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29 juin 1905

     * Suite de la discussion du projet et de la proposition d e loi concernant la fraude sur les vins et le régime des spiritueux.
    * Délibération sur le projet de loi tendant à modifier la loi du 16 juillet 1897 concernant la répression de la fraude dans le commerce du beurre et la fabrication de la margarine.
    * Délibération sur le projet de loi relatif à la taxe du pain et de la viande.

suite de la discussion du projet et des diverses propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(44° journée ; réduite et annotée)

M. le président : Nous sommes arrivés à l’article 31 dont voici le texte :
     « Art. 31.- Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni d'une amende de 500 fr. à 3 000 fr. et d'un emprisonnement d'un mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement. »
     La commission ajoute à ce premier paragraphe un second paragraphe ainsi conçu :
     « La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du présent article et de l'article qui suit. »
     M. de Castelnau demande, par voie d’amendement, la suppression de l’article.

M. de Castelnau :...cela ne me paraît pas acceptable, d’abord pour une raison de fond et de bon sens. Le délit d’outrage et le délit de diffamation sont, en effet, deux délits d’une nature et d’une gravité absolument différentes.
     La diffamation, vous le savez, est l’imputation d’un fait pouvant porter atteinte à l’honneur et la considération d’un citoyen faite de mauvaise foi et dans l’intention de lui nuire ; l’outrage, au contraire, est tout simplement un terme de mépris, étranger même à l’imputation d’un vice ou d’un fait déterminé, lais de nature à paralyser l’autorité morale, à affaiblir la considération, à porter atteinte à l’honneur ou à la délicatesse d’un fonctionnaire public.
...
M. Aristide Briand, rapporteur : je veux retenir surtout de l’amendement de M. de Castelnau la partie qui tend à la suppression de l’article 31, le seul en discussion en ce moment.
     Au cours de la discussion générale, j’ai eu l’occasion déjà de m’expliquer longuement sur les raisons pour lesquelles la commission avait cru devoir adopter les dispositions du titre de la police des cultes.
     Je reconnais volontiers que l’article 31 est une dérogation au droit commun, mais la situation dont jouiront les ministres du culte, même en régime de séparation, constituera elle-même une dérogation au droit commun.
    La loi les protège d’une manière toute particulière et leur fait ainsi, pour l’exercice de leur ministère, une situation privilégiée
....
     je ne m’explique même pas qu’on puisse s’élever contre les dispositions des articles 31 et 32; ...
...
M. Ribot : ... j’admets parfaitement avec M. le rapporteur que les églises ne sont pas faites pour qu’on y entende la censure violente des actes du Gouvernement ou la critique des lois ; mais nous ne créons pas un délit, en ce moment ; nous abrogeons le code pénal en ce sens qu’il interdisait, de la part des ministres du culte, la censure du Gouvernement.
     La commission nous propose d’abroger ces articles. Désormais, on pourra parler avec la dernière violence, même dans une église, des lois, de la Chambre des députés, du Gouvernement dans son ensemble. Mais, messieurs, vous maintenez, en modifiant très légèrement la peine, un délit qui est un délit de droit commun : c’est l’outrage et la diffamation soit contre un particulier, soit contre un fonctionnaire public.
     Ces délits sont prévus par la loi de 1881 ; vous maintenez la définition de ces délits et vous aggravez la peine légèrement, ce qui est sans grande importance. Vous ne faites en réalité que déplacer la juridiction ; vous faites un brèche à la loi de 1881 en marquant une défiance contre le jury. On discute depuis longtemps pour savoir s’il ne faut pas enlever au jury la connaissance des outrages et diffamations contre les fonctionnaires publics. On est très divisé sur cette question : il y a beaucoup de membres dans cette Chambre qui désirent ou qui ont désiré à d’autres époques qu’on portât devant la police correctionnelle les uns, tous les outrages, les autres toutes les diffamations contre les fonctionnaires, en autorisant la preuve.
     Vous faites en ce moment un pas considérable ; vous saisissez la police correctionnelle de ces procès quand c’est un ecclésiastique qui est inculpé du délit de diffamation ; vous permettez la preuve, non pas devant le jury, mais devant la police correctionnelle. Vous faites quelque chose d’assez grave, car aujourd’hui si un prêtre en chaire, commet une diffamation ou un outrage, il est justifiable du jury. On n’a pas dérogé au droit commun ; en ce qui concerne les outrages, les attaques contre les personnes, c’est devant le jury que les prêtres serait traduit aujourd’hui et admis à faire la preuve.

M. Carnaud : En Bretagne, il sera toujours acquitté.
...
M. le rapporteur :... La dérogation de l’article 31 est grave, j’en conviens ; la commission ne s’y est pas déterminé sans hésitation.
     personnellement, je serais désolé qu’elle pût ébranler une institution qui m’est chère. Je n’ai pas besoin de dire que le texte proposé par nous n’a nullement été inspiré par l’esprit de méfiance à l’égard du jury..... le jury, même avec ses imperfections, malgré ses faiblesses, malgré les erreurs fréquentes qu’il commet, reste une institution excellente aussi. Ses faiblesses, ses fautes proviennent de ce que l’éducation civique de ce pays n’est pas suffisante. (Très bien ! très bien ! à gauche) Mais surtout de ce que le jury n’est pas ce qu’il devrait être dans une démocratie. (Applaudissements à gauche et à l’extrême gauche.)
     A l’heure actuelle, de par sa constitution restreinte, basée sur le privilège, il reste une juridiction incomplète qui ne représente qu’imparfaitement les sentiments de justice du pays. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
     Si nous avions un jury démocratique, composé de tous les citoyens éligibles, nous ne vous aurions pas proposé l’article 31 ; mais nous ne sommes pas dans cette situation.
     Vous savez du reste qu’au point de vue des délits de presse, d’opinion, la jurisprudence des jury actuels est pour ainsi dire systématique en matière de délits de presse ou d’opinion.
...
    De parti pris, ils refusent d’associer la justice aux polémiques de presse. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
...
(L’amendement de M. de Castelnau est repoussé par 330 voix contre 259)

M. le président : Sur le premier paragraphe de l’article 31, il y a deux amendements : le premier de M. Cuneo d’Ornano, tend à supprimer le mot « ou diffamé »
     Le second est de M. Lemire. Il tend à substituer aux mots « un citoyen chargé d’un service public » les mots « un fonctionnaire en raison de sa fonction ».
     La première partie du paragraphe de l’article : « Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ... » n’est pas contestée.
     Je mets aux voix cette première partie (Adoptée)

M. Cuneo d’Ornano : Je tiens à rappeler à la Chambre qu’à l’heure actuelle les outrages par la voie de la presse et les injures relèvent de la police correctionnelle. Il en est autrement de la diffamation.
     Je demande donc que l’article 31 de la commission ne vise que les outrages, lesquels seront très naturellement jugés par le tribunal correctionnel.
     Quant à la diffamation, elle est justiciable de la cour d’assise et d’elle seule.
     Dans ces conditions l’article serait amélioré si vous retranchiez ces mots « ou diffamation ». C’est ce que je demande par mon amendement. Je n’ai pas besoin de l’expliquer davantage pour décider la Chambre à le ratifier. (Très bien ! très bien ! à droite)

M. le rapporteur : La commission repousse l’amendement, en grand partie pour les raisons que j’ai données précédemment.

M. Cuneo d’Ornano : Je dépose une demande de scrutin, afin que l’on connaisse ceux de mes collègues qui, même en matière de diffamation, ont peur du jury populaire.
(Amendement repoussé par 323 voix contre 223)
...
M. Lemire : ... je ne suis pas de ceux que les paroles de M. le rapporteur ont étonnés. Je crois qu’il y a des devoirs professionnels et des délits professionnels. Hier soir j’étais d’avis, avec M. Paul Constans, qu’un patron propriétaire d’instruments de travail et qui en abuse pour contraindre ou empêcher la liberté de conscience d’un ouvrier, commet un délit plus grave qu’un simple citoyen ; et je ne suis pas surpris qu’à ce qu’on appelait d’abord une simple boutade de notre sympathique collègue M. Lasies, et qui était en réalité une proposition très sérieuse, la chambre ait répondu par un vote approbatif de plus de 200 voix..
     On se rend, en effet, très facilement compte qu’un fonctionnaire, lorsqu’il nuit à la liberté de conscience de ses concitoyens, commet un acte plus grave qu’un patron qui abuse de sa situation ; car il abuse, lui, de l’autorité publique dont il est revêtu.
     Je crois, avec l’honorable rapporteur de la loi qui nous est proposé, qu’un ministre du culte quelconque qui, le lendemain de la séparation exerce ses fonctions dans un local où il est protégé par la loi, qui est mis à sa disposition pour un but déterminé par la volonté de la nation française, qu’il s’agisse de l’Église catholique, des confessions protestantes ou du culte israélite, a le devoir strict, absolu, de professer le respect plus complet à l’égard des autorités de son pays.
...
     Je suis convaincu, pour ma part, que, chez les catholiques en particulier, on saura, le lendemain de la séparation comme la veille, donner à César ce qui lui revient, comme nous donnons à Dieu ce qui lui appartient, et de la sorte observer un précepte de l’Évangile, qui est la formule bien connue de notre devoir religieux et civique.
     Par conséquent, le lendemain comme la veille, nous allons payer l’impôt, nous allons respecter l’autorité, nous allons obéir aux justes lois.
     Vous avez cru cependant qu’il fallait prendre contre nous des précautions que vous avez regardées comme in,utiles à l’égard des patrons, des précautions que vous avez jugées tout à fait superflues à l’égard des fonctionnaires.
     Soit ! la Chambre a décidé, je m’incline.
     Mais au moins je viens lui demander par l’amendement que j’ai l’honneur de soumettre à sa bienveillance que ce texte ne soit pas un piège, que ce soit un texte de loi strict et précis dont on sache le sens, et qui ne fournisse pas prétexte demain à toute sortes de dissentiments devant les tribunaux.
     Nous n’avons pas envie de manquer de respect à l’autorité publique. Encore faut-il que nous sachions qu’il s’agit bien d’elle. Or vous dites dans votre texte que : Tout ministre d’un culte qui aura outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public sera puni, etc. ... »
     Où avez-vous été chercher cette expression, monsieur le rapporteur ?
...
M. le rapporteur : Dans la loi de 1881. (ce sont les termes même de la loi)
...
M. Lemire : S’il est entendu, après les paroles de M. le rapporteur, confirmées par M. le ministre des cultes, que les mots « citoyen chargé d’un service public » sont suffisamment précisés par la jurisprudence actuelle, je n’insiste point...... ;je retire mon amendement.
...
M. le président :... Je mets aux voix la deuxième partie du premier paragraphe de l’article :
     « ... ou diffamé un citoyen chargé d'un service public, sera puni d'une amende de 500 fr. à 3 000 fr. et d'un emprisonnement d'un mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement. »
(La fin du premier paragraphe, mise aux voix, est adoptée)
     Je mets aux voix le second paragraphe de l’article 31.... (Adopté)
     M. Georges Grosjean a déposé un paragraphe additionnel ainsi conçu :
     « Dans le cas de diffamation, il sera déféré à la cour d’assises, devant laquelle il sera admis à prouver la vérité du fait diffamatoire relatif aux fonctions. »
(Amendement repoussé par 315 voix contre 263)
(L’ensemble de l’article 31, mis aux voix est adopté)
    " Art. 32.- Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. »
(M. Auffray retire son amendement sous les applaudissements de la gauche et l’article, mis aux voix est adopté)
(L’amendement retiré par MM. Réville et Albert-Le-Roy est repris puis retiré par M. Auffray)
     Je donne lecture de l’article 33
     « Art. 33.- Dans le cas de condamnation par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles 23 et 24, 31 et 32 , l'association constituée pour l'exercice du culte dans l'immeuble où l'infraction a été commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables. »
     Je fais remarquer à la Chambre que l’article 33 se réduit à ce paragraphe. »
....
    L’article 33 serait ainsi rédigé :
     « Dans le cas de condamnation par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles 25 et 26, 34 et 35 , l'association constituée pour l'exercice du culte dans l'immeuble où l'infraction a été commise sera civilement responsable. »
(Ce changement donne satisfaction à M. Henry Boucher, M. Léonce de Castelnau, M. Jules Auffray, M. Caillaux et ses amis, M. Réveillaud, M. Grosjean, M. Boury qui, ayant chacun déposé un amendement le retire.)
     Je mets aux voix l’article 33. (Adopté)
    (M. Péret retire article additionnel déposé par voie d’amendement)
     Nous passons à l’article 34
    TITRE VI
    Dispositions générales
     « Art. 34. - L'article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités. »
     Il y a sur cet article un amendement de M. Georges Gerry ainsi conçu :
     « Remplacer le texte de cet article par la disposition suivante :
     « L'article 463 du Code pénal et la loi de sursis sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités. »

M. le rapporteur : La commission accepte la rédaction de M. Georges Berry.

M. le président : L’article 34 serait ainsi libellé :
     « L'article 463 du Code pénal et la loi du 26 mars 1891 sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités. »
     Personne ne demande plus la parole ? ...
 Je mets aux voix l’article 34 ainsi modifié (Adopté)
(MM. Régnier, Boury et Daudé retirent chacun leur amendement)
     « Art.35. - Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904. »
     J’ai reçu sur cet article deux amendements.
     Le premier, de M. Gayraud, tend à rédiger l’article de la manière suivante :
     « Les associations religieuses appelées congrégations pourront se constituer en se conformant aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901. Le titre III de ladite loi, ainsi que les lois des 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904 sont et demeurent abrogés »
...
M. le ministre des cultes : Votre amendement anéantit toute la partie de la loi de 1901 qui concerne les congrégations religieuses. Cette simple constatation suffit à nous déterminer à le rejeter.

M. Gayraud : je ne vois pas en quoi le fait que mon amendement détruit toute une législation, qui un attentat contre la liberté de conscience ...(Exclamations à gauche. - Applaudissements à droite.)... justifie le rejet de cet amendement.
 Nous reprendront cette question, l’occasion se représentera, et nous ne cesserons de protester contre le titre III de la loi de 1901. (réclamations à l’extrême gauche.)
(L’amendement n’est pas pris en considération)

M. Le président : MM. de Gailhard-Bancel, Fabien-Cesbron, Lerolle et Savary de Beauregard proposent de remplacer l’article 35 par la disposition suivante :
     « Sont supprimés les articles 13, 14, 15, 16 et 17 de la loi du 1er juillet 1901 et la loi du 4 décembre 1902 »
(L’amendement, mis aux voix n’est pas pris en considération et l’article 35 est adopté.)
La tentative de supprimer le titre III de la loi sera reprise en 1927 et 1931, sans succès. Le régime de Vichy abrogera l’article 14 en 1940 et l’article 16 en 1942.

SUITE
 

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3