21 mars 1905
( Ce jour là, le service national est passé de 3 ans à deux ans et les dispenses ont été supprimées.)
1ère délibération sur le projet de
loi concernant la séparation des Églises et de l'État.
(réduite et annotée)
(Mais
vous pouvez aussi consulter la version intégrale - attention ! c'est
long à charger)
M. le président : L'ordre du jour ....
Avant d'ouvrir la discussion générale,
je dois donner connaissance à la chambre de deux motions préjudicielles,
l'une, de M. Georges Berry, l'autre, de M. l'abbé Gayraud.
La motion de M. Georges Berry est ainsi conçue
:
"La Chambre décide
qu'il ne sera pas statué, dans cette législature, sur les
proposition de séparation des Églises et de l'État
et prononce l'ajournement du débat."
La seconde motion, présentée
par M. l'abbé Gayraud, est rédigée de la façon
suivante :
"La Chambre, considérant
que la loyauté diplomatique et l'honnêteté politique,
non moins que l'intérêt de l'ordre public et de la paix religieuse,
exigent que la dénonciation du Concordat, l'abrogation de la loi
du 18 germinal an X, et la séparation des Églises et de l'État
soient faites à l'amiable, décide de sursoire à toute
délibération sur le projet de loi relatif à ce sujet
et invite le Gouvernement à réunir une commission extraparlementaire
de ministres des divers cultes, de concert avec les chefs des Églises
intéressées, afin de préparer un accord avec ces Églises
sur les conditions de la séparation."
Je donne la parole à M. Georges Berry ...
M. Georges Berry :
.... J'ai été amené à déposer cette
motion en m'inspirant des avis de tous ceux qui ont collaboré à
la Constitution qui nous régit aujourd'hui et en particulier de
l'opinion de M. Waldeck-Rousseau qui, en 1896, prononçant un discours
sur les relations des députés avec le suffrage universel
s'exprimait ainsi :
"La Constitution a proclamé
que le droit du suffrage universel est permanent et non point temporaire.
Elle a voulu qu'aussitôt que l'intérêt du pays l'exigeât,
il fût consulté, qu'en tout temps le Parlement lui demeurât
subordonné et c'est pourquoi le pouvoir exécutif, par sa
prérogative essentielle n'est point son adversaire, mais son témoin
et son garant. La faculté de dissolution, inscrite dans la Constitution,
n'est point pour le suffrage universel une menace, mais une sauvegarde.
Elle est le contrepoids essentiel
aux excès de parlementarisme et c'est pour elle que s'affirme le
caractère démocratique de nos institutions."
Je ne pouvais pas placer cette discussion sous de
meilleur patronage. En effet, n'êtes-vous pas avant tout les hommes
du suffrage universel et votre titre de représentant du peuple ne
vous interdit-il pas de trancher des questions aussi graves que celle qui
nous occupe, avant d'en avoir référé à nos
électeurs
(Très bien ! très bien ! à droite
et au centre.)
Or l'importante question que nous allons
discuter n'a pas été soumise, ..., aux collèges électoraux
et, ..., chaque fois qu'elle a été posée aux élection
législatives, le corps électoral a répondu très
nettement qu'il ne voulait pas de la séparation...
A l'extrême gauche : jamais de la vie
!
Je vais vous le prouver.
Vous savez qu'en 1881 se produisit en France un
grand mouvement, plus factice que réel d'ailleurs, en faveur de
la séparation des Églises et de l'État ; la plupart
des programmes électoraux posèrent la question et la grande
majorité des électeurs se prononça contre la dénonciation
du Concordat. (Applaudissement à droite et sur divers bancs.)
La Chambre consultée à cette époque
repoussa la suppression avec une majorité de 300 voix.
Je ne peux pas,..., passer en revue toutes les périodes
électorales et j'arrive à la dernière.
..... : en 1902, 269 élus se sont occupés de la question
[ dans leurs professions de foi]; 140 ont affiché qu'ils étaient
contre la séparation et 129 qu'ils étaient pour cette séparation.
M. Octave Chenavaz : .... des députés .... ont reçu ce mandat depuis longtemps et ... ,tout en le maintenant de plano, comme la révision de la Constitution, ne l'ont pas renouvelé dans toutes leurs affiches ou circulaires aux dernières élections. Je suis de ces derniers et c'est pourquoi je dis que [ces] chiffres sont inexacts.
M. Georges Berry : ...
Mais si je laisse de côté tous ceux
de nos collègues qui sont des partisans de la séparation
et qui n'en n'ont pas parlé, ..., je ne peux passer sous silence
ceux qui s'étant déclarés ... les adversaires de la
séparation ...ont ... voté le 10
février 1905, le principe même de cette séparation......
M. Lasies : Il a voté pour la discussion ; ce n'est pas la même chose.
M. Georges Berry : Quand on s'est affirmé adversaire de la séparation, on ne commence pas par voter la discussion sur la séparation, sinon on repousse l'opinion qu'on a soutenue devant les électeurs.
M. Lasies : Vous êtes trop sévère ! Tout
doit se discuter.
.....
M. Georges Berry : .... Réfléchissez,
messieurs à la grave responsabilité que vous allez prendre
si vous votez le projet sans consulter le suffrage universel.
Quels sont ceux qui vont souffrir de votre décision
? Évidemment les habitants des communes pauvres, de celles où
il n'y a aucun électeur riche capable de subvenir à l'entretien
du culte. Vous allez priver les humbles, les modestes, ceux qui ont tant
de peine à traverser les difficultés de la vie, des secours
de la religion qui les aidaient à supporter leurs peines et leurs
misères. (Applaudissement sur divers bancs.)
Ce sont ceux-là mêmes qui ont le plus
besoin de se laisser bercer par la vieille
chanson dont parlait il y a quelques années avec tant d'éloquence
notre collègue M. Jaurès,
ce sont ces pauvres gens que vous allez priver de ceux qui savaient la
leur chanter. ( Très bien ! très bien ! sur divers bancs)
.....
Je sais bien qu'on a l'habitude de dire : " Que
ceux qui veulent les service du culte les payent. S'ils ont besoin de curés,
d'églises, qu'ils les entretiennent à leurs frais"........
Combien de services publics entretenez-vous qui
ne servent qu'à une faible partie des Français et qui surtout
ne profitent à aucun des humbles dont je parlais tout à l'heure
! Vous entretenez des théâtres, vous subventionnez l'Opéra,
l'Opéra-Comique, le Théâtre-Français, l'Odéon,
des écoles de danseuses (On rit), des écoles de déclamation.
Est-ce que les paysans de l'Ouest, de la Bretagne, de la vendée
profitent de ses subventions ? (Très bien ! très bien
! à droite)
Vous donnez aussi de l'argent aux musées.
Les populations dont je parle n'en profitent pas d'avantage.
Dans un ordre d'idée plus élevée,
vous accordez des subsides à l'enseignement supérieur. Combien
y a-t-il donc d'élèves des écoles primaires de nos
campagnes qui sont admis à suivre les cours des lycées ?
Aucun pour ainsi dire.
Par conséquent, vous faites subventionner
par ceux qui n'en profitent pas des enseignements, des institutions qui
ne servent qu'aux riches. ( Applaudissements à droite et au centre.)
(Depuis, et surtout depuis une cinquantaine d'années, cet état
de faits réels s'est considérablement amélioré
; c'est dans ce sens qu'il fallait aller !! C'est la différence
entre une politique" de gauche" et une politique "de droite")
Croyez-vous que ce soit l'œuvre d'un régime
démocratique ?... S'il y a une subvention qui serve au pauvres,
c'est évidemment la subvention que vous donnez aux cultes. Eh bien
! vous allez la leur supprimer. .... Voilà ce que vous appelez être
républicain , voilà ce que vous appelez être socialiste.
(
Très bien ! très bien ! à droite et au centre)
M. Julien Goujon : Mais ce n'est pas du tout une subvention que l'État donne aux cultes !
M. Georges Berry : Je la considère comme une subvention
.....
Ainsi, sans avoir consulté vos électeurs,
sans avoir consulté le suffrage universel, vous aller déchirer
d'un trait de plume un contrat qui a assuré pendant aussi longtemps
cette paix religieuse et sociale : vous avouerez que vous prenez là
une bien grande responsabilité ; cars, vous n'en doutez pas, c'est
la guerre civile que vous allez déchaîner ... (Protestations
à
gauche.) ...
[il cite ensuite Jules Ferry, Gambetta et même Combes qui furent
des adversaires de la Séparation] M. Combes, ..., plus tard ...
changea d'avis, mais pourquoi ? ..... c'est qu'ayant été
mis à la tête du pouvoir avec mission d'expulser toutes les
congrégations et d'agiter la question cléricale, quand il
vit qu'il n'y avait plus de congrégations en face de lui, il essaya
de faire vibrer une autre corde anticléricale, il pensa aux curés
et mit en avant la séparation des Églises et de l'État.
M. Lasies : C'est ce que M. Clemenceau appelle pincer le curé au bon endroit, afin d'éviter l'impôt sur le revenu et autres réformes sociales.
M. Georges Berry : ..... Mais je ne me fait pas d'illusion. Ce
n'est pas la séparation que vous voulez, ce n'est pas la suppression
du Concordat ; ce que vous vous voulez, c'est la suppression pure et simple
du budget des cultes. (Applaudissement au centre et à droite.)
Vous
voulez étrangler les idées religieuses et vous espérez
y arriver en prenant aux prêtres les quelques millions que vous leurs
donniez.
Véritablement, réduire cette question
à une question de gros sous, c'est peu digne d'une Assemblée
française ! ( très bien ! très bien ! à
droite.)
Mais craignez qu'en privant les cultes de quelques
millions que vous allez leur refuser, vous ne vous enleviez quelques millions
d'électeurs ! (Protestations à gauche.) Cela
pourrait fort bien arriver.
[
Lorateur donne ensuite une vision apocalyptique de ce qui devrait arriver
en cas de séparation et insiste sur le fait qu'il y a eu d'autres
incidents diplomatiques entre le Vatican et la France, avant celui
qui ne lui semble servir que de prétexte, sans que cela
ne conduise à une rupture définitive.]
M. Aristide Briand,
rapporteur : [après avoir rappelé que la chambre
à voté la discussion et qu'elle ne peut pas se dédire
; que le Vatican n'a jamais reconnu les articles organiques qui permettent
l'application du Concordat et que de ce fait il n'y aurait jamais eut "accord"
et que le Concordat n'a donc pas de valeur]....
Il me souvient de m'être,...,
opposé à cette tribune même, à quelques-uns
de mes amis qui,..., semblaient vouloir exiger, dès le premier conflit
avec Rome, une solution décisive. Pendant que je leur expliquais,...,
la nécessité ... de mettre un peu de patience au service
au service des événements, je voyais sur les bancs de la
droite et de centre des sourires ironiques : on me reprochait ... mon opportunisme.
A ce moment les défenseurs attitrés de l'Église et
l'Église elle-même, semblaient plus pressés que nous
de se trouver à pied d'œuvre. Eh bien ! Nous y sommes ! (Applaudissements
à l'extrême gauche et à gauche.)
Et c'est à l'heure
où la Chambre s'apprête à entreprendre la tâche
qu'elle s'est assignée que l'honorable M. Berry lui propose d'ajourner
toute solution jusqu'après les élections générales
(Très
bien ! très bien ! à l'extrême gauche et à gauche.)
.... Si vous avez l'imprudence
d'accorder l'ajournement, d'abord le Saint-Siège ne manquerait pas,
..., d'interpréter votre vote comme signe d'une grande inquiétude
... comme la démonstration de votre impuissance, comme la preuve
que vous redoutez de prendre les responsabilités de l'heure.
...
Son attitude ne serait pas
améliorée ni ses prétentions affaiblies.
Mais ceci n'est rien encore
à côté de ce qui pourrait se passer dans le pays même.
Votre vote donnerait le signal d'une agitation formidable ... (Interruptions
à droite)
M. Lasies : Et après ?
M. Georges Berry : Vous la déchaînez bien autrement.
M. le rapporteur : ... qui irait croissant
jusqu'aux élections générales, c'est-à-dire
jusqu'à l'heure décisive de la bataille, d'une bataille dans
laquelle les républicains déçus, découragés,
par conséquent infériorisés, se trouveraient aux prises
avec des adversaires d'autant plus redoutables que me meilleur de leur
force aurait été le fait de votre faiblesse. (Applaudissements
à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
Ah! messieurs, les ennemis
de la République auraient beau jeu dans cette partie.
M. le marquis de la Ferronnays : C'est
bien ce que nous espérons.
...
M. le rapporteur : Le champ se trouverait
librement ouvert devant eux à tous les mensonges, toutes les calomnies
contre ce régime. Sur cette question de la séparation que
vous auriez posé sans la résoudre, il leur deviendrait loisible
de vous prêter les pires desseins, les plus éloignés
de vos intentions. Vous les verriez parcourir les campagnes annonçant
la fermeture des églises ...
à droite. Avec
raison !
M. le général Jacquey : ils useront de leur droit !
M. le marquis de l'Estourbeillon : C'est
notre devoir de montrer la vérité aux électeurs.
...
M. le rapporteur : Vous les verriez parcourir
les campagnes, annonçant la fermeture des églises, la proscription
des prêtres, la persécution des fidèles et toutes les
atteintes les plus graves à la liberté de conscience. Et
vous, messieurs, comment pourriez vous vous défendre contre ces
attaques, si grossières, si invraisemblables fussent-elles ? Vous
ne le pourriez pas. (Interruptions à droite.)
M. le président : Toutes les opinions pourront s'exprimer messieurs : il y a plus de soixante orateurs inscrits. Ne perdez pas dès maintenant vos forces en interruptions.
M. le rapporteur : Quand on a l'imprudence
de s'exposer à être jugé sur ses intentions, on peut
redouter toutes les erreurs et toutes les injustices. (Très bien
! très bien ! à l'extrême gauche et à gauche.)
Messieurs, j'ai écrit
dans les conclusions de mon rapport - M.
Berry a bien voulu le rappeler - que renvoyer la question aux électeurs
ce serait offrir une prime à l'agitation cléricale ; ....
Comment pourriez-vous en effet tenir les membres du clergé à
l'écart d'une bataille dont leur sort serait devenu le principal
enjeu ?
... Si le gouvernement en avait l'intention
et même la volonté, il se trouverait réduit à
l'impuissance ; force lui serait d'assister, désarmé, à
toutes les fureurs électorales d'un clergé déchaîné
par l'âpre soucis de ses intérêts.
Je vous le demande, messieurs,
quel est le républicain qui accepterait de gaieté de cœur,
à jeter la République dans une aussi folle aventure ?
Et pourquoi ? Par respect
pour le suffrage universel ? Mais le suffrage universel, vous en êtes
les représentants. (Très bien ! très bien ! à
l'extrême gauche.)
Vous êtes ses élus
...
M. Suchotet : Nous n'avons pas posé la question à nos électeurs.
M. le général Jacquey : nous n'avons pas été élus sur cette question.
M. le comte de Pomereu : Faites un référendum sur cette question. Vous verrez le résultat.
M. le rapporteur : ...vous êtes en
contact permanent avec vos électeurs ; vous êtes qualifiés
pour apprécier leurs sentiments, leurs tendances, leurs aspirations,
au fur et à mesure des circonstances.
....
En vous envoyant ici, les
électeurs n'ont pas prétendu, ..., vous enfermer dans je
ne sais quel cercle restreint de prévisions étroites et numérotées
à l'avance. Leur confiance en vous, ..., a élargi votre mandat
aux proportions de toutes les responsabilités que les événements
peuvent vous entraîner à prendre au cours d'une législature.
(Applaudissements
à gauche.) Autrement ce serait la négation du régime
parlementaire qui se trouverait par là même exposé
à toutes les hésitations, incurablement voué à
toutes les impuissance. Nous nous faisons une autre idée de notre
mandat.
Du reste je me suis demandé
... sur quoi pourrait bien porter une consultation du suffrage universel
? ... A la rigueur ...: oui ou non le Concordat doit-il être maintenu
?
...
Messieurs, j'attends que l'on
apporte à cette tribune une proposition nette et claire, invitant
le Gouvernement à renouer des rapports avec le Vatican (Applaudissements
à gauche.) cette proposition elle est peut-être à
l'état latent dans beaucoup d'esprits ; mais ce qui la juge, c'est
qu'elle n'ose pas se formuler publiquement à la tribune ( très
bien ! très bien ! à gauche.)
...
Le Concordat étant,
juridiquement sinon en fait, aboli, que proposez-vous donc ? Vous n'avez
pas, ..., dans un conflit d'intérêt avec une puissance extérieure,
l'intention de demander aux électeurs de prendre parti contre leur
pays ?
...
[si vous gagniez les élections] Dès
sa première réunion, la Chambre nouvelle aurait pour devoir
d'inviter le Gouvernement à reprendre les relations avec Rome ;
autant dire que la République serait allée faire des excuses
au pape. (Exclamation à droite. - applaudissements à l'extrême
gauche.) Il faudrait engager des pourparler pour un nouveau Concordat
; mais quel Concordat ?
M. Jaurès : Très bien.
M. le rapporteur : Logiquement, il faudrait
en faire disparaître toutes les clauses qui ont éveillé
les susceptibilité du saint Siège.
Si au contraire, la consultation
électorale tournait en faveur de la séparation, alors la
nouvelle Chambre se trouverait dans la situation [actuelle], mais avec
cette situation peu enviable que, toute chaude encore de la bataille électorale,
elle se trouverait dans les pires conditions pour entreprendre un tâche
qui exige avant tout du calme et du sang-froid (Applaudissement à
gauche et à l'extrême gauche)
[L'orateur termine son exposé avant de
regagner sa place sous de vifs applaudissements à gauche et à
l'extrême gauche.
Le président donne
la parole aux intervenants ; puis par 343 voix contre 40 la motion est
repoussée.
Il donne une nouvelle lecture de
la motion de l'abbé Gayraud avant de lui laisser la parole.]
M. Gayraud
: [ après avoir brièvement répondu à M. Briand]
Messieurs, je ne crois pas
que depuis l'Assemblée constituante de 1789, un débat plus
important que celui qui s'ouvre aujourd'hui sur la question religieuse
ait eu lieu dans une Chambre française. Voilà pourquoi,,
il importe, dès le début de cette discussion, de prendre
nettement position et de s'expliquer en toute liberté et avec une
entière franchise.
Vous savez que je ne recule
pas devant l'expression de mes pensées ni devant l'affirmation nette
et précise de la doctrine catholique. Je vais donc, ..., vous dire
très franchement ce que l'église catholique enseigne et ce
que tous les fidèles enfants de cette Église croient relativement
à la séparation des Églises et de l'État.
Pour nous, messieurs, l'idéal
des rapports entre l'Église et l'État ne saurait être
la séparation? Notre idéal, c'est l'union de la société
civile et de la société religieuse ...
M. François Fournier : C'est la domination : celle du pape.
M. Gauyraud : ... l'union pour la paix des consciences, pour la tranquillité publique et en même temps pour la prospérité de l'État et la liberté de l'Église.
M. François Fournier : L'Église n'a jamais été en paix avec le pouvoir civil. (Exclamations à droite)
M. Gayraud : Le régime concordataire de 1901 (le typographe aurait dû composer "1801".) ne réalise pas cet idéal. (Mouvements divers.) Non, messieurs, ne croyez pas que nous considérions le Concordat de messidor comme l'expression fidèle de la doctrine catholique sur les rapports de deux puissances. Dans ce Concordat l'Église est reconnue non pas comme la vraie religion - ce qu'elle est à nos yeux - mais tout simplement comme la religion de la majorité des Français.
M. Bepmale : Cela ne vous suffit pas ?
M. Gayraud : D'après ce Concordat,
les nominations ecclésiastiques, les nominations des évêques
et des curés sont livrées au Gouvernement.
L'Église, se retrouve,
d'après certains articles du traité, dans l'impossibilité
de se suffire à elle-même au point de vue matériel
: vous l'avez condamnée à une sorte de mendicité et
de salariat.
M. François Fournier : C'est la critique du Concordat que vous faites ! Alors, dénonçons-le ! (Bruits à droite.)
M. Gayraud : De plus, on a ajouté
au Concordat des Articles Organiques qui en sont en grande partie la contradiction
formelle, la violation flagrante.
En dernier lieu,..., la manière
dont le Concordat a été appliqué, surtout dans ces
derniers temps, a fait de lui un instrument d'oppression contre l'Église
et contre la conscience des catholiques. (Protestations à gauche)
......
Vous le voyez, je ne regarde
pas le Concordat de 1801 comme l'idéal des rapports entre l'Église
et de l'État. cependant je n'hésite pas à déclarer
que je préfère ce régime concordataire à la
séparation que vous nous apportez; (Interruptions à gauche.)
.... Par la séparation, l'Église deviendra en réalité,
dans ce pays, une association semblable à toutes les autres. ...
Le caractère divin qui, aux yeux de notre foi, lui appartient, sera
méconnu, nié par la loi et par le Gouvernement de ce pays.
(Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
.... . D'autre part, l'État lui-même, par la séparation
perd son autorité sur le clergé et compromet gravement les
avantages que sa qualité de première nation catholique lui
faisait dans le monde. ( Exclamations à gauche. - Très
bien ! très bien ! à droite.)
[ Il propose de renouer le dialogue avec le Saint-Siège]
Quel est le but que vous vous
proposez par le projet de séparation des Églises et de l'État
? Voulez-vous détruire le catholicisme en ce pays ? (Dénégation
à gauche.) Voulez-vous anéantir la religion ? Voulez-vous
entraver la liberté des consciences chrétiennes, catholiques,
protestants et israélites ? (M. le rapporteur fait un signe de
dénégation.)
Je crois que quelques-uns
de nos collègues n'hésiteraient pas à répondre
que tel est leur but; ...
A l'extrême gauche
et à gauche : Mais non !
...
Et bien ! soit ! Je me place
de [votre] point de vue et je prends comme point de départ de ma
discussion cette déclaration du Gouvernement et de la commission
: Vous voulez faire œuvre de libération des consciences, vous voulez
faire œuvre de paix religieuse. Comment y réussirez-vous ? Voilà
toute la question .
Quel est l'objet du projet
de loi ? ... c'est de déterminer les conditions d'existence et de
fonctionnement des sociétés religieuses dans la société
civile. ...
S'il en est ainsi, croyez-vous
possible de déterminer ces conditions sans entente préalable
avec les Églises intéressées ? (Très bien
! très bien ! à droite.) .... [ pendant tout le dix-neuvième
siècle], toutes les fois qu'une question relative aux rapports des
Églises et de l'État a été soulevée,
toujours, ..., le Gouvernement a pris l'avis des Églises intéressées.
[Il explique la méthode utilisée par Portalis, Napoléon,
la monarchie de Juillet, la République de 1848] [Et mêmes
si dans les pays cités par M. Briand des mesures ont été
prises sans concertation] La question est de savoir d'abord si ces mesures
sont acceptables aux yeux des catholiques, en dehors de toute entente avec
le Saint-Siège. C'est là-dessus qu'il faudrait répondre
et vous ne répondez rien
Eh bien, non, jamais les articles
organiques ni les lois auxquelles je viens de faire allusion ne seront
acceptées et ne seront acceptables pour les catholiques ; et l'une
des raisons c'est qu'elles ont été faites en dehors de toute
entente avec le Saint-Siège. (Mouvements divers à gauche.)
A l'extrême gauche
:
C'est une déclaration de guerre.
...
M. Gayraud : .. M. Briand... Il faudrait
savoir .... si les législations dont vous parlez ont été
rendues acceptables pour les catholiques ..... Il s'agirait de savoir
ensuite si ces législations se sont établies dans ces
divers pays sans causer aucun trouble .... si elles n'ont pas été
et ne sont pas encore une source de difficultés pour les gouvernements,
si elles ne vont pas directement contre les principes fondamentaux des
constitutions modernes qui garantissent la liberté de conscience
et la liberté des cultes à tous les citoyens..... la loi
sur les associations, pour la partie .... qui interdit .... de mener la
vie congréganiste, personne, ... ne peut contester qu'elle ne soit
diamétralement opposée aux principe de notre droit public
sur la liberté de conscience, [elle est] inacceptable pour nous,
catholiques. Non, messieurs, nous ne l'accepterons jamais. (Bruit à
gauche. - Applaudissements à droite.)
M. Gustave Rouanet : Vous la subirez.
M. Gayraud : Nous avons des siècles
pour prendre nos revanches, et l'histoire nous apprend qu'elles viennent
toujours. ( Très bien ! très bien ! à droite.)
...
Nous croyons,..., à l'autorité de
l'Église, nous croyons à l'Église comme à une
institution divine ( Interruptions à gauche.) C'est notre foi. La
vôtre est contraire ; et nous ne pourrions nous entendre sur ce point
; mais j'ose dire que la nôtre a le droit d'être respectée.
(Très bien ! très bien !)
...
Voulez-vous maintenant me permettre brièvement
ce qui, dans votre projet est, pour nous catholique, inacceptable en dehors
de toute entente avec Rome ?
D'abord, vous supprimez le budget des cultes. Cette
suppression, ..., constitue, ..., une banqueroute de l'État et un
vol au détriment de l'Église. (Applaudissements à
droite. - Réclamations à gauche).
En effet, l'État français a pris,
vis-à-vis de l'Église, un engagement exprimé dans
les termes les plus formels par la loi du 24 novembre 1789. ...., Voici
le texte :
"Tous les biens ecclésiastiques sont à
la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière
convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministères,
etc..." ... En violant les engagements solennels pris en 1789,..., ce serait
un acte d spoliation et un véritable vol commis au détriment
de l'Église. (Applaudissements à droite.)
Dans ce même projet de loi, vous précédez
de différentes façons à certaines aliénations
de biens ecclésiastiques. Vous transférez les biens des fabriques,
vous vous emparez des églises, vous modifiez de fond en comble l'état
de la propriété ecclésiastique dans ce pays.
Eh bien, sachez que pour nous, catholiques, de pareils
actes ne peuvent être réguliers et légitimes que tout
autant qu'ils sont approuvés par le Saint-Siège.
M. Féron : Nous ne sommes pas internationalistes.
M. Gayraud : je vous ai promis de vous dire ce qui, ..., ne saurait
être accepté par nous en dehors de toute entente avec le Saint-Siège.
je le dit très clairement et très loyalement.
En outre, ..., le projet de loi crée des
associations cultuelles qu'il substitue aux fabriques existantes.
Eh bien, c'est là encore une mesure que je
puis qualifier d'ingérence très abusive dans le domaine ecclésiastique.
Évidemment, la question de la propriété
ecclésiastique et de son administration est, ..., une question mixte
et, ..., vous ne devriez pas résoudre une une pareille question
en dehors d'une entente avec le Saint-Siège.
...
Enfin, messieurs, vous apportez ... diverses restrictions
à la liberté du culte.
....
Vous avez la force, la force de la loi et la force
de la police.
M. Jumel : la force de la loi, c'est le droit.
M. le marquis de l'Estourbeillon : La loi est souvent l'arbitraire, surtout quand elle est faite par vous.
M. Gayraud : Le jour où les socialistes feront la loi, monsieur Jumel, vous ne direz peut-être pas que c'est le droit.
M. Jumel : Je dirai exactement la même chose et je me soumettrai à la loi.
M. Lasies : Essayez d'exproprier les rentiers, monsieur Jumel, au lieu d'exproprier les curés et vous verrez !
M. Jumel : je respecte la loi, quelle qu'elle soit.
M. Gayraud : ... quoi qu'en dise notre collègue M. Jumel,
cette loi ne sera jamais le droit.
Au-dessus des lois que vous pouvez faire, il y a
le droit de Dieu et la liberté de nos consciences catholiques. (Applaudissements
à droite.) Sur ce point nous ne transigerons jamais. Nous avons
fait nos preuves, monsieur Jumel, depuis deux mille ans. (Interruptions
à l'extrême gauche.) Lorsque l'heure des persécutions
sonne, quelques violentes qu'elles soient, nous savons y mettre la tête
; et lorsque nous y aurons la tête vous serez les vaincus, messieurs.
(Applaudissements
à droite. - Interruptions et bruit à l'extrême gauche
et à gauche.)
M. Maurice Rouvier, président conseil, ministre des
finances
: L'heure des persécutions n'est pas près de sonner à
votre horloge.
...
M. Gayraud : [continue son analyse critique du rapport de M.
Briand] les catholiques de France, précisément parce que
le pape n'a pas voulu les reconnaître [les articles organiques],
ne veulent pas les reconnaître non plus......
Mais enfin le fait de ne pas reconnaître les
articles organiques constituerait-il une violation du Concordat ? Je prétends
... que c'est de las avoir fabriqués et promulgués, ...,
qui constitue la violation du Concordat (Très bien ! très
bien ! à droite. - Mouvements divers)
M. Jaurès : Alors, le Concordat est mort-né ?
....
M. Gayraud : ... Je ne dis pas qu'il fut possible à Napoléon
de faire approuver le Concordat par le Corps législatif sans y adjoindre
les articles organiques. Il est possible,..., qu'il était nécessaire
de faire cette annexion pour obtenir le vote de cette Assemblée.
...
M. le rapporteur : ..... Puisque de votre propre aveu, les articles
organiques ont été la condition essentielle à l'approbation
donnée par le Corps législatif, vous venez de juger le Concordat.
...
Vous venez de reconnaître que, dans cette
convention, il y a eu trois dupes : le pape, le Premier consul et le Corps
législatif. ...; Alors que vaut le Concordat ?
.......
M. Gayraud : .... Je prévois de grands maux, de grands
malheurs pour l'Église et pour la France,.... . C'est la guerre
que vous voulez nous déclarer, c'est la guerre que vous nous apportez
...
M. le marquis de La Ferronnays : C'est évident
M. le comte Ginoux-Defermon : Et nous la ferons.
M. Ferdinand Buisson, président de la commission :
C'est la paix !
....
M. le président : La parole est à M. Codet
M. Jean Codet :..... On a dit
et imprimé,..., que c'était l'attitude du précédent
cabinet qui avait rendu nécessaire la séparation des Églises
de de l'État. Eh bien ! je puis vous affirmer dès à
présent que les causes de cette séparation sont infiniment
plus lointaines et plus éphémères que le passage aux
affaires d'un ministres républicain, quel que soit du reste la part
glorieuse que l'histoire lui consacrera.
...
Depuis plus d'un siècle, deux sociétés
se sont formées et ont grandi côte à côte : l'une,
la société cléricale, qui repose sur la doctrine du
Syllabus et de l'encyclique "Quanid curd" qui la précède,
doctrine qui - M. l'abbé Gayraud le reconnaissait _ a été
et est encore celle de l'Église ; l'autre, la société
laïque, s'inspirant au contraire des philosophe du dix-huitième
siècle et des principes de la déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789. Dès lors, il était évident
que deux forces qui reposaient sur des doctrines aussi contraires devaient
forcément se combattre et que le mariage de raison, l'union mal
assortie que le premier consul avait contracté au nom du Gouvernement
français avec le Saint-Siège, devait forcément se
terminer par un divorce.
La déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, sortie de l'âme du peuple, comme a dit Louis Blanc, proclama
non seulement la charte de la nation française, mais des grands
principes immortels qui ont circulé dans le monde comme des semeurs
d'idées, selon la belle expression de M. Gabriel Compayré,
des vérités primordiales que le vingtième siècle
à son aurore salue encore comme le point de départ des efforts
qui restent à tenter dans la voie du progrès social et du
bonheur de l'humanité (Applaudissements à gauche et à
l'extrême gauche.) ...
[ Il fera ensuite une lecture du Syllabus dont il
démontrera que les articles sont en contradiction flagrante avec
la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ; et même
de nombreux articles du Concordat ; Concordat qui n'a pas été
respecté par le clergé. ]
...
Partisan de la liberté de penser, je veux
laisser à chacun la liberté de croire et de pratiquer ; le
projet me donne satisfaction et je le voterai sans hésiter. (Très
bien ! très bien ! à gauche.)
Le Concordat n'existe plus. Violé en principe
par les doctrines de l'Église, il est violé, en fait, par
les actes des archevêques et des évêques et par le pape
lui-même ; l'Église a déchaîné contre
lui toutes les tempêtes de la réaction, elle est en fait une
feuille morte et c'est le souffle pacificateur de la liberté et
du progrès qui l'emporte. ( Applaudissements à gauche
et à l'extrême gauche.)
[après d'autre escarmouches, la Chambre repousse la motion de M. Gayraud par 285 voix contre 162 et remet la suite de la discussion au surlendemain]
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3
Dépôt légal 2ème trimestre
1999