La Séparation
des Églises et de l’État
Vue par les journaux étrangers
à partir des notes du Service de la Sûreté Générale
du Ministère de l’Intérieur
réunies et présentées
par Maurice GELBARD
ISBN 2 - 9505795 -7- 4
Dépôt légal 4° trimestre 2005
Depuis 1802, le service
des cultes était, par l'existence du Concordat, un service public.
Comme n'importe quel autre service public, il bénéficiait de crédits
alloués par une loi budgétaire votée par le Parlement.
Cette loi se préoccupait simplement des conditions de l'emploi des
crédits et en ajustait les chiffres à l'importance exacte des besoins auxquels
ils devaient faire face.
Il est notable qu'il n'y eût pratique-ment jamais de ministère des
cultes autonome. Il était rattaché soit au ministère de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts, soit au ministère de la justice, soit au ministère de
l'Intérieur. C'est toujours ce dernier ministère qui, encore aujourd'hui,
à la charge de ce problème.
C'est en faveur du culte catholique, "religion de la majorité des
Français" que le Concordat a été conclu. Les représentant du protestantisme
demandèrent à y être immédiatement rattaché. Il fallu attendre une loi de
1830 pour que le traitement des ministres du culte israélite fût pris en
charge par le budget.
Ce budget devint de plus en plus lourd et sa suppression fût le cheval
de bataille de ceux qui demandaient la séparation des Églises et de l'État.
C'était, pensaient-ils, plus simple que de voter une loi de séparation.
Le gouvernement aurait dû déposer un projet, ou des parlementaires
auraient dû prendre l'initiative d'une proposition :
- qui aurait dû être "pris en considération" par la Chambre pour qu'une
commission soit nommée pour l'examiner.
- Cette commission aurait dû rédiger et déposer un rapport concluant
ou non à la nécessité du texte.
- Enfin, la Chambre votait, ou non, "la discussion".
Le Gouvernement pouvait intervenir pour influencer les décisions
.
De nombreux projets d'initiative parlementaires sont ainsi restés
sans rapport, ou n'ont pas fait l'objet de débats, ou sont restés bloqués
dans les cartons du Sénat .... surtout ceux concernant les réformes sociales
; mais ceci est une autre histoire.
A la fin de l'empire, ou plutôt, au début de ce qui n'était pas encore
officiellement la République, l'Ordre moral qui gouvernait votait sans trop
broncher le budget des cultes; c'était une chambre cléricale ( qui votera
quand même la République à une voix de majorité avant de se séparer !!)
Mais après la victoire, en 1876, d'une Chambre républicaine, devant
l'outrecuidance des cléricaux, et surtout après la tentative de coup de
force de Mac-Mahon en faveur de ces derniers, Gambetta termina un de ses
discours avec ce cri de guerre : "Le cléricalisme, voilà l'ennemi" .
L'anticléricalisme devint ce qui sépara le moins les (très) différents
courants républicains, et le budget des cultes devint leur cible ( presque)
chaque année.
Si Gambetta à fait son discours le 4 mai, résumant toute son action,
énoncée en 1869 dans le "programme de Belleville", il avait mené depuis
5 ans de nombreux discours au travers du pays.
Il faut toutefois remarquer que, dès le 25 novembre précédent, M.
Boysset et ses amis avaient demandé la suppression du budget des cultes pour
1877: c'était la première fois !
Les Présidents du Conseil devaient défendre ce budget, obligatoire
à cause du Concordat, quelle que soit leur opinion. En 1902, M. Waldeck-Rousseau usa d’arguments politiques L’année suivante, ce fut au tour de M. Combes. Son
argumentaire reposa sur l’importance de la morale chrétienne.
Le budget fut voté, mais, selon un rapport de police, la discussion
du budget des Cultes et le discours de M. Combes faisaient en fin de séance
l'objet de toutes les conversations. Les députés d'extrême-Gauche ne décoléraient
pas et criaient tous à la trahison du Ministère. "A partir d'aujourd'hui,
disait le rapport de la Sûreté générale , on peut s'attendre à de grosses
surprises, car il y a quelque chose de changé dans la majorité."
Toujours selon ces rapports, "Dans les milieux socialistes on s'attendait
à ce que M. Pelletan démissionne bruyamment.
Mais on s'attendait aussi à un accord temporaire ; que la lutte contre
les Congrégations soit achevée ; puis la majorité abandonnerait M. Combes,
car elle estimait que rien ne pouvait effacer les déclarations faites sur
les idées religieuses". - "Les radicaux socialistes étaient plus intransigeants
que les collectivistes ..." Ils reprenaient le mot de Gambetta, "il faudra
se soumettre ou se démettre "
Le ministère Combes ne "tombera" que près de deux ans plus tard, alors
que , dès ce moment-là, ou plutôt un mois après, le nom de Rouvier, qui
lui succédera, était prononcé pour le remplacer .... bien d'autres suivront
!
Les notes du Service de la Sûreté Générale d’où j’ai recopié les textes
ci-après sont consultables aux Archives nationales. Cotation F7
Paris 2 février 1903
Du Vorwaerts, 29 janvier
Le correspondant parisien, M. Kristschevski, dit que le bloc commence
à craquer. On s'attendait bien à ce que les anticléricaux même les plus
enragés refuseraient toujours - une fois arrivés au Pouvoir - à voter la
séparation des Églises et de l'État, la commission du budget des cultes
elle-même trouve que cette séparation serait prématurée. Mais M. Combes
ne s'est pas contenté de reprendre ces vieux arguments. Il a fait une déclaration
qui a surpris tout le monde et qu'un ministre prussien n'aurait pas désavouée.
Il ne manquait que ce cliché : Il faut maintenir la religion au peuple.
On conçoit la joie des cléricaux et de leurs amis mélinistes de même
que la stupéfaction des troupes gouvernementales en présence de ce véritable
pronunciamiento du chef du Gouvernement. Si sans religion il n'y a pas de
morale, pourquoi la république a-t-elle banni l'enseignement religieux des
écoles !
Le budget des cultes a été voté grâce à la coalition clérico-méliniste.
Cette majorité durera telle ? M. Waldeck-Rousseau avait gouverné avec deux
majorités, mais M. Combes n'est pas assez bon musicien pour pouvoir imiter
ce virtuose.
Ironie cruelle ! le sort a voulu que la séance où la fissure du bloc
s'est produite fût présidée par M. Jaurès.
Une autre correspondance parisienne publiée dans le même numéro du
"Vorwaerts" s'occupe de la discussion sur l'internationalisme qui a eu
lieu récemment à la Chambre française.
Autrefois, les partis bourgeois tenaient à ne suspecter que le patriotisme
des socialistes; la masse des électeurs était encore tellement imbue de
chauvinisme que les calomnies les plus stupides trouvaient toujours crédit
auprès d'elle. Depuis les choses ont changé : l'affaire Dreyfus a répandu
l'esprit antimilitariste bien au-delà des sphères socialistes. Les armes
de calomnie patriotique contre le socialisme se sont émoussées. Le socialisme
a pu même prendre l'offensive et organiser sur le modèle de la Jeune Garde
belge, la propagande antimilitariste. Tout cela, joint à l'élection de M.
Jaurès à la vice-présidence, suffisait aux patriotes pour déclarer la patrie
en danger.
Parlant de l'interpellation Dejante et Lasies, le correspondant fait
remarquer que le général André, très sévère pour les Bourses du Travail,
a montré beaucoup d'indulgence pour la propagande cléricale dans l'armée.
Paris 7 février 1903
Du "Piccolo de Trieste"
Le correspondant parisien qui signe "Proko" émet l'avis que les déclarations
de M. Combes sur la philosophie spiritualiste constituent une tentative
de suicide de son cabinet. La blessure qu'il s'est donnée est assez grave.
En manifestant en pleine Chambre son respect pour l'éducation religieuse,
M. Combes, le massacreur des Congrégations, a porté un coup droit au "bloc".
L'émotion dure encore et va grandissant de jour en jour. Comment un Ministre,
qui déclare être convaincu de la nécessité de confier à l'Église l'enseignement
moral, peut-il s'être proposé comme but la suppression des Congrégations
? Se livrer à l'emphase lyrique sur les beautés du spiritualisme après avoir
entrepris l'œuvre colossale de la suppression des maisons religieuses,
cela dénote une candeur politique qui frise l'enfantillage. Quelles en
seront les conséquences ? La majorité républicaine n'en mourra pas, mais
bien le ministère Combes.
Paris, 9 février 1903
"Muenchener Neueste Nachrichten"
Le correspondant parisien dit que le Cabinet est en mauvaise posture
depuis que Combes s'est révélé comme spiritualiste. Les radicaux lui en veulent
mais ne savent par qui le remplacer; les éléments modérés de la majorité
ne sont pas contents estimant que la loi sur les associations a été appliquée
avec trop de dureté. C'est étonnant que M. Waldeck-Rousseau ait gardé si
longtemps pour lui son opinion sur l'application de la loi et qu'il ne l'a
fait connaître qu'au moment où la majorité menace de se désagréger. Est-ce
qu'il voudrait aider à la formation d'une concentration selon le cœur de
M. Deschanel ?
Dans cette situation précaire, M. Jaurès et ses amis sont les sauveurs
du Ministère. M. Jaurès sacrifie volontairement ses principes pourvu qu'il
continue à faire partie de la majorité, car dans l'opposition, il n'y a
rien à récolter.
Paris, 25 mars 1903
de Londres : "TIMES"
Le discours prononcé, samedi, au Sénat, par M. COMBES, n'est qu'un
incident de la lutte de la majorité républicaine contre l'Église.
Ce qui semble certain, c'est que cette lutte va continuer et qu'au
fur et à mesure elle prendra de plus grandes proportions et montrera plus
d'animosité.
La dénonciation du Concordat et la séparation complète de l'Église
et de l'État peuvent ne pas être absolument prochains, mais après le discours
du Premier Ministre ces solutions sont assurément moins éloignées qu'elles
n'étaient.
Le seul espoir pour le Concordat, a dit M. COMBES, est dans un changement
d'attitude de la part du clergé français et dans la capitulation du Vatican
sur la
question des évêques.
La séparation de l'Église et de l'État créerait certainement une
situation pleine d'embarras et de danger pour l'Église, mais il n'est
nullement établi que l'État ne perdrait pas encore davantage.
La séparation pourrait difficilement être faite sans provoquer des
divisions intérieures qui affaibliraient certainement le Gouvernement et
cela priverait en outre la France d'un de ses moyens les plus puissants
pour l'exercice de son influence politique extérieure.
Peu de mesures, pensons-nous, pourraient être plus profitables aux
champions de la "Weltpolitik" à Berlin et aux adversaires de l'influence
française en Syrie à St Petersbourg.
Paris, 29 mars 1903
"Gazette de Magdebourg", 25 mars
Le correspondant parisien, M. Treusch, constate que M. Combes marche
de victoire en victoire. La majorité de la Chambre et du sénat sont contents
de lui, et il faut qu'elles le soient car il ne fait que ce qu'elles désirent.
M. Combes a fait au Sénat, sur le Concordat, des déclarations qui
sont bien différentes de celles qu'il venait de faire à la Chambre. Lui qui
avait d'abord considéré comme impossible la dénonciation du Concordat, il
a eu l'air, devant les sénateurs, d'y songer sérieusement. Son discours a
été, pour Rome, la menace la plus nette et la plus tranchante qu'un homme
d'État français ait proféré jusqu'ici.
Peut-être M. Combes n'a-t-il voulu que menacer. Mais l'expérience
de ces derniers mois démontre que, bon gré mal gré, il est poussé par la
majorité vers une politique de plus en plus radicale. Quand il a pris le
pouvoir, il avait sans doute l'intention sincère de continuer la politique
de M. Waldeck-Rousseau; mais la majorité, très habilement stimulée par M.
Jaurès, l'a entraîné et l'a forcé à rompre avec les idées de son prédécesseur.
............... C'est improprement que le "Soleil" dit que le petit
Combes chausse les bottes de M. de Bismarck. Il faut remarquer que M. Combes
a sur Bismarck un avantage : il a une majorité serrée qui non seulement le
soutient, mais le porte. S'il demandait la séparation de l'Église et de
l'État, il n'aurait pas toute la majorité actuelle, mais il aurait néanmoins
une majorité.
Paris, 8 avril 1903
Le correspondant parisien de la "Westminster Gazette", dit qu'il
était facile à prévoir que la Chambre rejetterait en bloc et sans les examiner,
les demandes d'autorisation des ordres prédicants. Mais M. COMBES a donné
à entendre dans un langage mystérieux, qui convient à un homme d'État qui
ne sait pas exactement ce qu'il veut, que la loi ne sera pas appliquée
sans restriction. Nous avons, ajoute le correspondant, maintenant l'explication
de cette réticence par la publication de la correspondance entre M. DELCASSE
et M. WALDECK-ROUSSEAU depuis que les mesures ont été prises contre les
Congrégations. .
Le Ministre des Affaires Étrangères a chaudement défendu les Missionnaires
qui sont les soutiens de la politique française à l'Étranger. En outre,
il y a en France même beaucoup d'établissements de charité qu'on ne pourrait
pas supprimer sans imposer au fisc déjà à trop chargé les frais de la construction
de nombreux hôpitaux. Voilà pourquoi M. COMBES a été de baisser le ton.
Beaucoup se demandent ce que deviennent les Congrégations dissoutes ? Cela
dépend d'elles-mêmes. Légalement, elles n'ont plus d'existence comme corporation
et leurs établissements sont ou seront a fermés, mais leurs membres peuvent
rester en France. Ainsi, les jésuites ont quitté ont quitté leur collège
mais individuellement ils vivent à proximité.
Paris le 28 Avril
"Koelnische Volkszeitung"
Sous le titre "Que faire ?" le correspondant parisien publie un article
remarquable sur la situation créé aux catholiques français par les derniers
événements. Au moment, dit-il, où la loi de Juillet a été promulguée, beaucoup
de gens croyaient qu'elle ne serait pas appliquée; or, c'est le contraire
qui se produit.
Cette situation sans précédent est voulue, imposée, par une majorité
puissante, composée de radicaux et de socialistes comme il n'y en avait
pas encore eu sous la troisième république. Le Cabinet Combes ne tombera
pas de sitôt et, s'il tombait, il serait remplacé par un ministère du même
acabit.. D'autre part, l'opposition manque d'une direction rigoureuse et
intelligente. Les catholiques ont été entraînés dans deux affaires funestes
: le boulangisme et l'affaire Dreyfus; leur séparation d'avec les nationalistes
s'accentue tous les jours. Il faut donc s'attendre à ce que le "bloc" aille
jusqu'au bout : les socialistes ont beau jeu, ils n'auront jamais une si
belle occasion.
Seul, un coup d'État fait par un militaire, pourrait changer l
a face des choses. Mais aucun parti raisonnable ne peut compter sur un tel
événement : un coup d'État entraînerait la guerre civile et une guerre extérieure.
Aussi des deux côtés, on se prépare à un Kultukampf qui durera des années.
17 mai 1903 : A
l’initiative du quotidien libre-penseur l’Action, des centaines de réunions réclamant la séparation
des Églises et de État se tiennent en France.
Paris 25 mai 1903
"Basler Nachriechten"
Le correspondant parisien qui signe B... trouve que la France fait
fausse route. La lutte anticléricale inaugurée avec tant d'ardeur par M.
Combes ainsi que le caractère jacobin qui domine de plus en plus paraissent
inspirés des appréhensions aux républicains même bon teint.
C'est un fait connu que M. Waldeck-Rousseau, pourtant un moment le
parrain politique de M. Combes, combat en sous-main la politique de son
successeur et cherche à le faire descendre du pouvoir. On ne croit pas cependant
que M. Waldeck-Rousseau désire redevenir président du Conseil; s'il aspire
à des fonctions publiques, ce ne peut être qu'à celles de président de la
République et encore ne voudrait-il pas avoir affaire à une République tout
à fait dérangée. On dit que des alliés secrets ne lui manquent pas. M. Loubet,
dit-on aussi, est fatigué de son président du Conseil. Au Cabinet même,
les ministres modérés ne se montrent pas trop édifiés de la politique de
M. Combes. Où cela nous mènera-t-il ? Voilà ce qu'on entend dire à plus
d'un ministre. Bien entendu on n'épargne pas non plus à M. Loubet le reproche
d'avoir confié le sort du pays à un homme qu'il savait être un fanatique.
Paris, 26 mai 1903
Le correspondant parisien du "Courrier de Hanovre" dit
que la discussion de deux jours à la Chambre sur le conflit avec l'église
catholique n'a pas satisfait les espoirs. Elle n'a montré qu'une chose
: c'est que ni le Gouvernement, ni le Parlement ne sont décidés à faire
le pas décisif et à dénoncer le Concordat. Et c'est là la question dont
il s'agit, car il est évident que le Président du Conseil maintiendra ses
mesures et que la majorité l'approuvera. La Gauche a voulu forcer le Président
du Conseil à faire une déclaration qui présente la dénonciation du Concordat
comme un article du programme gouvernemental. Voilà pourquoi on a voulu
lui arranger l'ordre du jour de M. HUSSARD. Mais M. COMBES a décliné l'offre
et la fin de la séance a prouvé qu'il avait bien jugé la situation. Il a
fait preuve de la même habileté dans son principal discours.
Il était à prévoir que l'aile gauche ne voterait pas l'ordre du jour
ÉTIENNE et se séparerait dans cette question du Gouvernement. Mais ni la
situation du cabinet, ni la solidité de la majorité n'ont été ébranlées.
Le point faible dans le discours de M. COMBES était qu'il ne savait pas fournir
une raison suffisante pour expliquer l'indulgence dont on a fait bénéficier
Lourdes. L'opposition a eu raison en disant qu'elle ne veut pas admettre
qu'on fasse des distinctions arbitraires.
Paris, 26 mai 1903
Le correspondant parisien de la "Gazette de Francfort"
dit que le discours de M. COMBES qui a clos le débat des interpellations,
est si net qu'il ne peut subsister aucun doute sur le programme du Gouvernement
pour ceux qui ne veulent pas prendre de nouveau au sérieux les canards
que la presse d'opposition réserve pour demain. Avec cette énergie tenace
qui fait sa force, M. COMBES a délimité sa politique vers la Gauche aussi
bien que vers la Droite. Sa mission consiste à exécuter la loi sur les
associations et l'application de cette loi aux Congrégations. Contre les
évêques et le clergé, on n'appliquera que les mesures admises par le Concordat.
Le Gouvernement sait que ces mesures sont insuffisantes; il connaît aussi
les deux solutions qui peuvent mettre fin à cet état de choses : ou le
clergé fait son devoir et se soumet aux lois de l'État ou bien l' État a
recours à la légitime défense et renforce le contrôle sur le clergé sans
se tenir trop à la lettre du Concordat puisque l'Église elle-même a passé
outre.. Le Gouvernement n'estime pas opportun ces deux solutions mais laisse
tout dépendre de l'attitude du clergé; il croit savoir qu'en présence du
conflit entre l'État et l'Église, l'opinion publique est encore hésitante,
mais il est convaincu que l'obstruction du Clergé finira par créer une
majorité en faveur de la séparation de l'Église et de l'État. En effet,
la conduite du Parlement a justifié jusqu'ici ...
Paris le 1er avril 1904
"Gazette de Magdebourg", 29 mars.
.....Le fait que Loubet ira à Rome sans voir le pape rassure sur
bien des points les démocrates de France, qui sont plus heureux de ce que
M. Loubet ne verra pas Pie X que de ce qu'il verra le roi d'Italie: l'intervention
de M. Boni de Castellane a rendu très facile aux républicains la justification
de leur point de vue.
Il est étrange toutefois que 1e représentant de 1a nation française
se rende à Rome sans faire une visite au Vatican alors que les relations
officielles entre les deux puissances existent encore. Cette question aurait
pu trouver une solution avec un peu de bonne volonté des deux côtés: mais
cette bonne volonté manquait.
D'autre part 1e pape, par son dernier discours, a rendu sans le vouloir
un service aux républicains. Comment M. Loubet pourrait-il faire une visite
à un souverain qui devant tout le monde, a attaqué le gouvernement français
?
L'omission de la visite au Vatican est le premier acte du "Kulturkampf"
français qui démontre ouvertement qu'il ne s'agit pas seulement d'une campagne
contre les congrégations, mais d'une guerre entre l'État et l'Église. Les
Français s'imaginent rendre un service à l'Italie en traitant le Vatican,
d'une manière hostile. Ils se trompent. Une rupture de la France avec le
Saint Siège peut être utile à l'Italie, mais dans un sens tout outre qu'on
ne l'espère. Le pape actuel est bien capable de chercher en Italie l'appui
qu'il ne trouvera plus en France et confier à ce royaume le protectorat
des chrétienté d'Orient.
Paris, le 16 avril 1904
" Gazetta del Popolo"
. Le correspondant parisien , M. Mazzini, dit que malgré les vacances,
la politique ne chôme pas. Chaque jour apporte un petit incident qui fait
verser des fleuves d'encre . L'enlèvement des Christs s'est fait sans beaucoup
de fracas. Il y eut seulement en province quelques petites manifestations
privées de toute importance . IL y aura encore une Interpellation à la
Chambre et M. Combes jouera une fois De plus symboliquement le rôle de
Satan. On parlera cependant du représentant du Christ sur terre, de Pie
X, et de la visite que selon le " Figaro", M. Delcassé devrait faire au
cardinal Merry del Val . Tous les démentis de Rome et du Quai d'Orsay n'ont
pas réussi ù tranquilliser certains brocards intransigeants pour qui il
s'agirait d'un ballon d'essai. M. Delcassé, disent-ils, aurait l'intention
de se prosterner aux pieds du Pape . Moi , je n'en crois rien . M. Delcassé
est homme trop avisé pour concevoir une pareille hérésie politique . La
politique religieuse est maintenant très intéressant. et même passionnante.
Les républicains ont trop longtemps négligé le Vatican et ils tiennent
à: se rattraper.
La question de la séparation de l'Église et de l'État fait des
progrès énormes. L'intolérance du nouveau Pape la sert à merveille, à telle
enceigne que des prêtres s'en déclarent partisans. Fait étrange, ces serviteurs
du Seigneur ne songent pas qu'ils se priveraient ainsi de la belle somme
de 40 millions. Il faut être très riche pour montrer pareil désintéressement.
Une partie du bloc suit avec intérêt cette marche en avant du clergé.
On dit que la question de la séparation de l'Église et de l'État
sera bientôt mise sur lu tapis et résolu . On parle aussi du ministère
auquel incombera l'honneur de présider à cette œuvre délicate . C'est M.
Clemenceau qui serait Président du Conseil et il se pourrait que M. Combes
fut le successeur de M. Loubet à l'Élysée. M. Clémenceau travaille à se
préparer le chemin vers le Pouvoir. Il fait tous les jours une campagne
contre l'Église romaine avec des arguments comme on n'en a jamais connu.
Il n'est donc guère admissible que M. Delcassé caresse en ce moment l'idée
d'aller au Vatican . Du reste, la note de la politique du ministère a été
donnée dans le discours du Président du Conseil à Laon . Le programme
avec lequel le Cabinet s'était présenté à la Chambre est épuisé. Il faut
formuler les corollaires. On viendra donc aux lois sociales et le bruit
court que M. Rouvier aurait déjà trouvé une solution pour le problème des
retraites ouvrières .
24 avril 1904 : voyage
du Président de la République, Émile Loubet, à Rome. Il ne rendra pas visite
au Pape
Paris, 12 mai 1904
Le correspondant parisien du "Koelnische Volkszeitung" se
demande si France est plus près de la rupture avec le Vatican. Le Gouvernement
a repoussé la protestation du Pape. On refuse de recevoir une note diplomatique
quand celle-ci a si bien touché qu'on ne sait quoi y répondre. Refus
d'accepter n'est pas une solution ou dans le cas présent cela équivaut
presque à une rupture un relations diplomatiques. Le Pape ne se laissera
pas empêcher de communiquer s'il le juge utile encore, d'autres pièce qui
ne plairont pas aux hommes actuellement au pouvoir. Les gens du "bloc" sont
naturellement contents du refus du Gouvernement bien que tous ne désirent
pas la rupture avec Rome. Mais ils y voient une occasion pour nouvelle
action contre le Pape et l'Église. Le Gouvernement et le "bloc" croient
toujours arriver par la violence à leur but, qui est l'oppression et la
démolition de l'Église. La note française ne contient aucune excuse, ni
atténuation, c'est un refus brusque qui d'habitude est le précurseur de
la rupture des relations diplomatiques. L'affaire sera du reste portée
à la Tribune de la Chambre.
M. VALLE, ajoute le correspondant, a ordonné d'afficher dans les
prétoires la déclaration des droits de l'Homme. Mais, aux ternes de cette
déclaration, aucun citoyen ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses
et pourtant la République d'aujourd'hui jette des citoyens et même des
femmes inoffensives sur le pavé à cause de leurs convictions religieuses.
Paris, le 16 mai 1904
"Gazette de Magdebourg"
Le correspondant parisien parlant de l'incident qui s'est produit
entre la France et le Pape, dit qu'au Vatican on parait déjà comprendre
qu'on a manqué de prudence . La protestation papale vient fort mal à propos.
Le " Figaro" exprime le vœu que Pie X prenne comme exemple Léon XIII, le
pape politique . Dans un article du "Temps" qui formule à peu près la même
critique, c'est les dépit de M. Delcassé qui se fait jour. Que lui servait-il
d'avoir toujours réparé les rapports avec le Vatican contrairement aux idées
de ses collègues, si le Pape lui-même détruit l'œuvre de conciliation ?
En effet, la note d'un pape est un prétexte qui vient propos pour ceux qui
veulent la rupture définitive avec le Vatican. Si le Pape lui-même rend cette
rupture inévitable, toute la politique anticléricale se trouve par là justifiée.
Il est bien étrange que les journaux anticléricaux raillent Pie X
qui ne veut pas abandonner ses revendications et qui proteste toujours contre
la prise de Rome. On trouve cela ridicule et pourtant, en France, on se
réserve le droit de protester contre 1870 et on refuse de reconnaître le
traité de Francfort
L'hostilité contre le Vatican est née d'un sentiment de déception
car on espérait amener la revanche avec l'aide du Pape. Cette déception est
pour beaucoup dans la politique anticléricale. Un pareil sentiment ranime
le Pape. La France n'avait-elle pas été destinée à rétablir le pouvoir
temporel ?
17 mai 1904 : l’Humanité publie
la note de protestations envoyée aux chancelleries. Jaurès en a eu communication
par le prince de Monaco. Elle diffère par quelques mots de celle reçue
par le Quai d’Orsay ce qui provoque de vives protestations.
5 juin 1904
"Strassburger Post"
Le correspondant parisien, parlant de l'impression produite par la
séance de 1a Chambre du 27 courant, dit qu'on peut s'étonner de ce que
les explications de M. Combes n'aient pas provoqué une plus grande indignation
que celle qui s'est manifestée.
On peut discuter la question de savoir qui perdra le plus par la
séparation de l'Église et de l'État. Les catholiques qui forment la majorité
de la population y trouveront mieux leur compte qu'aujourd'hui. Maintenant
ils paient l'impôt pour le budget des cultes et ils envoient leurs deniers
à home; dorénavant ils auront l'excuse de ne pouvoir plus rien faire pour
le denier de St-Pierre .
Quant aux autres confessions, le pasteur allemand protestant de la
rue Blanche disait au correspondant que les protestants se trouveront très
bien de la suppression du budget des cultes. Les consistoires israélites
s'en trouveront encore mieux.
On comprend donc que l'orage contre le Ministère n'est pas trop violent.
Dans le camp des anticléricaux on est tout à la joie, ce qui ce comprend
parfaitement. Depuis des années, socialistes et. radicaux proposent la
suppression du budget des cultes et voilà que tout d'un coup leur rêve
fait mine de se réaliser. Pour la première fois un Ministre prend un en engagement
formel relatif a la séparation des Églises et de l'État.
En cas de succès, cette bataille sera le couronnement de l'œuvre
de M. Combes.
6 juin 1904
"Gazetta del Popolo"
Le correspondant parisien fait remarquer que certains radicaux
et socialistes impatients de devenir ministres, sont maintenant très pressés
de séparer les Églises de l'État. Les réactionnaires eux-même, veulent
que la question soit mise à l'ordre du jour.
La Chambre, telle le qu'elle est composée aujourd'hui, n'est
pas favorable à la séparation et si, dans un vote à l'improviste, la séparation
était repoussée, la Politique de M. COMBES serait implicitement condamnée
et la France devrait, après une lutte de quatre ans, faire machine en arrière.
Le divorce entre la République et le pape se fera parce que la moitié
du chemin est déjà faite par la démocratie française. La question est posée.;
elle sera résolue après mûre réflexion et sans secousses violentes.
8 juillet 1904 :
Interdiction est faite aux Congrégations enseignantes …. d’enseigner.
30 juillet 1904: rupture des relation diplomatiques avec le Vatican
Paris, le 30 juillet 1904
"Courrier de Hanovre"
Le correspondant parisien, faisant une analyse du discours de M.
Combes à Carcassonne, fait remarquer que le Président du Conseil est tout
à fait dans le vrai en disant que le maintien du Cabinet est nécessaire
tant que ne l'esprit laïque ne l'aura pas emporté sur l'esprit clérical.
Il mérite la confiance et le succès électoral qu'il a remporté grâce à
sa politique anticléricale.
Cependant, l'axiome qu'on n'exporte pas l'anticléricalisme n'a rien
perdu de son influence, M. Delcassé a fait des concessions aux congrégations
enseignantes à l'Étranger et dans les colonies. L'influence de Gambetta
était funeste. L'action de Jules Ferry aurait pu avoir quelque importance,
mais a Ferry a laissé subsister la loi Falloux, croyant que la laïcisation
des écoles primaires suffirait. Il a fallu l'affaire Dreyfus pour révéler
le danger aux masses populaires.
L'horrible corruption intellectuelle et morale qui se manifestait
alors avait pris ses racines dans l'éducation cléricale. M. Waldeck-Rousseau
a quitté le pouvoir parce qu'il craignait d'être poussé trop loin dans la
voie anticléricale par le courant populaire. M. Combes est venu et il a
repris l'œuvre de son prédécesseur pour la consolider davantage. Il ne se
contente pas de la défense républicaine, il veut l'action républicaine,
il va vers un but qu'on n'avait .jamais osé atteindre. Les faits ont prouvé
qu'on peut arriver à ce but sans moyens révolutionnaires. Il n'y a que les
réformes de M. Combes qui permettent un résultat et voilà pourquoi les cléricaux
crient contre elles.
Paris, 20 octobre 1904
"Gazette de Magdebourg"
Le correspondant parisien dit que les débats de vendredi et samedi
ù la Chambre avaient pour but de donner une sanction à la rupture du gouvernement
avec 1e Vatican . M. Combes n'a fait que répéter ce qu'il avait déjà dit
à Auxerre : il veut prendre comme base le projet Briand en y apportant les
modifications qu'il jugera nécessaires. Une partie des radicaux auraient
voulu que le gouvernement prenne lui-même l'initiative d'un projet. Finalement,
grâce à l'attitude du groupe Sarrien , l'ordre du jour qui a été voté ne
fait aucune mention de la séparation. C'est là une formule de pis aller qui
n'est pas en rapport avec la grandiose manifestation anticléricale rêvée
par les ennemis de l'Église.
Après avoir raconté l'incident Combes-Ribot, le correspondant fait
remarquer que l'intérêt principal s'est concentré sur le discours de M.
Deschanel. L'ancien Président de la Chambre avait gardé jusqu'ici une neutralité
complète, même en dehors du Parlement . Voilà pourquoi son discours a été
une surprise. C'est ce qu'on appelle un beau discours, qui fut débité avec
l'art de 1a Comédie Française. On a essayé d'y découvrir des contradictions
, mais il n'y en a pas. M. Deschanel s'est déclaré partisan de la séparation,
qu'il croit nécessaire, mais pas avec le ministère actuel, et tout en conservant
des relations avec le Vatican. L'idée n'est pas aussi absurde que le prétendent
les anticléricaux, elle trouvera bien des partisans et fera passer de mauvais
moments à M. Combes. On a beau railler la raie impeccable de M. Deschanel,
il a prouvé qu'il sait produire de l'impression autrement que M. le président
du Conseil et il a eu raison de sortir de sa réserve. Il est probable qu'il
sera plus dangereux pour le bloc et le Cabinet que les Millerand et les
Doumer.
Paris, le 29 octobre 1904
"Gazetta del Popolo"
Le correspondant parisien dit que la presse cléricale ne peut pas
dissimuler son dépit et fait voir qu'elle a perdu tout espoir. La rupture
du Concordat est virtuellement accomplie. M. Deschanel même, le candidat
des réactionnaires à la présidence de la République, a donné le coup de
pied de l'âne à ses fidèles de la droite. Les concordataires devraient accepter
avec résignation le fait accompli. Mais ils espèrent encore et se flattent
de l'illusion que la séparation ne sera pas votée par la Chambre actuelle.
Au fond, leur aversion est contre le ministère. M. Combes leur réserve
une déception avec le nouveau projet qu'il présentera à la Chambre. Il se
prépare à payer de sa personne et, s'il doit succomber, ce qui n'est guère
probable, sa chute sera la plus glorieuse dans les anales de l'histoire
politique moderne.
10 novembre 1904 : dépôt
d’un projet de loi du gouvernement Combes
concernant la séparation des Église et de État Il suscitera une opposition
généralisée.
Paris, le 9 janvier 1905
"Koelnische Volkszeitung", 6 janvier
Le correspondant parisien relève le fait que les consistoires protestants
et israélites ont demandé une modification du projet de loi sur la séparation.
Comme cette loi ne permet pas la fédération nationale des sociétés
religieuses, les petites paroisses seront toutes hors d'état de pourvoir
aux besoin du culte. On a toujours dit que les protestants et les israélites
étaient plus riches que les catholiques. Cela n'a pas empêché que, sous
l'empire, l'État ait donné deux millions pour la construction de la synagogue
de la rue de la Victoire.
9 février 1905 : dépôt
d’un projet de loi concernant la séparation des Église et de État par le
gouvernement Rouvier.
Paris, le 14 février 1905
"Tribuna"
Le nouveau correspondant parisien, M. Cané, fait connaître l'exposé
des motifs du projet gouvernemental sur la séparation des Églises et de l'État
et fait remarquer que ce projet contient une modification importante en
ce qu'il accorde aux associations religieuses le droit de se fédérer pour
unir leurs ressources.
M. Briand, que le correspondant a questionné dans la salle des pas
perdus, s'est montré très satisfait du projet de M. Bienvenu-Martin et
il a lit que le gouvernement et la commission se mettront facilement d'accord
sur toutes les questions de détail.
Le correspondant ajoute en disant que sur la séparation on verra
se constituer définitivement le bloc, d'autant plus que la scission qu'on
croyait devoir se produire dans le parti socialiste est, pour le moment du
moins, évitée.
Paris, 18 février 1905
"Gazetta del Popolo"
Le correspondant parisien met en doute la reconstitution de l'ancien
bloc et le vote définitif de la séparation des Églises et de l'État. Pour
lui, la séance du 10 n'a fait qu'ajouter des paroles à des paroles. L'enthousiasme
de l'ancienne majorité est inexplicable, car la Chambre n'a devant elle
qu'une année, sans compter les vacances parlementaires et l'élection présidentielle.
On peut se demander si M. Rouvier ne s'est pas dit :" Promettons toujours,
nous n'y perdrons rien puisque la séparation est renvoyée après le vote
du budget et la loi de deux ans." Et quand même on ne compterait pas le
temps pris par les interpellations, le Chambre aura à peine le temps de
voter le budget et de donner une rédaction convenable à la loi militaire.
Il est donc matériellement impossible de discuter la séparation avant la
fin de la présente législature. M. Rouvier le sait et ses collègues radicaux
ne se doutent pas de son astuce. La bonne foi et la sincérité de M. Bienvenu-Martin
sont hors de doute, mais on ne peut dire autant d'une centaine de députés
qui, dans le vote du 10, n'ont émis qu'un vote platonique. Et si les radicaux
s'avisaient de faire consacrer les matinées à des séances pour la discussion
du projet de séparation, les opportunistes démasqueraient alors leurs batteries.
Paris, le 18 février 1905
"Gazette de Magdebourg"
Le correspondant parisien dit qu'après le vote du 10 courant qui
a réuni une si forte majorité sur le projet gouvernemental de la séparation,
ce projet viendra certainement en discussion mais qu'il reste à savoir si,
à ce moment, le ministère trouvera cette majorité pour adopter le projet
dans sa forme actuelle. Il est possible, en effet, qu'au cours de la discussion,
on y apporte quelques modifications dans un sens libéral. Beaucoup de députés
hésiteront même au moment de créer définitivement une nouvelle situation;
d'autre part, bien des faits démontrent que les groupes ne marchent plus
d'accord. La désunion dans le camp socialiste est bien significative : M.
Jaurès abandonne la ligne de politique qu'il a suivi depuis six ans, tandis
que l'Union démocratique veut s'entendre avec les progressistes. Il est donc
à prévoir que bien des changements s'opéreront avant que l'extrême gauche
reçoive satisfaction sur la question qui lui tient le plus à cœur.
Paris le 25 février 1905
"Courrier de Hanovre"
Dans un long article, me correspondant parisien passe en revue les
divers projets de loi déposés sur la séparation des Églises et de État
et dit que les cléricaux devront en prendre leur parti, la séparation est
inévitable, personne n'en doute plus depuis l'interpellation Morlot.
le correspondant parle ensuite du projet de Merry del Val, divulgué
par le "Journal" et qui consiste à mettre les membres des congrégations dans
les paroisses laissées vacantes par le clergé régulier. Il dit que ce plan
avait pour but la conquête de la France par les mêmes congrégations qu'on
vient d'expulser. Ce plan est très habile, malheureusement, il a été déjoué
et il reste à savoir maintenant ce que feront les républicains.
4 mars 1905 : dépôt
du rapport de la Commission parlementaire
chargée d’étudier le projet de loi concernant la Séparation des Églises
et de l’État, par M. Aristide Briand.
Paris, 20 mars 1905
Le correspondant parisien du "Strassburger Post" compare le
rapport de M. BRIAND au sac d'EOLE qui, ouvert, déchaîne les tempêtes.
Aristide, ajoute-t-il, on n'aurait pas pu choisir un nom symboliquement
plus beau, lorsqu'il s'agissait de tracer la juste délimitation entre les
droits de l'Église et de l'État et de préparer un nouvel ordre de choses.
Et son rapport, ainsi que le reconnaissent tous les hommes sans esprit préconçu,
respire en effet un esprit de liberté, d'équité et de la modération voulue
qui honore l'auteur, d'autant plus que cet auteur est un socialiste rouge,
un des piliers les plus solides du soi-disant régime COMBES. Il n'est pas
ennemi de l'Église, mais un partisan chaleureux de la liberté de l'esprit.
ARISTIDE, de son surnom BRIAND, s'est bien gardé de déployer cet
anticléricalisme zélateur qui est presque aussi nuisible et aussi répréhensible
que la cléricalisme zélateur et qui sans doute naît du même état d'esprit.
ARISTIDE veut un divorce à l'amiable pour que l'Église et l'État ne se combattent
plus.
Le correspondant, après avoir donné une analyse du travail de M.
BRIAND et après avoir reproduit la conclusion du rapporteur, dit que cette
conclusion est adoptée par l'immense majorité des journaux, de sorte qu'il
est permis de supposer que l'opposition ne réussira pas à continuer sa
d'obstruction préparée depuis des mois. La nouvelle majorité gouvernementale,
unie sur la base d'un nouveau programme, dont la Séparation des Églises
et de l'État fait partie, ne pardonnerait pas à M. ROUVIER s' il se montrait
faible vis-à-vis de la Droite.
21 mars 1905 : début des débats à la Chambre des députés.
Paris, le 23 mars 1905
"TRIBUNA"
Le correspondant parisien, M. Cané, parlant de la discussion
générale du projet sur la séparation des Églises et de l'État, dit qu'une
fois le terrain débarrassé des motions préjudicielles de M. M. Berry, de
l'abbé Gayraud et de Boni de Castellane, les débats pourront encore durer
au moins trois semaines. En attendant, la majorité ministérielle va toujours
en augmentant. L'Union républicaine s'étant détachée du gros des progressistes
a décidé de donner son appui au Cabinet.
Paris le 25 mars 1905
"Giornale d'Italia"
Le correspondant parisien, M. Schisa, dit que les anticléricaux exultent
de voir enfin aborder la grande réforme laïque réclamée depuis trente ans
par le parti républicain. Cependant, ajoute-t-il, si le commencement de
la discussion est pour eux un succès d'une importance significative, ils
ne doivent se faire aucune illusion sur la durée de cette discussion qui
sera prolongée autant que possible par leurs adversaires. Il est vrai que
le plan et la tactique des cléricaux ne paraissent pas être de nature à décourager
l'ardeur combative des socialistes et des radicaux qui comptent bien faire
aboutir la loi. cependant deux courants se sont formés parmi les promoteurs
de la séparation dont les uns ne voudraient pas faire œuvre de passion politique
ou de haine, mais une œuvre de raison et de justice. Quant aux cléricaux,
ils trouvent au projet une tendance persécutrice; il s'agit pour eux de
combattre à tout prix la séparation ne fût-ce que pour la raison que l'État
pourrait abuser de son droit de surveillance.
Paris, le 27 mars 1905
De Londres : "Pall Mall Gazette"
Il sera bon pour tout le monde si la discussion est continuée dans
le même esprit où elle a été commencée par M. Deschanel. Il n'y a pas de
question qui intéresse autant les radicaux et les socialistes que celle
de l'abolition du Concordat, car le Concordat signifie la reconnaissance
formelle par la République de l'existence d'une Église, d'une religion et
conséquemment d'un dieu.
Ils de cabrent sous la reconnaissance du fait que la France continue
à admettre l'existence du "nommé Dieu" et ils veulent rompre pour toujours
ce dernier lien entre la vieille et la nouvelle France.
Devons-nous en conclure qu'ils permettraient à l'Église de continuer
sa route sans intervention de l'État ? et que les évêques et les prêtres
pourront exprimer leur pensée comme les autres hommes, dire ce qui leur
convient dans les limites de la loi commune ? pas du tout, ce n'est pas
ce que veulent les partisans de la séparation.
Leur but est de priver l'Église de tous les droits que lui accorde
le Concordat, tout en la soumettant encore d'avantage à l'État.
En un mot, ils veulent abolir l'Association pour la remplacer par
l'esclavage.
Paris, le 29 mars 1905
"Gazette de Francfort"
M. Ney, correspondant parisien, remarque que la discussion sur la
séparation des Églises et de l'État a commencé au milieu d'un calme qui ressemble
fort à de l'indifférence. Les passions sont émoussées depuis six ans que
dure cette campagne. On peut constater aujourd'hui que la France est mûre
pour la séparation et que si elle n'a pas été faite jusqu'ici, c'est qu'aucun
gouvernement n'en a voulu prendre la responsabilité.
Il n'y a aucun doute sur le résultat de la discussion générale, puisque
même le doux et ultra-modéré Deschanel accepte le principe de la séparation.
Le calme au Parlement prouve que la campagne politico-religieuse n'est
point née d'un antagonisme confessionnel : les protestants orthodoxes sont
aussi hostiles à cette séparation que les chefs de l'Église catholique.
Plus le caractère de la lutte se dessine, plus s'accroît l'inanité
de l'opposition cléricale. Il ne faut pas s'étonner de l'indifférence avec
laquelle les républicains accueillent les menaces cléricales d'une guerre
de religion; les républicains sont sûrs de leur succès, ils ne sont pas
d'accord seulement sur tous les détails de la mise à exécution de la réforme;
naturellement, la droite cherche à profiter de cette circonstance.
Paris, le 31 mars 1905
"Véra Roma", organe légitimiste clérical.
Le correspondant parisien qui signe "Antoine" dit que M. Briand a
montré par son discours qu'il se fait une singulière idée du mandat législatif
en réclamant aux élus le droit de traiter toutes les questions sans consulter
les électeurs. Ainsi donc le programme électoral serait chose inutile;
le candidat n'aurait qu'à dire : "Ayez confiance en moi et contentez-vous
de cela". Mais ce serait une absurdité, car l'élection du candidat dépend
du programme qu'il expose et le mandat lui est conféré pour ses vues et ses
engagements exprimés dans ce programme. C'est un mandataire infidèle que
celui qui, sans prévenir son mandant, démolit par exemple, un immeuble que
celui-ci lui avait confié. Les députés qui entreprennent la destruction d'une
œuvre aussi antique, aussi importante que le Concordat, n'exercent pas un
droit, mais accomplissent un acte arbitraire. M. Briand a dit que renvoyer
la question de la séparation à la prochaine législature serait une prime
offerte à l'agitation cléricale. Cela dénoterait au contraire qu'il serait
logique et juste de consulter le pays sur une question du plus haut intérêt,
que le pays a le droit de la régler ou de la faire régler par ses mandataires
comme il l'entend et comme cela lui convient. Ainsi, les francs-maçons créent
une atmosphère spéciale au Parlement français, tandis que le pays, qui demeure
calme, ne sait rien de ce qui se trame au Palais-Bourbon. Il s'aperçoit des
manœuvres ténébreuses des Loges qui ne craignent pas de provoquer l'explosion
qui répandra sur tous les points du territoire la désolation de la guerre
civile et de la ruine.
Paris le 3 avril 1905
"Avventre d'Italia"
Le correspondant parisien qui signe "Latouche" continue à critiquer
le projet Briand et insinue que l'institution des Associations cultuelles
n'a pour but que de créer un schisme parmi les catholiques en France.
Dans les réunions qui se tiennent chez M. Denis Cochin et où l'on
s'occupe des conséquences possibles du projet Briand, plusieurs assistants
ont affirmé avoir reçu des lettres de jeunes vicaires qui se sont déclarés
prêts à former des Associations cultuelles pour enlever l'église paroissiale
aux curés trop rétrogrades. Il est possible que de pareilles lettres soient
parvenues du Centre et du Midi de la France où la foi est moins solide et
où les habitants sont indifférents en matière religieuse. Mais ces lettres
ne sont pas nombreuses et puis, elles ne sont que l'expression de rivalités
personnelles. Les sectaires ne se font aucune illusion à cet égard. Ce qui
est certain, c'est qu'en même temps qu'ils encouragent la formation des Associations
cultuelles concurrentes, ils empêchent autant que possible le fonctionnement
des associations catholiques régulières.
Le correspondant s'élève contre la prétention qui voudrait que les
membres de ces Associations soient civilement responsables d'un délit commis
par le ministre des cultes, et il termine en disant que les Associations
seront à la merci du Gouvernement.
Paris, le 16 mai 1905
"Tribuna", 14 mai
Le correspondant parisien, M. CANE, fait remarquer que l'immense
majorité des Conseil généraux, se conformant à la circulaire ministérielle,
ne s'est pas occupé de la séparation des Églises et de l'État.
Bien entendu, cette abstention est interprétée par chaque parti suivant
son point de vue spécial. Les radicaux et les socialistes y voient une
approbation de la séparation, tandis que, dans l'autre camp, on considère
que les abstentionnistes comme les adversaires du projet.
Il faut tenir compte du fait que les conseils généraux qui se sont
prononcés pour la séparation insistent pour que celle-ci se fasse dans
un esprit conciliant. Un autre fait qui a son importance, c'est qu'une
protestation qu'on fait circuler dans le pays a déjà recueilli deux millions
de signatures.
3 juillet 1905 :
fin des débats à la Chambre.
Paris, le 10 juillet 1905.
Une interview de M. BRISSON sur la séparation .
"Gazzetta del Popolo"
Le correspondant parisien , M. Mazzini, est allé interviewer M. Brisson
à propos du vote du projet de loi sur la séparation des Églises et de l'état.
On ne peut pas dire, a fait remarquer l'ex-Président de la Chambre,
que la séparation soit définitivement votée, car il manque encore la sanction
du Sénat. Mais j'ai, pleine confiance que la haute Assemblée, qui est anticléricale,
approuvera la loi votée par la Chambre et que, cette loi entrera en vigueur
avant les prochaines élections. Elle sera sans doute l'objet d'une vive
et profonde discussion au Sénat, mais la discussion sera moins longue qu'au
Palais-Bourbon. On a rappelé que la Convention nationale avait voté la séparation
en une seule séance. La Convention a accompli encore d'autres actes merveilleux,
mais nous ne sommes plus à cette époque. La loi votée par la Chambre n'est
pas mon idéal., parce qu'elle laisse à l'Église tous ses privilèges, tout
son prestige, toute son influence Mais un grand pas a été l'ait. L'essentiel
était d'abolir le Concordat plus favorable à l'Église qu'à l'état. Sous
le régime du Concordat, l'Église formait un État dans l'État. Celui-ci a
dû prêter main-forte pour conserver l'unité, la hiérarchie et la discipline
de l'Église et, en outre, la doter de plusieurs millions par an. L'Église
a combattu avec acharnement 1a séparation . Le Vatican a beau dira que cette
séparation le laisse indifférent. L'Église sait très bien qu'elle n'aura
plus cette liberté et cette puissance qu'elle a eues sous le régime concordataire.
La France moderne est incompatible avec la Papauté. La rupture des liens
séculaires entre la France et le Vatican est un grand événement historique.
Plus d'un demi-siècle nous sépare de la criminelle expédition de Rome. Il
a fallu tout ce temps pour que la France comprenne que ses malheurs proviennent
de l'alliance avec le Vatican.
Paris le 12 juillet 1905
"Tribuna"
Le correspondant parisien , M. Caponi, le pseudonyme Folchetto ,
écrit à ce journal :
Au milieu de l'indifférence générale, sans graves incidents, la Chambre
a voté le projet de loi sur la séparation et aucun des deux partis en présence
ne chante le Te Deum. Les catholiques, tout en protestant , ont arraché
à leurs adversaires d'importantes modifications, et les républicains libéraux
y ont introduit des atténuations inespérées, grâce principalement à M.
Briand qui a montré une si haute intelligence et un tel libéralisme qu'on
le désigne comme membre du prochain ministère. Reste à savoir ce que le
Sénat fera de cette loi qui ne saurait être appréciée dans ses conséquences
que lorsqu'elle aura été mise à exécution..
Paris, le 13 juillet 1905
"Sunday Times"
Le correspondant parisien , enregistrant le vote de la loi sur la
séparation par la Chambre, fait remarquer qu'il serait prématuré de parler
de la fin du Concordat, puisque le Sénat se s'est pas encore prononcé. Toutefois,
on vient d'accomplir un acte qui affecte profondément les lois constitutionnelles
de la France. Aux dernières élections, 180 députés ont porté la séparation
dans leur programme électoral ; à ce moment, cette question n'a pas été
considérée comme une affaire de politique pratique. Elle jouait à peu près
le même rôle que les droits des femmes dans le programme de certains députés
anglais ou que le renversement du capitalisme, revendication des socialistes
français. Quand le projet de loi été présenté au Parlement, en n'a fait
aucune tentative pour consulter a ce sujet le pays bien qu'on consulte les
conseils généraux pour l'impôt sur le revenu et les retraites ouvrières,
etc. En effet, il y a bien des raisons d'affirmer que le principe du suffrage
universel a été violé d'une manière flagrante. Nous avons vu une Chambre
expirante pousser hâtivement une mesure qui attaque les racines de la vie
en France, tandis que, d'autre part, on a fait la oreille aux protestations
des millions de citoyens de tous les coins du pays. Le fait est qu'une
nouvelle France est en voie de formation. C 'est l'œuvre de M. Jaurès. Depuis
qu'il a apparu sur la scène, nous avons assisté à la formation d'un mouvement
social qui s'attaque aux racines de la vie française. Ses partisans ne
forment pas la majorité, mais ils out pris un ascendant sur les fractions
moins avancées dont les votes ont maintenu le bloc depuis six ans. Toutes
les grèves, tous les désordres révolutionnaires dans les ports et les grandes
industries, toute la désagrégation dans l'armée et la marine, tout cela
est la trace laissée par l'action des jauressistes dans la politique. La
fermeture des écoles, la dissolution des congrégations, la délation, les
déclamations anti-patriotiques d'Hervé et des instituteurs laïques, la confiscation
des fonds des œuvres charitables, sont dus à la même impulsion. Le drapeau
blanc est enterré depuis longtemps, le tricolore est sur le point de disparaître,
mais le bonnet phrygien est in exelsis. Ce bonnet était associé aux excès
de la première révolution, il est associé aux excès d'aujourd'hui.
Paris, le 17 juillet 1905
"Novosti", 12 juillet
Le correspondant parisien fait remarquer que la loi sur la séparation
des Églises et de l'État qu'on vient de voter est un des événements les
plus importants de la vie intérieure de la France.
Sous la protection du Concordat, l'Église catholique s'est emparée
peu à peu de toute la vie intellectuelle du pays. Le génie français représenté
par les philosophes, savants et littérateurs, a commencé à se manifester
par le jansénisme, et a abouti à Renan, Zola, Berthelot et Élysée Reclus:
ce sont ceux-ci qui ont sauvé la France du sort de l'Espagne. Mais si on
avait attendu encore 20 ans, -une génération, comme disait Waldeck-Rousseau-,
il eût été trop tard. la France s'est ressaisie et a divorcé d'avec Rome.
Il est à peu près certain que le Sénat fera tout son possible pour
expédier la loi rapidement afin qu'elle soit promulguée avant les élections
prochaines. La commission et le rapporteur sont nommés. Même si quelques
modifications étaient apportées, le projet pourra revenir à la Chambre
avant le 20 décembre et en 24 heures les deux Chambres peuvent s'entendre.
Paris, 5 août 1905
"CAFFARO"
Le correspondant parisien, M. Mazzini, signalant que le Sénat a adopté
le projet Briand sans modification, en augure que le divorce entre l'État
et l'Église sera fait avant la fin de l'année..
Cette date, fait-il remarquer, est d'une extrême importance, car
au printemps de 1906 auront lieu les élections législatives. Les partis
cléricaux et catholiques en France qui, autrefois, saluaient avec enthousiasme
le nouveau régime de l'Église, ont tout d'un coup changé d'attitude. M.
Piou a fait afficher partout un manifeste vert de l'Action Libérale qui
devait servir d'antidote au discours de M. Briand affiché dans toutes les
communes. M. de Mun qui, avec le royaliste Denis Cochin, était le porte-voix
de M. Delcassé au Vatican et qui avait prédit à l'Église une ère de prospérité
amenée par la séparation, M de Mun change de front et attaque furieusement
la loi votée ainsi que les législateurs : loi criminelle, apostasie officielle,
destruction du culte, arbitraire administratif, perturbation de la vie sociale,
tels sont les mots des orateurs catholiques. A les entendre, ;nous serions
à la veille d'une guerre de religion qui dépasserait en horreur toutes les
précédentes.
Le correspondant ne croit pas que la campagne entreprise par M.
de MUN soit inspirée pur le Vatican ou en soit approuvée. Le Pape ne voudrait
pas se mettre en désaccord avec une grande partie du clergé français, qui,
après le vote de la loi, a rentré ses foudres et attend les événements.
Il y a des catholiques qui reconnaissent les avantages que la nouvelle
loi assure à l'Église.
Il est difficile de comprendre conclut le correspondant, le but
de la campagne de M. de MUN. Il ne peut avoir aucun espoir de victoire:
il est trop intelligent pour ne pas comprendre que la partie est perdue
sans ressource. A moins que l'illustre orateur catholique n'ait un but machiavélique,
celui d'aiguiser l'intransigeance des anticléricaux et de les convaincre
de la nécessité de modifier l'article 4 de la loi, ce qui aurait pour résultat
le renvoi du projet à la prochaine période législative. Les catholiques se
seraient ainsi assurés une plate-forme électorale.
Paris, le 9 octobre 1905
"Magyar Szo", organe des protestants libéraux hongrois.
Le correspondant parisien qui signe "Vi" dit que la séparation des
Églises et de l'État est sur le point de devenir un fait accompli. Personne
en France n'a de doute à ce sujet. On n'espère plus le contraire même
au Vatican où l'on comptait que la lutte désespérée du nationalisme contre
M. Combes écarterait de la tête de la Papauté ce coup terrible. Le désespoir
pontifical se reflète dans une interview qu'un rédacteur la "Dépêche" de
Lille a eue avec un député clérical reçu par Pie X. Le Vatican a beau faire
un grand acte de la civilisation humaine, la séparation et chose certaine.
Mais le radicalisme français aura encore à lutter lorsqu'il s'agira de
mettre à exécution le principe de la séparation. La campagne électorale
de 1906 sera une lutte à la vie et à la mort entre le radicalisme et le
cléricalisme, et est hors de doute que ce combat se terminera par la défaite
du cléricalisme. Il y a quinze jours, M. Combes, dans son discours à Lyon,
a touché du doigt les causes de la décomposition du nationalisme dont les
dernières racines seront extirpées de la nation française. cette semaine,
M. Briand, dans un discours magistral à Saint-Étienne, a démontré que la
victoire des radicaux est inévitable. La presse de Paris a suivi avec un
vif intérêt le banquet de la séparation. L'absence de M. Jaurès a été très
remarquée et le journaux cléricaux l'ont constatée avec une méchante joie.
On chuchotait , et d'aucuns affirmaient que M. Jaurès s'était brouillé
avec M. Briand. Mais ce différend personnel n'a aucune importance au point
de vue du grand but à atteindre et c'est en vain que les cléricaux se réjouissent
: rien ne rompra l'unité du camp anticlérical. La cause de la séparation
suit sa marche triomphale, son but final est d'anéantir les derniers vestiges
de la puissance du Pape. La France n'a peut-être jamais rendu un plus grand
service à la cause de la civilisation humaine que par son action sur la séparation.
Paris 19 octobre 1905
"Magyar Szo" (organe des protestants libéraux hongrois - 15 octobre).
Le correspondant parisien, M. Félix Valyl, croit devoir signaler
de vastes menées souterraines des cléricaux en France. Des efforts désespérés
sont faits, dit-il, par les partisans du pouvoir du pape pour combattre le
radicalisme. Sur toute la France s'est étendu un réseau d'intrigues cléricales
dont les fils se réunissent au Vatican. Le but est d'étrangler la république
et de mettre à sa place la monarchie cléricale. Les cléricaux comptent beaucoup
sur les prochaines élections. Mais on peut se demander sur quoi ils basent
leur calcul, puisque tous les événements de ces dernières années n'ont
fait que servir la cause du régime républicain et de l'anticléricalisme
et menacent d'extirper jusqu'à la dernière racine du nationalisme. Les
scandales Syveton et Jaluzot ont été le coup de grâce porté au nationalisme
agonisant qui, sous une étiquette brillante, dissimulait les ténébreux projets
cléricaux.
Il parait que les cléricaux comptent sur une intervention de a Providence;
ils cherchent aussi à jeter la zizanie entre les partisans de la séparation;
le travail souterrain des cléricaux se poursuit surtout dans les masses
populaires et à cet effet, on a mobilisé tout le bas clergé. Heureusement
que cette campagne échouera devant le bon sens du peuple français, car il
est certain que les élection de 1906 réservent une cruelle déception aux
adversaires de la République. Des députés français racontent des merveilles
de l'enthousiasme populaire pour la séparation; M. Combes, un des plus grands
hommes d'État contemporain, est acclamé toutes les fois qu'il fait une tournée
de propagande.
Il est donc impossible que les menées sourdes des cléricaux réussissent.
Un plus grand danger menace la France : c'est que le Vatican veut entamer
des négociations avec le gouvernement pour empêcher les rigueurs de la
séparation. Ce bruit a été lancé par le Vatican, mais il n'a trouvé aucun
écho dans les sphères gouvernementales françaises. le sort de la papauté
est décidé en France, puisse-t-il être bientôt ainsi dans tous les autres
pays.
Paris le 5 novembre 1905
Le correspondant parisien du MAGYAR SZO, organe du gouvernement
hongrois, M. VALYI, signale l'activité que l'on déploie du côté clérical
pour préparer la Séparation de l'Église et de l'État. L'archevêque de Paris
ordonne des prières et le Saint-Siège prépare la publication d'un soit-disant
Livre Blanc, collection de documents qui devraient démontrer que seul le
Gouvernement français est coupable du grand péché de la Séparation. Action
bien naïve et bien inepte. Ce serait une sorte de circulaire pour accuser
les hommes d'État français devant tous les Gouvernements.
Le Vatican voudrait présenter à son point de vue l'historique de
la Séparation pour contre-balancer la version contraire. Il voudrait faire
considérer la Séparation comme un simple différend entre deux parties contractantes.
Le Gouvernement français, lui, est prêt à endosser toute la responsabilité
de ce grand acte historique. La France moderne a tout sujet de prêcher l'exemple
à toute l'Europe par la Séparation car nulle part le Papisme n'a fait tant
de ravage qu'en France. Qui ne se rappelle les nombreux protestants massacrés
? Mais il n'y a pas que le Protestantisme qui ait intérêt à voir chasser
le Papisme, c'est l'intérêt de 'humanité universelle et le fait que c'est
le plus grand pays catholique qui donne l'exemple aux peuples européens prouve
que le catholicisme éclairé a tout intérêt à s'affranchir du joug pontifical.
Les catholiques français sauront concilier leurs sentiments religieux avec
le patriotisme sans le Pape.
9 novembre 1905 :
début des discussion au sénat.
Paris, 16 novembre 1905
le correspondant parisien de la "Gazzetta del Popolo" signale
le fait que dans le monde catholique en France on discute déjà la question
de savoir s'il faut accepter le nouveau régime de la séparation des Églises
et de l'État. Il parait que le Pape lui-même est revenu de son ancienne
intransigeance. Le refus de constituer des associations cultuelles signifierait
l'abandon complet d'une fortune immense, les biens des fabriques. L'argent,
on ne crache pas dessus et l'Église adopte cette philosophie financière.
La "Semaine Religieuse" vante les bienfaits des associations cultuelles,
ce qui fait présumer que le pape consent à leur formation. Le comte d'HAUSSONVILLE
voudrait leur donner une organisation démocratique et l'on peut se demander
s'il n'y a pas dans ses idées une arrière-pensée gallicane, un reste de
cette tendance de la bourgeoisie de LOUIS-PHILIPPE à éliminer autant que
possible la Papauté de la direction de l'Église de France. C'est à voir.
Toujours est-il que le clergé français n'accepte pas les idées du comte d'HAUSSONVILLE.
Il y en a beaucoup qui étudient les moyens de tourner la loi de 1901 sur
les Congrégations. Dans ce but, ils fondent des associations paroissiales.
Ces manœuvres révèlent une fois de lus la subtilité et l'astuce de ceux
qui pendant ce temps ont su serrer la France dans les griffes des congrégations.
Mais il est à prévoir que le Gouvernement de la République ne se laissera
pas faire.
9 décembre 1905 :
adoption du texte par le Sénat sans le moindre amendement.
Paris le 12 décembre 1905
Le correspondant parisien de la "Strassburger Post" dit que
es républicains français devraient marquer d'un trait rouge le jour où
le Sénat a voté la Séparation.
Quiconque connaît la situation ne pouvait avoir aucun doute sur la
résultat. On a fait des tentatives pour traîner en longueur les délibérations
et faire tout. avorter; mais l'ancien Garde des Sceaux, M. VALLE, l'homme
des HUMBERT s'est mis en travers et voilà que les journaux de la Droite pleurent
et tempêtent. Or la révolution qu'on vient de faire n'est pas si terrible.
En Amérique, il n'y a jamais de Concordat entre l'Église et l'État et l'Église
catholique s'en porte très bien
Paris, 13 décembre 1905
Le correspondant parisien du "Il Giornale d'Italia" dit que
les suprêmes protestations des libéraux sont restées sans effet, la loi
de la Séparation a été votée, voilà le grand divorce prononcé. La nouvelle
loi ne peut que troubler les habitudes traditionnelles, sinon les pratiques
pieuses, des trois quarts du pays. Réformer et supprimer ne sont pas la
même chose. Quand on. pense que la simple réforme du Concordat faisait partie
du programme de GAMBETTA et de WALDECK-ROUSSEAU et que M. COMBES même n'est
devenu séparatiste qu'à la dernière heure, on. ne peut pas penser sans inquiétude
aux surprises que peut réserver une loi qui implique de graves problèmes
dont les législateurs ont à peine effleuré la solution. Certes le Concordat
devait être modifié. Cette nécessité était claire et évidente pour tous
ceux qui savent dans quelles circonstances il avait été conclu. Elle s'est
présentée à l'esprit non seulement des hommes libéraux tels que GAMBETTA,
RIBOT, WALDECK-ROUSSEAU, mais LÉON XIIl aussi l'a reconnue. C'est la faute
du Clergé français d'avoir fourni des armes entre les mains des adversaires
dont l'intention de frapper le coup terrible était suffisamment connue. En
vain LÉON XIIl avait-il exhorté le Clergé de ne pas attaquer les institutions
républicaines, le Clergé s'occupait des élections politiques, du journalisme
de combat, de nationalisme et de l'affaire DREYFUS. Le pape a vu avec stupeur,
lors des dernières élections en France, que dans une trentaine de collèges
électoraux les votes des conservateurs catholiques avaient assuré le triomphe
des socialistes et des radicaux-socialistes. LÉON XIIl, surpris par la
mort, n'a pu voir les conséquences de cette intervention étrange. La Séparation
est un saut dans les ténèbres.
Paris janvier 1906
Le correspondant parisien du "Vorwärts" critique la circulaire
de M. Étienne, qui prescrit, que dans 1e cas où le soldat ne demande pas
expressément un enterrement civil, il faut lui donner des obsèques religieuses.
La coterie au pouvoir, fait remarquer le correspondant, ne prend pas au
sérieux l'anticléricalisme. M. Étienne a voulu gagner les bonnes grâces
du corps des of'f'iciers tout entier ensoutané. Or, on voit combien ont
raison ceux d'entre les cléricaux qui sont mécontents des scandales des
églises, provoqués par quelques braillards cléricaux. Les plus malins savent
que le Gouvernement de M. Rouvier n'a fait qu'à contrecoeur la Séparation
des Églises et de l'État.
M. Alexandre Zévaès, député socialiste, raconte qu'en mars 1905, M. Rouvier lui avait déclaré, dans les couloirs du Palais Bourbon : "Vous y croyez, vous, à la séparation ? ... Eh bien, nous en reparlerons dans dix ans ! ..."
D'autre part, deux conférences auront
lieu à la "Royal Institution" à Londres, les 20 et 27 courant.
M. Bodley traitera la question de "L'Église en France"
"STRASSBURGER POST" 4 février 1906
Le correspondant parisien, parlant des troubles dans les églises,
dit que Le résultat le plus saillant de ce scandale soulevé par les politiciens
cléricaux et quelques dames patriotiques, c'est que le Président du Conseil,
M. Rouvier, est plus que jamais en faveur auprès de la Gauche et qu'il
n'a plus besoin d'élargir sa majorité du côté de la droite. S'il faillait
élire aujourd'hui un successeur de M. Loubet, M. Fallières, au lieu de
449 voix en obtiendrait 550, car les progressistes et les radicaux dissidents
savent maintenant ce qu'il faut penser de l'alliance avec les cléricaux.
M. Doumer, l'enfant chéri de la Droite, s'est vu obligé de frapper
d'une mesure disciplinaire M. de Ramel, qui sans doute avait voté pour
lui. M. Ribot avait essayé de donner tort au Gouvernement, mais son reproche
est ridicule parce que le pape lui-même avait déclaré qu'il voulait attendre
la mise à exécution la loi avant de donner des instructions . S'il avait
été au pouvoir, M. Ribot n'aurait pas agi autrement que M. Rouvier. A voir
de plus près la soi-disant politique "d'assassin" on constate que personne
n'a été assassiné et que les victimes les plus atteintes ce trouvent plutôt
dans le camp de "Dioclétien " .
Paris le 5 février 1906
Le correspondant parisien du "Strassburger Post" dit que les
scènes regrettables qui se sont passées dans plusieurs églises de Paris n'étaient
pas à prévoir car il s'agissait d'une mesure strictement légale et qui n'enfreint
en rien les règles du culte catholique. Il n'y avait qu'un seul point où
les fidèles auraient pu se scandaliser, c'est l'examen des tabernacles par
les fonctionnaires du fisc. Mais le Gouvernement y a renoncé. Une profanation
n'était donc pas à craindre. D'autre part le texte de la loi est tel que
tout soupçon d'une intention de confiscation écarté. L'inventaire ne peut avoir d'autre signification
que d'assurer aux fidèles l'usage complet des objets du culte. Malgré cela
la foule des fidèles réunis dans les églises criaient sans cesse : A bas
les voleurs ! et criblait les agents de coups de canne.
Le deuxième jour le scandale fut encore plus grand car tout s'est
concentré dans l'église Ste Clotilde. Au Ministère de l'Intérieur on a été
péniblement surpris par les événements, mais l'embarras paraît encore plus
grand au palais archiépiscopal. Il est certain que ce n'est pas de là qu'est
sortie l'instigation des troubles, car l'archevêque et son entourage craignent
que le Gouvernement ne prenne les troubles pour prétexte de fermer les
églises. Le mouvement a plutôt un caractère politique que religieux. Un
document ms intéressant le fait voir nettement : c'est une circulaire
de la Ligue Patriote des françaises. Les troubles d'inventaire sont
une manœuvre électorale de laquelle les nationalistes espèrent un succès
particulier pour les prochaines élections.
Paris le 6 février 1906
Le correspondant parisien de la "Muenchener Neueste Nachrichten",
M. Treusch, écrivant sa lettre avant les troubles dans les paroisses de
Paris, fait remarquer que les cléricaux et les violents du clergé auraient
préféré que le Gouvernement se fut montré moins conciliant dans la question
des tabernacles.
Ils auraient eu une occasion de crier contre la brutalité des Jacobins.
Mais comme la transition vers le nouvel état de choses se fait peu à peu
et d'une manière à peine perceptible, le moment pour une grande manifestation
"spontanée" est difficile à choisir. Les évêques doivent se contenter de
protester par des mandements contre le procédé d'inventaire et implicitement
contre la séparation des Églises et de l'État. Ils se gardent cependant
de conseiller la résistance ouverte aux curés et aux fidèle vu A Montauban,
l' huissier, trouvant les prêtres à l'office, s'est retiré pour ne pas. troubler
la cérémonie religieuse. C'était un acte plein d'égards, ce qui n'empêchera
pas les journaux cléricaux de crier contre manque d'égards inouï. Or n'a
pas toujours des instructions nettes de Rome; Le pape paraît vouloir attendre
les décisions du Congrès des évêques français qui doit a réunir prochainement.
Mais tout fait supposer que les évêques ne tomberont pas d'accord sur l'attitude
à prendre et qu'on aura recours à un mot d'ordre donné à Rome. Ainsi que
l'on voit, ni à Rome, ni l'épiscopat français ne veulent faire le premier
pas pour reconnaître la nouvelle loi. Cependant les expériences de ces années
dernières ont suffisamment démontré qu'il ne faut pas songer à un grand
mouvement populaire contre les "persécuteurs de l'Église". Sans pareil mouvement,
se mettre en état de guerre contre l'État, voilà ce qui n'aurait pas de
sens commun. Il ne faut pas songer à faire annuler la séparation. D'ailleurs
telle qu'elle a été faite avec son esprit moderne et conciliant elle est
acceptable pour l'Église.
Paris, 6 février 1906
Le correspondant parisien du VORWAERTS appelle une "guerre
de dames" les troubles qui ont eu lieu dans plusieurs églises de Paris.
En France, dit-il, il y a maintenant une petite guerre civile. Les
autorités, conformément à la loi, ont envoyé dans les églises pour procéder
un inventaire. Les cléricaux se servent de cette action officielle pour
manifester contre la "spoliation de l'Église". Cette révolte des dévots
n'est pas dangereuse. D'ordinaire, les
fidèles se serrent autour du curé et crient : vive la liberté, à bas
les voleurs, ou des mots encore plus grossiers qui, en réalité, ne conviennent
pas à la sainteté du lieu. Les plus violents sont les quartiers aristocratiques.
Dans la révolution actuelle, ce ne sont pas les hommes mais les grandes
dames qui se transforment en hyènes. Les autorités montrent une mansuétude
qui est fort louable, mais on voudrait la voir appliquée aussi aux manifestations
du vrai peuple.
Dans ces troubles, on ne voit pas le Prolétariat. Il n'a pas le loisir
des heurts d'après-midi, comme les amazones parfumées de Paris ou de Dijon.
Paris le 7 février 1906
Le correspondant parisien de la GAZETTE DE FRANCFORT , M.
Émile Ney, dit que si le gros public voit avec calme l'exécution de la
loi de Séparation, les politiciens cléricaux sont en proie à une vive
agitation que rien ne justifie.
L'Action Libérale qui concentre la direction de tous les groupes
cléricaux, a réussi à, fanatiser une partie du clergé et l'aristocratie
de Paris en lançant le mot d'ordre "on veut. voler les biens de l'Église
et assassiner les fidèles" Le résultat est minime, mais profondément triste.
C'est seulement dans les églises fréquentées par la "haute" société que
les agents du fisc ont rencontré une résistance violente. La masse des manifestants,
concentrée sous la direction des députés, sénateurs, académiciens cléricaux,
se composait en grande partie de dames de tout âge, d'enfants, d'étudiants
et aussi de flâneurs qui sont partout. La manière d'agir de ces manifestants
est caractérisée par les spectateurs comme brutale et sauvage. A la Chambre,
la droite ne s'est pas mieux comportée que la "fleur" de la noblesse à Ste
Clotilde. On savait depuis l'agression d'Auteuil que la propagande cléricale
avait créé dans l'aristocratie française un état d'esprit spécial, sorte
de snobisme antirépublicain bien vu dans les salons. Mais ce qui s'est manifesté
hier ce n'était plus du sport politique, mais de la vraie brutalité, de l'anarchie
sociale. Cette aristocratie: n'a plus la force de nuire à la République et
si l'Église ne trouve pas dans le sentiment populaire un appui plus solide
que dans la noblesse, la séparation ne lui profitera guère. Les chefs du
parti clérical peuvent encore nourrir des illusions pour l'avenir; mais,
instinctivement, ils sentent leur impuissance et c'est ce sentiment qui explique
l'explosion de leur fanatisme désespéré.
Paris le 8 février 1906
"Strassburger Post"
Le correspondant parisien a remarqué à l'occasion des troubles dans
les églises que les catholiques manquent d'unité. Il y a eu une grande diversité
d'attitude dans les paroisses. A Saint-Gervais, les agents trouvent portes
closes, à Saint-Sulpice, le curé apporte lui-même une liste d'inventaire.
Il est vilipendé par la "Libre Parole", mais félicité par l'archevêque..
D'ailleurs, l'attitude de ce prince de l'Église n'est pas tout à fait claire
et nette. Son journal loue le zèle des fidèles et exprime l'espoir que l'ordre
ne sera plus troublé. A l'Étranger, conclut le correspondant , on fera bien
de ne pas exagérer ces faits et de croire que la guerre civile a éclaté
à Paris. Jusqu'ici personne n'a été tué et les blessures reçues ne sont
pas graves. M. de MUN a beau parler dans le "Figaro" d'une guerre civile,
c'est plutôt un désir qu'une réalité qu'il exprime.
"Avvenire d'ltalia" (journal clérical ),
Le correspondant parisien, qui signe "Tito Mazzoni" dit que l'immense
agitation provoquée déjà au commencement de l'application de la loi sur
la séparation est due aux sectaires du Combisme qui , partisans de la répression
violente, ont tout fait pour aggraver 1e conflit. L'inventaire a provoqué
de nombreuses protestations dans le pays, mais ce qui est arrivé à Paris
dépasse toutes les prévisions. Sans sommations légales, la force publique
a envahi l'église Sainte-Clotilde, voilà une violation flagrante de la
loi, a dit au correspondant M. Denys Cochin. Le gouvernement, a ajouté M.
Cochin , est seul responsable de ce qui s'est passé, car il a violé les
lois protégeant la liberté et la vie des citoyens. Le correspondant a interviewé
aussi M. Grousseau qui lui a dit que les manifestants n'avaient qu'un but,
celui de défendre les intérêts sacro-saints de la religion, car ils considèrent
la loi sur la séparation comme une loi d'oppression et une spoliation.
Le Concordat est un contrat bi-latéral , on aurait dû tenir compte aussi
de l'autre partie contractante. Ce n'est pas un mobile politique qui a
fait agir les fidèles, la véritable cause est tout autre, on sait que les
agents du fisc ont la mission de réclamer comme propriété de L'État ce que
les institutions pieuses avaient donné longtemps avant la fondation de la
République. Par conséquent les catholiques parents des donateurs, s'estiment
lésés dans leurs droits. Le député émet l'avis que M. Rouvier ne prendra
pas des mesures énergiques, le moment n'étant pas très opportun, car on
se trouve à la veille des élections.
.
Paris, le 8 février I906.
‘’Il Mattino de Naples"
Le correspondant parisien qui signe "Bergeret" dit qu'il a assisté
à la révolte catholique française de l'église Saint-François Xavier où se
trouvait une foule houleuse. Le représentant du gouvernement était bien embarrassé
à cause de son chapeau à trente-six reflets qu'il avait mis pour que la
République fasse bonne figure au milieu d'une assemblée aussi aristocratique
. C'était un public des premières, la fine fleur du Tout-Paris.
Après avoir raconté ce qui s'est passé, le correspondant fait remarquer
que le gouvernement doit être quelque peu ennuyé de ces incidents. On
se trouve à la veille des élections et la prudence est fort de saison .
En effet, le gouvernement semble vouloir temporiser. Pour les autres églises
, on fixera une date , seulement ces églises sont au nombre de 60.000. Les
catholiques ont donc remporté une victoire, d'autant plus que les manifestations
contre l'inventaire n'ont été inspirées ni dirigées par le clergé. La résiliation
du Concordat , qui était sorti du cerveau d'un homme peu tendre pour les
prêtres , mais qui savait organiser et discipliner la France, promet d'être
une aubaine inespérée pour les ennemis de la République. Le Conseil d'État
a élaboré pour la procédure à suivre au sujet de l'inventaire un règlement
qui est un chef-d'oeuvre de casuistique et de fourberie cléricales. Ce qu'on
a fait était le meilleur moyen de concentrer les chrétiens débandés, sans
compter les Juifs qui ont besoin d'une bonne représentation dans un cercle
élégant, car il est inutile d'ajouter que parmi les croisés de l'église
Saint François-Xavier, il y avait aussi deux Juifs.
Paris le 8 février 1906
"TRIBUNA"
Le correspondant parisien , M. Cané , fait un récit des incidents
des églises et constate que la pluie a beaucoup calmé les cléricaux .
Il ajoute à son récit la remarque que la résistance des catholiques,
presque partout fomentée par les curés, n'est justifiée ni par le sentiment
ni par l'intérêt. Les agents de l'administration ont partout procédé avec
beaucoup de tact. On se trouve en présence d'une nouvelle levée de boucliers
des cléricaux contre la République ; mais ces tentatives se termineront
comme les autres .
11 février
1906 : L'encyclique Vehementer nos condamne le principe de la
séparation et encourage les catholiques français à s'opposer aux inventaires
des biens ecclésiastiques. La troupe devra intervenir à plusieurs reprises
pour protéger les fonctionnaires chargés d'ouvrir les tabernacles
Paris le 14 février 1906
Le correspondant parisien de la GAZETTE DE MAGDEBOURG, M.
Treusch, dit qu'il était à prévoir que les événements sanglants des églises
Ste Clotilde et St Pierre-du-Gros-Caillou auraient une répercussion grave
en province. Ainsi Versailles a été le théâtre d'un combat sanglant et acharné
entre la foule et les représentants de l'autorité publique.
Le correspondant, après avoir fait un récit des scènes qui se sont
passées dans l'église St Symphorien; conclut en ces termes:
"On ne se trompera pas, si l'on attribue la nouvelle recrudescence
de la résistance cléricale à l'attitude de la presse catholique, qui, ces
jours derniers. a non seulement déclaré permise et légale la résistance
violente contre la procédure du Gouvernement relative aux inventaires, mais
qui. a directement prêché la révolte ouverte de toute la chrétienté catholique
de France contre la République et qui a invité les fidèles à faire une
guerre civile."
Paris le 15 février 1906
Le correspondant parisien de l'organe clérical l'AVVENIRE d'ITALIA,
M. Tito Mazzoni, dit que le soulèvement des consciences offensées et les
protestations des croyances menacées prennent les proportions d'un mouvement
national. Aussi le correspondant a-t-il cherché à connaître les impressions
personnelles de M. le comte Albert de Mun, l'éminent chef des catholiques
français. M. de Mun n'a pas hésité à déclarer au correspondant, que depuis
des mois, il a dit que la loi sur la Séparation est inapplicable sans le
concours du clergé et des catholiques. Si ce conteurs est refusé, la loi
est fatalement condamnée à être appliquée par la violence. M. le comte dit
aussi que l'invasion de Ste Clotilde par l'autorité publique n'avait pas
d'autre but que la provocation. M. Lépine et ses agents sont restés devant
l'église dans une attitude si menaçante, que les catholiques ont dû supposer
qu'un coup de force se préparait. Peu après, le Ministre de l'intérieur
a donné l'ordre de prendre l'église d'assaut. La provocation du Ministre
de l'intérieur cet hors de doute, continue M. de Mun, que nous sommes dans
notre droit et que nous remplirons notre devoir, en repoussant de nos églises
l'invasion des agents du Gouvernement et là dessus ne faut pas laisser subsister
la moindre équivoque. L'inventaire prépare, en certains cas, la confiscation
des biens d'églises. Or, la loi de Séparation ne peut être acceptée par les
consciences catholiques, tant que le Pape ne l'aura pas approuvée, et nous
devons , en attendant que le Pape se prononce, empêcher que la loi soit appliquée.
Indépendamment des sympathies que suscitent les hommes et les femmes de courage
qui ont. manifesté leur foi, il faut déclarer, sans crainte de commettre
une erreur, qu'ils ont le droit de le faire. La conduite du Gouvernement
est inexcusable, car son devoir était de faire connaître en entier, le règlement
destiné à compléter la nouvelle loi. Il a manqué de prévoyance ou il a voulu
se livrer à une provocation, car il devait connaître l'état d'âme des catholiques,
qui depuis six mois sont livrés sans défense aux brutalités des Jacobins.
Les lieux sacrés de Ste Clotilde et de St Pierre du Gros-Caillou ont été
traités pis que par des brigands. Il est honteux de voir un Gouvernement
envoyer ses agents saccager les églises. Nous autres catholiques, conclut
M. de Mun, nous ne pouvons qu'être contents que de lamentables conflits
aient eu lieu: une loi qui produit de pareils désordres est une loi condamnée.
Paris, le 17 Février 1906.
Le correspondant parisien de la "Tribuna " M. Carré, fait
remarquer que la nouvelle tactique adoptée pour procéder aux inventaires
dans les églises a donné d'excellents résultats.
25 février 1906: Circulaire invitant
les préfets à terminer les opérations d'inventaires avant le quinze mars,
c'est à dire quelques semaines avant l'ouverture de la campagne électorale.
Paris, 22 février 1906
Le correspondant parisien de la "Strassburger Post" dit qu'à Paris
on se casse la tête pour deviner pourquoi le pape a choisi précisément ce
moment pour rompre son silence et pourquoi l'encyclique ne contient pas ce
que amis et ennemis s'attendaient à y trouver. Il a déclaré ne vouloir parler
que lorsque les règlements relatifs aux associations cultuelles auraient
été publiés. Ces règlements se font toujours attendre, néanmoins le pape a
pris la Parole. Sur la question principale, si les catholiques français doivent
obéir ou non à la nouvelle loi, il n'y a pas un mot. On ne peut s'expliquer
ce procédé étrange autrement que par le fait que les scandales des églises
ont mis dons l'embarras le Vatican. Ces scandales sont au point de vue
religieux réjouissants en tant qu'ils montrent le zèle des fidèles, mais
ils sont aussi dangereux par ce qu'ils provoquent les ennuis de l' l'église.
Le pape a divisé on deux parties sa déclaration officielle. La première
qui vient d'être publiée doit encourager les fanatiques. L'autre partie
qui paraîtra prochainement conseillera aux catholiques la formation des
associations cultuelles. Voilà comment les républicains modérés s'expliquent
l'attitude de Pie X Mais il est à craindre que l'anathème lancé par le pape
excitera tellement les fanatiques qu'il sera plus tard impossible au Saint
Père de les calmer. Cet état d'esprit est assez grave déjà parce que l'inventaire
des églises n'est pas encore terminé; il y a encore les trois quarts de
l'ouvrage à faire. Il est à craindre que les troubles recommencent maintenant
que le Pape a condamné la nouvelle loi. Sur un point l'Encyclique a raison
: c'est en effet une anomalie de voir l'État Français, qui ne veut plus
avoir de rapport avec l'Église, rester propriétaire de tous les bâtiments
du culte; puisque les catholiques doivent pourvoir eux-mêmes aux besoins
du culte, on devrait au moins leur abandonner la propriété des bâtiments.
Alors l'État n'aurait pas besoin de dresser des inventaires : la loi sur
les associations de 1901 suffirait amplement. Peut-être la tournure des choses
amènera-t-elle l'État à renoncer à la propriété des immeubles du culte.
Paris le 23 février 1906
(de Londres)
"Daily Express"
(De notre Correspondant spécial à Rame)
Grâce aux bons offices du Cardinal Merry del Val, Sa Sainteté le
Pape Pie X m'a accordé la faveur d'une interview Dimanche dernier ..................
J'expliquai brièvement ma mission-Comment j'avais été envoyé pour
le questionner-avec sa permission-sur les événements récents et plus spécialement
sur la loi de séparation entre l'Église et l'État en France et lui demander
s'il voudrait me révéler quelque chose de ses intentions et de ses pensées
à ce sujet.
Certainement, Pourquoi ne vous permettrais pas de rapporter tout
ce que je pourrai vous dire dans le cours de cette conversation ? Nous ne
craignons pas la lumière. Il n'y a que cinq ou six mois nous espérions
encore que la Loi de Séparation ne serait pas adoptée, et cependant elle
a été votée avec une facilité déplorable spécialement par le sénat ...................................
Lorsqu'un contrat a été signé entre deux personnes, il est d'usage,
pour celui qui veut le faire cesser, d'en aviser l'autre partie. Je ne sache
pas que l'abrogation du Concordat m'ait été jusqu'à présent notifiée officiellement
et maintenant que la France n'a plus de représentant ici, on peut se demander
qui sera chargé de cette notification.
Puis-je demander à Votre Sainteté quelle politique sera adopté. Il
y a en France un grand nombre de catholiques qui sont accablés et....
Et remplis d'impatience, a ajouté Sa Sainteté, d'un ton de reproche.
Oh, ces Français, ils sont toujours pressés, toujours impatients, toujours
irritables, Vous êtes venus pour me demander quelques mots, un seul suffira
"Attendre". J'ai moi-même décidé d'attendre. Certainement je parlerai,
mais en tempe voulu, et ce n'est pas encore maintenant. C'est une loi perfide,
pleine d'embûches et de pièges. Quelques-uns sont apparents, d'autres seront
découverte plus tard. Toute loi peut être appliquée de différentes façons.
En ce qui concerne la Loi de Séparation, elle est adoptée mais ce n'est
pas tout, il faut l'appliquer. Quand nous pourrons nous rendre compte de
la position exacte de nos adversaires, alors nous découvrirons la nôtre.
Nous sommes prêts.
Pour le moment, je n'objecte pas à ce que l'on m'appelle "un homme
inerte". Inerte, soit, mais inerte dans les mains de Celui qui me soutient,
et par Qui et pour Qui je montrerai une puissante activité lorsque le jour
de l'action viendra ................................
Les Catholiques sont sur le point de souffrir des persécutions, mais
qu'ils ne craignent point. La France ne se séparera jamais finalement de
cette Église à laquelle elle est toujours restée fidèle en dépit de tant
de tentatives à cet effet. L'Église non plus, ne l'a pas abandonnée. Vous
ne trouverez pas un seul mot contre la France dans tout le Livre Blanc.
Sa Sainteté mentionna ensuite, d'une façon brève, ce qu'il y a lieu
d'attendre pour l'avenir. Il fit allusion à la Convocation prochaine de l'Assemblée
ou Conseil des Évêques de France, à la création, si c'est nécessaire, d'une
sorte de Conseil d'État de l'Église auquel appartiendraient les plus notables
parmi les anciens juges et Présidents ou notabilités de l'ordre judiciaire.
Tout cela sera fait petit à petit, déclara -t-il d'une voix douce,
puis il ajouta d'un ton ferme, mais je vous promets que ce sera fait.
Paris, le 28 février 1906
Parlant des relations des Églises et de l'ÉTAT en France, le correspondant
du "MORNING POST" se demande si les scènes turbulentes déchaînées
à l'occasion des inventaires sont simplement une protestation contre la nouvelle
loi sur la Séparation des Églises et de l'État ou si ce sont les préludes
d'une campagne prolongée. Les catholiques sont tout à fait dans cette dernière
disposition, si le mot d'ordre dans le sens de la guerre leur vient de Rome.
Les Associations Cultuelles sont condamnées par le Pape, et il est fort
probable que pour les remplacer, on fondera des sociétés secrètes.
L'avvenire d'Italia. Le correspondant
parisien, M. Tito Mazzoni, dit que l'Encyclique a produit une grande impression
sur les catholiques français. les blocards qui espéraient voir le pape
accepter la loi sur la séparation, sont consternés et craignent que le
verdict du pape n'ait une répercussion fâcheuse pour eux aux prochaines
élections législatives.
Rome a parlé, disait le comte de Mun à M. Mazzoni en lui serrant
la main, la loi est solennellement condamnée par le pape. On peut ajouter,
continuait M. de Mun, que l'acte pontifical, la majestueuse condamnation
prononcée par Pie X a un caractère plus grave encore que celui du célèbre
bref de Pie VI. Il n'y a pas en France un seul catholique, un seul homme
de bon sens qui n'en apprécie les conséquences incalculables.
M. de Mun a pris note des commentaires des journaux radicaux et socialistes
qui présentent l'Encyclique comme une protestation platonique. Mais, fait-il
remarquer, ceux qui se montrent le plus dédaigneux sont troublés et ont
peur. Ils commencent à comprendre leur erreur et prévoyant en quelles discordes
tragiques le pays va se trouver, ils en sentent déjà la responsabilité.
M. de Mun rappelle ensuite longuement ce qui s'est passé en 1791
lors de la Constitution Civile du Clergé et il ajoute : l'Encyclique de
Pie X a déjà produit ce bons résultat qu'elle a créé l'union et l'accord
de tous les catholiques. il se peut que le Gouvernement redouble les persécutions,
mais les catholiques agiront suivant les instructions du Chef vénéré de
l'Église et braveront les dangers. Le pape, comme un bon capitaine qui
conduit ses hommes à la bataille, nous invite aux épreuves et reste avec
nous de corps et d'âme.
Paris le 5 mars 1906
le correspondant parisien du Strassburger Post, après avoir
parlé des troubles que l'inventaire des églises a provoqué en province,
relève particulièrement des cas d'indiscipline
des officiers à Saint-Servan. Le commandant et deux capitaines qui ont
refusé d'obéir même à l'ordre de leur général, dit le correspondant, seront
renvoyés devant le conseil de guerre de Rennes. Les tristes expériences du
procès Dreyfus en 1899 montrent combien il est difficile d'y trouver des
juges militaires impartiaux. Il n'est pas impossible que les trois officiers
soient acquittés.
Leur révolte a fourni d'autre part des arguments aux antimilitaristes
qui disent qu'ils peuvent exciter les soldats à la désobéissance puisque
les officiers donnent l'exemple. Le fait que dans un seul bataillon les
trois premiers officiers sont catholiques avant d'être officiers, jette
une lumière étrange sur l'esprit qui règne dans le corps d'officiers. Par
là se justifie jusqu'à un certain point la surveillance que les loges maçonniques
ont exercée sur les tendances cléricales et réactionnaires des officiers.
M. Guyot de Villeneuve a repris la publication des notes volées aux
loges et qu'il a achetées. De diverses garnisons ces notes rapportent que
les officiers comptent sur une restauration monarchiste. Après le jour de
l'incident de Saint-Servan, les fiches maçonniques éveillent l'idée qu'elles
ne sont pas sans fondement. dans tous les cas, l'ex-capitaine Guyot de Villeneuve
rend un mauvais service à ses camarades en publiant ces fiches juste en ce
moment.
Paris le 5 mars 1906
M. Clemenceau publie dans la Nouvelle Presse libre de Vienne
un long article sur le conflit religieux et la loi de séparation. Il critique
la loi qui est illogique et bâclée de morceaux hétérogènes. Mais, ajoute-t-il,
presque toutes les lois faites par les parlements ont plus ou moins ce
défaut. Il ne faut donc pas être trop sévère pour la loi de séparation.
Ce n'est pas une œuvre miraculeuse, car il n'y a plus de miracle. Puis
il ne faut oublier que ce sont des adversaires résolus de la séparation
qui y ont collaboré. Il ne faut pas s'étonner si elle n'a pas la simplicité
majestueuse d'une solution mathématique. Née d'une situation pleine de contradiction,
la nouvelle loi est pleine de contradictions. Les catholiques, qui ont jusqu'ici
vécu de privilèges, doivent aller à l'école de la liberté. Sans doute il
est bon de les soutenir dans leur premiers pas.
M. Clemenceau, passant ensuite à l'analyse critique de la loi, trouve
déjà une contradiction à l'article 1er qui dit que la République ne paye
aucun culte, et pourtant le budget des cultes est maintenu sous forme de
retraites à payer. L'article 4 offre les principales difficultés. Il dit
que les biens du culte doivent passer entre les mains des futures associations
cultuelles. Mais s'il y a plusieurs associations cultuelles dans une paroisse,
laquelle sera reconnue comme légale ? Comme la décision dépend des autorités
ecclésiastiques, on verra des hobereaux et des réactionnaires s'emparer des
biens contre la République et des ouvriers, petits bourgeois et paysans
républicains qui fonderont une association catholique verront que la république
leur refuse la manne, car la République cherche avant tout à soutenir ses
propres amis.
Le clergé se lancera dorénavant à corps perdu dans le combat politique.
Ce qui est encore plus beau, c'est que la loi adjuge les bâtiments du culte
aux Associations cultuelles et accorde un monopole de propriété à une organisation
politique ultra-montaine. En réalité, il n'y a pas de séparation, on a
créé un monopole nouveau et plus étendu pour l'Église. La question de la
"vraie" séparation ne peut encore disparaître du programme des républicains.
7 mars 1906 : Circulaire aux préfets leur
demandant, en présence du vote de la Chambre, de surseoir jusqu'à nouvel
ordre à toutes les opérations d'inventaires susceptibles d'entraîner le
moindre conflit
Paris, le 8 mars 1906
Le correspondant parisien du Vorwaerts dit que les hobereaux
féodaux, de concert avec les curés attisent par tous les moyens la révolte
des paysans. Jusqu'ici, il n'y a pas de grand résultat. En Bretagne, dans
la Haute-Loire et dans la Lozère, ils trouvent cependant des fanatiques.
Il est d'ailleurs bien étonnant que le Gouvernement envoie des agents du
fisc sans une escorte suffisante et ne fasse intervenir la force que lorsque
les agents ont la tête cassée. Comme les paysans armés de fourches et de
faulx sont assez prudents pour ne pas marcher contre les troupes, la tactique
du Gouvernement n'est due évidemment qu'à la peur de l'insubordination des
officiers. Cette peur d'avoir des démêlés avec la coterie cagote de l'armée
se montre aussi dans les arguties juridiques avec lesquelles le semi-clérical
ministre, M. Étienne, cherche à sauver les trois officiers révoltés. On a
déjà découvert que ces trois officiers ne peuvent être punis que d'une peine
d'arrêt d'un jour à trois mois. Dans tous les cas, ces révoltés resteront
à l'armée.
Il ne faut pas se laisser duper par les criailleries de cléricaux.
L'incident de Champels a été exagéré. Ce n'était pas aussi sanglant que
c'eût été s'il s'était agi d'une grève. Pendant que les paysans abrutis
par les calotins risquent leur peau, la coterie des nobles se contente d'un
martyre plus bénin. Dernièrement, une demoiselle noble de 17 ans a été condamnée
à 6 jours. Là-dessus des cris de putois, comme si les lois n'étaient que
pour les plébéiens. Sans doute, on peut être d'avis que c'est cruel de punir
une enfant qu'on ne peut pas rendre responsable des idées qui lui ont été
inculquées par les sœurs. Mais combien de centaines de filles plus jeunes
encore ont été encore plus durement frappées pour des délits de grève sans
éveiller la pitié des dévots.
Paris, 11 mars 1906
Le correspondant du VORWAERTS, parlant de la révolte excitée
par les cléricaux dans la Haute-Loire, fait les réflexions suivantes :
Les paysans auxquels on a monté la tête n'ont pas une idée de la
vraie signification des inventaires. Les calotins leur mentent en chaire
lorsqu'ils disent que la République païenne et juive veut fermer les églises
et interdire tout service religieux. Ils racontent aussi que le Gouvernement
aurait promis aux socialistes de prendre les propriétés des paysans tour
les distribuer aux révolutionnaires.
C'est la faute de la République bourgeoise qui a si longtemps laissé
l'école entre les mains du clergé, si maintenant les monarchistes peuvent
ainsi abuser de la naïveté des populations rurales. La proximité des élections
est une garantie qu'on continuera les excitations et, à en par la marche
suivie jusqu'ici les opérations d'inventaires peuvent traîner jusqu'en avril,
c'est-à-dire jusqu'aux élections, et voilà ce que désirent les réactionnaires.
L'audace des cléricaux est augmentée encore par la lâcheté du Gouvernement
qui n'ose rien faire contre la révolte cléricale des officiers. Pour les
officiers la couronne du martyre est à très bon marché, ils en sont quittes
avec quelques jours d'arrêts.
Une chose caractéristique encore à propos du cléricalisme dans l'armée,
c'est l'amende honorable du vieux Galliffet qui, avide de réclame, ne laisse
passer aucun incident sans placer son mot. Ce venimeux roquet était, au
point de vue esthétique, plus sympathique à l'époque où il pouvait encore
mordre. Maintenant, pour employer un mot de Henri HEINE , il ne sait qu'aboyer
et mouiller.
Un autre service notera ce jour dans le même journal , que le correspondant,
en parlant de la révolte des paysans cléricaux, relève les
paroles séditieuses de l'abbé JANVIER et dit :
Il faut sans doute rendre hommage au Gouvernement qui accorde aux
catholiques une si parfaite liberté de parole. Seulement, on désirerait qu'il
accorde la même tolérance à tous les partis.
La révolte des cléricaux est beaucoup plus grave que toutes les
proclamations des antimilitaristes à qui on a infligé des années de prison.
Jusqu'ici, on n'a pas vu de manifestation de troupiers comparable aux adresses
de félicitations que des officiers de divers régiments ont envoyées aux
officiers révoltés.
Le correspondant parisien de la GAZETTE
DE MAGDEBOURG dit qu'il était à prévoir que les inventaires provoqueraient
en Province une résistance beaucoup plus violente qu'à Paris. De tous
les côtés, on apprend que du graves conflits ont lieu entre les paysans
qui veulent protéger leurs églises contre la prétendue profanation et spoliation
des agents du fisc. En présence de l'attitude des montagnards de la Haute-Loire,
le Gouvernement se trouve dans le plus grand embarras.
Le correspondant, après avoir fait une description un peu chargée
des diverses phases du conflit, conclut qu'on doit s'attendre à des combats
encore plus sanglants.
Le correspondant parisien du "PESTI NAPLO," organe de l'opposition
hongroise, dit que dans l'affaire des inventaires des églises le calme
est revenu à Paris, mais l'agitation n'en est que plus grande en province.
Les défenseurs des églises parisiennes se composaient de deux éléments hétérogènes
: les aristocrates qui se sont contentés de la pose pure et simple et la
canaille qui, lâche et misérable, s'est dispersés après un petit tapage.
Les gens de province ce sont des croyants sincères. Ce ne sont ni des aristocrates,
qui ont de l'influence sur le clergé, ni de la canaille vénale. Ce sont
des gens prêts à prendre la fourche, si on les excite par des sermons, et
ces excitations ne manquent pas.
Dans la communauté israélite du Paris, quelques fanatiques ont voulu
aussi provoquer des scènes violentes, mais, grâce à un stratagème de M.
de Rothschild, l'inventaire rue de la Victoire s'est fait sans incidents.
Les belliqueux parmi les Juifs en sont furieux, mais M de Brunetière approuve
l'attitude de M.. de Rothschild et blâme en général ceux des ministres qui
excitent à la révolte.
"STAMPA"
Le correspondant parisien qui signe "Bergeret" a essayé de s'informer
de ce que pense le peuple sur le procédé des inventaires dans les églises
et il s'est adressé à une marchande de marrons. Cette brave femme lui a
dit que "les casseroles sont venues saccager les églises parce que le gouvernement
a besoin de fonds secrets pour les élections. Tous les objets d'art précieux
des congrégations ont été achetés pour quelques sous par le baron de Rothschild.
Il y a des dames qui se sont l'ait des volants pour leurs robes avec les
soutanes des prêtres." Et voilà , remarque le correspondant , comment on
écrit l'histoire . Si les catholiques parisiens avaient été éclairés sur
la réalité des choses, tout se serait passé dans le plus grand calme. Dans
cette rébellion , on doit voir la preuve d'un esprit combatif ineffaçable,
c'est un peuple qui a la guerre dans le sang. Un gouvernement sage saurait
canaliser ces énergies dangereuses que travaille un sang trop généreux, mais
la franc-maçonnerie et le socialisme qui sont actuellement au pouvoir ne
peuvent pas former un gouvernement sage, et , d'autre part, il n'est pas
prouvé qu'un gouvernement sage puisse exister en France. Le correspondant
conclut en disant que la vérité a été dite par M. Ribot à la Chambre. Le
gouvernement a manqué de mesure et de tact. Le jacobinisme ne se préoccupe
jamais des conséquences de ses actes. Le gouvernement était pressé, il n'avait
pas le temps d'expliquer aux marchandes de marrons que les calices et les
ciboires ne seront nullement pris par le gouvernement.
Le correspondant parisien de "LA STAMPA" qui signe Bergeret,
croit devoir analyser, au point de vue du chroniqueur politique, les épisodes
de la révolte catholique à Paris. La révolte, fait-il remarquer, ne résulte
pas d'un conflit entre l'Église et l'État, puisque le clergé l'a subie
plutôt que provoqués: elle n'est pas non plus une levée de boucliers royalistes,
puisque parmi ceux qui protestaient contre les agents du fisc se trouvaient
beaucoup de prolétaires: les incidents sont l'œuvre des femmes, des Parisiennes.
Toutefois, ils n'auront pas une grande influence sur les destinées de la
République. On devrait les inscrire dans le petit livre d'or de la psychologie
féminine. Le correspondant ajoute que, sans se départir de l'impartialité
à laquelle l'oblige sa qualité: d'étranger, il éprouve une profonde sympathie
pour la gracieuse férocité de ces femmes dans la défense de leurs églises.
La femme, en effet. qui égratigne est délicieuse. Renan aurait éclairé le
spectacle de ces jours derniers de son plus doux sourire. Il aurait eu beaucoup
de plaisir à voir un essaim de Parisiennes parfumées répéter, après vingt
siècles, avec automobiles à la porte, le sublime poème des catacombes, risquant
au moins une toilette de Paquin dans la lutte avec les agents de la force
publique. Il aurait dit , que s'il est vrai que la Parisienne est le symbole
le plus délicat de l'amour, elle doit être aussi le vase de la foi. La Parisienne
est plus femme que toutes les femmes et rien n'est plus inné à l'être de
la femme que l'amour et la: foi.
Sur les boulevards de Paris, le sinistre troisième sexe, qui consiste
à n'en avoir aucun, ne s'est pas encore acclimaté. Les passions terrestres
et les passions célestes vont ensemble. Les Parisiennes sont aimantes et
croyantes; elles sont aussi superstitieuses. Le correspondant rappelle,
à ce propos, que les aïeules de ces mêmes Parisiennes écoutaient des philosophes
qui, dans le langage sec et élégant du 18° siècle, leur expliquaient qu'un
peuple vertueux n'a pas besoin de religion. Mais cette théorie a été abandonnée
depuis et il y a, à Paris, des autels pour les péchés et des autels pour
la rédemption.
Paris le 13 mars 1907
D'un correspondant
-Au sujet de l'organisation du Culte
Des instructions pontificales sont arrivées à l'évêché de Paris,
et ces instructions concernent principalement l'organisation du culte privé,
qu'on considère comme devant être adopté avant longtemps.
A Rome on estime que la rupture est définitive entre le Gouvernement
et l'Église, et que tout espoir de transaction au sujet de la location
des édifices du culte doit être abandonné. Il va falloir sa préoccuper
de l'exercice du culte et avoir recours à l'exercice privé. C'est sur
ce point que portent principalement les instructions pontificales, et
c'est sur cette question, comme sur l'organisation dans ses lignes générales
du denier du culte, que les évêques auront à se prononcer dans la prochaine
réunion qu'ils tiendront fin avril, ou commencement de mai, quoi qu'on
dise.
Les évêques, depuis les décisions préfectorales annulant un grand
nombre de décisions prises par les municipalités au sujet de la location
des églises, sont partisans du culte privé, dont ils ne voulaient pas jadis,
et c'est pour ce motif que les curés ont reçu l'ordre de quitter les pays
où les contrats de location ont été refusés.
L'adoption du culte privé est la solution qui satisfait le plus
M. Piou, car elle entraîne l'organisation du denier du culte, et celui-ci
la création d'associations de catholiques pour recueillir cet impôt nouveau
genre.
Or, je vous l'ai dit il y a déjà quelques temps, M. Piou compte constituer
ces associations avec ses groupes de l' Action libérale, ce qui fera de
lui le surintendant général de l'Église de France. On a prétendu que les
évêques repoussaient ces associations; c'est une erreur. Les évêques les
ont repoussées, et les repousseront, c'est vrai, tant qu'il, craindront
que le gouvernement ne les adopte, et ne les baptise "cultuelles" pour donner
la change à l'opinion publique et faire croire à la soumission du clergé,
mais ils s'empresseront de les adopter et de les prescrire le jour où la
rupture étant définitive le public aura compris que la clergé vit de ses
propres ressources et organise son existence à sa guise.
Paris, le 16 mars 1906
Le correspondant du "VORWAERTS" dit : "C'est un mensonge audacieux
que de dire que c'est la Loi qui ait provoqué l'agitation de la population
rurale. La fermeture des couvents et des écoles congréganistes sous les
deux Ministères précédents a bien autrement affecté la vie religieuse en
province que les inventaires, et pourtant alors, la résistance fut insignifiante.
Sans 1a proximité des élections qui a fait faire aux monarchistes
leur campagne de mensonges éhontés, tout se serait passé tranquillement.
Maintenant les antirépublicains se sentent les plus forts.
Dans les régions les plus acharnées, on ne formera point d'Associations
Cultuelles, et les prêtres perdront leur droit à la retraite, chose peu
agréable. L'inventaire est un avantage pour les fidèles, car on a volé beaucoup
d'objets d'art qui faisaient partie des biens de l'Église. Mais uns révolte
a une logique a elle. Il y a dans la révolte: des paysans la haine contre
les citadins, la défiance contre les hommes politiques, des préjugés bêtes
et de la superstition.
Les menées des cléricaux ont provoqué le mécontentement du petit
rentier qui veut sa tranquillité. Du reste, beaucoup de nationalistes commencent
à se dire que c'est peut être une faute d'avoir renversé M. Rouvier, dont
l'attitude équivoque leur profitait".
Paris le 4 avril 1906
"I1 ne sert à rien, dit le Correspondant du "SUNDAY TIMES",
de dissimuler que le Gouvernement de la République se trouve très ennuyé
de la tournure que prend la question religieuse".
Le correspondant ajoute qu'il tient de source sûre que les troubles
de Province sont beaucoup plus graves que ne l'avoue la presse parisienne.
La loi n'accorde les biens de l'Église qu'aux Associations cultuelles, et
si les catholiques refusent de les constituer, on fermera 40.000 églises,
ce qui provoquera une vaste insurrection. Il y a bien divergence de vues
parmi les catholiques. Vingt-trois personnages de la plus haute situation
ont adressé une lettre confidentielle aux évêques, en insistant auprès d'eux
pour qu'ils ne mettent pas d'obstacles à la loyale acceptation de la loi qui,
disent-ils, laisse aux catholiques une parfaite liberté de culte et de conscience.
M. le Comte ALBERT de MUN a publié une protestation éloquente contre cette
lettre. A en juger par l'écho qu'ont trouvé ces deux lettres, il est évident
que le Comte de MUN a trouvé la note populaire.
Un correspondant de Droite envoie le renseignement suivant :
"Divers journaux conservateurs de Province ont publié la plaidoirie
de M° BREJEAN devant le Conseil de Guerre de Bordeaux. D'autres se préparent
à la publier dans un but déterminé. Ceux qui l'ont reproduite ont envoyé
le numéro la contenant à beaucoup d'officiers, notamment à ceux de la garnison
de Bordeaux.
"C'est une façon de propagande. Or. veut, en vu des inventaires
encore à faire, qu'il reste bien établi que l'autorité civile a le devoir
strict de requérir, dans la forme de la loi, tous les ouvriers civils susceptibles
de lui prêter concours avant d'avoir recours à l'armée.
Le correspondant parisien du "Vorwaerts" appelle jugement
du Conseil de Guerre de Rennes un jugement de défi et signale l'irritation
que cette sentence a provoquée dans le monde républicain. Il n'est
que trop manifeste que la coterie militaire a voulu marquer son mépris
du pouvoir civil et démontrer qu'elle place ses sentiments cléricaux au-dessus
de l'obéissance jurée à la Patrie.
Pour les socialistes la moralité s'en dégage tout naturellement.
Le verdict a tout simplement prouvé que la discipline exigée au nom de
la patrie n'est qu'un moyen de faire de l'armée l' instrument docile de
la classe privilégiée. La discipline est une chose sacrée quand elle oblige
les ouvriers revêtus de l'uniforme de tirer sur d'autres ouvriers qui luttent
contre l'exploitation du capital.. Dans ce cas, réfléchir est une haute trahison,
refuser de marcher est une rébellion. Mais aux officiers, il un permis
de se mutiner pour sauver un privilège de l'église en dépit de la volonté
légale de la nation. D'ailleurs, on accorde maintenant le droit de grève
aux troupiers aussi à la condition de l'exercer en faveur des cléricaux. Qu'on
compare le traitement de ces officiers réellement rebelles avec le jugement
des antimilitaristes appuyé par des considérants hypocrites. Ces antimilitaristes
n'ont été liés par aucun engagement de service. Pour les républicains bourgeois,
il y a là une expérience amère. Trente-six après la fondation de la République
la sédition légitimiste dispose toujours d'une grande partie des officiers.
Tout récemment encore ces républicains bourgeois de la Chambre ont vilipendé
et suspecté le général André, le seul ministre de la Guerre démocratique
qu'on ait jamais eu. La République bourgeoise traverse une phase critique.
Elle ne peut, sans se faire décapiter, laisser passer la révolte des officiers
cléricaux, mais elle ne peut pas non plus créer une armée démocratique.
La démocratie veut le peuple armé, voilà qui fait peur à la bourgeoisie.
Le correspondant parisien du Mornig Post dit que le nouveau
Gouvernement s'est incliné devant l'orage déchaîné par l'affaire des inventaires
et qu'aucun trouble n'est à craindre avant la fin des élections. Les émeutes,
cependant, sont symptomatiques pour d'esprit qu'elles révèlent et qu'il est
utile d'analyser.
La presse anglaise a vu là une tentative de la minorité qui, après
avoir épuisé les moyens légaux, a recours à la violence pour rendre impossible
l'application d'une loi que la majorité des Français approuve. Il y a
là quelque chose de vrai, mais ce n'est pas toute la vérité. Dans son ensemble,
on ne peut pas considérer la résistance comme l'acte désespéré d'un parti
battu. Elle a été spontanée, très étendue, et sa véhémence a surpris les
chefs de tous les partis. Elle a été condamnée par une grande partie du
Clergé avec une énergie qui, parfois, a compromis l'autorité du prêtre.
Le cas ce M. Jean RAFFIER le célèbre sculpteur, est typique. Cet
homme, né catholique, ne pratiquais pas; mais au moment des inventaires,
il fit son apparition à l'église pour la défendre. L'Église de France
a des milliers de défenseurs de ce genre.
Pour la première fois, le peuple voit l'application de la loi de
Séparation dont jusqu'ici il n'avait qu'une idée vague. L'inventaire est
une formalité, mais une formalité vexatoire aux yeux des électeurs. Les
Français instruits sont d'avis que sans une transmission de propriété,
il ne peut pas y avoir d'inventaire et qu'on aurait dû attendre la formation
des Associations cultuelles. Les Français qui n'ont pas d'instruction,
surtout les paysans, se soucient peu de savoir si la fabrique sera appelée
Association cultuelle; ce qui importe, c'est la question de propriété. La
maison de Dieu est leur maison, le prêtre est leur prêtre. Ils se disputent
souvent avec le curé, mais ils tiennent a ses services. Le grand-père a
peut-être donné une chaise à l'Église, on y tient. Le paysan sait que les
objets ne seront pas emportés, mais il se demande ce qui arrivera demain.
Son député radical lui avait dit qu'on n'expulserait que les mauvais congréganistes
qui ne se soumettaient pas à la loi. Or, aujourd'hui, tous sont partis.
Le gouvernement, a dit un député républicain au correspondant, a
réussi à matérialiser la question de la Séparation, c'est une faute grave
qu'il sera difficile de réparer.
Le correspondant parisien de la Strassburger Post fait remarquer que la déclaration du Cabinet SARRIEN diffère par une nuance de celle du Ministère ROUVIER. On y menace les instigateurs des troubles religieux. Aussi la presse d'opposition voit déjà la prochaine convocation de la Haute-Cour où plusieurs chefs réactionnaires auront à comparaître. Un complot clérical contre la République, ce serait sans doute pour le gouvernement actuel une excellente préface aux élections. Mais il est fort douteux qu'on puisse prouver l'existence de ce complot. Jusqu'ici les troubles ont un caractère tellement insensé qu'on croit plutôt au fanatisme aveugle qui n'est dirigé par personne. Aussitôt que les travaux des champs absorberont les paysans, il sera très facile de terminer les inventaires.
6 et 20
mai 1906 : élection législative après laquelle les anticléricaux sont
encore plus nombreux à la Chambre.
Le correspondant parisien de la "GAZETTE de FRANCFORT" ; M. Émile Ney, trouve que la situation du clergé en France commence déjà à sentir les effets de la loi sur la Séparation. Au Vatican on hésitait à permettre aux prêtres de faire valoir auprès de l'autorité civile leur droit à la retraite, parce que cette permission aurait pu être interprétée dans le sens d'une acceptation de la nouvelle loi. Le Saint-Siège aurait bien voulu ajourner cette affaire dans l'attente d'une victoire réactionnaire, mais beaucoup de prêtres, et même des évêques, ont déclaré ne pouvoir rester six mois sans appointements. Pour empêcher que ces nécessiteux ne s'adressent, sans l'intermédiaire de leurs supérieurs ecclésiastiques, aux préfets, le Vatican a autorisé les évêques à recueillir dans leurs diocèses les demandes de retraite et à les remettre au Ministre de l'Instruction Publique. Cette autorisation a été cependant accordée; mais probablement avec une réserve secrète, car la plupart des évêques ont gardé les demandes dans les tiroirs, jusqu'à ce que les élections du 6 mai aient anéanti tout espoir d'un retour au régime concordataire. La crainte de l'archevêque d'Auch qu'on manquera bientôt de prêtres ne serait pas sans fondement. L'Église n'est pas seulement menacée d'être lâchée par beaucoup de ses serviteurs; mais elle va trouver difficile aussi le recrutement du jeune clergé. Dans le nouvel de choses, la carrière ecclésiastique n'a rien de tentant. Peut-être à Rome décidera-t-on à organiser en France une sorte de mission intérieure pour combler les lacunes dans le personnel desservant, mais pareille organisation tomberait sous la loi de 1901 et serait contraire à la loi sur les congrégations. On ne pourra la créer que lorsqu'il y aura une majorité parlementaire qui complaisamment fermera les yeux; mais il ne faut pas y penser avant quatre ans et après cette période l'Église n'aura plus la force d'entreprendre la lutte contre les lois de la République.
Le correspondant parisien de la Tribuna,
M. CANE, rapporte qu'après les dépêches reçues de Paris, le Pape aurait
déclaré à plusieurs personnes qu'il n'acceptera pas la loi sur la séparation.
Le questionnaire soumis aux évêques français, ajoute-t-il, est assez suggestif.
D'après les informations du correspondant, le Pape y demanderait si les
évêques jugent opportun de laisser se constituer des associations cultuelles,
quand même elles seraient déclarées anticatholiques. Le questionnaire demanderait
en outre, comment on pourrait organiser en dehors de ces associations,
d'autres associations catholiques.
Les demandes de retraites arrivées au Ministère font voir que les
évêques sont soumis au régime des associations cultuelles. Toutefois, il
se peut qu'à la Conférence des évêques, la majorité se déclare pour un essai
loyal de la nouvelle loi. Dans ce cas, il n'est guère probable que le Pape
s'oppose ouvertement, mais il aura recours à un terme moyen sous forme d'encyclique.
Paris le 6 juin 1906
Le correspondant parisien de la Strassburger Post dit que le
cardinal espagnol VIVES Y TUTO, ancien capucin, aurait prononcé ce grand
mot :"La France ne verra clair qu'à la lueur d'un incendie général." Il
n'espère une amélioration de l'état de choses qu'après que tout sera allé
de mal en pis. Son programme, sans doute, est que le clergé français et tous
les catholiques croyants devraient se soulever contre la loi de séparation
et même prendre les armes si le Gouvernement fermait les églises. Heureusement,
ces pieux désirs n'ont que peu de chances d'être accomplis. Le concile des
évêques français a donné, au contraire, l'impression que l'esprit de conciliation
prédomine dans le monde religieux et que les prélats réunis ne poursuivaient
que dans le but de mettre d'accord la formation des associations cultuelles
avec l'anathème prononcé par le Pape dans son Encyclique Vehementer nos.
Les archevêques de Besançon et d'Albi ont même présenté des rapports qui
désignent la fondation des Associations cultuelles comme une nécessité urgente
pour assurer l'avenir de l'Église et du clergé. La dépêche même adressée
au Vatican pour demander la bénédiction du Saint-Père, montre que les évêques
français cherchent à sauvegarder une certaine indépendance et, qu'à côté
des intérêts de l'Église, ils tiennent aussi à ceux de la France. Ils disent
à la fin de la dépêche qu'ils tiennent à la grandeur et à la prospérité de
la France bien-aimée autant qu'aux intérêts de la religion. Cette allusion
à l'idée patriotique fera sans doute impression au Vatican et encouragera
le Pape à l'influence de ceux qui prêchent la résistance. D'ailleurs, le
cardinal MATHIEU est partisan d'une attitude conciliante et l'on dit qu'il
a un grand ascendant sur le Pape. Les partisans de la résistance ont l'habitude
d'invoquer l'exemple du Kulturkampf en Allemagne. Mais leur argument ne résiste
pas à un examen plus minutieux. L'archevêque de Rouen a étudié soigneusement
la situation en Allemagne, et il conclu que les catholiques allemands, malgré
leur victoire, sont soumis à un régime d'associations cultuelles qui est
moins libéral que celui de la loi française de 1905.
Paris, le 8 juin 1906
Le correspondant parisien de la Gazette de Cologne, parlant
du concile des évêques français, dit que malgré le secret que les délégués
s'étaient engagés à garder, on sait aujourd'hui que les deux tiers des
évêques se sont prononcés pour la formation des associations cultuelles.
En effet, ce qui parait confirmer ce fait, ce sont les appréciations des
journaux cléricaux partisans de la lutte contre la loi de la Séparation.
en présence présence de la nouvelle du résultat du concile si défavorable
à leurs vues, ces journaux rappellent que c'est au Pape seul qu'il appartient
de trancher définitivement la question; d'autre part, ces mêmes journaux
cherchent à donner une interprétation atténuante au vote de la majorité
des évêques en disant que les prélats ont fait des réserves au point de vue
canonique. Mais c'est là un point de vue, et tout à fait différent. La principale
question est d savoir si oui ou non l'Église veut les Associations avec le
but que leur assigne la loi. Le reste, ce sont des soucis ultérieurs qui
sans doute occupent aussi l'Église.
En définitive, le parti de l'épiscopat qui préfère la soumission
pacifique à la lutte ouverte contre la loi et à la mobilisation des catholiques
français contre la République, l'a emporté. La fondation des Associations
cultuelles signifie pour l'Église, assurer la continuation du service de
culte dans sa forme publique actuelle et dans un état d'ordre public. Refuser
la fondation de ces Associations, ce serait renoncer aux édifices du culte
et à tous les avantages accordés par la loi, ce serait placer l'État devant
l'alternative ou de laisser la loi inappliquée ou de l'appliquer et par
conséquent de fermer les églises, de chasser les prêtres, etc. Et il ne
peut y avoir aucun doute sur la politique que la république parait disposée
à suivre depuis que les élections ont rendu les radicaux maîtres absolus
de la situation. Même la minorité des évêques qui s'est prononcée contre
les associations cultuelles a reconnu cette alternative; mais elle veut
la guerre croyant par là stimuler le zèle religieux des catholiques français.
A cette minorité se sont ralliés tous les éléments qui voulaient élargir
l'opposition à la nouvelle loi et faire campagne contre la République. Un
point, conclut le correspondant, intéressera particulièrement les Allemands.
On a , au concile, invoqué les lois du Kulturkampf en Prusse. Qui aurait
jamais cru en Prusse, ajoute-t-il, que ces lois rencontreraient tant d'éloges
chez les catholiques français ? Qu'ils seraient donc heureux, ces catholiques
français, si leur Église en France bénéficiait d'une loi comme la loi prussienne
du 20 juin 1875 sur l'administration des biens de l'Église ?
Paris le 12 juin 1906
Le correspondant parisien de la STRASSBURGER POST, relevant
le fait que toutes les nouvelles signalent une tendance conciliatrice de
la part du Vatican, fait remarquer à ce propos que selon toute apparence
le Cardinal RAMPOLLA , que le parti français voulait porter au Pontificat,
a pris le dessus sur VIVÈS Y TUTO et MERRY DEL VAL et qu'il décidera le Pape
à faire des concessions. Le "TEMPS" d'habitude bien renseigné sur les affaires
du Saint-Siège, annonce que le Pape enverra au mois de juin aux évêques
français un règlement sur la formation des Associations cultuelles. Ce règlement
empêchera l'élément laïque d'empiéter sur l'autorité ecclésiastique. Il ne
sera pas difficile de trouver une formule de ce genre. Il suffira de faire
prendre aux membres de l'Association un engagement solennel; l'État n'a
rien à y voir. Mais si le Pape a cédé sur la question du fond, il n'en est
pas moins désappointé en ce qui concerne la question de personnes. Les vainqueurs
du Concile des Évêques paieront peut-être très cher leur victoire. On raconte
que neuf des évêques les plus libéraux de France seront prochainement invités
à donner leur démission . Ce qui a encore augmenté le déplaisir du Vatican,
c'est l'attitude patriotique de plusieurs évêques. A plusieurs d'entre eux,
qui en perdant la pension se seraient trouvés dans une fâcheuse situation,
on a promis des prébendes romaines en compensation, mais ces évêques ont
pensé non-seulement à eux-mêmes mais aussi au clergé qui est sous leur dépendance
et ils ne se sont pas laissés entraîner à la résistance .
Le cosmopolite hispano-anglo-ltalien MERRY DEL VAL ne pouvait pas
comprendre cette petitesse, qui fait qu'on s'attache à la glèbe et il a jeté
le manche après la cognée. Si malgré tout le Pape et lui avaient persisté
à interdire aux Français la fondation des Associations cultuelles , un réveil
de Gallicanisme aurait bien pu se produire. Si le Pape se permet encore quelques
imprudences vis-à-vis de la France, il se pourrait que le clergé français
s'aperçoive qu'à Rome on ne connaît pas ses intérêts spéciaux ou qu'on ne
veut pas les connaître.
Paris, le 20 juin 1906
Le correspondant parisien de la "Strassburger Post" fait remarquer
qu'au Vatican on parait toujours partisan d'une décision héroïque. Ni le
résultat des élections françaises, ni les décisions du concile des évêques
français ne paraissent avoir produit d'impression sur le Saint Siège. Le
Pape a fait un semblant de revirement en ce sens qu'il ne veut pas prononcer
une interdiction explicite des Associations Cultuelles, mais qu'il considérera
la loi française comme non existante. Autant qu'on puisse en juger d'après
ce que dit un prélat dans le "Gaulois", au Vatican on est toujours d'avis
qu'un conflit violent entre l'Église et l'État rallumerait en France un
nouvel enthousiasme général pour la religion catholique. Les évêques ont
de nombreuses raisons pour ne pas partager cette opinion. Abstraction faite
des élections, ils ont partout fait les pires expériences en voulant engager
les fidèles à des contributions régulières pour l'Église. Si donc les fidèles
étaient encore obligés de fournir des fonds pour la construction. de nouvelles
églises ou pour la location des immeubles, leur zèle n'en serait pas accru,
loin de là ! Si, comme le dit le prélat du "Gaulois" dans un accès hérétique,
le Saint-Esprit ne pense pas de même à Paris qu'à Rome, cela tient qu'a Paris
il voit bien des choses qu'on ne veut pas voir à Rome.
Le correspondant fait finalement remarquer que les catholiques devraient
prendre modèle sur les protestants qui, en silence, ont tenu leur concile
à Montpellier et ont profité de la nouvelle loi pour donner plus de cohésion
à l'organisation de leur culte.
Paris, 21 juin 1906
"Il Mattino" de Naples; 18 juin
Le correspondant parisien, M. Bergeret (de Vesme) s'occupe de l'attitude
des évêques français vis-à-vis de la nouvelle loi sur la séparation.
En grande majorité, dit-il, ils sont pour la soumission; les catholiques
toléreront donc que les mains sacrilèges des publicains touchent les objets
du culte et en fasse l'inventaire. Les associations cultuelles feront revivre
les premières communautés religieuses. Le refus de la création de ces associations
aurait conduit à la fermeture des églises et, sans doute, à la guerre civile.
En France, il y a encore beaucoup de braves gens qui auraient eu la soif
du martyre et auraient été prêts à marcher à l'assaut de la République.
Aussi les partis anti-républicains sont-ils furieux contre les évêques
qu'ils accusent de couardise. Ce qui est plus singulier, c'est que les révolutionnaires
du bloc ne sont pas contents non plus. Une fois la loi acceptée par l'Église,
le bloc n'a plus de raison d'être.
Les évêques français ont rendu un grand service à leur pays en écartant
une cause qui aurait pu amener une terrible discorde civile. l'Église fut
suspectée, dès les premiers jours de la république, de faire cause commune
avec la réaction, et tous les échecs des monarchistes, des boulangistes,
etc., sont retombés sur elle. Or, elle a choisi un très bon moment pour
dissiper les soupçons : c'est précisément où elle est dépouillée de droits
incontestables, qu'elle se met à la république. C'est un coup de maître.
Les inventaires n'auraient pu se faire qu'à laide des baïonnettes,
et un tiers des officiers français auraient refusé de marcher. l'Église
aurait pu déchaîner ainsi une guerre civile terrible, elle a préféré patienter.
Cette guerre civile éclatera non par la faute de l'Église, mais par celle
de ses ennemis et le lendemain de la catastrophe, la France se jettera dans
les bras de l'Église comme elle l'a fait le lendemain de la Révolution et
après 1870. Elle peut donc attendre et, probablement, elle n'attendra pas
longtemps.
Le Vatican ne sera pas moins déçu de la décision des évêques français
; cette institution, qui, au fond, est italienne, voit la question française
sous le même aspect que la question romaine. Le clergé français est moins
fanatique que l'italien, il ne se confine pas dans le confessionnal, mais
il va dans le monde.
L'état actuel, conclut le correspondant, est très préjudiciable à
la république et très utile à l'Église.
Paris le 28 juin 1906
STRASSBURGER POST (26 Juin)
Le correspondent parisien parle de l'attitude des protestants en
France vis-à-vis de la nouvelle loi de Séparation. Les synodes qui ont
eu lieu récemment, dit-il, l'indiquent suffisamment. Ils n'ont jamais demandé
à être liés à l'État. Comme les Israélites, ils ont servi de prétexte â Napoléon
1er pour faire de l'Église catholique un instrumentum regni. Pour garder l'impartialité,
l'État a pris à sa solde les pasteurs et les rabbins, en même temps que les
évêques et les curés. Mais, dès que le Second Empire eut été renversé, les
protestants se préparèrent à la rupture d'un contrat qu'ils n'avaient jamais
souhaité. En 1872, ils ont adopté une Confession de foi qui aujourd'hui n'est
plus de mise. Dans les synodes, les luthériens ont adopté sans bruit la création
d'un pouvoir central de contrôle; les calvinistes, au contraire, ont eu peur
pour l'autonomie de leurs communautés. Or, les deux chapelles se sont accordées
quand même en adoptant la création d'un pouvoir central. En général, un
esprit libéral a régné dans toutes ces réunions; le féminisme a triomphé
sur toute la ligne. Les femmes ont obtenu le droit non seulement de voter,
mais aussi celui d'être élues. Ce n'est qu'une question de temps, et l'on
verra des femmes prêcher dans les églises protestantes françaises. Combien
différente est la situation de l'Église catholique. Là aussi, il y a des
féministes, entre autres M. DRUMONT, l'antisémite bien connu, qui, invoquant
que les femmes en général sont plus dévotes, réclame pour elles le droit
de vote et de participation aux Associations Cultuelles. Mais on ne lui en
a pas su gré. Un journal clérical lui reproche de vouloir renverser l'ordre
établi par Dieu. TACEAT MULIER IN ECCLESIA, c'est la règle rigide, bien que
les Églises ne soient guère fréquentées que par les femmes.
Paris le 5 juillet 1906
De la Strassburger Post" (2 Juillet)
Le correspondant Parisien s'occupe de la situation de l'Église catholique
en France au lendemain de la séparation. Il trouve que le sort de l'Église
catholique ne sera pas trop triste, quand même la pape interdirait la formation
des Associations cultuelles. Cela ressort d'un essai que l'évêque de Beauvais
a fait dans son diocèse, qui est représenté à la Chambre par cinq radicaux
et un modéré: ce n'est donc pas une région trop favorable au cléricalisme.
Déjà en 1905, l'évêque avait convoqué un comité pour créer une organisation
qui ne dépendrait que de l'évêque même. Le résultat de cette action a dépassé
tous les espoirs, s'il faut en croire l'évêque: 70 % de la population a
souscrit et le total des cotisations se monte à 600 000 francs par an. Matériellement,
l'Église, dans le département de l'Oise, sera donc plus favorisée qu'au
temps du budget des cultes. L'évêque veut profiter de l'excédent pour faire
construire de nouvelles églises, afin de pouvoir braver la nouvelle loi.
Mois cette intransigeance se trouve en contradiction avec le fait que la
grande majorité du clergé a fait valoir ses droits à la retraite. Ces prêtres
allèguent comme excuse que la retraite que l'État leur paiera est une compensation
pour les biens de l'Église confisqués sous la première République. On peut
donc l'accepter sans s'engager à reconnaître la nouvelle loi. Mais il est
hors de toute qu'a cette interprétation, le Gouvernement et le Parlement
répondront par une nouvelle loi disant que le paiement de la retraite dépendra
de la formation des sociétés cultuelles. Alors l'évêque de Beauvais ne
trouvera plus son budget si brillant. D'autre part l'évêque n'a aucun moyen
coercitif pour forcer les fidèles au paiement régulier des cotisations. Au
Vatican, l'affaire de la caisse diocésaine de Beauvais a produit une vive
impression et a, dit-on, confirmé le Pape dans sa résistance centre la nouvelle
loi.
Paris, le 12 juillet 1906
Le correspondant parisien du "Koelnische Volkszeitung" cite
le discours du cardinal Couillé, de Lyon, qui conseille à ses fidèles d'étudier
à fond la nouvelle loi sur la séparation des Églises et de l'État. C'est,
ajoute le correspondant, un conseil qui mérite d'être pris en considération
sérieusement. On ne croirait guère combien peu on est renseigné sur la loi
de réparation, même dans les classes instruites: les gens croient toujours
que c'est une affaire qui ne les regarde pas. Cependant, à en juger par une
nouvelle intéressante qui nous est parvenus de Lauroux-Béconnais et de Saint-Cyr,
certains conseillers municipaux de l'Ouest ont suivi le conseil de l'archevêque
de Lyon et ils savent en tirer des conséquences pratiques. Par un temps
où le monde religieux est préoccupé de la misère économique dont le clergé
est menacé par la nouvelle loi, ces conseillers municipaux ont fait nommer
leurs curés aumôniers de leurs écoles communales et leur assurent à ce titre
un traitement. La nouvelle loi dit expressément que les communes peuvent
insérer, dans leur budget, des dépenses pour des aumôniers. Le procédé des
conseillers municipaux en question est donc inattaquable. Reste encore à
savoir si les gardiens de la liberté de conscience au Parlement ne se mettront
pas à crier et n'obtiendront pas une modification du dit article. Sinon,
chaque commune à l'occasion de fonder toutes sortes d'établissement et d'en
confier la direction à des ecclésiastiques. On ne peut pas dire que par
là, la loi serait tournée, il ne s'agit que d'une interprétation tout à
fait légitime.
Paris, le 7 août 1906
"Morning Post"
Le correspondant parisien dit que l'avis du Pape sur la loi de
la séparation n'a pas encore été officiellement communiqué à l'archevêque
de Paris, mais il. est hors de doute que la substance en est déjà connue
par le cardinal Richard et par d'antres sommités de l'église de France.
Le Pape maintient sa condamnation, mais il donne à entendre qu'on peut créer
des associations cultuelles à la condition qu'elles soient placées sous
l'autorité des évêques.
10 août 1906 : Par l'encyclique Gravissimo offici,
le pape interdit la formation d'association cultuelles catholiques
pour l'administration civile des biens de l'Église. Création du "Denier
du culte" pour subvenir aux besoins des membres du clergé
Paris, le 5 septembre 1906
la Tribuna (2 Septembre)
Le correspondant parisien, M. CANE, parle de la supplique qu'un groupe
d'éminents catholiques français a adressé au Pape et dit que c'est une
manifestation de la plus haute importance.
Après avoir donné des extraits de ce document, le correspondant fait
remarquer que la supplique a déjà recueilli plusieurs centaines de signatures.
Mais, les signataires, parmi les quels figurent plusieurs membres du clergé,
ne publieront pas leurs noms pour le moment; ils ne feront cette publication
que lorsque les circonstances l'exigeront.
Paris, le 7 septembre 1906
du Morning Post (4 septembre)
Le correspondant parisien dit que la récente encyclique a soulevé
chez beaucoup de gens la question de savoir si le Pape et ses conseillers
comprennent et connaissent réellement l'esprit du pays avec lequel ils ont
à faire. La question n'est qu'une partie d'une question plus étendue : le
Vatican possède-t-il, à l'heure qu'il est, les connaissances politiques et
l'habileté diplomatique nécessaire pour juger et traiter avec succès les
divers éléments dont la situation en France est composée ?
Aucun homme raisonnable ne peut attendre d'un Pape comme Pie X la
faculté d'apprécier à fond la condition compliquée d'un pays étranger. Le
Pape actuel est un homme probe, pieux et doué de beaucoup de sens commun,
traits caractéristiques des paysans italiens dont il est issu. Comme ADRIEN
IV, auquel il ressemble le plus, il est simple dans ses goûts, ardents à
supprimer les abus. On pourrait lui appliquer le mot créé GLADSTONE : c'est
un brave homme dans la pire acception du mot.
Un coup d'œil superficiel sur l'histoire nous montre que le meilleur
homme n'est pas toujours le meilleur Pape. Aujourd'hui, un Pape doit être
un homme politique. Or, PIE X ne parle pas français. Le cardinal MATHIEU,
raconte-t-on, lui disait à ce propos, au Conclave, qu'il n'était pas "papable".
SARTO a été élu quand même, mais, en quelque sorte, les événements ont donné
raison au cardinal MATHIEU. Comment un Pape, qui ne peut communiquer que
par intermédiaires et par interprètes avec les principaux catholiques, peut-il
se renseigner de première main sur la situation en France ? Comment un homme
confiné dans la langue italienne et qui n'a jamais quitté l'Italie peut-il
connaître les pays étrangers ?
Mais là n'est pas le seul désavantage. On a remarqué que ces derniers
temps le Vatican a perdu ses grandes traditions diplomatiques que la génération
précédente connaissait encore. cela tient à l'isolement du Pontife au Vatican,
isolement qui lui fait perdre tout contact avec le monde extérieur. Cet
inconvénient s'est fait sentir même sous le règne d'un Pape aussi politique
que l'était LÉON XIII. On objectera que le Pape peut s'en remettre à des
conseillers expérimentés. Est-ce réellement le cas ? dans la commission chargée
d'étudier la question française, seul le cardinal MATHIEU était français,
et encore celui-ci a vécu si longtemps à Rome, qu'il a perdu tout contact
avec ses compatriotes. Quant au cardinal MERRY DEL VAL, c'est un homme capable,
mais il est bien loin d'être un RICHELIEU.
Paris, le 8 septembre 1906
Le correspondant parisien du "Corriere della Sera" fait
remarquer qu'à voir l'espace qu'occupe la question religieuse même dans
les journaux les plus anticléricaux, on ne croirait pas que la séparation
des Églises et de l'État a été proclamée et l'on se rappelle la thèse paradoxale
du "Figaro" qui disait que maintenant que l'Église est séparée, la question
religieuse est devenue plus brûlante que jamais. La lecture de certains
articles rappelle les discussions théologiques de Byzance et c'est vraiment
stupéfiant de voir avec quelle chaleur, même les journaux socialistes, se
mettent à parler théologie. M. Jaurès est attiré parce qu'il aime la joute
oratoire. Les journaux nationalistes prétendant que l'intérêt que montre
la presse radicale socialiste révèle un certaine préoccupation chez les vainqueurs
des dernières élections, la crainte de voir s'évanouir le spectre clérical
auquel ils doivent tant de succès. Il y a là un grain de vérité. Mais la
question se présente sous un tel aspect que tout le monde s'y intéresse.
Si les évêques ne trouvent aucun expédient pour se soumettre à la loi, qu'adviendra-t-il
? Non pas qu'on craigne des désordres et des révoltes, mais la transformation.
de 50.000 églises en hôpitaux, asiles, etc, sera par lui-même un fait des
plus insolites.
"Vorwaerts", 4 sept.
Le correspondant parisien se demande, à propos de la seconde réunion
des évêques, comment feront ces derniers pour accomplir les ordres du pape
et pour organiser le culte catholique, puisque l'Encyclique leur barre
toutes les voie.
Le pape a déclaré inacceptables les Associations Cultuelles, même
sous la forme d'Associations de fabrique. Peut-on croire que le Pape consentirait,
de la part des évêques, à. une soumission même déguisée à la loi ? Il n'y
a pas de doute, Rome veut la guerre, et les évêques doivent organiser
les églises en dehors de la loi.
Au point de vue juridique, la question n'est. pas difficile à. résoudre
: si les évêques n'autorisent pas les Associations à. prendre les biens
de l'Église catholiques pourront, accomplir leurs services religieux comme
les fidèles des autres cultes, mais ils perdront les privilèges particuliers
que la loi accorde aux Associations cultuelles, et les biens de l'Église
reviendront aux institutions philanthropiques. Quant aux édifices du culte,
les communes et les départements pourront les louer à des catholiques
ou à des sociétés quelconques.
Mais, dès lors, ce sera la loi de 1881 sur les réunions qui sera
appliquée. Les fidèles pourront faire des réunions pour leurs invités,
et seront tenus d'élire un président et un bureau : l'Église perdrait ainsi
une grande partie de sa force de propagande.
De "l' AVVENIRE d'ITALIA "
Un bénéfice de la Séparation des Églises et de l'État, c'est qu'à
trois mois de distance, 2 conciles ont pu se tenir : chose impossible il
y a dix ans. La discussion. sur le projet des Associations Canoniques de
l'archevêque de Besançon est devenue sans objet après l'Encyclique du Pape.
Si à la veille des Paques, on avait atténué l'article 4, voté en 1905, le
Vatican aurait accepté la loi. Mais lorsque la Chambre, sous la pression
des sectaires de la Gauche, eut voté le fameux article 8, il. n'y eut plus
moyen de s'entendre. Le programme de la seconde réunion des Évêques est tout
tracé par l'Encyclique. On examinera la question de savoir s'il y a moyen
d'organiser le culte sans Associations Cultuelles.
De la "GAZETTE de FRANCFORT ".
Le correspondant parisien s'occupe de la nouvelle réunion des évêques.
Les séances, se tiendront à huis clos, mais il parait impossible d'entourer
les débats d'un mystère impénétrable. Pour cela, il n'y a pas d'unité assez
solide parmi les prélats. Le parti de la réconciliation qui voudrait des
accommodements avec la loi de Séparation, trouvera des moyens pour en appeler
à l'opinion publique. Si l'on a pu donner des informations si précises sur
les réunions du mois de mai, ce n'est pas parce que les renseignements sont
venus par l'escalier de service;. En effet, l'enjeu de l'Église en France
est si gros que les opportunistes du clergé cherchent par tous les moyens
à faire valoir leurs vues. La circulaire de M. BRIAND a subitement rendu
la situation des plus aiguës. Cette circulaire a coupé court aux essais du
clergé de se placer sur le terrain de la loi de 1901 et de tourner ainsi
la loi sur les Associations Cultuelles. L'organisation publique du service
du culte ne peut être permise qu'aux Associations Cultuelles qui sont conformes
à la loi. La réunion des Évêques se trouve dans une impasse d'où 1a seule
issue est la reconnaissance de la loi.
Que décideront les Évêques ? Les modérés ne sont pas en nombre pour
pouvoir jouer un rôle décisif.
De la "TRIBUNA"
Le correspondant parisien dit que les journalistes trouvèrent
à l'archevêché une feuille lithographiée, et crurent que le Concile, rompant
avec ses cachotteries, fournissait une note à la presse. Or, il n'en fut
rien. Il ne restait donc aux journalistes, pour avoir des renseignements
sur le Congrès, qu'à provoquer des indiscrétions.
Ainsi recueillies, les informations sur l'organisation financière
sont tellement vagues qu'il vaut mieux n'en point parler. En ce qui concerne
l'organisation du culte, le Congrès a examiné, dit-on, le projet d'un éminent
jurisconsulte catholique, qui recommande la constitution de sociétés civiles.
Cette proposition n'aurait pas prévalu, si. l'on songe à la tendance intransigeante
du Congrès.
Cependant, d'après certains journaux, beaucoup de prélats demanderaient
avec persistance l'ouverture de négociations avec le Gouvernement.
Paris, le 11 septembre 1906
du "C0RRIERE della SERA "
Le correspondant parisien fait remarquer que les 80 Évêques Français
ont quitté le Concile , sans avoir résolu définitivement le problème que
le Pape leur avait posé. Cette attitude négative pourrait au fond être
une réponse éloquente à l'Encyclique. Le Pape a mis les Évêques dans l'embarras
en leur interdisant de faire des Associations Cultuelles , et les Évêques
s'en lavent les mains. La séparation reste donc non résolue : même à un
certain point de vue, elle se serait empirée, car une grande partie de l'opinion
publique attendait de l'Assemblée une décision conciliante. Maintenant le
vent de conciliation souffle d'un côté d'où on ne l'attendait guère, du
côté du Gouvernement Français. .
Le correspondant cite à ce propos l'interview que M. BRIAND a accordée
à un journaliste.
Le correspondant parisien du "Strassburger Post" dit que le concile des évêques français s'est terminé sans résoudre les difficultés créées par la dernière encyclique. Le problème de mettre d'accord l'interdiction des associations cultuelles par le Pape avec l'organisation du culte conforme aux lois françaises n'est pas plus près de sa solution qu'il ne l'était avant le concile. Si les choses restent dans l'état où elles sont, les églises qui sont propriétés privées seront fermées le 11 décembre et affectées à des buts philanthropiques. On attendait du concile une proposition pratique pour détourner le mal, mais les prélats n'ont vu, d'un côté, que l'interdiction du Pape à laquelle ils sont obligés de souscrire bon gré mal gré; de l'autre, que la circulaire de M. Briand qui ne permet pas que les églises soient abandonnées à des associations quelconques. Ils ont donc décidé de temporiser espérant que dans l'intervalle le Pape ou le Gouvernement français se raviseront. Ce sont les évêques ont négligés faire était faisable. M. Briand lui-même le démontre au cours d'une interview. Selon lui, les prêtres pour obéir au Pape pourraient s'abstenir de toute création d'Associations, laissant ce soin aux laïques. Ceux-ci feraient leur possible pour ne pas laisser confisquer les église et ensuite ils inviteraient les prêtres à y officier comme d'habitude. Il est à craindre que ce plan aussi ne se heurtera au principe de la hiérarchie catholique. M. Briand se prononce contre une nouvelle loi sur les Associations cultuelles puisque le protestants et les israélites ont déjà accepté celle qui vient d'être votée. L'argument est plutôt faible. Il est probable que finalement la loi commune sur les associations s'étendra aussi aux Églises.
Le correspondant parisien du "Vorwaerts"
dit que les évêques ont eu beau couvrir du voile du mystère leurs délibérations
ils n'ont pu empêcher les fuites. Non seulement le catholique anticlérical
M. Bonnefon, mais aussi la "Libre Parole" a été. munie de renseignements
détaillés. Au cours des délibérations la séparation: nette des opinions
s'est montrée. Une partie des évêques est toujours favorable a un essai loyal
avec les associations cultuelles et croit a un arrangement; mais les ultramontains
radicaux ne veulent pas entendre parler de concessions.
En somme on n'a rien décidé de définitif et aux évêques incombe la
mission ingrate de faire un travail inutile puisque tel est le bon plaisir
de Rome.
Paris, 12 septembre 1906
De l'"AVVENIRE d'ITALIA"
Le correspondant parisien; M. Tito MAZZONI, dit que maintenant
que la Séparation des Églises et de l'État est un fait accompli, le problème
religieux s'impose plus que jamais, à en juger la presse catholique et les
feuilles socialistes. Cela prouve qu'il ne suffit pas de fabriquer des lois,
mais qu'il faut aussi tenir, compte de la psychologie nationale et des traditions
séculaires qui. ne s'effacent pas d'un trait de plume.
Voilà pourquoi, au lendemain de la publication de l'Encyclique, toute
la France a tressailli, secouée par une sainte terreur. On a redouté l'imminence
d'une guerre civile, toujours désastreuse, mais particulièrement funeste
à l'heure actuelle. Les hommes politiques les plus sages recherchent un
terrain de conciliation.
Au reste, un vent de conciliation souffle aujourd'hui plus que jamais.
Le désir de la paix est dans l'atmosphère. Il n'est pas facile toutefois
fois de trouver un moyen convenable pour conjurer les dangers de la fermeture
des églises, et plus que jamais, on. peut apprécier à sa juste valeur la
folie de M. COMBES qui supprima l'Ambassade de France au Vatican, juste
au montent où elle était la plus nécessaire.
Malgré tout, les évêques Français sont plus étroitement liés que
jamais au Vatican. Certes, les conditions de la France préoccupent les
évêques, qui sont aussi d'excellents Français, mais ils ne sacrifieront
jamais les sublimes de la conscience sur l'autel du nationalisme, d'autant
mieux qu'ils savent que la France se suiciderait , si elle cessait d'être
catholique.
Le correspondant conclut ainsi : Au milieu du pessimisme qui règne
au sujet de la situation politico-religieuse en France, un rayon d'espérance
apparaît, l'entente est encore possible, et cet accord, qui demain peut-être
sera un fait accompli, doit être fait sur les bases des droits de la conscience
catholique.
Agir autrement, c'est déchaîner la guerre religieuse.
Le correspondant parisien du la "Gazette de Francfort" dit qu'on ne peut rien dire de précis sur les délibérations des évêques, trop peu de renseignements sûrs ont transpiré dans le public; mais il est incontestable que le Congrès n'a en rien atténué la tension de la situation politique religieuse. Il est hors de doute cependant que les évêques se sont entièrement conformés aux instructions du Pape. La dépêche d'hommage au Pape est assez claire à ce sujet. Ce qui est encore plus caractéristique c'est le fait que cette fois on n'a pus eu recours à des des scrutins formels, on a évité le vote nominal. Il est évident que cette mesure de précaution a été prise par suite des indiscrétions qui avaient été commises sur le concile du mois de Mai. On a ainsi rendu impossible la division nette des partis qui se sont formés parmi les évêques et l'exploitation de ces divergences de vues.
De la "TRIBUNA"
La correspondant parisien, M. CANE, constate que 1e Congrès des évêques
s'est terminé au milieu de la plus profonde indifférence du public. On
n'a vu aucun mouvement autour de Notre-Dame. On avait choisi comme orateur,
M. de CABRIERES. Son discours a fait comprendre que le haut Clergé s'est
prononcé pour 1a résistance passive. L'attitude des Évêques n'a nullement
surpris le Gouvernement. Cependant, dans l'entourage du Président du Conseil,
on croit, que l'intransigeance des Évêques obligera le Gouvernement à prendre
des mesures pour sauvegarder la pleine autorité de l'État.
Paris, le 13 septembre 1906
Le correspondant parisien du "Muenchener Neueste Nachrichten"
dit que les évêques français ne sachant pas quel parti prendre, ont décidé
de ne rien faire. On ne leur a pas posé une question nette et la réponse
qu'ils ont faite n'est pas claire. On attendait d'eux le projet d'une nouvelle
organisation du Culte catholique, ils n'en ont rien fait parce qu'ils ne
le pouvaient pas en se basant sur l'encyclique. Les instructions "lumineuses"
de l'encyclique, comme les appelaient les évêques, ont eu le seul défaut
d'être inapplicables. Quand on ne sait pas ce qu'en doit faire, on ne fait
rien. Les évêques réunis ont dit : Nous attendons, nous voulons d'abord
voir comment les choses se passeront, nous réglons notre attitude sur celle
du Gouvernement et au moment psychologique nous ne ferons rien collectivement
; ce sera l'affaire de chaque évêque de prendre les mesures qui lui sembleront
bonnes. Comme une des possibilités, en a envisagé l'organisation des offices
religieux privés avec invitations individuelles; mais on a laissé à chaque
évêque la latitude de trouver un autre expédient. Il serait logique que l'évêque,
à son tour, suivit cette voie et laissât à chaque curé toute latitude de
s'arranger comme il l'entend.
Malgré toute l'obscurité des décisions du Concile des évêques, deux
choses ressortent nettement : d'abord le fait que les évêques n'ont pas voulu
prendre de décisions irrévocables qui auraient donné lieu a des représailles.
En effet, lis se sont bien gardés de toute provocation : mais ils ont donné
à entendre nettement qu'ils ne voulaient pas se mettre en contradiction
avec le Pape. Des républicains modérés leur avaient conseillé de tenir ferme
et de forcer le Pape à des concessions. D'autres comptaient déjà sur une
résurrection du gallicanisme, ou étaient convaincus que le Concile des évêques
aboutirait à un schisme. Il se peut que par-ci par-là dans le pays, il y
ait des symptômes d'un mouvement gallicane, mais il n'est guère probable
qu'un seul évêque se rallie à un pareil mouvement. Le Gouvernement reste
ferme, sans rien brusquer de sorte que l'Église, si elle pousse aux violences,
aura le tort de son côté.
Paris le 14 septembre 1906
de la Gazette de Magdebourg (12 septembre)
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, dit qu'on n'a pas encore
de renseignements surs sur les décisions du deuxième concile des évêques
français, et les déclarations ou communications de. certains délégués doivent
être accueillies avec réserve, car elles sont empreintes d'un. esprit préconçu
ou bien elles reflètent des idées personnelles qui n'engagent que l'individu
en question. Toutefois, on peut admettre comme un fait certain que la majorité
qui, lors de la 1ère conférence s'est prononcée pour un accommodement avec
la nouvelle loi, a quitté sous la pression de l'encyclique, son attitude
conciliante via-à-vis du Gouvernement et qu'elle est prête, d'accord avec
Rome, et avec la minorité intransigeante, à s'opposer à la nouvelle loi.
Toutefois, on peut dire que l'assemblée des évêques n'a pas décidé d'employer
des moyens violents, mais qu'elle a préféré opposer au Gouvernement une résistance
passive.
La tâche des prélats n'était pas facile. Ils se trouvaient comme
dans un impasse entre le veto du Pape et la circulaire de M. BRIAND. La conférence
a donc décidé d'essayer encore de nouvelles démarches auprès du Gouvernement
et l'on raconte que le Congrès a préparé un mémoire qui devrait exposer
aux législateurs et au pays quelles sont les concessions qu'on devrait,
suivant l'avis des évêques, faire encore aux catholiques français pour conserver
la paix publique. Mais jusqu'ici on ne connaît rien, ni sur la teneur de
ce document, ni sur la date de sa publication.
En considérant le résultat, évidemment maigre, du Congrès on a cette
impression que les évêques français ne croient pas dans leur for intérieur
à la possibilité d'une guerre de religion; ils sont plutôt convaincus que
le Gouvernement ne laissera pas aller les choses à l'extrême, et que se
ravisant, il finira par céder au Pape et au clergé français. Mais on ne
comprend guère où l'épiscopat a puisé cet espoir, ni sur quoi il le fonde.
On ne peut guère admettre, quoi qu'en dise le "Gaulois", que M. BRIAND,
en donnant un conseil bienveillant au clergé sur la manière de concilier
l'obéissance à l'encyclique avec la soumission à la loi, ait fait son premier
pas vers Canossa.
Les déclarations de M. CLEMENCEAU prouvent aussi que le Gouvernement
n'est nullement disposé à une persécution fanatique, ce que Rome désirerait
tant, mais qu' il ne songe pas non plus à une modification de la loi en
faveur du. clergé. D'ailleurs, tout semble indiquer que dans leur conférence,
les évêques ont évité de prendre des décisions "irréparables" qui barreraient
la voie à un arrangement à l'amiable.
Du "Vorwaerts" (12 septembre)
Le correspondant parisien fait remarquer que, non seulement parmi
les catholiques français il y a deux courants divergeants en ce qui concerne
l'encyclique, mais le désaccord règne aussi dans le Gouvernement radical
bourgeois.
M. BRIAND veut éviter le Kulturkampf et maintenir le principe, M.
CLEMENCEAU, au contraire, qui devient de plus en plus le ministre de la bourgeoisie
capitaliste, ne veut pas laisser déranger le culte catholique qui maintient
les masses dans l'obéissance. Il donne aux catholiques rebelles à la loi
l'assurance qu'il est prêt à violer la loi en leur faveur. Est-ce qu'il
veut violer le droit des communes de reprendre les édifices du culte ? Ce
serait la faillite la plus honteuse de la politique anticléricale du Gouvernement.
Mais il ressort de tout ceci que M. CLEMENCEAU a voulu jeter des
bâtons dans les roues de son collègue, M. BRIAND. Le conflit entre les
deux ministres est encore très instructif dans ce sens qu'il montre tout
le manque de principes de M. CLEMENCEAU qui, pendant des années, s'est fait
passer mensongèrement pour un doctrinaire. C'est lui qui avait attaqué
l'article 4 et aujourd'hui c'est lui qui proclame que les églises doivent
rester aux catholiques. C'est un ministre sans scrupules, tout-à-fait selon
le désir de la classe capitaliste.
Paris, le 17 septembre 1906
de la Gazette de Francfort (14 septembre)
Le correspondant parisien, M. SCHOTTHOEFFER, dit que, ni le congrès
des évêques, ni le Conseil des Ministres, n'ont changé la situation politico-religieuse
créée par l'encyclique du 10 août. Le Gouvernement a suivi l'exemple des
évêques et a a gardé le silence sur ses décisions.
En France, le sentiment religieux est très affaibli. Le catholicisme
règne plutôt par la pompe extérieure que par l'ardeur de la foi. Sauf en
Bretagne, la Vendée et quelques pays montagneux, la population est devenue
rationaliste. l'Église, avec une résistance absolue risque de perdre encore
du terrain; beaucoup d'évêques s'en rendent bien compte. L'absence d'un
prêtre ferait que beaucoup de bons catholiques se contenteraient du mariage
civil, car il ne serait plus boycotté par la société.
M. BRIAND a la certitude que dans beaucoup de provinces les catholiques
formeront des Associations cultuelles sans le concours des prêtres. D'ailleurs,
le langage des journaux catholiques modérés sur l'encyclique est un symptôme,
indiquant qu'on ne peut pas compter absolument sur la docilité des masses.
Paris le 18 septembre 1906
de la Strassburger Post (16 septembre)
Le correspondant parisien dit, que les soumissionnistes, c'est-à-dire
les bons catholiques qui croient que l'Église pourrait. sans inconvénient
s'accommoder de la loi sur la séparation, commencent à se ressaisir de
la terrible déception que l'encyclique leur a causé. Le chef le plus perspicace
et le plus éloquent de ces
soumissionnistes, M. Ferdinand BRUNETIERE, cédant aux instances de divers
côtés, a enfin retrouvé sa plume et expose ses vues dans une longue lettre.
Il fait, en bon catholique, son "sacrifice de raison" par obéissance
envers le chef de l'Église, mais il pose cette question peu respectueuse:
savoir ce que ces Messieurs du Saint-Siège entendent par la résistance
à la loi. M. BRUNETIERE a ainsi mis le doigt sur les hésitations et les équivoques
de la politique pontificale.
Avec moins de raison, il reproche au Gouvernement français de n'avoir
pas dit comment la loi sera mise à exécution. A ce sujet, il parait certain
que le Gouvernement poussera l'indulgence jusqu'à l'extrême. L'unique
reproche justifié que M BRUNETIERE fait au Gouvernement français, c'est
d'avoir rompu unilatéralement le concordat qui est un traité bilatéral.
On sera forcé d'entretenir quand même des relations avec le Saint-Siège
comme les entretiennent la Russie et le Grand Turc. L'avis de M. BRUNETIERE
sera-t-il écouté ? On peut m douter.
Paris, le 19 septembre
1906
du Pesti Naplo (16 septembre)
Le correspondant parisien, M. LENDVAI, parlant des rapports entre
la France et le Vatican, dit que le cœur sensible du Pape est depuis quelque
temps fréquemment mis à l'épreuve, précisément par l'enfant choyé du saint-Siège,
la fille aînée de l'Église qui ne veut plus entendre parler du Vatican.
Le 11 décembre, date à laquelle la loi de séparation doit entrer
en vigueur ne sera pas une journée critique. Les usines françaises, les
grands centres, Paris, Lyon, Marseille, ne feront pas de révolution, voilà
qui est important. Même dans le Jura et la Bretagne, où les paysans, induits
en erreur, se sont soulevés à propos des inventaires, on ne croit plus aux
agitateurs. Le souffle épurant de la lumière politique a touché même les
cellules de ces cerveaux.
Le gros public ne voit que l'ordre des jésuites, qui vient d'élire
un Allemand pour général, et la presse cléricale s'efforce en vain de prouver
que le Pape aime la France : ici on ne voit que l'alliance du Pape avec
l'Allemagne. Voilà ce qui hâte la réalisation de la séparation des Églises
et de l'État.
Paris, le 24 septembre 1906
"Koelnische Volkszeitung", 22 sept.
... Il est amusant de constater la grande émotion qui s'est emparée
des journaux du "bloc" et de certaines gens à la suite de la lettre pastorale
des évêques français. Bien que la chose soit à peine croyable, il est évident
que ces êtres bizarres ont toujours cru que les évêques français refuseraient
leur obéissance au Pape.
La publication devait a voir lieu par la voie de la "Semaine Religieuse",
mais il en fut autrement à cause de l'indiscrétion du "Figaro", indiscrétion
à laquelle il fallait s'attendre.
Parlant ensuite du projet de M. des Houx, le correspondant dit que
ce projet dénote un tel état d'entêtement irresponsable qu'il ne vaut pas
la peine de s'en occuper.
Du Morning Post (20 septembre)
Le correspondant parisien publiant une analyse de la lettre collective
de l'épiscopat français, ajoute:
Le manifeste est en général considéré dans le monde ministériel comme
une indication que les évêques ne voient encore aucun moyen d'arranger
la situation. Ils se contentent de longs extraits de l'encyclique et de
protestations de fidélité, mais ils n'appuient pas l'opinion pontificale
par aucun argument valable, de leur propre crû. La lettre laisse les catholiques
dans l'incertitude sur cc qu'ils doivent faire après le 11 Décembre. Les
politiciens de la majorité sont plus que jamais convaincus que le Gouvernement
tient lu manche et qu'il peut attendre jusqu'à ce que l'Église fasse un
mouvement.
Paris le 26 septembre
1906
de l'Avvenire d'Italia (21 septembre)
Un nouveau correspondant parisien, signant Maurizio REDI, écrit qu'on
voit de plus en plus nettement se dessiner l'attitude du Gouvernement français
et des libres penseurs dans le grave conflit avec le Saint-Siège.
On ne veut pas attaquer de front la conscience religieuse, ni avoir
l'air de persécuter le catholicisme, et si l'on excepte le vieux COMBES,
qui voudrait ressusciter le bloc, tous les hommes politiques en vue sont unanimes
a affirmer qu'il faut mener les choses avec management. Malgré l'omnipotence
politique, malgré les résultats des dernières élections, les blocards intelligents
sentent qu'il ne faut pas trop appuyer sur la victoire. Cela n'empêche pas
qu'on trame un projet qui pourrait être pernicieux.
Le correspondant a rencontré sur le boulevard un homme politique
très avancé:, avec lequel il a des relations, et qui, questionné sur la
situation politique et religieuse, s'est montre très préoccupé. Les libres-penseurs,
et aussi les Francs-Maçons, disait-il au correspondant, ont décidé de mener
une campagne formidable contre Rome, au nom du nationalisme français. Jusqu'ici
le catholicisme français n'était jamais contre le sentiment national, les
intérêts du catholicisme étaient toujours identiques à ceux de la France.
Maintenant, on veut changer les parties. On parle de l'influence allemande
dans l'élection du Pape et dans celle du général des Jésuites. On proclame
partout :sue le Pape et les Jésuites sont les hommes liges de l'empereur
allemand. Vous vous demanderez comment il peut se trouver des gens croyant
à de pareilles assertions.
Les journaux du Gouvernement s'efforcent aussi de présenter le Saint-Siège
comme placé sous l'influence des ennemis de la République. Voilà le plan
de campagne dressé pour frapper la religion, le catholicisme. Mais le clergé
est uni et ne fournit aux ennemis aucun prétexte sur la terrain politique
et patriotique.
Quand les exagérations nationalistes des libres-penseurs deviendront
trop grotesques, le peuple français, avec son bon: sens, finira par se
prononcer en faveur de Rome et du catholicisme.
Paris, le 27 septembre 1906
de la Gazette de Magdebourg (23 septembre)
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, dit que les fidèles, en entendant
à l'église, la lecture du mendement collectif des évêques français, ne
seront pas plus avancés qu'ils n'étaient auparavant; ils n'apprendront
pas ce qu'il y aura à faire, on ne leur dira que ce qu'il leur est défendu
de faire. On comprend donc que l'inquiétude soit grande parmi les catholiques
français. Toute héroïque que soit la déclaration des évêques de vouloir
endurer des privations, les fidèles connaissent la situation et se demandent
s'il est vraiment nécessaire d'abandonner les biens de l'Église. Ils se
demandent également si les raisons de l'interdiction des Associations cultuelles
sont valables puisqu'au premier concile, les évêques ont cru à la possibilité
de concilier ces Associations avec la droit canonique. Le Pape était d'un
avis différent.
Il ressort de l'encyclique et du mandement qu'à Rome, on craignait
surtout qu'au moyen des Associations cultuelles, l'élément laïque n'obtienne
une influence trop grande dans l'administration de l'Église. Le Pape à brusquement
repoussé l'avis des évêques, car il voulait empêcher que le concile ne
se transforme en corps législatif; il voulait avant tout assurer son autorité
absolue.
Les évêques se sent soumis sans broncher et ils seront suivis par
le bas clergé. Les quelques exceptions ne comptent pas. Une Ligue des catholiques
s'est fondée, il est vrai, malheureusement elle est née dans la rédaction
du Matin. Ce mi au plus grave, c'est qu'elle cherche à gagner des adhérents
en excitant des
sentiments antiallemands. La nouveau schisme se produit en même temps
contre la Pape, et contre l'Allemagne. Quand bien même, M. Henri des HOUX,
de son vrai nom DURAND, réunirait beaucoup de fidèles, ceux-ci ne pourraient,
aux termes de la loi, prendre possession des biens de l'Église. On aurait
tort, cependant, de remplacer la loi par une autre plus sévère. Précisément
l'embarras des évêques montre combien la loi actuelle sert, mieux que toute
mesure de violence, la cause anticléricale.
Paris, le 2 octobre 1906
De le Nouvelles Presse Libre de Vienne (30 septembre)
Au lieu du correspondant parisien ordinaire, c'est M. Anatole FRANCE
qui prend aujourd'hui la parole sur la séparation des Églises et de l'État
en France.
Il compare la situation à un divorce demandé par la femme à l'insu
du mari. Les oncles trouvent que c'est manquer de convenance et invitent
la jeune à négocier avec son ex-époux certaines questions d'intérêt. "Mais
alors, répond la jeune femme, je rie serais plus divorcée". Telle est la
réponse que la République fait aux objurgations de M.M.. de VOGÜE et BRUNETIERE.
Mais voilà que le vieil oncle "le TEMPS" prend son air solennel et dit :
"Marianne, parlez avec les évêques; vous n'y perdrez rien de votre indépendance,
ni de votre liberté". Que dirait-il, si au lieu d'être protestant, il était
catholique et Pape!
M. Aristide BRIAND aussi est d'avis que le mieux serait de s'entendre
avec les évêques. Il a mis sur son Cabinet un écriteau avec cette inscription:
"Les évêques sont priés de venir causer un moment" Et il y en a eu beaucoup,
qui sont venus, mais ils sont entrés par l'escalier de service. Un d'eux,
des plus forts canonistes de l'Église de France lui a dit que la nouvelle
loi a des côtés excellents. C'est une loi de Séparation qui ne sépare rien.
Le Ministre y a fait insérer cet excellent article 4 qui plaira sans doute
beaucoup au Pape si on veut le lui soumettre. C'est un concordat que cet
article, inspiré sans doute, par le Sain-Esprit. Nous voudrions bien, a-t-il
ajouté, fonder des Associations Cultuelles, mais le Pape ne veut pas. Il
ne veut pas que vous, M. le Ministre, vous négociez avec nous autres évêques,
parce qu'il veut que vous traitiez avec lui directement. il veut gouverner
par vous et que vous gouverniez pour son compte. Per me regnant rages.
Le Saint Père, à vrai dire, se soucie des évêques français comme
de sa première messe. Les Papes ont toujours gouverné l'Église par les moines.
Les congrégations ont été, de tous temps, la milice de Rome. Or, la direction
de l'Église en France échappera aux mains des évêques. Les Assomptionnistes
et les Jésuites prendront la place des évêques, et M Ministre reverra les
moines ligueurs. Tous reviendront et chasseront les évêques de leurs diocèses.
Le Ministre aura tout sujet de regretter cette tournure, car ce ne sont
pas les évêques, mais les moines qui ont toujours conspiré contra la République.
A ces raisonnements du prélat très avisé, M. le Ministre disait :
"Si cela ne tenait qu'à moi, le parlerais avec le Pape. Mais, j'ai sur le
dos la Chambre des Députés, bête féroce et irraisonnable, toujours prête
à nous avaler."
M, BRIAND, au cours de cette conversation a dit aussi que depuis
l'encyclique "Gravissimo" les ministres se sont contredits. Je ne vous
cache pas mes embarras, aurait-il conclu, mais les vôtres sont encore plus
grands. Les bêtises que vos amis commettront nous feront toujours sortir
du pétrin.
Paris, le 5 octobre 1906
De Londres
Les difficultés religieuses actuelles actuelles en France intéressent
au plus haut degré les Catholiques de la Grande-Bretagne. Voici, à ce sujet,
ce que dit un de leurs organes, le "Catholic Times"
"L'hostilité du Gouvernement anglais contre nos écoles, et surtout
la campagne anti-chrétienne en France ont amené les catholiques à serrer
leurs rangs."
Pas une réunion catholique où la situation en France ne soit discutée
et le Gouvernement pris à partie pour sa politique anti-religieuse. - M.
BRIAND et M. CLEMENCEAU sont particulièrement attaqués par la presse catholique
anglaise comme étant responsable de cette politique.
Deux réunions catholiques importantes ont eu lieu la semaine dernière
:
1° Réunion de la société catholique écossaise tenue à Aberdeen.
2° Conférence catholique de Brighton, sous la présidence de l'archevêque
BOURNE. Celui-ci, après un long exposé de la situation et après avoir fait
l'historique de la querelle entre l'État et l'Église, demanda et obtint
l'approbation de l'assemblée pour l'envoi d'un message de sympathie à l'archevêque
de Paris.
Des déclarations faites journellement par les hauts dignitaires de
l'Église catholique d'Angleterre, il ressort implicitement, bien qu'aucune
déclaration absolue n'ait été faite à ce sujet, que les catholiques français
ne doivent pas compter sur le secours financier de leurs frères d'Angleterre.
La situation. de ces derniers, en raison des projets du Gouvernement
anglais actuel, est fort précaire, et les ressources dont ils disposent
seront probablement insuffisantes pour leurs propres besoins.
Un des membres les plus militants du clergé catholique de Londres,
le Père FLETCHER, organise pour le 15 Octobre courant au Caxton Hall, Westminster,
une manifestation des catholiques pour témoigner de leur sympathie pour
l'Église catholique de France
On croit que cette manifestation pourrait être troublée par une contre-manifestation.
des protestants, conduits par un journaliste, M. Robert DELL, qui s'est
fait le champion de la politique du Gouvernement français actuel.
Paris, le 8 octobre 1906
Le correspondant parisien de la STRASSBURGER POST dit
que bien que l'opinion soit un général anticléricale en France, le parti
républicain n'est d'accord sur l'application de la loi sur la Séparation.
Les uns veulent que la loi soit appliquée telle quelle, les autres sont
d'avis qu'elle doit être modifiée.
M. CLEMENCEAU, tout en défendant, dimanche dernier, avec sa vigueur
ordinaire la première thèse, a laissé une porte ouverte en prononçant son
"n'en parlons plus". Il a tenu un langage très sensé, mais qui ne concorde
pas avec l'application même bénigne de la loi.
M. Hector DEPASSE appelle la loi une loi franco-romaine qui dépend
de l'approbation du Pape. C'est un un parlementaire novice qui se fait
encore des illusions sur le travail de ses collègues et croit qu'au mois
de décembre, après le vote du budget, on trouveras le temps nécessaire
pour remanier la loi et la débarrasser de son poison dogmatique.
M. JAURES est d'un avis analogue. Il rappelle la circulaire de M.
BRIAND et fait remarquer qu'au sein du Gouvernement, on n'est pas encore
fixé sur l'application de la loi.
Paris, le 10 octobre 1906
de la Tribuna (8 octobre)
Le correspondant parisien qui fait l'intérim pour M. CANNE absent,
parlant du dernier Conseil des Ministres, dit qu'on s'y est exclusivement
occupé de la question de l'application de la loi sur la séparation. On a
décidé de garder le secret le plus absolu sur les décisions prises, et M.
CLEMENCEAU a trouvé un moyen d'éviter toute divulgation: il a lancé la presse
sur une fausse piste. Il a donné une longue communication sur les économies
réalisées, et cependant ce n'a été qu'un point secondaire du Conseil.
Il parait que le Gouvernement, en présence de l'attitude du Vatican,
croit nécessaire, d'appliquer la loi sans hésitation. Toute modification
à la loi parait inopportune pour le moment. L'avenir montrera s'il faut
encore armer plus fortement le Gouvernement par de nouvelles dispositions.
Telle est la thèse qui a prévalu au Conseil.
De la Gazette de Francfort (9 octobre)
La correspondant parisien, M. Émile NEY, se dît à même de donner
des renseignements détaillés sur le Conseil de Cabinet qui a eu lieu à Rambouillet.
M. CLEMENCEAU a rendu compte de l'impression que l'encyclique a produite
dans le pays. Le peuple trouve, même dans les contrées cléricales, insupportable
l'interdiction des Associations cultuelles; la majorité y voit l'immixtion
du pouvoir spirituel dans les affaires de l'État. Donc toute concession
du Gouvernement serait considérée comme une faiblesse. Aussi, au Conseil
on a constaté le parfait accord entre M. CLEMENCEAU et M. BRIAND sur l'attitude
à garder. On a trouve fort compréhensible que les cléricaux veulent précipiter
les événements et pousser le Gouvernement à des mesures violentes, afin
d'avoir un sujet d'agitation.
Mais une partie de la presse radicale se laisse entraîner et certains
députés anticléricaux, trop zélés, veulent interpeller et demander au Gouvernement
des déclarations qui, dans ce moment, seraient fort inopportunes. Le Gouvernement
voit dans le refus des Associatons Cultuelles une simple menace du Pape,
mais le Gouvernement connaît les sentiments du peuple français et sait qu'à
Rome on se trompe sur le degré de résistance.
Le Gouvernement ne fera pas de concessions, mais procédera graduellement
à l'application de la loi. Il ne tolérera pas que les cléricaux, tournant
la loi, réunissent par des quêtes, un fond de propagande. Le Conseil a
été aussi d'avis que le droit à la retraite des prêtres est déchu là où
aucune Association Cultuelle ne ne formera.
Paris le 15 octobre 1906
du Vorwaerts (10 octobre)
Le correspondant fait remarquer que la dispute sur la politique religieuse
a heureusement abouti à ce résultat de répandre la confusion dans tous
les camps. Les cléricaux font des attaques dans le même sens que les libres-penseurs,
les adversaires vont de pair avec les défenseurs de la loi sur la séparation.
Le Conseil des ministres du 6 courant n'a apporté aucun éclaircissement.
Le Gouvernement, dit-on, tient ses plans secrets. Cela rappelle d'une manière
grave l'attitude du Vatican qui, lui aussi, déclarait sans cesse qu'il
prendrait les dispositions nécessaires, mais qui, finalement, s'est arrêté
au simple rejet de la loi. "Le Gouvernement appliquera la loi". Pour dire
cela, on n'a pas besoin de réunir un Conseil des Ministres.
La question est de savoir comment il appliquera la loi, et l'on est
tenté de croire que le Gouvernement ne le sait pas encore lui-même. En tout
cas, ce spectacle où le Pape et le Gouvernement républicain cherchent à se
"bluffer" l'un l'autre, tout en ayant peur l'un de l'autre, ne manque pas
d'humour. Qui sait ? peut-être la voie de la conciliation n'est pas si éloigné
que cela. Déjà quelques cléricaux ont doucement frappé à la porte du Gouvernement
et ont donné à entendre que celui-ci pourrait démontrer ses intentions pacifiques
envers l'Église, en avisant contre les Associations schismatiques qui détiennent
des biens de l'Église. La loi de la Séparation pourrait fournir une arme
contre ces associations, puisqu'elles ne répondent pas aux règles générales
de leur culte. Si l'État est prêt à aider l'Église contre les schismatiques
qui commencent à devenir redoutables pour elle, l'Église récompensera ce
service par une attitude plus conciliante. La situation ne manque pas d'originalité
: l'Église invoquant la loi qu'elle refuse d'accepter, et l'État laïque
exécuteur de Rome contre les paroisses républicaines et hérétiques.
Paris le 31 octobre 1906
De la Gazette de Francfort (28 octobre)
Le correspondant parisien, M. NEY, reproduit les déclarations que
M. BRIAND a faite aux journalistes sur la séparation. On laissera les églises
ouvertes, et tout prêtre peut y officier pourvu qu'il se conforme à la
loi sur les réunions. Comme l'État est maître de l'édifice, il peut par
son autorité, empêcher que des adversaires trop zélés viennent troubler
le service religieux. En ce qui concerne l'abandon des églises aux Associations
cultuelles formées sans l'approbation de l'évêque, la loi est formelle;
elle protège l'organisation orthodoxe de l'Église. Le Gouvernement n'a nullement
l'intention de favoriser le schisme. Ce serait, dans ce cas, abandonner
le caractère politique de la séparation et entreprendre une lutte religieuse,
ce qu'aucun républicain ne désire.
En ce qui concerne les Associations fondées par M. des HOUX, le Gouvernement
s'en occupera aussi peu que le public. Ces Associations n'ont aucun titre
aux biens d'Église.
11 novembre
1906 : Circulaire de reprise des inventaires.
Paris, le 15 novembre 1906
De l'Avvenire d'Italia (12 novembre)
Sous la signature Maurizio REDI, le correspondant parisien dit que,
revenant du Palais-Bourbon, où il a entendu M. BRIAND avec une voix virile
qui résonne encore à ses oreilles, défendre sa loi, morte avant d'être née,
il demande l'hospitalité du journal pour parler des intrigues de couloirs,
qui se trament dans le groupe COMBES contre le Ministère CLEMENCEAU.
Une centaine de députés radicaux voudraient envoyer au diable M.
CLEMENCEAU, qui fait trop sentir sa dictature et qui, en outre, a le tort
d'éviter les moyens violents de M. COMBES. M. COMBES aime à faire croire
au public qu'il n'est pas hostile à M. CLEMENCEAU, mais on sait qu'en sous-main
il aide M. PELLETAN et qu'il est secondé par les troupes débandées du combisme.
Le combisme ne veut pas être satisfait des méthodes apparemment les
plus pacifiques de CLEMENCEAU-BRIAND. Enivré par le succès de la campagne
contre les congrégations et les écoles catholiques, il voudrait faire autant
pour la loi de séparation. M.M. CLEMENCEAU et BRIAND sont d'un avis contraire.
Ils voudraient bien terrasser et ligoter l'Église, mais sans faire de martyrs,
sans provoquer une réaction qui pourrait être nocive. A leur avis, il est
plus délicat de toucher aux curés et de fermer les églises que de chasser
les moines et de fermer les couvents. En laissant les églises ouvertes,
M.M. CLEMENCEAU et BRIAND font croire qu'ils ne sont pas hostiles à la religion,
tandis que Rome combat la République. Démontrer que l'idée religieuse est
contraire à la république acceptée par l'immense majorité du pays, constitue
la tactique de M. CLEMENCEAU. LÉON XIII s'était proposé de démontrer le
contraire, sa politique a fait faillite et on sait à qui incombe la responsabilité
de ce fait regrettable.
Le discours de M. BRIAND semble indiquer que le Ministère ne veut
pas passer sous les fourches caudines du combisme; il veut mettre les catholiques
dans le plus cruel embarras et toute la responsabilité en devrait retomber
sur les catholiques eux-mêmes. Il y a encore un lieu commun dont il se sert,
celui du souverain étranger, arme particulièrement chère à M. CLEMENCEAU.
Le non possumus du pape a posé la pierre tombale de la loi. M. CLEMENCEAU
est trop fier et hait trop Rome pour aller à Canossa. Son plan est plus
modéré que celui de M. COMBES, mais il n'en est que plus dangereux.
Du Vorwaerts (13 novembre)
Le correspondant parisien estime que le discours de M. BRIAND est
un chef d'œuvre oratoire et un coup de maître politique. Sans déclamation,
vigoureux et clair, il exprime ce que l'État démocratique peut faire contre
l'impérialisme du Vatican.
Le Ministre a pu "clouer" les protestations cléricales, en citant
le premier vote des évêques et il n'en a pas moins montré sa supériorité
sur les politiciens radicaux. Sans doute une critique approfondie peut trouver
de-ci, de-là quelque défaut, mais cela ne diminue point la valeur absolue
de la réforme. Les cléricaux souhaitent un conflit violent, l'État déjoue
leur plan en n'acceptant pas le duel. Il ne veut pas rendre à l'Église
le service de lui donner le rôle de persécutée. Une solution habile et
équitable rend inoffensifs les éléments qui auraient voulu arriver à une
guerre de religion, afin de pouvoir ajourner l'œuvre de la réforme sociale.
Le problème de la séparation pour la première fois se trouve pleinement
résolu dans un État européen. Cet acte augmentera l'influence que la République
exerce sur l'esprit public du monde civilisé.
Paris, le 17 novembre 1906
Le correspondant parisien du "The Mornig Post" dit que l'impression
générale du monde politique est que le gouvernement a habilement brouillé
les cartes dans l'affaire de la Séparation. Il a donné aux cléricaux le
temps de réfléchir et peut-être un esprit heureux d'accommodement judicieux
surgira des deux côtés pendant cet intervalle. Les cléricaux s'apercevront
sans doute, pendant ce temps, que le peuple français a perdu l'habitude
de s'enflammer pour les questions religieuses et les anticléricaux auront
remarqué que l'Église de Rome, si elle est acculée, a beaucoup plus de forces
qu'ils ne se l'imaginaient.
En attendant, le gouvernement parait tenir le bon bout de la situation.
La question est de savoir quelle est la solidité de ce succès de début.
Les groupes de la gauche sont loin d'être satisfaits de la situation politique;
ils ont le sentiment de n'avoir pas l'influence à laquelle ils ont droit,
peut-être jettent-ils des regards envieux sur la dictature que le petit
groupe du parti ouvrier de la Chambre des Communes exerce sur le gouvernement
libéral. Mais les radicaux français sont retenus par la crainte de trop
risquer en démolissant le Cabinet. Et le gouvernement parait disposé à pousser
des réformes qu'il y a quinze ans on aurait considérées comme un coup de
balai socialiste. Reste à savoir si le gouvernement réussira ou s'il échouera;
mais il est hors de doute qu'il existe en France un fort courant socialiste
qui peut, un jour ou l'autre, traverser le pays tout entier.
Paris, le 19 novembre 1906
De la Gazette de Magdebourg (14 novembre)
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, parlant de la séance du 9
novembre à la Chambre française, dit :
C'est contre le combisme que M. BRIAND a dû défendre son œuvre; son
discours a été une bataille livrée à deux adversaires. Serrer logiquement
les cléricaux, c'était facile; ce qui était plus difficile, c'était de réfuter
les reproches de son propre camp. La "conspiration combiste" tenait plus
à la question de l'application de la loi de séparation qu'à pousser une attaque
contre M. CLEMENCEAU
M. CLEMENCEAU s'est fait des ennemis féroces par la manière dont
il a composé son Cabinet. Les chefs de groupes, déçus, avaient immédiatement
décidé que le cabinet CLEMENCEAU était un enfant mort-né. On ne devait pas
laisser à M. CLEMENCEAU le temps de se mettre à l'œuvre, car plus on lui
laissait de temps, plus il était difficile de le désarçonner. Marcher contre
lui, à l'occasion de la déclaration ministérielle, ce n'était guère possible;
mais la question politico-religieuse était une bonne occasion, on n'avait
qu'à dire que M. CLEMENCEAU et M. BRIAND font le jeu de Rome en laissant
les églises ouvertes.
On assure que la conspiration était plus étendue qu'on ne le supposait,
que des pourparlers avaient été entamés avec M. DOUMER et avec M. MILLERAND.
Après le discours de M. BRIAND, qui a entraîné tout le Parlement , même
les combistes n'ont pas osé voter contre l'affichage, et cependant M. BRIAND
n'a pas pas fait la moindre concession aux combistes.
De la Stampa (15 novembre)
Le correspondant parisien qui signe BERGERET, cherche à démonter
que le discours de M. BRIAND ne fait que confirmer ce qui a été dit lors
de la publication de l'encyclique : le Gouvernement de la République est
vivement préoccupé de la résistance des catholiques contre la loi de séparation.
Le Gouvernement cherche déjà un modus vivendi, un accommodement,
et il accorde un délai d'un an.
M. BRIAND sait que le Saint-Siège ne fera pas de concessions. Paris
change, mais Rome reste invariable. La séparation a pour elle le suffrage
universel de la soi-disant opinion publique, le pouvoir matériel du Gouvernement;
mais alors pourquoi l'État hésite-t-il encore ? Que ne marche-t-il tout droit
dans la voie qu'il s'était tracé. Le jacobinisme modéré est une antithèse,
il n'est pas modéré, il est faible.
Le Gouvernement français, malgré sa majorité parlementaire n'est
pas assez fort pour affronter une guerre civile. Les inventaires ont montré
que quelques centaines de femmes ont suffis pour faire suspendre la loi.
D'ici un an, le Gouvernement trouvera un moyen de composer avec le Saint-Siège
et de donner au Pape la garantie que les Associations cultuelles seront
composées de catholiques et non de francs-maçons.
De la Gazette de Magdebourg (16
novembre)
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, parlant de la fin de la discussion
sur la politique religieuse à la Chambre des Députés, dit que c'était une
rude bataille menée contre deux fronts que le Ministre de l'Instruction
Publique avait à livrer pour faire triompher sa politique conciliante.
Son discours du 15 novembre le montre, si c'est possible, encore plus la
hauteur de la situation que le vendredi précédent, comme orateur brillant
et homme politique à vaste horizon qui, sans s'occuper des petites querelles
de partis, suit son cours vigoureusement.
Il ne faut par s'étonner que sa large conception de la question de
la séparation ait fait une impression profonde sur la Chambre. La Droite
était là, la tête baissée et visiblement gênée, presque sur le point de
reconnaître la valeur de l'argumentation du Ministre. L'extrême-gauche ne
paraissait pas satisfaite, mais dans ses rangs personne non plus n'oserait
bouger et cela parait digne d'attention. Rien de plus naturel, en effet,
que de supposer que les chefs du complot des coulisses parlementaires feront
une nouvelle sortie contre le Cabinet CLEMENCEAU. Leur silence donne à entendre
que, pour le moment, ils considèrent le Cabinet CLEMENCEAU comme inattaquable.
Le point le plus important du discours ministériel était la déclaration
concernant l'Association fondée par le cardinal LECOT. Jusqu'ici ici, Rome
n'a pas désavoué cette Association, et 1e Ministre, à l'horreur de tous
les pieux catholiques, vient de déclarer que l'Association du cardinal est
régulière et légale au sens de la loi sur la séparation. La surprise de
la Droite était indescriptible : les amis de M. PIOU et de M. Denys COCHIN
étaient ébahis et se sont mis à chuchoter entre-eux pour, ensuite, proférer
des protestations bruyantes. Et pourtant les choses sont comme le disait
M. BRIAND : sans s'en douter, le brave cardinal a créé une Association cultuelle.
De la Strassburger Post (17 novembre)
Le correspondant parisien enregistre la nouvelle que, outre le cardinal
LECOT, il y a aussi l'évêque de Versailles et le curé des Epinettes qui
ont fondé des Associations pour les besoins du culte. Bien entendu, ils ont
évité de leur donner le nom d'Association cultuelle; à Versailles on a choisi
pour titre : Denier du Culte. On a aussi l'impression que la paix entre l'État
et l'Église pourrait s'établir par une voie détournée alors qu'elle n'a pu
être établie suivant la voie tracée par le Parlement et le Gouvernement.
Le vicaire des Epinettes-Batignolles pourrait cependant se tromper
en escomptant que, sur une population de 80 000 habitants dans la paroisse,
50 000 suivront l'appel du curé. Le quartier est fort entamé par les socialistes
et ne compte que très peu d'habitants riches.
Le principal pour le Gouvernement et pour la paix intérieur du pays,
est que le clergé vienne au moins à mi-chemin vers la loi, et contribue
à l'apaisement.
Le correspondant parisien de la Strassburger
Post fait remarquer que dans l'interpellation sur la loi de Séparation,
le Gouvernement a obtenu une majorité qui dépasse les espoirs les plus
optimistes. M. BRIAND n'a guère convaincu ses auditeurs . La principale
chose a été hier, comme toujours, la politique des coulisses, qui entre
chefs de groupes et Gouvernement décide tout d'avance. Il était convenu
que le Gouvernement ne serait pas attaqué sérieusement; aussi la joute oratoire
à la tribune a été un simulacre de combat plutôt qu'une lutte de principes.
Cela ressort du ton de modération, de la déférence même des débats.
On donne ici deux raisons pour expliquer la modération du Gouvernement.
Les uns disent que M. CLEMENCEAU et ses collaborateurs veulent éviter l'explosion
des passions populaires et. faire ainsi le jeu de l'Église militante. M.
CLEMENCEAU ne veut pas créer de martyrs, mais compte sue les progrès de
l'indifférence religieuse. D'autres disent que le Président du Conseil,
très anglophile et pas trop germanophile, tient avant tout à avoir la paix
à l'Intérieur afin d'avoir les coudées franches à l' Extérieur; qu'il veut
rallier autour de lui toute la France, et même, si c'est possible, la France
catholique, en vue du moment où la concentration de toutes les forces nationales
est la condition première du succès.
21 novembre 1906
Corriere della Sera
Le correspondant parisien, M. Bernasconi, parlant de la reprise des
inventaires dans les églises, fait remarquer qu'avec cette reprise se renouvellent
en divers endroits les scènes, les résistances, les désordres et les répressions.
Il raconte ensuite les incidents qui se sont passés dans le Finistère,
à Montpellier, à Perpignan, etc ...
22 novembre 1906
Strassburger Post
Le correspondant parisien fait remarquer que la reprise des inventaires
des Églises n'a nullement donné lieu à des scènes semblables à celles qui
ses sont passées il y a un an. Les opérations continueront et seront faites
simultanément sur tous les points afin que les forces des catholiques s'éparpillent.
A l'Église St-Augustin, à Paris, tout s'est passé sans incident grâce
à la prudence et à la discrétion avec lesquelles les mesures avaient été
prises par les autorités. Il en a été de même à Amiens.
Du Vorwaerts (20 novembre)
Le correspondant parisien fait remarquer que M. BRIAND a obtenu
un vote de confiance d'une majorité mécontente. Ce vote fournit la preuve
la plus concluante que la nature de la politique bourgeoise d'aujourd'hui
est caractérisée par le fait que le radicalisme petit-bourgeois n'a pas
la volonté de prendre la responsabilité du pouvoir et qu'il abdique entre
les mains d'une dictature démocratique. Les partis bourgeois ont hier adoré
ce qu'ils avaient brûlé autrefois.
Si le Ministère était l'émanation des partis de la majorité républicaine,
M. BRIAND aurait laissé tomber son projet d'accorder aux catholiques un
délai. Mais M. BRIAND est resté ferme et les radicaux n'ont pas eu l'énergie
de manifester leur opinion en votant contre le Gouvernement. Ceci ne veut
pas dire que la résultat soit regrettable. Mais M. BRIAND représente la
raison vis-à-vis de la macédoine radicale et, en quelque sorte, il représente
aussi le
progrès social. Son sens de ne voir que le fond des choses, sens qui
aurait besoin sans doute d'être complété par le coup d'œil d'historien,
pour le préserver de la politique du succès s personnel, l'éloigne de cette
prêtrophobie triviale qui représente lés restes en pourriture du jacobinisme.
M. JAURES, lui aussi, a démontré dans un grand discours, que le problème
religieux ne peut être résolu que dans le sens de la tolérance, si l'on
veut déblayer le terrain peur la réforme sociale.
Paris le 6 décembre 1906
de la Tribuna (3 décembre)
Le correspondant parisien, M. CANE, (qui a repris son service) trouve
que c'est une coïncidence curieuse que le Pape donne des instructions en
même temps que M. BRIAND envoie une circulaire relative à la Séparation
des Églises et de l'État.
Après avoir fait l'analyse des deux documents, le correspondant résume
l'état actuel de la situation. l'Église, fait-il remarquer, refuse de consigner
ses biens aux agents du fisc, mais elle donne l'ordre aux prêtres de les
consigner après une protestation platonique; elle refuse de constituer des
Associations cultuelles, mais elle organise des collectes pour l'exercice
du culte. L'attitude du Vatican, qui paraît intransigeante, se plie en réalité
à toutes les concessions. Il est vrai que, de son côté, l'État a fait des
concessions semblables.
Quand à la loi de 1881 sur les réunions, elle reçoit des modifications
à l'usage des cléricaux; on ne maintiendra ni la présidence pour chaque
réunion, ni la déclaration préalable.
Il est donc probable que, le 13 décembre à Paris, et du 13 au 16
pour la province, l'application de la loi se fera plus tranquillement qu'on
ne l'aurait cru.
De la Gazette de Francfort (4 décembre)
Le correspondant parisien , M. Émile Ney, parlant de la circulaire
de M. BRIAND, fait remarquer que le Gouvernement a soin que l'obstruction
du Vatican ne crée pas de préjudice aux fidèles, mais uniquement au clergé.
Le service religieux sera non seulement toléré, mais aussi protégé par
l'autorité.
Les journaux cléricaux et modérés donnent à entendre qu'il y a un
accord tacite entre le Vatican et le Gouvernement et que le Pape a accordé
au clergé la faculté d'accepter la conception gouvernementale. Le correspondant
croit que cette supposition ne répond pas à la réalité. M. BRIAND a évité
de toucher le problème de la transmission des biens de l'Église. Pour le
moment, il a soin de faciliter la continuation de l'exercice du culte.
Le Vatican ne peut pas éluder la question des associations cultuelles,
car il est évident qu'à la Chambre française il n'y a pas de majorité disposée
à modifier la loi selon le désir du saint-Siège.
Paris, le 12 décembre 1906
du Morning Post (10 décembre)
Le correspondant parisien fait remarquer que le Vatican place intentionnellement
l'Église et les paroisses en opposition avec le Gouvernement français.
C'est une stratégie discutable, néanmoins elle a profondément déconcerté
le Gouvernement. La politique du Gouvernement, tout en échafaudant une
législation que l'Église pouvait considérer comme violente et hostile,
a été de se concilier l'opinion des catholiques, en appliquant avec douceur
les dispositions de la nouvelle loi.
L'action de défi du Vatican, à laquelle on ne s'attendait pas, a
fait choir de la main du Gouvernement cette arme, et les ministres devront,
ou appliquer avec rigueur la nouvelle loi, ou la laisser tomber en désuétude.
Des journaux modérés, comme le "Temps", se rallient au Gouvernement
et déplorent l'énergie non prévue que le Pape a infusée à la querelle et
que les anticléricaux espéraient mener avec plus de quiétude. Si le Vatican
peut compter réellement sur le dévouement des catholiques français, le Gouvernement
s'apercevra qu'il a commis une bévue désastreuse en considérant comme non
existante l'influence papale et de la prendre comme une chose indifférente
aux catholiques français. Si, par contre, l'autorité du Vatican est en
déclin auprès de la communauté catholique de France, le Pape aura à regretter
d'avoir mis à jour la décadence de cette autorité.
De la Gazette de Francfort (10 décembre)
Le correspondant parisien , M. Émile Ney, parlant des nouvelles instructions
que le Pape a données et dans lesquelles il interdit au clergé de se soumettre
à la loi commune, fait les réflexions suivantes :
Malgré les prières et les avertissements qu'une partie de l'épiscopat
français a fait parvenir à Rome, le courant intransigeant l'a emporté au
Vatican. Mais une victoire remportée par Rome n'est pas encore une victoire
remportée sur le Gouvernement français. Celui-ci a déjà fait savoir que
tous les prêtres qui ne feront pas la déclaration prescrite par la loi,
seront l'objet d'un procès-verbal et de poursuites judiciaires.
La violation de la loi sur les réunions est une légère contravention
passible d'une amende maximum de 15 f. ou d'une détention qui va jusqu'à
5 jours. La peine ne peut pas être aggravée en cas de récidive. le Gouvernement
usera probablement de la même tolérance qu'il a observée jusqu'ici et se
contentera d'une seule punition. Il éviterait ainsi que l'obstruction romaine
exerce un effet durable et même des manifestations continuelles.
Si l'intervention du Pape exerce peu d'influence sur la marche des
choses, elle n'en ranime pas moins le courage des comités du parti clérical
qui se préparent à une nouvelle résistance bruyante. Il faut attendre pour
voir si les événements de la semaine prochaine forceront à prendre au sérieux
cette spéculation sur le fanatisme des croyants.
Paris, le 15 décembre 1906
Du Giornale d'Italia (12 décembre)
Le correspondant parisien , M. Ludovico SCHISA, après a voir constaté
que le clergé français a adopté une tactique plus belliqueuse, dit que
le non possumus du Pape a provoqué les plus vives inquiétudes dans les
couloirs de la Chambre et du Sénat.
En ce qui concerne l'attitude de l'opinion publique, il a consulté
un ex-ministre, parlementaire fort en vue, qui lui a fait remarquer qu'il
faut distinguer entre les catholiques qui se servent de l'Église dans leur
campagne contre la République et les catholiques qui n'ont à cœur que les
intérêts de leur Église. Les premiers sont contents de l'intransigeance
pontificale; mais les seconds en sont péniblement touchés.
M. Cochin, par exemple, bien qu'adversaire de la loi de séparation,
est un de ces catholiques qui distinguent la cause politique de celle de
l'Église. Il s'est montré toujours conciliant et hier, quand un journaliste
lui a demandé son opinion sur un projet de loi d'un député tendant à dépouiller
complètement l'Église de ses bâtiments, il a répondu textuellement : "Cette
loi serait une vengeance indigne, une mesure de représailles contre les malheureux
curés de campagne qui ne savent que faire pour pouvoir manger, qui ignorent
où ils coucheront demain, mais les évêques auraient dû s'en tenir au droit
commun, comme c'était d'abord convenu."
Les journaux cléricaux même, ajoute le correspondant, qui comptaient
sur une levée en masse, doivent aujourd'hui enregistrer l'indifférence
avec laquelle l'opinion publique se comporte à la veille de l'échéance
historique. Il cite à l'appui de son dire un article de la "Libre Parole".
Paris, le 18 décembre 1906
De l'Avvenire d'Italia (14 décembre)
Le correspondant parisien, qui signe REDI, dit que le hosana des combistes
et des socialistes est simplement ridicule : la situation est trop triste
pour qu'on y ajoute encore la farce. Le Gouvernement s'aperçoit que c'est
une tâche ardue que celle de vouloir contenter le petit père Combes. Il
est impossible de courir après les évêques et 36 000 prêtres pour leur dresser
tous les quarts d'heure une contravention; d'autre part le Gouvernement
ne peut pas prendre la résolution de fermer les églises au milieu du tumulte.
Mis à l'épreuve, le dernier expédient du Gouvernement s'est révélé comme
une absurdité. Tous sentent qu'il faut sortir d'une situation de plus en
plus embarrassante. Naturellement, le meilleur moyen pour cela serait de
s'entendre avec "l'ennemi", mais il serait naïf de croire que le Gouvernement
français est assez rusé pour cela. La France n'est plus à l'époque de Mazarin,
et, pour les gouvernants d'aujourd'hui, tant que la République aura sur les
bras un tel pandémonium politique et économique, ni la politique ni l'industrie
française ne pourront rien faire au-delà du Rhin. M. CLEMENCEAU fera donc
son petit Kulturkampf et les évêques et le clergé monteront sur le calvaire.
Parlant de Mgr TURINAZ, le correspondant dit qu'il le connaît personnellement.
C'était un des adversaires les plus ardents de la démocratie chrétienne
au Congrès de Fribourg. Dans son exubérance, cet évêque ne s'est pas caché
de vouloir être le premier à subir l'exil et la prison, mais il me semble,
fait remarquer le correspondant, qu'un procès pour une gifle n'est pas le
moyen le mieux choisi.
du Vorwaerts (15 décembre)
Le correspondant parisien dit que le président du Conseil a prononcé
dans la séance de Vendredi un discours contre l'Église, et le premier coup
de canon, c'est à dire la perquisition à l'ancienne nonciature, annonce
un grand bombardement. Dans les partis républicains il y a beaucoup d'ardeur
à combattre et l'attitude provocatrice de l'Église lui a aliéné des gens
même ordinairement modérés. Les faveurs que la loi de séparation a réservées
à l'Église ne seront pas maintenues; les prêtres qui n'obéissent pas à
la loi perdront leur retraite. Il n'est guère probable que le Gouvernement,
s'il procède aussi sagement que jusqu'ici, se heurtera à de grandes difficultés,
même dans les régions cléricales. Une grand partie du clergé est très déprimée
par suite de la politique du Vatican qui ne paraît vouloir servir qu'aux
adversaires de la République.
Le clergé comprend beaucoup d'éléments pris dans la petite bourgeoisie
républicaine qui n'ont aucune envie de devenir des martyrs, surtout pour
une cause si peu populaire. Il est incontestable que le mouvement antiromain
dans le clergé prend une extension qui donne à réfléchir au Vatican. Le
"Journal Officiel" enregistre chaque jour de nouvelles associations cultuelles,
et parmi les fondateurs, il y a souvent des prêtres catholiques. Pendant
la Révolution on a vu un fait analogue, le prêtre constitutionnel, mais
la papauté a su reprendre ses positions ; il ne faut pas croire cependant
que l'histoire se répétera : la situation d'aujourd'hui est très différente
de celle d'il y a cent ans.
De la Gazette de Francfort (15 décembre 1906)
Le correspondant parisien, M. NEY, après avoir parlé de la perplexité
dans laquelle se trouverait selon lui, M. BRIAND et M. CLEMENCEAU, par
suite de l'intransigeance inattendue du Pape, ajoute qu'on commence cependant
à s'apercevoir que la situation est moins grave qu'on ne le redoutait au
premier abord.
La Séparation de l'Église et de l'État a déjà tellement pénétré dans
l'esprit du peuple français que, abstraction faite de quelques contrées
isolées, le clergé se trouve abandonné au milieu de l'indifférence générale.
"Strassburger Post"
Le correspondant parisien fait remarquer qu'on n'a jamais tant
parlé de la liberté des cultes. Maintenant que le culte ne devrais plus
regarder l'État, les gouvernants et les parlementaires sont aux petits soins
pour l'Église. C'est que personne ne voudrait encourir le reproche d'être
intolérant.
Si l'État était réellement aussi puissant que certains voudraient
le faire croire on ne tiendrait pas autant à prouver ses bonnes intentions
envers l'Église. La vérité est que plus que jamais M.M. Clémenceau et Briand
ont l'Église sur le dos et se trouvent dans le plus grand embarras. Leurs
tentatives d'amorcer par la
loi très libérale ont piteusement échoué; à l'heure actuelle le gouvernement
ne sait plus quel parti prendre et il n'est pas étonnant que les gouvernants
s'accrochent à n'importe quelle ancre de salut pour se préserver du ridicule,
eux et la politique religieuse de la France. M. Clémenceau tire le premier
coup
de canon et c'est l'État qui en est dans la confusion. Le plus terrible,
quand on cherche la guerre, c'est de la trouver (cette phrase est en français).
Les gouvernants savent bien qu'ils ne trouvent pas d'armes dans l'arsenal
des lois pour briser la résistance de l'Église ; voilà pourquoi, eux, les
persécuteurs, redoutent beaucoup plus la persécution que les cléricaux,
les prétendus persécutés. Ils ne cherchent plus à s'armer, mais au contraire
ils courent après l'appât de la réconciliation découvert par quelques libéraux.
Dans l'espace d'une nuit, ils ont trouvé que la déclaration à la police
n'a pas besoin d'être faite précisément par le prêtre desservant, mais peut
être faite par n'importe quel citoyen de la paroisse. Mais pourquoi M. Briand
ne l'a-t-il pas dit tout à de suite dans sa fameuse circulaire? Il aurait
évité bien de l'agitation au pays et à ses collègues. Bref, le gouvernement
s'est profondément mis dedans et il aurait mauvaise grâce de se plaindre
qu'il ait tourné en ridicule d'un côté tandis que de l'autre, il se heurte
à 1a résistance. Il a dû voir comment toute sa campagne menaçante s'est
traduite par une déclaration faite par un anarchiste plusieurs fois condamné
et par un camelot . On a dû prendre acte de la déclaration de ces deux
individus bien qu'il soit évident que les deux compagnons se payaient la
tête de M. Clémenceau. C'est un non sens bizarre que la déclaration de
deux citoyens suffise : dans ce cas, la prêtre est indemne de toute poursuite,
tandis que dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il ne se trouve pas deux
citoyens de bonne volonté, qu'il peut même ne pas connaître, il est passible
d'une contravention .
Paris, le 21 décembre 1906
GAZETTE de FRANCFORT (20 décembre)
Le correspondant parisien, M. NEY, parlant des incidents provoqués
par l'exécution de la loi sur la Séparation, fait remarquer que, malgré
tous les efforts d'exciter les passions de la foule, il n'y eut nulle part
des conflits graves. La Séparation, contrairement à certaines appréhensions,
s'accomplit sans effusion de sang. Mais elle s'accomplit aussi, - ce qui
n'est pas moins remarquable,- sans aucune tendance sérieuse à un mouvement
schismatique. Le Gouvernement prépare une loi qui menace l'Église de la
perte immédiate de ses biens et de la suppression des indemnités des prêtres,
et, malgré cela, le clergé ne s'avise nulle part à faire une manifestation
vigoureuse ni contre Rome, ni contre le Gouvernement Républicain. Cela prouve
aussi que, dans un pays qui se gouverne lui-même par le suffrage universel
et le régime parlementaire, les antagonismes de parti se font jour, sans
que la passion prenne des racines plus profondes. A l'étranger où l'on est
moins habitué au libre jeu des antagonismes politiques et sociaux, les événements
actuels surprendront plus qu'en France.
Paris, le 22 décembre 1906
De la Koelnische Volkszeitung (20 décembre)
Le correspondant parisien estime que, pour le moment, le danger de
crise ministérielle est écartée, M. BRIAND s'étant entendu avec la Commission
des Cultes. Le rapport sera présenté demain et probablement, vendredi déjà,
la Chambre discutera le projet de loi. Le désir de Kulturkampf de ces messieurs
est si intense qu'ils ne peuvent attendre le moment où ils pourront s'emparer
des biens d'Église. Selon toute probabilité, la Droite ne prendra aucune
part à la discussion et la loi pourra être ainsi rapidement votée, à moins
que les radicaux-socialistes ne fassent un nouvel assaut au sujet de l'indemnité
et ne jettent la confusion dans les rangs de la majorité. Ces messieurs
au cœur si sensible ne peuvent supporter l'idée que les prêtres âgés toucheront
une retraite. Le Sénat ne pourrait voter la nouvelle loi qu'après le jour
de l'an, à moins que, lui aussi, il veuille engager le Kultukampf et remettre
la discussion du budget. Toutes les difficultés ne seront pas écartées
par la nouvelle loi et M. BRIAND reconnaît lui-même qu'on sera obligé de
voter une loi à propos de l'entretien et de la réparation des bâtiments
affectés au culte. M. des HOUX & Cie ont demandé à être entendu par
la Commission, mais ils ont été éconduits. Ces gens vraiment n'ont pas
de chance.
Du Vorwaerts (20 décembre)
Le correspondant parisien dit que le nouveau projet de loi BRIAND
est un produit de l'embarras dans lequel le Vatican a mis le Gouvernement
français. M. BRIAND désirant fermement assurer à tout prix la continuation
des services religieux, le Vatican a pu faire son geste d'opposition avec
la chance d'un succès, et masquer ainsi son échec réel dû à l'indifférence
du peuple. C'est d'un comique extraordinaire, l'État courant après l'Église,
élevant autour d'elle une barrière protectrice, qu'aussitôt après l'Église
se met à renverser.
Successivement le Vatican rejette les Cultuelles, les sociétés diocésaines,
et même l'usage du droit commun. L'État établit encore un pont d'or pour
donner passage à l'Église: si elle ne veut pas faire usage de la loi sur
les réunions publiques, elle peut bénéficier de la loi sur les associations.
Cette solution avait été proposée dès la première heure par M. JAURES et,
si elle avait été adoptée, aurait épargné au Gouvernement le désagrément
d'une reculade. Le conflit prendra-t-il fin enfin ? Le Vatican reconnaîtra-t-il
le nouvel ordre de choses ? Les opinions à ce sujet sont très diverses. Les
journaux d'Extrême-Droite exigent la soumission de la République au Vatican.
La République ne peut se conformer à cette mise en demeure.
Si le Vatican suivait l'idée de ces intransigeants, il conduirait
la démocratie à une guerre qui atteindrait et l'impérialisme pontifical et
le culte romain.
De la Strassburger Post (21 décembre)
Le correspondant parisien est d'avis que l'adoption du nouveau projet
de loi BRIAND est assuré, puisque le Ministre a pu se mettre d'accord avec
la Commission des Cultes.
Le correspondant estime que l'amendement ALLARD est fort contestable
au point de vue juridique, puisqu'il implique le principe fort dangereux
de la rétroactivité. On se trouve actuellement, ajoute-t-il dans une sorte
de provisoire où personne ne sait quel parti prendre; mais il ne serait pas
moins étrange que la nouvelle loi privât les associations déjà constituées
de droits que leur accordait la loi sur la séparation. Dans la pratique,
les choses seront moins compliquées, car l'on sait bien qu'aucune cultuelle
ne s'est constituée conformément à cette loi; conséquemment personne ne
pourra faire valoir un titre pour la possession des biens de l'Église.
Paris, le 26 décembre 1906
Du Corriere della Sera (22 décembre)
Le nouveau correspondant parisien, M. CROCI, avant de donner un compte
rendu détaillé de la séance de la Chambre du 20 décembre, fait remarquer
que cette séance a été intéressante, admirable, et à certains moments tumultueuse.
Déjà, avant l'ouverture, l'animation était très grande dans les couloirs;
on s'occupait plus de la situation ministérielle que du projet BRIAND.
L'acte énergique de M. CLEMENCEAU de démasquer les manœuvres louches
des amis infidèles aurait-il suffit à sauver le sort du cabinet ? Le groupe
radical-socialiste avait tenu une réunion, mais évidemment il s'est trouvé
déconcerté par l'attitude du Président du Conseil, au point qu'il a quitté
la réunion sans avoir pris aucune décision définitive, se réservant peut-être
d'attaquer le Gouvernement pendant la discussion des articles.
A l'ouverture de la séance, l'air, suivant le cliché de convention,
était chargé d'électricité qui s'est manifesté surtout par l'impatience avec
laquelle certains projets de loi secondaires ont été expédiés. L'agitation
était grande, surtout sur les bancs de la Gauche.
Paris le 29 décembre 1906
GAZETTE de FRANCFORT (25 décembre)
Le correspondant parisien, M. NEY, fait remarquer qu'un certain malaise
régnait à la séance de la Chambre, où le projet de loi de M. BRIAND a été
voté. La Droite aurait pu faire traîner la discussion, mais elle s'est
abstenue, voulant attribuer à la majorité républicaine toute la responsabilité
de la nouvelle loi. Cette majorité s'abstint de toute discussion, s'en remettant
entièrement au Gouvernement. Ainsi personne n'éprouvait le besoin de se
prononcer et les orateurs qui prirent la parole furent écoutés avec une
nervosité visible. Les objections faites par le groupe radical-socialiste
sont attribuées par M. CLEMENCEAU à des intrigues personnelles. La sortie
violente du Président contre M. PELLETAN a produit une impression pénible
sur toute la Gauche. Les déclarations de M. BRIAND ont essayé d'atténuer
cette impression, mais l'incident CLEMENCEAU-PELLETAN ne restera pas sans
conséquences. En tout cas, le monde parlementaire se trouve encore aujourd'hui
sous l'impression de cet incident et le mauvais effet ne s'effacera pas de
sitôt. Au Parlement français, on n'aime pas que les Gouvernants prennent
une attitude brusque. M. CLEMENCEAU qui, pendant quelque semaines, a si
heureusement su dompter son tempérament vif, est sur le point de décomposer,
avec sa nervosité, une majorité si compacte qu'aucun Gouvernement français
n'en a jamais eue de pareille. Il est difficile d'expliquer le pessimisme
de M. CLEMENCEAU, parce qu'il parait plutôt l'effet d'un sentiment personnel.
Beaucoup de républicains de gauche ne voudraient pas que le clergé,
placé entre la Vatican et la République, soit la victime de la Séparation;
on voudrait le préserver de la répercussion du conflit. L'homme à faire cette
politique serait, selon l'avis de beaucoup de républicains, M. COMBES. Ce
sont des courants généraux, car, pour le moment, l'attitude du Vatican exclu
tout arrangement normal de la situation de l'Église. M. CLEMENCEAU est dans
l'erreur, en ne voyant dans ces courants que des mobiles personnels, et
cette erreur lui a fait commettre une faute très grave : par sa brusquerie,
il a empêché les radicaux-socialistes de collaborer à la nouvelle loi. La
situation parlementaire du Gouvernement est par ce fait sérieusement ébranlée.
On est mécontent que le Gouvernement n'ait pas encore fait voter au Sénat
le rachat de la ligne de l'Ouest, qu'il n'ait encore élaboré aucune des réformes
annoncées par lui. La situation du Cabinet n'est pas rose.
2 janvier 1907 : Loi concernant l' exercice public des cultes.
Paris le 3 janvier 1907
De l'Observer (organe hebdomadaire)
Le correspondant parisien dit que le nouvel an trouve en France l'Église
en présence d'une difficulté des plus graves. Ayant repoussé toutes les
ouvertures du Gouvernement, elle doit s'occuper de trouver les ressources
matérielles. Ni les prêtres, ni la paroisse n'ont aucun revenu. Ils ont
été séquestrés par le Gouvernement et par conséquent l'Église est maintenant
obligé d'envoyer le clergé faire appel aux croyants. On eu d'abord l'idée
d'envoyer le clergé à travers le diocèse faire des quêtes. Mais ceci aurait
constitué le caractère d'une association cultuelle publique, et voilà ce
que l'archevêque de Paris voulait éviter. Il a tourné la difficulté en prescrivant
que tout serait recueilli sur le diocèse. Tandis qu'il parait certain que
les récents événements ont fortement stimulé le zèle des gens d'Église,
la masse de la population, y compris beaucoup de catholiques de marque, continuent
à montrer une grande indifférence pour le conflit engagé entre la France
et le Vatican. Il parait presque certain que l'Église aura dans un avenir
immédiat de graves difficultés à surmonter pour maintenir sa position actuelle
en France.
Du Giornale d'Italia (30 décembre)
Le correspondant parisien, M. SCHISA, s'est adressé à M. Émile
OLLIVIER, pour avoir son avis sur le conflit religieux actuel.
L'ex-ministre de l'Empire dit qu'il est évident que le Gouvernement
voudrait reculer, seulement il ne sait pas de quelle manière opérer cette
reculade. Il n'y avait qu'un seul moyen logique et fort, c'était de fermer
les églises lorsque les catholiques s'étaient refusés à créer des Associations
cultuelles. Mais le Gouvernement avait peur d'un soulèvement populaire. Alors
il s'est mis à biaiser, de sorte qu'on ne sait plus ce qu'il veut faire
et où il veut aller.
Le pape, de son côté, sait très bien ce qu'il veut et il finira par
être victorieux. Parmi les ministres, au contraire, c'est la confusion qui
règne, leur erreur provient de ce qu'ils ne connaissent pas le véritable
état d'esprit populaire. Les élections législatives donnent une fausse idée
de cet état d'esprit; elles ne représentent que les idées d'une vingtaine
de mille républicains qui disposent de terribles moyens de pression. Si, comme
en Suisse, on consultait le peuple directement, le Gouvernement n'aurait pas
pour de lui trois millions de Français. La lutte engagée actuellement sera
longue et il est difficile d'en prédire l'issue.
L' "AVVENIRE d'ITALIA." organe clérical
(31 décembre)
Le correspondant parisien qui signe M. REDI, dit que pas un
catholique de bon sens n'a jamais cru que la nouvelle loi sur les cultes
sera repoussé par le Sénat, ni amendée en ce qui concerne l'inqualifiable
effet rétroactif. L'année prochaine nous serons en pleine persécution.
Le clergé français en souffrira beaucoup, les fidèles non moins et l'Église
catholique aussi; car l'affichage du discours de M. BRIAND fera croire à
beaucoup de gens simples que c'est la faute du Vatican si 1e culte se trouve
dans un état anarchique. Mais c'est le Gouvernement français qui en sortira
dans le plus mauvais état; il verra misérablement s'évanouir ses espoirs
sur un schisme et aussi l'espoir de sortir de l'impasse où il s'est fourré.
Ceux qui sont encore croyants et pratiquants ne se laisseront pas tromper
par les assertions du Gouvernement, mais réagiront contre les mesures draconiennes
des CLEMENCEAU et consorts. Il ne se passera pas six mois avant que le
Gouvernement se voie dans la nécessité d'inventer un nouvel expédient.
Mais le Cabinet vivra-t-il encore six mois ?
Paris, le 6 janvier 1907
"Stampa" du 3 janvier
Le correspondant parisien qui signe "Bergeret" cherche à réfuter
ceux qui disent que le pape actuel a le niveau intellectuel d'un curé de
campagne et qui vantent la diplomatie de Léon XIII. Les difficultés du
règne de Pie X, dit-il, consistent précisément dans l'imbroglio que lui
a laissé la finesse diplomatique de son prédécesseur. Quel était donc le
bénéfice du fameux ralliement ?
l'Église, en France, est persécutée, et la république s'est réconciliée
avec l'Italie. Pie X a le sens de la réalité, ce qui vaut mieux que la
fourberie diplomatique. Il a reconnu que dans le conflit avec la République
il faut renoncer aux arguties séculières et se retrancher dans son sanctuaire
de pontife. C'est la seule politique excellente pour lui. La force morale
de l'Église s'est manifestée d'une manière grandiose. Pie X a fait appel
au clergé et cent mille prêtres sont prêts à sacrifier leur pain quotidien;
combien de républicains en feraient-ils autant pour leurs principes ? Si
le pape avait incité les catholiques à la violence, une crise aurait probablement
éclatée, mais le peuple français l'aurait rejetée sur l'Église. S'il avait
eu la faiblesse de négocier, il aurait affaibli l'ardeur des siens et l'État
serait devenu l'arbitre de la situation en France. Pie X a vu juste et
il a trouvé le mot juste de la situation : perdons des églises, mais sauvons
l'Église. La simplicité politique de Pie X a forcé le Gouvernement à changer
trois fois sa voie. Pie X s'est montré meilleur connaisseur d'hommes que
M. Briand qui croyait dompter le clergé par la faim. On dirait même que
le pape connaît mieux les couloirs du Palais-Bourbon que M. Clémenceau.
Assailli par les Combes, les Pelletan et autres requins "de l'eau trouble
parlementaire", le Cabinet Clémenceau n'a pas eu la sécurité nécessaire
pour créer une loi définitive lui permettant d'enserrer l'Église. La dernière
loi de M. Briand suscitera la guerre civile dans les villages. Le gouvernement
n'a pas réussi davantage à guillotiner l'Église par la persuasion sans la
faire crier. Tant que la question restera ouverte, les périls subsisteront.
L'opinion publique réagira légalement, mais elle réagira. Le pape serait
très content si on fermait de force toutes les églises : cela amènerait le
rétablissement de la république modérée sur les ruines de la république radicale.
Le troisième refus du pape provoquera d'une manière ou d'une autre des représailles;
la persécution, de masquée qu'elle était, deviendra ouverte, et alors, on
verra dans quel état sera mise la France. Voilà a quoi aboutit la politique
de Pie X.
Gazette de Francfort
Le correspondant parisien, M. Émile Ney, fait connaître dans
une analyse rapide la nouvelle loi sur les cultes et donne en ces termes
son appréciation : "D'après la nouvelle loi, les églises restent affectées
au service religieux tant que le prêtre continue ce service, mais tous les
autres immeubles de l'Église lui sont enlevés. On évalue ces biens à 600
millions au minimum, et si l'on compte encore les allocations que l'État
cessera de donner aux départements et aux communes, on doit se dire que l'Église
catholique en France subit une perte énorme, grâce à l'obstruction entêtée
du Vatican"
Paris, le 7 janvier 1907
De la Kölnische Volkszeitung (4 janvier)
Le correspondant parisien dit que, dans la folle fureur du combat,
le Gouvernement a menacé tout le clergé français de le priver de sa nationalité
comme fonctionnaires d'une puissance étrangère. Finalement, continue le
correspondant, on s'est dégrisé un peu et l'on a reconnu la démence ridicule
d'une pareille menace. Alors, on s'est borné à voir un fonctionnaire étranger
en la personne de l'employé de l'ancienne nonciature de Paris, et on l'a
chassé du pays, en violation du droit des gens. On a invoqué comme raison
qu'on ne saurait tolérer un étranger qui excite les curés à la révolte.
Ceci est une fausse accusation et le Gouvernement français l'a avoué tacitement,
car autrement il n'aurait pas hésité à faire état des papiers qu'il a saisis
contrairement à la loi, et il aurait, à l'aide de ces documents, établi
la preuve de sa fausse accusation. Puérilement on a cru qu'en expulsant
le dernier employé de la nonciature on a rompu le pont de communication
entre l'épiscopat français et le Vatican. Il va cependant de soi que le
Pape a pris ses dispositions pour s'assurer une correspondance suivie avec
le clergé français.
"L'Aurore" dit que les intermédiaires sont hors de la frontière,
peut-être à Namur, peut-être à Bruxelles. Sans le vouloir confirmer, le
correspondant trouve cette disposition fort vraisemblable. La fureur de
"l'Aurore", conclut-il, s'explique, car il sera plus difficile au Gouvernement
de faire main basse sur la correspondance.
Paris le 10 janvier 1907
Du Corriere della Sera (7 janvier)
Le correspondant romain dit tenir de bonne source que le Pape a renoncé
à recevoir les deniers de St Pierre de France, décision qui produira dans
ce pays une excellente impression. Du reste, ajoute-t-il, le montant des
deniers de St Pierre envoyés par la France est tombé à 500 000 f. par an;
grâce à la politique républicaine de LÉON XIII les monarchistes ont serré
les cordons de la bourse. Toutefois, étant donné la situation financière
du Vatican, ce n'est pas un petit sacrifice de la part du Saint-Siège de renoncer
à cette somme.
La question financière en France préoccupe vivement le Pape; néanmoins
la situation n'est pas aussi désespérée qu'on l'imagine. Au Vatican, on
est convaincu que les catholiques français verseront les sommes nécessaires
pour pouvoir faire face à toutes les nécessités.
On fait observer qu'en France il n'y a plus de congrégations et que
l'argent qui allait ordinairement à celles-ci pourrait être affecté au culte
et au clergé séculier.
Paris, 14 janvier 1907
Du "GIORNALE d'ITALIA"
Le correspondant parisien qui signe PAPINI, s'inscrit en faux contre
ceux qui parlent d'une France mécréante. Même après la Séparation, dit-il,
le Peuple français reste un des peuples les plus religieux de l'Europe. Bien
entendu, il ne faut pas confondre religion avec catholicisme. Là où existe
encore le respect de la formule considérée comme vérité absolue, la religion
n'est pas près de mourir. Dans ce sens, la France est un pays profondément
religieux, et même la persécution anticatholique est le commencement du
triomphe de la nouvelle Église Cartésienne laïque et démocratique dont les
Pères sont Descartes, Rousseau, Robespierre, Victor Hugo, Gambetta. A l'heure
actuelle, une nouvelle religion cherche à se substituer à l'ancienne. Il
y a des députés et des capitalistes qui ont intérêt à ce que l'Église catholique
soit affaiblie, par ce qu'ils subissent l'influence du milieu, mais ces
mêmes gens auraient été des cléricaux il y a 30 ans, lorsqu'on vouait la
France au Sacré-Coeur. La nouvelle Église purement française a ses articles
de foi, ses légendes. Son commandement est "Aimez les autres mieux que
vous-mêmes " ; son Credo "Je crois au Peuple souverain éternel et intangible.
Tous mes efforts doivent tendre à améliorer son état par la Raison, la Justice
et la Solidarité." Ces dogmes ne sont pas nouveaux, mais leur âge ne les
rend que plus vénérables. On trouvera les traces de cette religion dans tous
les pays, mais la France est la terre sainte de la nouvelle croyance. Selon
le correspondant, il y a 3 éléments qui contribuent à la formation de la
nouvelle foi. Ce sont les légendes poétiques de la révolution française,
le protestantisme et le socialisme, tous deux venus d'Allemagne. Nous assistons,
conclut le correspondant, à une guerre religieuse et en même temps à l'éclosion
d'une nouvelle Église, moins poétique que l'autre, mais également dogmatique.
Peut-être cette Église trouvera-t-elle son Évangile définitif, et
à côté de la légende du passé, elle réussira peut-être à établir la terre
promise de la Justice et de la Paix Sociale.
GAZETTE de Magdebourg (10 janvier)
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, trouve que, depuis la Séparation,
la République ne s'est jamais tant occupée de l'Église. Le Gouvernement
français ne peut rien apprendre sur les intentions réelles du Pape. M. BRIAND
a prétendu, dans son discours, avoir prévu le brusque refus du Pape et avoir
pris des mesures en conséquence, mais il n'en est pas moins vrai que la
loi de 1905 a prévu toutes les éventualités, sauf une qui a tout renversé.
Et pourtant, lorsque M. BRIAND était rapporteur de la loi de Séparation,
il a cherché se mettre en rapport avec des personnages ecclésiastiques. Dans
un dîner chez M. J. de BONNEFON, il a rencontré l'archevêque de Rouen, prélat
qui avait des velléités de gallicanisme. On peut supposer que ce n'était
pas l'unique rencontre qu'il a eue avec le clergé. On raconte à Paris que
certains personnages en soutane ou en longue lévite avaient sondé en secret
le Vatican, pour savoir si Rome accepterait comme issue le droit commun.
il parait qu'à cette époque les renseignements étaient satisfaisants. Dès
lors on comprend combien fût pénible la surprise lorsque, au mois de novembre,
Rome répondit par un "NON POSSUMUS" catégorique au discours aimable de M.
BRIAND. Ceci expliquerait psychologiquement très bien le "COUP de CANON"
de M. CLEMENCEAU et la perquisition à l'ancienne nonciature. Il est fort
probable que le Gouvernement français a "coupé dans le pont" , et même qu'à
Rome on était archi-content de ce que M. CLEMENCEAU perdit patience. Car
il est hors de doute que la Curie veut forcer le Gouvernement français à
la persécution de la religion. M. COMBES fait remarquer avec justesse
, qu'on se trouve devant l'intransigeance non du Pape, mais d'un système.
Son article montre une conception beaucoup plus élevée, un coup d'œil plus
libre que tout ce que M. COMBES a énoncé pendant qu'il était ministre. En
théorie, le Gouvernement n'a pas à se préoccuper de ce que fera Rome, on
est séparé ; et pourtant, si le Pape ordonnait d'abandonner les églises et
de faire le service religieux dans la "fameuse grange", il en résulterait
de graves embarras. Sans doute le déménagement des évêques n'a donné lieu
à aucun incident grave, l'indifférence en matière religieuse est beaucoup
plus grande qu'on ne l'aurait cru il y a deux ou trois ans. Mais il y a certaines
habitudes auxquelles tiennent même les non-pratiquants. Et le mécontentement
pourrait. se tourner contre le Gouvernement, car en France on s'y prend toujours
au Gouvernement. D'autre part, une petite révolte catholique servirait admirablement
le Gouvernement qui verrait alors se rallier autour de lui tout ce qui est
anticlérical à la Chambre. Le Ministère CLEMENCEAU n'est guère aimé dans
le monde parlementaire. M. CLEMENCEAU a froissé trop de gens du monde radical.
Ses petites réformes ont supprimé des sinécures dont bénéficiaient jusqu'ici
les fils, neveux et gendres des hommes politiques. A la Chambre, M. PELLETAN
et ses amis n'attendent que la première occasion pour attaquer la Cabinet.
Au Sénat il y a des intrigues à cause du budget et du rachat des chemins
de fer. Seule, l'exploitation de la question religieuse peut assurer la cohésion
de la majorité ministérielle et là le Pape pourrait amener une situation
grave en ordonnant le service religieux privé.
Paris, le 18 janvier 1907
Du Giornale d'Italia (15 janvier)
Le correspondant parisien, M. Schisa, dit tenir de meilleure source
quelques renseignements sur la réunion des évêques.
Cette réunion prouve que personne ne s'attendait à la troisième circulaire
du pape. Ce document a été conçu du jour au lendemain. La publication n'aurait
dû avoir lieu qu'après la troisième assemblée des évêques. La commission
des jurisconsultes de l'archevêché de Paris a étudié la nouvelle loi BRIAND
et a exprimé l'avis que le régime de la loi de 1881 modifiée par la nouvelle
loi est tolérable. Les évêques auraient pu trouver un terrain d'entente
et y étaient disposés. Le Vatican ayant eu vent de cette tendance a décidé
de publier immédiatement un document qui devrait couper court à toute tentation
d'arrangement de la part des évêques.
Paris, le 21 janvier 1907
De la Stampa (19 janvier)
Le correspondant parisien qui signe BERGERET, dit que la loi sur
la séparation n'a pas encore pris une forme définitive, et déjà les maires
radicaux abattent leurs casse-têtes plombés sur les crânes des catholiques.
Ces provinciaux sont terribles. A Paris aussi, les sous ordres de l'autorité
exagèrent volontiers les intentions du Gouvernement. La chapelle du Couvent
des Dames de l'Eucharistie a été livrée à un entrepreneur de cinématographe.
Un député ami du Gouvernement parle d'ouvrir Notre-Dame à tous les cultes.
L'anarchie légale préconisée par M. BRIAND a déjà commencé. Pour
la première fois, un maire français jouit de la liberté de faire ce qu'il
veut : il s'en paie donc et fait des actes de violence. Le Gouvernement
est à couvert et l'œuvre des persécutions s'accomplit. Maintenant, il est
clair que la séparation n'est qu'un prétexte : le but c'est la persécution.
Quiconque connaît l'histoire de France n'en sera pas surpris : la manie de
la persécution religieuse est dans le sang français comme une folie héréditaire.
Le Vatican et l'Elysée ont au fond le même principe sur les rapports
entre la religion et l'État. Ni l'un ni l'autre ne sont disposés à tolérer
quiconque pense autrement qu'eux.
La France est de beaucoup plus tyrannique que l'Allemagne impériale
où l'on jouit du moins d'une autonomie locale. Chaque Français est latin
et par conséquent fermé à tout sens de la liberté.
De la Gazette de Francfort (19 janvier)
Le correspondant parisien, M. Ney, croit que les journaux ont appris
indirectement tant de choses sur l'assemblée des évêques qu'il est permis
d'émettre des hypothèses qui s'approchent de la vérité.
Les évêques n'avaient à s'occuper que de la question de l'attitude
à prendre vis-à-vis de la nouvelle loi du 2 janvier 1907. dans leur immense
majorité, ils sont d'avis qu'on pourrait permettre aux curés de conclure
suivant le cas des traités avec les maires ou les préfets, relatifs à l'entretien
de l'Église, ainsi que cela est prévu dans la nouvelle loi; mais ils craignent
que, même en cela, Rome voit une reconnaissance du droit de propriété de
l'État, donc une soumission de l'Église. C'est pour cette raison qu'ils
ont ajourné leur décision pour prendre d'abord l'avis du pape. On ne se
fait aucune illusion à ce sujet et l'on croit que le pape dira non.
Dans ces conditions la situation précaire du moment actuel pourra
bien se prolonger; les prêtres continueront le service religieux, prendront
sur eux les amendes pour n'avoir pas déclaré la réunion; entre temps les
évêques organisent les quêtes. Mais la continuation de ce procédé dépend
de la tolérance du Gouvernement et du Parlement.
Paris, le 22 janvier 1907
de la Gazette de Magdebourg (19 janvier)
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, fait remarquer que, depuis
quelques temps, les conciles d'évêques se suivent si fréquemment en France
qu'aujourd'hui les Parisiens n'y trouvent plus rien d'extraordinaire et n'y
font même plus attention. Cette fois, l'indifférence avec laquelle on considère
les débats soulevée dans le château de la Muette est encore plus manifeste.
Instruit par l'expérience, on sait d'avance que les prélats réunis
n'oseront pas s'opposer à la politique intransigeante de leur souverain.
Au premier concile, beaucoup de gens qui, ouvertement ou en secret, ont
encore des illusions gallicanes, avaient pensé que le concile serait le
point de départ d'une grande réorganisation de l'Église
catholique en France. Bientôt ils ont été désabusés. Aussi au second
concile, l'intérêt s'est relâché. En plus grand embarras se trouvent les
évêques aujourd'hui, car le pape leur a fermé toutes les portes d'issue.
A l'heure qu'il est la discussion ne peut rouler que sur l'application
de la loi de 1901.
Le correspondant fait l'historique du château de la Muette et relève
le fait curieux que Mme de FRANQUEVILLE qui fait les honneurs de la maison
aux évêques, est protestante. Elle est Anglaise; c'est une nièce de l'évêque
anglican de Southwell et une petite fille de la marquise de SALISBURY.
Paris le 23 janvier 1907
Le correspondant parisien de" l'Avvenire d'Italia" parlant
du discours de l'abbé Lemire dit que ceux qui le critiquent ne voient pas
plus loin que le bout de leur nez. Les catholiques français, dit-il, se querellent
pour des mesquineries au moment où l'union et la concorde seraient si nécessaires.
Il faut être sur place, vivre ici et savoir écouter pour comprendre ce
qu'on ne voit pas à l'étranger: la désorganisation de ce qu'on appelle le
parti catholique qui comprend toutes sortes de gens même ceux qui ne croient
pas. Ce serait une erreur impardonnable d'attribuer à la franc-maçonnerie
et à son action le développement de l'anti-cléricalisme en France. Certes,
nul ne pourrait nier la part des loges au mouvement anticlérical, mais s'il
est incontestable qu'elles ont versé l'huile dans les flammes, on doit aussi
reconnaître que le feu couvait sous les cendres. Lorsqu'avec la Constitution
de 1875 le parti républicain arriva au pouvoir, tout le clergé et les catholiques
militants étaient réunis dans le camp monarchiste. Cette attitude s'explique
et s'excuse facilement, sans évoquer les liens historiques entre l'église
et la monarchie, ni les persécutions de la première Révolution; il suffit
de constater que le parti républicain s'est toujours montré l'ennemi de
l'Église. Mais il faut convenir que les partisans de la République se heurtaient
surtout contre l'Église, d'où le mot : le cléricalisme voilà l'ennemi qui
résume en somme l'idée civile et politique de la Révolution française. L'opposition
du clergé contre la république n'est pas due à une antipathie superficielle
contre une forme de gouvernement: il y deux doctrines hostiles en présence.
Le catholicisme ne prescrit ni la monarchie ni la république, mais il exige
la profession publique et légale du catholicisme dans la Société et dans
l'État. La conception du parti républicain est toujours contraire, elle veut
séparer l'ordre politique et l'ordre religieux. Il s'ensuit que la religion
est relégué de la vie sociale dans la vie privée. Voilà la raison primordiale
du conflit entre les catholiques et le parti républicain. Or, dans cette
lutte le suffrage universel s'est prononcé pour la République. C'est en vain
qu'on avait dénoncé au peuple les méfaits de la laïcisation, c'est en vain
qu'on a essayé de réveiller des sentiments religieux, son vote a toujours
soutenu la politique anticléricale. La vérité est que le peuple français
ne veut pas que le clergé s'immisce dans les affaires politiques.
Paris, le 28 janvier 1907
De la Strassburger Post (25 janvier)
Le correspondant français fait remarquer que l'État français a fait
un nouveau pas vers l'Église catholique, un pas que, même les défenseurs
les plus zélés de l'autorité de l'Église ne sauraient autrement taxer que
d'acte de prévenance. Les ministres ont présenté à la commission des réunions
publiques un projet de loi qui a le même but que la proposition FLANDIN, mais
qui va plus directement au but visé et qui est plus simple à employer. Il
s'agit d'abolir l'obligation de la déclaration
pour les réunions publiques.
Le correspondant dit que le texte du projet de loi est clair et concis.
l'Église, par là, sera mise encore plus sous
le régime du droit commun. Elle n'aura aucun privilège, mais elle ne sera
pas placée non plus en droit au dessous de n'importe quelle association.
A voir de plus près, elle aura encore quelques avantages sur les autres
associations, dans le sens que l'autorité de l'État s'engage à empêcher
ou à punir les troubles provoqués dans un service religieux. Aucun prêtre
ne sera obligé à la déclaration ; il ne sera plus placé entre l'interdiction
de l'État et celle du Pape. Le vote du nouveau projet paraît assuré. Même
le député FLANDIN a accepté la rédaction du Gouvernement. Tout homme équitable
doit donc convenir que le Gouvernement français a la volonté sincère d'être
prévenant envers l'Église et de maintenir la paix religieuse. Néanmoins
les journaux républicains à Paris ne se livrent à aucun espoir prématuré
en ce qui concerne l'effet que la prévenance du Gouvernement produira à
Rome. Ils donnent à entendre au contraire que, cette fois encore, le Vatican
trouvera moyen de présenter les nouvelles dispositions comme inacceptables.
Paris, le 29 janvier 1907
De la Strassburger Post (26 janvier)
Ce journal donne en guise de correspondance de Paris, une note du
"Pariser Post" (feuille lithographiée dirigée par M. STEINHERZ) sur les troubles
de Sainte Anne d'Auray.
On s'attendait, dit la note, à une résistance acharnée. Le bruit
courait que les alentours du sanctuaire étaient surveillés par des aristocrates
de la contrée qui ont une armée de paysans vigoureux sur leurs ordres. Près
du séminaire eut lieu le premier choc entre les troupes et les paysans. Ceux-ci
criaient : Vivent les Prussiens ! A Berlin ! Ils voulaient probablement
dire, par ce cri, qu'en Prusse les catholiques sont actuellement mieux
traités qu'en France.
Paris, le 31 janvier 1907
Du Morning Post (30 janvier)
Le correspondant français dit que le manifeste de l'épiscopat français
éveille dans certains milieux l'espoir qu'un modus vivendi pourrait être
sous peu établi, de concert avec le Gouvernement, et le "Temps" considère
cette dernière déclaration des évêques comme une porte ouverte à la voie
de la conciliation.
Paris, le 2 février 1907
La TRIBUNA (30 janvier)
Le correspondant parisien, M. CANE, croit que la France et le Vatican
sont entrés dans la voie de réconciliation entre la France et le Vatican.
On ne sait encore rien de la Conférence des Évêques
convoqués d'urgence par M. Denys COCHIN. Est-ce qu'on est à la veille
de voir M. BRIAND triompher de l'obstination du Pape ? Des bruits courent
que le Vatican est définitivement gagné à des idées plus conciliantes.
Ce résultat, disent les uns, est dû à la fermeté avec laquelle les évêques
français auraient manifesté leur mécontentement au Pape.
Strassburger Post (31 janvier)
Le correspondant parisien croit avoir remarqué que les premiers effets
de la réunion des Évêques à La Muette commencent à devenir visibles Les
accords entre les évêques et le Vatican concernent le service religieux,
qui, autant que possible, doit se faire publiquement. l'Église, il est vrai,
met certaines conditions à l'exécution de cette intention; elle a dressé
même un programme en toute règle, qui doit être suivi, non seulement par
les serviteurs de l'Église, mais aussi par les organes de l'État. Le correspondant
fait une analyse du programme des évêques et fait remarquer, à ce propos,
que ce programme est un premier pas que le Vatican fait vers la réconciliation
ou du moins vers l'établissement d'un "modus vivendi" pacifique avec l'État.
Reste à savoir si le pouvoir laïque acceptera ces propositions. D'un côté,
il est incontestable que le Ministre des Cultes, M. BRIAND, a toujours jours
tendu les nains vers la réconciliation, mais, d'autre. part, le délai de
18 ans demandé par l'Église pourrait paraître un peu long. Pendant ce temps
bien des choses peuvent se passer qui changeraient la situation et voila
pourquoi on ne voudrait pas se lier pour un si long terme
Strassburger Post (1er février)
Le correspondant parisien constate que la déclaration des évêques a provoqué
des explosions de colère dans tous les journaux radicaux et socialistes
et cette colère se comprend.
M. JAURES parle d'un nouveau concordat, celui des bâtiment, que le
Vatican voudrait imposer à l'État. C'est la condition posée par les évêques,
que toutes les communes doivent accepter le traité proposé, qui provoque
l'indignation des républicains avancés. On ne veut pas se laisser imposer
de nouvelles conditions par Rome, et on ne veut pas se lier par un. traite
conclu pour de longues années. Les journaux cléricaux on poussé des cris
un triomphe à propos de la déclaration des évêques qu'
ils ont représentée comme l'extrême concession que le vainqueur puisse accorder
au vaincu. C'est du malaise ainsi produit que souffrait aussi la séance
de la Chambre, lorsqu'on discutait du droit de réunion. Le député socialiste
ALLARD dont on ne peut guère approuver les projets de persécution religieuse,
avait cependant raison en appelant le projet de loi, une loi de circonstance.
Le correspondant parlant ensuite d'un article de M. de LANESSAN qui
félicite l'Allemagne de la défaite des socialistes, dit que M. de LANESSAN
comme beaucoup de Français, a un jugement faux sur l'Allemagne en croyant
qu'une victoire socialiste pourrait pousser l'empereur et le parti militaire
à chercher une diversion à l'extérieur. On montre toujours une peur excessive
des intentions belliqueuses de l'Allemagne.
Paris le 4 février 1907
"Vorwaerts" (1er février)
Le correspondant parisien, résumant la Déclaration des Évêques, dit
que cette offre approuvée par le pape est, dans la forme où elle est présentée,
inacceptable pour la République, d'autant plus que les Évêques posent comme
condition absolue qu'elle soit acceptée sans exception par tous les Maires
et Préfets de France. L'offre est aussi inacceptable dans la pratique,
car les 30 000 Maires ne se décideront pas à signer un traité qui leur
fait abandonner le droit de demander, le cas échéant, un loyer pour l'Église.
L'exigence d'une conclusion collective et solidaire du traité présente évidemment
une tentative de retour au Concordat sous une nouvelle forme. l'Église signerait
un traité avec l'État non par l'intermédiaire du Pape, mais par les curés.
Même le "Temps" juge impossibles les conditions du clergé, mais il est d'avis
que l'Église sera contente si on lui assure l'usage gratuit des églises.
Mais pour cela il faudrait changer la loi du 2 janvier et il n'est guère
probable que la gauche radicale permette au Gouvernement d'accorder de nouvelles
conditions. Toutefois l'offre paraît être le symptôme que l'Église a reconnu
que sa politique, poussant à l'excitation des fidèles, a complètement échoué
et que si elle persévère dans sa résistance elle ne le ferait qu'à son préjudice.
Paris le 4 février 1907
CORRIERE della SERRA (2 février)
Le correspondant parisien, M. CROCI, dit que des télégrammes de province
rapportent que les curés ont déjà commencé à adresser des questions aux
Maires sur la location des églises. La Circulaire de M. BRIAND a fait suspendre
les pourparlers entre Maires et curés. Cette circulaire a évidemment pour
but de faire gagner du temps, mais elle n'exclut pas la possibilité d'un
accommodement. Tout pronostic serait cependant risqué en ce moment et à
en juger par quelques commentaires, le Gouvernement espère aussi que les
évêques au lieu de s'adresser aux préfets s'adresseront au Ministère. On
dirait presque que toutes les difficultés ne tiennent qu'à une question
d'amour propre entre les deux Puissances en litige.
CORRIERE della SERRA
Le correspondant parisien, M. CROCI, écrit que les espoirs d'une
réconciliation entre l'État et le Clergé se sont évanouis, et le conflit
religieux semble au contraire destiné à s'aggraver. De part et d'autre,
on a prononcé hier des paroles qu'on croit irréparables. M. BRIAND avait quitté la salle pour
donner sa démission de Ministre, et pendant ce temps M. CLEMENCEAU faisait
à la tribune un geste qui renversait tout projet conciliant. L'attitude
prise hier par M. BRIAND montre une fois de plus qu'il est animé d'un désir
de conciliation. Tous les journaux constatent qu'une crise était déjà ouverte
et qu'elle ne fut conjurée que parce que M. CLEMENCEAU préfère des excuses
au suicide ministériel.
Beaucoup font remarquer que M. CLEMENCEAU applique à son propre Cabinet
le même style de démolition dont il s'était si souvent servi contre les
Ministères précédents.
Paris le 6 février 1907
"KOELNISCHE VOLKSZEITUNG" organe des catholiques allemands (4
février)
Les savants du Bloc, écrit le correspondant parisien, voient des
influences étrangères derrière le Vatican; le Pape lui-même est pour eux
une Puissance étrangère. Alors, il est vraiment intéressant de constater
que ces mêmes Messieurs prennent plaisir à invoquer l'étranger quand ils
peuvent l'exploiter pour leur thèse. Voilà que le nouveau journal de M.
GERAULT-RICHARD voit dans la visite du roi ÉDOUARD VII une manifestation
motivée par la politique religieuse de la France et un essai d'amener le
Vatican à céder. Je serai curieux de savoir ce qu'ÉDOUARD
VII peut dire du radotage de ses trop zélés admirateurs. Si les anticléricaux
cherchent les causes de la prévenance de Pie X, ils avouent par là que la
Déclaration des Évêques n'est pas un ultimatum, mais un pas vers la réconciliation.
Le pont qui mène à l'entente est bâti, le Gouvernement n'a qu'à vouloir.
Voudra-t-il ?
Paris le 7 février 1907
Le correspondant parisien de la "Gazette de Francfort"
est d'avis que la circulaire envoyée par
M. BRIAND aux Préfets en réponse à la déclaration des évêques est en somme
de beaucoup plus prévenante que les rudes déclarations de M. CLEMENCEAU.
Le correspondant fait une analyse de cette circulaire et ajoute que
les divergences de vues entre la République et le Vatican restent en état.
Néanmoins, dit-il, les évêques pourraient s'accommoder avec la manière de
voir du Gouvernement. Ils pourraient sans difficulté et conformément à la
loi sur les associations, fonder des conseils de fabrique et transmettre
leur droits à ces dernières. M. BRIAND lui-même dans ses instructions a indiqué
cette solution. Reste à savoir ce qu'en diront les évêques.
Paris, le 14 février 1907
"La TRIBUNA" 11 février
Le correspondant parisien, M. CANE, rapporte d'abord que le dépouillement des papiers saisis à l'ancienne
nonciature est terminé et a eu pour conséquence la convocation des
trois curés au Cabinet du Juge d'instruction.
Entre temps, dit-il, on continue à croire à la possibilité d'une
entente. Plusieurs évêques, qui ont été questionnés, ont fait des déclarations
dans ce sens. Un prélat, qui a été beaucoup mêlé aux événements de ces
temps derniers, a dit que les évêques ne désespèrent pas et que la nouvelle
d'un nouveau refus du Vatican n'est qu'une manœuvre. Un autre prélat aurait
dit que rien n'est jusqu'ici changé dans les instructions du Vatican et,
qu'à l'heure qu'il est, il y a certainement des pourparlers entre Paris et
Rome, car le Pape ne voulant pas admettre les Associations Cultuelles, ni
même les Conseils de fabrique, il faut prendre du temps pour chercher une
autre solution que d'ailleurs on espère trouver bientôt. Le correspondant
trouve encore plus significatif les déclarations faites par le cardinal
LECOT à un interviewer, dont il reproduit le passage le plus important.
Les dépêches arrivées de Rome, conclut le correspondant, bien qu'elles annoncent
que le cardinal MERRY del VAL a voulu justifier le refus du Saint-Siège devant
le Corps diplomatique, répètent que le Pape est toujours décidé à faire
une politique de paix, mais qu'on veut le convaincre de la nécessité de
se mettre dans la défensive.
Le correspondant parisien du "Strassburger Post" dit que les
espérances attachées à la circulaire bienveillante de M. Briand paraissent
être de nouveau tombées à l'eau. On peut dire qu'une fois de plus, M. BRIAND
n'a pas eu de chance avec ses instructions et ses conseils si bien intentionnés.
On dit qu'il ne manque qu'un seul mot pour amener l'accord, mais personne
ne veut prononcer le premier mot d'entente. L'une des deux parties sera forcé
de céder, c'est évident, et comme jusqu'ici, depuis le vote de la première
loi sur la séparation le Gouvernement a toujours cédé, il est fort probable
que c'est le Gouvernement qui battra en retraite.
MUENCHER NEUESTE NACHRICHTEN 12 février
Le correspondant parisien, M. TREUSCH, insiste sur la différence
qui existe entre l'attitude de M. CLEMENCEAU et celle de M. BRIAND au sujet
de la circulaire des évêques.
La formule de traité proposée par M. BRIAND, dit-il, ne diffère que
peu de celle des évêques. Malgré la sortie de M. CLEMENCEAU, M. BRIAND continue
tranquillement dans la voie où il marche depuis plusieurs mois. Il persévère
dans son plan de démontrer devant le public que ce n'est pas la faute du
Gouvernement s'il n'y a pas de modus vivendi L' incohérence dont
M. CLEMENCEAU a parlé consiste maintenant en ceci: le Président du Conseil
repousse du "pied" ce que le Ministre des Cultes s'empresse de ramasser. Évidemment M. BRIAND, après l'étrange incident à la
Chambre, n'a consenti à rester à son poste qu'à la condition qu'on le laissât
faire. Il est tout naturel que l'autorité de M. CLEMENCEAU; qui maintenant
laisse du nouveau toute liberté d'action à M. BRIAND, est gravement entamée
par ce fait. Plusieurs voient déjà M. BRIAND comme futur Président du Conseil.
M. BRIAND réussira-t-il à maintenir les églises au service public
du culte ? Dans son projet de traité il reconnaît l'autorité de la hiérarchie
ecclésiastique, et pourtant on n'a pas été satisfait; comme toujours on
a trouvé qu'il n'avait pas fait assez de concession. Si l'Église veut sérieusement
une entente, on pourra trouver une issue. Elle a déjà fait des concessions,
car le formulaire de traité qu'elle propose, se réfère à la loi de 1905
et à celle de 1907; mais si le Pape veut l'évacuation des églises et le
service religieux privé, alors M. BRIAND aura beau céder de nouveau, rien
n'y fera. Quoi qu'il en soit, M. BRIAND est resté fidèle à sa politique
: les catholiques n'ont pas été forcé d'abandonner les églises. En ce moment
on assure qu'à Rome on est disposé à la paix et qu'on ne songe pas à déserter
les églises; mais jusqu'ici le Pape a toujours pris une décision à la dernière
heure, qui était tout autre que ce qu'avaient annoncé ses familiers, ce serait
donc une grande surprise si le Pape prononçais maintenant une parole de paix.
Paris, le 18 février 1907
de "La TRIBUNA"
Le correspondant parisien, M. CANE, après avoir annoncé que la formule
de la paix a été communiqué aux évêques, ajoute que les Combistes se montrent
mécontents.
Les partisans de M. Combes en effet, déclarent que le chef d'œuvre
d'incohérence de M. Briand a été couronné : la séparation voulue par le
pays se transforme en machine de guerre, au service du clergé romain. M.
Briand, disent-ils, a travaillé pour les Jésuites. Il parait que M. Clemenceau
n'est pas satisfait non plus, et c'est à sa mauvaise humeur que d'aucuns
attribuent les bruits de sa démission.
On ajoute, d'autre part, que M. Briand a pour lui la majorité des
Ministres et l'Elysée.
Paris, le 12 mars 1907
(de Londres)
Sur la proposition de deux de ses membres, l'amiral Lord Walter Kerr
et le général Sir Martin Dillon, la "Catholic Union of Great Britain" a
décidé de préparer une note qui sera distribuée à chacun de ses membres
et envoyée à la presse.
Cette note exprime de la sympathie pour le Pape et de l'admiration
pour la ligne de conduite qu'il a adopté au sujet de la crise actuelle
en France.
La note fait ensuite l'exposé de la difficulté religieuse française,
ses causes, ses effets et cela dans le but d'éclairer l'opinion britannique
qui, jusqu'à présent, a été imparfaitement renseignée.
"Les Ministres qui gouvernent actuellement la France ne cachent pas
leur intention de bannir Jésus Christ de la vie publique et privée de leur
pays et d'effacer le nom de Dieu non seulement sur les pièces de monnaie,
mais aussi de l'arracher du cœur et de l'esprit de leurs concitoyens"
Cette note est signée par Mr W.S. Lilly, Secrétaire de la "Catholic
Union of Great Britain"
Paris le 15 mars 1907
Le "Secolo" publie le télégramme suivant de son correspondant
de Rome:
"Bien qu'on essaie de démentir le fait, il existe une agitation croissante
parmi les évêques français, qui sont unanimes à ne pas vouloir tolérer
que le Pape usurpe le droit exclusif de nommer les évêques de France. Pie
X, cependant, s'obstine dans cette intention et, dans le prochain Consistoire,
par des brefs personnels, il nommera d'autres évêques français.
Les évêques venus à Rome ont donné à comprendre les dispositions
de l'épiscopat, mais le Pape s'obstine a ne rien vouloir entendre.
La Congrégation du Saint-Office, naturellement, feint de prendre
au sérieux des informations de sources très suspectes et prépare des nominations
qui finiront par déterminer une scission inattendue et peut-être la rupture
entre l'épiscopat français et le papisme romain"
On a discuté sérieusement au Vatican Sur l'opportunité de 1a représentation
du Saint-Siège par un haut délégué, légat in partibus, à une troisième
réunion générale de l'épiscopat français.
Le pape et les évêques français approuvaient en principe cette représentation.
Au dernier moment, toutefois, ce projet a été abandonné : on a craint que
le Gouvernement français ne veuille point tolérer la présence d'un représentant
, même officieux du pape, dans une assemblée d'évêques français tenue sur
le territoire de la République.