a deux glaives : le glaive spirituel et le
glaive temporel ; tous les deux appartiennent à l'Église ;
l'un est tenu par elle, par la main du papa ; l'autre est tenu pour elle par
la main des rois, tant que le pape le veut ou le souffre. En outre, l'un
des glaives doit être subordonné à l'autre, le temporel
au spirituel."
Ces théories se sont manifestées
dans plusieurs concile de l'époque. A aucun moment la papauté
n'a admis qu'il y eut égalité de droit entre les deux pouvoirs.
C'est donc une nouveauté, qui caractérise
bien la conception des rois de la dynastie capétienne, que cette prétention
de recevoir directement de Dieu la grâce qui les consacrait rois. Bossuet
en tirera plus tard de beaux effets. Nous les notons ici comme une première
étape décisive vers la fondation en France d'une Église
anglicane ( Je suppose qu'il s'agit d'une
faute de composition, c'est gallicane qu'il
aurait fallut écrire !) , indépendante
du pouvoir romain.
Les différents célèbres
entre Philippe le bel et Innocent III vont nous permettre de déterminer
encore la marche ascendante des idées gallicanes. Elles vont prendre
corps et s'organiser en système, grâce au patriotisme des légistes.
Philippe le bel déclarait net, dès
1297, qu'il ne tenait sa royauté que de Dieu seul. il affirmait ainsi,
de façon catégorique, l'indépendance du pouvoir temporel.
Il montra bientôt comment il prétendait se libérer de
la domination envahissante des pontifes romains.
Le pape venait de lancer sa bulle dite
clericis laïcos, par laquelle il interdisait à tout
ecclésiastique de rien payer à un laïc sans y avoir été
autorisé par le Saint-Siège, et cela sous peine d'excommunication.
Prétention plus étonnante encore : Rome frappait d'interdit
les villes qui imposaient le clergé.
Philippe le Bel prit une décision
capable de faire réfléchir la papauté. Il interdit toute
exportation d'or et d'argent hors du royaume. C'était réduire
à néant les ressources que Rome recevait de son Église
de France.
Le pape protesta, puis céda. Il
est vrai que vingt-trois évêques français le suppliaient
de revenir sur sa précédente bulle. Il autorisa la perception,
par les laÏcs des droits féodaux, qu'autorisaient les coutumes
du royaume. Les dons d'argent et les prêts, consentis à des laïcs
par les prélats, furent punis. Le roi de France put lever, dans certains
cas, des subsides sur le clergé. Le pape alla lui-même jusqu'à
remettre à Philippe une partie de la collecte de terre sainte et une
année des revenus des bénéfices vacants, et le garanti
de la censure ecclésiastique. Quelques années après,
de nouvelles difficultés se présentent. Elles atteignent un
état aigu. Philippe est amené à faire ouvrir, devant
la cour de Senlis, une procédure contre le pape, pour "lèse-majesté, rébellion, hérésie,
blasphème, simonie". mais le pape accuse Philippe de "tyrannie, mauvais
gouvernement, fausse monnaie". Dans une grande assemblée, à
Notre-Dame, le roi affirme la doctrine de l'indépendance absolue du
pouvoir royal ; Boniface VIII répond que "toute
créature humaine est soumise au pontife romain". Des lettres
frappant Philippe d'excommunication sont envoyées en France. On saisit
le porteur des lettres à Troyes ; on le jette en prison, après
l'avoir dépouillé. Le pape prétend, par une bulle, détacher
sept princes ecclésiastiques de France et les dégager de toute
fidélité au roi capétien. Un complot contre Boniface
VIII est organisé par de Nogaret. Le palais pontifical de d'Amagni,
où se trouvait le pape ( été 1303), est envahi. Boniface
déclare qu'il "aime mieux renoncer à
la vie qu'à la tiare". Il mourut quelques jours plus tard à
Rome.
Les années qui suivront consacrèrent
le triomphe définitif de la royauté capétienne. Le vœu
intime de Philippe le bel avait toujours été de supprimer l'ordre
militaire des Templiers. Il y parvient. Les templiers étaient riches
à l'excès. Ils avaient ouvert des crédits, pratiqué
l'usure, leurs caisses regorgeaient d'argent, on les poursuivit comme hérétiques,
les Dominicains les interrogèrent à la mode inquisitoriale.
leurs biens furent mis sous séquestre ; 137 frères passèrent
par le fer et par le feu.
Un moment il y eu du flottement. La papauté
était récalcitrante. Alors, Philippe ressuscita son idée
de poursuivre Boniface VIII. Il était mort. On fit le procès
de sa mémoire ... Finalement, tout s'arrangea. Boniface VIII ne fut
pas considéré comme hérétique, mais les Templiers
furent sacrifiés. On prononça la suppression de l'ordre en
concile de Vienne (1311-1312). Philippe s'empara du numéraire et converti
en caisse royale la caisse du Temple.
Au cours de cette époque troublée,
parallèlement aux actes se développent les idées d'un
droit national opposé aux prérogatives de Rome. C'est pendant
les luttes, dont nous venons de donner une brève impression, entre
Philippe le bel et Boniface VIII, que, pour la première fois, le roi
de France en appelle des déclarations du pape à un concile général.
La supériorité des conciles nationaux, par rapport au Saint-Siège
deviendra une de thèses les plus chères du clergé gallican.
Nous ne sommes pas encore au moment de
la déclaration gallicane de 1682, nous ne sommes même pas encore
à la pragmatique sanction de Bourges; mais nous constatons l'élaboration
doctrinale de ces deux actes essentiels dans l'existence de l'Église
libre de France. Les légistes de l'an 1300, les Guillaume de Nogaret,
les Pierre Flotte, les Enguerrand de Marigny préparent, dans leurs
écrits et par leurs actes, les événements importants
qui vont suivre. Tandis que Philippe le bel posait, sur le terrain des faits,
le grave problème de la séparation de l'Église romaine
et de l'État, ses conseillers légistes le posaient sur le terrain
des idées.
Nous passerons sur les événements
qui suivirent. Ils sont importants cependant pour l'histoire de la papauté.
C'est le grand schisme d'Occident, d'abord bicéphale, puis tricéphale.
Ce sont les conciles qui, peu à peu, s'établissent en limitateur
de la puissance romaine. C'est le concile de Constance qui, en 1418, malgré
la fuite du pape, se déclare œcuménique et proclame que "tout chrétien, y compris le pape, lui doit obéissance
pour ce qui concerne la foi, l'extinction du schisme et la réforme
générale de l'église, dans son chef et dans se membres."
C'est le concile de Bâle (1431) qui abolit l'impôt des annates,
principal revenu des papes.
Eugène IV, alors pape, adresse une
encyclique aux princes de l'Europe, disant qu'un concile a émis la
prétention de porter atteinte à ses prérogatives et
de diriger l'Église, en ses lieu et place. Il transfère le
concile à Ferrare. Celui de Bâle se maintient et nomme un antipape.
Quelle est, dans ce conflit, l'attitude
du roi de France ? Elle est d'un homme prudent, d'un politique avisé.
Charles VII se déclare pour Eugène IV ; mais, au même
moment, il travaille à recueillir, dans le décret de Constance
et de Bâle, ce qui peut être favorables aux théories gallicanes,
et avec ces éléments il crée le statut nouveau de l'Église
de France, la pragmatique sanction de 1438.
La pragmatique sanction
Charles VII avait déjà eu
l'occasion, a plusieurs reprises, de faire montre de sentiments nationaux
dans la questions des rapports entre l'Église de France et la papauté.
Un des commentateurs de la pragmatique constate que, tout jeune encore -
il n'était que dauphin - Charles VII ayant été chargé
de gouvernement publia, en mars 1418, sous le nom de son père, des
lettres qui rétablissaient l'ancien droit des Églises de France
et du Dauphiné, relativement aux élections et collations des
bénéfices, " sans aucun égard aux
réserves expectatives et aux autres prétendus droits de la
cour romaine, dont il ordonnait de faire cesser les exactions".
Plus tard, Charles VII avait aussi publié
d'autres lettres relatives à la collation des bénéfices, "non par rapport à l'ordre des nominations, mais
par rapport aux personnes qui pouvaient être nommées".
De tout temps, constate le commentateur, les rois de France avaient défendu
qu'aucun étranger ne fût reçut à aucun bénéfice
du royaume (lettre du 10 mars 1831)( plutôt
1431 ?) Mais leur défense avait été
mal observée. Charles VII l'avait renouvelée dans des lettres
adressées au concile de Constance. Charles VII en fit, dans la suite,
comme nous le disons, signifier de semblables. Le pape favorisait le "parti anglais "donnant les bénéfices
dans les États de Charles à ceux qui tenaient ce même
parti. Depuis qu'Eugène IV avait succédé à Martin
V, Charles l'avait fait prier de conférer les bénéfices
considérables et de dignité "aux personnes
nobles et de grand mérite, de la loyauté, prud'homie, prudence
et littérature desquels il était dûment informé".
Mais Eugène continuait de donner les bénéfices à
des étrangers et même, parfois, a des ennemis du roi, "ce qui était préjudiciable à l'État,
et même dangereux, car, par là, non seulement les finances passaient
en main ennemies, mais des forteresses importantes, dépendantes de
grands bénéfices, se trouvaient confiées à des
personnes pouvant en abuser".
Les tendances nationales de Charles VII
se présentèrent encore à mesure qu'il prit l'habitude
du pouvoir.
De graves problèmes avaient été
posés au concile de Bâle. Charles VII convoqua son clergé
pour en étudier les éléments. On vit à cette
assemblée extraordinaire cinq archevêques, vingt-cinq évêques
et un grand nombre de prélats. L'assemblé s'ouvrit le 1er mai
1438 mais elle ne fut complète que le 5 juin. Des envoyés avaient
été dépêchés de Bâle et de Ferrera,
porteurs de requêtes. On leur donna aux uns et aux autres, de bonnes
paroles et on fit un examen minutieux des décrets du concile de Bâle,
afin de juger s'ils étaient bien conformes aux exigences de l'Église
gallicane. Tous les membres de l'assemblée étaient d'accord
pour considérer les libertés de l'Église gallicane non
comme des privilèges, mais comme des droits "acquis",
mais comme des droits primordiaux, essentiels, nécessaires à
l'Église de France et à toute Église qui veut demeurer
à l'abri des atteintes que tous les papes s'efforcent trop souvent
de lui porter.
Le travail fut
terminé le 7 juillet, et c'est le même jour que Charles VII
publia l'édit célèbre intitulé : "Pragmatique sanction sur l'autorité des conciles
généraux, la collation des bénéfices, élections
expectatives, appellations, annotés, etc."
Le préambule de ce document important
constitue un violet et amer réquisitoire contre les abus du Saint-Siège.
Les Églises de France sont victimes de cupidités insatiables.
Des "usurpations très graves" sont commises
et d'"intolérables entreprises" accomplies.
L'argent du royaume est entraîné "en des
régions étrangères". D'autre part, le culte du
Christ s'atténue : c'est la faveur qui règle l'avancement des
clercs. Il convient donc de recourir, pour les maux de l'Église, aux
remèdes indiqués par le concile de Bâle.
Les deux premiers articles de la pragmatique
déclarent que les conciles sont supérieurs à toute autre
autorité en matière de foi et de discipline. Un concile œcuménique
devra être convoqué tous les dix ans.
Les autres articles interdisent la fête
des fous et les spectacles donnés dans les églises, limitent
l'incontinence des clercs. Mais les articles qui intéressent surtout
le clergé gallican sont ceux qui diminuent, dans de notables proportions,
les droits du Saint-Siège en matière de bénéfice
ecclésiastiques et de procès. Évêques et abbés
devront être élus par les chapitres et les couvents. Le pape
n'aura plus le droit de consacrer le nouvel élu, sauf le cas où
celui-ci se trouverait à Rome au moment de son élection. La
pragmatique déclare supprimer les annates et le pape ne pourra juger
les procès en appel qu'une fois que les plaideurs auront épuisé
toutes les juridictions.
Faut-il ajouter maintenant que cette charte
du clergé gallican ne fut pas toujours appliquée ? Charles
VII fit lui-même des entailles chaque fois qu'il eût intérêt
à se faire venir du Saint-Siège.
C'est l'histoire continuelle des rapports
entre la royauté française et la papauté. Aux exigence
de la foi et des principes se mêlent des raisons d'ordre politique ou
d'intérêt privé qui les dénaturent. C'est ainsi
que la pragmatique fut bientôt viciée de par la volonté
même du roi de France. Elle donnait aux chapitres le droit d'élection
des évêques et des abbés. Les rois jugèrent bientôt
que l'autorité des chapitres en serait trop considérablement
accrue et qu'elle limiterait la leur et ils s'entendirent avec Rome pour défaire
ce qu'ils avaient fait.
En 1463, Louis XI déclare la pragmatique
abolie. Elle n'avait d'ailleurs jamais été reconnue par le
Saint-Siège.
Cette abolition fut complétée
par la convention de 1470. Il est vrai que le roi obtenait du pape l'engagement
de ne nommer que des Français et de tenir compte de la recommandation
du roi. Nous entrons dans une période où la papauté reprend
progressivement son influence. C'est le moment où Machiavel, alors
ambassadeur en France (1501), écrivait au cardinal d'Amboise : "Les Français n'entendent rien à la politique
; autrement, ils ne laisseraient pas l'Église si grande."
En 1515, François 1er se rencontre
à Bologne avec le pape Léon X. Un accord s'établit entre
eux pour le gouvernement de l'église de France. L'année suivante,
le concordat de Bologne est signé. Il consent l'abolition de la pragmatique
sanction de Bourges. Le roi et le peuple se donnent réciproquement
des attributions, qu'ils n'avaient pas eues jusque-là. Le roi se réserve
la nomination des évêques et des abbés ; le pape institue
les prélats et reçoit l'annate des biens ecclésiastiques.
Par l'article 40 du traité
de 1516, les prélats ont l'obligation, dès qu'ils sont institués,
de payer au pape une somme équivalente au montant des revenus annuels
de l'église ou de l'abbaye.
C'est cette contribution flétrie
et supprimée par la pragmatique qui a reçu le nom d'annate.
Le résultat de cet accord de la
royauté française avec Rome fut d'établir en France un
pouvoir étranger, favorable, certes, dans certains cas, aux intérêts
personnels du roi, mais nuisible au pays. Des abus furent dénoncés
sous Henri II, dans les perceptions romaines. De multiples compétitions
se produisirent, lorsqu'un bénéficiaire, élu d'après
les canons des conciles, se trouvait en rivalité avec celui qu'avait
nommé le roi. On portait alors l'affaire devant le grand conseil. Et
quels abus n'entraîne point parfois la nomination royale ! Les évêques,
abandonnant le soin de leurs diocèses laissèrent leurs vicaires
les administrer et ils allèrent aux Tuileries se confondre dans la
mêlée des courtisans. Le roi tira de ce clergé domestique
d'excellents fonctionnaires. Napoléon recherchera plus tard dans un
concordat calqué sur celui de Bologne les avantages qu'y avait trouvé
François 1er.
Les grands corps de l'État - parlement,
Université - avaient vu le danger et s'étaient opposés
à l'enregistrement du Concordat, puis à son exécution.
Nous empruntons à la Bibliothèque historique le texte
des protestations du parlement :
"La cour, toutes
chambres assemblées, voyant et considérant les grandes menaces
dont on usait à son égard, ayant tout lieu d'appréhender
sa propre dissolution, qui entraînerait celle du royaume, craignant
que si aucunes étaient suscitées à l'occasion du délai
de la publication du Concordat, on ne lui impute des malheurs qui pourraient
arriver ; craignant encore que les alliances faites ou à faire avec
les autres princes chrétiens ne fussent rompues ou empêchées
par le refus d'enregistrement, et après que la cour a fait tout ce
qui lui était humainement possible pour obvier à cette publication
et enregistrement, par devant et en présence de sir Michel Blondel,
évêque et duc de Langres, pair de France, comme authentique
personne, elle a protesté et proteste, tant en général
qu'en particulier, conjointement et divisement, qu'ils n'étaient et
ne sont en liberté et franchise, et si la publication a lieu, ce n'était
ni de l'ordonnance ou du consentement de la cour, mais par le commandement
du roi, force et impression ci-dessus déclarées, que ce n'était
point leur intention de juger les procès conformément au Concordat,
mais de garder, observer comme auparavant les saints décrets de la
pragmatique sanction, dont le procureur du roi aurait appelé, tant
pour et au nom de la cour, que de tous les sujets du royaume ; la cour adhérant
à ce premier appel et y persistant, appelle de nouveau au pape mieux
informé, au premier concile général et à celui
et à ceux auxquels il appartiendra."
Si le Concordat, contre lequel le pouvoir
laïque et national protesta dans les termes que nous venons d'indiquer,
favorisa l'existence d'un épiscopat de courtisans, il y eu cependant
dans le clergé français une majorité d'évêques
et de prélats attachés aux libertés gallicanes qui unirent
leur protestation à celle de l'Université et du parlement.
Il suffit de lire les Mémoires du clergé pour en être
convaincu. On y voit que " l'Église de France
n'a jamais approuvé le concordat de 1516, et ne le reconnaît
pas comme règle de discipline".
Mais un nouveau fait va contribuer à
atténuer, pour un temps assez long, les protestations du clergé
gallican. Les abus de la cour de Rome, les vices et les dépravations
du clergé de la renaissance italienne, la domination envahissante de
la papauté avaient permis aux tendances des chrétiens évangélistes
de se traduire dans une doctrine nouvelle, qui va avoir ses savants, ses
héros et ses martyrs. Le protestantisme profite du besoin général
qu'on avait au quatorzième siècle d'une vie religieuse plus
réelle et plus profonde que celle des du catholicisme romain, immobilisé
dans le dogme et dans la pratique minutieuse des cérémonies
dont les sens échappait à la plupart de ceux qui s'y soumettaient
par contrainte. La religion avait été transformée par
les papes en un simple moyen de gouvernement ; Luther affranchit la conscience.
En Vingt années, la moitié de la chrétienté rompt
avec le chef et les dogmes du catholicisme.
Il y eu un protestantisme français.
Il naquit parmi les humanistes, impressionnés par la lecture de l'Évangile,
retrouvé parmi les textes de l'antiquité grecque et latine. " Ils étaient habitués à un culte
qui attribuait une importance capitale aux observances, aux rites, aux pratiques,
qui réclamait leurs dévotions pour la vierge, les saints et
les saintes ; ils lisent le texte même du nouveau Testament et tout
disparaît : il ne reste que Jésus-Christ : lui, toujours lui
!"
Le clergé gallican se sentit anéanti
par le développement de l'idée évangélique et
le résultat fut qu'il resserra ses liens avec Rome. On le verra bientôt
lorsqu'il s'agira de "recevoir" en France les décrets du concile de
Trente.
Ce concile avait été réuni,
sur l'initiative de la papauté, pour tenter de rétablir l'unité
brisée de l'Église catholique (1545-1563). On s'attacha, d'une
part, à maintenir la pureté du dogme, et, d'autre part, à
rétablir la discipline au sein du clergé et à en réformer
les mœurs. Pour donner aux décrets de ce concile une force inusitée,
on décida que les décrets concernant le dogme exigeraient la
foi et que seraient déclaré hérétiques ceux qui
refuseraient à y souscrire. Outre ces graves décisions, le
concile avait également décidé que le jugement des évêques
serait réservé au pape, que les juridictions ecclésiastiques
conserveraient la faculté de prononcer des peines temporelles - amende
ou emprisonnement - et que leurs privilèges seraient maintenus aux
ordres religieux.
La "réception"
du concile de Trente en France occasionna de multiples péripéties.
On examina la question en conseil du roi. Les décrets furent furent
vivement critiqués par le chancelier de l'Hôpital qui les accusait
de "trahir les libertés de l'Église gallicane".
Catherine de Médicis, alors régente, qui voulait ménager
les Huguenots, promit "de faire exécuter le
concile en particulier, sans le publier en général".
Cette réponse politique marque le début des guerres de religion.
Elles avaient eu déjà leurs
prodromes tragiques. A Paris, les premiers bûchers furent montés
de 1525 à 1528, bien avant, par conséquent, le concile de Trente.
François 1er, qui venait d'unir son action à celle de la papauté,
était hésitant. Le 24 juin 1539, on publie l'édit général
contre les luthériens, Étienne Dolet, condamné comme
athée à l'occasion d'un dialogue de Platon, monte au bûcher
le 3 avril 1546 ; la chambre ardente, instituée sous Henri II pour
expédier les procès d'hérésie, émet quatre
cent trente-neuf sentences, dont soixante condamnations capitales. Et les
édits se succèdent. Le chef d'œuvre classique,
le monument de cette législation est l'édit de Chateaubriand
( 27 juin 1551), véritable code de la persécution. Tout est
réglé dans ces quarante-six articles avec une précision
juridique, depuis la surveillance minutieuse de l'imprimerie jusqu'à
la dénonciation de ceux qui lisent la Bible. Interdiction de tout emploi
public, même d'une place de régent, à quiconque ne produirait
pas un certificat de bon catholique ; ordre aux procureurs généraux
de se livrer à une enquête sur les magistrats et officiers de
justice de tout rang, pour sévir contre ceux qui seraient suspects
de négligence dans la punition des luthériens ; défense
aux simples particuliers, que la pitié pourrait égarer, d'adresser
aucune supplique ou demande de grâce en faveur d'un hérétique
; interdiction, sous les peines les plus graves, de favoriser l'émigration
à Genève ; " et, pour ce que plusieurs
sans aucun savoir, en prenant leurs repas ou bien en allant aux champs, parlent,
devisent et disputent des choses concernant la foy et les cérémonies
de l'Église et font des questions curieuses et sans fruit ; défense
à toutes personnes non lettrées, de quelque estat qu'ils soient,
de ne faire plus d'ores en avant telles propositions, questions et disputes
; commandement très exprès à tous d'aller assidûment
à la messe avec due révérence et démonstration
". Enfin comme sanction, outre les pénalités habituelles,
une disposition nouvelle " le dénonciateur recevra
le tiers des biens confisqués au dénoncé "(L'Histoire
universelle de Lavisse et Rambaud). Il y a plus : un autre édit,
celui de Compiègne (1557), unifie la peine : ce sera la mort.
En 1555, l'Église réformée
de Paris s'était fondé. En mai 1558 elle réunit 5 000
à 6 000 personnes au Pré-aux-Clercs et, dans cette assemblée,
on distingua deux neveux du connétable de Montmorency, d'Andelot et
l'amiral de Coligny. En 1559, eut lieu le synode des Églises réformées
de France.
Parallèlement à ce mouvement
ascendant de l'idée protestante, se produit, au sein du parlement,
un mouvement d'idées qu'il est nécessaire de signaler, car il
révèle une nouvelle conception du droit et il prépare
les vues juridiques d'après lesquelles nous envisageons aujourd'hui
le problème des rapports de l'Église et de l'État, du
spirituel et du temporel. Le Tiers apparaît, avec ses formes de pensées,
ses notions juridiques, sa conception particulière de la vie. C'est
Pierre Séguier et de Harlay, à la Chambre de la Tournelle,
se refusant à prononcer la peine de mort pour choses de religion.
Audacieuse prétention ? C'est Anne du Bourg qui, en une séance
solennelle des Chambres réunies - le roi est présent - revendique
la liberté de pensée : " Ce n'est pas
chose de petite importance de condamner ceux qui, au milieu des flammes,
invoquent le nom de Jésus-Christ !" Anne du Bourg est envoyée
au bûcher.
Après la mort de Henri II, une
trêve se produit. Les États généraux sont convoqués,
le Tiers formule ses prétentions : les causes de la détresse
publique sont les richesses et le luxe du clergé. Les nobles et les
communs sont d'accord pour émettre l'avis que l'on rembourse les dettes
publiques en vendant les biens de l'Église, estimés à
120 millions de livres. Le connétable et le duc de Guise demandent
à l'église 15 millions de livres. Elle offre 9 millions et
demi, qui seront payés en six ans et elle remboursera les dettes de
l'Hôtel de Ville de Paris. En général, le Tiers est favorable
aux protestants. Entre les extrêmes, se place le parti des Politiques,
qui prépare notre doit moderne. A une époque où, catholiques
et protestants, d'accord en cela avec l'opinion publique, jugeaient impossible
l'existence simultanée dans un pays de deux religions, dès
1504 ( ???), les
Politiques émirent cette idée que c'est le rôle
de l'État de garder la neutralité, d'accorder aux deux cultes
m'existence légale et de faire respecter le droit de chacun. Suprême
ironie à l'instant où l'on assiste aux massacres de la Saint-Barthélémy
que célèbre le pape par des actions de grâce, où
le dominicain Jacques Clément poignarde le roi Henri II (ou III ?), coupable de faiblesse
à l'égard des hérétiques, où Henri IV
doit abjurer afin de régner.
Le premier acte politique de Henri IV
fut de se réconcilier avec le Saint-Siège, en promettant de
"faire observer le décret du concile de Trente, excepté aux
choses qui ne se pourront exécuter sans troubler la tranquillité".
Le deuxième acte fut l'édit de Nantes ( 13 avril 1598)
Cet édit célèbre,
après avoir constaté que le culte catholique était rétabli
là où il avait été supprimé et après
avoir reconnu au clergé la totalité de ses biens et droits
antérieurs, assurait à la religion réformée la
légalité. Il ne garantissait cependant l'exercice du culte que
là où il existait déjà. Il fut donc, comme auparavant,
défendu de pratiquer le culte réformé à Paris,
ainsi que dans un certain nombre de villes d'où les protestants avaient
été exclus par de récentes capitulations. Ils y purent
cependant demeurer à la condition d'avoir leur prêches dans
les faubourgs. Dans ces dispositions accessoires, les droits civils étaient
reconnus aux protestants, ainsi que l'accès des emplois publics, universités,
collèges et hôpitaux. Amnistie générale était
proclamée en faveur de quiconque avait été condamné
pour sa foi.
Le constant effort de la papauté
va tendre maintenant à rendre éphémère cette victoire
de l'esprit laïque. L'édit autorise le clergé à
reprendre, moyennant indemnité, tous ceux de ses biens qui, depuis
quarante ans, avaient été aliénés. ce travail
de reconstitution territoriale occupa d'abord les ressources d'ingéniosité
de la diplomatie catholique. Elle sait quelle influence décisive a
l'argent, que c'est le nerf non seulement de la guerre, mais de toutes les
luttes, politiques ou idéales et qu'avec de l'argent, à propos
employé, on peut agir efficacement sur les rois eux-mêmes.
Si l'on envisage, d'une façon
superficielle, le résultat obtenu par la diplomatie ecclésiastique,
le grand événement de la révocation de l'édit
de Nantes, apparaît dans un énorme relief, et d'autant plus important
et décisif que les ruines, morales et matérielles, qu'il a
causées, ont été plus grandes.
Mais cette révocation de l'édit
de nantes, si l'on étudie les événements qui l'ont précédée,
accompagnée et suivie ne peut pas être considérée
comme une victoire de la papauté. Elle fut l'acte nécessaire,
inévitable, de celui qui, pour asseoir davantage sa domination absolue,
voulut réaliser l'unité de l'Église de France, croyant,
comme il était encore commun au dix-septième siècle,
que l'on peut, par la persécution, extirper la foi des consciences,
et éteindre la pensée dans les cerveaux.
Le concordat de Bologne, fruit d'un accord
entre la royauté française et la cour de Rome, avait enlevé
la nomination des évêques et des prélats au clergé
pour la confier au roi. En échange de cet abandon de privautés,
qu'elle avait, elle aussi, revendiquées, la papauté avait reçu
des compensations pécuniaires.
Ce nouveau privilège de la royauté
permit aux souverains français, et aux ministres, qui conseillaient
leur politique, d'élever aux dignités importante de l'épiscopat
des hommes dont le dévouement et la fidélité pouvaient
paraître sûrs. L'épiscopat n'y gagna point en dignité.
Un clergé domestiqué permit à Louis XIV de triompher
plus facilement dans ses conflits avec Rome. Il prétendait devenir
le chef incontesté de l'Église de France. Sa politique fut
antiromaine, car il voulait annihiler toute autre autorité que la
sienne. Elle devait être antiprotestante, pour que son église
fut plus forte, en étant unifiée, et que sa puissance temporelle
s'accrût de la force agissante d'une foi incontestée.
Cette réalisation totale du gallicanisme,
qui se produisit sous le règne de Louis XIV, fut préparé
par l'action des pouvoirs qui se succédèrent en France depuis
la mort de Henri IV.
Ce fut, en premier lieu, sous la régence
de Marie de Médicis, l'action des États généraux
de 1614, où le tiers état, au premier article de son cahier,
posait comme loi fondamentale "qu'il n'y a personne
en terre, quelle qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit
sur le royaume, le roi ne tenant sa couronne que de Dieu seul." ce
fut ensuite Richelieu qui, dès son arrivée aux affaires, se
trouva en opposition avec le pape et inaugura une politique essentiellement
laïque. Sous son inspiration, ou du moins sans qu'il y eût opposition
de sa part, des livres son imprimés où l'on se plaint de "l'oppression que le pouvoir des papes fait subir à
la France". Il interdit aux prédicateurs toute allusion désagréable
au gouvernement et, au besoin même, il leur fait obligation d'en faire
l'éloge. Une assemblée de prélats se réunit en
1641. Il l'épure, lorsqu'elle lui parait dangereuse. Deux archevêques
et quatre évêques, opposés à ses projets, doivent
quitter la ville ; les lettres royales qui leur enjoignent de partir se terminent
ainsi : "Je prie Dieu, monsieur l'archevêque,
qu'il vous donne une meilleure conduite."
Le jour où, devenu majeur, Louis
XIV prit en mains les rênes du gouvernement, l'archevêque de Rouen,
Harley de Champvallon, fut reçu par le roi : "Sire, lui dit-il, j'ai l'honneur de présider à
l'assemblée du clergé de votre royaume. Votre majesté
m'avait ordonné de m'adresser à M. le cardinal Mazarin pour
toutes les affaires ; le voilà mort ; à qui Sa Majesté
veut-elle que je m'adresse à l'avenir ? " " - A moi, monsieur l'archevêque,
je vous expédierai bientôt."
Ce fut lui, en effet, qui expédia
toutes les affaires de son royaume. On connaît la formule : " L'État, c'est moi !" Il l'étendit
aux choses de l'Église et Bossuet légitima ses prétentions
dans des écrits où aboutissent, pour se transformer en un système
cohérent, toutes les tendances qui s'étaient fait jour dans
les assemblées de la bourgeoisie et qui affirmaient la royauté
de droit divin, la supériorité des conciles sur les papes et
l'indépendance du clergé français vis-à-vis de
la cour de Rome.
Il devint impossible à un évêque
d'établir une correspondance avec la cour de Rome, sans avoir au obtenu
préalable une autorisation régulière émanant du
roi. L'usage des relations directes entre Rome et les évêques
de France se perdit bientôt. Le clergé devient un corps de fonctionnaires,
sur lequel Louis XIV conserve une autorité sans limites, ce qui fait
écrire à Fénelon que " le roi
est beaucoup plus chef de l'Église que le pape ... L'Église
de France, privée de la liberté d'élire des pasteurs,
est un peu au-dessous de la liberté dont jouissent les catholiques
sous l'empire du Grand Turc."
Louis XIV pensait que le roi, représentant
l'État, était le seul propriétaire de la fortune publique.
Il en résultait pour lui le droit de disposer librement des biens ecclésiastiques.
C'est lui, d'ailleurs, qui répartissait les bénéfices.
Chaque fois qu'il devait communier le lendemain il se mettait d'accord avec
son confesseur pour donner des titulaires aux postes vacants. On remplissait
la "feuille des bénéfices" qui
était soumise au pape, par simple formalité.
Le souverain absolu intervint aussi dans
les affaires de l'Église pour régler, ou plutôt pour
achever d'anéantir son droit séculaire de juridiction. Le droit
à une juridiction temporelle ecclésiastique datait de l'empereur
Constantin. Au douzième siècle, en France, cette juridiction
appartient non seulement aux évêques, mais aux autres ecclésiastiques
: archidiacres, archiprêtres, chapitres, abbés des monastères.
Elle s'exerçait au moyen des cours de chrétienté, qu'on
appela par la suite des officialités.
La compétence des ces cours là
était très étendue. Il suffisait d'être tonsuré
pour en être justiciable et les historiens constatent que vers 1288,
il y eut jusqu'à 20 000 marchands qui "se faisaient
donner par les barbiers couronne de clercs, pour profiter d'une procédure
qui, à cette époque là, était plus raisonnable
que celle de la justice féodale". Outre les clercs, les veuves,
les orphelins, les croisés, les écoliers des universités
étaient, dans certain cas, soumis à leur compétence.
Les matières de la juridiction ecclésiastique
avait à connaître étaient relative à la foi, à
la discipline ecclésiastique. Dans le domaine temporel, elles jugeaient
tous les procès qui avaient trait au mariage, aux propriétés
du clergé, aux testaments, aux conventions confirmées par serment.
Elle jugeait encore les crimes contre la religion, tels le sacrilège,
le blasphème, la sorcellerie et tous les crimes commis dans des lieux
saints. Elle édictait des peines, qui consistaient en des pénitences,
emprisonnement et amendes, lesquelles étaient attribuées à
des oeuvres de piété. Elle excommuniait fréquemment
aussi. Mais, sous prétexte que Ecclesia abhorret a sanguine,
elle transmettait aux cours séculières les coupables qui méritaient
la peine de mort ou les mutilations douloureuses.
Cette juridiction fut d'abord combattue
par les barons féodaux ; de Philippe le bel à François
1er, sa compétence fut réduite. Des édits avaient transmis
aux juges séculiers la connaissance des questions immobilières,
des restrictions se trouvent réunis dans l'édit que prit Louis
XIV en 1695 et qui traite en même temps de l'érection des cures,
des fabriques, de l'entretien
des églises et des cimetières, de la surveillance des maîtres
et des maîtresses d'école par le clergé, des prières
publiques.
L'Église fut définitivement
soumise à la justice civile, car, d'autre part, au moyen de l'appel
comme d'abus, les juges séculiers pouvaient s'immiscer dans les affaires
spirituelles elles-mêmes. Cette théorie de l'appel comme d'abus
avait été élaborée par les légistes. Tout
acte qui semblait contraire aux libertés de l'Église gallicane
put être supprimé par le parlement comme abusif. L'auteur de
cet acte pouvait même être condamné à l'amende
et à la saisie de son bénéfice. Et Fénelon de
s'écrier :" Ce n'est plus de Rome que viennent
les empiétements et les usurpations ; le roi est en réalité
plus maître de l'Église gallicane que le pape ; l'autorité
du roi sur l'Église a passé aux mains des juges séculiers
; les laïques dominent les évêques."
Louis XIV avait atteint son but. Il avait
un clergé impuissant à réagir contre son empreinte. On
constata à quel point il était indépendant de Rome, au
moment du conflit avec la papauté, à propos du droit de régale.
En vertu de ce droit séculaire,
le roi de France percevait à la place des évêques décédés
ou démissionnaires, les revenus de leurs diocèses, tout le temps
de leur vacance, et ils nommaient aux bénéfices dont l'évêque
avait, comme tel, la collation.
Il est juste d'ajouter qu'à plusieurs
reprises, le Saint-Siège avait protesté contre la deuxième
de ces prérogatives. D'autre part, certains diocèses s'étaient
rachetés à prix d'argent et il y en avait un certain nombre
qui n'avaient jamais été soumis au droit de régale.
Cet édit amena les protestations
de deux évêques atteints. Les autres ne protestèrent point.
Innocent XI se rangea du côté des plaideurs ; mais à
la suite de diverses péripéties, une assemblée du clergé
réunie à paris, au couvent des Grands-Augustins, confirma la
régale universelle (1681)
Le pape refuse de s'incliner ; il annule
les actes de l'assemblée générale du clergé de
France et demande aux évêques de se rétracter ; mais
avant que sa lettre soit parvenue à destination, le clergé de
France a signé une déclaration, divisée en quatre articles
et rédigée de la main même de Bossuet. En voici le texte.
Il est important, car cette déclaration constitue la charte essentielle
du clergé de France.
" Plusieurs personnes
s'efforcent en ce temps-ci de ruiner les décrets de l'Église
gallicane et ses libertés, que nos ancêtres ont soutenu avec
tant de zèle, et, de renverser leurs fondements appuyés sur
les saints canons et la tradition des pères. D'autres, sous prétexte
de les défendre, ne craignent pas de donner atteinte à la primauté
de Saint-Pierre et des pontifes romains, ses successeurs, instituée
par Jésus-Christ, et à l'obéissance que tous les chrétiens
leur doivent, et de diminuer la majesté du Saint-Siège apostolique,
respectable à toutes les nations où la vraie foi est enseignée
et où l'unité de l'église se conserve. D'un autre côté,
les hérétiques mettent tout en oeuvre pour faire paraître
cette autorité, qui maintient la paix de l'Église, odieuse
et insupportable aux rois et aux peuples, et pour éloigner par ces
artifices les âmes simples de la communion de l'Église leur
mère, et par là de celle de Jésus-Christ. Afin de remédier
à ces inconvénients, nous, archevêques et évêques
assemblés à paris par ordre du roi, représentant l'Église
gallicane avec d'autres ecclésiastiques députés, avons
jugé, après mûre délibération, qu'il est
nécessaire de faire les règlements et la déclaration
qui suivent :
I
" Que Saint-Pierre
et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et que toute l'Église
même, n'ont reçu d'autorité de Dieu que sur les choses
spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles
et civiles ; Jésus-Christ nous apprenant lui-même que son royaume
n'est pas de ce monde, et, en un autre endroit, qu'il faut rendre à
César ce qui appartient à César, et à Dieu ce
qui appartient à Dieu. Qu'il faut s'en tenir à ce précepte
de Saint Paul : que toute personne soit soumise aux puissances supérieures,
car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c'est lui qui ordonne
celles qui sont sur terre : c'est pourquoi celui qui s'oppose aux puissances
résiste à l'ordre de Dieu.
" En conséquence,
nous déclarons que les rois ne sont soumis à aucune puissance
ecclésiastique par l'ordre de Dieu, dans les choses qui concernent
le temporel, qu'ils ne peuvent être déposés directement
ou indirectement par l'autorité des chefs de l'Église ; que
leurs sujets ne peuvent être exemptés de la soumission et de
l'obéissance qu'ils leur doivent, ou dispensés du serment de
fidélité ; que cette doctrine, nécessaire à la
paix publique, et autant avantageuse à l'Église qu'à
l'État, doit être tenue comme conforme à l'Écriture
sainte et à la tradition des pères de l'Église et aux
exemples des saints.
II
" Que la plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de Saint-Pierre, vicaires de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles est telle néanmoins que les décrets du saint concile oecuménique de Constance, contenus dans les sessions 4 et 5, approuvés par le Saint-Siège apostolique et confirmés par la pratique de toutes l'Église et des pontifes romains, et observés de tout temps religieusement par l'Église gallicane, demeurent dans leur force de vertu, et que l'Église de France n'approuve pas l'opinion de ceux qui donnent atteinte à ces décrets ou les affaiblissent, en disant que leur autorité n'est pas établie, qu'ils ne sont point approuvés ou que leur disposition ne regarde que le temps du schisme.
III
" Qu'il faut régler l'usage de l'autorité apostolique par les canons faits par l'esprit de Dieu et consacrés par le respect général de tout le monde ; que les règles, les moeurs et les constitutions reçues dans le royaume et dans l'Église gallicane doivent avoir leur force et leur vertu et que les usages de nos pères doivent demeurer inébranlables ; qu'il est de même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les loi et les coutumes établies du consentement de ce siège et des Églises aient l'autorité qu'elles doivent avoir.
IV
" Que, quoique
le pape ait la principale part dans les questions de foi, et que ses décrets
regardent toutes les Églises, et chaque Église en particulier,
son jugement n'est pas réformable, si le consentement de l'Église
n'intervient.
"Ce sont les maximes
que nous avons reçues de nos pères et que nous avons arrêté
d'envoyer à toutes les Églises gallicanes et aux évêques
que la Saint-Esprit y a été établis pour les gouverner,
afin que nous disions tous la même chose, que nous soyons tous dans
le même sentiment et que nous tenions tous la même doctrine."
Le parlement de Paris enregistre le lendemain un édit
par lequel il était défendu d'enseigner ou d'écrire
rien qui fut " contraire à la doctrine
contenue dans la déclaration". Désormais
les quatre articles devront être enseignés dans les séminaires.
Innocent XI, en réponse à la déclaration,
refusa l'institution canonique aux évêques qui, étant
prêtres, auraient assistés, comme délégués
à l'assemblée de 1682 et signé la déclaration.
Or, comme Louis XIV se gardait bien d'en nommer d'autres, il arriva qu'en
janvier 1688, trente-cinq églises cathédrales se trouvaient
sans pasteurs.
Innocent XI meurt
en 1689. Son successeur, Alexandre III, déclare nulle la déclaration
de 1682. Le conflit devient de plus en plus aigu ; mais il meurt à
son tour et, avec Innocent XII l'entente a lieu. Louis XIV donnera des ordres
pour que l'édit ne soit pas observé et le pape s'inclinera devant
les volontés du roi, en ce qui concerne le droit de régale.
Cependant, les parlementaires
n'abdiquèrent pas. Ils ne cessèrent d'appliquer, dans leur
jurisprudence, les quatre articles de la déclaration. Au dix-huitième
siècle, ils reparaîtront dans les édits royaux. On les
verra aussi rappelés dans les articles organiques du Concordat de
1801.
Trois ans après la déclaration
du clergé gallican, le 17 octobre 1685, Louis XIV signait l'édit
de révocation de celui de Nantes, corollaire de la déclaration
et qui devait, dans l'esprit du roi, réaliser l'unité du culte
en France. Les réformés furent autorisés à demeurer
en France. Autorisation précaire, puisque tout culte public leur était
interdit et que leurs enfants devaient être élevé dans
le catholicisme. Il avait été ordonné précédemment
que les notaires et huissiers protestants abandonnent leur charges à
des catholiques (1682) ; que les officiers protestants de la maison du roi
devraient abandonner leur place ou se convertir au catholicisme (1683) ;
que les épiciers fermeraient leurs boutiques, sous peine de 3 000
fr. d'amande. Une déclaration royale avait interdit aux sages-femmes
protestantes "de se mêler d'accoucher".
Par le fait de ces décisions, 10
000 familles protestantes s'étaient expatriées avant la révocation.
Vauban estime à 100 000 le nombre des protestants qui désertèrent
la France à la suite de l'édit, avec 60 millions de francs.
Cette exode causa la ruine du commerce ; les flottes ennemies furent grossies
de 9 000 matelots, les meilleurs du royaume ; leurs armées de 600
officiers et de 12 000 soldats plus aguerris que les leurs.
Cette révocation avait été
préparée par une action patiente et minutieuse du clergé
français. Louis XIV n'était encore qu'un enfant qu'il entendait
Choiseul, l'évêque de Comminges, lui dire : " Nous ne demandons pas à Votre Majesté de
bannir encore de votre royaume cette malheureuse liberté de conscience
qui détruit la liberté des enfants de Dieu, s'il n'est en votre
pouvoir d'étouffer l'hérésie d'un seul coup, de la faire
du moins périr peu à peu."
Le clergé réclama d'abord
que l'on observât strictement l'édit de Nantes, sans tenir aucun
compte des événements survenus depuis sa promulgation. Louis
XIV fit envoyer des commissaires dans les provinces. Des temples furent démolis
sous le prétexte qu'ils se trouvaient sur des lieux où le culte
public n'avait pas été fait en l'année 1593 et 1597,
ainsi que l'indiquait l'édit de Nantes. Le 17 juin 1681, une déclaration
paraît "portant que les enfant de la R.P.R. pourront
se convertir à l'âge de sept ans et défend à ceux
de la R.P.R. de se faire élever dans les païs étrangers".
On n'a jamais pu noter pareille atteinte à l'autorité du père
de famille. Faut-il parler des dragonnades qui suivirent ? Les protestants
avaient huit jours pour devenir catholiques ; ensuite ils étaient
chargés par des troupes, que conduisaient des évêques.
Louis XIV avait voulu réaliser l'unité
du culte français. Il avait également pris part à la
lutte contre les jansénistes - Port-Royal avait été
rasé - et aussi contre les inoffensifs quiétistes. La conséquence
inévitable de cette politique se produira bientôt : aucun pouvoir
humain n'empêchera de naître la philosophie du dix-huitième
siècle.
" La politique inepte
du gouvernement eut deux conséquences également funeste pour
la royauté et pour l'église, écrit M. Debidour, dans
l'introduction de son important et consciencieux travail sur le sujet qui
nous occupe ( Histoire des rapports de l'Église de l'État
en France, de 1789 à 1870 - Armand Colin, Paris) ; La première
fut d'enhardir la magistrature au point que, dès le milieu de dix-huitième
siècle, elle pût ébranler le vieil édifice de l'absolutisme
monarchique et que, par le seul exemple de ses résistances, elle rendit
la Révolution inévitable ; la seconde fut de rendre ridicules
et odieuses les querelles théologiques, les persécutions, les
d'affaiblir singulièrement la foi dans les classes supérieures
et moyennes de la nation, de faire enfin le jeu des philosophes qui s'emparèrent
dès lors de l'opinion et familiarisèrent bientôt beaucoup
d'esprit avec l'idée de rejeter non seulement l'infaillibilité
du pape, mais toute autorité sacerdotale, toute religion révélée.
ce n'est plus dans l'Augustinus ou dans les Réflexions
morales de l'ancien testament que l'on va chercher des arguments :
c'est dans l'Encyclopédie et dans le Dictionnaire
philosophique. Le mot d'ordre n'est plus de faire son salut,
mais de fonder la liberté."
Les dernières années du
règne de Louis XIV illustrent cette vérité démontrée
par l'histoire, qu'un pouvoir temporel ne peut être que l'ennemi de
Rome ou son jouet. Louis XIV, on vient de le voir, s'était rapproché
de Rome, en deux circonstances ; Rome empiéta. Le jansénistes
avaient contesté l'infaillibilité du pape ; la compagnie de
Jésus, émanation agissante de la papauté, convainquit
le souverain absolu de la nécessité d'une publication urgente
de la célèbre bulle Unigenitus (1713). Or, cette
bulle ne conseille rien moins que l'obéissance aveugle aux ordres
du Saint-Siège que Louis XIV avait mis tant d'acharnement à
combattre. Quelques temps après, les jansénistes en ayant appelé
des décisions du Saint-Siège au concile, celui-ci ne put avoir
lieu. Le pape reprenait la prééminence perdue.
Le parlement repoussa la bulle et, lorsque
sous le règne de Louis XV, par ordre de l'archevêque de Paris,
plusieurs curés exigèrent des mourants la déclaration
qu'ils adhéraient à la bulle Unigenitus ou un
billet de confession provenant d'un prêtre non janséniste, le
parlement invita l'archevêque à retirer son mandement. Le roi
casse l'arrêt du parlement. Mais celui-ci ne se tient pas pour battu,
et le conflit se poursuit et s'aggrave. Louis XIV en arrive à exiler
les membres du parlement (1713); mais aucune juridiction ne veut s'incliner
devant les décisions du roi. Finalement Louis XIV cède au parlement.
Billets de confession, refus des sacrements sont interdits, et Benoît
XIV déclare que les ordonnances de l'archevêque ne seront applicables
qu'à ceux qui seraient "publiquement et notoirement
réfractaires à la bulle Unigenitus" (1756).
Le parlement a triomphé.
Le triomphe s'accompagne d'une réaction
contre les jésuites. Gallicans, philosophes, encyclopédistes,
sociétés secrètes se liguent contre eux. La faillite
du P. Lavalette, ruiné à la Martinique, faillite dont les jésuites
se refusent à solder le déficit, permet au procureur général
du parlement de Paris d'examiner les statuts de l'influente compagnie. En
1764, elle est supprimée par un édit royal. En 1776, une commission,
dite des réguliers, est nommée par le roi pour réformer
"le clergé régulier". Un édit
du 24 mars 1778 prépare la disparition d'un grand nombre de monastères.
Les protestants profitent de la détente générale ; l'édit
de novembre 1787 leur rend l'état civil. Ce sont les signes avant-coureurs
de la prochaine liquidation. Cependant le clergé romain est toujours
le premier de la nation. Il est le plus riche, il est encore le puissant,
au moment ou va s'ouvrir la période de la Révolution française.
La suppression de la dîme, dans
la fameuse nuit du 4 août, inaugure, pour le clergé, un ordre
social nouveau. L'histoire des discussions, qui agitèrent alors l'Assemblée
nationale, est suffisamment connu et nous ne l'entreprendrons pas ici. On
sait qu'après avoir affirmé solennellement les droits de l'homme,
l'Assemblée, inquiète à l'annonce des troubles et des
violences qui affligeaient les provinces, lasses d'être pressurées,
dans un mouvement spontané déclara que l'impôt serait
désormais payé par tous les membres de la nation, que les droits
féodaux seraient rachetables, et que les servitudes seraient radicalement
abolies.
Ces sacrifices, acceptés du clergé
et de la noblesse par le souci de sauver du naufrage l'existence même
de leurs ordres, provoquèrent un bel enthousiasme. Avec une égale
sincérité, chacun affirmait son dévouement à
la chose publique par l'abandon d'un de ses privilèges, d'un de ses
droits séculaires. Il se produisit comme un entraînement à
la renonciation. A deux heures du matin, tout était consommé.
Aussitôt, les membres du clergé, se ressaisissant, accusèrent
l'Assemblée de précipitation.
Le 11 août, Camus se vit obligé
de combattre le maintien des Annates,
réclamé par de prétendus banquiers "en cours de Rome", qui en faveur de leur proposition
se disaient partisan d'une entente entre la France et l'Italie. Camus déclara
que les richesses expédiées à Rome étaient perdues
pour la France.
La veille, Sieyès avait démontré
qu'il avait été bien entendu, le 4 août, que la dîme
appartenait, en toute légitimité, à l'État et
que ce n'est point platoniquement que des sacrifices avaient été
faits à l'intérêt national.
Le projet d'arrêté destiné
à sanctionner les décisions prises pendant la nuit du 4 août
était en butte aux attaques sournoises de deux ordres qui s'étaient,
contre eux-mêmes, dépouillés de leurs plus chers privilèges.
Mais, en dépit de tous leurs efforts, la nation eut le dessus. Le 11,
tous les articles furent décrétés.
Le régime féodal était
à tout jamais anéanti. Les dîmes de toute natures se trouvaient
détruites, "sauf à aviser aux moyens
de subvenir d'une autre manière à la défense du culte
divin".
L'État paraissait donc, par cette
formule, reconnaître une obligation le liant au clergé. Cependant,
dans les écrits du temps, inspirés clairement par le tiers
ordre, on lit que le prêtre doit vivre désormais de l'autel
et que les fidèles doivent contribuer à la dot du pasteur.
Assurément, la situation de l'État vis-à-vis du clergé
n'apparaissait pas encore aux membres de l'Assemblée nationale sous
un jour très clair.
Le tiers état réformateur
se contentait du résultat positif atteint : 133 millions de livres,
soit 250 millions de francs (1901), revenant à la partie la plus travailleuse de la nation,
au lieu d'aller annuellement grossir les recettes du budget clérical.
Des obligations nouvelles, du fait même
de cette suppression, liaient-elles l'État au clergé ? Rien
ne paraît moins certain. mais il n'est pas moins vrai qu'une situation
équivoque venait de surgir, situation qui durera jusqu'au 10 octobre,
jour où Talleyrand spécifiera nettement les droits de la nation
sur le clergé.
L'évêque d'Autun était
partisan de l'accomplissement total des réformes. Il était d'avis
que l'État devait assumer toutes les charges qui pouvaient le rendre
tout-puissant. Mais l'état des finances n'était-il pas tel
qu'on ne saurait sans imprévoyance l'engager dans une série
illimitée d'innovations ? Et, puisque impérieuses sont les transformations
de la société, à quelles ressources extraordinaires
l'État a-t-il le droit de faire appel ?
Ce sont ces idées que Talleyrand
développa, le 10 octobre, avec une clarté remarquable.
Ces ressources extraordinaires ? mais où
les trouver, sinon dans les biens du clergé ? Et qu'on ne vienne point
prétendre que l'Assemblée fera subir à cet ordre la
faix d'une nouvelle charge. Les "charges politiques"
ne peuvent être qu'allègrement consenties.
L'évêque d'Autun envisage
ensuite les droits qu'a l'état de s'approprier les biens ecclésiastiques.
La nation souveraine peut sans conteste
mettre la main sur les biens vacants des associations qu'elle juge inutiles.
Cela est indiscutable. Peut-elle réduire le revenu des bénéficiaires
vivants ? Oui, si elle laisse au clergé ce qui est nécessaire
à sa subsistance. Le surplus, elle l'emploiera au soulagement des déshérités
de la nature et de la fortune, se substituant, de cette manière, à
l'Église qui, jusqu'alors, avait le soin de l'assistance et qui y
était tenue selon l'intention première des donateurs du clergé.
La totalité des fonds du clergé
s'élève à la somme de 70 millions et les dîmes,
qui doivent être acquittées quelque temps encore, à 80
millions.
Une fois en possession de la fortune cléricale,
c'est la subsistance de quatre-vingt mille ecclésiastiques qu'il faudra
assurer. Talleyrand explique comment il entend les voies et moyens de cette
opération.
Par la vente du capital, estimé
2 milliards, l'État rembourserait les rentes viagères et les
rentes perpétuelles sur le roi. Le déficit serait comblé.
Il resterait - 100 millions étant assurés au clergé -
35 millions pour former le premier fond d'amortissement, destiné à
adoucir la prestation de la dîme jusqu'au jour où elle serait
définitivement abolie.
De nombreux applaudissements accueillirent
la lecture de ce projet, dont l'impression fut ordonnée au nombre de
1 200 exemplaires.
Cependant il ne devait pas être donné
à l'évêque d'Autun d'attacher son nom à la réalisation
de cette grande opération financière.
Il est indéniable que son rapport avait montré à tous
l'opportunité de la réforme, mais la leur avait fait apparaître
complexe, difficile, savante ; mais ce n'est point un tel langage qu'entend
une assemblée politique. C'est ce que comprit Mirabeau avec son sens
affiné de conducteur de majorités. Aussi, deux jours plus tard,
le 12 octobre, inopinément, comme d'une manière épisodique,
Mirabeau, en peu de mots, demande que la propriété du clergé
fasse retour à la nation " à charge par
elle de pourvoir à l'existence des membres de cet ordre ",
et que la disposition de ces biens soit telle qu'aucun curé ne puisse
avoir moins de 1 200 livres avec le logement.
Le principe de la nationalisation était
ainsi posé.
Quand, le lendemain 13, la discussion s'ouvrit,
la droite fit remarquer qu'un tel procès de propriété
ne devait se juger qu'à la dernière extrémité.
Et les membres du clergé tentèrent l'impossible pour éluder
la question.
Mais on alla aux voix et l'Assemblée
décréta que la proposition de Mirabeau allait être examinée.
Camus affirma que l'État ne peut
toucher aux propriétés de l'Église, sans s'exposer à
détruire ce "corps social". Plusieurs
abbés s'essayèrent à prouver que la propriété
du clergé ne peut être revendiquée par l'État,
sinon contre tout droit et contre toute justice. L'abbé d'Eymar renforça
son opinion de cette assertion que c'est vouloir porter atteinte à
la religion que de salarier le clergé.
Mais Barnave revint au fait : la distribution
des fonds assignés au service religieux appartient-elle à la
nation ? Il est deux sortes de biens : ceux qui ont pour source la nation
et ceux qui viennent des fondateurs. Ces derniers appartiennent également
de droit à la nation.
Les fondations ayant pour double objet
l'assistance et le payement d'un service public ne sont qu'un dépôt
entre les mains du clergé. Et Barnave déclare que, sans le bon
vouloir de l'État, le clergé ne pourrait manifester aucune activité
propre ; les biens ecclésiastiques ne peuvent lui appartenir. Puis,
quittant le domaine de la théorie, Barnave montre que l'État
de chose national nécessite la nationalisation. La suppression des
dîmes a dépouillé inégalement le clergé
; il y a là une injustice à réparer. Enfin, dernier
argument, par la vente des immeubles de l'Église, l'État évite
la banqueroute.
L'abbé Maury répliqua que
l'Assemblée, en tolérant le procès de la propriété
ecclésiastique allait au-devant d'un péril social ; à
remonter à l'origine des propriétés, on aboutit à
la loi agraire. En outre, c'est ébranler les assises de l'État,
car si le clergé n'est pas propriétaire des biens fonds, s'il
est doté par le fisc, au premier revers dans les finances, les particuliers
refuseront de payer. La religion seule est la sauvegarde de l'empire.
L'ancien gouverneur de la Guyane, Malouet,
apporta au milieu de cette passionnante discussion une note personnelle.
Pour lui, il reste indiscutable que les
biens du clergé sont propriété nationale. L'État
doit en régler l'emploi, afin que leur double destination soit rigoureusement
remplie : entretien du clergé et soulagement des pauvres. Mais il ne
saurait les aliéner sans méconnaître ses devoirs essentiels
vis-à-vis de l'Église et vis-à-vis des malheureux ;
s'il lui est permis de disposer du revenu de ces propriétés,
ce ne peut être que les années où, grâce à
une meilleure administration, les ministères de l'Église étant
entretenus et les pauvres secourus, un excédent résulterait
des exercices.
Ce modus vivendi n'était
pas conçu sans habileté. Il rallia de nombreux curés
qui formèrent ainsi un parti intermédiaire, une minorité
agissante moins faible. Contre les questions de principe, que la majorité
posait inlassablement, on ne pouvait rien. Thouret proclamait que le clergé
ayant cessé d'être un corps politique, son droit de propriété
était inexistant puisque la loi ne connaît que les propriétaires
réels. Ces corps ne peuvent donc pas posséder ; sans spoliation,
la nation peut donc reprendre au clergé les biens qu'elle lui avait
seulement permis de posséder.
Les représentants du clergé
s'évertuaient à rétorquer ces arguments de droit et de
fait par un ensemble d'affirmations sèches, raides, scolastiques. Le
clergé est une personne morale, disait-ils ; il peut être propriétaire.
Le travail, les acquisitions sont de suffisants titres de propriété
; mais en réalité il a acquis à deniers comptants et
par échanges ; ces actes ne sont pas ceux d'un usufruitier, mais d'un
propriétaire.
Ce débat juridique eût pu
s'éterniser si Mirabeau, le 30 octobre, n'était venu trancher
la question avec son éloquence et sa logique coutumières. Loin
d'accorder au clergé une qualité d'usufruitier, il ne voit
en lui que le dispensateur des biens qui, depuis un temps immémorial,
était à la disposition du roi. Et il démontre qu'il doit
être le principe que la nation est seule propriétaire des biens
de son clergé.
Le 2 novembre, il combat de nouveau, avec
une force dialectique encore plus puissante, le second discours de l'abbé
Maury, tissé de menaces et sophismes canoniques. Il répond
aussi, moins sèchement toutefois, aux paroles de l'archevêque
d'Aix. Et il n'est pas une seule raison, parmi celles que le clergé
met en ligne, qui résiste à ses arguments politiques et théoriques.
" Vous allez décider
une grande question, dit-il. Elle intéresse
la religion et l'État. C'est moi, messieurs, qui ai eu l'honneur de
vous proposer de déclarer que la nation est propriétaire de
tous les biens du clergé.
" Ce n'est point
un nouveau droit que j'ai voulu faire acquérir à la nation ;
j'ai seulement voulu constater celui qu'elle a, qu'elle a toujours eu, qu'elle
aura toujours, et j'ai désiré que cette justice lui fût
rendue, parce que ce sont les principes qui sauvent les peuples et les erreurs
qui les détruisent."
Suivant Mirabeau, la nation a le droit
"d'établir ou de ne pas établir des corps"
. " Ce n'est point la réunion matérielle des individus qui
forme une agrégation politique. Il faut qu'elle ait une personnalité
distincte et qu'elle participe aux effets civils. Or de pareils droits, intéressant
la société entière, ne peuvent émaner que de
sa puissance."
Par la suite, la société,
ayant le droit d'établir, ou de ne pas établir, des corps, a
également "le droit de décider si les
corps qu'elle admet, doivent être propriétaires ou ne l'être
pas".
"La nation, dit-il, a ce droit, parce que
si les corps n'existent qu'en vertu de la loi, c'est à la loi à
modifier leur existence ; parce que la faculté d'être propriétaire
est au nombre des effets civils, et qu'il dépend de la société
de ne point accorder à tous les effets civils : des agrégations
qui ne sont que son ouvrage ; parce qu'enfin la question de savoir s'il convient
d'établir des corps est entièrement différente du point
de déterminer que ces corps soient propriétaires."
M. l'abbé Maury avait prétendu
qu'aucun corps ne peut exister sans propriété. Mais Mirabeau
lui répond :
"Quels sont les
domaines de la magistrature et de l'armée ? Quelle était donc
la propriété du clergé dans la primitive église
? Quels étaient les domaines des membres des premiers conciles ? On
peut supposer un état social sans propriété, même
individuelle, tel que celui de Lacédémone, pendant la législation
de Lycurgue. Pourquoi donc ne pourrait-on pas supposer un corps quelconque,
et surtout un corps du clergé, sans propriété ?"
Mirabeau continue en disant que partout
où des corps existent, la nation " a le droit
de les détruire, comme elle a eu celui de les établir"
" Il n'est aucun
acte législatif qu'une nation ne puisse révoquer ; elle peut
changer, quand il lui plaît, les lois, sa constitution, son mécanisme."
Il ajoute que l'Assemblée devant
laquelle il parle n'est pas seulement législative, mais constituante,
et qu'elle a, pour cela seul, tous les droits que peuvent exercer les premiers
individus qui formèrent la nation française.
Appliquant les principes au clergé,
Mirabeau en déduit que la nation a le droit de décider que "le clergé ne doit plus exister comme agrégation
politique".
Et si elle exerce ce droit, qu'en résultera-t-il
? que deviendront les biens du clergé ?
Mirabeau envisage plusieurs hypothèses
: Retourneront-ils aux fondateurs ? Seront-ils présidés par
chaque église particulières ? Seront-ils partagés entre
tous les ecclésiastiques ? La nation en sera-t-elle propriétaire
? Il lui paraît évident que seule la dernière est légitime.
" Tous les biens de l'Église n'ont pas des titulaires ; les titulaires
mêmes n'ont pas des détenteurs, et il faut nécessairement
que des biens qui ont une destination générale aient une administration
commune.
"Il ne reste donc
que la nation à qui la propriété des biens du
clergé puisse appartenir ; c'est là le résultat auquel
conduisent tous les principes."
Mais une question se pose alors : sera-t-il
de l'époque de la loi, que la nation sera propriétaire, ou
l'aura-t-elle toujours été ? Faut-il, comme dit M. l'abbé
Maury, tuer le corps du clergé pour s'emparer de ses domaines ? Ou
bien est-il vrai que l'Église n'a jamais eu que l'administration, que
le dépôt de ces mêmes bien :
Mirabeau soutient cette deuxième
thèse:
" En effet, dit-il, si tout corps peut
être détruit, s'il peut être déclaré incapable
de posséder, il s'ensuit que ses propriétés ne sont
qu'incertaines, momentanées et conditionnelles ; il s'ensuit que les
possesseurs des biens, dont l'existence est aussi précaire, ne peuvent
être regardés comme des propriétaires incommutables, et
qu'il faut par conséquent supposer pour ces biens un maître plus
réel, plus durable et plus absolu."
" ... C'est pour
la nation entière que le clergé a recueilli ses richesses ;
c'est pour elle que la loi lui a permis de recevoir des donations, puisque,
sans les libéralités de fidèles, la société
aurait été forcée elle-même de donner des revenus,
dont ces propriétés, acquises de son consentement, n'ont été
que le remplacement momentané. Et c'est pour cela que les propriétés
de l'Église n'ont jamais eu le caractère de propriété
particulière."
D'ailleurs, ne rentrent-elles point dans la même catégorie
que celles qu'on a appelées le domaine de la couronne ? Est-ce qu'il
ne serait pas au pouvoir de la nation de l'aliéner, d'en retirer le
prix et de l'appliquer au payement de la dette ?
Pour décider
cette question, Mirabeau compare les propriétés de l'Église
avec toutes les autres propriétés qui lui sont connues. Elles
n'en possèdent aucun des caractères.
" Ils n'ont pas été donnés à
des individus, mais à un corps ; non pour transmettre, mais pour administrer
; non à titre de salaire, mais comme un dépôt ; non pour
l'utilité de ceux qui devaient les posséder, mais pour fournir
des dépenses qui auraient été à la charge de
la nation."
Par contre, les possessions de l'Église ont la même
origine, la même destination, les mêmes effets que le domaine
de la couronne.
" Les biens, comme le domaine de la couronne, sont une grande
ressource nationale. Les ecclésiastiques n'en sont ni les maîtres,
ni même les usufruitiers ; leu produit est destiné à
un service public ; il tient lieu d'un impôt qu'il aurait fallu établir
pour le service des autels, pour l'entretien de leurs ministres ; il existe
donc pour la décharge de la nation.
" C'est donc pour
son intérêt personnel, et, pour ainsi dire, en son nom, que
la nation à permis au clergé d'accepter les dons des fidèles
; et, si le clergé cesse de posséder ces biens, la nation seule
peut avoir le droit de les administrer, puisque leur destination est uniquement
consacrée à l'utilité publique."
A la suite de ce discours, la sécularisation des
biens du clergé fut votée par 568 voix, contre 346 et 40 nulles.
Par ce vote, l'Assemblée n'avait, à vrai dire,
fait que poser le principe. Comment l'appliquer dans la pratique ? mais des
conséquences forcées découlaient naturellement de ce
vote.
Le 13, Treilhard
proposa de mettre le scellé sur tous les bénéfices, excepté
les cures ; ce qui fut décrété sur-le-champ. D'autre
part, le comité des finances s'inquiétait de l'état du
trésor. Le 19 décembre, un plan de son rapporteur, Le Coulteux
de Canteleu, proposait la création d'une caisse destinée à
recevoir le produit de la vente des biens du clergé, caisse devenue
nécessaire par le fait des votes précédents, particulièrement
celui du 17 décembre, par lequel Treilhard, au nom du comité
ecclésiastique, réclame la suppression de tous les couvents
et maisons religieuses " dont l'inutilité
est évidente". Ne seraient conservés
que les ordres qui se consacrent à l'étude et au soulagement
des malades. Le comité prévoyait des pensions pour les religieux
quittant le monastère.
De telles dispositions
étaient inspirées par un sévère souci d'équité.
Mais elle n'eurent pas le don de plaire au haut clergé qui ne se fit
point faute de manifester violemment son mécontentement. Déjà,
il adressait des menaces directes à l'État, encouragé
qu'il était par ceux de ses membres qui avaient passé la frontière.
L'Assemblée,
prise par l'urgence de débats nouveau, ne put discuter le projet de
Treilhard que le 11 février 1790.
L'évêque
de Clermont formula des vœux tendant à ce que les ordres monastiques
reprissent leur ancienne splendeur ; l'évêque de Nancy proclame
que le catholicisme est une religion d'État. La séance du 13
fut des plus tumultueuses. En face des insolences de la droite, la majorité
jugea trop modérées les propositions de Treilhard et elle décréta
que désormais la nation ne reconnaissait plus les vœux monastiques
et toutes les congrégations furent supprimées. Les établissements
de charité et d'éducation étaient cependant maintenus
provisoirement.
Cette loi porta au
comble l'irritation du clergé. Des tentatives contre-révolutionnaires
furent signalées en divers diocèses ; et, avant tout opération
financières, les immeubles de l'Église, que l'État avait
repris, étaient discrédités en chaque province.
D'autre part, la
dîme n'étant due que jusqu'en 1791, l'entretien du clergé
devenait un problème pressant. Mais, comme les domaines ecclésiastiques
répondaient seuls de cet entretien, il s'agissait de les arracher à
l'Église qui les détenait encore.
Tout d'abord l'Assemblée
eut souci de rassurer les futurs acquéreurs des biens dits du clergé.
Et comment, sinon en mettant à la charge de l'État la dette
totale du clergé ?
Ensuite, le 9 avril,
le rapporteur du comité des dîmes, le jurisconsulte Chasset
donna communication d'un projet de décret aux termes duquel le traitement
de tous les ecclésiastiques serait payé en argent. A cet effet,
une somme déterminée serait inscrite au budget de l'État.
Et les anciens bien ecclésiastiques, tenus en état par les
départements et par les villes, administrés par des citoyens
élus, produiront des revenus qui serviront uniquement à payer
les intérêts de la dette publique.
Chasset fixait les
frais du culte à 130 millions.
Il était donc
possible, avec une telle somme, d'assurer un traitement convenable aux membres
du clergé. Mais c'est le principe même du salariat, que l'Église
repoussait ; et elle ne pouvait se faire à l'idée qu'elle était
dépossédée de son titre de propriétaire. Il lui
paraissait que, sans richesse matérielle, son prestige avait cessé
d'être, ainsi que toute autorité morale et toute domination
temporelle.
Ainsi, est-ce solennellement,
au nom de tous les établissements religieux, que l'évêque
de Nancy déclare ne pouvoir consentir au décret et à
tout ce qui s'ensuivrait. L'archevêque d'Aix crut nécessaire
d'user de moyens de conciliation et fit une offre de 300 millions hypothéquée
sur les biens du clergé, qui en payerait les intérêts
et en rembourserait le capital par des ventes progressives. Mais l'archevêque
achevait son discours d'apaisement en évoquant la "puissance ecclésiastique", ce qui déplut à nombre de membres. Don Garbo
fut encore plus maladroit. "Il faut décréter,
dit-il, que la religion catholique, apostolique et romaine est et demeure,
et pour toujours, la religion de la nation, et que son culte sera le seul
autorisé." Un tel fanatisme, qui eut
été compréhensible un siècle plus tôt,
déchaîna le tumulte et ce fut au milieu de propositions et de
contre propositions, de harangue menaçantes que le projet Chasset
fut adopté dans son économie essentielle.
Le clergé
n'était plus désormais qu'un corps de fonctionnaires salariés
par l'État. En moins d'un an, l'Église catholique avait perdu
tous se privilèges : son pouvoir temporel, assise inébranlable
de sa domination spirituelle, lui était ravi par l'État, maître
de ses propre destinées.
Elle ne souffrit
point partielle déchéance. Ses ministres s'enrôlèrent
dans les rangs des ennemis de la révolution, tandis que la nation après
avoir détruit l'édifice de l'ancienne Église, se donna
pour devoir d'établir selon ses vues un nouvel ordre de choses religieux.
La constitution civile du clergé.
Le 6 février
1790, l'Assemblée avait chargé son comité ecclésiastique
de dresser un plan de réorganisation du clergé. afin d'accélérer
ses travaux, elle adjoignit à ce comité quinze nouveaux membres
qui, pour éviter les fâcheuses critiques, furent choisis parmi
les amis de l'Église.
L'Assemblée
avait à cœur de se tenir en dehors des matières spirituelles.
Son rôle, elle désirait le borner à déterminer
législativement les rapports que l'État devait entretenir avec
l'Église, à établir de nouveaux principes qui subordonneraient
le clergé, service public, à l'administration nationale.
Il paraît surprenant
que les réformateurs de l'Assemblée constituante n'aient pas
perçu ce qu'il y avait, dans leur tentative, de contraire à
la réalité, à la nature même des choses. Prétendre
transformer le clergé en un corps de salariés, soumis à
l'État, n'était-ce point méconnaître le caractère
de l'Église catholique, universelle, romaine, n'était-ce pas
renouveler l'erreur du gallicanisme, aboutissant à la bulle Unigenitus?
La temporalité
était l'unique domaine où les constituants se donnaient le droit
de légiférer. Mais dès l'instant où l'État
fait intervenir son autorité dans les matières de juridiction
ecclésiastique, n'est-il pas fatal de le voir aux prises avec des questions
de droit canon ? On croirait vraiment que nos grands laïcisateurs avaient
perdu le souvenir d'une époque, pourtant récente, où
s'était affirmée avec tant de force la toute-puissance de Rome
sur son clergé. D'autre part, si les visées de leur politique
étaient de susciter à nouveau une Église gallicane,
comment n'eurent-ils pas la prévoyance de la mettre à l'abri
de toute réaction, en s'assurant le dévouement de la plus forte
partie du clergé ?
Mais ce serait aller,
croyons nous, contre la vérité historique, que de prêter
aux hommes de 1789 un projet aussi résolu dans leur esprit.
L'Église temporelle
n'existait plus ; aucun des privilèges d'autrefois ne subsistait.
Cependant, la crédulité religieuse ne paraissait pas avoir
reçu des atteintes sérieuses ; à cette loi il fallait
des serviteurs. L'État commit l'erreur de s'imaginer qu'il lui était
possible de les créer de toute pièces, de sa propre autorité
; et cette assemblée, qui se révoltait quand on lui proposait
de décréter le catholicisme religion nationale, s'asservit
à une collectivité d'hommes vivant du commerce des croyances,
tout en prétendant les soumettre à son despotisme, elle qui
proclamait la liberté.
A cette époque
de la Révolution, la paix et la liberté religieuse eussent pu
être réalisées, si les esprits plus avisés avaient
su reconnaître dans le principe de la séparation des Églises
et de l'État, la solution de bon sens, la solution logique.
Bien au contraire,
dans l'état des choses qu'elle prétendait instaurer, l'Assemblée
nationale manifesta une légitime susceptibilité au sujet de
son indépendance. Elle se montra indignée, quand le pape Pie
VI prononça, le 29 mars 1790, la condamnation des principes révolutionnaires.
Et dans la crainte que ce clergé, qu'elle voulait à son service,
ne prit au pied de la lettre les paroles enflammées du Saint-Siège,
elle se décidera à rompre en visière avec Rome.
Mais, d'autre part,
l'Assemblée ne fut pas longtemps sans s'apercevoir que des ecclésiastiques
français, avec lesquels elle désirait négocier, lui
échappaient chaque jour. Par tous les diocèses ils lançaient
de fougueux mandements, encourageant la levée de libelles incendiaires,
fanatisant les populations et leur ouvrant le paradis si elles marchaient
d'une belle ardeur à la guerre sainte. De terribles émeutes
ensanglantaient le Midi et l'Ouest ; les anciennes congrégations devenaient
des armées et les autorités civiles, harcelées, insultées,
menacées, ne pouvant plus arrêter le flot des émeutiers
catholiques, faisaient le sacrifice de leurs jour.
Un tel spectacle
eut dû ouvrir les yeux de l'Assemblée. En quels rangs du clergé
avait-elle la possibilité de recruter ses troupes ? L'Église
toute entière s'insurgeait contre la nation !
Mais non, La Constitution
civile, en dépit des événements, fut portée à
l'ordre du jour le 29 mai et le 12 juillet, le projet était décrété.
Elle donna lieu à
des débats extrêmement laborieux. Le clergé répétait
comme une antienne que les pouvoirs de l'Église sont inaliénables,
imprescriptibles et illimités, que Jésus-Christ n'a pas donné
aux empereurs le gouvernement ecclésiastique et qu'enfin la législation,
la juridiction, l'enseignement sont ses droits inviolables.
Devant une pareille
irréductibilité, il apparaissait difficile de composer. Les
constituants ne se laissèrent pas rebuter, tant ils avaient conscience
que la nécessité sociale leur commandait la réglementation
civile de l'Église. Ils avaient beau entendre et souffrir des panégyriques
du pape dans ce goût : "Le pape a la primatie
d'honneur et de juridiction sur toute l'Église", ils ne s'émouvaient pas et persistaient dans leur
intention de soustraire le clergé français au pouvoir romain.
N'est-ce pas Robespierre qui déclarait l'obligation pour l'État
d'attacher étroitement les prêtres à la société,
de leur inculquer la nation de l'intérêt public ?
Les représentants
ecclésiastiques révoltés contre les "hérésies" des
réformateurs n'avaient pas à leur égard d'épithètes
assez blessantes. L'une d'elles était que l'on "conduisait la nation au presbytérianisme" ! La majorité fit bon accueil à l'accusation.
On proclama qu'en effet elle travaillait à fonder une Église
gallicane, libérée à tout jamais des doctrines ultramontaines.
Ainsi sa constitution
civile se ressent-elle, dans toute se parties, de ce souci de création
politique, de cet effort, pour dresser l'édifice juridique où
s'abritera la nouvelle Église.
Elle se divise en
quatre parties : la première est consacrée aux offices ecclésiastiques,
la seconde à la nomination aux bénéfices, la troisième
a rapport au traitement des ministres de la relation et le quatrième
établit les dispositions de la loi de résidence.
Le principe du
titre 1er est que la configuration des diocèses reproduira les divisions
départementales de l'empire. Les seuls titres reconnus par l'administration
sont ceux dévêques et de curés ; par la suite, les offices
autres que les évêchés et les cures sont abolis. De plus,
l'évêque ne devient qu'un président de consistoire ;
le conseil, qui l'assiste, donne souverainement son avis. Ainsi désormais
l'évêque ne sera plus le soldat obéissant du pape et,
partant, les appels en cours de Rome ne seront plus possibles.
Le titre II réglementait
la procédure de la nomination aux bénéfices. Les évêques
et les curés seraient les élus du peuple. En effet, ne sont-ils
pas assimilés aux fonctionnaires civils ? Or ceux-ci sont nommés
par une assemblée électorale ; et, comme tels, les ecclésiastiques
seront soumis à toutes les formalités ordinaires jusques et
y compris celle du serment. Quant à l'investiture, elle serait donnée
par le métropolitain du diocèse. Solliciter la confirmation
du pape eût été un acte de rébellion contre l'État.
Les curés
étaient élus parmi les prêtres ayant exercé le
sacerdoce pendant cinq ans. Après avoir prêté le serment
consacré d'être fidèle à la nation, à la
loi et au roi, l'élu était admis à recevoir l'investiture
canonique. Les curés avaient toute latitude pour choisir leurs vicaires.
On voit que la direction
de l'Église était mise tout entière dans les mains du
pays. C'est ce que les adversaires de la loi se refusaient à tolérer
; mais la disposition qui dépassait leur entendement était
celle qui dépossédait le pape du droit essentiel du pontificat
: le droit d'accorder ou de refuser l'institution canonique. Ils n'avaient
pas de mots pour exprimer l'effet d'un tel outrage sur leur âme de
chrétien. Quant à l'obligation du serment, c'était la
consécration du schisme ; les prêtres qui, cédant aux
mesures coercitives de la nation, jureraient respect à la constitution
seraient déchus de leur dignité de ministre de Dieu. Mais les
défenseurs du projet ne se dérobaient pas aux attaques. Et,
tout d'abord, ils justifiaient l'élection en rappelant l'état
primitif de l'Église, véritable démocratie. Et, pour
exprimer la raison de l'éloignement où la Constitution tenait
le pape, ils demandaient si le souverain pontife pouvait être autre
chose, aux yeux des Français, que l'évêque de Rome.
Le titre suivant,
qui faisait bénéficier le clergé d'avantages pécuniaires,
fut adopté sans difficultés. La gauche de l'Assemblée
s'éleva contre cette loi qui rentait trop magnifiquement, à
son avis, ceux-là qui n'étaient plus que des fonctionnaires.
La réclamation demeura sans écho.
En outre, Robespierre
invoqua la justice de l'Assemblée en faveur des ecclésiastiques
"vieillis dans le ministère et qui, à
la suite d'une longue carrière, n'ont recueilli de leurs travaux que
des infirmités". Libéralement,
de nombreuses pensions de retraite furent octroyées aux invalides.
Enfin, par la loi
de résidence, objet du titre IV, il était interdit aux évêques
de s'absenter de leur diocèse sans y être autorisé par
le directoire du département ; leur absence ne pouvait s'élever
au delà de quinze jours. De même, les curés et les vicaires
n'avaient pas le droit de séjour ailleurs que dans leur cure ; si
des nécessités impérieuses les réclamaient ailleurs,
le directoire du district examinait leur demande de congé.
Aussi l'Assemblée
ne pouvait-elle accorder aux ecclésiastiques le droit de poser leur
candidature à des emplois qui les auraient obligés à
rester éloignés de leur offices. Cependant exception est faite
pour les élections à l'Assemblée nationale et, d'autre
part, la raison d'interdire au clergé au clergé l'entrée
des divers conseils administratifs de leur commune ne subsistait plus ; l'Assemblée
même avait tendance à encourager les prêtres à
s'occuper des affaires publiques, puisque son ambition était de doter
la nation d'un clergé patriote et libéral.
Chaque article
donna lieu à de violents débats ; lentement, péniblement
on atteignit le 12 juillet et l'ensemble de la loi fut adopté.
Quelques jour plus
tard, le 24, Chasset, au nom du comité ecclésiastique, déposa
un projet de loi sur les retraites, destiné à compléter
les dispositions relatives au traitement du clergé. Les évêques
supprimés, selon les propositions du comité, devaient jouir
des deux tiers, à la condition que le tout n'excédât pas
30 000 francs ; les évêques conservés se démettant
de leurs fonctions recevaient pareille somme.
Il ne parut à
aucun des membres de la majorité que la loi n'était pas suffisamment
favorable au personnel de l'Église. On demanda même qu'il ne
fut rien donné à ceux qui ne prouvaient pas que leur retraite
était nécessitée par des raisons valables. Mais, par
esprit de conciliation et pour s'assurer le dévouement de tout le
clergé, les vues du comité furent adoptées.
Les largesses de
l'Assemblée, loin de désarmer les ecclésiastiques, ennemis
de la constitution, prirent l'aspect d'une faiblesse et l'incitèrent
d'avantage à la rébellion.
Le clergé
démasqua sa politique. Il s'efforçait d'agir à la fois
sur l'esprit du roi et sur celui du paysan ; l'un et l'autre étaient
sensibles aux prédictions fanatiques. A celui-ci, il évoquait
le roi, déchu de son autorité. A celui-là, il parlait
du maître de tous les rois, du vicaire de Jésus-Christ, couvert
d'invectives, bafoué, dont l'autorité spirituelle se trouvait
compromise, sinon détruite, par les lois hérétiques de
la Constituante.
Mais Pie VI,
malgré son désir d'entre en lutte contre la France révolutionnaire,
hésitait, tergiversait, tant il avait souci de ne point exposer son
domaine d'Avignon.
De son côté,
le roi, pris entre les incitations du clergé et les menaces réservées
de l'Assemblée, balançait à prendre une décision.
Tout - son éducation, ses intérêts, ses influences -
complotaient à lui faire opposer son veto à la promulgation
de la loi. Mais une telle indépendance vis-à-vis des législateurs
ne pouvait que mettre sa couronne en péril. dans son irrésolution,
il réclama le secours du pape ; celui-ci répondit que le dernier
mot sur la constitution appartenait au sacré collège. Dès
lors, Louis XVI, mis au pied du mur, promulgua, le 24 août, la loi
religieuse.
Les évêques
décidèrent de combattre sans le secours du pape ni du roi. L'archevêque
d'Aix lança un manifeste qui, après la réfutation des
théories laïques, provoquait à la guerre civile. Désormais,
l'Assemblée allait avoir, à l'ordre du jour de ses séances,
des interpellations incessantes sur les troubles cléricaux.
Sans tarder,
elle prit des mesures énergiques pour vaincre la révolte de
l'Église. Tous les évêques et les curés en fonction
furent tenus de prêter le serment constitutionnel, dans la huitaine,
sous peine de perdre leurs offices. Ce décret, présenté
par Veydel, fut rendu le 27 novembre, grâce à un discours de
Mirabeau, qui légitima, avec une abondante éloquence, tout
ce que l'Assemblée pourrait tenter pour assurer le respect de ses
droits.
Mais le roi ne peut se résigner
à sanctionner le décret. Le peuple se soulève contre
son souverain que Rome subjugue. L'émeute gronde. Le roi est soupçonné
de trahison. Et ce sera le premier ébranlement sérieux que son
royaume subira. Les assauts furieux et répétés de l'Église
contre le pouvoir national prépareront la mesure trop tardive, qui
deviendra le salut public, la séparation des Églises et de
l'État.
Il ne nous
appartient pas d'exposer ici tous les événements religieux qui
se placent entre la Constitution de 1790 et le décret du 27 novembre
1793. Avec eux, nous sommes dans la période de l'insurrection. Et,
s'ils forment comme une trame serrée, si les actes législatifs
auxquels ils donnent naissance paraissent découler légèrement
les uns des autres, c'est qu'à toute cette agitation il n'était
qu'un aboutissant politique : la dénonciation de l'erreur législative
de 1789, de la constitution civile du clergé.
Et si, par la force de choses,
on en arriva à abandonner l'Église, c'est que les législateurs
acquirent l'expérience que toutes les mesures qu'ils peuvent prendre
à l'égard du clergé révolté serait insuffisant
à assurer l'ordre et le respect de l'État laïque.
Le 18 septembre
1794, la Convention, par mesure de financière, sur proposition de Cambon,
vota un projet, qui d'abord posait en principe que la République française
ne payerait plus les frais ni les salaires d'aucun culte.
Ce principe,
Cambon le dit formellement, était "dans
tous les cœurs". Il n'était donc pas dicté
uniquement par un état des choses financier ; il résultait des
leçons de l'expérience. "Proclamez
un principe religieux, dit Cambon, de suite il faudra des temples, qui devront être gardés
par des personnes, qui s'en prétendront les ministres ; ils demanderont
des traitements ou des revenus. S'ils réussissent dans leur première
demande, ils élèveront bientôt de nouvelles prétentions,
et, sous peu, ils établiront des hiérarchies et des privilèges."
On ne saurait
mieux faire apparaître le danger que fait courir à l'État
une union avec l'Église. Mais, nous l'avons dit, ce n'est pas d'un
coup que les conventionnels de 1794 arrivèrent à posséder
une conscience aussi nette des intérêts supérieurs des
deux partis. De 1790 à 1794, l'étape fut longue, ardue ; sanglante
à plusieurs reprises, la solution finale ne manqua pas d'être
présentée, formulée même et désirée.
C'est d'abord
la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican, lorsque le pape, prévoyant
l'annexion d'Avignon, refusa de recevoir notre ambassadeur, M. de Ségur.
Dès que la nouvelle fut connue à Paris, le 30 mai 1791, le
nonce fut informé d'avoir à quitter aussitôt la France.
Rien alors ne put mettre un frein à la violence des ecclésiastiques
contre la constitution civile ; et de nombreux curés assermentés,
cédant à leur tendance ultramontaine, violèrent toutes
les prescriptions de la loi à plaisir afin de la rendre inexistante.
Ils ne tardèrent pas à atteindre leur but ; la Constitution,
qui avait donné naissance à un nouveau clergé maintenant
en révolte, n'était rien autre, à la fin de 1791; qu'un
poids mort, qu'un monument législatif tout en façade, sans
vertu, sans sanction, au nom duquel il fallait verser le sang, puisque l'Église,
en portant ses coups contre la Constitution, visait en plein cœur la nation.
Il est donc tout naturel que, dès cette époque, de bons esprits
aient cru politique pour l'Assemblée de détruire elle-même
son œuvre.
André
Chénier, dans une lettre adressée au Moniteur, le 22 octobre,
disait que les prêtres cesseront d'être dangereux le jour où
la nation se désintéressera des religions : " les prêtres ne troublent point les États
quand on ne s'y occupe point d'eux".
Le 6 février
1792, l'Assemblée législative demanda au ministre de l'intérieur,
M. Cahier de Gerville, un tableau général de la situation du
royaume. Celui-ci lut, à la séance du 18 février, un
exposé détaillé de l'état de la France. Ce qui
avait trait aux troubles religieux occupe la majeure partie de son rapport
; et, en matière de conclusion, il exprimait de judicieuses pensées
qui étaient le signe d'un nouvel état d'esprit.
Tout ce que peut faire une bonne
constitution, c'est favoriser toutes les religions sans en distinguer aucune.
Il n'y a point en France, de religion nationale. Chaque citoyen doit jouir
librement du droit d'exercer telle pratique religieuse que sa conscience
lui prescrit, et il serait à désirer que l'époque ne
fut pas éloignée où chacun eût la charge de son
culte. Le fanatisme est comme un torrent qui détruit et renverse toutes
les barrières qu'on lui oppose et qui s'écoule sans ravage
lorsqu'on lui ouvre les issues ... L'intérêt des prêtres
ne doit entrer pour rien dans le combinaisons du législateur. La patrie
attend une loi juste qui puisse entrer dans le code de peuples libres,
et qui dispense de prononcer ici les mots : Prêtres et religions.
Le 18 novembre
1792, au cours d'un important débat sur le régime des impôts,
Cambon monte à la tribune de la Convention et formule le principe de
la séparation tel qu'il découlait de la situation financière
de l'État :
"Ayant à nous occuper de l'état des impositions
en 1793, nous devons nous poser cette question : si les croyants doivent
payer pour leur culte. Cette dépense pour 1793, qui coûterait
100 millions, ne peut pas être passée sous silence, parce que
la trésorerie nationale ne peut pas la payer. Il faudrait donc que
le comité des finances eut l'impudeur de venir demander le sang du
peuple pour payer des fonctions non publiques. Votre comité a regardé
cette question sous tous les points de vue. Il s'est demandé : qu'est-ce
que la Convention ? Ce sont des mandataires qui viennent stipuler pour tout
ce que la société entière ne pourrait stipuler elle
même. Ils ne doivent point fixer des traitements lorsque chacun y peut
mettre directement la quotité. Alors il s'est dit : faisons l'application
des vrais principes qui veulent que celui qui travaille soit payé
de son travail, mais payé par ceux qui l'emploient."
Cependant, en dépit
de toute les raisons puissantes qui militaient en faveur de la proposition
de Cambon, Robespierre, Danton et quelques autres se rangèrent d'un
côté tout opposé. Selon eux, l'État devait continuer
à salarier son clergé pour ne point aggraver par une suppression
radicale le caractère de sédition qui éclatait de toutes
parts ; et la motion que Cambon développa en plusieurs séances
fut définitivement écartée.
Il la reprit
lui-même deux ans plus tard, quand la Convention décimée
ne pouvait plus lui opposer ses antagonismes d'autrefois. La situation financière
ne laissait pas que d'être encore plus alarmante, et les derniers conventionnels
eux-mêmes trempés dans la tourmente terroriste, ayant appris
jusqu'à quels crimes pouvait aller l'esprit d'insubordination du clergé,
inclinait vers l'unique solution capable de dissiper l'équivoque de
1790. Tous étaient partisans d'une rupture avec tous les errements
des premières heures de la Révolution que, par une fausse conception
des rapports du clergé et de l'État, il avait paru bon de conserver.
Mais, sauf le financier Cambon, nul ne s'aventurait à exprimer l'esprit
de la nouvelle politique.
Ce mérite
revint à Grégoire qui, le 23 décembre 1794, fit la lumière
sur les velléités communes à tous les conventionnels
et formula les véritables principes de liberté en matière
religieuse. Car il n'était pas suffisant de dire que, la constitution
civile n'existant plus, l'Église avait seule à prendre souci
d'elle même. Grégoire s'élève au dessus du moment
et spécifie qu'absolument, dans tous les pays et dans tous les temps,
l'État n'a pas à légiférer en ce qui concerne
les choses cultuelles.
"Le gouvernement, dit-il, ne peut adopter, encore moins
salarier aucun culte, quoiqu'il reconnaisse à chaque citoyen le droit
d'avoir le sien. Le gouvernement ne peut donc, sans injustice, refuser protection,
ni accorder préférence à aucun. Dès lors, il
ne doit se permettre ni discours, ni acte qui, en outrageant ce qu'une partie
de la nation révère, troublerait l'harmonie ou romprait l'égalité
politique. Il doit les tenir tous dans la juste balance, et empêcher
qu'on ne les trouble et qu'ils ne troublent.
Ils faudrait
cependant proscrire une religion qui n'admettrait pas la souveraineté
nationale, la liberté, l'égalité, la fraternité
dans toute leur étendue ; mais, si un culte ne les blesse pas, et que
tous ceux qui en sont sectateurs jurent fidélité aux dogmes
politiques, qu'un individu soit baptisé ou circoncis, qu'il crie Allah
ou Jéhova, tout cela est hors du domaine de la politique".
On ne peut pas mieux
dire. Nous sommes loin de l'opinion terre à terre de Cambon. Mais
Grégoire, sans doute, pêchait par le défaut contraire
; il perdait son époque de vue et disait la législation d'un
siècle plus calme. Il réclamait que les autorités fussent
chargées de garantir à tous les citoyens l'exercice libre de
leur culte, en prenant les mesures que commandaient l'ordre et la tranquillité.
Mais permettre le libre exercice du culte, n'était-ce point déchaîner
la fureur homicide du clergé contre la Révolution ? Néanmoins,
l'Assemblée manifesta clairement, avant de passer à l'ordre
du jour, qu'elle était assez détachée des religions
pour laisser les prêtres à leur pratique, " à la condition, dit Legendre, qu'ils ne rétrécissent
point l'esprit public".
Les événements
donnèrent raison à la Convention.. Il n'était pas un
point de la France où il ne fallut réprimer des émeutes
cléricales, sinon des batailles rangées ; la messe était
un acte subversif. Et ce ne fut que lorsque la Vendée, définitivement
écrasée, réclama, comme une justice, la libre pratique
des cultes que la Convention crut possible de détendre sa politique
de défense révolutionnaire.
Le 21 février,
elle étudia un projet de décret ne réglementant que la
police des cultes. C'était tout un ensemble de garanties contre tout
culte qui deviendrait exclusif ou dominant ; la liberté de chacun
était minutieusement protégée. Plus d'oppression vis-à-vis
de l'Église, mais une large et sévère surveillance.
Les communes ne
pourront acquérir ni louer de local pour l'exercice des cultes ; il
ne peut être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère,
ni établi aucune taxe pour entretenir les prêtres. Aucun signe
particulier à un culte ne peut être élevé, fixé
sur quelque lieu que ce soit, sauf les églises et dans les maisons
particulières. La République interdit en outre les exhibitions
d'emblèmes, les proclamations confessionnelles, le port de tout insigne
sacerdotal
Les sanctions à
toute cette série de prescriptions, nécessaires à rendre
réelle la liberté de conscience, étaient des amendes
de 100 à 1 000 livres et des emprisonnements d'un mois à dix
ans
A la faveur de cette
loi, l'ancien clergé constitutionnel se réorganisa promptement.
Le 17 mars, il lança une encyclique, à laquelle adhérèrent
de nombreux évêques assermentés. Sa politique fut d'amener
à lui les membres du clergé réfractaire ; mais il n'y
réussit pas.
D'ailleurs, bien
que très agissant, le clergé gallican avait perdu toute popularité.
Les croyants se tournaient vers l'Église dite orthodoxe, vers les
insermentés et les émigrés. Chaque jour, les prêtres
proscrits rentraient nombreux , et ils n'avaient rien de plus empressé,
aussitôt sur le sol de la République, que d'user de la liberté
nouvelle pour combattre les idées, les institutions et les hommes
de la Révolution. Si bien que les menées audacieuses des anciens
réfractaires provoquaient à la Convention, le 17 avril 1795,
un violent débat qui aboutit au décret du 1er mai, condamnant
à mort tous les émigrés saisis ;les prêtres insermentés
avaient un mois pour franchir la frontière.
Le clergé
antinational ne tenait, en effet, aucun compte du décret sur la liberté
des cultes ; il disait la messe dans des églises qui lui étaient
interdites et prêchait ouvertement le royalisme.
La loi du
21 février fut donc encore prématurée, puisque la révolte
contenue éclata plus violemment que jamais. Cependant, la République,
pour ne point exaspérer les esprits et pour faire cesser la guerre
civile, mit toutes les église non aliénées à
la disposition des prêtres qui feraient acte de soumission aux lois
du pays. Mais ce nouveau serment, le clergé voulut pas le prêter,
et il considéra cette formalité comme un prétexte pour
mettre encore en mouvement ses compagnies d'émeutiers. La Convention
dut encore voter des lois de bannissement et compléter la loi sur
la police des cultes.
Les prêtres
gallicans, par contre, protestèrent de leur égal respect pour
l'autorité civile et pour l'autorité papale ; mais leurs efforts
pour apaiser la lutte de l'Église romaine et monarchique contre la
République n'aboutit pas. Les prêtres réfractaires violèrent
chaque jour la loi sur la police des cultes. Le Directoire, pour anéantir
les ennemis de la nation, se résout alors à attaquer directement
la papauté ; Contre les prêtres insoumis, il vote des lois de
salut public. Mais les Anciens ne le suivent pas dans cette voie ; ils désiraient
plutôt l'indulgence à l'égard des révoltés
; et, le 5 septembre 1796, les prêtres étaient admis à
prendre jouissance des biens qui avaient appartenu à l'Église
d'autrefois.
D'un autre
côté, par l'intermédiaire du général Bonaparte,
le Gouvernement fait pressentir le pape pour le décider à prêcher
aux réfractaires la soumission à l'État. Le Saint-Siège,
qui apercevait dans la République de sérieux symptômes
de désagrégation, ne se hâtait point d'acquiescer ; le
triomphe de la contre-révolution l'assurait d'un meilleur avenir.
En effet, elle était déjà triomphante. Les réfractaires,
par la loi du 24 août étaient solennellement amnistiés
; il fallut que la république, dans un sursaut d'énergie se
défendit par la loi du 19 fructidor, véritable coup d'État
révolutionnaire. Le clergé insoumis et le pape subirent les
durs effets de cette loi. Celui-là, par des prescriptions en masse,
rapides et sans conditions ; celui-ci par par la lutte qu'il eut à
soutenir dans sa ville pour empêcher que ne se dresse, en face de son
pouvoir, un gouvernement démocratique.
A Rome, on
ne recula point devant l'assassinat de l'ambassadeur Basseville et du général
Duphot ; et la république dut lancer contre son ennemi une armée
qui fit prisonnier celui dont la Révolution avait tant à redouter.
Mais le régime
de fructidor ne fut pas sans réveiller le fanatisme. Partout, ce sont
des insurrections ; les provinces sont travaillées par les prêtres
qui, bien que bannis, viennent de nouveau ensanglanter la France. Plus qu'aux
périodes troublées que le pays vient de vivre, la passion contre-révolutionnaire
fanatise les esprits et devient, cette fois, invincible. Le directoire était
au dessous de sa tâche. Bonaparte s'offrit en sauveur.
Il voulut d'abord
la restauration religieuse. Rien n'était plus politique pour l'accomplissement
de ses ambitions. Un clergé gallican ne pouvait être utile à
Bonaparte, puisque ce clergé, en dehors de Rome, était sans
autorité sur le pays. Il était donc de toute nécessité
que les relations avec le Saint-Siège fussent reprises. Mais un tel
acte devait se produire à son moment. Bonaparte n'apporta aucune hâte
malencontreuse dans la poursuite de ses desseins.
La pacification
religieuse, il l'obtint par des mesures pondérées, où
les concessions mutuelles s'équilibraient habilement. Son ambition
n'était, semble-t-il, que d'assurer la plus complète liberté
des cultes ; il y arriva sans secousses. Que lui demander de plus ? Le clergé,
autrefois réfractaire, entretenait librement avec le Saint-Siège
les relations qui lui convenaient. Sous ce régime, la France revenait
au calme.
Toutefois,
Bonaparte poursuivait son idée. Pour exercer sur le pays le pouvoir
du maître, il avait besoin de rétablir en France les pratiques
religieuses d'autrefois ; de plus, pour la complète réussite
de ses ambitions politiques, il fallait qu'il pût mettre à leur
service la complaisance, sinon la complicité du souverain pontife.
Dès
la nomination du nouveau pape, le 15 mars 1800, le premier consul commença
ses avances. Du premier coup il offrait à Pie VII ses anciens États.
Par la même occasion, il lui demandait son avis sur l'état des
choses ecclésiastiques en France. Mais le gouvernement consulaire ne
paraissait pas suffisamment stable au Saint-Siège pour qu'il engageât
d'emblée des négociations.
Ce fut seulement
aux lendemains de Marengo que le pape, s'attendant à voire l'Italie
envahie par les troupes françaises, fit entendre à Bonaparte
qu'il était prêt à entamer des pourparlers. Selon le
désir du premier consul, c'est à Paris qu'ils s'ouvrirent. L'archevêque
Spina, bien que délégué officiel du pape, était
néanmoins sans pouvoirs pour traiter quoi que ce fût. Mis en
face du représentant du Gouvernement, il exposa d'une façon
si casuistique les prétentions du Saint-Siège, que l'accord
entre eux ne put établir.
Le plan de Bonaparte
n'était pas compliqué.
L'État
salarie les ministres du culte. On fait table rase : réfractaires et
constitutionnels donnent leur démission. Le premier consul désigne
les titulaires ; le pape donne l'institution canonique. Les évêques
nomment les curés. L'Église accepte la confiscation des biens
ecclésiastiques. tout le clergé prête serment de fidélité
au Gouvernement.
Sur ces bases
l'entente est possible.
Mais Rome a d'autres
visées.
En premier lieu,
elle veut qu'il soit proclamé que le catholicisme est religion d'État
en France. Quant au réfractaires, aux ennemis de la République,
ils avaient trop mérité de l'Église pour que le Saint-Siège
pût les contraindre à donner leur démission. Quant aux
évêques constitutionnels, il exigeait que tous reconnussent publiquement
leurs erreurs.
D'autre part, le
pape s'opposait aux règlements de police, quels qu'ils fussent. L'état
civil n'avait aucun droit de commandement, de surveillance sur l'Église
omnipotente. Enfin, en ce qui concerne les biens, il faisait abandon de ce
qui avait été aliéné ; mais il voulait que l'Église
pût recevoir des biens-fonds par voie de legs ou de donation.
Tels étaient
le desiderata du pape en face de ceux du premier consul. Bonaparte aima mieux
attendre l'écrasement de l'Autriche avant de conclure avec Rome. De
son côté, le pape désirait connaître les résultats
de la guerre avant de prendre de sérieux engagements avec le gouvernement
français.
Mais, après
le traité de Lunéville, alors que les armées françaises
occupaient tout le territoire de l'Église, Pie VII, par la force des
choses, dut négocier avec le premier consul. Le délégué
de Rome réclama Ferrare, Bologne et Ravenne. Il n'eut rien. Napoléon
ne voulait point entendre parler de restitutions tant que le concordat, tel
qu'il l'avait conçu et rédigé, n'aurait pas obtenu l'agrément
du pape. Et, pour brusquer les choses, le premier consul expédia à
Rome le diplomate Cacault, qui avait pour mission de forcer la main du pape.
Mais il n'aurait pu y parvenir. Le pape avait fait dresser un contre-projet
par une congrégation de cardinaux, et il se préparait à
connaître la réponse qu'allait lui faire le premier consul,
quand il reçut un avis officiel qu'un délai de cinq jours lui
était accordé pour accepter le Concordat
présenté par la France.
Aussitôt le
pape envoie à Paris un négociateur, muni des pleins pouvoirs,
le cardinal Consalvi, qui, voyant sur place combien les hommes du gouvernement
et des hauts fonctionnaires étaient contraires à l'idée
d'un concordat, eut la crainte de laisser échapper l'occasion de traiter
avec Bonaparte s'il ne lui faisait pas de pénibles mais nécessaires
concessions.
On ne parla plus
d'une religion d'État ; il fut question d'une religion catholique " qui est celle de la majorité des Français". Sur tous les autres points, Napoléon resta intraitable.
Il exprima même le désir de voir l'Église soumise , sans
arrière-pensée, à un règlement de police.
Le cardinal Consalvi
ne se permit aucune objection. Le 15 juillet 1801, le Concordat était signé, mais ne fut
mis en vigueur qu'au mois d'avril 1802, après l'établissement
de la législation à la police de cultes.
Il est indiscutable
que le mécontentement contre le premier consul fut très vif
dans toutes les sphères politiques fidèles aux principes de
la Révolution. Le conseil d'État même le désapprouva
par son silence. Le clergé constitutionnel, qui voyait de nouveau s'ouvrir
l'ère des bulles pontificales et qui, en sa qualité, n'ignorait
pas tout ce dont étaient capables la rouerie et l'astuce du gouvernement
romain, fit part à Napoléon de ses justes alarmes. Le Sénat,
le Corps législatif souffraient pour la dignité nationale,
car alors même que le Concordat était favorable aux intérêts
de l'État français, il n'en restait pas moins que la France
venait de conclure un accord avec le pape ; or la France de la Révolution
ignore Rome ; elle ne saurait négocier avec le maître de l'Église.
Mais par ses règlements
de police, Bonaparte ne doutait pas de voir se calmer l'émotion des
révolutionnaires. Le Concordat devait lui attirer les bonnes grâces
de l'Église ; ultérieurement il présenterait son interprétation
de l'acte consenti avec la papauté, le correctif nécessaire,
tous les tempérament propres à faire de l'Église, l'esclave
docile de l'État.
On comprend que
le premier consul n'ait éprouvé aucun besoin de dévoiler
sa pensée entière, il le ferait seulement le jour où
le pape serait pris, pieds et poings liés, dans le piège du
Concordat. D'ici là, il lui paraissait politique de laisser le champ
libre à la cour de Rome, de l'encourager même à se donner
des airs d'autorité souveraine.
Comme l'organisation
concordataire de l'épiscopat pressait, Napoléon fit des efforts
pour que le pape usât sans tarder des prérogatives que lui conférait
l'accord de 1801. En effet, il était temps que la nouvelle église
fût organisée sur les bases solides que l'on avait prévues.
Mais rien n'était moins facile. Pour nommer des évêques,
n'était-il pas nécessaire d'obtenir la démission des
occupants ? Or Bonaparte avait à cœur de réserver l'honneur
épiscopal aux anciens constitutionnels ; tandis que Rome ne
pouvait se décider à les faire rentrer dans la communion de
l'Église s'ils ne se soumettaient pas aux formalités humiliantes
de l'abjuration publique de l'erreur gallicane. Rome se montrait irréductible.
Pour lui forcer la main, Napoléon tenait en réserve ses fameux
articles organiques, dont il fit donner lecture au légat du pape,
dès que celui-ci eut légitimé les nouvelles circonscriptions
diocésaines et rendu possible le fonctionnement régulier de
l'Église concordataire.
Quelle est donc l'économie
générale de ces articles organiques que Napoléon considérait
comme le chef-d'oeuvre de ses ressources astucieuses ? Etaient-ils réellement
de nature à mettre en échec l'autorité romaine ?
Ce serait une grave
erreur de le croire. Un siècle d'expérience a démontré
la fragilité et l'insuffisance de ces précautions que le Saint-Siège
n'a jamais voulu reconnaître.
En premier lieu,
Napoléon céda aux instances du pape, qui se refusait à
observer toutes les prescriptions du règlement. Ainsi l'article 17
ordonnait l'information pour les candidats à l'épiscopat par-devant
l'ordinaire du lieu de leur résidence. Rome qui se considère
comme " la source de l'épiscopat", ne souffre pas de rester en dehors de l'acte préparatoire
à l'institution canonique, puisque cette institution est le lien avec
lequel elle a toujours tenu en laisse le monde chrétien et les empires.
La question était donc d'importance ; le pouvoir du Saint-Siège
en France en dépendait. Néanmoins, Napoléon se rangea
à l'avis du pape.
Ensuite, quelles
étaient les innovations de ces articles ? L'enseignement des quatre
propositions du clergé ? Mais ce n'était point une invention
de l'esprit révolutionnaire, puisqu'elles dataient de 1682 ; et, par
la suite, d'ailleurs, certaines des dispositions qui émanaient de
cet esprit, tombèrent en désuétude.
Cependant, il est
indéniable que, sur certains points, le nouveau règlement affirme
la prépotence du pouvoir laïque. Mais, après les années
que la France venait de vivre, et qui avaient consacré dans les mœurs
un nouvel état des choses, les législateurs ne pouvaient pas
suivre une marche opposés aux tendances de l'opinion publique.
Enfin, cette loi
sur la police des cultes n'est pas le contrepied du Concordat lui-même,
ainsi qu'on aurait voulu le faire entendre. Le Concordat, au dire des intéressés,
satisfait pleinement les besoins de la religion ; au culte, il assure la liberté
et la sûreté, il lui accorde des temples et des ministres. Les
articles organiques ne démentent d'aucune manière ces dispositions.
D'autre part, l'accord de 1801 est exempt de matière bénéficiale
; le clergé peut, de lui-même, pourvoir au nécessaire,
le superflu seul est interdit. Le règlement de 1802 reste aussi étranger
à cette question.
En outre, ce soit-disant
correctif de la convention avec Rome ne répare pas ce qu'avait d'antinational
cet acte quand il stipule que le Gouvernement français doit nommer
les évêques dans un délai donné, alors que le
pape n'a point de terme pour instituer. C'était mettre la France en
état d'infériorité vis-à-vis de Rome.
Avec le pape, Napoléon
essaya de jouer au plus fin ; mal lui en prit. Sa soi-disante Église,
qu'il voulait docile à ses ordres, ne fut rien autre que romaine.
Jamais, même au temps de la monarchie, elle se montra plus dépendante
du Saint-Siège ; dépouillée de ses biens temporels,
comment aurait-elle pu vivre en dehors des volontés de Rome ? Elle
était une indigente à qui il n'était plus possible de
se tracer librement un plan d'existence conforme à ses goûts,
à son tempérament.
Napoléon a
donc mis entre les mains du pape une arme dangereuse pour la France. Le salaire,
loin de produire un lien d'attachement entre celui qui donne et celui qui
reçoit, contribue plutôt à les éloigner l'un de
l'autre. En 1801, cette vérité était moins sensible.
On a voulu assimiler le clergé aux autres serviteurs de l'État
; le clergé a d'abord protesté, sa dignité lui faisait
un devoir de refuser ce qu'il considérait comme une aumône ;
par la suite, il a bien voulu consentir à recevoir son salaire, mais
il se vengea en se dévouant tout entier à Rome contre la France.
Cependant Rome crut
de bonne foi avoir été jouée, quand elle connut les
articles organiques. Dans le consistoire de 1802, le pape formula véhémentement
ses plaintes contre un règlement de police élaboré et
dicté sans son consentement. Mais n'eut garde de mécontenter
le 1er consul, le concordat dépassant ses espérances.
Les démêlés
de Napoléon 1er avec le pape n'entrent pas dans le cadre de ce rapide
exposé historique. Quels sont les actes législatifs qui sanctionnent
les relations de l'État avec Rome ? Telle et la question que jusqu'ici
nous avons eu en vue et qui, au début du nouvel état des choses
crées par le premier consul, sacré empereur, revêt à
nos yeux une importance spéciale, puisque nous entrons dans la période
contemporaine de ces relations.
Le pape, en retour
de la consécration religieuse du nouvel empereur, comptait bien recevoir
Bologne, Ravenne et Ferrare ; en outre, il espérait, à brève
échéance, de la magnanimité de Napoléon, le rétablissement
des ordres religieux et l'abolition des articles organiques. Sa déception
fut cruelle, car il n'obtint rien et, dès ce jour sans doute, il n'aspira
qu'au retour des Bourbons. La prise d'Ancône exaspéra encore
d'avantage ses sentiments d'hostilité à l'égard de l'empire.
Plus tard, l'occupation de Civita-Vecchia mit le comble à son indignation.
Le mariage de raison entre l'Église et l'État avait eu pour
effet, presque immédiat, de susciter querelles sur querelles. Napoléon,
il est vrai, était un prince trop remuant ; mais, de son côté,
le pape apportait tout son mauvais vouloir à l'expédition des
affaires religieuses de la France. Et ce n'est point tant parce qu'il an
avait contre l'empereur, mais bien plutôt parce que traiter avec l'autorité
laïque lui était insupportable. Lorsqu'il réclamait avec
tant d'insistance la restitution de toutes les parties de son domaine temporel,
c'était pour que l'intégrité de son autorité
spirituelle sur son armée cléricale ne fût pas atteinte
par une diminution de sa puissance matérielle et qu'il pût mieux
écraser les États du poids de sa domination. Dès qu'il
lui paraît que, sur les champs de bataille, Napoléon court à
un échec, aussitôt il s'applique à entraver lui-même
ses relations avec la France, à rendre son administration religieuse
plus tracassière, lente, compliquée. Mais, de plus en plus,
Napoléon fait sentir à la cour de Rome que c'est sa déchéance
temporelle qu'il vise et qu'il obtiendra, si les relations ne s'améliorent
pas ; l'invasion de l'État pontifical par le général
Miollis était un commencement d'exécution du projet impérial
qui se réalisa définitivement, quelques jours plus tard, par
la main-mise sur la puissance spirituelle du pape. Tout le sacré collège
fut épuré des cardinaux qui entretenaient des intelligences
avec les Bourbons, et, le 17 mai 1809, les États pontificaux étaient
annexés à l'empire. La papauté temporelle n'était
plus. Néanmoins, le pape conservait son autorité spirituelle.
Napoléon n'hésita
pas à s'y attaquer ; l'enlèvement de Pie VII n'a pas d'autres
raison, et il est indiscutable que la destruction du Saint-Siège était
dans la pensée de l'empereur .
La seule vengeance
permise au pape ne pouvait être que le refus de l'institution canonique.
Et du reste, le Concordat subsistait-il réellement ? L'une des parties
contractante avait enfermé l'autre à Savone !
Napoléon
ne trouvait pas l'expédient capable de mettre un terme à ces
difficulté inextricables. Il s'en remit du soin de la chercher à
une commission ecclésiastique, mais ce n'est pas une solution qu'il
lui demandait. Il désirait être simplement instruit sur les
véritables droits de l'Église.
Les travaux de la
commission traînèrent, puis furent brusquement interrompus par
le vote d'une loi réglant les rapports du pape et de l'empereur. L'État
pontifical formait deux départements français. Le pape ne disposerait
désormais que de son autorité spirituelle ; deux millions de
revenus lui étaient assurés et l'empire aurait la charge des
dépenses du sacré collège et de la propagande. En outre,
les quatre propositions de 1682 étaient proclamées lois de
l'empire.
Le Gouvernement donnait
ensuite l'ordre à tous les cardinaux romains d'évacuer les
domaines pontificaux, et il faisait saisir les archives du Vatican.
Les menées
, qui s'exercèrent autour de la captivité du pape, les complots
royalistes, qui, sourdement, se tramaient dans l'ombre, éveillèrent
les soupçons de l'empereur. Il vit que le schisme conduisait à
la restauration et se décida à convoquer une seconde commission
ecclésiastique pour parer du danger.
Elle se proposa trois
objets principaux : 1° prévenir les communications avec le pape
; 2° faire adopter une mesure relative à l'institution canonique
; 3° faire rendre la liberté au pape.
Quand la commission
et terminé ses travaux, à la fin mars 1811, quatre de ses membres
allèrent en députation auprès du pape lui annoncer que
l'empereur consentait à revenir au Concordat de 1801 si les évêques
nommés étaient institués ; que, de plus, il pourrait
se rendre à Rome, s'il prêtait le serment prescrit par le Concordat.
S'il refuse, il résidera à Avignon, avec la liberté
d'administrer à sa guise le spirituel, et un concile d'Occident sera
convoqué.
Le pape, en réponse
aux négociateurs, rédigea une note par laquelle il s'engageait
à accorder l'institution canonique aux sujets nommés, mais
il ne signa que le premier article des quatre propositions.
Il est compréhensible
que devant toutes ces intrigues l'opinion restât confondue. La convocation
d'un concile œcuménique pour le 9 juin 1811 fut un nouvel événement
qui attira l'attention du monde catholique.
Ce concile était
formé de tout l'épiscopat de France, d'Italie et d'Allemagne
; il se tint à l'archevêché de Paris. Son objet était
de régulariser l'ordre de l'institution canonique. M. de Pradt fait
remarquer que les Italiens paraissent plus gallicans que les Français
et ceux-ci plus Italiens, plus Romains que gallicans : voilà qui indique
que l'un des effets les plus remarquables de Concordat avaient été
de rapprocher l'Église de France de la Rome papale.
Dès l'ouverture
du concile, lecture fut donnée d'un message impérial ; c'était
une violente critique de l'attitude du pape, depuis la signature du Concordat.
L'intention formelle de Napoléon s'y trouvait formulée, d'instituer
dorénavant les évêques selon les formes antérieures
au Concordat, sans que jamais un siège pût vaquer au delà
de trois mois. Cette volonté du maître, que l'on sentait planer
menaçante déplut au concile ; ses membres demandèrent
que la liberté de discussion fût respectée par le Gouvernement
et, comme il n'en était rien, chacun s'employa à déranger
l'ordre des travaux.
La commission des
évêques proposa de déclarer le concile compétent
pour statuer sur l'adoption du mode d'institution par le métropolitain,
quand il y avait nécessité. Pareille proposition ne manqua pas
d'être repoussée ; le concile entendait que le pape, en matière
d'institution, fût le seul maître de déclarer incompétent
; c'était aller au devant de la dissolution. Des discussions sans
fin prirent naissance. Napoléon s'apercevait qu'un sentiment de vive
hostilité contre sa personne se manifestait en toute occasion. Loin
de devenir conciliant, il montra à tous que sa volonté était
prépondérante. Les ministres déclarèrent au Corps
législatif que le Concordat n'existait plus et que les évêques
assemblés n'avaient pour objet que de pourvoir aux sièges vacants.
Dès lors, toute idée de réconciliation paraissait bannie.
De son côté, le concile n'eut plus à cacher son jeu ;
il affirma sa politique romaine.
Cependant, désireux
de préparer un terrain d'entente, Napoléon essaya de faire prendre
le change à la commission du concile en lui annonçant que le
pape entrait dans ses vues. La supercherie était trop évidente.
Le concile, un instant abusé, s'abrita de nouveau sous l'autorité
suprême du pape.
Napoléon prit
un décret de dissolution et envoya au donjon de Vincennes les chefs
de l'opposition.
Le procédé
ne fut pas sans produire quelque effet sur l'esprit des prélats ;
ils se montrèrent disposés à venir à résipiscence
pour peu qu'on les y engageât. Napoléon aussi désirait
transiger à tout prix. Le concile démembré fut de nouveau
réuni ; le projet impérial se trouva être du goût
de tout le monde et son adoption se fit sans difficulté.
Il était donc
admis que les sièges épiscopaux ne pourraient être vacants
plus d'un an ; l'empereur nommerait les candidats et, dans les six mois,
le pape devrait donner l'institution canonique. En cas de refus, le plus
ancien évêque de la province ecclésiastique présidait
à l'institution.
Ce décret
devait être soumis à l'approbation du pape.
Une seconde députation,
composée de cinq cardinaux, fut envoyée à Savone. Le
pape accéda à tout ce qui lui était proposé et
sanctionna le décret du concile.
Le bref du pape paraissait
être selon les désirs de Napoléon ; néanmoins,
celui-ci crut lire entre les lignes l'expression d'une indépendance
invincible, de revendications temporelles, et il se demanda s'il n'était
pas joué. Il en eut bientôt la certitude quand, après
un long retard, les bulles d'institution canonique parurent ; le pape parlait
en maître comme si Rome était son domaine. Les bulles ne furent
pas publiées.
A cette époque,
les événements de Russie pressaient Napoléon ; aussi
voulait-il en finir avec la question du pape. Rien ne semblait plus difficile.
Pie VII se refusait à renoncer à la souveraineté de Rome
et Napoléon retardait la publication du bref parce que les prétentions
papales y étaient trop visibles. D'autre part, l'absence de conseillers
apostoliques auprès de lui interdisait au pape d'entamer de nouvelles
négociations.
Napoléon avait
hâte de brusquer les choses. Il fit connaître au pape que, si
le bref n'était pas révisé, le droit d'instituer les
évêques ne appartiendrait plus. Le pape répondit qu'il
n'obéirait pas aux injonctions tant qu'il ne jouirait pas d'une
pleine liberté. Nouvelle sommation, et, cette fois, plus autoritaire
que jamais. Mais elle resta sans résultats. Il fut donc notifié
au pape que les Concordats étaient abrogés et qu'il n'aurait
plus à intervenir dans l'institution canonique.
Le clergé,
s'étant, à maintes occasions, montré outré de
la conduite de l'empereur à l'égard du pape, ne se contint plus
et fulmina au grand jour contre le maître de la France. La réponse
ne se fit pas attendre.
Un décret
du 15 novembre 1811 porte un coup terrible à l'enseignement religieux,
en exigeant que les élèves des institutions libres suivent les
cours des établissements laïques et en inscrivant que toutes les
écoles pour candidats à la prêtrise soient soumises à
l'Université ; que, du reste, il n'en soit toléré qu'une
par département. En outre, les élèves des séminaires
n'obtiendront aucune sorte de bourses, et ils seront soumis au service militaire.
Les arrestations de prêtres loyalistes se multiplient à ce moment,
et les chapitres doivent obéissance aux évêques nommés
par l'empereur. Enfin, le pape est transféré de Savone à
Fontainebleau, ce qui paraît aggraver le caractère de sa captivité.
Mais après
le désastre de Russie, l'empereur revint plus conciliant. L'alliance
avec l'Église lui parut une consolation à ses déboires
; il fit tout pour aboutir à un rapprochement. Le 29 décembre
1812, l'empereur écrivit ses intentions à Pie VII. Peu de temps
après, l'évêque de Nantes se présenta auprès
du pape en négociateur. Mais cette première tentative resta
vaine. Napoléon alla lui-même à Fontainebleau, le 18
janvier. Quelques jours suffirent pour amener une entente parfaite, et le
25 janvier, le Concordat de 1813 était signé.
Le pape devait exercer
le pontificat en France et dans le royaume d'Italie de la même manière
et dans les mêmes formes que ses prédécesseurs. C'était
déjà une sérieuse concession à l'Église.
Mais le but de ce concordat était d'établir une institution
canonique régulière : il fallait que les vacances indéterminées
de sièges devinssent impossibles. Sur ce point, il paraît que
Napoléon a pu dicter ses propres instructions. Six mois étaient
accordés à l'empereur pour nommer et six mois au pape pour
instituer ; les six mois expirés, le métropolitain, et à
son défaut l'évêque le plus proche, aurait à procéder
à l'institution.
Mais, Pie VII avait
bien tenu à signifier qu'il acceptait ces dispositions par "considération à l'état actuel de l'Église"
Napoléon,
heureux d'être enfin parvenu à une résolution acceptable,
offrit au pape 300 000 fr. Pie VII les refusa. Il ne pouvait se résoudre
à accepter la paix, et il attendit une occasion pour revenir sur ses
engagements.
En effet, l'article
sur l'institution des évêques était, à ses yeux,
la négation même de la souveraineté spirituelle, et toutes
les concessions qu'avait pu lui faire Napoléon ne rachetaient pas
ce douloureux sacrifice. Pourtant, l'empereur étant allé jusqu'à
l'extrême limite des concessions que pouvait permettre le souci de
son prestige et la sauvegarde de ses droits.
N'avait-il pas, avec
l'abandon des articles de 1682, remis au pape les évêchés
de ses états pontificaux ?
Mais qu'était
cela pour le pape ? Ce qu'il réclamait, c'était l'intégrité
de sa puissance et, ne reculant pas devant une nouvelle rupture, il refuse
les bulles instituant les nouveaux évêques. Puis, par une lettre
datée du 24 mars, il reprit sa parole. Le lendemain même parut
un décret rendant obligatoire le concordat de 1813 à tous les
archevêques, évêques et chapitres, et déférant
aux cours impériales, et non plus au conseil d'État, le recours
comme d'abus.
Il n'était
plus possible de conclure un accord. Napoléon s'y résigna. Il
pourvu d'évêques les diocèses vacants et s'interdit toutes
relations avec Pie VI. Dans la suite, il réfléchit que se réconcilier
avec le pape serait d'un heureux effet sur l'esprit de ses ennemis, et il
fit dire à son prisonnier que la souveraineté temporelle ne
lui serait plus contestée s'il agréait l'amitié de l'empereur.
Pie VII se refusa à de nouvelles ouvertures, "la restitution de ses états, disait-il, étant un
acte de justice".
Pareille situation
eût été sans issue si les coalisés, en abattant
l'empire, n'avaient en même temps rendu au chef de l'Église sa
pleine et entière liberté.
Ils la lui rendirent
trop complète pour que les Bourbons pussent échapper à
son emprise théocratique. Ce furent eux qui, en livrant l'État
aux chaînes de l'Église, permirent à celle-ci de reprendre
un nouvel essor, une puissance qui pèsera sur tout un siècle
et contre laquelle le pouvoir laïc n'essaya de lutter que par intermittence.
Après Coblentz,
une nouvelle génération sacerdotale envahissait la France.
L'Église devint double. Il y avait plusieurs évêques pour
un seul siège, et le clergé resté en France n'était
que toléré. Une refonte le ferait disparaître.
Telles étaient
les disposition d'esprit des hommes de la Restauration à l'égard
de l'Église, de la Révolution et de l'empire. Leur programme
réformiste était dicté par la même haine des années
vécues depuis 1789.
Les rapports entre
l'Église et l'État redevenaient ce qu'ils étaient sous
la monarchie. Par conséquent, l'Église reconquérait sa
puissance temporelle. Les anciens diocèses étaient reconstitués
et le clergé doté en biens-fonds ou en rente perpétuelles.
Les ordres religieux pouvaient accroître leurs biens indéfiniment.
Les évêques réfractaires, connus sous le nom de "petite
Église", émettaient encore d'autres prétentions.
Louis XVIII n'était
pas d'avis de les suivre jusqu'au bout de leurs prétentions. La charte
proclame la liberté des cultes, mais elle dit que le catholicisme est
la religion de l'État. Les prêtres constituaient son entourage
et le circonvenaient. Après avoir détruit l'Université,
le 17 février 1815, Louis XVIII proposa à Rome de rétablir
le concordat de François 1er ; mais Pie VII répondit que le
Concordat de 1801 avait été librement consenti par lui.
Le retour de Napoléon
interrompit les négociations.
La seconde Restauration
déchaîna les fureurs réactionnaires que l'on connaît.
Elle voulut, plus encore que la première, l'Église toute- puissante.
Non seulement le parti des prêtres réclamait la restitution
des biens non vendus, mais même une inscription de rentes au grand
livre de la dette publique. Ses revenus eussent été de 82 millions.
La chambre introuvable regimba contre de telles prétentions. Il y
eut des royalistes assez avisés pour affirmer que l'État avait
le droit de supprimer les corporations ; que, par suite, la propriété
de ces corporations appartenaient légitimement à l'État.
L'article concernant le retour à l'Église des domaines non vendus
fut seul voté.
L'Église ne
se tint pas pour battue. La souveraineté par l'argent lui échappant
en partie, elle réclama le monopole de l'enseignement afin d'imprimer
une empreinte ineffaçable sur l'esprit des générations
futures et d'assurer ainsi son règne moral.
Louis XVIII se vit
déborder par les prêtres et leurs partisans ; il inclina vers
un léger libéralisme et fit reprendre les négociations
avec Rome.
Le 25 août
1816, l'ambassadeur du roi auprès du souverain pontife put enfin expédier
à son gouvernement un projet de concordat. Le concordat de 1516 serait
rétabli, mais celui de 1801 n'était pas annulé. Seuls,
les articles organiques devaient être établis. En outre, le
pape exigeait la démission des évêques qui ne reconnaissait
point le Concordat de 1801.
Ces propositions
n'eurent pas le don de plaire à Paris. Le gouvernement monarchique
n'était point opposé aux articles organiques.
De nouvelles négociations
aboutirent. Le 11 juin 1817, le quatrième concordat avait pris forme.
Son apparition remua
extrêmement l'opinion. Elle donna naissance à un nombre considérable
d'écrits, la plupart contre cette convention.
On était,
en effet arrivé à une époque où tout acte religieux
émanant de Rome inspirait une vive défiance. La plus violente
critique porta sur ce point que le Concordat est tout de matière bénéficiale,
alors qu'il n'y a plus de bénéfices. Et ces bénéfices,
il n'est pas dit quel en sera le nombre ni qui les payera.
L'opinion se révoltait
contre l'abolition des articles organiques, parce que publiés, disait
le Concordat, sans l'aveu du Saint-Siège et, parce que contraires
à la doctrine et aux lois de l'Église. Or en quoi atteignaient
ils ces lois ? On ne saurait le spécifier exactement ; mais il est
probable que le principal grief du pape consistait à reprocher à
ces articles la liberté qu'ils accordaient aux ordinaires d'informer
sur les évêques nommés.
Enfin, l'augmentation
des sièges épiscopaux paraissait exorbitante ; l'État
oubliait trop que c'était le contribuable qui devait en faire les frais. " L'ordre religieux se maintient par tributs publics, les
établissements religieux ne peuvent être multipliés que
par impôts." cette vérité,
M. Frayssinous la méconnaissait trop, lorsqu'il disait qu'il est bon
de multiplier les sièges pour qu'il y ait plus de prêtres et
plus de vocations. A quoi M. de Pradt répliquait : " M. Frayssinous entend-il que la France devienne
une tribu de Levi uniquement occupée à produire des prêtres
et de provoquer des vocations ?" D'autre part,
les évêques choisis étaient ceux qui s'étaient
signalés par une longue opposition à la constitution civile,
à la Révolution et à l'Empire.
L'opinion publique
n'était donc pas sans inquiétude. Pour la rassurer, le Gouvernement
publia un projet de loi garantissant les libertés. Mais il n'atteignit
que difficilement son but.
Le Concordat paraissait
antinational au premier chef. Il était contraire au droit public,
au gouvernement constitutionnel, au droit du gallicanisme. La France s'était
laissée imposer quatre-vingt douze diocèse ; elle avait toléré
que le pape, pour pourvoir à l'entretien de l'Église, assignât
lui-même une dotation en bien-fonds ou en rente de l'État.
Dans toutes ces
dispositions, le Concordat et la bulle de circonscription avaient l'aspect
d'une provocation à la société nouvelle.
On a dit qu'à
cette époque la France devenait une "terre
d'indemnités". Rien n'est plus vrai. Le
budget de 1818, à la charge du Trésor, était de 29 millions,
et encore faut-il ajouter à ce chiffre les dépenses locales,
les suppléments de traitements, les entretiens de cathédrales,
d'évêchés, etc., etc.
Mais le Gouvernement
se ressaisissait. Il décida qu'un projet de loi serait présenté
aux Chambres pour rendre la convention de 1818 plus acceptable ; mais, peu
après, il le retira, pour ne pas courir le risque d'aller à
un échec. Il aima mieux se contenter d'envoyer à Rome un négociateur
pour amender le Concordat ; ce fut le comte Portalis . Un accord eut lieu
entre Rome et la France sans qu'il y eut abrogation du Concordat. Il constitue
la France en pays d'obédience, c'est à dire que les évêques
en fonction ont l'autorisation d'administrer les nouveaux diocèses.
Cet accord, qui n'avait pour but que de pourvoir aux sièges vacants,
fait dépendre du pape tout l'ordre religieux.
Le clergé
se plaignait d'avoir été tenu à l'écart de cette
dernière négociation avec Rome ; on pouvait lui répondre
qu'il avait pris soin de faire défendre ses intérêts par
le pouvoir temporel. Cette observation qui faisait écrire à
un homme d'État de l'époque : "Le
clergé continue d'attacher son salut à la protection du temporel."
Le temporel d'alors
ne méritait pas le reproche de ne pas assez prendre soin du clergé.
Dans son rapport,
le ministre de l'intérieur trace au roi le tableau ancien et nouveau
de l'Église en France.
Avant 1815, le budget
du clergé actif était de 11 500 000 fr.
En 1819, il est
de 25 millions. Les pensions ecclésiastiques se montent à 11
millions.
Et cette somme de
33 millions était doublée, chaque année, par les suppléments
de traitement que votaient les conseils généraux et les communes.
Le traitement des
curés de 1re et de 2e classe augmentait en proportion de l'âge.
Les vicaires généraux et chanoines étaient inscrits pour
une somme de 5 000 fr. Les archevêques et évêques pour
la somme de 10 000 à 50 000 fr. Les séminaires recevaient un
supplément de pension de 300 000 fr. Les congrégations religieuses
avaient à se partager la somme de 200 000 fr. Et pour la réparation
des églises, on prévoyait une somme de 650 000 fr.
Le clergé
manifestait cependant le plus vif mécontentement. Dans leur lettre
au pape, les évêques, sous prétexte de réclamer
l'exécution du Concordat, se plaignent
de la précarité de leur traitement. Le roi dut s'engager à
faire jouir le clergé "d'une position
stable et définitive" et d'augmenter le
nombre des sièges épiscopaux, selon sa promesse et selon les "formes constitutionnelles".
Mais, répondant
au clergé, le pape annonce que le Concordat est suspendu, parce que
la création des quarante-deux nouveaux sièges est cause d'embarras
financiers et que le royaume ne cesse d'apporter des obstacles à l'exécution
du Concordat.
Les évêques
en fonctions conservaient l'administration des circonscriptions, conformément
à la bulle de 1801, et le pape instituait les évêques
nommés aux sièges vacants.
L'avortement du
Concordat exaspéra le parti clérical. Jamais, a-t-on écrit,
la cour de Rome n'a reçu "d'hommage aussi
ardents". Et quand les royalistes et les ultramontains
arrivèrent au pouvoir, après la chute du libéral Decazes,
l'église triompha pleinement.
Dix-huit nouveaux
sièges furent crées. La France était soumise à
Rome. Les contestations n'étaient plus possibles, puisque le Gouvernement
avait aliéné se droits de gouvernement libre. La question primordiale
qui parut nécessiter le Concordat, la régularisation de l'institution
canonique, n'a plus sa raison d'être ; les ultramontains agissent comme
bon leur semble, suivant les intérêts de l'Église universelle.
La Révolution
de 1830 ne fut pas irréligieuse, mais les hommes qui en bénéficièrent
paraissaient résolus à repousser les entreprises théocratiques
et à débarrasser le Gouvernement des doctrines ultramontaines.
Ils ne purent y réussir, soit que leur énergie combative n'égalât
pas celle du parti clérical, soit que la conscience des nécessités
politiques modernes leur fit défaut.
Et cependant le
programme d'action anticlérical était dicté, pour ainsi
dire, par l'église elle-même. Elle visait, pour l'instant, à
l'anéantissement de l'Université ; il était donc de
toute nécessité de protéger et d'affermir celle-ci.
Les congrégations, affluant de tous côtés, attendait
la chute de la rivale pour s'emparer de l'enseignement et arrêter l'essor
des idées d'émancipation ; il importait d'appliquer les lois
contre certaines d'entre elles et de dissoudre les autres. Rien de tout cela
ne fut fait.
Le clergé
séculier, aux ordre de Rome, put, sans risques ni péril, mener
la contre-révolution, de concert avec le clergé régulier.
Ils firent tourner au cléricalisme le plus éhonté, le
Gouvernement de Juillet ; ils dénaturèrent l'œuvre révolutionnaire
de 1848 ; ils préparèrent le coup d'État de Décembre
et triomphèrent sous ce régime, qui abattit définitivement
l'enseignement universitaire, favorisa les congrégations, protégea
le concile de 1869 et accomplit, en moins de vingt ans, un tel effort de réaction,
que la troisième République en est réduite à
étayer l'édifice politique de la Révolution sapé,
durant près d'un siècle, par ses pires ennemis.
Le labeur est immense,
car les crimes commis contre la liberté sont innombrables ; mais nous
atteignons le moment où nous verrons la chaîne se renouer.
Déjà,
par la libération de l'Université, par la loi sur les congrégations,
un vaste terrain est reconquis. Nous voici un jour où la séparation
de l'Église et de l'État mettra fin à ce mariage insensé,
contre nature, de deux parties qui ne parlent pas le même langage et
qui sont d'espèces différentes.
En 1830, il est
incontestable cependant qu'une victoire fut remportée. On supprima
de la charte que le catholicisme est la religion d'État. Un pareil
acte contenait comme l'engagement implicite de rompre tous les liens concordataires
avec l'Église. Lamenais, d'ailleurs, ne s'y trompera point quand, un
peu plus tard, il écrira que la séparation est inscrite dans
la charte du 7 août.
Cependant, en l'absence
de toute nouvelle réglementation, les principes du Concordat de 1801
et des articles organiques constituèrent la base des rapports entre
le Vatican et le gouvernement français. Mais le pouvoir laïque
restait incapable de faire respecter ce Concordat, qui n'avait pour raison
d'être que de l'asservir à l'Église ; tandis que les obligations
de l'État vis-à-vis du clergé étaient énormes,
celui-ci demeurait en dehors de tout engagement. Il y a plus : le clergé
combattait l'esprit dont s'était inspiré le Concordat en travaillant
à ruiner l'autorité civile et à se substituer à
elle.
Certains ecclésiastiques
répugnèrent à jouer ce rôle, non par pure moralité,
mais pour assurer le repos à leur conscience et pour combattre avec
plus d'indépendance ; ils s'élevèrent contre le Concordat
et en demandèrent la suppression. Un grand mouvement d'opinion prit
ainsi naissance : Lamennais, Montalembert, Lacordaire, tous ultramontains
déterminés, en étaient les promoteurs. Leur conception
n'était pas sans grandeur. Partisans de la prédominance du
spirituel sur le temporel, ils revendiquaient pour l'Église une indépendance
absolue. Libre, elle saurait conquérir la suprématie à
laquelle elle est appelée par la loi divine, s'emparer de ce qui est
de sa compétence et que l'État s'est approprié. L'Église
seule a pour mission de régénérer l'humanité.
Lamenais et ses
sectateurs ne pouvaient désavouer les conquêtes de la Révolution,
puisque, dans leur pensée, l'Église se substitue à l'État
pour réaliser le bonheur des peuples. Dès lors, l'Église
doit être elle-même et non plus compromettre sa cause en servant
des dynasties et des oligarchies ; et, en se séparant de l'État,
en refusant fidélité aux factions politiques, en n'étant
qu'universelle et apostolique, il ne serait plus possible de l'abîmer
d'accusation affreuses : complaisances envers le gouvernement, convoitises
temporelles, atteintes aux droits de l'homme.
Pour vivre
sa vie propre, il ne fallait à l'Église que la liberté
et l'égalité. Et, à la monarchie de Juillet se réclamant
de la Révolution de 1789, ce sont toutes les liberté que Lamenais
demandait pour elle : liberté des cultes, de l'enseignement, de la
presse, de réunion. Afin de mieux défendre, avec sa belle ardeur,
ses théories, Lamenais fonda, en octobre 1830, un journal politique,
l'Avenir, qui, dès son premier numéro, indiquait
sa tendance :
" Tous les amis de la religion
doivent comprendre qu'elle n'a besoin que d'une seule chose, la liberté.
Sa force est dans la conscience des peuples, non dans l'appui des gouvernements.
Elle ne redoute de la part de ceux-ci que leur dangereuse protection, car
le bras, qui s'étend pour la défendre, s'efforce presque toujours
de l'asservir ..."
La campagne de l'Avenir
dura un an. Elle fut ardente, impétueuse, mais remarquable par sa logique
et sa bonne foi. Maints articles fourmillent d'argument en faveur de la séparation,
qui, si elle doit affranchir l'Église d'une tutelle qui lui fait horreur,
n'en sera pas moins féconde en avantages pour l'État.
Et l'on ne saurait
dire que l'opinion de Lamenais demeurait sans écho. Innombrables sont
les lettres que le directeur de l'Avenir recevait des membres du clergé
et qu'il publiait à la bonne place. Plusieurs prêtres d'un diocèse
du Nord lui écrivent que le clergé " ne sera hostile à aucun gouvernement qui lui laissera
toutes les libertés et tous les droits spirituels qu'il tient de la
divine institution. Plus de nominations aux évêchés et
aux cures par les hommes du pouvoir, plus de budget ecclésiastique.
Nous voulons une liberté large, sauf la soumission aux lois et au droit
commun".
Un autre groupe de
curés signe cette autre déclaration : " Nous ne demandons au Gouvernement ni protection ni privilèges.
Nous préférons notre indépendance et la liberté
à de prétendus bienfaits. Entre Dieu et le Trésor, il
faut choisir. La liberté de notre conscience, de notre culte, de notre
hiérarchie, voilà notre premier besoin."
Les appréciations
de la presse parisienne sur la campagne de l'Avenir furent très
divers. Le Globe dit que l'État continuera à
payer le clergé , parce qu'il ne pourra se passer d'un Salvum
fac. Le Courrier français souscrit
à l'opinion de Lamennais. Liberté pour tous ; par ce moyen,
on déchargeait le budget national de 36 millions. LaGazette de
France craint que la suppression du budget des cultes n'entraîne
la chute de la plus grande partie des établissements ecclésiastiques.
Le Journal des Débats fait des réserves ; il s'étonnerait
qu'on accordât à une classe d'hommes une liberté sans
surveillance, que nul ne possède dans l'État. A cette objection,
l'Avenir répond : " L'État
connaît le citoyen ; il ignore le prêtre ; le prêtre n'est
atteint par l'État que quand il viole une obligation de citoyen."
Cependant, le Courrier
français, favorable à la séparation, se demandait
si "ce projet plairait aux archevêques,
évêques et aux prêtres catholiques. L'archevêque
de Paris consentirait-il jamais à renoncer à son palais épiscopal,
à ses 100 000 fr. de traitement et à Conflans ?" Et le Courrier raille M. de Frayssinous possesseur
de "canapés soyeux", d'un "billard", entouré de "toutes
les jouissances de la vie".
Ces encouragements
permettent à Lamenais de triompher. Il proclame que "la religion ne peut être sauvée que par la
liberté, et que la condition de cette liberté est la séparation
totale de l'Église et de l'État".
Et, à tous
ceux qui veulent des atermoiements, il demande "si les rapports qui unissaient l'Église à
l'État, lorsque celui-ci était catholique, peuvent subsister
lorsqu'il a cessé de l'être".
Alors, prenant une
plus exacte conscience de la justice de la cause qu'il défend, à
ses arguments secs, rudes, impitoyables il mêle des invectives, un
esprit sarcastique, dont ses adversaires se montrent confondus :
"Si Néron
ressuscitait, écrit-il, et qu'il envoyât un prétorien
vous demander un Te Deum, on vous condamnerait à le chanter.
S'il réclamait votre bénédiction avant de frapper le
ventre de sa mère et que vous eussiez l'audace de la lui refuser,
tous les préfets de l'empire vous adresseraient une proclamation,
au nom de l'honneur et de la patrie, pour vous rappeler que vous vivez des
bienfaits de l'État. Car, entendez-le : ils exigent de vous des prières
dont votre conscience ne reste pas juge et ils l'exigent en n'invoquant qu'une
raison ; c'est que vous êtes payés ; ils n'ont pas besoin d'être
justes : vous êtes payés.
"Ils n'ont point de compte à
vous rendre : vous êtes payés ... Catholiques ! voilà
ce que vous coûtent les millions de l'État : la liberté
de conscience."
Ainsi, par respect
pour la dignité de l'église la séparation de l'Église
et de l'État s'imposerait.
Elle s'imposerait,
parce que, nous dit Lamennais, "L'Église
veut accomplir ses destinées". De quel
droit l'État peut-il l'en empêcher ? Si ces destinées
sont périlleuses pour lui, il saura intervenir, pensent aujourd'hui
les partisans de la séparation.
On connaît
la fin de Lamennais et de ses théories, Celles-ci, il n'en faut pas
douter, furent partagées par l'ensemble du clergé, par les
humbles curés qui aspiraient à "n'avoir que dieu pour patrimoine". Mais elles furent désavouées par l'idole
même de Lamennais, par le pape. Quant aux évêques, ils
refusaient de devenir pareils aux "prolétaires". Le 15 novembre 1831, l'Avenir dur cesser de paraître.
Mais les opinions
qui y furent si âprement défendues ayant produit un certain ébranlement
dans l'Église, le pape, par son encyclique du 15 août 1832,
fulminait contre les principes de 1789, que le Concordat approuvait ; et,
fait étrange, la séparation y était condamnée
, comme attentatoire à la puissance spirituelle.
Les amis de Lamennais
poursuivirent la lutte dans un sens qui ne pouvait que plaire à Rome.
Ils ne parlèrent plus de séparation, mais réclamèrent
la liberté d'enseignement et la liberté d'association.
La monarchie de
Louis-Philippe s'inféodant de jour en jour au clergé, on ne
voit pas ce qui pouvait empêcher le Gouvernement de céder aux
instances de l'Église. Le budget des cultes atteignit la somme de
34 491 000 fr. en 1840 et il augmentait chaque année, selon une proportion
constante. Grâce à un nombre considérable de sociétés
religieuses militantes, les associations s'emparaient de tout le territoire
français. Les couvents et fabriques ouvraient leurs caisses
aux dons et legs ; la "main-morte" devenait formidable. les congrégations non autorisées
violaient la loi, sûres de l'impunité et essaimaient leurs établissements
en tous les départements, en toutes les régions. On disait que
les jésuites sortaient "de dessous terre" ; et, dès qu'ils apparaissaient en quelque endroit,
c'étaient des acclamations enthousiastes. Les doctrines des disciples
d'Ignace de Loyola formaient la substance de l'enseignement donné
dans des écoles religieuses. Une "association
catholique", composée d'éléments
divers, se posait comme l'état-major de cette guerre à outrance
contre la société civile ; elle encourageait les combattants
et leur indiquait les tactiques de faire triompher Rome.
La mission des soldats
du Christ était aisée, le gouvernement lui-même ouvrant
les partes aux ennemis de l'État.
Dès lors,
grassement renté, officiellement protégé, libre de s'enrichir,
bien stupide eût été le clergé s'il ne s'était
plaint que la monarchie ne lui accordait pas les faveurs, les avantages auxquels
il déclarait avoir droit. Selon ses dires, l'autorité laïque
n'avait pas à lui mesurer ses libéralités ou plutôt,
la restitution des pouvoirs spirituel ou temporel dont la Révolution
l'avait frustré.
Louis-Philippe pensait
sans doute comme le clergé. Et quand l'archevêque de Paris vint
lui dire que l'Église réclamait la liberté de l'enseignement,
s'il n'avait tenu qu'à lui de la décréter, il n'aurait
pas su refuser à l'Église un régime sous lequel elle
comptait écraser les dernières libertés.
Mais elle ne doutait
pas du succès. Guizot,
en 1836, lui avait donné des preuves certaines de son dévouement
en autorisant la création d'établissement libres. En 1843, ses
dispositions d'esprit ne paraissent pas moins favorables ; il se devait d'élaborer
une loi enfin efficace, démolissant les derniers remparts du monopole
universitaire.
En effet, le principe
de la liberté de l'enseignement fut consacré par la loi ; mais
le ministre Villemain, peu favorable aux jésuites, l'ayant présenté,
le parti clérical ne voulut pas considérer la force qu'il en
retirait. La surveillance et l'inspection de l'État étaient
à ses yeux des survivances d'une époque impie, et l'article
qui obligeait les directeurs à déclarer qu'ils n'appartenaient
à aucune congrégation non autorisée était condamnable
au premier chef par les lois de l'Église. Il disait que la liberté
d'ouvrir des institutions, presque sous condition n'avait rien de loyal.
Et Villemain se voyait voué aux gémonies, alors qu'il s'était
efforcé de plaire à Montalembert et de mécontenter les
Troplong, les Dupin, qui proclamaient les droits de l'État sur l'éducation
publique.
De nouveau, l'Église
fit entendre un branle-bas de combat. Elle réédita ses accusations
contre l'État qui, dans ses écoles, encourageait le parricide,
l'homicide, l'inceste, l'adultère, l'infanticide, etc. Le Gouvernement
subissait les pires affronts, souffrait les menaces. Il n'était plus
possible de faire face au débordement des passions cléricales.
C'est alors que l'on remarqua, au palis Bourbon, parmi les partis de gauche,
un courant d'opinion en faveur d'une rupture entière avec l'Église.
Déjà en 1843, Lamartine, à la tribune, avait avoué
qu'il ne connaissait qu'un moyen à l'État pour résister
aux assauts des factions cléricales : la séparation. Quand,
un an après, la loi Villemain fut mise en discussion, cette opinion,
bien que prévalant chez les républicains, n'osa s'affirmer
avec force et conviction.
Le 24 mai 1845 à
la suite de débats passionnés, la loi sur l'enseignement secondaire,
amendée dans un sentiment clérical, fut adoptée par
la Chambre des pairs. La surveillance et l'inspection n'appartenait plus
à l'État, mais à un conseil de l'enseignement. C'était
dire que l'Université n'avait plus la confiance du pays.
Cependant, la Chambre
des députés ne paraissait nullement disposée à
voter la loi. Thiers, rapporteur
du projet, énumérait toutes les garanties auxquelles l'État
ne pouvait renoncer. Son rapport bannissait les complaisances que l'on serait
tenté d'accorder aux partis de l'Église. Et, timidement encore,
il laissait entrevoir la nécessité pour le gouvernement d'enchaîner
le cléricalisme par une loi sur les congrégations
Jamais les jésuites
n'avaient été aussi redoutables. Incroyables était leur
pouvoir sur les croyants ; et l'Église tout entière se trouvait
entre leurs mains. Poussé par eux, l'archevêque de Lyon ne venait-il
pas de condamner les articles organiques ?
Il avait une opinion
favorable à la répression. Thiers ouvrit les hostilités
; il démontra que les lois sur les congrégations n'avaient cessé
d'être en vigueur et que les évêques français inféodés
à l'ordre des jésuites constituaient un "péril national".
Son ordre du jour
était explicite mais le Gouvernement ne cacha pas qu'il aimait mieux
s'entendre avec Rome. Il en fut ainsi décidé.
Les jésuites
s'organisèrent pour la résistance. Et, quand Rome répondit
au Gouvernement que les jésuites n'existeraient plus en France, ils
étaient prêts à interpréter à leur façon
la volonté du pape. Ce fut une duperie.
Du reste, ce qui
suivit montre amplement que Thiers et les autres avaient été
joués.
Le comte de Salvandy,
succédant à Villemain, élabora, à son tour, un
nouveau projet de loi sur l'enseignement, de concert avec des conseillers
à sa dévotion. L'Université n'était plus consultée.
Le ministère l'avait achevée.
Aussi l'Église,
reprenant confiance, assura le succès des élections de 1846.
Ses candidats annonçaient que "la lutte
pour la liberté religieuse n'aurait ni fin ni trêve". Ils devinrent, au Parlement, une majorité importante.
Et, pour le gouvernement, les élections prenant le caractère
d'une indication formelle, la tolérance vis-à-vis de l'Église
devint politique.
Sous le couvert même
de l'État, qui cessait de jour en jour d'être laïque, les
congrégations prirent une nouvelle vigueur, tandis que les professeurs,
les fonctionnaires civils se voyaient dénoncés, persécutés,
poursuivis. La délation des hommes et des doctrines était à
l'ordre du jour.
Et le clergé,
inassouvi, continuait à se plaindre. Son porte-parole auprès
du pape fut l'archevêque de Paris lui-même. Le projet de loi Salvandy
était devenu insuffisant. D'ailleurs, à quoi bon cacher son
jeu ? L'Église disait bien haut qu'elle voulait l'anéantissement
de l'État.
Ainsi, durant tout
le règne de Louis-Philippe, la lutte de l'Église contre l'État
fut surtout dirigé contre l'Université. C'était elle
qu'il fallait abattre pour que l'écroulement de tout l'édifice
laïque s'ensuivit.
On sait que que
la révolution de 1848 fit surgir un état d'esprit à la
fois socialiste, républicain et catholique. Sans doute, les idées
de Lamennais avaient germé.
Dans ce retour aux doctrines de
la primitive Église et à lévangile, où la bourgeoisie
libérale reconnaissait, sans difficulté, les rudiments d'un
bon gouvernement démocratique, le haut clergé ne se berçait
pas d'illusions. Ses visées n'avaient pas cessé d'être
la conquête intégrale du pouvoir spirituel par l'enseignement
et la soumission absolue de la France à l'ultramontanisme.
Nul doute qu'à
cette époque le clergé plébéien n'ait éprouvé
une sincère sympathie envers les sentiments fraternitaires, mais chez
les catholiques de haute volée, l'attachement aux opinions démocratiques
n'était que calcul ; les faits qui suivirent ne le prouvèrent
que trop.
Lamennais et certains
de ses amis restèrent fidèles à leurs idées. Ils
s'imaginaient que la séparation de l'Église et de l'État
était une mesure qui ne pouvait que trouver bon accueil au sein d'une
Assemblée libérale. Erreur ; la Constituante, après avoir
affirmé qu'il est des devoirs et des droits antérieurs aux
lois positives accorde la liberté à tous les cultes, sans renoncer
à salarier le clergé.
Il est vrai que
le Concordat, avec ses articles organiques, apparaissait comme un monument
législatif quelque peu démodé, depuis qu'une Constitution,
animé d'un souffle nouveau, régissait les Français. De
bons esprits pensèrent que les rapports entre l'autorité et
le pouvoir spirituel réclamaient une consciencieuse révision.
Le comité des cultes eut à examiner des propositions ; mais
aucune n'aboutit, les ecclésiastiques du comité ayant fait ressortir
que les législateurs français, sans le consentement et les
lumières du pape, ne pouvaient s'autoriser à refondre les lois
concordataires.
En revanche, le
comité consacra de longues séances à discuter des propositions
de réforme, qui toutes s'inspiraient du souci de républicaniser
le sacerdoce. Mais de nouveau on rencontra l'opposition des évêques.
L'idée de 1789, d'appeler le peuple à l'élection des
évêques, sans être théoriquement combattue, fut
repoussée comme impraticable. De même, il ne fut pas possible
de faire admettre que les desservants, ne jouissant pas de l'inamovibilité
curiale fussent en droit d'être assimilés aux curés après
cinq ans d'exercice. Mais les évêques avaient trop grand soin
de défendre l'intégrité de leur autorité despotique
pour qu'on pût leur adhésion à de telles formules.
Voilà qui
montre suffisamment que l'Église, loin d'abandonner les privilèges
qu'elle tenait du Concordat, manifestait, à chaque occasion, sa ténacité
à défendre pied à pied le statu quo de 1801. Ce
qui suivra fera jaillir les idées cachées et montrera que ses
ambitions, sans limites, encore non avouées, aspiraient jusqu'à
détrôner l'État.
Pour atteindre à
ses fins, elle avait sa politique. Rien ne lui aurait servi de découvrir
son jeu ; avant de ruiner le prestige de l'État et de le démanteler,
elle avait à l'utiliser.
L'autorité
temporelle du pape étant mise en danger par les révolutions,
qui allaient changer la face de l'Europe et constituer de nouvelles nationalités,
le clergé n'eut de cesse, avant d'avoir convaincu le Gouvernement que
les traditions françaises lui commandaient de courir au secours de
Rome. Mais pour qu'un pareil acte pût s'accomplir, elle aperçut
fort bien qu'une toute autre politique gouvernementale devait être inaugurée.
N'est-ce pas elle qui a contribué de toute son influence au succès
du coup d'État qui confia les destinées de la France au plus
dangereux des princes ? En tant que président de la République,
Louis-Napoléon lui avait donné les plus sérieux gages
de son dévouement ; grâce à lui, le pape rentrait en
possession de ses États et, par la suite, de sa puissance temporelle
et l'enseignement prenait d'emblée un caractère nettement anticlérical.
La main mise sur l'éducation, l'Église ne pensait réaliser
que plus tard cet article de son programme ; d'un coup sa prédominance
s'établissait au centre même du pouvoir national. C'était
une seconde campagne de Rome, selon le mot de Montalembert, une "campagne de Rome à l'intérieur". Le comte Falloux,
ministre de l'instruction publique, la mena à bien.
Il présidait
lui même la commission à qui était confié le soin
d'élaborer la nouvelle loi. Thiers faisait fonction de vice-président,
obéissant aux ordres de Dupanloup, de Montalembert, de Riancey. Les
débats furent vivement menés ; mise en discussion en janvier
1850, la loi fut votée le 15 mars de la même année.
En voici les dispositions essentielles
:
Un conseil supérieur
de l'Université groupait huit membres de l'Université, trois
archevêques, un évêque, un ministre protestant, un ministre
de la confession d'Augsbourg, trois conseillers d'État et trois membres
de l'Institut ; chacun d'eux était élu par ses pairs ; le gouvernement
ne désignait que trois représentants de l'enseignement libre.
Les attributions
de ce conseil étaient suffisamment vastes pour priver l'Université
d'une direction directe et effective de l'enseignement ; règlements
d'examens, de concours, programmes, surveillance des écoles libres,
autorisations de livres, créations de facultés, de lycées,
etc., etc.
D'autre part, les
conseils académiques dirigeaient sans contrôle enseignement primaire
et enseignement secondaire qui étaient, l'un et l'autre, accessibles
aux religieux. Le titre de ministre du culte suffisait pour professer dans
les écoles primaires et aucune autorisation administrative n'était
requise pour ouvrir une école libre, secondaire ou primaire.
De tous côtés,
la loi ouvrait des voies d'accès à l'envahissement du clergé.
L'Église triompha
et dès lors ne se crut plus tenue à cacher l'audace de ses
entreprises. Après l'enseignement, l'assistance publique devint l'objet
de ses convoitises. Le gouvernement n'eut garde de la mécontenter ;
dans toutes les lois sur la bienfaisance, l'influence cléricale fut
favorisée et devint prépondérante.
Le Concordat lui-même
n'était plus observé. Les évêques quittaient leurs
diocèses ; ils allaient à Rome recevoir des bulles pontificales.
Bien plus, ils se plaçaient en dehors du droit commun sans être
inquiétés ; les conciles, les synodes se multipliaient, alors
que pour les autres citoyens la liberté de réunion avait disparu.
Il est tout naturel
que les conséquences financières de cette renaissance cléricale
aient été importantes. En 1848, le budget des cultes était
de 42 millions ; en 1852, de 44 millions ; en 1858, il dépassait 46
millions.
En outre, l'État
subventionnait de nombreuses communautés. Et les couvents, par les
dons et legs autorisés et par des fidéicommis, atteignaient
un chiffre de fortune considérable. En 1859, les congrégations
étaient propriétaires de 14 66O hectares de terre ; la valeur
des immeubles leur appartenant s'élevait à 105 millions ; leurs
valeurs en portefeuille restaient ignorées.
Quant aux congrégations
non autorisées, rien ne s'opposait au développement de leur
influence et de leurs richesses.
Les prescriptions
de l'autorité laïque était impunément violées.
La loi Falloux portait
ses fruits. Les écoles primaires n'avaient qu'à de rares exceptions
des instituteurs laïques. Et, dans l'enseignement secondaire, le nombre
des lycées et des collèges diminuait, tandis que les établissements
libres se multipliaient et prospéraient. En 1850, 914 écoles
dirigées par des évêques, des prêtres séculiers
ou des congrégations, étaient signalées ; en 1854, elles
étaient au nombre de 1 081. D'autre part, des séminaires pour
enfants possédaient au bas mots 25 000 élèves.
Enfin, les ordres
hospitaliers prenaient une influence toujours plus grande. Les hôpitaux
s'ouvraient aux sœurs de la charité ; les petites sœurs des pauvres,
en moins de quatre ans, acquéraient pour plus de 25 millions de francs
de biens-fonds déclarés. Des sociétés de propagande,
sous le couvert de la charité, agitaient l'opinion et rendaient l'Église
plus militante, plus active qu'elle n'avait jamais été.
Napoléon
III laissait donc l'Église prendre soin de ses intérêts
en lui accordant toutefois la plus large protection. Il n'avait que le soucis
de marcher sur les brisées de son oncle et il rêvait d'être
sacré pareillement par le Saint-Siège. Mais celui-ci entrevoyait
l'affaire sous l'aspect d'un marché ; il imposait ses conditions :
abolitions des articles organiques et de la loi sur le mariage civil. Napoléon
résista et les négociations avortèrent.
Le résultat
fut un changement dans la politique de l'empire. La loi Falloux fut amendée
dans un sens plus libéral : le nombre des académies passa de
86 à 16 et les recteurs jouirent d'une plus grande indépendance
vis-à-vis de l'épiscopat.
Mais l'empereur allait
avoir d'autres occasions de lutter contre l'ultramontanisme vainqueur.
Pie IX, mis en
goût par la puissance temporelle et spirituelle que depuis longtemps
Rome n'avait pas possédée à un tel degré, formait
le projet d'en finir avec les principes de la Révolution. L'Église,
il se l'était promis, devait dépasser son omnipotence, en absolutisme,
en intransigeance, tout ce que les papes rois du moyen âge avaient
pu rêver.
En premier lieu,
l'Église avait à s'affirmer infaillible. Pie IX n'avait pour
cela qu'à agir en souverain absolu, au mépris de tout concile
œcuménique. Il proclama donc, de sa propre autorité, le dogme
de l'Immaculée conception de la Vierge, le 8 décembre 1854.
L'épiscopat,
que Rome n'avait pas consulté, ne se rebiffa point, tant il s'était
donné corps et biens, à l'ultramontanisme. Mais Napoléon
témoigna quelque humeur contre Pie IX, qui décelait trop ouvertement
sa fiévreuse ambition. Ensuite, l'empereur se rapprochait de Victor-Emmanuel
; et ce ne pouvait être qu'au préjudice du pape, car un des
premiers articles du programme piémontais était le démembrement
de l'État pontifical. Dès que l'empereur le sut, il mit au
service de la cause italienne l'armée et l'argent de la France ; mais,
dès que son entourage lui présenta qu'il s'aliénait
l'Église s'il persistait dans sa politique internationale, il signa
avec l'Autriche les préliminaires de Villafranca.
Cependant, le peuple
italien, qui voulait, à tout prix, réaliser l'unité nationale,
ne comprit pas que l'on arrêta la révolution. Le traité
de Villafranca disait, en effet, que la confédération italienne
aurait le pape comme président honoraire, à la condition qu'il
introduisit dans son royaume les réformes indispensables. Mais de
telles stipulations ne pouvaient être prises au sérieux
; le pape se refusait à les admettre, tandis que les initiateurs du
mouvement populaire entendaient que le mouvement unitaire ne reçût
aucune entrave.
Cette agitation détruisit
la bonne entente qui jusque-là avait régné entre l'empire
et l'Église. Napoléon, attaqué par le haut clergé,
encourageait ceux-là qui prêchaient au pape l'abandon de sa
souveraineté temporelle. Et lui-même écrivit à
Pie IX de renoncer à ses légations qui naturellement, par la
force de choses, se détachaient de lui.
La réponse
du souverain pontife fut une encyclique déclarant qu'en vouloir à
son autorité spirituelle équivalait à haïr son
pouvoir spirituelle, et que les États du Saint-Siège étaient
la légitime propriété, non de la papauté, mais
du monde catholique.
Ces véhémentes
protestations n'empêchèrent pas l'annexion des légations
pontificales au Piémont. Pie IX en fut réduit à excommunier
ses spoliateurs.
Alors, le catholicisme,
sans distinctions de nuances, déclare la guerre à l'Empire, "fauteur de désordre", choryphée de l'anarchie. L'on vit se répandre
des brochures cléricales, où les théories les plus séditieuses
se donnaient carrière. D'un autre côté, les partis démocratiques
reprochaient à l'empereur d'avoir manqué à ses engagements
par le traité de Villafranca.
Le gouvernement impérial
se maintient en protestant du dévouement de l'empereur au Saint-Siège
et en donnant des ordres pour que les troupes françaises quittassent
Rome.
Cette duplicité
ne pouvait qu'aggraver l'état de choses. L'empereur crut trouver un
modus vivendi; il fit connaître au pape qu'il était prêt
à lui garantir l'intégrité des possessions qui ne lui
avaient pas été confisquées, et que les puissances catholiques
ne lui refuseraient pas un subside et un corps de troupe. L'orgueil du pape
était trop irréductible pour qu'il acceptât ; c'est à
l'aristocratie catholique qu'il se résolut à jeter un appel
désespéré. On sait que ce ne fut pas en vain.
Un nouveau Coblentz
sembla renaître à Rome, et l'irritation de Napoléon s'accrut
d'autant.
L'audace du pape
précipita le dénouement. Son armée, défaite à
Castelfidardo, mit fin aux hésitations. Cavour ouvrit à Turin
le premier Parlement italien.
L'Église,
blessée au cœur, gémit et se révolta. Les mandements
épiscopaux prirent la couleur d'appels à la guerre civile ;
ils suscitèrent parmi les croyants la plus vive émotion. Et
bientôt toute la bourgeoisie conservatrice, et même libérale,
manifesta à l'égard de l'empereur une indignation telle que
celui-ci, en manière de réponse, tempéra son absolutisme
gouvernemental. Le sénat et le Corps législatif furent autorisés
à juger la politique impériale, et le prince Napoléon
eut toute la liberté pour combattre à la tribune la puissance
temporelle de la papauté. On vit alors les partisans cléricaux
de Napoléon passer dans le camps de l'opposition, exhaler leurs lamentations
en face de leurs espoirs ruinés.
Napoléon,
aigri par cette agitation, n'aurait pas répugné à se
rapprocher de Rome ; mais Pie IX repoussait toutes les ouvertures de transactions
comme injurieuses pour sa dignité. D'ailleurs, il n'était pas
sans agir ; 280 ecclésiastiques venaient, par son ordre, d'affirmer
l'inviolabilité des domaines pontificaux et de jurer fidélité
à une théocratie absolue, négation radicale de tous les
principes du droit moderne.
Toutes ces démonstrations
accusaient plus profondément le divorce moral entre l'État laïque
et l'Église. Napoléon le sentit tellement qu'il engagea la
Russie et la Prusse à reconnaître le nouveau royaume d'Italie.
Mais, cédant aux instances de certains conseillers, craignant que
sa majorité d'autrefois ne tournât à la légitimité
ou à l'orléanisme, Napoléon imprima à sa politique
une direction nouvelle. A l'Italie, qui réclamait Rome pour capitale,
il ne répondit pas; au parti clérical qui, depuis des mois l'outrageait
et le vilipendait, il fit des avances pour la constitution d'un ministère
conservateur. Le maintien du pouvoir temporel du pape devint, aux élections
de 1864, l'article primordial du programme des candidatures.
Néanmoins,
Pie IX ne sut aucun gré à l'empereur de ce revirement. Il ne
craignit pas de lui créer des embarras, dès qu'il en eut l'occasion.
De vive force, il imposa la liturgie romaine au diocèse de Lyon. Et
il s'obstina dans ses errements gouvernementaux, si opposés, si contraires
aux principes de 1789.
Il est vrai que
la France blessait les convictions du souverain pontife. Après l'opposition
gouvernementale, de bons catholiques battaient en brèche sa politique
théocratique. Au congrès de Malines, Montalembert fit le procès
de l'Inquisition et réclama toutes les liberté, jusques et
y compris celle de "l"erreur".
De telles "hérésies" décidèrent
enfin Pie IX à rompre les liens qui créaient quelques solidarité
entre lui et les États laïques, à condamner radicalement
les sociétés issues de la Révolution.
La convention du
15 septembre 1864, par laquelle la France et l'Italie s'engagèrent
à respecter Rome, si l'ordre n'y était pas troublé, parut
au pape une menace dissimulée, d'autant plus que les deux gouvernements
lui avaient laissé ignorer les négociations.
Le
Syllabus
Pie IX n'y tint plus
et se sépara avec éclat d'une société qu'il abominait.
Le 8 décembre 1864, l'encyclique Quanta cura apprit
au monde la rupture complète du droit laïque et des principes
théocratiques, la déclaration de guerre ouverte, sans trêve
ni merci, que le pape adressait aux gouvernements qui refusent de se soumettre
à sa puissance temporelle et spirituelle. Et pour qu'il n'y eût
pas d'équivoque, Pie IX spécifia dans le Syllabus
les quatre-vingt propositions qualifiées : Erreurs principales de
notre temps, que Rome tiendrait pour hérétiques.
La prépotence
du pouvoir civil, la libre recherche de la vérité, les droits
de la conscience, la neutralité scolaire, le droit civil, le suffrage
universel, la police des cultes, la civilisation moderne, l'indépendance
de la morale et de la philosophie vis-à-vis du catholicisme, la science,
la liberté de la presse et de la parole, tels sont les objets principaux
que le souverain pontife vise et réprouve. Enfin la séparation
de l'Église et de l'État est la cinquante-cinquième proposition,
que l'on ne saurait formuler sans encourir les foudres de la Rome papale.
Les catholiques se
voyaient donc dans la nécessité de prendre parti pour l'État
ou pour l'Église ; de proclamer celle-ci supérieure à
celui-là ou d'abjurer leur foi.
Beaucoup d'entre
eux - le plus grand nombre - avaient, depuis longtemps, promis obéissance
à Rome ; quant aux intolérants, ils résistèrent
dans leur conscience aux injonctions de la papauté. Les évêques
lancèrent des mandements destinés à faire connaître
aux fidèles l'esprit de l'encyclique et du Syllabus ;
dans leur chaire, ils commentèrent abondamment les deux documents
romains. Un seul gallican osa les critiquer. Le gouvernement impérial,
qui vainement s'opposa à la propagation des paroles papales, mis moralement
en demeure de se prononcer, répondit, selon la coutume, d'une façon
détournée, en projetant de faire décréter la
gratuité et l'obligation de l'enseignement primaire. Duruy fut chargé
du rapport. Mais Napoléon, circonvenu par Thiers et par un certain
nombre de conservateurs, qui réagissaient contre l'opposition républicaine,
désavoua le rapport Duruy.
Puis, quelque temps
après, Pie IX ayant réprimandé les ecclésiastiques
fidèles à l'empereur, Napoléon, las de cette ingérence
continue de Rome dans ses affaires, se rapprocha de l'Italie unifiée,
en ordonnant le rappel du corps d'occupation.
Cependant, comme
il apparaissait de bonne politique de ménager les ultramontains, il
déclara respecter la souveraineté temporelle du Saint-Siège.
Mais il est nulles
transactions qui puissent tempérer l'ardeur du clergé militant
; l'œuvre laïque de Duruy était maintenant le point de mire de
l'Église. Que prétendait-il inaugurer ? La soumission des congrégations
enseignantes au droit commun. Rome encourageait ses fidèles de France
de ses prédications théocratiques. Pie IX, au mois de juin
1867, exaltait le Syllabus devant 450 évêques
et projetait, ce même jour, la réunion d'un concile œcuménique
pour décider que la politique nouvelle du Saint-Siège sera
enseignée comme un dogme et que l'infaillibilité pontificale
deviendra un acte de foi. Il rêvait d'une monarchie papale et tenait
à s'assurer le concours des évêques dans les luttes futures
; ceux-ci, après la destruction de l'Église monarchique, n'avaient
plus que le pape comme objet de sincère attachement. Contre les révolutions
politiques et sociales, qui pouvaient de nouveau survenir, ils estimaient
que l'Église trouverait la force de résister aux assauts de
ses adversaires dans la fusion intime des pouvoirs ecclésiastiques,
dans l'absolutisme de ses doctrines et de ses commandements. Ce coup d'État
religieux jugé nécessaire, un concile œcuménique fut
convoqué pour le 8 décembre 1869.
Dans sa bulle d'induction
de 1868, le pape indiquait que le but du concile était de fortifier
la discipline ecclésiastique ; d'examiner et de déterminer ce
qu'il convient de faire "en ces temps si calamiteux
" pour proscrire les "sectes impies" et "redresser
les erreurs qui bouleversent la société civile".
De nouveau, le gouvernement
impérial allait être anathémisé par le prochain
concile ; ce n'était point douteux. Et pourtant il avait sacrifié
à cette Rome intolérante la précieuse amitié
de la jeune Italie, vaincue à Mentana par l'armée même
de Napoléon. Contre ce pouvoir exorbitant du Saint-Siège, qu'il
avait à la fois louangé et blâmé, critiqué
et protégé, il ne lui était plus possible de conclure
une alliance pour la suprême sauvegarde du droit moderne.
Les intentions de
l'Église ne pouvaient cependant faire illusion aux gouvernements des
puissances dites catholiques. Pour lutter contre "l'esprit du siècle",
contre le "mal",
il n'était à ses yeux qu'un procédé : ériger
en lois positives, en dogmes, le contenu et de l'encyclique et du Syllabus,
affirmer les droits inébranlables de Sièges apostolique.
Du reste, la bulle
de convocation, le 29 juin 1868, fut commentée dans la basilique de
Saint-Pierre en des termes tels que les fidèles et les dirigeants des
nations purent avoir un avant-goût de ce que seraient les prochains
débats du concile. Le concile, disait le doyen des protonotaires apostoliques,
devra "réprimander tout vice et repousser
toute erreur, afin que notre auguste religion et sa doctrine salutaire reprennent
partout une vigueur nouvelle, qu'elles se propagent de jour en jour, qu'elles
reconquièrent leur légitime empire".
Les convocations
furent faites aux cardinaux, aux évêques, aux abbés, selon
les traditions des précédents conciles. Seulement, pour la
première fois, les "princes laïques" ne reçurent aucune invitation. N'étaient-ce
pas eux qui, autrefois, convoquaient les conciles, les imposaient au pape
? Benoît XIV remarquait même que la présence des princes
ou celle de leurs ambassadeurs relevait l'éclat des conciles.
La bulle de Pie
IX ne faisait que s'adresser indirectement à ces "princes laïques" en un
langage quelque peu dédaigneux : " Nous
voulons croire, disait-elle, que les souverains et les chefs des peuples,
particulièrement les princes laïques, reconnaissent de plus en
plus avec quelle abondance tous les biens découlent de l'Église
sur la société humaine ..."
Mais n'était-ce
pas consacrer, par une situation de fait, la rupture politique entre les États
moderne et l'Église, que de ne point inviter les princes laïques
à assister aux travaux du concile ? Par la publication de l'Encyclique
et du Syllabus, Pie IX s'était inscrit en faux contre
l'esprit même du Concordat de 1801 : la reconnaissance par la papauté
de la Révolution de 1789 et de toutes les réformes juridiques,
politiques et sociales qui en découlaient, sécularisation de
l'État, expropriation des biens du clergé, abolition des corporations
religieuses, etc. ne point consulter le pouvoir civil, c'était donc
confirmer ouvertement la dénonciation du Concordat par Rome elle-même.
Et il parait indiscutable
que la séparation de l'Église d'avec l'État laïque
était une volonté expresse du Saint-Siège ; mais c'était
une séparation morale, en quelque sorte, la dénonciation d'un
Concordat fondé sur des théories impies, mais aussi la conservation
de ce même Concordat en tant qu'il assure à l'Église
des avantages pécuniaires. La casuistique seule peut expliquer cette
subtilité.
La bulle d'induction
présentait aussi une nouvelle doctrine : celle de l'infaillibilité
pontificale. Une telle innovation suffisait à infirmer la valeur légale
du Concordat, l'Église revêtant un caractère spirituel
et temporel qu'elle n'avait pas au temps des négociations de 1801.
Il eût été opportun pour nos hommes politiques et nos
jurisconsultes de l'époque d'envisager la situation nouvelle créée
par l'Église et de s'éloigner du pape, puisqu'il prétend
être roi du monde spirituel et temporel, tout-puissant, infaillible,
avec qui, par conséquent, ne saurait être conclu ni contrat
ni concordat. Des avantages, des privilèges, comment les lui concéder,
les lui reconnaître, puisqu'il n'est aucun prince du temporel au-dessus
de lui ?
Le concile s'ouvrit
le 8 décembre 1869 à la basilique de Bramantes et de Michel-Ange.
Dès le début, il apparut que l'Église aurait recours
à la pire intransigeance pour combattre le principes laïques.
L'archevêque de Paris, plus libéral que ses coreligionnaires,
en informe l'empereur et n'hésite pas à faire appel à
son intervention. Il avoue d'abord que la liberté de discussion n'est
pas respectée ; puis :
"je me demande, dit-il, si l'intérêt général, l'intérêt
de de la société religieuse et civile n'exige pas qu'on nous
vienne en aide. Le gouvernement de l'empereur ne pourrait-il pas faire connaître
au gouvernement pontifical les appréhensions que les débuts
du concile causent même à des esprits sérieux et non
prévenus, et lui laisser entrevoir les conséquences possibles
des tendances et des agissements signalés ... ? ne faudrait-il pas
dire au public ... que l'on veille à ce que les intérêts
dont l'État est le défenseur soient suffisamment sauvegardés
et à ce que la bonne entente, établie entre les deux autorités
par le Concordat, ne soient pas compromise comme elle le serait certainement,
si les résolutions du concile étaient trop peu en rapport avec
les institutions, les lois et les habitudes de la France ? "
Mais le gouvernement
impérial se montrait résolu à se désintéresser,
comme incompétent, des objets que le concile discutait.
Cependant, le 21
janvier, les pères du Concile reçurent un schéma sur
la constitution de l'Église, le schéma nommé de
Ecclesia. Il est divisé en quinze chapitres ; vingt et un canons
le complètent.
Les chapitres affirment
que l'Église est un "corps mystique" qu'elle est une société parfaite, spirituelle
et surnaturelle, que son unité est indivisible, que la communion avec
elle assure, qu'elle est indéfectible, infaillible dans l'enseignement,
qu'elle possède une puissance de juridiction, que le pape jouit d'une
primauté de juridiction et de garanties temporelles. L'un des chapitre
envisage les rapports de l'Église et du pouvoir laïque ; et,
cette fois, le concile émet l'opinion que la séparation de
l'Église et de l'État ne saurait s'imposer. Bien plus, la loi
divine la condamne, car l'État a pour devoir primordial de protéger
la seule vraie religion ; et le concile ajoute qu'il ne sera plus question
de séparation le jour où les maîtres du pouvoir temporel
reconnaîtront que l'Église est plus précieuse que leurs
États.
Mais l'Église
n'attend pas pas ce jour, sans doute encore lointain, pour prétendre
qu'elle a le droit de veiller à l'enseignement, de fonder en toute
liberté les ordres religieux qu'il lui plaira d'acquérir, de
posséder sans tolérer l'ingérence du pouvoir civil.
Les canons qui suivent
donnent à ces différents postulats l'armature dogmatique :
"Si quelqu'un dit que l'infaillibilité de l'Église
est restreinte aux choses contenues dans la révélation divine
et qu'elle ne s'étend pas aussi à toutes les vérités
nécessaires à la conservation intégrale du dépôt
de la révélation ; qu'il soit anathème.
"Si quelqu'un dit
que les lois de l'Église n'ont pas la force d'obliger tant qu'elles
n'ont pas été confirmées par la sanction du pouvoir civil,
ou qu'il appartient audit pouvoir de décréter en matière
de religion, en vertu de son autorité suprême ; qu'il soit anathème."
Les canons concernant
les rapports de l'Église et de l'autorité laïque ne revêtent
pas une bien grande importance ; ils sont conformes, à cette idée,
que la société civile et la société religieuse
sont l'une et l'autre deux sociétés indépendantes. La
première procède de Dieu immédiatement ; la seconde,
médiatement. Il paraissait donc que l'Église se fit tolérante,
puisqu'il n'était plus admis que la société laïque
était soumise à la puissance ecclésiastique.
Mais, dès
qu'il eut connaissance de ces canons, le gouvernement impérial s'émut.
Le comte Daru, ministre des affaires étrangères, trouva exorbitant
que le concile tranchât, de sa propre autorité, des questions
politiques, et envahit ainsi un domaine où il ne lui appartenait pas
de pénétrer. Le pouvoir d'agir, de légiférer,
de commander en dehors de l'autorité laïque, l'Église ne
saurait avoir le droit de se l'arroger et il importait de le lui contester.
Ainsi pensait M.
Daru ; mais il n'était pas libre de parler au nom du ministère,
car celui-ci s'opposait à ce que la politique de l'empire vis-à-vis
du Saint-Siège devint agressive. Rome pouvait donc empiéter
sur les droits de la société civile, sans crainte de nous voir
intervenir.
Le 6 mars 1870,
Pie IX estima qu'il était temps de faire proclamer le dogme de l'infaillibilité.
Il fit donc distribuer le schéma, concernant la question qui lui tenait
le plus à cœur. Mais ses dispositions d'esprit furent mieux indiquées
dans un bref, qu'il adressait au bénédictin Gueranger, auteur
de la Monarchie pontificale :
"Les adversaires de l'infaillibilité sont des hommes
qui, tout en se faisant gloire du nom de catholiques, se montrent complètement
imbus de principes corrompus, ressassent des chicanes, des calomnies, des
sophismes pour abaisser l'autorité du chef suprême que Christ
a préposé à l'Église et dont ils redoutent les
prérogatives. Ils ne croient pas, comme les autres catholiques, que
le concile est gouverné par le Saint-Esprit."
Le comte Daru
s'était autorisé à rappeler le concile au droit public
français. Le 19 mars, le cardinal Antonelli lui répondit qu'il
s'étonnait que le projet de constitution de l'Église pût
faire naître des alarmes, les thèses et les principes du concile
ayant été de tous temps ceux de l'Église ; un bon catholique
ne peut nier que la mission de l'Église soit de conduire les hommes
à une foi surnaturelle. Et puis, insinue avec impertinence le cardinal
Antonelli, l'État français n'a-t-il pas le concordat pour le
protéger ? "Les rapports de l'Église
et de l'État sur des objets de compétence mixte ayant été
réglés par ce pacte, les décisions que le concile du
Vatican viendrait à prendre en semblable matière n'altéreraient
pas les stipulations spéciales conclues par le Saint-Siège
tant avec la France qu'avec d'autres gouvernements, toutes les fois que ceux-ci
de leur côté ne mettent point d'obstacle à l'entière
observation des choses convenues."
Il est certain qu'ainsi que le faisait obligeamment entendre
le cardinal Antonelli, le Concordat pouvait être invoqué contre
un excès d'audace de l'Église. Mais d'autre part, et c'est
un cercle vicieux, si les enseignements du schéma de Ecclesia avait
sur les esprits l'influence, prévue par l'Église, le Concordat,
violé par les catholiques, deviendrait inexistant. M. Émile
Ollivier, lui-même en convient, et il va jusqu'à prévoir
l'apparition d'un nouveau Concordat tout pénétré
de l'esprit théocratique.
Cependant les chéma
de Ecclesia et ses canons n'étaient pas les
actes du concile qui donnaient surtout lieu aux inquiétudes des défenseurs
de l'ordre laïque. Le schéma sur l'infaillibilité seul,
assombrissait l'avenir. Cette infaillibilité absolue, personnelle,
dictatoriale, apparaissait comme un élément de subversion pour
les États et pour l'Église, car elle avait trop de points de
contact avec les conditions politiques des sociétés.
Il fut convenu, en
conseil des ministres, qu'un mémorandum serait adressé au pape,
protestant contre les maximes qui subordonnent la société civile
à la société religieuse ; mais le ministère spécifie
que son intention n'est que morale. Quel effet dès lors pouvait-elle
produire sur Rome ?
Les débats
suivirent leur cours. Et le 24 avril, la constitution de fide
était adopté. C'était toute une série de propositions
dogmatiques sur la création, la révélation, le rapport
de la raison avec la foi.
La discussion de
l'infaillibilité était impatiemment attendue de tout le monde
catholique. Et il n'était pas une puissance étrangère
qui se désintéressât des résolutions du concile
à ce sujet. Les croyants approuvaient et blâmaient ; en Angleterre,
en Allemagne, on tendait vers la protestation. La France était profondément
divisée.
Le 13 mai la discussion
s'ouvrit. Les discours furent nombreux et passionnés. Une des raisons
justifiant l'infaillibilité fut qu'il faut "garantir la divine certitude avec laquelle la révélation
chrétienne s'est transmise jusqu'à nous". La minorité contre l'infaillibilité ne combattait
pas la doctrine, mais la définition dans le moment présent,
son opportunité.
La constitution
relative à l'infaillibilité fut enfin adoptée le 18 juillet.
Elle est divisée
en chapitres. Le premier a trait à l'institution de la papauté
apostolique ; les suivants dissertent sur la perpétuité et la
nature de cette primauté, enfin sur le "magister infaillible" du souverain
pontife.
Il y est dit que
l'infaillibilité est destinée à affermir les bases de
l'Église. Le concile en donne la définition :
"
Le pontife romain, lorsqu'il parle ex cathedra, c'est à
dire lorsque, remplissant la charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens,
en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit
qu'une doctrine sur la foi ou sur les mœurs doit être crue par l'Église
universelle, jouit pleinement, par l'assistance divine qui lui a été
promise dans la personne du bienheureux Pierre, de cette infaillibilité
dont le divin rédempteur a voulu que son Église fût pourvue
en définissant la doctrine touchant la foi et les mœurs ; et par conséquent
de telles définitions sont irréformables d'elles-mêmes
et non en vertu du consentement de l'Église."
Tel est le dogme.
Anathème contre celui qui y contredirait.
On en voit toutes
les conséquences. Le pape désormais ne consultera plus l'épiscopat
avant de formuler ses définitions, qui sont définitives, irréformables,
obligatoires, grâce uniquement à "l'assistance divine" ; le
pape demeure le seul maître.
Contre lui, les
"princes laïques" ne sauraient opposer leurs théories, leurs politiques
; vainement , ils prétendraient l'influencer, le circonvenir, l'amener
à composition ; l'ère des pactes est définitivement
close. D'autre part, le pouvoir pontifical s'isole de l'épiscopat
pour ne point s'exposer à des menées personnelles, dont les
suites fatales seraient l'affaiblissement de sa toute puissance.
Les évêques,
qui constituèrent au concile la minorité opposante, firent leur
soumission. Et le Gouvernement français lui-même ne mit aucun
obstacle à la publication de la Constitution. Il est vrai que des
événements plus graves occupaient alors son attention.
L'Italie seule répondit
au concile. En septembre 1870, elle anéantissait la puissance temporelle
du pape ; c'était obéir à la logique de son histoire.
Il n'en est pas moins vrai que ce coup cruel porté à la soi-disant
invulnérabilité du pontificat déchaîna la réaction
ultra-catholique qui, se réclamant du Syllabus, rompit en visière
avec la troisième république et l'eût mise en péril
si les partis démocratiques n'avaient sonné le ralliement en
face de l'ennemi commun.
On vient de voir
comment la papauté, poursuivant son évolution naturelle, avait
fait inscrire dans sa constitution l'infaillibilité du chef suprême
de l'Église, infaillibilité qu'elle avait déjà
revendiquée au cours des siècles et qu'elle imposait désormais
à ses fidèles comme un article de foi.
Ce dessein persévérant
d'atteindre à la domination universelle se manifesta en France au lendemain
des événements de 1870, à l'heure où la nation
venait de se donner la forme républicaine. A mesure que la démocratie
se développera dans notre pays, à mesure que les esprits s'éveilleront
plus nombreux aux vérités scientifiques, apparaîtra plus
profond l'abîme qui sépare le catholicisme romain de la civilisation
moderne. Des mois seront édictées pour dégager progressivement
les intelligences enfantines de l'obscurité du dogme. De là
des luttes, des crises, dont on a perdu le souvenir. Avant qu'un Parlement
ait pu envisager comme possible - et prochaine - la séparation
complète des Églises et de l'État, des mesures de transition
ont dû être prises, qui toutes ont provoqué les protestations
les plus vives à la cour de Rome. Nous les allons indiquer brièvement
et l'on verra que depuis trente-cinq ans la société laïque
a marché, d'un pas mesuré mais sûr, vers son émancipation
définitive.
En 1873, l'Église
romaine est toute-puissante. En pleine crise nationale et sociale, au moment
où l'Assemblée nationale expédiait les affaires de France,
dans une pétition, les évêques n'avaient pas craint de
réclamer le rétablissement du pouvoir temporel du pape. Habile
aux expédients parlementaires, M. Thiers avait su faire enterrer la
protestation par le renvoi pur et simple au ministère des affaires
étrangères, malgré l'intervention de l'évêque
Dupanloup. le 24 mai consacre le règne du clergé. Une délégation
de la Chambre s'est retirée des obsèques civiles de M. le député
Brousses. Dans un ouvrage d'une belle tenue littéraire, qui prend
par instant l'allure d'un pamphlet, MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix font
un exposé de la situation du clergé, que nous ne pouvons mieux
faire que de citer :
"Mis en possessions d'églises, d'édifices
innombrables, dont la flèche domine les villes, tous les hameaux,
dont les cloches remplissent l'air, attestent qu'il est partout et que nul
ne peut lui échapper, de séminaires où il élève
ses recrues, le clergé prélève sur le budget de
l'État une somme de 49 millions, qui chaque année augmente
; le budget de l'instruction publique est de 36 millions.
"Ce n'est pas tout
: du département et des communes, il touche une somme minimum de 31
millions ; soit une part dans l'impôt général de 80 millions.
A ces 80 millions, vous, nous tous, libres penseurs, contribuons.
"Ce n'est pas tout
: ces hommes qui sont au conseil supérieur de l'instruction publique,
ce sont des évêques et des archevêques ; ils sont encore
dans le conseil départemental de l'instruction publique ; ils nomment
et destituent l'instituteur. Voici le curé qui entre dans l'école,
la loi de 1850 à la main, disant à l'instituteur : Vous devez,
avant toute autre, l'instruction religieuse.
"Le prêtre
est partout : il a l'assistance publique, on le trouve dans les prisons, à
l'armée, sur chaque vaisseau. L'armée lui prête ses canons
et ses armes pour célébrer ses fêtes. Généraux,
fonctionnaires, magistrats, professeurs suivent ses processions et courbent
la tête sous la bénédiction de l'évêque.
"Quant à ses
charges, il n'en a pas ; il est exempt du service militaire, il en fait exempter
ses acolytes ...
"Et quand le prêtre
a pris sa place partout, dans toute la société, quand il tient
l'éducation d'une main, l'assistance de l'autre, il descend dans la
congrégation. Les articles 291 et 292 du code pénal lui sont
inconnus. La congrégation se forme, se développe, enfonce ses
racines dans le sol, en fait émerger de vastes casernes, d'immenses
bâtiments, séquestre, enferme des multitudes, fouille de ses
tentacules toutes les couches sociales pour en aspirer la vie et la richesse."
La solution de MM. Yves Guyot et Sigismond Lacroix était
celle que nous préconisons aujourd'hui : répondre aux principes
de persécution du clergé, par des principes de liberté
; rejeter les prêtres dans leurs églises, pour que soit affranchie
la société laïque.
Depuis que ces lignes
ont été écrites, la solution qu'elles préconisaient
n'a pas été atteinte ; mais des mesures de défenses ont
été prises par la société laïque pour lutter
contre l'ingérence cléricale ; elles sont présentes dans
tous les esprits. Les noms de Gambetta, de Jules Ferry surtout,
de Paul Bert, de Goblet, de
Waldeck-Rousseau et
de Combes demeurent attachés
au souvenir de ces mesures, de ces réformes essentielles.
C'est Jules Ferry, qui, en 1879, a
fait voter la loi réorganisant le conseil de l'enseignement public,
et les conseils académiques. L'élément ecclésiastique
qui s'y était glissé à la faveur de la loi Falloux en
était éliminé. C'est Jules Ferry qui fit voter la loi
restituant à l'État le monopole de la collation des grades
universitaires, supprimant les jury mixtes, obligeant les élèves
des établissements libres d'enseignement supérieur à
prendre leurs inscriptions dans les facultés de l'État ; et
enlevant le droit d'enseigner ou de diriger un établissement d'instruction
à tout membre d'une congrégation non autorisée.
Mais cette dernière
disposition, adoptée par la Chambre, fut repoussée par
le Sénat. C'est le fameux article 7. Jules Ferry suppléa à
cette lacune de loi, en prenant les décrets du 29 mars 1880, qui,
au nom des lois existantes, prescrivaient la dissolution des congrégations
non autorisées. Il était encore ministre de l'instruction publique
dans le cabinet Freycinet. Il les fit appliquer quelques temps après,
comme président du conseil. Il est de nouveau ministre de l'instruction
publique en 1882, et il fait voter la loi prescrivant la gratuité,
l'obligation et la laïcité de l'instruction primaire.
L'oeuvre laïque
de Jules Ferry se continue par la loi qui faisait participer les séminaristes
aux obligations militaires. Enfin, le ministère Waldeck-Rousseau fit
voter cette loi sur les associations qui, depuis que la République
existe, fut réclamée comme le prélude indispensable à
la séparation, notamment par M. Gobelet. On va voir comment, appliquée
par M. Combes, avec une énergie à laquelle tous les républicains
ont rendu hommage, elle devait logiquement avoir pour conséquence
la séparation.
Mais il convient
auparavant, par quelques faits empruntés à notre histoire depuis
trente ans, de répondre à ceux qui prétendent que le
Concordat a réalisé la pacification religieuse dans le pays.
En réalité, le Concordat
ne fut jamais observé, dans sa lettre par la papauté. Il n'y
eut d'accord entre elle et la France qu'au moment où Rome espérait
pouvoir reprendre, dans notre pays, sa suprématie perdue.
Trois occasions permirent surtout au clergé
ultramontain de manifester ses secrètes tendances.
Rarement, la crise fut plus aiguë
qu'en mai 1877. Elle fut le contre-coup d'une décision de la Chambre
italienne. Celle-ci avait voté une loi sur les abus du clergé,
qui avait soulevé l'indignation de la papauté. Au cours d'une
allocution, qu'il prononça à l'occasion d'un consistoire, Pie
IX dénonça comme des persécutions dirigées contre
l'Église certaines mesures législatives, telles que la conversion
de la mainmorte ecclésiastique, la sécularisation de l'enseignement
public ; et il invita les évêques à agir auprès
de leurs gouvernements en faveur du Saint-Siège opprimé.
Un certain nombre de députés
et de sénateurs français, appartenant à la droite du
Parlement, firent, à ce propos, une démarche auprès de
M. Decazes, alors ministre des affaires étrangères, lequel répondit
évasivement. Obéissant aux injonctions papales, des évêques
faisaient parvenir au Gouvernement des mandements. L'évêque
de Nimes annonçait que "le pouvoir temporel
des papes revivrait après quelques secousses profondes où s'engloutiraient
peut-être bien des armées et bien des couronnes". Dans
une lettre au maréchal de Mac-Mahon, l'évêque de Nevers
le suppliait de "renouer la chaîne des anciennes
traditions de notre France, et de reprendre sa place de fils aîné
de l'Église". L'évêque de Nevers avait pris également
soin de faire parvenir copie de cette lettre à tous les maires de
son diocèse, en réclamant leur concours officiel à la
propagande des évêques.
Pour répondre à cette agitation
anticoncordataire, M. Jules Simon,
alors président du conseil, interdit le colportage de la pétition "dont les termes sont offensant pour les pouvoirs publics
d'un pays voisin et ami". Certaines tolérances, dont on usait
à l'égard du clergé catholique, furent restreintes.
A la Chambre des députés, une interpellation signée
des président des trois gauches, permit à M. Jules Simon de
faire connaître "les mesures qu'il avait prises
et se proposait de prendre pour réprimer les menées ultramontaines
dont la recrudescence inquiétait le pays".
M. Jules Simon constate, dans son discours,
que "le clergé et la religion catholique ont
en France autant et peut-être plus de liberté qu'ils n'en ont
jamais eue. Ainsi, les évêques se rassemblent en synodes sans
autorisation ; ils se rendent sans autorisation à la cour de Rome
; ils possèdent ... Enfin, on publie des bulles et des brefs pontificaux,
et je dois dire que si c'est sans autorisation qu'on les publie, c'est aussi
sans légalité ; jamais de telles infractions n'auraient été
tolérées par les régimes précédents".
M. Jules Simon promet, en terminant, de
faire appliquer la loi ; mais c'est Gambetta qui exprima le sentiment de
la gauche.
"Il faut savoir,
dit-il, que depuis
1870, depuis qu'on a proclamé le dogme qui a fait que du pape le docteur
infaillible des vérités de l'Église, le clergé
et l'épiscopat français ne comptent plus d'opposants, ne comptent
plus de résistants, et quand Rome a parlé, tous sans exception,
les prêtres, les curés, les évêques, tout le monde
obéit.
"L'esprit clérical,
avec habileté et la souplesse qui le caractérisent, a commencé,
au début, par être fort modeste en ses prétentions. Il
s'est contenté de demander une humble place au soleil ; puis, quand
cette place a été obtenue, il n'a cessé de ridiculiser,
de couvrir de ses sarcasmes la déclaration de 1682, c'est-à-dire
les anciens principes de l'Église de France".
En terminant, l'orateur déclare qu'il ne veut défendre
le Concordat que tout autant que le contrat sera interprété
comme un contrat bilatéral qui oblige l'Église et la tient,
comme il oblige l'État et le tient. "Il
faut que, malgré le mépris que peuvent inspirer au robuste bon
sens de la France ces menées coupables, le Gouvernement déclare
qu'il entend délivrer la France des étreintes de la politique
ultramontaine."
L'ordre du jour suivant, accepté par le cabinet fut
voté comme conclusion des débats :
"La Chambre, considérant que les manifestations ultramontaines,
dont la recrudescence pourrait compromettre la sécurité intérieure
et extérieure du pays, constituent une violation flagrante des droits
de l'État, invite le Gouvernement, pour réprimer cette agitation,
à user des moyens légaux dont il dispose, et passe à
l'ordre du jour."
Une nouvelle levée de crosses se produisit, en 1891,
au moment où des pèlerins français se permirent, à
Rome, d'acclamer le "pape roi". M. Gouthe-Soulard trouva cette manifestation
de son goût et le déclara hautement. Sa réponse à
une circulaire demandant aux évêques de suspendre leurs pèlerinages,
le fit traduire devant la cour d'appel de Paris. "On nous offre l'apaisement, disait-il, avec un gouvernement
qui a déclaré que le cléricalisme est l'ennemi, qui
a brisé le Concordat en supprimant les traitements ecclésiastiques,
qui a dispersé les congrégations vouées à l'enseignement,
à la prédication, au soulagement des pauvres et des malades,
qui a frappé d'une taxe les congrégations autorisées,
qui a édicté l'obligation du service militaire pour le clergé,
qui a chassé la religieuse des salles d'asile et de l'hôpital
! Nous ne voulons pas de cet apaisement ; ce serait de l'avilissement."
Une interpellation du sénateur Dide permit à
M. de Freycinet de s'expliquer au nom du Gouvernement. Le président
du conseil fit allusion, en commençant, aux manifestations épistolaires
des évêques qui avaient suivi la condamnation de M. Gouthe-Soulard.
"Il résulte de la lecture de ces documents, dit-il, qu'une partie des
membres du clergé affiche la prétention d'être au-dessus
des lois ... Ils sont allés jusqu'à soutenir cette thèse
que le ministre de la justice, appliquant la loi à l'un d'eux, le
tribunal devant lequel il comparaissait n'avait pas la qualité pour
juger. Cette doctrine ne s'est jamais manifestée d'une manière
aussi claire.
"Si les moyens que
la loi met au service du Gouvernement ne suffisent pas pour faire respecter
les droits de l'État, nous n'hésiterons pas à proposer
aux Chambres les moyens complémentaires qui pourraient nous faire défaut.
"Je sais bien que
de ce côté-ci ( la droite), on ne reconnaît pas la valeur
des articles de loi auxquels je fais allusion. On affecte de séparer
les lois organiques du Concordat. Je sais que cette prétention a été
élevée et l'honorable M. Buffet me fait un signe d'assentiment
qui semble indiquer que, sans doute, il partage cette opinion.
"M. Buffet, - Complètement
!
"M. le président
du conseil. - Eh bien ! je déclare, quant à moi, que je la trouve
renversante.
" ... Les évêques
sont, j'imagine, des citoyens français. Est-ce que les lois organiques
ne sont pas des lois applicables comme les autres lois ? Si ces lois répugnent
à leur conscience, qu'ils ne sollicitent pas un siège épiscopal.
Personne ne les y a contraints ...
"Nous voulons vivre
en paix ; mais nous ne voulons pas être dupes.
" Le cabinet qui
siège sur ces bancs ne croit pas avoir le mandat, ni des Chambres ni
du pays, d'accomplir la séparation des Églises et de l'État,
ni de la préparer ; mais nous avons le mandat de faire respecter l'État,
et si la séparation devait s'accomplir à la suite de l'agitation
à laquelle je viens de faire allusion, la responsabilité en
tomberait sur ses auteurs et non sur nous."
Après le
discours du président du conseil on adopta l'ordre du jour suivant
:
"Le sénat, considérant que les manifestations
récentes d'une partie du clergé pourraient compromettre la
paix sociale et constituent une violation flagrante des droits de l'État.
"Confiant dans les
déclarations du Gouvernement.
"Compte qu'il usera
des pouvoirs dont il dispose ou qu'il croira nécessaire de demander
au Parlement, afin d'imposer à tous le respect de la République
et la soumission à ses lois, et passe à l'ordre du jour."
Cet ordre du jour porte, entre autres signatures, celle
de M. Ranc. Au cours de la séance, M. René Goblet avait affirmé
ses préférences pour la séparation des Églises
et de l'État.
Cette thèse
fut également défendue, quelques jours plus tard, à la
Chambre des députés, par M. Pichon, à l'occasion d'une
interpellation de M. Hubbard.
L'orateur constate
que, depuis le Syllabus, le clergé ultramontain n'a jamais cessé
d'intervenir dans les affaires intérieures. Le pape intervient directement
par des brefs. Dans leurs mandements, les évêques invitent à
voter pour les candidats catholiques. Dans un moment critique pour lui, le
clergé conseille au maréchal Mac-Mahon, dans le cas où
il ne serait pas soutenu par le sénat, "de pourvoir au salut de la France d'une autre manière.
Il faut faire appel à la nation, après vous êtes assuré
de l'armée". C'est la théorie du
coup d'État. Ce qui importe à l'Église, ce n'est pas
la tranquillité de l'État, mais le succès de sa doctrine,
qui est celle du Syllabus.
Au cours de cette
discussion, le principe de la séparation avait été nettement
posé. Il l'avait été déjà d'ailleurs par
M. de Freycinet, dans sa déclaration, après les élections
de 1885. "L'intervention du clergé dans
nos luttes politiques, et récemment encore dans les élections,
disait-il, est
pour les esprits sages le sujet de sérieuses préoccupations.
Chacun a compris qu'une telle situation ne saurait se perpétuer et
que le grave problème de la séparation des Églises et
de l'État ne tarderait pas à s'imposer irrésistiblement." Et, en 1881, M. Ferry disait déjà : " Si nous voyons, aux élections prochaines, ce que
nous avons vu à une époque toute récente, s'il se fait
une collusion entre les préfets de la France et les ennemis de la
République, alors nous demanderons la séparation ; nous qui
ne la voulons pas, nous vous dirons alors : l'heure est venue."
Chaque fois que
le problème se posait ainsi avec précision, la nécessité
d'une loi préalable sur les associations apparaissait à l'esprit.
C'est à M. Waldeck-Rousseau qu'il appartint de la faire voter.
C'est dans son
discours de Toulouse, le 28 octobre 1900, que M. Waldeck-Rousseau exposa,
pour la première fois, le problème avec une pleine lucidité.
Après avoir
prévu que la loi nouvelle qu'il allait proposer aux Chambres aurait
pour résultat de ne soumettre qu'au droit commun les associations,
il ajoutait :
"Il s'agit ensuite, par la même loi, de faire face
au péril qui naît du développement continu, dans une
société démocratique, d'un organisme qui, suivant une
définition célèbre dont le mérite revient à
nos anciens parlements, "tend à introduire dans l'État,
sous le voile spécieux d'un institut religieux, un corps politique
dont le but est de parvenir d'abord à une indépendance absolue,
et, successivement, à l'usurpation de toute autorité ..."
"Je parle en homme qui n'est animé d'aucun esprit
sectaire, mais simplement de l'esprit qui a dominé non seulement la
politique de la Révolution, mais toute la politique historique de
la France."
Dans ce même
discours, M. Waldeck-Rousseau avait fait allusion aux agitations politiques
des moines. En janvier avait eu lieu, en effet, le procès des Assomptionnistes
qui avait permis de constater l'intervention de cette congrégation
militante dans les élections de 1898.
La congrégation
fut dissoute comme illicite, et le lendemain du jour où elle était
condamnée, le cardinal de Paris, M. Richard, allait rendre visite aux
pères assomptionnistes.
Le Gouvernement lui
demanda des explications et le blâma. Il supprima, en même temps,
les traitements de l'archevêque d'Aix, des évêques de
Montpellier, Versailles, qui avaient écrit aux pères assomptionnistes
des lettres de félicitations ou d'encouragement.
Comme on le voit,
le clergé ultramontain n'avait pas abdiqué.
Le 31 janvier 1901
fut voté le premier article de la loi ; elle devait être bientôt
adoptée définitivement par les deux Chambres.
Le 3 octobre, expirait
le délai imparti aux congrégations religieuses pour se conformer
aux prescriptions de la nouvelle loi.
Sur 753 congrégations
non autorisées ( 14 d'hommes et 606 de femmes ), 53 congrégations
d'hommes avaient sollicité leur autorisation et 482 congrégations
de femmes. Les jésuites s'étaient dispersés.
Quelque
temps après, en juin 1902, M. Waldeck-Rousseau ayant abandonné
le pouvoir, M. Combes recueillit la lourde responsabilité de faire
respecter la loi nouvelle. Il le fit avec une énergie à laquelle
il convient de rendre hommage. 321 voix l'approuvèrent à la
Chambre lorsqu'il affirma que les ministres de son cabinet étaient
" bien décidés à assurer
la suprématie de la société laïque sur l'obédience
monacale". Cette majorité lui fut fidèle
et le bloc ne se déjugea point lorsqu'il s'agit de tirer de la loi
de 1901 toutes les conséquences que nécessite son application
intégrale.
L'action cléricale
se manifesta, à cette occasion, sous différentes formes. L'agitation
gagna la rue. La Bretagne fut en proie aux excitations cléricales les
plus violentes. Des officiers en service commandé refusèrent
de procéder à des expulsions. Enfin, le 15 octobre, se produisit
la manifestation traditionnelle de l'épiscopat ultramontain. Une pétition
fut adressée par soixante-douze archevêques et évêques
aux membres du Parlement pour les prier de se monter favorables aux demandes
d'autorisation formulées par certaines congrégations religieuses.
C'était une nouvelle et flagrante violation du Concordat. Le conseil
des ministres déféra " comme d'abus" au conseil d'État cette pétition des membres
de l'épiscopat. Puis le traitement de M. Perraud fut supprimé.
L'année suivante, en avril et mai 1903, des moines furent accueillis
dans les églises concordataires. Il y eut, à ce propos, des
bagarres, notamment dans les églises d'Aubervilliers et de Belleville.
Le 19 mai, M. Combes
dut répondre à une interpellation sur "la légalité des circulaires par lesquelles
était interdite la prédication dans les églises aux
moines sécularisés." dans sa réponse
à M. Gayraud, le président
du conseil se demande si "le Concordat et les
articles organiques, qui en sont le développement prévu et
voulu, ne créent des obligation qu'à l'État, ou si les
prescriptions s'imposent également au pouvoir ecclésiastique."
"Tout le monde sait,
ajoutait M. Combes, que l'État n'a a sa disposition que des armes insuffisantes
pour garantir ses droits et les faire triompher.
"L'appel comme d'abus
fait sourire, et lorsqu'il est réclamé par le ministre des
cultes pour l'honneur des principes, il lui attire le plus souvent, de la
part de l'ecclésiastique incriminé, une belle protestation publique,
à laquelle nombre de se collègues s'empressent de s'associer.
"La suppression du
traitement est d'un mode moins solennel et d'un usage plus efficace, comme
tous les coups qui frappent à la bourse. La généralité
du bas clergé la redoute. Pour le haut clergé, c'est un jeu
de la braver, quand ce n'est pas un calcul prémédité,
en raison des avantages pécuniaires qu'il en retire, sous forme de
souscriptions et d'offrandes. Reste la prison sur la paille très peu
humide ... On peut se demander seulement s'il serait sage d'y recourir systématiquement.
" ... Quant à
nous, déclarait M. Combes, puisqu'on nous demande notre sentiment,
nous estimons préférable de faire l'opinion publique juge de
la conduite de l'épiscopat. Notre raison est que les rapports entre
l'État et l'Église catholique sont entrés, depuis quelque
temps, dans une phase nouvelle."
Le président du conseil montre comment la procédure
de l'entente préalable, imposée par le pape Pie IX et le cardinal
Antonelli à la faiblesse des ministres de la République, a
permis au pouvoir ecclésiastique d'installer à la tête
de la plupart des diocèses de France les candidats de ses préférences
par le refus d'agrément dont il a frappé les candidats du pouvoir
civil. Alors de constantes viciations du Concordat se sont produites, si
bien que l'opinion publique se demande ce qu'elle doit augurer d'un tel spectacle.
" Pour peu que le spectacle se prolonge, elle sera amené
à rejeter sur le Concordat la responsabilité d'un ordre des
choses, où les écarts de conduite et les intempérances
du clergé s'enhardissent par l'insuffisance même des moyens
de répression. Puis, la logique aidant, l'opinion publique inclinera
forcément à conclure que le Concordat de 1801 a fait son temps,
et que le seul remède au désordre moral dont il s'agit ne peut
se trouver que dans l'une ou l'autre de ces solutions : ou bien la séparation
de l'Église et de l'État suivant une formule qui fera l'Église
libre sous la souveraineté de l'État, ou bien une révision
sérieuse et efficace des règlements de police jugés
nécessaires pour le maintien de la tranquillité publique par
l'auteur même du Concordat."
A la suite de ce discours, on se demanda vers quelle solution
penchait alors M. Combes. Dans les discours qu'il prononça ensuite
aux banquets démocratiques de Marseille, de Tréguier et de
Clermont-Ferrand, il parle de légiférer sur les rapports de
l'Église et de l'État, mais sans autre précision. Sans
doute, il souhaitait une transformation prochaine des liens concordataires
entre le Vatican et la France ; mais se fera-t-elle dans le sens de la liberté
pour l'église ou dans le sens d'une aggravation des articles organiques.
Ce n'est qu'au banquet
d'Auxerre que M. Émile Combes se prononça ouvertement en faveur
de la séparation des Églises et de l'État. Une commission
parlementaire s'était constituée à la Chambre et un
projet de loi était résulté de ses travaux. De plus
en plus, au sein du parlement une opinion se formait, nettement favorable
au principe de séparation. M. Combes y vit une indication assez nette
et il collabora même, on le verra, par le dépôt d'un projet
de loi, à l'œuvre qui s'élaborait dans le sein de votre commission.
Divers incidents
nouveaux, et des plus graves, s'étaient d'ailleurs produits, qui mettaient
à l'ordre du jour, d'une manière particulièrement pressante,
la question des rapports de l'Église et de l'État. A l'occasion
de la loi qu'avait déposé M. Combes dans le but de supprimer
l'enseignement congréganiste, une véritable rébellion
des cardinaux s'était produite. Leur protestation prit la forme d'une
lettre au Président de la République. Elle était nouvelle,
elle était imprévue. Sans doute, elle était en contradiction
avec l'esprit du Concordat, mais nul article ne lui était applicable.
La chose finit ainsi qu'il devait arriver : au conseil d'État.
Un fait plus grave,
qui acquit une extrême importance par les événements qui
s'ensuivirent, fut la protestation que le pape, récemment élu,
Pie IX, adressa aux chancelleries à l'occasion de la visite que le
Président de la République venait de faire au roi d'Italie.
En France, on fut presque unanime à trouver intolérable cette
prétention du Saint-Siège à porter un jugement sur notre
politique extérieure. D'ailleurs, une phrase contenue dans les exemplaires
reçus par les puissances catholiques, et dont le texte fut révélé
par le journal l'Humanité, ne se
trouvait pas dans la note qui avait été adressée au
quai d'Orsay. Cette phrase laissait entendre que la même attitude de
la part des autres puissances catholiques provoquerait le rappel immédiat
du nonce. Ce document a sa place ici, car il aura exercé sur les événements
une influence décisive.
"Des chambres
du Vatican. - 28 avril 1904.
"La venue à
Rome en forme officielle de M. Loubet, Président de la République
française, pour rendre visite à Victor-Emmanuel III, a été
un événement de si exceptionnelle gravité que la Saint-Siège
ne peut laisser passer sans appeler sur lui la plus sérieuse attention
du gouvernement que Votre Excellence représente.
" Il est à peine
nécessaire de rappeler que les chefs d'États catholiques, liés
comme tels par des liens spéciaux au pasteur suprême de l'Église,
ont le devoir d'user vis-à-vis de lui des plus grands égards,
comparativement aux souverains des États non catholiques, en ce qui
concerne sa dignité, son indépendance et ses droits imprescriptibles.
Ce devoir, reconnu jusqu'ici et observé par tous, nonobstant les plus
graves raisons de politique, d'alliance ou de parenté, incombait d'autant
plus au premier magistrat de la République française, qui,
sans avoir aucun de ces motifs spéciaux, préside en revanche
une nation qui est unie par les rapports traditionnels les plus étroits
avec le pontificat romain, jouit, en vertu d'un pacte bilatéral avec
le Saint-Siège, de privilèges signalés, à une
large représentation dans le Sacré-Collège des cardinaux,
et par suite dans le gouvernement de l'Église universelle et possède
par singulière faveur le protectorat des intérêts catholiques
en Orient. Par suite, si quelque chef de nation catholique infligeait une
grave offense au souverain pontife en venant prêter hommage à
Rome, c'est-à-dire au lieu même du siège pontifical et
dans le même palais apostolique, à celui qui contre tout droit
détient sa souveraineté civile et en entrave la liberté
nécessaire et l'indépendance, cette offense a été
d'autant plus grande de la part de M. Loubet ; et si, malgré cela,
le nonce pontifical est resté à Paris, cela est dû uniquement
à de très graves motifs d'ordre et de nature en tout point
spéciaux. La déclaration faite par M. Delcassé au Parlement
français ne peut en changer le caractère ni la portée
- déclaration suivant laquelle le fait de rendre visite n'implique
aucune intention hostile au Saint-Siège ; car l'offense est intrinsèque
à l'acte d'autant plus que le Saint-Siège n'avait pas manqué
d'en prévenir ce même Gouvernement.
"Et l'opinion publique,
tant en France qu'en Italie, n'a pas manqué d'apercevoir le caractère
offensif de cette visite, recherchée intentionnellement par le gouvernement
italien dans le but d'obtenir par là l'affaiblissement des droits
des droits du Saint-Siège et l'offense faite à sa dignité,
droits et dignité que celui-ci tient pour son devoir principal de
protéger et de défendre dans l'intérêt même
des catholiques du monde entier.
"Afin qu'un fait
aussi douloureux ne puisse constituer un précédent quelconque,
le Saint-Siège s'est vu obligé d'émettre contre lui les
protestations les plus formelles et les plus explicites, et le soussigné
cardinal secrétaire d'État, par ordre de Sa Sainteté,
en informe par la présente Votre Excellence, en vous priant de vouloir
porter le contenu de la présente note à la connaissance du gouvernement
de ...
"Il saisit en même
temps cette occasion de confirmer à Votre Excellence les assurances
... etc., etc. ...
"Cardinal MERRY DEL
VAL."
Le résultat de cette protestation incorrecte fut
le rappel de notre ambassadeur au Vatican. Vers le même moment, des
plaintes qui avaient autrefois été portées contre deux
évêques concordataires, MM. Le Nordez et Geay.- le premier du
diocèse de Dijon, le second du diocèse de Laval.- eurent des
suites. Les deux prélats furent sommés de comparaître
devant le saint office. Ils opposèrent quelque résistance et
finalement, ayant reçu une lettre du secrétaire d'État
Merry Del Val leur enjoignant sous menace des plus graves sanctions canoniques,
d'être à Rome dans la quinzaine, ils la remirent à leur
chef hiérarchique, M. Dumay, directeur des cultes.
Il y avait là,
de la part du Saint-Siège, une nouvelle violation du Concordat, une
atteinte des plus graves aux droits de l'État. Le ministre des cultes
refusa aux deux évêques l'autorisation de comparaître devant
un pouvoir étranger. Ceux-ci tentèrent d'abord de résister
à Rome, puis sentant finalement leur position intenable dans leurs
diocèses, ils les quittèrent un jour et allèrent se
soumettre à l'autorité du Saint-Siège, en implorant sa
pitié. Le Gouvernement ne put que supprimer leur traitement.
Mais il continua
à les considérer comme évêques, bien qu'ils eussent
été destitués canoniquement par le pape.
La situation ne
s'aggrava point en ce qui concerne M. Geay ; il n'en fut pas de même
dans la circonscription de M. Le Nordez. Le pouvoir y était, en réalité,
exercé par deux vicaires généraux, considérés
comme représentants de l'évêque. Le ministre des cultes
adressait sa correspondance à M. l'évêque de Dijon et
les vicaires répondaient, en empruntant la signature épiscopale.
La fiction subsistait.
Mais les deux vicaires
s'avisèrent de prendre des mesures contraires à l'esprit qui
avait dicté auparavant le actes de M. Le Nordez. Celui-ci, se souvenant
alors qu'il était encore évêque, et faisant acte de pouvoir
administratif, les révoqua.
M. Combes ne pouvait
qu'approuver cette solution.
Quelques jours après,
M. Bienvenu Martin devenait ministre des cultes. C'est lui que M. Morlot
interpella sur cette situation bizarre.
Le nouveau ministre
des cultes fit des déclarations très nettes en faveur de séparation
et la majorité républicaine de la Chambre s'y associa.( Texte
de l'ordre du jour voté par la Chambre, le 10 février 1905,
à la majorité de 386 voix contre 111 : " La Chambre, constatant que l'attitude du Vatican a rendu
nécessaire la séparation des Églises et de l'État,
et comptant sur le Gouvernement pour en faire aboutir le vote immédiatement
après le budget et la loi militaire ... passe à l'ordre du
jour." ) Depuis, l'évêque de Dijon
a désigné au Gouvernement deux vicaires généraux
de son choix. Ils eurent l'agrément du ministre des cultes, et Rome,
soudain conciliante, voulut bien les agréer aussi, accordant pour
un instant à M. Le Nordez des pouvoirs qu'elle lui avait contestés.
Les Rapports de
la République avec Rome en sont là au moment même où
va s'ouvrir devant vous la discussion sur la séparation des Églises
et de l'État.
Chaque fois qu'au
cours des chapitre d'histoire qui précèdent nous avons rencontré
un chiffre représentant les charges qui résultent pour l'État
de son union concordataire avec l'Église romaine, nous nous sommes
fait une obligation de la noter. Il nous parait cependant utile, au risque
de faire des répétitions, de redonner ici, dans une brève
notice, un état des divers budgets des cultes, depuis le Concordat
de 1801 ; ne serais-ce que pour répondre par une statistique victorieuse
à ceux qui prétendent que la France républicaine est
demeurée dans la limite stricte des obligations budgétaires
qu'elle a souscrites envers l'Église.
M. Clémenceau, s'appuyant
sur les chiffres fournis dans son ouvrage par M. Charles Jourdain (Budget
des cultes depuis le Concordat) et sur la statistique dressée
par M. Nicolas (Budget de la France depuis le commencement du dix-neuvième
siècle) avait déjà fait cet utile travail, qui
fut publié en articles dans le journal l'Aurore.
Nous nous sommes
reportés à ces articles, aux sources qu'ils signalent, ainsi
qu'a l'article inséré par M. Léon Say, dans son Dictionnaire
des finances.
Il en résulte
de nos recherches que le budget des cultes, consenti par la troisième
République, est trois fois supérieur au premier budget concordataire,
qui est celui de 1810. Les années précédentes, le Concordat
n'avait pas été appliqué dans sa rigueur et l'on connut
le budget insignifiant de 1802 (1 258 197 fr) et celui de 1804 ( 4 millions
environ)
Le premier budget,
établi suivant les obligations concordataires, se répartissait
ainsi :
Chap. 1er.- Service intérieur : traitement du ministre,
des emplyés et frais de bureau : 315 000
Chap. 2.- Traitement
des ministres des cultes en activité (haut clergé) :
1 480 234
Chap. 3.- Curés
et desservants
10 660 000
Chap. 4.- Pensions
accordées par décrets impériaux
156 000
Chap. 5.- Séminaires
700 000
Chap. 6.- Dépenses
diverses
535 530
Chap. 7.- dépenses
accidentelles
493 230
Total
14 370 000
Aux termes du Concordat, l'État ne devait assurer
que le traitement des archevêques et des évêques fixé,
pour les archevêques à 15 000 fr. et, pour les évêques,
à 10 000 fr. , et celui des curés proprement dits qui étaient
divisés en deux classes : dans l'une, on touchait 1 500 fr., dans l'autre,
1 000 fr.
Il n'était rien alloué aux autres titulaires
ecclésiastiques. Le traitement des vicaires généraux
et des chanoines restait à la charge des budgets locaux.