Le Siècle du 30 janvier 1907
A la Chambre : séance du 29 janvier 1907
.........
L'ordre du jour appelle alors la discussion du projet
de loi relatif aux réunions publiques et de la proposition de loi
de M. Étienne Flandin sur la liberté de réunion.
M. Allard dit que le projet de loi présente
de tels avantages pour tous les citoyens, au point de vue du droit de réunion,
qu'il n'hésitera pas à le voter, mais il estime que ce n'est
pas par amour de la liberté que M. Flandin et le gouvernement proposent
cette extension du droit de réunion; non, c'est une nouvelle concession
que l'on a voulu faire à l'Église. L'orateur développe
longuement cette thèse :
On a fait
ainsi disparaître le déclaration utile pour les municipalités,
mais gênante pour le clergé. Avec elle disparaît la
sanction de la suppression des allocations.
Je tiens
à protester contre ces lois de circonstance et contre les attitudes
successives du gouvernement vis-à-vis de l'Église. De concession
en concession, il en arrive à accorder à l'Église,
contrairement à la loi de 1905, le droit d'exercer le culte dans
les conditions qu'elle voudra.
Les cas
de désaffectation des églises du culte tombent après
le vote de la loi de 1907 et de celle qui est soumise à la Chambre,
en sorte que les églises seront affectées en perpétuité
au culte. (Mouvements divers) Le gouvernement s'est donc incliné
de plus en plus devant les prétentions de Rome.
La loi
de 1907 est un véritable casse tête chinois par suite de sa
rédaction imprécise. A quel prêtre le maire devra-t-il
céder l'église ? Le gouvernement, pour faire jouer sa loi,
est obligé de reconnaître la hiérarchie ecclésiastique.
Voilà où nous en sommes. Les maires sont soumis à l'arbitraire
gouvernemental dont le clergé n'a rien à craindre.
Un autre
inconvénient de la loi de 1907 c'est d'imposer aux communes les dépenses
d'entretien des églises, bien qu'elles soient à la disposition
du clergé, même s'il n'a pas de titre juridique.
M.
Allard déclare qu'il votera la loi, mais qu'il déposera un
amendement excluant du bénéfice de la loi nouvelle, les associations
pour le culte. (La gauche applaudit et rit)
M. Allard termine ainsi :
Pendant
que la Chambre s'apprête à voter une loi nouvelle favorable
au clergé, que fait ce clergé ?
Les évêques ont
tenu une réunion dont le compte rendu a paru dans le Figaro.
Ils déclarent qu'ils ne veulent pas l'ingérence des magistrats
dans les affaires de l'Église. Ils veulent que le contrat administratif
qui sera passé entre le maire et le prêtre soit le même
partout. C'est, en somme, un nouveau Concordat que l'église veut établir
dans toutes les communes de France.
Le clergé
veut la reconnaissance formelle de la hiérarchie romaine.
Si les
évêques, demain, menacent d'abandonner les églises -
car le gouvernement considère le culte privé comme un cataclysme
qu'il veut éviter à tout prix - et manifestent de nouvelles
exigences, le gouvernement va-t-il les suivre encore comme il l'a fait jusqu'ici
? Et déposera-t-il encore une nouvelle loi ? (Applaudissements à
gauche)
M. E. Flandin, rapporteur, répond brièvement;
il déclare que le gouvernement veut éviter une agitation
que certains semblent désirer et n'épargnera rien pour cela.
M. Briand répond à son tour; il
déclare qu'il pourrait ne retenir des critiques de M. Allard que la
conclusion. Après avoir qualifié le nouveau projet de loi d'incohérent
et l'avoir présenté comme une concession nouvelle, M. Allard
a conclu en disant qu'il voterait ce projet; il participera ainsi, avec
le gouvernement, à tous les méfaits que le gouvernement invite
invite la Chambre à commettre avec lui.
M. Allard
avait déjà commis une faute analogue en votant la dernière
loi présentée par le gouvernement. Il sera très malheureux
le jour où la séparation étant passée définitivement
dans les mœurs, il ne lui sera plus possible de faire à la tribune
des discours pleins d'humour comme celui qu'il vient de faire, mais il
voudra bien convenir qu'il y a diverses manière de comprendre la
séparation.
M. Allard
avait présenté un contre-projet dans lequel il admettait
qu'on pouvait livrer les églises à tout le monde, sauf aux
prêtres catholiques et dans lequel il montrait une conception singulière
de la libre-pensée ; cette conception ne pouvait être celle
du ministre qui a invité les républicains à ne pas suivre
M. Allard dans la voie dangereuse où il voulait les entraîner.
Parmi
les catholiques, il ne faut pas nier qu'il y en ait qui pratiquent leur
religion par conviction; quand il n'y en aurait que mille, on n'a pas le
droit de les gêner.
M. Allard
dit : l'Église est à la collectivité, donc à
la commune. C'est vrai, mais l'Église a été faite pour
un but qu'on ne saurait méconnaître. Quand on vient dire : la
commune reprendra l'église, elle l'emploiera à un autre usage.
Les maires n'accepteraient pas de bon coeur la tâche que M. Allard
veut leur faire assurer.
M. Allard
ajoute : Les catholiques pourront toujours prier, se réunir; ils
achèteront des locaux. Mais avec sa théorie, il pourra aussi
leur reprendre ces locaux dans quelque temps. (protestations à gauche.)
Vous voulez bien reprendre les églises qui ont été cependant
construites comme cela. (Mouvements divers.)
Les nouvelles
églises, dans la situation actuelle, le seraient forcément
par un effort collectif des habitants, et il serait difficile encore d'établir
la personnalité juridique qui les aurait édifiées.
Le gouvernement
a fait ce qu'il était juste de faire. M. Allard a dit que le pape
avait fait chanter le gouvernement ; singulier chantage : l'Église
a perdu tous ses biens. La seule concession qui a été faite,
c'est celle-ci : les associations de la loi 1905 n'ayant pas été
formées, le gouvernement a laisser le culte s'exercer librement en
France.
Beaucoup
des amis de M. Allard ont invité le gouvernement à ne pas
porter atteinte à la liberté de conscience, par loyauté
d'abord, et par crainte d'entraîner le pays trop avant dans les luttes
religieuses, à la veille des réformes sociales à accomplir.
Le gouvernement
se fait honneur d'avoir laissé les catholiques prier librement dans
les églises. On n'a pas le droit de dire qu'il ait fait en cela
une concession humiliante.
M. Allard
ajoute que le projet actuel est une loi de circonstance qui constitue une
nouvelle humiliation du gouvernement. C'est une erreur; cette loi n'était
pas inattendue, car le ministre avait annoncé qu'il ne tenait pas
à la déclaration et qu'il était disposé à
la supprimer pour tous les citoyens. Cette formalité n'a pas été
condamnée par la dernière encyclique; ce n'est donc pas à
une sommation de Rome que le gouvernement a obéi.
M. Flandin
ayant déposé une proposition, le gouvernement a tenu sa promesse
en présentant lui-même un projet de loi qui rend la déclaration
facultative. M. Allard ne peut pas admettre qu'on ait fait disparaître
par là la sanction de la suppression des allocations. Quant à
moi, je ne regrette pas cette sanction.
Il s'agit
ici d'une mesure plus large qui donne plus de liberté à tous
les citoyens.
C'est
l'honneur du régime parlementaire de faire des lois de liberté
que M. Allard appelle "lois de circonstances"
M. Allard
a annoncé que la dernière déclaration des évêques
faisait prévoir de nouvelles concessions que le gouvernement serait
amené à faire à Rome. On verra. Quant à moi,
je vois dans ce document, l'acceptation, pour la première fois, d'un
régime légal des cultes, et non un défi au gouvernement.
Quant
aux contrats relatifs aux églises, ce sont les maires qui sont appelés
à les passer.
dans l'intérêt
de la pacification et de la tolérance, le gouvernement demande à
la Chambre de voter le projet de loi (Applaudissements.)
La discussion générale est clause
La Chambre passe à la discussion des articles.
Le président lit l'article premier : " Les réunions
publiques, quel qu'en soit l'objet, pourront être tenues sans déclaration
préalable et à toute heure."
M. Ghesquière, sur cet article premier, présente
un contre-projet ainsi conçu :
Article
premier. - Les réunions sont libres.
Art. 2.
- Dans chaque commune, le maire doit mettre à la disposition des
citoyens un local ou un emplacement quelconque afin de leur assurer le libre
exercice du droit de réunion.
Art. 3.
- Les réunions pourront se tenir sur la voie publique, à condition
de ne pas entraver la circulation.
Art. 4.
- La demande de local devra être adressée au maire contre récépissé
tiré d'un livre à souches, par le ou les organisateurs, qu'ils
soient ou non de la commune, et fixant le jour, l'heure et le lieu de la
réunion.
Art. 5.
- Toutes les dispositions contraires à la présente loi sont
abrogées
M. Ghesquière explique et défend son
contre-projet. Il estime que les réunions sur la voie publique étant
autorisées en Angleterre et en Belgique peuvent l'être en France.
M. Clemenceau qui lui répond, pense,
au contraire, qu'autoriser les réunions sur la voie publique, sans
que l'ordre soit troublé, équivaut, a peu de chose près,
à la quadrature du cercle ! Honneur donc à l'Angleterre et
à la Belgique qui ont résolu ce difficile problème
!
Les réunions
sur la voie publique existent surtout dans le Midi. C'est une question
de fait, de tolérance; mais le gouvernement ne peut s'en remettre
sur ce point à la décision du maire. Quant au droit tout différent
de manifestation, je suis prêt à discuter la question si elle
est posée. Pour le droit de réunion, les choses doivent rester
en l'état.
M. Ghesquière
a parlé des locaux pour les réunions publiques. Il faudrait
spécifier quels sont ces locaux, car les gouvernement ne peut forcer
les maires à faire cette dépense.
M. Adrien
Veber. - Ces locaux existent; il s'agit d'obliger les maires à les
mettre à la disposition des organisations diverses.
M. le
président du conseil. - Je suis d'accord sur le principe avec M.
Veber.
S'il n'y
a pas de local, le gouvernement ne poursuivra pas ceux qui auront organisé
une réunion sur la vois publique. Il continuera à user de
la plus large tolérance.
C'est
aux associations privées de créer ces salles de réunion.
M. Groussier.
- Une réunion peut-elle avoir lieu légalement dans une cour
ou dans un champ ?
M. le
président du conseil. - Oui, si le propriétaire donne l'autorisation.
Ce n'est pas la loi, mais c'est une tolérance qui sera maintenue.
M.
Groussier rappelle que, dans la loi de 1881, il a été dit
que les réunions pouvaient avoir lieu légalement en plein air,
dans un champ ou dans une cour. Le rapporteur le déclara formellement
à M. Cunéo d'Ornano.
..................
M. Ghesquière retire son contre-projet. L'article
premier de la commission est adopté.
.....
M. Allard présente une disposition additionnelle
à l'article premier portant que la déclaration prévue
par l'article 4 de la loi de 1907 reste obligatoire et qu'elle devra mentionner
le nom du prêtre.
........
Le
président du conseil dit qu'il a parlé en toute liberté,
mais il n'a jamais pu croire qu'une parole de lui pût blesser son
honorable ami.
S'il en
est ainsi, je lui en exprime publiquement mes regrets.
Son concours
nous est indispensable ; le parti républicain et le gouvernement
doivent à M. Le ministre de l'instruction publique une grande reconnaissance
pour les grands services qu'il a rendus. (Applaudissements.)
J'espère,
en lui parlant au nom de la majorité républicaine et en lui
donnant les explications qu'il est en droit de demander, le faire revenir
sur la pensée qu'il aurait eue de se retirer. (Applaudissements.)
M.
Clemenceau quitte la salle et revient peu après avec M. Briand qui
reprend sa place à son banc. (Vifs applaudissements.)
M. Paul Meunier dit qu'il n'a rien à répondre
aux paroles républicaines prononcées par le président
du conseil.
Quant à celles qu'il a prononcées sur
le ministre de l'instruction publique, l'orateur est convaincu qu'elles n'avaient
rien de personnel.
S'il a présenté son amendement, c'est
parce qu'il n'avait pas considéré que le projet du gouvernement
fût intangible.
En présence des incidents qui se sont produits
et pour ne pas provoquer de divisions entre républicains, l'orateur
retire l'amendement.
L'ensemble du projet de loi est adopté par 550
voix contre 5 .......
Au Sénat le 14 février
1907
...................
Le sénat aborde l'examen du projet voté
par la Chambre, relatif à la suppression de la déclaration
pour les réunions publiques.
M. Maurice Faure a la parole.
Un certain
nombre de républicains de cette assemblée dont je suis l'interprète
ne sauraient, dit -il, quoi que soit leur désir de seconder les
vues du gouvernement, consentir à accepter sans réserves une
loi qui, devenue peu conforme aux intentions premières du gouvernement,
ne concilie pas suffisamment le souci de la paix religieuse avec les droits
des municipalités.
Nous adhérons
à la suppression de la formalité de la déclaration.
Mais il
nous est impossible d'admettre que les réunions publiques puissent
désormais, sans restriction aucune, être tenues à toute
heure de la nuit. (Approbations.)
Tout le
monde aperçoit combien une pareille latitude, laissée à
tous, serait de nature à compromettre la tranquillité publique,
surtout dans les petites communes où la police est réduite
à peu de chose.
Quelle
responsabilité ne ferait-on pas ainsi peser sur les maires ?
Quels
moyens fournirait-on pas aux tapageurs d'éluder les arrêtés
municipaux qui fixent l'heure de fermeture des établissements publics
?
Ce serait
la licence organisée au profit des cabaretiers.
Le gouvernement,
il faut le dire, n'avait songé à rien de pareil. Son projet
ne comportait pas cette liberté illimité de réunion.
La commission de la Chambre n'y avait pas songé davantage. C'est
une improvisation faite en séance qui nous place en face de cette
question dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est inattendue.
Je ne
voudrais pas prononcer ici le mot d'"incohérence", mais il y a là,
c'est manifeste, un de ces mouvements de séance qui font parfois perdre
de vue au législateur le but qu'il poursuit.
La vérité
est qu'on a cru résoudre par là la question de la messe de
minuit.
Il n'était
pourtant pas besoin pour un tel résultat de bouleverser la loi de
1881 et de compromettre les pouvoirs des maires.
Personne
ne songe à gêner cette cérémonie de Noël,
qu'autorise un long usage et qui ne menace rien.
Le Sénat
se souviendra que son rôle est de ne pas céder aux entraînements.
C'est
de sa prudence qu'est faite son autorité. Il lui appartient de montrer,
une fois de plus, qu'il n'est pas disposé à laisser porter
légèrement et inutilement atteinte aux lois qui ont fondé
en France la liberté et organisé la démocratie. (Applaudissements.)
M.
Le Provost de Launay a la parole. Il entreprend de répondre au projet
de M. Eugène Lintilhac.
- On nous
parle, dit-il, de la bonté maternelle de l'État, alors qu'on
a confisqué les biens de l'Église et des communautés.
Si l'on était sincère, la loi devrait dire tout simplement
que les réunions cultuelles sont dispensées de toute déclaration.
Autrement
la liberté de toutes les réunions sans déclaration
préalable ouvre celle des clubs, des manifestations et des réunions
dans les cabarets, et cela, comme vient de le dire M. Maurice Faure lui-même,
à n'importe quelle heure. C'est l'encouragement à l'alcoolisme,
et cette loi est en même temps une loi de désordre.
M. Fressard.
- Le projet de loi n'a pas été inspiré par l'idée
d'étendre les libertés de réunion, que tout le monde
reconnaît suffisantes ; mais la loi de 1881 fait obstacle au libre
exercice du culte. Je suis prêt à assurer ce libre exercice,
mais il ne faut pas compromettre l'ordre et la sécurité dans
nos villages.
J'accepte
la suppression de la déclaration préalable, mais il n'est
pas possible d'étendre la faculté de se réunir à
toute heure du jour et de la nuit. Les municipalités seraient dans
l'impossibilité d'exercer leur droit de police par la fermeture des
établissements publics. On donnerait à toutes les beuveries
l'apparence d'une réunion publique. La loi actuelle aurait des effets
funestes.
Il faut
en supprimer les mots "et à toute heure" qui ont pour but de permettre
la célébration de la messe de minuit. De ce qui aurait dû
être l'exception, on fait la règle. Pour les cas exceptionnels,
tels que la messe de minuit, il faut que la solution soit prévue
par les règlements d'administration publique. (Applaudissements.)
M.
Lintilhac soutient le projet actuel, qui laisse l'église ouverte.
L'autre
jour, à l'Académie française, M. d'Haussonville, jetant
un regard pénétrant sur l'avenir, évoquait devant son
auditoire l'image de ce que sera l'Église nouvelle sous le régime
de la liberté.
L'Église
st une puissance trop ancienne, trop forte et dont l'influence est encore
trop enracinée dans les âmes, pour que le législateur
puisse, sans imprudence, méconnaître ses ressources. Ceux
qui commettraient cette erreur seraient bien mal inspirés.
Il leur
est, certes, loisible d'envisager un avenir où la conscience des
hommes sera plus libre et même définitivement affranchie. Mais
pourrait-on, sans chimère, faire abstraction des sentiments et des
habitudes acquises de millions de Français ?
Ces sentiments
et ces habitudes, nous considérons comme un devoir, comme de bonne
politique ensuite, de les ménager, de les respecter. Il ne peut
y avoir hors de là ni de paix des consciences, ni de paix publique.
(Très bien !)
La loi
actuelle est utile, si les baux dont il est question actuellement doivent
être signés; si ces baux n'étaient pas signés,
la loi offre un modus vivendi : elle laisse l'église ouverte.
La commission
vous demande de la voter.
M.
Briand monte à la tribune :
Je dois,
dit-il, excuser auprès du Sénat, M. Le président du
conseil, que la maladie empêche de venir défendre devant cette
assemblée, avec son autorité et son talent, le projet de loi
qui est soumis à votre examen.
Ce projet
de loi procède du même esprit d'apaisement, de tolérance
et de conciliation qui n'a cessé, jusqu'à ce jour, d'inspirer
la politique du gouvernement en matière religieuse.
Nous avons,
en effet, poursuivi une politique de conciliation, systématiquement
et peut-être pas sans mérite, étant donné les
difficultés de la situation et les critiques qui ne nous ont pas
épargnées et qui étaient d'autant plus amères
qu'elles ne nous viennent pas toujours d'adversaires. (Rires à droite.)
Nous avons
voulu que la grande réforme de la séparation s'appliquât
dans des principes essentiels d'une manière complète, sans
que les habitudes du pays fussent en rien troublées et sans qu'aucune
atteinte fût portée à la liberté de conscience
ni à la liberté des croyances religieuses.
Cet esprit
qui nous a animés nous a-t-il entraînés à des
mesures de défaillance ? Avons-nous trahi les intérêts
de la République ? Avons-nous porté atteinte aux principes
essentiels d'une réforme que la grand majorité du Parlement
a voté et que le pays, par ses élections générales,
a ratifiée ?
Le jour
où l'on fer le bilan des résultats de la séparation,
il sera prouvé que si le gouvernement a été tolérant,
il n'a cependant manqué en rien aux engagements qu'il a contractés
envers le pays républicain, et que, s'il a appliqué les lois
dans un esprit de conciliation, il les a appliquées aussi avec énergie.
(Applaudissement à gauche.)
L'Église
n'a pas voulu de la première loi de séparation: c'était
son droit; aucune sanction ne pouvait la lui imposer. Mais fallait-il qu'à
cause de cela le culte public fut empêché en France, et fallait-il
atteindre dans leurs habitudes religieuses des milliers catholiques parce
que l'Église, dans ses chefs, n'avait pas voulu accepter ...
M. l'amiral
de Cuverville. - ... n'avait pas pu !
M. Briand.
- un mode d'organisation prescrit par la loi. Personne ne pouvait soutenir
un pareil système dont l'application aurait amené la tyrannie
et ouvert une ère de violence et de guerre civile; et le gouvernement
n'a pas cru pouvoir s'engager dans une pareille voie.
Il a cherché
à concilier la législation de 1905 avec l'obligation qui lui
incombait de faciliter à tous les citoyens catholiques la pratique
de leur religion.
C'est
ainsi que nous sommes arrivés à la seconde loi sur les cultes.
On essaie de ridiculiser ces efforts sincères que nous avons faits
vers la conciliation.
Je conviens
que nous n'avons pas fait du premier coup quelque chose de définitif,
mais je ne m'en afflige pas.
Si la
première loi avait jeté le pays dans des convulsions et des
révoltes, on aurait le droit de rechercher nos responsabilités;
mais on ne peut nous reprocher de vouloir faire mieux que nous n'avons fait.
Nous nous
sommes retournés vers l'Église et nous lui avons dit : Vous
réclamez le droit commun, nous vous l'offrons. Vous vous assemblerez
dans vos églises comme tous les citoyens peuvent s'associer dans les
lieux de réunions ordinaires, et nous protégerons ces réunions
spéciales qui ne peuvent pas être troublées.
Vous ne
voulez pas du droit d'association de la loi de 1905; mais vous aurez besoin
de vous associer; nous vous en donnons le droit; vous vous associez sans
déclaration, et ce sera une association de personnes de la loi de
1901; ou vous ferez une déclaration, et vous pourrez ainsi avoir des
ressources et des droits plus étendus.
Ainsi
la loi de 1905 et celle du 2 janvier 1907 apportaient à l'Église
un ensemble de dispositions si suffisant et si complet qu'à l'heure
actuelle, quelque effort que tentent certains intransigeants pour entraîner
l'Église dans la rébellion, il leur est impossible d'aboutir
à leurs fins; le clergé ne peut sortir de la légalité.
Dans ces
conditions il était fatal qu'une certaine détente se produisit
dans les esprits ; aussi les catholique raisonnables ont-ils refusé
de s'engager dans la voie de la violence ; et l'Église elle-même,
malgré les pertes douloureuses qu'elle a subies dans cette lutte pacifique,
a compris que l'opinion publique restait avec nous, parce que nous laissions
entière la liberté du culte, parce que le clergé ne
subissait que les conséquences de se propres fautes. (Très bien
! à gauche. - Protestations à droite.)
M. le
comte de Tréveneuc. - Vous dépouillez les gens et vous les
traitez d'imbéciles !
M. Briand.
- messieurs, en ce qui concerne la loi actuellement soumise au Sénat,
nous pourrions dire pour la justifier qu'elle vise tous les citoyens et
toutes les réunions. Nous aimons mieux déclarer franchement
qu'elle a surtout pour but de faire la conciliation religieuse, d'assurer
l'exercice du culte dans des conditions forcément légales.
Lors de
la discussion de la loi du 2 janvier 1907, on nous reprocha de laisser subsister
l'obligation de la déclaration ; on nous dit que par là notre
œuvre de pacification était compromise, que nous serions obligés
de faire dresser continuellement contre les prêtres des contraventions
qui nous donneraient l'allure de tyrans insupportables et ridicules.
M. Maurice
Faure. - Nous acceptons la suppression de la déclaration.
M. Briand.
- Nous répondîmes à nos contradicteurs que la déclaration
nous paraissait une formalité sans importance et nous nous déclarâmes
disposés à en accepter la suppression mais par voie de mesure
générale pour toutes les réunions quelles qu'elles
fussent.
Nous ne
pouvions admettre que la déclaration obligatoire ne fût supprimée
qu'en faveur de l'Église catholique qui s'était mise en état
de révolte contre la loi. (Réclamations à droite.)
M. Delahaye.
- Pourquoi avez-vous dit tout à l'heure que l'Église n'était
pas en état de révolte ? (Bruit.)
M. l'amiral
de Cuverville. - Nous ne nous sommes pas révoltés.
M. Briand.
- Alors je dirai que l'Église s'était mise en état
de non-obéissance à la loi.
M. l'amiral
de Cuverville. - Non ! l'Église était dans son droit et elle
a fait son devoir.
M. Briand.
- Là-dessus, M. Flandin proposa la suppression de l'obligation.
Le gouvernement pensa qu'il devait lui-même déposer un projet
de loi dans ce sens ; il estimait d'ailleurs que le texte de M. Flandin qui
devait se substituer à celui de la loi de 1881, présentait de
sérieux inconvénients.
Le projet
de gouvernement laissait donc subsister la loi de 1881 ; il rendait facultative
la déclaration, mais pour tous les citoyens et pour toutes les réunions.
Voilà la portée essentielle de notre projet, celle à
laquelle nous tenons le plus. ( Très bien ! très bien ! -
Mouvements divers.)
Sur ce
point, le gouvernement ne pouvait céder.
M. Saint-Germain
et M. Méric. - Nous sommes d'accord avec vous.
M. Briand.
- On a, sur d'autres points, soulevé des objections.
Messieurs,
par l'effet d'une tolérance à peu près générale,
la formalité de la déclaration a à peu près
disparue de nos habitudes.
En édictant
l'obligation de cette déclaration, la loi de 1881 avait surtout
pour but de faire obstacle à la formation de clubs.
Or, la
loi de 1901 a autorisé les clubs. Il n'y a plus de raison de maintenir
la déclaration obligatoire.
En revanche,
il peut être utile de faire la déclaration préalable
d'une réunion publique, car cela dispense de nommer un bureau. Nous
devons donc laisser subsister la déclaration facultative.
Dans la
proposition Flandin on disait que les réunions pouvaient être
tenues à toute heure. C'est là ce qui inquiète un certain
nombre de vos collègues. On a exagéré les inconvénients
de cette disposition. On a craint de voir se prolonger les beuveries toute
la nuit.
D'abord
le cabaret peut être fermé par un arrêté en tant
que cabaret : s'il y a réunion après l'heure indiquée,
le cabaretier se verra dresser contravention s'il distribue de la boisson
et s'il n'en distribue pas où sera son intérêt ? L'autorité
ne serait ainsi désarmée que si elle le voulait bien.
Voix à
gauche. - Que vont devenir les maires ?
M. Briand.
- Il faut faire une certaine confiance aux citoyens et ce n'est pas parce
qu'une liberté est élargie qu'on va en faire usage jusqu'à
l'abus. En somme, l'inconvénient n'est pas grave; mais je le répète,
ce n'est pas le point essentiel.
ce qui
nous dirigés, c'est le désir de faire disparaître toute
difficulté en matière cultuelle. On nous dit que la messe de
minuit subsistera. Soit : mais si vous supprimez les mots "toute heure",
elle subsistera là où les maires voudront qu'elle subsiste;
elle pourra être interdite là où ils voudront. ce sera
une source de conflits.
En outre,
la suppression de ces mots aurait l'inconvénient de faire retourner
le projet devant la Chambre qui, elle, pourra apporter d'autres modifications.
Le projet
a été voté par l'autre assemblée à une
grosse majorité. Je vous demande au nom du gouvernement de l'adopter
tel quel. (Applaudissements)
M. de
Lamarzelle. - Je dois, comme catholique, protester contre la déclaration
de M. le ministre disant que c'est la faute de l'Église si elle est
aujourd'hui dépouillée. Comment peut-on lui reprocher de ne
pas avoir accepté la loi de 1905 ? Vous avez reconnu qu'elle avait
le droit de ne pas admettre l'organisation prévue dans cette loi
comme étant contraire à son institution même. (Très
bien ! à droite.)
M. Briand.
- Les évêques ont accepté la loi.
M. de
Lamarzelle. - M. Combes lui-même a démontré que la loi
n'était pas acceptable par l'Église. (Très bien ! à
droite.)
L'Église
n'a fait que son devoir. vous n'aviez pas le droit de la dépouiller.
Vous lui avez reproché de ne pas s'être soumise à l'obligation
de la déclaration de la réunion publique, mais cette déclaration
n'était pas nécessaire, puisque vous la supprimez aujourd'hui.
La loi
actuelle est faite uniquement pour les réunions cultuelles? Tout le
monde le reconnaît, mais pourquoi ne pas avoir la franchise de le
dire ? (Très bien ! à droite.)
Je ne
veux pas passionner le débat, dans les circonstances actuelles, étant
donné les tentatives de pacification religieuse qui se manifeste de
divers côtés.
Je ne
peux pas cependant laisser passer, sans protestation, les paroles de M.
le président du conseil, repoussant, dans les termes que vous savez,
les déclarations des évêques.
Il est
vrai que ce jour-là, le président du conseil était un
peu nerveux. Mais je n'insiste pas et je me borne à faire des vœux
pour la paix religieuse de ce pays. (Applaudissements à droite.)
M.
Flaissière a la parole.
A en croire,
dit-il, l'honorable M. de Lamarzelle, le gouvernement aurait obéi,
en cette affaire, qu'au désir de se tirer d'un mauvais pas.
Pour donner
une solution à certains embarras, nés de la séparation,
il aurait saisi avec empressement l'occasion qui s'offrait de réaliser
une réforme d'ordre beaucoup plus générale.
L'orateur
n'a pas à rechercher si cette induction est ou non fondée.
Il prend les choses telles qu'elles sont, et puisque les circonstances conduisent
le législateur à réaliser une mesure vraiment démocratique,
il adhère à cette mesure sans hésiter.
M. Leydet déclare que ses amis et lui voteront
le passage à la discussion des articles. Mais ils le voteront avec
la pensée que le Sénat fera œuvre sage, en renvoyant le projet
de loi à la commission soit immédiatement après ce
vote, soit après avoir voté le principe de l'article premier.
Nous sommes
résolus à appuyer le gouvernement dans la politique qu'il poursuit,
mais nous ne pouvons nous dissimuler que le projet renferme des dispositions
qui rencontreront difficilement grâce devant le bon sens du Sénat.
(Sourires.)
Un renvoi
à la commission, justifié simplement par ce fait que nous
avons déclaré l'urgence, permettrait sans doute d'aboutir à
une solution qui satisferait tous les esprits. (Vives approbations.)
Le
Sénat consulté décide qu'il passe à la discussion
des articles. Le Sénat passe à l'article premier dont voici
le texte :
Les réunions publiques,
quels qu'en soit l'objet, pourront être tenues sans déclaration
préalable et à toute heure.
Le président expose qu'une division est nécessaire
pour réserver les droits de deux auteurs d'amendement. En conséquence,
il demande au Sénat de se prononcer sur la première partie
de l'article qui ne paraît pas contestée, c'est à dire
en réservant les mots " à toute heure " (Assentiment)
La première partie de l'article est adoptée.
M. Ermant a la parole pour développer un amendement
qui tend à remplacer les mots "à toute heure" par ceux-ci :
"du lever du soleil à une heure du matin".
Mais il déclare qu'il retire son amendement
et se rallie à l'amendement Fessard, qui tend à faire régler
la question des réunions de nuit par un règlement d'administration
publique.
Le président.
- Nous passons donc à l'amendement Fessard.
M. Leydet.
- Nous demandons le renvoi du projet à la commission. (Mouvements.)
M. Cordelet,
président de la commission. - La commission repousse le renvoi.
Par 168 voix contre 128, sur 296 votants, le renvoi
est prononcé. (Vive agitation.)
Le sénat s'ajourne à mardi trois heures.
La séance est levée.
Le Sénat
Séance du 26 février 1907
Présidence de M. Antonin Dubost
La liberté de réunion