La Séparation vue de Boucoiran

        Boucoiran est un village du Gard de moins de 1000 habitants entre Nimes et Alès (Alais à l'époque).
Voilà des textes que j'ai retranscri du registre des délibérations du Conseil municipal.
Je n'y ai ajouté que des liens qui renvoient aux textes officiels dont il est question.



 15 janvier 1904
    Le Maire déclare la séance ouverte.
    Il rend compte que le presbytère se trouve dans un état le rendant presque inhabitable.
    Ce bâtiment étant propriété communale, il demande au Conseil s'il n'y aurait pas lieu de procéder aux réparations les plus urgentes.
    Le Conseil invite MM. Galagueur et Laporte a se rendre au presbytère pour se rendre compte de l'état des lieux et ordonner les réparations les plus urgentes.

    3 juin 1906

    Le Conseil    
    Pour ce qui concerne l'indemnité de logement à accorder au pasteur, regrette de se voir obligé d'ouvrir au budget supplémentaire un crédit de deux cents francs pour être affecté à cet objet.
    Il se refuse de prévoir ce crédit pour 1907 espérant que la nouvelle chambre modifiera la loi  de séparation et qu'à partir du 1er janvier prochain les communes n'auront plus à loger les ministres des cultes.

     10 février 1907
    Le Maire
    ......
    Expose que par une circulaire, Mr le Préfet a invité les Maires à faire l'application de la loi de séparation des Églises et de l'Etat dans leurs communes respectives.
    Il donne lecture de cette circulaire et explique au Conseil qu'il a rempli ses obligations en entrant en relation avec Mr le Curé desservant de l'Église catholique de Boucoiran qui n'a pas formé d'association cultuelle.
    Des correspondances échangées, dont il donne communication, il semblait résulter que Mr le Curé, se basant sur un acte authentique, pensait avoir le droit d'occupation perpétuelle et gratuite du presbytère. Cette hypothèse devait donc être examinée avec la plus grande attention de façon à pouvoir prendre une décision conforme à l'équité.
    Mr le Curé lui ayant confié une copie de l'acte de vente sur lequel il appuie ses prétentions, Mr le Maire a cru devoir soumettre ce contrat à Maître Dugas, avocat à Alais dont le talent comme jurisconsulte est avantageusement apprécié.
    En fait, il résulte de l'avis de Maître Dugas et de toutes les investigations auxquelles s'est livré Mr le Maire:
    Que par un acte de vente reçu par Maître Jousset, notaire à Brignon, le 14 avril 1838, Melle Rosalie Poussigue a vendu au sieur Jean-Louis Dupont agissant comme Maire, au nom et pour le compte de la commune de Boucoiran et Nozières, à ce dûment autorisé par Mr le Préfet du Gard;
    Une partie de maison, ayant fait partie d'un plus grand corps qu'il délimite exactement, pour servir exclusivement de logement à Mr le prêtre desservant de l'Église catholique de la dite commune de Boucoiran, et à ses successeurs à perpétuité.
    Laquelle maison a été cédée au prix de trois mille francs versés et comptés, mille francs par la Fabrique de l'Église catholique de Boucoiran et deux mille francs par ladite commune de Boucoiran et Nozières.
    Cet acte établit de la façon la plus indiscutable que cette maison, qui constitue le presbytère catholique est réellement une propriété communale, seule la destination qui lui a été donnée pouvait présenter quelques difficultés, car si la clause qui la détermine constituait une condition résolutoire, il conviendrait ou de la respecter pour maintenir le bénéfice de cette acquisition, ou au contraire de ne pas en tenir compte, et dans ce cas, exposer peut-être la commune à soutenir une instance en justice.
    Mr le Maire, après ce sommaire exposé, explique au Conseil qu'il ne lui était pas possible de proposer une solution quelconque sans s'être entouré des conseils juridiques d'un praticien réputé dont il donne les conclusions ainsi conçues.
    « En 1838, la Commune de Boucoiran a fait l'acquisition d'un presbytère pour satisfaire à l'obligation légale qui pesait sur elle à cette époque et qui consistait à assurer le logement du desservant; la Fabrique y a contribué dans la mesure de ses ressources, mais il est bien évident que ni l'une ni l'autre n'ont entendu constituer au profit du desservant un droit personnel que celui dérivant des lois sur la matière.
    « Il ne saurait être question de droit d'usufruit ou d'usage attaché à la personne du prêtre qui d'ailleurs était incertaine et qui ne pouvait pas être légalement bénéficiaire à perpétuité, mais seulement du droit de jouissance spécial conféré par les lois de l'Etat au desservant d'une paroisse régulièrement constituée.
    « Si une association cultuelle avait été créée à Boucoiran en vertu de la loi de 1905, elle aurait eu en vertu de l'article 14 de ladite loi, la jouissance gratuite du presbytère pendant cinq ans et le conseil de fabrique en lui faisant la dévolution de ses biens aurait eu soin de lui attribuer le droit de reprise résultant pour lui du versement de mille francs effectué en 1838 aux mains de la commune.
    « L'absence d'association cultuelle a pour conséquence d'exonérer la commune de l'obligation de loger le desservant et lui permet de reprendre possession de son immeuble. La créance de mille francs qui appartenait à la Fabrique fait partie des biens qui ont dû être mis sous sequestre et qui à l'expiration du délai légal seront l'objet d'une dévolution de la part de l'Etat.
    « D'après la loi de 1905 et le règlement du 16 mars 1906 les choses seraient restées en suspens pendant un an, en ce sens que la Commune n'aurait pu disposer du presbytère, le vendre ou le démolir; mais elle avait le droit de rentrer en possession de cet immeuble et d'en jouir en le louant au desservant ou de toute autre façon. Le tout subordonné à la solution définitive qui interviendrait au cours ou au bout de l'année. La loi du 2 janvier 1907 a modifié cette situation et a conféré à la commune la libre disposition du presbytère qui est sa propriété; en cas de difficultés sur ce point, c'est la juridiction civile qui est compétente pour statuer sur les questions que pourrait soulever la prise de possession.
    « La loi de 1905 a supprimé toute la législation cultuelle antérieure et constitué un code complet qui se suffit à lui même; elle interdit toute subvention directe ou indirecte de la part des communes; l'acte de 1838 ne peut pas faire échec aux dispositions de lois d'ordre public dont l'application ne paraît pas contestable dans l'espèce.
    « C'est au Conseil municipal à voir l'intérêt qu'il peut y avoir pour la commune à régler la question de prise de possession ou de location et dans quelle condition elle peut être réglée »
            Alais, le 10 janvier 1907
                Signé : Dugas


    La situation de la commune étant ainsi définie, Mr le Maire ouvre la discussion sur les propositions suivantes :
    Convient-il d'adopter la manière de voir de Maître Dugas et de considérer le presbytère catholique comme propriété communale ?
    Convient-il au contraire de reconnaître de reconnaître que cet immeuble étant grevé d'une servitude qui réserve son occupation à perpétuité par le prêtre catholique desservant de la paroisse, il y a lieu de lui abandonner la jouissance gratuite ?
    A la suite des diverses opinions émises par chacun des membres présent du Conseil , il est décidé à l'unanimité ce qui suit:
    Considérant que l'avocat consulté établit juridiquement que la commune a acquis cet immeuble pour s'affranchir de l'indemnité de logement qu'elle devait aux prêtres de tous les cultes.
    Que notamment cette opinion est corroborée par l'article 14 de la loi du 9 décembre 1905, lequel oblige la commune à servir une indemnité de logement au prêtre protestant conforme à celle qui lui était servie sous l'empire du Concordat et des anciennes lois.
    Considérant que le droit de jouissance et d'habitation ne saurait être légalement attribué à une personne incertaine, le prêtre desservant, puisqu'il perd toutes ses qualités par la loi de Séparation à laquelle il ne s'est pas conformé.
    Considérant qu'aucune association cultuelle catholique n'a été constituée, selon les termes de la loi de 1905, dans la commune de Boucoiran; que de ce fait le Conseil de Fabrique étant légalement disparu, la somme de mille francs par laquelle il a concouru dans l'achat du presbytère tombe de droit dans les biens mis sous séquestre pour être dévolus plus tard à l'un des établissements susceptibles de les recevoir.
    Considérant que la nouvelle loi du 2 janvier 1907 a modifié la précédente et autorisé les communes à disposer librement des presbytères qui sont leur propriété
    Le Conseil délibère et décide :
    que l'immeuble affecté jusqu'à ce jour comme presbytère catholique est bien une propriété communale;
    Que tout en regrettant de ne pouvoir porter sur le le même pied d'égalité et de justice le prêtre de cette Église comme celui du culte protestant, il ne saurait agir autrement puisque sa décision est le résultat de l'insoumission aux loi dans laquelle persiste volontairement l'église catholique;
    Qu'il y a donc lieu d'autoriser Mr le Maire à revendiquer la propriété de l'immeuble en question devant toute les juridictions compétentes, au cas où elle lui serait contestée.
    Que cette propriété reconnue il convient encore de l'autoriser à faire à Mr le Curé de Boucoiran des propositions de location qui fixeront le prix annuel du loyer.
    En conséquence Mr le Maire est invité à revendiquer l'immeuble affecté au presbytère Catholique comme étant la propriété de la Commune de Boucoiran et Nozières.
    Au cas de contestation sur cette propriété, Mr le Maire est autorisé à se pourvoir devant toute juridiction compétente pour faire établir le droit de la commune;
    La propriété de cet immeuble une fois reconnue ou établie, le Conseil autorise encore Mr le Maire à le louer à Mr le Curé de Boucoiran au prix de cent francs par année, impôts en sus, sous réserve encore de l'insertion des clauses résolutoires prévues à l'ordonnance du 3 mars 1825 et du décret du 9 avril 1904.
    Cette question ainsi résolue, Mr le Maire donne lecture au Conseil d'une lettre qui lui a été adressée par Mr le Curé de Boucoiran en date du 3 courant, ainsi que d'un projet annexé à ladite lettre, constituant un procès verbal de concession gratuite de l'immeuble constituant l'Église catholique de la commune.
    Il explique au Conseil qu'il résulte de ces deux documents que le prêtre demande, au nom de ses paroissiens, la jouissance gratuite de l'Église et de mobilier tel qu'il a été porté à l'inventaire dressé en date du 6 mars 1906.
    Cette demande est donc la reconnaissance incontestable de la propriété communale.
    Il rappelle au Conseil que cette concession a été réclamée dans toutes les communes de France par suite d'un ordre général décrété par le pouvoir suprême de l'Église catholique. Cette démarche intempestive qui réclamait une solution immédiate ne devait mêle pas supporter le refus d'une seule commune sous peine de graves représailles.
    Pareille prétention n'était pas faite pour adoucir le pouvoir civil qui, en demandant la loi de Séparation des Églises et de l'Etat, a entendu garder de la façon la plus absolue la suprématie sur le pouvoir temporel.
    En effet, la Chambre des députés s'est occupée de cette menace de l'Église et tous les Citoyens Français connaissent les réponses qui furent fournies par les ministres compétents.
    Ces demandes de concession, par la forme de leur présentation et de leur rédaction, ont donné lieu à des instructions préfectorales et à une circulaire de Mr le Ministre de l'Instruction publique.
    Se conformant à ces instructions et à son devoir, Mr le Maire a répondu à Mr le Curé de Boucoiran que sa proposition de Concession serait soumise au Conseil pour lui permettre de formuler un avis.
    Mr le Maire ouvre donc la discussion sur cette demande de concession gratuite et prie le Conseil de délibérer.
    Le Conseil après avoir entendu les explications fournies par Mr le Maire, après avoir pris connaissance des instructions préfectorales, tenant compte en outre de l'opinion de Monsieur le Ministre de l'Instruction publique exposée dans sa circulaire du 3 février courant,
    Considérant que l'immeuble construit à Boucoiran pour l'exercice du Culte catholique doit conserver sa destination;
    Considérant qu'en le maintenant à la disposition de la population qui pratique cette confession, le Conseil ne fera que se conformer aux termes et à l'esprit de la loi de séparation qui reconnaît la liberté pour tous les cultes;
    Considérant cependant que la concession gratuite ne peut être accordée à Mr le Curé que par un contrat constatant que la propriété de l'édifice est communale, précisant les conditions de la cession ainsi que les droits respectifs des parties contractantes, ne contenant enfin aucune clause contraire aux lois sur la séparation des Églises et de l'Etat;
    A l'unanimité des membres présents, délibéré:
    Mr le Maire est autorisé à concéder gratuitement l'église communale de Boucoiran à Mr le Curé de Boucoiran, aux conditions qui seront prescrites par Monsieur le Ministre de l'Instruction publique ou par Mr le Préfet de Gard.
    Sous réserve que cette concession fera l'objet d'un bail dont les clauses ne porteront rien de contraire aux prescriptions du Code Civil et des lois de séparation; qu'en outre, de ce bail ne pourra résulter aucune charge pour la commune;
    Qu'enfin cette concession ne modifiera en rien les prérogatives de Mr le Maire en ce qui touche à la sonnerie des cloches réglementée par les lois non abrogées.

        9 signatures

    24 novembre 1907

    Mr le Maire communique au Conseil une lettre de Mr le Curé de Boucoiran par laquelle ce dernier, conformément à l'avis de son Conseil Curial, demande une déduction sur le prix concernant la location du presbytère. Le Conseil municipal avait fixé ce prix à cent francs, impôts en sus.
    Mr le Curé déclare ne pouvoir accepter, vu l'état de délabrement dans lequel se trouve le local, qu'aux conditions suivantes : Montant du loyer : 80 francs et les impôts à la charge de la Commune.
    Le Conseil
    Considérant que l'offre faite par Mr le Curé constitue une preuve que ce dernier reconnaît que le presbytère est devenu propriété communale,
    Accepte les conditions de location qu'il a lui-même fixées à condition toutefois qu'aucune réparation locative ou de gros entretien ne sera à la charge de la commune.

    22 décembre 1907

    Mr le maire donne lecture d'un projet de bail concernant le presbytère, contenant les conditions et les clauses auxquelles le dit immeuble serait affermé à Mr l'abbé Boyer.
    Le Conseil,
    Considérant que ce projet est conforme aux décisions qu'il a précédemment prises, en adopte la teneur et autorise Mr le Maire à le signer au nom et comme représentant de la commune.

    20 août 1908
    Monsieur le Maire donne communication d'une circulaire de Mr le Sous-Préfet d'Alais concernant l'attribution des biens ecclésiastiques.
    L'Administration, d'après les instructions ministérielles, demande que le bureau de bienfaisance qui a réclamé l'attribution à son profit des biens qui appartenaient autrefois à la Fabrique de Boucoiran, prenne à sa charge les dettes contractées par l'ancien établissement ecclésiastique ou celles afférentes aux biens attribués.

    Le Conseil

    Considérant que si le bureau de bienfaisance sollicite l'attribution des biens ecclésiastiques, c'est dans le but d'augmenter les revenus qu'il consacre en oeuvres charitables

    Que si les biens qu'il réclame sont grevés d'hypothèques et de servitudes atteignant ou dépassant leur valeur, le but qu'il se propose ne peut être atteint et que son intérêt lui commande de retirer sa demande d'attribution.
.

    Est d'avis que le bureau de Bienfaisance ne peut s'engager à recueillir les biens de l'ancienne fabrique que sous bénéfice d'inventaire et lorsqu'il saura que lesdits biens ne sont ni hypothéqués, ni soumis à des servitudes annulant leur valeur.