Projet
Combes
(déposé le 10 novembre 1904.
J'en rajoute l'exposé des motif qui ne figurait pas dans le rapport
de M. Briand)
EXPOSE DES MOTIFS
Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis reproduit,
sous une forme législative, les appréciations émises
par le président du conseil devant la commission de la séparation
des Églises et de l'État au sujet de la proposition adoptée
par la commission relativement à cette question importante.
Nous pouvons nous référer, en ce qui
touche l'exposé des motifs que le projet comporte, à la discussion
récente qui a eu lieu dans cette enceinte au début même
de la session.
En vous montrant le Concordat systématiquement
et journellement violé par le pouvoir religieux, le Gouvernement
vous a fait connaître qu'il ne lui paraissait pas possible de maintenir
plus longtemps un régime qu'il était seul à respecter,
et il vous a indiqué dans quel esprit et d'après quels principes
il était résolu à vous proposer de consacrer un régime
nouveau, le régime de la séparation des Églises et
de l'État. Vous trouverez ses vues nettement précisées
dans les articles dont la teneur suit :
Titre 1er
SUPPRESSION DES DÉPENSES
DES CULTES - RÉPARTITION DES BIENS - PENSIONS
Art. 1er
A partir du 1er
janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, sont et demeurent
supprimés : toutes les dépenses publiques pour l'exercice
ou l'entretien d'un culte ; tous les traitements, indemnités, subventions
ou allocations accordés aux ministres d'un culte sur les fonds de
l'État, des départements, des communes ou des établissements
publics hospitaliers.
Art. 2
Pendant deux ans
à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente
loi, la jouissance gratuite des édifices du culte sera laissé
aux associations dont il sera parlé au titre II ci-après.
Après
cette période de temps écoulée, cessera de plein droit
l'usage gratuit des édifices religieux : cathédrales, églises,
temples, synagogues, ainsi que des bâtiments des séminaires
et des locaux d'habitation : archevêchés, évêchés,
presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes
par l'État, les départements et les communes.
Art. 3
Les biens mobiliers
et immobiliers appartenants aux menses, fabriques, consistoires, conseils
presbytéraux et autres établissements publics préposés
aux cultes antérieurement reconnus, seront concédés
à titre gratuit aux associations qui se formeront pour l'exercice
d'un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques
où se trouvent ces biens.
Ces concessions,
qui n'auront d'effet qu'à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation
de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de
ces associations, par décret en conseil d'État ou par arrêté
préfectoral, suivant que la valeur des biens s'élèvera
ou non à 10 000 fr., pour une période de dix années
et à charge d'en rendre compte à l'expiration de cette période.
Elles pourront être renouvelées dans les mêmes conditions
pour des périodes de même longueur ou d'une longueur moindre.
Ne pourront
être compris dans ces concessions : 1° les immeubles provenant
de dotation de l'État, qui lui feront retour ; 2° les biens
ayant une destination charitable, qui seront attribués par décret
en conseil d'État ou arrêté préfectoral, suivant
la distinction précitée, aux établissements publics
d'assistance situés dans les communes ou dans l'arrondissement.
Les biens non
concédés dans un délai d'une année, à
dater de la promulgation de la présente loi, ou dont la concession
ne serait pas redemandée, seront attribués dans les mêmes
formes entre les établissements d'assistance ci-dessus visés.
Art. 4
Les ministres du
culte qui, par application de la présente loi, cesseront de remplir
des fonctions rétribuées par l'État, recevront les
pensions et allocations suivantes :
1° Les curés
et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés
de plus de soixante ans et comptant vingt-cinq années de service
au moins, 900 fr. ; les vicaires remplissant les mêmes conditions,
300 fr.
2° Les curés
et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés
de plus de cinquante ans et comptant au moins vingt ans de services, 750
fr. ; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 300 fr.
3° Les curés
et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés
de plus de quarante ans et comptant au moins quinze ans de services au
moins, 600 fr. ; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 250
fr.
4° Les curés
et desservants, âgés de moins de quarante ans, recevront pendant
quatre ans une allocation de 400 fr.
Les ministres
des cultes protestants et israélites, les directeurs et professeurs
des séminaires de ces cultes auront les mêmes pensions et
allocations que celles attribuées aux curés et desservants,
suivant les distinctions précités et à des taux calculés
dans les mêmes proportions que ci-dessus par rapport aux traitements
actuels.
Les archevêques
et évêques, le grand rabbin du consistoire central auront
une pension de 1 200 fr.
Ces pensions
et allocations cesseront de plein droit en cas de condamnation à
une peine afflictive ou infamante ou pour un des délits visés
par les articles 17 et 19 de la présente loi.
Les conditions
de payement de ces pensions et allocations, ainsi que toutes les mesures
propres à assurer l'exécution du présent article,
seront déterminées par un règlement d'administration
publique.
Art. 5
Les édifices
et autres biens affectés aux cultes antérieurement reconnus,
qui appartiennent à l'État, aux départements ou aux
communes, seront concédés, à titre onéreux,
aux associations qui se formeront pour l'exercice d'un culte, dans les
anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent
ces biens.
Ces concessions,
qui n'auront d'effet que deux ans à partir du 1er janvier qui suivra
la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites
des besoins de ces associations par décret en conseil d'État
ou par arrêté préfectoral, suivant que les biens appartiendront
soit à l'état, soit aux départements ou aux communes,
pour une période de dix années et à charge d'en rendre
compte à l'expiration de cette période et de supporter les
frais d'entretien et de grosses réparation.
Elles pourront
être renouvelées, sous les mêmes conditions, pour des
périodes de même longueur ou des périodes moindres.
Le prix de la
concession ne pourra dépasser le dixième des recettes annuelles
de l'association constatées d'après les dispositions de l'article
9 de la présente loi.
Des subventions
pour grosses réparations pourront être accordées aux
départements et aux communes dans la limite du crédit inscrit
annuellement au budget du ministère de l'intérieur.
Les biens non
reconnus utiles pour les besoins des associations d'un culte ou dont la
concession n'aura pas été redemandée pourront dans
les mêmes formes être concédés à un autre
culte ou affectés à un service public.
Les conseils
municipaux et les conseils généraux seront appelés
à donner leur avis pour la concession des biens communaux ou départementaux.
Titre II
ASSOCIATION POUR L'EXERCICE D'UN
CULTE
Art. 6
Les associations
formées pour subvenir aux frais et à l'entretien d'un culte
devront être constituées conformément aux articles
5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901 ; elles seront soumises aux
autres prescriptions de cette loi sous réserve des dispositions
ci-après :
Elles devront
avoir exclusivement pour objet l'exercice d'un culte.
Elles ne pourront
employer aucun étranger dans les fonctions de ministre du culte.
Les administrateurs
ou directeurs devront être Français, jouir de leurs droits
civils, et avoir leur domicile dans le canton où se trouvent les
immeubles consacrés à l'exercice du culte.
Art. 7
Outre les cotisations
prévues par l'article 6 de la loi du 1er juillet 1901, elles pourront
recevoir le produit des quêtes et collectes faites pour les frais
d'entretien d'un culte, dans les édifices consacrés à
l'exercice public de ce culte, percevoir des taxes ou rétribution,
même par fondations, pour les cérémonies et service
religieux, pour la location des bancs et siège, pour la fourniture
des objets destinés au service des funérailles dans les édifices
religieux et à la décoration de ces édifices.
Art. 8
Ces associations
pourront, dans les formes déterminées par l'article 7 du
décret du 7 août 1901, constituer des unions.
Ces unions ne
pourront dépasser les limites du département.
Art. 9
Les associations
tiennent un état de leur de leurs recettes et de leurs dépenses
; elles dressent chaque année le compte financier de l'année
écoulée et l'État inventorié de leurs biens,
meubles et immeubles.
Elles peuvent
constituer un fonds de réserve dont le montant ne devra pas être
supérieur au tiers de l'ensemble de leurs recettes annuelles.
CE fonds de
réserve sera placé soit à la caisse des dépôts
et consignations, soit en titres nominatifs de rentes françaises
ou de valeurs garanties par l'État.
A défaut
par une association de remplir les charges de réparation qui lui
sont imposées par l'article 5 pour les immeubles concédés,
le fond de réserve pourra être employé par arrêté
préfectoral pris après mise en demeure restée sans
effet, à réparer lesdits immeubles.
Outre ce fonds
de réserve, elles pourront verser à la caisse des dépôts
et consignations d'autres sommes, mais seulement en vue de l'achat ou de
la construction d'immeubles nécessaires à l'exercice du culte.
Elles seront
tenues de représenter sans déplacement, sur toute réquisition
du préfet lui-même ou à son délégué,
les comptes et états ci-dessus prévus.
Art. 10
Sont passibles d'une
amende de 16 à 1 000 fr. et d'un emprisonnement de six jours à
un an, ou de l'une de ces deux peines seulement, les directeurs et administrateurs
d'une association ou d'une union qui auront contrevenu aux dispositions
des articles 6, 7, 8 et 9.
Titre III
POLICE DES CULTES ET GARANTIE DE
LEUR LIBRE EXERCICE
Art. 11
Les cérémonies
d'un culte, les processions et autres manifestations religieuses ne peuvent
avoir lieu sur la voie publique, ni dans aucun lieu public, à l'exception
des cérémonies funèbres, ni dans aucun édifice
public autre que ceux concédés à un culte dans les
conditions déterminées par la présente loi.
Il est interdit,
à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe signe ou emblème
religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que
ce soit, à l'exception des édifices concédés
pour l'exercice d'un culte, des terrains de sépulture privée
dans les cimetières, ainsi que des musées ou expositions
publics.
Art. 12
Les réunions
pour la célébration d'un culte ne peuvent avoir lieu qu'après
déclaration faite dans les conditions et les formes prescrites pour
les réunions publiques, par l'article 2 de la loi du 30 juin 1881.
Outre les noms, qualités et domiciles des déclarants, la
déclaration indiquera ceux des ministres du culte appelés
à l'exercice de leur ministère.
Une seule déclaration
suffit pour un ensemble de cérémonies ou assemblées
cultuelles permanentes ou périodiques. Elle cesse de produire effet
à l'expiration d'une année.
Toute réunion
non comprise dans la déclaration, tout modification dans le choix
du local ou des ministres du culte doivent être précédées
d'une déclaration nouvelle.
Les représentants
ou délégués de l'autorité publique ont toujours
accès dans les lieux de réunion pour l'exercice d'un culte.
Art. 13
Il est interdit
de se servir de l'édifice consacré à un culte pour
y tenir des réunions politiques.
Art. 14
Les contraventions
aux trois articles précédents sont punis d'une amende de
50 à 1 000 fr. et les infractions à l'article 13 peuvent
être, en outre, punies d'un emprisonnement de quinze jours à
trois mois.
Sont passibles
de ces peines, dans le cas des articles 12 et 13, ceux qui ont organisé
la réunion, ceux qui ont participé en qualité de ministre
du culte et ceux qui ont fourni le local.
Art. 15
Sont punis d'une
amende de 100 à 1 000 fr., et d'un emprisonnement de 6 jours à
trois mois, ou de l'une de ces deux peines seulement, ceux qui, soit par
menace ou abus d'autorité, soit en faisant craindre à autrui
de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille
ou sa fortune, auront tenté de contraindre ou d'empêcher une
ou plusieurs personnes d'exercer un culte, de contribuer aux frais de ce
culte, de célébrer certaines fêtes, d'observer tel
ou tel jour de repos et, en conséquence, d'ouvrir ou de fermer leurs
ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou quitter certains travaux.
Art. 16
Sont punis des mêmes
peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu
les exercices d'un culte par des troubles ou désordres dans un édifice
consacré à un culte conformément à la loi.
Art. 17
Sera puni des mêmes
peines tout ministre d'un culte qui, dans l'exercice de ce culte, se rendra
coupable d'actes pouvant compromettre l'honneur des citoyens et dégénérer
contre eux en oppression, en injure ou en scandale public, notamment par
des inculpations dirigées contre les personnes.
Art. 18
Tout ministre d'un
culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura par des discours
prononcés, des lectures faites, des écrits distribués
ou des affiches apposés en public, soit outragé ou diffamé
un membre du Gouvernement ou des Chambres, ou une autorité publique,
soit cherché à influencer le vote des électeurs ou
à les déterminer à s'abstenir de voter, sera puni
d'une amende de 500 fr. à 3 000 fr. et d'un emprisonnement d'un
mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement.
Art. 19
Si un discours prononcé
ou écrit affiché, lu ou distribué publiquement dans
les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe
à résister à l'exécution des lois ou aux actes
légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever
ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre
du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de
trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité
dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une
sédition, révolte ou guerre civile.
Art. 20
Dans le cas des
poursuites exercées par l'application des articles 12, 13, 17, 18
et 19, l'association propriétaire, concessionnaire ou locataire
de l'immeuble dans lequel le délit a été commis, et
ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.
Si l'immeuble
a été concédé en vertu de la présente
loi, la concession en peut être retirée dans les formes où
elle a été faite.
La fermeture
du local peut être immédiatement ordonnée par l'autorité
judiciaire, qui prononce une condamnation pour infraction aux articles
13, 17, 18 et 19.
Titre IV
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
ET TRANSITOIRES
Art. 21
Un règlement
d'administration publique déterminera les mesures propres à
assurer l'application de la présente loi. Il règlementera
en outre les sonneries des cloches.
Art. 22
L'article 463 du
code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la
présente loi édicte les pénalités.
Art. 23
Les congrégations
religieuses demeurent soumises aux loi du 1er juillet 1901, du 4septembre
1902 et du 7 juillet 1904.
Art. 24
La direction des
cultes continuera à fonctionner pour assurer l'exécution
de la présente loi.
Art. 25
Sont abrogées
toutes dispositions législatives ou règlementaires contraires
à la présente loi et notamment :
1° La loi
du 18 germinal an X qui a déclaré que la convention
du 26 messidor an IX entre le Gouvernement français et le pape,
ensemble les articles organiques de ladite convention, seraient promulgués
etexécutés comme des lois de la République ;
2° Le décret
du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants
;
3° Les décrets
du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 sur le culte israélite
;
4° Les décrets
des 22 septembre 1812 et 19 mars 1859 ;
5° Les articles 201
à 208, 260 à 264, 294 du code pénal
6° Les articles 100
et 101, les paragraphes 11 et 12 de l'article 136 de la loi du 5
avril 1834 .
Il suffisait
de lire ce projet pour constater que son économie
générale était sensiblement différente de celle
du projet provisoirement adopté par la commission. En ce qui
concerne, par exemple, le régime de la propriété et
de la location des édifices du culte, celui des associations cultuelles,
le système de pensions, les solutions proposées par le Gouvernement
étaient en désaccord flagrant avec celles de la commission.
Pour l'attribution
de la propriété des biens immobiliers des Églises,
constitués à leur profit depuis le Concordat par dons et
libéralités provenant en tout ou en partie des fidèles,
la commission proposait une solution qui n'était peut-être
pas très juridique, mais avait, du moins, le mérite de trancher
la question une fois pour toutes, d'une façon nette et définitive.
Elle avait fait deux parts des édifices : ceux qui ont été
construits sur des terrains de l'État ou des communes ou achetés
au moyen de leurs subventions ; ceux, au contraire, qui ont été
bâtis sur des terrains donnés par les fidèles ou achetés
avec le produit de leurs dons et libéralités. Les premiers
étaient déclarés propriété de l'État
ou des communes ; les seconds propriétés des Églises.
Le système
proposé par le Gouvernement ne tranchait pas la question de propriété.
Des biens ecclésiastiques, mobiliers ou immobiliers, qui sont postérieurs
au Concordat, il faisait un lot que l'État, après prélèvement
des biens donnés par lui ou ayant une destination charitable, répartirait
par voie de concessions décennales renouvelables, entre les associations
cultuelles dans la limite de leurs besoins. L'avantage de ce système
serait de permettre la constitution, au profit des paroisses pauvres, d'un
patrimoine pour assurer le service du culte. Grâce à cette
manière de procéder, l'État étant juge et maître
de la répartition aurait sur l'emploi de ces biens un droit de contrôle
qui n'est certes pas négligeable. Mais ce système devait
avoir pour conséquence de perpétuer l'immixtion de l'État
dans l'administration des choses ecclésiastiques. D'où la
nécessité, dans le projet du Gouvernement, de conserver la
direction des cultes que la commission, se plaçant à un autre
point de vue, avait cru devoir supprimer.
En tout cas,
si sur ce point, le projet du Gouvernement pouvait paraître acceptable,
il n'en était pas de même quant au silence gardé par
lui sur la question de propriété relative aux biens mobiliers
et immobiliers antérieurs au Concordat. Il était imprudent
et dangereux de ne pas affirmer avec force et netteté, comme l'avait
fait la commission, la propriété de l'État ou des
communes.
M. Combes n'avait
pas cru nécessaire d'affirmer le droit de propriété
de l'État et des communes, parce qu'il lui avait paru suffisamment
établi par une jurisprudence constante. Mais la jurisprudence, c'est
pure affaire d'interprétation, et celle-ci peut varier selon les
cas, les temps et les juges. Jusqu'à ce jour, il est bien vrai que
les décisions de justice ont été conformes au droit
de l'État et des communes ; qui pourrait assurer que demain il n'en
serait autrement ?
Puis, un jugement,
un arrêt, valent seulement pour les cas qu'ils ont appréciés
; leur force exécutoire est strictement limitée à
l'espèce jugée. Il en résulte que projet du Gouvernement,
une fois transformé en loi, rencontrerait des difficultés
d'application presque insurmontables. Partout, dans les paroisses, l'Église
revendiquerait la propriétés de édifices antérieurs
au Concordat. Avant que l'État pût en disposer, il faudrait
que cette question préjudicielle fût tranchée. Ce serait
des procès innombrables et interminables.
Puisqu'une occasion
s'offrait de consacrer l'oeuvre de la Révolution en affirmant, une
fois pour toutes, et sans contestation possible, le droit de l'État
et des communes, pourquoi ne pas la saisir ?
Mais c'est aussi
quant à la disposition des biens mobiliers et immobiliers antérieurs
au Concordat, que les solutions de la commission et du Gouvernement apparaissaient
divergentes. Alors que la première rendait à l'État
et aux communes, après une période de location de dix ans
obligatoire, la libre disposition de leur propriété, celle
du gouvernement édictait, au profit des associations cultuelles,
un système de concessions décennales indéfiniment
renouvelables, même pour les immeubles des départements ou
des communes qui se seraient montrés hostiles au renouvellement.
Il en résultait une grave atteinte au principe de la séparation.
Cette obligation indéfinie, imposée aux communes et aux département,
de laisser leurs biens entre les mains des représentants des Églises,
prenait, en effet, le caractère d'une véritable subversion
en faveur des cultes. C'était en outre, là aussi, l'immixtion
de l'État qui se perpétuait dans les affaires ecclésiastiques.
Sur le chapitre
des pensions aux ministres des cultes, la dissemblance était tout
entière dans la question de mesure. Le projet de la commission ne
pensionnait que les ministres des cultes qui réalisaient certaines
condition d'âge et de durée de services concordataires. Celui
du Gouvernement, beaucoup moins exigeant, tant pour l'âge que pour
la durée des services, allait jusqu'à accorder, pendant une
période de quatre années, à tous les curés
et desservants concordataires sans exception, une pension de 400 fr.
D'après
l'application de ce système de pension, faite par les soins de la
direction des cultes, il devait entraîner pour l'État une
dépense annuelle de 22 444 000 fr., qui irait, naturellement, en
décroissant chaque année.
Quant au régime
des associations cultuelles, la différence la plus importante entre
les deux textes était relative aux unions. Alors que la commission
les avait autorisées, même nationales, le projet du Gouvernement,
par son article 8 , les enfermait dans les limites
du département. C'était imposer aux Églises une formation
arbitraire qui, en les contraignant à modifier leur organisation
intérieure, pouvait entraîner pour elles les difficultés
les plus graves. Les Églises protestantes dont les fidèles,
peu nombreux relativement, sont disséminés sur tous les points
de la France, n'auraient pas pu s'accommoder de ce régime. Il en
eût été de même pour la religion israélite.
Enfin, au chapitre
de la police des cultes, pour ne noter que l'innovation la plus grave apportée
par le projet Combes, nous signalons l'article 17
dont les termes imprécis et vagues étaient de nature à
inquiéter les consciences par l'interprétation arbitraire
auquel ils pouvaient donner lieu.
Le premier examen
du projet du Gouvernement provoqua, au sein de la commission, les résistances
les plus vives. Finalement, les membres de la majorité consentirent
à délibérer sur les articles, mais après de
fortes réserves, et seulement parce que les circonstances commandaient
d'éviter un conflit qui, en ajournant de plusieurs mois la discussion
devant la Chambre, eût irrémédiablement compromis,
au moins dans cette législature, le succès de la réforme.
mais s'ils consentaient à adopter le projet soumis à leur
délibération c'était à la condition expresse
que des modifications fussent consenties par le Gouvernement sur les points
de divergence les plus graves.
Le rapporteur
fut chargé de s'entremettre auprès du président du
conseil à fin de transaction. Dès la première entrevue,
il devint évident que M. Combes, animé du plus vif désir
de conciliation, acceptait d'entrer dans les vues de la commission pour
le règlement de la plupart des difficultés qui lui étaient
signalées. Il consentit successivement : 1° à insérer
en tête de son projet une déclaration de principe conforme
à celle du texte de la commission ; 2° à affirmer que
le doit de propriété de l'État et des communes sur
tous les biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat
; 3° à remettre à l'État et aux communes la libre
disposition de ces biens dès l'expiration de la période de
dix ans obligatoire pour la location aux associations cultuelles ; 4°
à n'imposer aux unions d'autres limites que celles des circonscriptions
ecclésiastiques existantes ; 5° à supprimer les délits
spéciaux crées par l'article 17.
Il ne restait
plus à régler que la question des pensions et quelques points
de détails relatifs à l'ingérence de l'administration
préfectorale dans les affaires ecclésiastiques pour aboutir
à l'accord complet et définitif. Le rapporteur ne désespérait
pas d'y réussir, et déjà il se proposait de tenter
une dernière démarche dans ce but, quand le ministère
Combe prit la résolution de quitter le pouvoir.
L'un des premiers
actes de son successeur fut de saisir la Chambre d'un nouveau projet sur
la séparation des Églises et de l'État. Déposé
le 9 février 1905, il fut renvoyé à l'étude
de votre commission. En voici le texte.
Projet
du Gouvernement