1er juillet : loi sur les associations qui en libéralise la formation mais qui vise les congrégations religieuses obligées d'accepter ce statut ( articles 13 et la suite)
16 décembre 1901
Budget des cultes 1902

M. Camille Pelletan.......  Dans une première partie de ma démonstration, j'ai essayé de prouver qu'étant donné le caractère gouvernemental de l'Église catholique, le Concordat installe dans la même organisation deux gouvernements fondés sur des principes contraires, qui s'excluent et sont condamnés à se combattre; en second lieu que le Concordat donne pour la lutte à l'un de ces gouvernements, l'Église, les prérogatives les plus redoutables, et qu'en compensation il ne fournit à l'État que des armes illusoires.
    Il me reste à rechercher quelles ont été dans les faits les conséquences de cent ans de régime concordataire. Vous savez si elles sont graves. Adossée à son privilège, installée et retranchée au cœur de l'État qu'elle combat, l'Église a pu entreprendre à loisir l'œuvre qu'il y a longtemps déjà les plus grands esprits de la démocratie, les Michelet, les Quinet, les Hugo, dénonçaient au pays, et qu'il y a trente ans Challemel-Lacour signalait avec une éloquence incomparable. Elle a reconquis les classes dirigeantes, coupé la France en deux et conduit si loin ses empiétements souterrains que la fin du dix-neuvième siècle restera
marquée dans l'histoire par le cri d'alarme qu'a poussé la démocratie et par le devoir de défense républicaine qui s'est imposé à nous, (Interruptions à droite. -Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
    Oh! je suis prêt à rendre hommage à la prestigieuse habileté de l'Église. Chaque foin que les événements créent une nouvelle classe dirigeante, elle met la main sur elle. Depuis le concordat elle en a conquis deux, la noblesse et la bourgeoisie. (Très bien ! très bien ! A l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) La noblesse si voltairienne, si incrédule sous l'ancien régime, et revenue si dévote de certaines excursions à l'étranger (Applaudissements sur les mêmes bancs), la haute bourgeoisie de Louis­Phillppe si violemment anticléricale et qui a fini par suivre l'exemple de la noblesse.
    Si je me trouvais là on présence d'un de cas mouvements de recrudescence religieuse comme l'histoire en a vu souvent je n'aurais qu'à m'incliner. Nous n'avons pas le droit de demander compte aux consciences de leurs convictions. Assurément,
il y a eu, en effet, des exemples de croyances ardentes dans l'évolution de 1a bourgeoisie dont je parle.
......
    L'honorable M. de Mun a pu, dans une autre discussion, faire ici une apologie magnifique des hommes qui renoncent à toutes les joies de l'existence pour accepter les rigueurs de la vie monastique par dévouement à leur idéal religieux. Nous nous inclinons comme lui devant ces sacrifices aux convictions. Mais j'ai bien le droit de dire que tel élément n'est entré que pour une bien faible part dans la grande conversion de la bourgeoisie et que nous nous trouvons avant tout en présence d'un fait social et politique dont il importe d'analyser le caractère. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche)
    ....... La grâce, qui fait les conversions, n'a laissé tomber sa manne spirituelle sur les têtes de la classe censitaire, à laquelle la révolution de 1830 avait donné le pouvoir, que quand, en présence d'une autre révolution, elle s'est sentie menacée dans ses intérêts terrestres par cet idéal de justice au nom duquel elle avait autrefois supplanté la noblesse. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
    Tout le monde sait ce qui s'est passé alors. On a vu les hommes les plus illustres, qui jusque-là avaient conduit la. lutte
contre la pensée et la politique de l'Église, les hommes qui avaient je ne sais combien de fois déjà expulsé des Jésuites, se retourner subitement, reconnaître leur erreur faire à l'Église la plus complète et la plus humble des amendes honorables; et pour quel motif?
    Feignaient-ils par hasard une foi religieuse à laquelle personne n'aurait cru ? Non! non! Ils s'épargnaient cette inutile
hypocrisie, ils disaient tout haut leur principal ou plutôt leur unique mobile. C'est au moment ou au lendemain d'une révolution qui les avait épouvantés par l'explosion populaire, qu'après avoir vu  l'impuissance des moyens de force gouvernementaux pour sauvegarder leurs privilèges   ils imploraient de l'Église l'appui de la gendarmerie mystique qui peut maintenir les classes inférieures dans la résignation à leur misérable condition. (Nouveaux applaudissements.)
    Ainsi a été conclu ce que j'appellerai le véritable Concordat, un Concordat qui n'est écrit nulle part, mais qui, à la différence de l'autre, a été fidèlement pratiqué des deux côtés. (Très bien! très bien! à gauche.) Le premier Concordat était établi pour l'union d'un despotisme révolutionnaire et de l'absolutisme romain ; mais là il s'est conclu tacitement un second Concordat entre l'Église et les intérêts matériels des classes privilégiées; et c'est celui que nous avons devant nous à l'heure actuelle.
    On devine ce qui devait arriver par une conséquence fatale. Puisque les classes dirigeantes s'alliaient à l'Église contre la démocratie, il était bien naturel que la démocratie s'écartât de plus en plus de l'Église. El c'est ainsi que nous constatons que plus les classes dirigeantes se livrent à la politique catholique, plus elles creusent entre elles et la grande masse du pays un fossé de jour en jour plus profond (Très bien! très bien! à l'extrême gauche) ; puissent-elles ne pas le rendre à tout jamais infranchissable ! (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
......
     Je sais bien qu'on vient ici nous menacer des croyances religieuses, si profondes, nous dit-on, dans ce pays, et des 38 millions de catholiques prêts à se soulever contre nos mesures de persécution. S'il en est ainsi, si telles sont véritablement les convictions des masses en France, comment se fait-il que vous soyez si peu nombreux sur ces bancs? (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)
......
    Comment se fait-il qu'il n'y ait jamais eu de majorités plus écrasantes sur ces bancs qu'an lendemain de ces brutales expulsions de moines qui ont fait perdre à la République quelques demi-douzaines de préfets et de magistrats et qui lui ont attiré les suffrages populaires par centaines de milliers? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Si la France est catholique, non point seulement au point de vue des statistiques mais par ces chaudes et profondes convictions du cœur qui mettent en branle tout l'être humain, comment le pays reste-t-il si obstinément sourd à ces cris d'indignation contre nos prétendues persécutions ? Si la France était ce que vous dites, vous auriez reconquis le pouvoir depuis  longtemps déjà, ou plutôt vous ne l'auriez jamais perdu. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)
........
     Je ne rechercherai pas comment elle a profité du pacte que je signalais pour étendre rapidement ses conquêtes et s'emparer de toutes les positions dominantes. Je n'essayerai pas de montrer ce qu'elle fait des enfants qu'on lui confie, comment, après leur avoir imprimé sa marque au cerveau et avoir assoupli leur volonté à sa discipline, en. bonne mère elle les suit dans toute leur existence, compatit à toutes leurs faiblesses humaines, soigne tous leurs intérêts matériels, leur fait passer leurs examens, leur procure une compagne de leur existence (Très bien! à gauche. - On rit), les protège dans leur avancement jusqu'à l'extrême onction, et leur assure, quelque carrière qu'ils aient embrassée, l'appui familial de toutes les clientèles qu'elle a installées partout. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
.......
    Je ne rechercherai pas non plus comment elle s'est emparée du monde des grands intérêts matériels en mettant à côté de l'usine la chapelle où l'on enseigne aux travailleurs trop souvent affamés à se résigner à toutes les épreuves de ce bas monde (Nouveaux applaudissements sur les mêmes bancs); tâche au sujet de laquelle je suis obligé de remarquer combien on a calomnié quelquefois, du côté de mes amis, les grands patrons catholiques. Car des deux parts qu'on peut avoir dans cette vie, celle des souffrances toutes passagères qui sont le meilleur titre aux béatitudes éternelles, et celle des vaines jouissances de la richesse si dangereuses pour le salut, ils ont laissé la meilleure, celle des souffrances passagères, à leurs ouvriers, et ont gardé pour eux tous les périls de l'autre part, (Applaudissements et rires à gauche et à l'extrême gauche)
..........
   Nous avons assisté dans le cours de ce siècle, et surtout dans la dernière période, en matière gouvernementale, à un spectacle bien étrange. Nos institutions officielles deviennent de plus en plus démocratiques. Il est de plus en plus convenu que le suffrage universel est souverain, que nul ne peut rien contre ses volontés. Et plus c'est là l'étiquette du pouvoir, plus nous voyons son exercice effectif passer en d'autres mains.
    Mon ami M. Bourrat citait l'autre jour les admirables paroles dans lesquelles Lamartine dénonçant, avec un coup d'œil prophétique, ces corps, ces oligarchies de toutes sortes qui, sous prétexte de liberté et de décentralisation, exercent en réalité la tyrannie  la plus étroite, la plus égoïste et la plus irresponsable. Mais ce n'est pas seulement dans le domaine financier qu'elles existent, ces oligarchies : elles sont constituées actuellement partout, dans le Gouvernement, dans les administrations Ce sont ces bureaucraties si fermées, si jalouses, si déférentes dans la forme, si obstinées dans le fond, qui, par leur force d'inertie, par leur puissance d'enveloppement, par leur sourde action de rouages humains cachés et subalternes, mais sans la collaboration desquels rien ne se fait, arrivent trop souvent à diriger la main qui semble les conduire.
    Ce sont aussi et surtout ces commissions, ces comités, ces espèces de petits collèges sacerdotaux, de toutes les églises administratives, ces états-majors civils et militaires, gardiens jurés de toutes les routines, protecteurs vigilants de tous les privilèges de famille ou de coterie et dans lesquels, de jour en jour, se disperse et se perd l'action légale exercée par les ministres sous le contrôle du Parlement. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauches)
............
    ...... C'est évidemment sur toutes ces oligarchies que l'Église concordataire, forte de sa situation dans le Gouvernement, a mis la main. Ainsi se retrouve dans l'action gouvernementale l'antinomie que je signalais tout à l'heure dans la société; et, à mesure que le suffrage universel, dans sa souveraineté, exige que le Gouvernement marche en avant dans la voie de la démocratie, tous ces pouvoirs cachés arrêtent et font reculer l'action gouvernementale réelle. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
..........
    Je viens de montrer que le budget des cultes sert intégralement, par voie indirecte, mais certaine, à la reconstitution des biens de mainmorte et je crois que personne ne peut le nier.
    Et après avoir ainsi reconstitué les biens ecclésiastiques, vous vous retournez vers le pays, vous poussez un grand cri d'alarme, vous dites à la France: " Nous ne pouvons pas nous endormir, il faut supprimer de nouveau cette propriété de mainmorte qui a été la plaie de tous les pays et qui serait mortelle pour la France moderne."  Vous parlez d'or. Mais n'aurait-il pas été plus simple de commencer par ne pas donner, aux frais des contribuables, les millions avec lesquels on l'a reconstituée et tout au moins aujourd'hui, ne serait-il pas plus simple de ne plus donner les millions avec lesquels on va la reconstituer? (Applaudissements à l'extrême gauche et  sur divers bancs à gauche.)
.......
    La combinaison du budget des cultes avec la reprise des biens de mainmorte m'apparaît, ..., de la part du Gouvernement, comme un véritable jeu de cache-cache.
.......
    La question d'enseignement vous préoccupe aussi à bon droit .....
...... Ne serait-il pas plus simple de commencer par ne pas envoyer vous-mêmes les élèves aux établissements congréganistes?
    Et, en effet, quelle est donc la vraie cause de la vogue de ces établissements?
    Est-ce parce qu'ils sont les plus propres à acheminer les âmes sur la route da paradis? J'ai déjà dit qu'à mon sens on se préoccupe aujourd'hui de raisons plus étroites et plus terrestres, Est-ce parce que leur enseignement est supérieur à celui de l'État? La meilleure preuve du contraire c'est que, parmi ces établissements, l'un de ceux qui ont le plus gagné se félicite d'avoir le droit assez singulier d'emprunter ses professeurs à l'université. Quelle est donc la raison de ce succès, sinon l'existence des oligarchies, des clientèles catholiques que je dénonçais tout à l'heure et qui assure à celui qui sort des établissements religieux les appuis les plus précieux pour son avancement pendant toute sa vie ?
........
     Nous voyons, nous, les légitimes moyens d'action dans cette suppression des privilèges religieux, qui est la loi de la plupart des républiques dans le monde, à commencer par les grands États-Unis; et que la Révolution française avait réalisée quand Bonaparte est venu confisquer les libertés de la France. ,
    J'entends bien que nous sommes des naïfs, des esprits chimériques et démodés, des hommes qui poursuivent des idées surannées. Quand j ai annoncé mon intention de venir défendre ici la séparation de l'Église et de l'État, quelques-uns m'ont dit: D'où sortez-vous? Cela n'existe plus, la séparation de l'Église et de l'État; c'est une vieille mode d'il y a dix ou quinze ans à laquelle on a complètement renoncé aujourd'hui; vous n'aurez plus l'air de votre temps. (On rit.)
    Il parait que ce sont les hommes qui veulent maintenir le Concordat qui sont les hommes pratiques, les hommes de gouvernement, les hommes de la politique des résultats. J'en doute un peu.......
.....................
17 décembre 1901

M. Waldeck-Rousseau, président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes.............. La Chambre est saisie d'une seule et unique proposition, celle de la commission du budget. Elle est d'ailleurs d'une extrême simplicité; elle consiste à ne pas inscrire dans 1e budget des dépenses celles relatives à l'exercice du culte, réservant seulement certains crédits tels que ceux qui pourraient être nécessaires pour donner des allocations ou des pensions aux ministres des cultes qui se trouveraient mis en quelque sorte à la retraite par suppression d'emploi.
    C'est bien là la question dont la Chambre est saisie.
    Cette proposition, son étendue, ses effets, les conséquences qu'elle peut entraîner et celles qu'elle ne peut pas produire, tels sont les sujets sur lesquels l'attention des orateurs qui sont montés à la tribune s'est le moins portée, mais tous ont parlé de la séparation de l'Église et de l'État et ils ont discuté et raisonné comme si une réforme de cette importance dépendait simplement soit du vote, soit de la suppression d'un crédit .
..............................
    A cela  j'ai deux réponses à faire : la première, c'est qu'il importe beaucoup, à mon sens, que la nomination des évêques n'appartienne pas à Rome, que la nomination des curés n'appartienne pas aux évêques (Assentiments à gauche), et qu'en un mot, il ne se forme pas en France une hiérarchie unique ayant à son sommet et dans la même personne à la fois un chef spirituel et un chef temporel, car ce jour-là, n'en doutez pas une minute, l'ultramontanisme ne sera pas seulement une tendance et une doctrine, il sera devenu un fait et un fait dont les conséquences ne tarderont pas à se faire sentir. (Applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche.)
..........................
    Il y a  dix ou douzo ans, les chaires paroissiales étaient des tribunes aux harangues  politiques... (Interruptions à l'extrême gauche. - Très  bien! très bien! à gauche.)

M. Allemane. Et maintenant encore.

M. Gustave Hubbard. Toujours !

M. Walter. Il n'y a rien de changé.

M. le président du conseil. C'étaient chaque jour des diatribes nouvelles coutre l'État, coutre le siècle et ses lois. Vous me permettrez de dire que je suis assez bien placé pour suivre un mouvement de ce genre, qu'aucun incident pareil ne se produit sans être porté à la connaissance du Gouvernement, et, lors même que ses représentants manqueraient à leur devoir, il y a un sentiment si vif de ce que commande une réserve nécessaire en pareille matière chez ceux-là qui sont le plus exempts de toute passion antireligieuse que le Gouvernement n'ignorerait pas encore ces manifestations.
    Eh bien ! je puis constater que ce qui était autrefois presque une règle a tendu de plus en plus à devenir une exception, (Dénégation à l'extrême gauche. - Très bien! très bien! sur divers bancs.)
................
     Il y a six mois, la Chambre  a voté  la loi sur les associations. On avait annoncé une immense agitation religieuse et le clergé tout entier devait se dresser contre nous pour défendre les ordres monastiques. Je cite des faits. Sur quatre-vingt-sept évêques,  Il y en a seize.. .... qui ont fait allusion à ce vote dans des termes ne dépassant pas les limites d'une critique modérée et six seulement qui ont, au contraire, tenu un langage beaucoup plus voisin de la polémique que des mandements épiscopaux. Ce fait que j'atteste, il serait prouvé, à défaut des renseignements matériels, par une autre circonstance. On a vu, en présence d'un silence qui déconcertait singulièrement certains projets, de pieux laïques prendre alors spontanément dans la presse la défense d'une orthodoxie violente et injurieuse qu'ils considéraient comme trop abandonnée par le clergé.
.......
    M. Pelletan a fait de l'Église une peinture pleine  de force,  abondante en traits brillants et souvent justes;  il  vous a montré  en elle non pas seulement une doctrine, non pas seulement une foi, mais aussi le plus puissant des gouvernements, fort de son. passé, de l'autorité des siècles, d'un enseignement dont elle a eu le monopole, dans lequel elle absorbait toute la morale; il vous a montré quelle était la puissance de l'adversaire. Quel remède vous  propose-t-il?
    Ce remède consiste à faire disparaître, sans y rien substituer, le seul frein qui ait été opposé jusqu'ici à son ardeur ambitieuse et souvent usurpatrice: que l'Église soit séparée de l'État. que l'État cesse de la connaître, voilà le remède tout trouvé; diminuée, humiliée, appauvrie, elle décline, elle s'efface, elle disparaît .
    A gauche. Elle se subdivise,
    Il y a dans celle méthode, et je suis maintenant sur le terrain pratique, quelque chose de comparable à celle qui présiderait aux déterminations d'un homme qui, ayant un voisin puissant et entreprenant, et trouvant qu'il n'est pas suffisamment protégé par la barrière qu'il a su construire, s'aviserait de cet admirable expédient qui consisterait à dire: La muraille est trop faible, nous allons la renverser, (Interruptions à l'extrême gauche,) .
    M, Pelletan vous a montré également l'Église catholique irréductible par les moyens matériels et quelle est, encore une fois, la solution qu'il propose'? C'est de l'atteindre par la suppression de tous les traitements.

M, Édouard Vaillant. commençons par là,

M. le président du conseil. Eh bien! je trouve que cette méthode sommaire ne donne en vérité aucune satisfaction aux préoccupations qui, si je lis bien dans les esprits, sont cependant au fond de 1a, pensée cie M. Pelletan et de ses amis eux-mêmes. En effet, 1a diversité d'opinion existant antre ceux qui vous demandent de supprimer purement et simplement 1e budget des cultes et ceux qui ne cessent pas de refuser une mesure qu'ils trouvent dangereuse, semble être née d'une confusion qui n'a pu se produire qu'en l'absence d'une définition. Je ne crois pas qu'on ait séparé l'Église de l'État le jour où l'État dirait à l'Église : Je ne vous connais plus. Il faudrait pouvoir ajouter que l'Église, elle non plus, ne connaîtra plus l'État, qu'elle ne connaîtra plus la société moderne, ses lois, ses institutions, qu'à un désintéressement aussi absolu elle répondra par un désintéressement semblable.
    Je ne crois  pas, me tromper en disant que séparer l'Églises de l'État serait assigner à chacun son domaine et ses limites, donner à l'Église toutes les garanties nécessaires pour l'enseignement de sa foi, mais aussi assurer à l'État son indépendance complète dans le gouvernement des intérêts matériels, moraux el politiques qui président au développement des sociétés; c'est parce que la séparation pure et simple, le trait de plume donné sur un crédit ne constitue rien de semblable, n'établit entre l'une et l'autre puissance aucune délimitation, aucune règle que je pense que la solution proposée par la commission n'est pas, à vrai dire, une solution.

M. Edouard Vaillant. Cc serait un commencement !

M. le président du conseil. Mais je ne veux pas risquer de tomber dans l'erreur que j'ai reprochée moi-même à nos adversaires,.......
    Voici, en  effet, le passage extrêmement précis dans lequel l'honorable rapporteur a justifié la. décision qui a été prise: "Il appartient maintenant au Gouvernement de dénoncer le Concordat et au parlement d'élaborer une loi sur la police des cultes et une loi réglant la situation des personnes. Cette  œuve  n'est pas au-dessus des forces du Parlement et la séparation des Églises et de l'État, inscrite dans  le  programme de Gambetta, peut. être accomplie avant le 1er Janvier 1902, non par simple suppression de crédits, mais par voie législative. " (Exclamations  et  rires  au centre et à droite.)
    Voilà qui est clair.
..........
     Il y a là, de la part de l'honorable rapporteur, une erreur involontaire. Rien n'est plus clair ni plus précis que le système qu'il préconisait; Il vous dit: Ce n'est pas par une suppression de crédits, par une loi fiscale, qu'on peut réaliser une réforme de cette importance; il lui faut une préface. Cette préface, lui-même l'a divisée en trois chapitres: c'est d'abord la dénonciation du Concordat, c'est ensuite une loi sur la police des cultes, et en troisième lieu une loi sur la condition des personnes.
    Il y aurait peut-être plus de logique à renverser l'ordre des propositions et à dire : une loi sur la police des cultes, une loi sur la condition des personnes et une loi sur la dénonciation du Concordat. Mais soit.
.............
    J'ai dit - et ces paroles ont excité un certain étonnement - que l'établissement des rapports entre l'État et l'Église était à ce point difficile que la Révolution, cette grande remueuse d'idées, si hardie à trancher les difficultés, même celles qu'il était difficile de résoudre, s'était arrêtée devant ce problème, avait hésité, tâtonné et ne l'avait pas résolu.
    Qui donc est dans le vrai. ou de l'honorable M. Pelletan qui nous répond que nous n'avons qu'à nous inspirer de sa tradition, ou de moi-même qui pense que nous ne trouverions point là d'exemples à suivre ni de solution toute prête ?
    Oh! cette. affirmation est assez grave pour que je désire ne pas la prendre seulement à mon compte et la placer sous une autorité plus considérable et qui ne pourra être suspecte à personne. Je parle de Quinet.
    Edgar Quinet a examiné successivement les trois solutions auxquelles la Révolution française eu recours. Ce fut d'abord la. constitution civile du clergé. Il l'appelle une révolution à contresens. Il montre ce qu'il y avait de fragile dans la conception d'une Église française soustraite au mouvement et à la direction d'une Église qui, par là même qu'elle est catholique, est nécessairement universelle.
    Quoi de plus illogique que de se dire prêtre d'une Église qui vous renie?...  C'était la situation de tout le clergé constitutionnel. Il se prétendait catholique et la chef légitime du catholicisme lui jetait l'anathème. Sur' cette pente glissante, l'Église qui n'était nouvelle que de nom devait s'abîmer au premier souffle de l'ancienne."
    En effet la Révolution passe de la constitution civile du clergé à la liberté des cultes et à la séparation de l'Église et de l'État. Voici comment le même historien apprécie les résultats obtenus.
......
     "Chose frappante, la liberté des cultes par la séparation des Églises et de l'État. après la décret de ventôse an III, qu'a-t-elle produit en réalité? Le triomphe de l'ancienne Église, maîtresse absolue - et à ses pieds, dans la poussière, les restes mutilés du protestantisme, trop heureux de végéter... sans aucune influence véritable sur les destinées et l'esprit de la France. "
    Après avoir lu ces lignes, on n'est pas éloigné de croire qu'au moment où s'ouvrait la discussion qui a abouti au régime de ventôse an III, c'était le jacobin, c'était Robespierre qui avait raison quand, traçant un plan de son discours avec cette méthode un peu pédagogique qui lui était propre, il en annonçait ainsi les développements:
    " Je m'attacherai à prouver que l'opération qu'on vous propose (l'abolition du salaire du clergé) est mauvaise en révolution. dangereuse en politique, et qu'elle n'est même pas bonne en finances. "
    Quinet ne se trompait pas et un autre écrivain dont le nom fait autorité M. Debidour, a pu avec raison enlever à Napoléon 1er le mérite d'une restauration catholique; car il a pu écrire dans son livre sur les rapports des Églises et de l'État :
    " La Renaissance religieuse, dont Bonaparte s'est attribué l'honneur, n'est pas son fait t;" ( Très bien! très bien ! à droite)  "elle s'était produite bien avant le 18 brumaire... Le régime de. la séparation des Églises et de l'État n'avait ,donc point déchristianisé la France, bien au contraire. "
    Et le même auteur constate que si beaucoup  de départements étaient exempts de troubles trop graves il n'en était pas un, seul où la loi de ventôse n'eût fait naître une agitation factieuse et une véritable anarchie. .
    Oh! sans doute, messieurs, la Révolution s'en aperçût elle-même, car de ses propres mains elle détruisit cette législation de l'an III. D'abord dans la loi de fructidor, laquelle ordonne des poursuites coutre tout prêtre qui se permet des discours hostiles à la République , puis par une loi du 7 vendémiaire spécifiant un certain nombre d'actes séditieux et la peine de la géhenne à perpétuité.  Mais il arriva que le mélange de trop de liberté et de trop de violence ne fit précisément que précipiter les événements que les deux historiens dont je parlais rappelaient, et hâter cette restauration de l'idée catholique constatée par Edgar Quinet lui-mêrne.
.......
    La question reste donc bien telle que je la posais. La Chambre ne peut pas aujourd'hui substituer au régime actuel un régime nouveau ; elle est invitée simplement à supprimer le budget des cultes, à se séparer de l'Église en ce sens que désormais l'État n'aura plus sur elle aucune espèce d'action.
.......
     Toujours est-il, messieurs, que, si ce n'est trop téméraire de donner des conseils à l'avenir, d'envisager ce qui devra être plus tard la préoccupation des hommes politiques, considérant les enseignements du passé, l'immensité de la tâche, le danger que pourrait déterminer un insuccès, j'oserai dire à ceux qui voudront entreprendre une œuvre plus vaste : Étudiez, préparez cette loi sur la police des cultes ; n'entreprenez rien de semblable sans être certains d'être suivis, sans avoir la certitude de réussir, car en pareille matière, messieurs, le moindre échec pourrait être le signal d'un recul qu'il serait bien difficile de limiter. (Vifs applaudissements à gauche et au centre.)