Une hypothèse toute personnelle
sur la raison du Saint-Siège
à refuser les cultuelles catholiques
de 1906 à 1924
En 1924, Le Saint-Siège acceptait, enfin, que les catholiques français
puissent créer des associations cultuelles sous le contrôle de l'évêque.
Biens des chercheurs se sont demandé pourquoi ce qui fut possible à ce moment
là, ne l'était pas depuis 1906, avec une belle obstination du Souverain pontife.
En effet, en 1906, le Conseil d'Etat écrivait dans un rapport à propos des associations cultuelles
: « Il n'est
pas exact de prétendre qu'elles devront nécessairement être composées de
laïques, à l'exclusion des membres du clergé. Il leur est, au contraire,
loisible de réserver à l'élément ecclésiastique, soit parmi leurs membres,
soit parmi leurs administrateurs, telle place qu'il leur convient, puisque
la loi de 1905 est absolument muette à cet égard.
Les associations cultuelles ne sont pas moins libres quant à la détermination
de leur rayon d'action, sous réserve de ce que nous avons dit précédemment
au sujet de l'attribution des biens des établissements supprimés.
Les articles 18 et 19 parlent des circonscriptions religieuses; mais ce
ne sont point là nécessairement les anciennes circonscriptions établies sous
le régime concordataire; de celles-ci, il n'y a à se préoccuper que lorsqu'il
s'agit de faire l'attribution des biens des établissements ecclésiastiques
supprimés. Mais d'une manière générale, les circonscription sont librement
délimitées; le projet de règlement demande seulement aux associations d'en
indiquer les limites lors de la déclaration par elle faite. »
Autrement dit, il était déjà possible de créer des associations
diocésaines !
Les historiens les plus compétents en la matière, M. Émile Poulat et
M. René Rémond, ont tous deux répondu: pour le premier, les esprit n'y étaient
pas mûrs, « c'était aussi impensable en 1905, qu'une association sans entraves
avant 1901 ». Pour le second, le souvenir de la constitution civile du clergé
établissait une méfiance incommensurable.
Très modestement, j'apporte les éléments suivants :
En décembre 1906, profitant de la rupture des relation diplomatique avec
le Vatican, Clémenceau accusa le secrétaire de la nonciature, Mgr Montagnini,
resté sur place, d'avoir inspiré les sermons séditieux de trois curés de
Paris, dont l'abbé Jouin. Poursuivi comme complice, il aurait dû être arrêté,
mais non seulement il ne le fut pas, mais on le laissa s'échapper. M. de
Lamarzelle dénonça cette attitude
au Sénat en disant même qu'on l'avait fait s'échapper, qu'on
l'avait forcé de franchir la frontière. On pouvait ainsi tranquillement saisir
les "papiers" que ce dernier n'avait pas encore, ou pas voulu, faire disparaître.
Ces textes sont sont des traductions de textes en italiens, avec toutes
les "trahisons" et manipulations qu'il y a pu avoir. MM. de Castelneau et
Denys Cochin dénoncèrent à la Chambre, le 4 juin 1907, le fait que les traducteurs
étaient « un commissaire de police ou des sergents de villes corses, parce
qu'on suppose qu'ils connaissaient l'italien » ...
Ils ont été publiés dans les quotidiens parisiens, mais surtout dans«Bulletin
de l'association paroissiale Saint Augustin» dans son N° spécial 17bis de
mai 1907, qui relate le procès de l'abbé Jouin ainsi que dans la «Gazette
des Tribunaux» des 12, 13 et 14 juin 1907 sur le même sujet.
Ces lettres servent au Substitut comme pièce à conviction:
27 février 1906
de Merry del Val à Montagnini
Veuillez dire au cardinal Richard dans le secret le plus absolu qu'il
ne doit pas croire que, jusqu'à aujourd'hui, le Saint Père ait voulu ou ait
cru accepter la formation des associations, donnant ainsi raison à ceux de
toute la presse libérale et maçonnique du monde, lesquels s'en vont disant
que la protestation est seulement doctrinale et platonique et que le pape,
après avoir parlé fort, acceptera tout dans la pratique.
Sur ce point aussi existe parmi nous ce courant qui subit l'influence
de l'école Brunetière, et on travaille pour arriver à ce but.
Je ne vais pas développer les très graves raisons d'ordre général qui
militent contre l'application même praticable de la loi néfaste. Le cardinal
pourra entendre ces raisons de la bouche des 14 évêques nouveaux auxquels
le pape a parlé en secret.
Je suis très soucieux, parce que je vois clairement que nous sommes à
un tournant de l'histoire pour l'Église universelle. Il s'agit de la lutte
de toutes les forces du mal, de la maçonnerie internationale contre l'Église,
et dans cette lutte, dans ce moment, la France se trouve au premier rang.
Ce qui se fera en France servira d'exemple à tous. C'est pourquoi, la décision
qu'on prendra sera de la plus grande importance; il est évident que si la
majorité des évêques est d'avis de subir la loi, en pratique il sera difficile
que le pape puisse leur commander d'agir contrairement à leur conviction,
bien qu'il soit assuré de leur obéissance; mais il est faux que le pape ne
soit pas prêt à proclamer la résistance s'il est appuyé par un bon nombre
d'évêques; le fait d'avoir demandé une étude sur les associations éventuelles
possibles ne signifie pas du tout que le pape ait déjà plus ou moins décidé
qu'il sera nécessaire de les accepter.
Par les évêques nouveaux, le cardinal pourra connaître les sentiments
de la pensée du pape, lequel pourrait attendre le jugement des évêques pour
prononcer le dernier mot.
On pourrait retenir que pour les Saint-Siège,
par la voix, et peut-être la volonté de Merry del Val, la raison du refus
serait donc celle-ci : Il s'agit de la lutte de
toutes les forces du mal, de la maçonnerie internationale contre l'Église,
et dans cette lutte, dans ce moment, la France se trouve au premier rang.
Ce qui se fera en France servira d'exemple à tous. Toute tentative
de médiation est nécessairement vouée à l'échec. Je cite le Substitut :
"Quelques jours plus tard, Montagnini écrit à Merry de Val pour
l'aviser des dispositions conciliantes du Conseil d'Etat dans l'élaboration
du règlement d'administration publique. Ainsi, le Conseil d'Etat dans l'élaboration
de ce règlement a décidé que les Associations cultuelles seront maîtresse
de leur constitution et aussi du choix de leurs membres.
Écoutez la réponse de Merry del Val : elle est intéressante :
5 mars 1906
de Merry del Val à Montagnini
J'ai reçu ce matin votre télégramme concernant des concessions faites
par le Conseil d'Etat. Je dois cependant vous affirmer que cela ne modifie
pas du tout, comme j'ai eu l'occasion de vous l'écrire il y a peu de jours,
les dispositions de celui qui nous commande. Prenez cela pour votre gouverne.
Intelligent pauca
........
Or des associations cultuelles se sont formées, notamment à Culley. Naturellement
elles n'ont pas eu l'approbation du Saint-Père. Elles ont obtenu la dévolution
des biens des anciennes paroisses.
Alors, plusieurs députés, dans le but de procurer au Saint-Père une garantie
susceptible d'être acceptée par lui, ont proposé ceci : déférer ces dévolutions
de biens au Conseil d'Etat, afin d'en faire prononcer la nullité, comme ayant
été faites à des associations qui n'auraient pas été constituées conformément
aux règles générales du culte catholique, le Pape ne les ayant pas approuvées.
Voici ce qu'écrit alors M. Montagnini à M. Merry del Val, le 13 octobre
1906
" ... Ce que dit M. Dernys Cochin, à savoir que l'arrêt de principe
du Conseil d'Etat fixant la jurisprudence vaudra mieux qu'un texte de loi,
est contestable ... M. Dernys Cochin en voulant faire trancher ces questions
par le Conseil d'Etat, donne raison à l'article 8 de la loi, lequel institue
juge en l'espèce le même conseil d'Etat, ce qui précisément fait injure aux
droits de l'Église ... Ce bon député incline toujours malgré tout à un accommodement d'une
façon ou d'une autre avec la loi en dehors de laquelle, dit-il, on ne peut
pas marcher. C'est ce même esprit d'insoumission qui est entretenu par la
Revue des Deux Mondes;"
Quelques jours après, plusieurs députés se demandent si un accord n'est
pas possible sur le terrain de la substitution du droit commun, au lieu et
place des associations cultuelles prévues par la loi de 1905. C'est ici que
se place la fameuse dépêche que tout le monde connaît. Le député Piou demande
: "Que faut-il dire demain, si dans la discussion parlementaire on offre
les garanties légales du droit commun en matière d'associations pour les associations
cultuelles ?
Voici la traduction très exacte de la réponse de Merry del Val :
"Repousser, parce qu'elle est absurde,la garantie légale. On ne veut
même pas accepter la garantie légale que le gouvernement donnerait en dehors
d'un texte de loi et la reprise officielle ..."
Ainsi toute les tentatives pour essayer d'une conciliation sont systématiquement
repoussées. ...
Il est important de remarquer que la
nonciature est prévenue du refus du Saint-Père près de six mois avant la publication
de l'encyclique Gravissimo offici par laquelle le Pape interdira la
formation d'association cultuelles. Je n'ai pas pu mettre la main sur l'original
de cette dépêche malgré une investigation poussée, mais, il est a remarquer
que les services de la Sûreté générale du ministère de l'Intérieur, lisant
la presse étrangère, avaient lu dans le journal italien La Tribuna en date du 30 mai 1906, que le pape
préparait une Encyclique pour refuser la loi de séparation
Pendant le procès de l'abbé Jouin, en 1907, le substitut n'avait-il pas
déclaré :" Ainsi, Rome
condamne la loi jusque dans son application pratique. A tous les essais conciliation,
à toutes les initiatives, on répond par un veto absolu. Ce qu'on veut, c'est
une conversation officielle, une reprise des relations diplomatiques ...."
Voilà une autre correspondance, citée cette fois
par Me Danet, l'avocat de M. L'abbé Jouin :
Cardinal Merry del Val à Monseigneur Montagnini
« Si Rouvier veut rétablir les relations diplomatiques nous sommes prêts. »
Rome, 19 février 1905
cardinal Merry del Val à Monseigneur Montagnini.
« M. Denis Guibert peut rassure M. Rouvier de vive voix plutôt que par écrit.
Le Saint-Siège n'a pas l'intention pour l'instant de faire un acte quelconque
de protestation contre le cabinet actuel. Il serait peut logique, après avoir
subi en silence les insultes de Combes, que le saint-Siège élevât la voix
contre un cabinet qui a commencé à peine l'offensive dans la séance du 10
courant.
Le Saint-Siège serait très heureux si, au contraire, il pouvait s'entendre
avec le gouvernement pour aplanir les difficultés existantes et épargner
à la France une dangereuse situation religieuse. »
Voilà pour ce qui pourrait être la version officielle. Ce que veut le Saint-Siège est dit: c'est la reprise officielle; des négociations et non une imposition; un nouveau Concordat ?
Pour ma part, je m'en suis fait une autre qui n'est pas forcément
en opposition avec les autres. Je vous soumets les différents éléments d'un
puzzle :
1° Dans le livre que Georges Suarez a consacré à Briand (Plon 1938), je relève ceci à propos de l'influence de Monseigneur Fuzet : « - L'opposition irréductible de Rome, expliquait-il à Briand qui appuya sur cette opinion toute son oeuvre de séparation, est bien plus le fait des réguliers que celui d'un Merry del val. Ils prennent leur revanche sur le clergé séculier. Merry del val n'est que l'instrument de l'Autriche et de l'Allemagne. La Russie est immobilisée par sa guerre avec le Japon. Nous nous débattons en France dans les querelles religieuses. Et Guillaume II débarque à tanger. C'est un jeu subtil dont Bulow est le maître.
L'empereur allemand a en effet défilé sous les vivats de tout un peuple dans les rues du port marocain, le 1er avril 1905. Briand sent l'imminence d'un péril dont Mgr Fuzet lui découvre l'étendue. Il lui accordera toute sa confiance. »
Par la suite, le fait que les Jésuites auront comme général un Allemand facilitera grandement le gouvernement français a discréditer le Vatican et à faire accepter les mesures d'accompagnement de la Séparation.
2° L'ambassadeur Paul Cambon, qu'il est difficile
de qualifier d'anticlérical sectaire, jugera le pape de cette façon dans
une lettre à son fils en date du 20 mai 1904.
"M. Jaurès a publié dans son journal le texte de la circulaire du Pape
aux Puissances après le voyage du Président Loubet à Rome. Ce document est
la reproduction à peu près textuelle de la note remise à notre Gouvernement
mais il y a une phrase de plus et elle est malheureuse. Le secrétaire d'État,
Merry del Val dit qu'on ne maintient le Nonce à Paris que pour des objets
spéciaux. C'est dire aux Puissances que virtuellement, moralement, le Pape
n'a plus de Nonce à Paris. Les socialistes font grand bruit de cette circulaire;
la note était déjà embarrassante pour Delcassé, la circulaire l'est bien
plus. Tout cela finira, je le crois, par le rappel de Nisard. Ce Pape est
un brave curé de campagne sans idée de rien et son jeune secrétaire d'État
n'a aucune expérience. Léon XIII n'aurait pas commis cette faute. Elle peut
être grosse de conséquences"
3° M. Hypolythe Prague, rédacteur aux Archives Israélites
du 27 octobre 1904: "... Si le Vatican,
par son intervention intempestives dans des domaines où se serait attendu
de sa part à une réserve plus conforme à la tradition de sa diplomatie, n'avait
pas brusqué les événements, la séparation des Églises et de l'État, quoique
faisant partie depuis plus d'un lustre, des revendications républicaines,
serait demeurée encore longtemps à l'état de pium desiderium. Il a
fallu la maladresse insigne, à moins que ce ne soit un propos délibéré d'amener
une rupture avec la France, du Saint-Siège, pour faire mûrir si rapidement
un projet que plusieurs législatures républicaines imbues pourtant du plus
pur esprit laïque, n'étaient pas parvenues à faire sortir de la terre parlementaire.
..."
De par le Concordat, le gouvernement français
nommait les évêques, qui recevaient par la suite l'institution canonique
du pape. Le gouvernement qui avait donc ainsi le pouvoir de les révoquer;
c'était sans doute le seul avantage réel qu'il avait. C'est ce qui avait
eu lieu jusqu'en 1871; puis les gouvernements avaient laissé discuter ses
choix, le saint-Siège ne les acceptant qu'après une entente préalable. Combes
voulu revenir à la lettre du Concordat. Il se heurta au refus du Vatican.
(en 1906, le Pape aura à nommer 12 évêques).
Et quand le Saint-Siège citera deux évêques français à comparaître à Rome
devant les Saint-Office sous peine de suspension , s'attribuant ainsi le
droit destitution, cela signifiera pour le gouvernement français, qu'il n'avait
plus aucun intérêt au Concordat. (Les journaux favorables
à la séparations ont titré, ce jour là, que le Concordat n'existait plus)
J'imagine que M. Prague, en tant que juif, regarde les relations franco-vaticanes
d'un regard que je suppose tout à fait dépassionné. Je relève donc l'hypothèse
que le Vatican a provoqué de propos délibéré sa rupture avec la France.
4° Quand le Siècle a publié son enquête, j'y est
relevé les phrases suivantes dans son numéro du 18 mars
1905. L'abbé Klein, au cours de l'interview, déclarera :
" ... C'est à tort que l'on suppose qu'il peut en être du pape comme du tsar,
et que le premier comme le second peut devenir l'esclave de son entourage.
Il n'en est rien. La bureaucratie de Rome n'a pas la puissance de la bureaucratie
de Saint-Petersbourg. Le pape est le maître et le seul maître ; il dictera
ses volontés, et c'est lui qui imprimera le mouvement de résistance ou indiquera
la route de la pacification. ... "
5° Le 23 septembre 1906, le journal très anticlérical, Les Corbeaux , publiait une caricature montrant le Pape debout dans une barque, avec les curés français autour de lui, mais se débattant dans ... l'eau. C'est Merry del Val qui tenait les rames. Le commentaire était le suivant : Les Curés.- Saint-Père, vous nous montez-là un vilain bateau !
Voilà pour la personnalité du Pape et de son secrétaire d'Etat. Les journaux de l'époque les représentaient presque toujours ensemble, tant sur les photographies que sur les caricatures qu'ils publiaient.
Je poursuis la lecture de l'enquête du Siècle
:
6° Dans son numéro du 21 décembre 1904, l'archevêque
de Beauvais, Mgr Douai, s'exprime ainsi : " ... "Enfin, la
persécution elle-même passera; si l'on a fait la séparation on reviendra
bientôt à un Concordat, car il faudra en revenir là, et avec cette différence
que cette fois le Concordat ne sera ni proposé ni discuté par un Napoléon
sortant de faire l'Europe. Le pape d'alors sera donc beaucoup plus à l'aise
pour défendre les intérêts de son clergé, et soyez certain que le pape qui
signerait ce nouveau Concordat n'accorderait pas les privilèges qui, en 1802,
ont été accordés au grand vainqueur. Nous n'en sommes pas là. Il y a quatre
mois, le vent semblait devoir nous apporter la séparation des Églises et
de l'État. Aujourd'hui les parlementaires ont l'air de comprendre que peut-être
il serait imprudent de le faire.
Voilà pourquoi je préfère ne rien vous dire sur cette question. Quand
la séparation sera votée, si elle l'est, revenez me voir, à ce moment je
vous dirai ce que je ferai dans mon diocèse".
7°
Dans son numéro du 8 février 1905, le rédacteur
du siècle n'a pu rencontrer l'évêque de Rennes : " La fâcheuse
influenza, qui cause des ravages jusqu'à Rennes, va me priver de la joie
d'être reçu par le vénérable archevêque. J'en suis très contrarié quand le
hasard, qui souvent se charge admirablement de dénouer les situations difficiles,
me fait rencontrer un vénérable personnage pour qui, d'après ce que m'ont
affirmé des notabilités rennaises à même d'être renseignées, le cardinal
n'a pas de secret. C'est un intime, peut-être le plus intime, mais à sa demande
je dois taire son nom.
-" Ne regrettez pas, dit-il, que la maladie de l'archevêque l'ait empêché
de vous recevoir ; il a horreur des interview, et, assurément, il ne vous
aurait rien dit ; votre confrère Jean de Bonneton était allé à Rome, au moment
du conclave, dans l'espoir d'avoir une entrevue avec lui. Peine perdu ! Mgr
Labouré n'a jamais consenti à le recevoir, aussi votre confrère l'a-t-il
baptisé de ce surnom: Le grand silencieux. Vous n'auriez pas été plus heureux
; il vaut cent fois mieux pour vous m'avoir rencontré, et, puisque vous m'êtes
recommandé par XXX, je vais consentir à vous révéler l'état d'âme de l'archevêque
sur cette brûlante question de la séparation de l'Église et de l'État.
"Tout d'abord je dois vous déclarer que dans chacune de ses lettres pastorales
comme dans aucun document, Mgr Labouré n'a abordé ce sujet ; conformément
à son caractère, il se réserve.
"Mais je puis vous affirmer qu'il est résolument partisan du maintien
du Concordat, et cela, non pas autant dans l'intérêt de l'Église que surtout
dans l'intérêt de l'État ; en effet, dit-il, cette période de violence et
de persécution n'aura qu'un temps qui sera relativement court, la réaction
tôt ou tard se produira. Alors assurément, on sera obligé de recourir à un
nouveau Concordat ; s'il en est ainsi, on doit dès aujourd'hui être convaincu
que l'Église ne se montrera pas aussi débonnaire qu'en 1804 et qu'elle n'accordera
pas les mêmes concessions que celles qui furent accordées à cette époque.
En ce cas, à quoi bon briser le Concordat existant ? C'est pourquoi le cardinal,
qui revient de Rome, sait mieux que personne que, si Sa Sainteté est contrariée
de voir la guerre faite en France à la religion, du moins elle ne craint
pas les résultats de la séparation. »
Autrement dit, l'intime d'un archevêque et un archevêque ont le même discours : Il y aura un nouveau concordat plus favorable à l'Eglise. Je ne crois pas au hasard dans ce genre de coincidences, mais au minimum à des bruits de couloir (du Vatican).
Et le rédacteur terminera ainsi son article du 8 février 1905 : « Avant de finir, un dernier mot : le pape Pie X aurait, dans un suprême conseil, donné dernièrement à Rome aux cardinaux français des instructions formelles sur l'attitude à prendre en présence de la séparation de l'État et de l'Église, si elle est votée, mais il aurait enjoint aux cardinaux, sous peine d'excommunication, de garder le secret le plus absolu sur ce qui a été décidé. J'ai recueilli ce précieux et dernier renseignement d'un prélat romain »
Dans le Siècle daté du 22 décembre 1904,
Mgr Dizieu, évêque d'Amiens, déclarait : « "Quoi qu'il en soit, je suis sûr que l'Église sortira plus forte
de toutes ces tribulations et que l'État en sera amoindri. » C'est son
rôle d'être optimiste, mais qu'est-ce qui le rendait aussi péremptoire?
8° Au cours des débats à la Chambre, concernant
la loi de Séparation, le député Gayraud, également abbé, déclara le 21 mars
1905, dès le premier jour des débats : "
Le régime concordataire de 1801 ne réalise pas cet idéal. (Mouvements
divers.) Non, messieurs, ne croyez pas que nous considérions le Concordat
de messidor comme l'expression fidèle de la doctrine catholique sur les rapports
de deux puissances. Dans ce Concordat l'Église est reconnue non pas comme
la vraie religion - ce qu'elle est à nos yeux - mais tout simplement comme
la religion de la majorité des Français. ... D'après ce Concordat, les nominations
ecclésiastiques, les nominations des évêques et des curés sont livrées au
Gouvernement.
L'Église, se retrouve, d'après certains articles du traité, dans l'impossibilité
de se suffire à elle-même au point de vue matériel : vous l'avez condamnée
à une sorte de mendicité et de salariat. ... De plus, on a ajouté au Concordat
des Articles Organiques qui en sont en grande partie la contradiction formelle,
la violation flagrante.
En dernier lieu,..., la manière dont le Concordat a été appliqué, surtout
dans ces derniers temps, a fait de lui un instrument d'oppression contre
l'Église et contre la conscience des catholiques. (Protestations à gauche)
......
Vous le voyez, je ne regarde pas le Concordat de 1801 comme l'idéal des
rapports entre l'Église et de l'État. cependant je n'hésite pas à déclarer
que je préfère ce régime concordataire à la séparation que vous nous apportez;
9° Revenant au procès de l'abbé Jouin, voici ce que déclara également le
Substitut :
"Voici quelque chose de plus topique encore. C' est la fameuse lettre
du 12 août 1905. C'est un acte qui, ainsi que sa date l'indique, n'a pas
été écrit à l'occasion des inventaires. Il a été écrit à l'occasion de manifestations
qu'on a essayé d'organiser un peu partout pour faire pression sur les Conseils
généraux qui venaient alors d'entrer en cession:
Rome, 12 août 1905
Merry del Val à Montagnini.
«J'ai reçu votre rapport relatif aux manifestations publiques qui se produisent
en France contre la loi de Séparation de l'Église et de l'état; en vous remerciant
des détails contenus dans ce rapport, je vous engage à faire en sorte que
des manifestations semblables se multiplient pendant la période actuelle
qui est pour ainsi dire une période de transition. Il est toutefois inutile
d'ajouter qu'en agissant ainsi, il faut que vous usiez d'une prudence extrême,
afin que vous n'ayez pas à vous compromettre.»
Voilà bien indiquée, dès le mois d'août, quelle va être l'attitude du saint-Siège
: ne point se compromettre, tout en fomentant l'agitation et en multipliant
les manifestations publiques, dans le but d de faire échec à la loi.
Au reste, à cette époque, ceux qui savent le mieux lire et interpréter
les documents romains ne se sont pas trompés, et le 23 octobre 1905, M. Montagnini
écrit à M. Merry del val :
«La lettre si grave et si digne du saint-Père à Son Éminence le cardinal
Richard publiée dans les journaux de la capitale, n'a été jusqu'à présent
que très peu commentée par la presse même modérée. Le silence, qui ne peut
être attribué qu'à un mot d'ordre, ne diminue en rien la grandeur et l'importance
de ce document ...Le Gaulois et la Libre Parole déduisent des paroles du
saint-Père le présage des résistances futures.»
Ces résistances futures, vous savez sous quelle forme elles se sont manifestées.
Cela a été des troubles à l'occasion des inventaires. Ici, nous trouvons
brusquement une lacune dans les papiers de M. Montagnini; lacune dont à mon
sens il n'est peut-être pas bien difficile de trouver la cause; car j'ai
peine à croire que le Ministre et le diplomate qui plusieurs fois par jour
prennent soin de s'entretenir des sujets les plus insignifiants, aient tout
à coup cessé la correspondance au moment le plus intéressant. Je ne trouve
à ce silence sur des événements aussi important que les inventaires, qu'une
explication : pour une fois – ce n'est de ma part qu'une hypothèse, mais
qui est à considérer – il est vraisemblable que ce bon Montagnini aura été
prudent, et que conformément aux instructions qui lui avaient été données,
il aura brûlé les pièces trop compromettantes. Il en est resté cependant quelques
unes, assez pour permettre de préciser quelle fut en cette affaire l'attitude
de Rome, et pour permettre de constater qu'elle fut conforme à celle qui
était préconisée dans la lettre du 12 août 1905, c'est à dire : provoquer
des manifestations, tout en faisant en sorte de ne point se compromettre.
Pour ma part, j'ai consulté un rapport de police, aux Archives nationales,
décrivant la remise de sommes d'argent par le directeur du Gaulois
à des « apaches » ayant «manifestés» lors des inventaires.
On affirmera qu'on imagine ce qu'on veut en regardant les nuages, que
ce ne sont pas là les pièces d'un puzzle mais ceux d'un kaléidoscope, mais,
avec tous ces éléments, je peux imaginer le scénario suivant :
D'abord, il faut se rappeler que pour Merry del Val refuser la loi, c'est lutter « contre les forces du mal », contre la « maçonnerie internationale » qui menace l'Eglise « et dans cette lutte, dans ce moment, la France se trouve au premier rang. Ce qui se fera en France servira d'exemple à tous. » Mais si c'était la vraie raison, il n'aurait pas ajouté « Le cardinal pourra entendre ces raisons de la bouche des 14 évêques nouveaux auxquels le pape a parlé en secret. »
Je m'imagine donc que le Vatican a profité de l'état d'esprit qui régnait en France pour enfoncer le clou par des maladresses volontaires ( la convocation des deux évêques sans en discuter au préalable, comme le prévoyait le Concordat, avec le Gouvernement français, puis la fameuse note aux chancelleries). Merry del Val, qui s'occupait de tout -ou presque- au Vatican, aurait convaicu le Saint-Père qu'une fois la Séparation faite, les incidents seraient si graves et si nombreux – surtout si « on » les provoquait - que le Gouvernement français aurait été obligé de demander un nouveau Concordat bien moins favorable à la France que le précédent.
S'il y eut plan machiavélique, il fut mis en échec au moins deux fois par le peuple de France.
Une première fois, directement . Joseph Caillaux
écrit dans ces mémoires : « Heureusement le parti clérical avait mal
choisi son terrain de bataille. Il indisposa les gens raisonnables.
Il ne s'en rendit pas compte. Se repaissant, comme toujours, d'illusions,
croyant que la France désavouerait les auteurs de la Séparation, il se jeta
dans la bataille électorale de 1906 tout bouillant d'espérances. Le pays
se cabra. Redoutant le "gouvernement des curés " il répondit à la campagne
de droite en balayant partout, sauf dans l'Ouest et dans quelques coins du
Nord et de l'Est, les conservateurs et les modérés qui avaient fait cause
commune avec les réacteurs.
Les élections de 1906 furent très à gauche. »
Une deuxième fois, par l'intermédiaire de ses représentants à qui Aristide Briand, le 28 mars 1907, fit voter une loi rendant facultative la déclaration préalable à toute réunion publique. Sans le vouloir, les cléricaux avaient fait avancer les libertés publiques.
Briand eut bien des difficultés avec ... les anticléricaux les plus acharnés qui, au travers de leurs journaux, le considéraient comme un traitre à leur cause. Selon le témoignage des papiers du nonce Montagnini (Non encore daté), il aurait, avec le directeur des cultes Louis Méjan, incité de nombreux préfets et sous-préfets à empêcher par tous les moyens possibles, la constitution d'associations cultuelles dissidentes de Rome. Les tribunaux condamnèrent ces dernières; il y en eu environ deux cent. Briand avait vainement cherché une politique d'apaisement avec le Pape. Paul Cambon écrivait même à son fils :
Paris, 7 février 1907
Le Roi et la Reine d'Angleterre sont ici. Il y avait hier en leur honneur un grand déjeuner à l'Élysée. J'y assistais et j'ai pu faire la connaissance de M. Briand et de M. Viviani. M. Briand a l'air doux, mélancolique et fatigué; nous avons parlé de la situation actuelle et je me suis permis de lui dire que c'était un paradoxe de vouloir légiférer sur les affaires de l'Église catholique sans tenir compte du Pape et que précisément, à cause des projets de séparation, il fallait laisser à Rome un représentant de la France : « C'est évident, m'a-t-il répondu, mais la rupture était faite quand je suis arrivé au Ministère. » Pichon, à qui je racontais cette conversation aujourd'hui, m'a dit qu'il connaissait les sentiments de Briand et les trouvait des plus raisonnables. Voilà donc des gens qui se débattent dans des impossibilités dont ils ont conscience et qui n'osent pas ou ne peuvent pas se dégager de la peur de quelques énergumènes à la Chambre. Le plus fort est que M. Combes, l'auteur de la suppression de notre Ambassade auprès du Vatican, professe aujourd'hui qu'on restera dans le gâchis tant qu'on n'aura pas causé avec le St-Siège .
. ..... »
Monseigneur Montagnini n'était plus sur place en 1907, mais il serait intéressant de connaître les échanges épistolaires qu'il eut lors des élections de 1906. Il pouvait en prévoir le résultat étant donné le rapport (que je n'ai pas encore daté) qu'il envoya à propos de « l'Action de l'épiscopat, du clergé de la paroisse, des réguliers des deux sexes et des catholiques les plus influents. » :
« .... L'action politique des catholiques est nulle. Presque tous les députés catholiques appartiennent à la noblesse, et sont de beaucoup inférieurs, comme valeur morale et comme talent à leurs collègues de la Chambre.
Le parti catholique devrait être représenté par des hommes moins nobles, mais sachant parler au peuple. »
L'acceptation des "Diocésaines" aura donc lieu en 1924, après la reprise des relation diplomatiques avec le Vatican.
Voici les évêques nouvellement nommés, selon le journal La Croix : Mgrs
Gibier (Versailles); Gauthey (Nevers); Luçon (Reims) – qui avait une sympathie
reconnue pour l'Action Française -; du Vaudroux (Agen); Enard (Auch); Guillibert
(Fréjus); Gély (Mende); Dadolle (Dijon); Dechelette (Lyon); Chesnelong (Valence);
Gouraud (Vannes) – qui fut un ardent contestataire de la séparation; de Ligonnès
(Rodez); Gieure (Bayonne); Ollivier (Ajaccio); Touzet (Aire et Dax); Grellier
(Laval); Fodéré (St Jean de Maurienne)
Maurice Gelbard