M. Camille Pelletan.......
Dans une première partie de ma démonstration, j'ai essayé
de prouver qu'étant donné le caractère gouvernemental
de l'Église catholique, le Concordat installe dans la même
organisation deux gouvernements fondés sur des principes contraires,
qui s'excluent et sont condamnés à se combattre; en second
lieu que le Concordat donne pour la lutte à l'un de ces gouvernements,
l'Église, les prérogatives les plus redoutables, et qu'en
compensation il ne fournit à l'État que des armes illusoires.
Il me reste à rechercher quelles ont été
dans les faits les conséquences de cent ans de régime concordataire.
Vous savez si elles sont graves. Adossée à son privilège,
installée et retranchée au cœur de l'État qu'elle
combat, l'Église a pu entreprendre à loisir l'œuvre qu'il
y a longtemps déjà les plus grands esprits de la démocratie,
les Michelet, les Quinet, les Hugo, dénonçaient au pays,
et qu'il y a trente ans Challemel-Lacour signalait avec une éloquence
incomparable. Elle a reconquis les classes dirigeantes, coupé la
France en deux et conduit si loin ses empiétements souterrains que
la fin du dix-neuvième siècle restera
marquée dans l'histoire par le cri d'alarme qu'a poussé
la démocratie et par le devoir de défense républicaine
qui s'est imposé à nous, (Interruptions à droite.
-Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à
gauche.)
Oh! je suis prêt à rendre hommage à
la prestigieuse habileté de l'Église. Chaque foin que les
événements créent une nouvelle classe dirigeante,
elle met la main sur elle. Depuis le concordat elle en a conquis deux,
la noblesse et la bourgeoisie.
(Très bien ! très bien
! A l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) La
noblesse si voltairienne, si incrédule sous l'ancien régime,
et revenue si dévote de certaines excursions à l'étranger
(Applaudissements sur les mêmes bancs), la haute bourgeoisie
de LouisPhillppe si violemment anticléricale et qui a fini
par suivre l'exemple de la noblesse.
Si je me trouvais là on présence d'un
de cas mouvements de recrudescence religieuse comme l'histoire en a vu
souvent je n'aurais qu'à m'incliner. Nous n'avons pas le droit de
demander compte aux consciences de leurs convictions. Assurément,
il y a eu, en effet, des exemples de croyances ardentes dans l'évolution
de 1a bourgeoisie dont je parle.
......
L'honorable M. de Mun a pu, dans une autre discussion,
faire ici une apologie magnifique des hommes qui renoncent à toutes
les joies de l'existence pour accepter les rigueurs de la vie monastique
par dévouement à leur idéal religieux. Nous nous inclinons
comme lui devant ces sacrifices aux convictions. Mais j'ai bien le droit
de dire que tel élément n'est entré que pour une bien
faible part dans la grande conversion de la bourgeoisie et que nous nous
trouvons avant tout en présence d'un fait social et politique dont
il importe d'analyser le caractère. (Applaudissements à
l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche)
....... La grâce, qui fait les conversions,
n'a laissé tomber sa manne spirituelle sur les têtes de la
classe censitaire, à laquelle la révolution de 1830 avait
donné le pouvoir, que quand, en présence d'une autre révolution,
elle s'est sentie menacée dans ses intérêts terrestres
par cet idéal de justice au nom duquel elle avait autrefois supplanté
la noblesse. (Applaudissements à l'extrême gauche et à
gauche.)
Tout le monde sait ce qui s'est passé alors.
On a vu les hommes les plus illustres, qui jusque-là avaient conduit
la. lutte
contre la pensée et la politique de l'Église, les hommes
qui avaient je ne sais combien de fois déjà expulsé
des Jésuites, se retourner subitement, reconnaître leur erreur
faire à l'Église la plus complète et la plus humble
des amendes honorables; et pour quel motif?
Feignaient-ils par hasard une foi religieuse à
laquelle personne n'aurait cru ? Non! non! Ils s'épargnaient cette
inutile
hypocrisie, ils disaient tout haut leur principal ou plutôt leur
unique mobile. C'est au moment ou au lendemain d'une révolution
qui les avait épouvantés par l'explosion populaire, qu'après
avoir vu l'impuissance des moyens de force gouvernementaux pour sauvegarder
leurs privilèges ils imploraient de l'Église
l'appui de la gendarmerie mystique qui peut maintenir les classes inférieures
dans la résignation à leur misérable condition. (Nouveaux
applaudissements.)
Ainsi a été conclu ce que j'appellerai
le véritable Concordat, un Concordat qui n'est écrit nulle
part, mais qui, à la différence de l'autre, a été
fidèlement pratiqué des deux côtés. (Très
bien! très bien! à gauche.) Le premier Concordat était
établi pour l'union d'un despotisme révolutionnaire et de
l'absolutisme romain ; mais là il s'est conclu tacitement un second
Concordat entre l'Église et les intérêts matériels
des classes privilégiées; et c'est celui que nous avons devant
nous à l'heure actuelle.
On devine ce qui devait arriver par une conséquence
fatale. Puisque les classes dirigeantes s'alliaient à l'Église
contre la démocratie, il était bien naturel que la démocratie
s'écartât de plus en plus de l'Église. El c'est ainsi
que nous constatons que plus les classes dirigeantes se livrent à
la politique catholique, plus elles creusent entre elles et la grande masse
du pays un fossé de jour en jour plus profond (Très bien!
très bien! à l'extrême gauche) ; puissent-elles
ne pas le rendre à tout jamais infranchissable ! (Applaudissements
à l'extrême gauche et à gauche.)
......
Je sais bien qu'on vient ici nous menacer
des croyances religieuses, si profondes, nous dit-on, dans ce pays, et
des 38 millions de catholiques prêts à se soulever contre
nos mesures de persécution. S'il en est ainsi, si telles sont véritablement
les convictions des masses en France, comment se fait-il que vous soyez
si peu nombreux sur ces bancs? (Applaudissements à gauche et
à l'extrême gauche.)
......
Comment se fait-il qu'il n'y ait jamais eu de majorités
plus écrasantes sur ces bancs qu'an lendemain de ces brutales expulsions
de moines qui ont fait perdre à la République quelques demi-douzaines
de préfets et de magistrats et qui lui ont attiré les suffrages
populaires par centaines de milliers? (Nouveaux applaudissements sur
les mêmes bancs.)
Si la France est catholique, non point seulement
au point de vue des statistiques mais par ces chaudes et profondes convictions
du cœur qui mettent en branle tout l'être humain, comment le pays
reste-t-il si obstinément sourd à ces cris d'indignation
contre nos prétendues persécutions ? Si la France était
ce que vous dites, vous auriez reconquis le pouvoir depuis longtemps
déjà, ou plutôt vous ne l'auriez jamais perdu. (Applaudissements
à gauche et à l'extrême gauche.)
........
Je ne rechercherai pas comment elle
a profité du pacte que je signalais pour étendre rapidement
ses conquêtes et s'emparer de toutes les positions dominantes. Je
n'essayerai pas de montrer ce qu'elle fait des enfants qu'on lui confie,
comment, après leur avoir imprimé sa marque au cerveau et
avoir assoupli leur volonté à sa discipline, en. bonne mère
elle les suit dans toute leur existence, compatit à toutes leurs
faiblesses humaines, soigne tous leurs intérêts matériels,
leur fait passer leurs examens, leur procure une compagne de leur existence
(Très bien! à gauche. - On rit), les protège dans
leur avancement jusqu'à l'extrême onction, et leur assure,
quelque carrière qu'ils aient embrassée, l'appui familial
de toutes les clientèles qu'elle a installées partout.
(Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.)
.......
Je ne rechercherai pas non plus comment elle s'est
emparée du monde des grands intérêts matériels
en mettant à côté de l'usine la chapelle où
l'on enseigne aux travailleurs trop souvent affamés à se
résigner à toutes les épreuves de ce bas monde (Nouveaux
applaudissements sur les mêmes bancs); tâche au sujet de
laquelle je suis obligé de remarquer combien on a calomnié
quelquefois, du côté de mes amis, les grands patrons catholiques.
Car des deux parts qu'on peut avoir dans cette vie, celle des souffrances
toutes passagères qui sont le meilleur titre aux béatitudes
éternelles, et celle des vaines jouissances de la richesse si dangereuses
pour le salut, ils ont laissé la meilleure, celle des souffrances
passagères, à leurs ouvriers, et ont gardé pour eux
tous les périls de l'autre part, (Applaudissements et rires à
gauche et à l'extrême gauche)
..........
Nous avons assisté dans le cours de ce siècle,
et surtout dans la dernière période, en matière gouvernementale,
à un spectacle bien étrange. Nos institutions officielles
deviennent de plus en plus démocratiques. Il est de plus en plus
convenu que le suffrage universel est souverain, que nul ne peut rien contre
ses volontés. Et plus c'est là l'étiquette du pouvoir,
plus nous voyons son exercice effectif passer en d'autres mains.
Mon ami M. Bourrat citait l'autre jour les admirables
paroles dans lesquelles Lamartine dénonçant, avec un coup
d'œil prophétique, ces corps, ces oligarchies de toutes sortes qui,
sous prétexte de liberté et de décentralisation, exercent
en réalité la tyrannie la plus étroite, la plus
égoïste et la plus irresponsable. Mais ce n'est pas seulement
dans le domaine financier qu'elles existent, ces oligarchies : elles sont
constituées actuellement partout, dans le Gouvernement, dans les
administrations Ce sont ces bureaucraties si fermées, si jalouses,
si déférentes dans la forme, si obstinées dans le
fond, qui, par leur force d'inertie, par leur puissance d'enveloppement,
par leur sourde action de rouages humains cachés et subalternes,
mais sans la collaboration desquels rien ne se fait, arrivent trop souvent
à diriger la main qui semble les conduire.
Ce sont aussi et surtout ces commissions, ces comités,
ces espèces de petits collèges sacerdotaux, de toutes les
églises administratives, ces états-majors civils et militaires,
gardiens jurés de toutes les routines, protecteurs vigilants de
tous les privilèges de famille ou de coterie et dans lesquels, de
jour en jour, se disperse et se perd l'action légale exercée
par les ministres sous le contrôle du Parlement. (Applaudissements
à gauche et à l'extrême gauches)
............
...... C'est évidemment sur toutes ces oligarchies
que l'Église concordataire, forte de sa situation dans le Gouvernement,
a mis la main. Ainsi se retrouve dans l'action gouvernementale l'antinomie
que je signalais tout à l'heure dans la société; et,
à mesure que le suffrage universel, dans sa souveraineté,
exige que le Gouvernement marche en avant dans la voie de la démocratie,
tous ces pouvoirs cachés arrêtent et font reculer l'action
gouvernementale réelle. (Applaudissements à l'extrême
gauche et à gauche.)
..........
Je viens de montrer que le budget des cultes sert
intégralement, par voie indirecte, mais certaine, à la reconstitution
des biens de mainmorte et je crois que personne ne peut le nier.
Et après avoir ainsi reconstitué les
biens ecclésiastiques, vous vous retournez vers le pays, vous poussez
un grand cri d'alarme, vous dites à la France: " Nous ne pouvons
pas nous endormir, il faut supprimer de nouveau cette propriété
de mainmorte qui a été la plaie de tous les pays et qui serait
mortelle pour la France moderne." Vous parlez d'or. Mais n'aurait-il
pas été plus simple de commencer par ne pas donner, aux frais
des contribuables, les millions avec lesquels on l'a reconstituée
et tout au moins aujourd'hui, ne serait-il pas plus simple de ne plus donner
les millions avec lesquels on va la reconstituer? (Applaudissements
à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
.......
La combinaison du budget des cultes avec la reprise
des biens de mainmorte m'apparaît, ..., de la part du Gouvernement,
comme un véritable jeu de cache-cache.
.......
La question d'enseignement vous préoccupe
aussi à bon droit .....
...... Ne serait-il pas plus simple de commencer par ne pas envoyer
vous-mêmes les élèves aux établissements congréganistes?
Et, en effet, quelle est donc la vraie cause de
la vogue de ces établissements?
Est-ce parce qu'ils sont les plus propres à
acheminer les âmes sur la route da paradis? J'ai déjà
dit qu'à mon sens on se préoccupe aujourd'hui de raisons
plus étroites et plus terrestres, Est-ce parce que leur enseignement
est supérieur à celui de l'État? La meilleure preuve
du contraire c'est que, parmi ces établissements, l'un de ceux qui
ont le plus gagné se félicite d'avoir le droit assez singulier
d'emprunter ses professeurs à l'université. Quelle est donc
la raison de ce succès, sinon l'existence des oligarchies, des clientèles
catholiques que je dénonçais tout à l'heure et qui
assure à celui qui sort des établissements religieux les
appuis les plus précieux pour son avancement pendant toute sa vie
?
........
Nous voyons, nous, les légitimes moyens
d'action dans cette suppression des privilèges religieux, qui est
la loi de la plupart des républiques dans le monde, à commencer
par les grands États-Unis; et que la Révolution française
avait réalisée quand Bonaparte est venu confisquer les libertés
de la France. ,
J'entends bien que nous sommes des naïfs, des
esprits chimériques et démodés, des hommes qui poursuivent
des idées surannées. Quand j ai annoncé mon intention
de venir défendre ici la séparation de l'Église et
de l'État, quelques-uns m'ont dit: D'où sortez-vous? Cela
n'existe plus, la séparation de l'Église et de l'État;
c'est une vieille mode d'il y a dix ou quinze ans à laquelle on
a complètement renoncé aujourd'hui; vous n'aurez plus l'air
de votre temps. (On rit.)
Il parait que ce sont les hommes qui veulent maintenir
le Concordat qui sont les hommes pratiques, les hommes de gouvernement,
les hommes de la politique des résultats. J'en doute un peu.......
.....................
17 décembre 1901
M. Waldeck-Rousseau,
président du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes..............
La Chambre est saisie d'une seule et unique proposition, celle de la commission
du budget. Elle est d'ailleurs d'une extrême simplicité; elle
consiste à ne pas inscrire dans 1e budget des dépenses celles
relatives à l'exercice du culte, réservant seulement certains
crédits tels que ceux qui pourraient être nécessaires
pour donner des allocations ou des pensions aux ministres des cultes qui
se trouveraient mis en quelque sorte à la retraite par suppression
d'emploi.
C'est bien là la question dont la Chambre
est saisie.
Cette proposition, son étendue, ses effets,
les conséquences qu'elle peut entraîner et celles qu'elle
ne peut pas produire, tels sont les sujets sur lesquels l'attention des
orateurs qui sont montés à la tribune s'est le moins portée,
mais tous ont parlé de la séparation de l'Église et
de l'État et ils ont discuté et raisonné comme si
une réforme de cette importance dépendait simplement soit
du vote, soit de la suppression d'un crédit .
..............................
A cela j'ai deux réponses à
faire : la première, c'est qu'il importe beaucoup, à mon
sens, que la nomination des évêques n'appartienne pas à
Rome, que la nomination des curés n'appartienne pas aux évêques
(Assentiments à gauche), et qu'en un mot, il ne se forme pas
en France une hiérarchie unique ayant à son sommet et dans
la même personne à la fois un chef spirituel et un chef temporel,
car ce jour-là, n'en doutez pas une minute, l'ultramontanisme ne
sera pas seulement une tendance et une doctrine, il sera devenu un fait
et un fait dont les conséquences ne tarderont pas à se faire
sentir.
(Applaudissements au centre et sur divers bancs à gauche.)
..........................
Il y a dix ou douzo ans, les chaires paroissiales
étaient des tribunes aux harangues politiques... (Interruptions
à l'extrême gauche. - Très bien! très
bien! à gauche.)
M. Allemane. Et maintenant encore.
M. Gustave Hubbard. Toujours !
M. Walter. Il n'y a rien de changé.
M. le président du conseil. C'étaient chaque jour
des diatribes nouvelles coutre l'État, coutre le siècle et
ses lois. Vous me permettrez de dire que je suis assez bien placé
pour suivre un mouvement de ce genre, qu'aucun incident pareil ne se produit
sans être porté à la connaissance du Gouvernement,
et, lors même que ses représentants manqueraient à
leur devoir, il y a un sentiment si vif de ce que commande une réserve
nécessaire en pareille matière chez ceux-là qui sont
le plus exempts de toute passion antireligieuse que le Gouvernement n'ignorerait
pas encore ces manifestations.
Eh bien ! je puis constater que ce qui était
autrefois presque une règle a tendu de plus en plus à devenir
une exception,
(Dénégation à l'extrême gauche.
- Très bien! très bien! sur divers bancs.)
................
Il y a six mois, la Chambre a voté
la loi sur les associations. On avait annoncé une immense agitation
religieuse et le clergé tout entier devait se dresser contre nous
pour défendre les ordres monastiques. Je cite des faits. Sur quatre-vingt-sept
évêques, Il y en a seize.. .... qui ont fait allusion
à ce vote dans des termes ne dépassant pas les limites d'une
critique modérée et six seulement qui ont, au contraire,
tenu un langage beaucoup plus voisin de la polémique que des mandements
épiscopaux. Ce fait que j'atteste, il serait prouvé, à
défaut des renseignements matériels, par une autre circonstance.
On a vu, en présence d'un silence qui déconcertait singulièrement
certains projets, de pieux laïques prendre alors spontanément
dans la presse la défense d'une orthodoxie violente et injurieuse
qu'ils considéraient comme trop abandonnée par le clergé.
.......
M. Pelletan a fait de l'Église une peinture
pleine de force, abondante en traits brillants et souvent justes;
il vous a montré en elle non pas seulement une doctrine,
non pas seulement une foi, mais aussi le plus puissant des gouvernements,
fort de son. passé, de l'autorité des siècles, d'un
enseignement dont elle a eu le monopole, dans lequel elle absorbait toute
la morale; il vous a montré quelle était la puissance de
l'adversaire. Quel remède vous propose-t-il?
Ce remède consiste à faire disparaître,
sans y rien substituer, le seul frein qui ait été opposé
jusqu'ici à son ardeur ambitieuse et souvent usurpatrice: que l'Église
soit séparée de l'État. que l'État cesse de
la connaître, voilà le remède tout trouvé; diminuée,
humiliée, appauvrie, elle décline, elle s'efface, elle disparaît
.
A gauche. Elle se subdivise,
Il y a dans celle méthode, et je suis maintenant
sur le terrain pratique, quelque chose de comparable à celle qui
présiderait aux déterminations d'un homme qui, ayant un voisin
puissant et entreprenant, et trouvant qu'il n'est pas suffisamment protégé
par la barrière qu'il a su construire, s'aviserait de cet admirable
expédient qui consisterait à dire: La muraille est trop faible,
nous allons la renverser, (Interruptions à l'extrême gauche,)
.
M, Pelletan vous a montré également
l'Église catholique irréductible par les moyens matériels
et quelle est, encore une fois, la solution qu'il propose'? C'est de l'atteindre
par la suppression de tous les traitements.
M, Édouard Vaillant. commençons par là,
M. le président du conseil. Eh bien! je trouve que cette
méthode sommaire ne donne en vérité aucune satisfaction
aux préoccupations qui, si je lis bien dans les esprits, sont cependant
au fond de 1a, pensée cie M. Pelletan et de ses amis eux-mêmes.
En effet, 1a diversité d'opinion existant antre ceux qui vous demandent
de supprimer purement et simplement 1e budget des cultes et ceux qui ne
cessent pas de refuser une mesure qu'ils trouvent dangereuse, semble être
née d'une confusion qui n'a pu se produire qu'en l'absence d'une
définition. Je ne crois pas qu'on ait séparé l'Église
de l'État le jour où l'État dirait à l'Église
: Je ne vous connais plus. Il faudrait pouvoir ajouter que l'Église,
elle non plus, ne connaîtra plus l'État, qu'elle ne connaîtra
plus la société moderne, ses lois, ses institutions, qu'à
un désintéressement aussi absolu elle répondra par
un désintéressement semblable.
Je ne crois pas, me tromper en disant que
séparer l'Églises de l'État serait assigner à
chacun son domaine et ses limites, donner à l'Église toutes
les garanties nécessaires pour l'enseignement de sa foi, mais aussi
assurer à l'État son indépendance complète
dans le gouvernement des intérêts matériels, moraux
el politiques qui président au développement des sociétés;
c'est parce que la séparation pure et simple, le trait de plume
donné sur un crédit ne constitue rien de semblable, n'établit
entre l'une et l'autre puissance aucune délimitation, aucune règle
que je pense que la solution proposée par la commission n'est pas,
à vrai dire, une solution.
M. Edouard Vaillant. Cc serait un commencement !
M. le président du conseil. Mais je ne veux pas risquer
de tomber dans l'erreur que j'ai reprochée moi-même à
nos adversaires,.......
Voici, en effet, le passage extrêmement
précis dans lequel l'honorable rapporteur a justifié la.
décision qui a été prise: "Il appartient maintenant
au Gouvernement de dénoncer le Concordat et au parlement d'élaborer
une loi sur la police des cultes et une loi réglant la situation
des personnes. Cette œuve n'est pas au-dessus des forces du
Parlement et la séparation des Églises et de l'État,
inscrite dans le programme de Gambetta, peut. être accomplie
avant le 1er Janvier 1902, non par simple suppression de crédits,
mais par voie législative. " (Exclamations et rires
au centre et à droite.)
Voilà qui est clair.
..........
Il y a là, de la part de l'honorable
rapporteur, une erreur involontaire. Rien n'est plus clair ni plus précis
que le système qu'il préconisait; Il vous dit: Ce n'est pas
par une suppression de crédits, par une loi fiscale, qu'on peut
réaliser une réforme de cette importance; il lui faut une
préface. Cette préface, lui-même l'a divisée
en trois chapitres: c'est d'abord la dénonciation du Concordat,
c'est ensuite une loi sur la police des cultes, et en troisième
lieu une loi sur la condition des personnes.
Il y aurait peut-être plus de logique à
renverser l'ordre des propositions et à dire : une loi sur la police
des cultes, une loi sur la condition des personnes et une loi sur la dénonciation
du Concordat. Mais soit.
.............
J'ai dit - et ces paroles ont excité un certain
étonnement - que l'établissement des rapports entre l'État
et l'Église était à ce point difficile que la Révolution,
cette grande remueuse d'idées, si hardie à trancher les difficultés,
même celles qu'il était difficile de résoudre, s'était
arrêtée devant ce problème, avait hésité,
tâtonné et ne l'avait pas résolu.
Qui donc est dans le vrai. ou de l'honorable M.
Pelletan qui nous répond que nous n'avons qu'à nous inspirer
de sa tradition, ou de moi-même qui pense que nous ne trouverions
point là d'exemples à suivre ni de solution toute prête
?
Oh! cette. affirmation est assez grave pour que
je désire ne pas la prendre seulement à mon compte et la
placer sous une autorité plus considérable et qui ne pourra
être suspecte à personne. Je parle de Quinet.
Edgar Quinet a examiné successivement les
trois solutions auxquelles la Révolution française eu recours.
Ce fut d'abord la. constitution civile du clergé. Il l'appelle une
révolution à contresens. Il montre ce qu'il y avait de fragile
dans la conception d'une Église française soustraite au mouvement
et à la direction d'une Église qui, par là même
qu'elle est catholique, est nécessairement universelle.
Quoi de plus illogique que de se dire prêtre
d'une Église qui vous renie?... C'était la situation
de tout le clergé constitutionnel. Il se prétendait catholique
et la chef légitime du catholicisme lui jetait l'anathème.
Sur' cette pente glissante, l'Église qui n'était nouvelle
que de nom devait s'abîmer au premier souffle de l'ancienne."
En effet la Révolution passe de la constitution
civile du clergé à la liberté des cultes et à
la séparation de l'Église et de l'État. Voici comment
le même historien apprécie les résultats obtenus.
......
"Chose frappante, la liberté des cultes
par la séparation des Églises et de l'État. après
la décret de ventôse an III, qu'a-t-elle produit en réalité?
Le triomphe de l'ancienne Église, maîtresse absolue - et à
ses pieds, dans la poussière, les restes mutilés du protestantisme,
trop heureux de végéter... sans aucune influence véritable
sur les destinées et l'esprit de la France. "
Après avoir lu ces lignes, on n'est pas éloigné
de croire qu'au moment où s'ouvrait la discussion qui a abouti au
régime de ventôse an III, c'était le jacobin, c'était
Robespierre qui avait raison quand, traçant un plan de son discours
avec cette méthode un peu pédagogique qui lui était
propre, il en annonçait ainsi les développements:
" Je m'attacherai à prouver que l'opération
qu'on vous propose (l'abolition du salaire du clergé) est mauvaise
en révolution. dangereuse en politique, et qu'elle n'est même
pas bonne en finances. "
Quinet ne se trompait pas et un autre écrivain
dont le nom fait autorité M. Debidour, a pu avec raison enlever
à Napoléon 1er le mérite d'une restauration catholique;
car il a pu écrire dans son livre sur les rapports des Églises
et de l'État :
" La Renaissance religieuse, dont Bonaparte s'est
attribué l'honneur, n'est pas son fait t;" ( Très bien!
très bien ! à droite) "elle s'était produite
bien avant le 18 brumaire... Le régime de. la séparation
des Églises et de l'État n'avait ,donc point déchristianisé
la France, bien au contraire. "
Et le même auteur constate que si beaucoup
de départements étaient exempts de troubles trop graves il
n'en était pas un, seul où la loi de ventôse n'eût
fait naître une agitation factieuse et une véritable anarchie.
.
Oh! sans doute, messieurs, la Révolution
s'en aperçût elle-même, car de ses propres mains elle
détruisit cette législation de l'an III. D'abord dans la
loi de fructidor, laquelle ordonne des poursuites coutre tout prêtre
qui se permet des discours hostiles à la République , puis
par une loi du 7 vendémiaire spécifiant un certain nombre
d'actes séditieux et la peine de la géhenne à perpétuité.
Mais il arriva que le mélange de trop de liberté et de trop
de violence ne fit précisément que précipiter les
événements que les deux historiens dont je parlais rappelaient,
et hâter cette restauration de l'idée catholique constatée
par Edgar Quinet lui-mêrne.
.......
La question reste donc bien telle que je la posais.
La Chambre ne peut pas aujourd'hui substituer au régime actuel un
régime nouveau ; elle est invitée simplement à supprimer
le budget des cultes, à se séparer de l'Église en
ce sens que désormais l'État n'aura plus sur elle aucune
espèce d'action.
.......
Toujours est-il, messieurs, que, si ce n'est
trop téméraire de donner des conseils à l'avenir,
d'envisager ce qui devra être plus tard la préoccupation des
hommes politiques, considérant les enseignements du passé,
l'immensité de la tâche, le danger que pourrait déterminer
un insuccès, j'oserai dire à ceux qui voudront entreprendre
une œuvre plus vaste : Étudiez, préparez cette loi sur la
police des cultes ; n'entreprenez rien de semblable sans être certains
d'être suivis, sans avoir la certitude de réussir, car en
pareille matière, messieurs, le moindre échec pourrait être
le signal d'un recul qu'il serait bien difficile de limiter. (Vifs applaudissements
à gauche et au centre.)