* Suite de la discussion du projet et de la
proposition d e loi concernant la fraude sur les vins et le régime
des spiritueux.
* Délibération sur le projet de loi
tendant à modifier la loi du 16 juillet 1897 concernant la répression
de la fraude dans le commerce du beurre et la fabrication de la margarine.
* Délibération sur le projet de loi
relatif à la taxe du pain et de la viande.
suite de la discussion du projet et des diverses propositions
de loi
concernant la séparation des Églises et
de l'État.
(44° journée ; réduite
et annotée)
M. le président : Nous sommes arrivés à
l’article 31 dont voici le texte
:
« Art. 31.- Tout ministre d'un culte
qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement par
des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués
ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen
chargé d'un service public, sera puni d'une amende de 500 fr. à
3 000 fr. et d'un emprisonnement d'un mois à un an, ou de l'une
de ces deux peines seulement. »
La commission ajoute à ce premier paragraphe
un second paragraphe ainsi conçu :
« La vérité du fait diffamatoire,
mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établi
devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article
52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées
par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du
présent article et de l'article qui suit. »
M. de Castelnau demande, par voie d’amendement,
la suppression de l’article.
M. de Castelnau :...cela
ne me paraît pas acceptable, d’abord pour une raison de fond et de
bon sens. Le délit d’outrage et le délit de diffamation sont,
en effet, deux délits d’une nature et d’une gravité absolument
différentes.
La diffamation, vous le savez, est l’imputation
d’un fait pouvant porter atteinte à l’honneur et la considération
d’un citoyen faite de mauvaise foi et dans l’intention de lui nuire ; l’outrage,
au contraire, est tout simplement un terme de mépris, étranger
même à l’imputation d’un vice ou d’un fait déterminé,
lais de nature à paralyser l’autorité morale, à affaiblir
la considération, à porter atteinte à l’honneur ou
à la délicatesse d’un fonctionnaire public.
...
M. Aristide Briand, rapporteur : je veux retenir surtout
de l’amendement de M. de Castelnau la partie qui tend à la suppression
de l’article 31, le seul en discussion en ce moment.
Au cours de la discussion générale,
j’ai eu l’occasion déjà de m’expliquer longuement sur les
raisons pour lesquelles la commission avait cru devoir adopter les dispositions
du titre de la police des cultes.
Je reconnais volontiers que l’article 31 est
une dérogation au droit commun, mais la situation dont jouiront
les ministres du culte, même en régime de séparation,
constituera elle-même une dérogation au droit commun.
La loi les protège d’une manière toute
particulière et leur fait ainsi, pour l’exercice de leur ministère,
une situation privilégiée
....
je ne m’explique même pas qu’on puisse
s’élever contre les dispositions des articles 31 et 32; ...
...
M. Ribot : ... j’admets parfaitement
avec M. le rapporteur que les églises ne sont pas faites pour qu’on
y entende la censure violente des actes du Gouvernement ou la critique
des lois ; mais nous ne créons pas un délit, en ce moment
; nous abrogeons le code pénal en ce sens qu’il interdisait, de
la part des ministres du culte, la censure du Gouvernement.
La commission nous propose d’abroger ces articles.
Désormais, on pourra parler avec la dernière violence, même
dans une église, des lois, de la Chambre des députés,
du Gouvernement dans son ensemble. Mais, messieurs, vous maintenez, en
modifiant très légèrement la peine, un délit
qui est un délit de droit commun : c’est l’outrage et la diffamation
soit contre un particulier, soit contre un fonctionnaire public.
Ces délits sont prévus par la
loi de 1881 ; vous maintenez la définition de ces délits
et vous aggravez la peine légèrement, ce qui est sans grande
importance. Vous ne faites en réalité que déplacer
la juridiction ; vous faites un brèche à la loi de 1881 en
marquant une défiance contre le jury. On discute depuis longtemps
pour savoir s’il ne faut pas enlever au jury la connaissance des outrages
et diffamations contre les fonctionnaires publics. On est très divisé
sur cette question : il y a beaucoup de membres dans cette Chambre qui
désirent ou qui ont désiré à d’autres époques
qu’on portât devant la police correctionnelle les uns, tous les outrages,
les autres toutes les diffamations contre les fonctionnaires, en autorisant
la preuve.
Vous faites en ce moment un pas considérable
; vous saisissez la police correctionnelle de ces procès quand c’est
un ecclésiastique qui est inculpé du délit de diffamation
; vous permettez la preuve, non pas devant le jury, mais devant la police
correctionnelle. Vous faites quelque chose d’assez grave, car aujourd’hui
si un prêtre en chaire, commet une diffamation ou un outrage, il
est justifiable du jury. On n’a pas dérogé au droit commun
; en ce qui concerne les outrages, les attaques contre les personnes, c’est
devant le jury que les prêtres serait traduit aujourd’hui et admis
à faire la preuve.
M. Carnaud : En Bretagne, il sera toujours acquitté.
...
M. le rapporteur :... La dérogation de l’article 31 est
grave, j’en conviens ; la commission ne s’y est pas déterminé
sans hésitation.
personnellement, je serais désolé
qu’elle pût ébranler une institution qui m’est chère.
Je n’ai pas besoin de dire que le texte proposé par nous n’a nullement
été inspiré par l’esprit de méfiance à
l’égard du jury..... le jury, même avec ses imperfections,
malgré ses faiblesses, malgré les erreurs fréquentes
qu’il commet, reste une institution excellente aussi. Ses faiblesses, ses
fautes proviennent de ce que l’éducation civique de ce pays n’est
pas suffisante. (Très bien ! très bien ! à gauche)
Mais
surtout de ce que le jury n’est pas ce qu’il devrait être dans une
démocratie. (Applaudissements à gauche et à l’extrême
gauche.)
A l’heure actuelle, de par sa constitution
restreinte, basée sur le privilège, il reste une juridiction
incomplète qui ne représente qu’imparfaitement les sentiments
de justice du pays. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Si nous avions un jury démocratique,
composé de tous les citoyens éligibles, nous ne vous aurions
pas proposé l’article 31 ; mais nous ne sommes pas dans cette situation.
Vous savez du reste qu’au point de vue des
délits de presse, d’opinion, la jurisprudence des jury actuels est
pour ainsi dire systématique en matière de délits
de presse ou d’opinion.
...
De parti pris, ils refusent d’associer la justice
aux polémiques de presse. (Applaudissements à l’extrême
gauche.)
...
(L’amendement de M. de Castelnau est repoussé par 330 voix contre
259)
M. le président : Sur le premier paragraphe de l’article
31, il y a deux amendements : le premier de M. Cuneo d’Ornano, tend à
supprimer le mot « ou diffamé »
Le second est de M. Lemire. Il tend à
substituer aux mots « un citoyen chargé d’un service public
» les mots « un fonctionnaire en raison de sa fonction ».
La première partie du paragraphe de
l’article : « Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où
s'exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés,
des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches
apposées, outragé ... » n’est pas contestée.
Je mets aux voix cette première partie
(Adoptée)
M. Cuneo d’Ornano : Je tiens
à rappeler à la Chambre qu’à l’heure actuelle les
outrages par la voie de la presse et les injures relèvent de la
police correctionnelle. Il en est autrement de la diffamation.
Je demande donc que l’article 31 de la commission
ne vise que les outrages, lesquels seront très naturellement jugés
par le tribunal correctionnel.
Quant à la diffamation, elle est justiciable
de la cour d’assise et d’elle seule.
Dans ces conditions l’article serait amélioré
si vous retranchiez ces mots « ou diffamation ». C’est ce que
je demande par mon amendement. Je n’ai pas besoin de l’expliquer davantage
pour décider la Chambre à le ratifier. (Très bien
! très bien ! à droite)
M. le rapporteur : La commission repousse l’amendement, en grand partie pour les raisons que j’ai données précédemment.
M. Cuneo d’Ornano : Je dépose une demande de scrutin,
afin que l’on connaisse ceux de mes collègues qui, même en
matière de diffamation, ont peur du jury populaire.
(Amendement repoussé par 323 voix contre 223)
...
M. Lemire : ... je ne suis
pas de ceux que les paroles de M. le rapporteur ont étonnés.
Je crois qu’il y a des devoirs professionnels et des délits professionnels.
Hier soir j’étais d’avis, avec M. Paul Constans, qu’un patron propriétaire
d’instruments de travail et qui en abuse pour contraindre ou empêcher
la liberté de conscience d’un ouvrier, commet un délit plus
grave qu’un simple citoyen ; et je ne suis pas surpris qu’à ce qu’on
appelait d’abord une simple boutade de notre sympathique collègue
M. Lasies, et qui était en réalité une proposition
très sérieuse, la chambre ait répondu par un vote
approbatif de plus de 200 voix..
On se rend, en effet, très facilement
compte qu’un fonctionnaire, lorsqu’il nuit à la liberté de
conscience de ses concitoyens, commet un acte plus grave qu’un patron qui
abuse de sa situation ; car il abuse, lui, de l’autorité publique
dont il est revêtu.
Je crois, avec l’honorable rapporteur de la
loi qui nous est proposé, qu’un ministre du culte quelconque qui,
le lendemain de la séparation exerce ses fonctions dans un local
où il est protégé par la loi, qui est mis à
sa disposition pour un but déterminé par la volonté
de la nation française, qu’il s’agisse de l’Église catholique,
des confessions protestantes ou du culte israélite, a le devoir
strict, absolu, de professer le respect plus complet à l’égard
des autorités de son pays.
...
Je suis convaincu, pour ma part, que, chez
les catholiques en particulier, on saura, le lendemain de la séparation
comme la veille, donner à César ce qui lui revient, comme
nous donnons à Dieu ce qui lui appartient, et de la sorte observer
un précepte de l’Évangile, qui est la formule bien connue
de notre devoir religieux et civique.
Par conséquent, le lendemain comme
la veille, nous allons payer l’impôt, nous allons respecter l’autorité,
nous allons obéir aux justes lois.
Vous avez cru cependant qu’il fallait prendre
contre nous des précautions que vous avez regardées comme
in,utiles à l’égard des patrons, des précautions que
vous avez jugées tout à fait superflues à l’égard
des fonctionnaires.
Soit ! la Chambre a décidé,
je m’incline.
Mais au moins je viens lui demander par l’amendement
que j’ai l’honneur de soumettre à sa bienveillance que ce texte
ne soit pas un piège, que ce soit un texte de loi strict et précis
dont on sache le sens, et qui ne fournisse pas prétexte demain à
toute sortes de dissentiments devant les tribunaux.
Nous n’avons pas envie de manquer de respect
à l’autorité publique. Encore faut-il que nous sachions qu’il
s’agit bien d’elle. Or vous dites dans votre texte que : Tout ministre
d’un culte qui aura outragé ou diffamé un citoyen chargé
d’un service public sera puni, etc. ... »
Où avez-vous été chercher
cette expression, monsieur le rapporteur ?
...
M. le rapporteur : Dans la loi de 1881. (ce sont les termes
même de la loi)
...
M. Lemire : S’il est entendu, après les paroles de M.
le rapporteur, confirmées par M. le ministre des cultes, que les
mots « citoyen chargé d’un service public » sont suffisamment
précisés par la jurisprudence actuelle, je n’insiste point......
;je retire mon amendement.
...
M. le président :... Je mets aux voix la deuxième
partie du premier paragraphe de l’article :
« ... ou diffamé un citoyen chargé
d'un service public, sera puni d'une amende de 500 fr. à 3 000 fr.
et d'un emprisonnement d'un mois à un an, ou de l'une de ces deux
peines seulement. »
(La fin du premier paragraphe, mise aux voix, est adoptée)
Je mets aux voix le second paragraphe de l’article
31.... (Adopté)
M. Georges Grosjean a déposé
un paragraphe additionnel ainsi conçu :
« Dans le cas de diffamation, il sera
déféré à la cour d’assises, devant laquelle
il sera admis à prouver la vérité du fait diffamatoire
relatif aux fonctions. »
(Amendement repoussé par 315 voix contre 263)
(L’ensemble de l’article 31, mis aux voix est adopté)
" Art. 32.-
Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué
publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation
directe à résister à l'exécution des lois ou
aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à
soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le
ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement
de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la
complicité, dans le cas où la provocation aurait été
suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. »
(M. Auffray retire son amendement sous les applaudissements de la gauche
et l’article, mis aux voix est adopté)
(L’amendement retiré par MM. Réville et Albert-Le-Roy
est repris puis retiré par M. Auffray)
Je donne lecture de l’article
33
« Art. 33.- Dans le cas de condamnation
par les tribunaux de police ou de police correctionnelle en application
des articles 23 et 24, 31 et 32 , l'association constituée pour
l'exercice du culte dans l'immeuble où l'infraction a été
commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement
responsables. »
Je fais remarquer à la Chambre que
l’article 33 se réduit à ce paragraphe. »
....
L’article 33 serait ainsi rédigé :
« Dans le cas de condamnation par les
tribunaux de police ou de police correctionnelle en application des articles
25 et 26, 34 et 35 , l'association constituée pour l'exercice du
culte dans l'immeuble où l'infraction a été commise
sera civilement responsable. »
(Ce changement donne satisfaction à M. Henry Boucher, M. Léonce
de Castelnau, M. Jules Auffray, M. Caillaux et ses amis, M. Réveillaud,
M. Grosjean, M. Boury qui, ayant chacun déposé un amendement
le retire.)
Je mets aux voix l’article 33. (Adopté)
(M. Péret retire article additionnel déposé
par voie d’amendement)
Nous passons à l’article 34
TITRE VI
Dispositions générales
«
Art. 34. - L'article 463 du Code pénal est applicable à
tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités.
»
Il y a sur cet article un amendement de M.
Georges Gerry ainsi conçu :
« Remplacer le texte de cet article
par la disposition suivante :
« L'article 463 du Code pénal
et la loi de sursis sont applicables à tous les cas dans lesquels
la présente loi édicte des pénalités. »
M. le rapporteur : La commission accepte la rédaction de M. Georges Berry.
M. le président : L’article 34 serait ainsi libellé
:
« L'article 463 du Code pénal
et la loi du 26 mars 1891 sont applicables à tous les cas dans lesquels
la présente loi édicte des pénalités. »
Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l’article 34 ainsi modifié (Adopté)
(MM. Régnier, Boury et Daudé retirent chacun leur amendement)
«
Art.35.
- Les congrégations religieuses demeurent soumises aux
lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904. »
J’ai reçu sur cet article deux amendements.
Le premier, de M. Gayraud, tend à rédiger
l’article de la manière suivante :
« Les associations religieuses appelées
congrégations pourront se constituer en se conformant aux articles
5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901. Le titre III de ladite loi,
ainsi que les lois des 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904 sont et
demeurent abrogés »
...
M. le ministre des cultes : Votre amendement anéantit
toute la partie de la loi de 1901 qui concerne les congrégations
religieuses. Cette simple constatation suffit à nous déterminer
à le rejeter.
M. Gayraud : je ne vois pas
en quoi le fait que mon amendement détruit toute une législation,
qui un attentat contre la liberté de conscience ...(Exclamations
à gauche. - Applaudissements à droite.)... justifie le
rejet de cet amendement.
Nous reprendront cette question, l’occasion se représentera,
et nous ne cesserons de protester contre le titre III de la loi de 1901.
(réclamations à l’extrême gauche.)
(L’amendement n’est pas pris en considération)
M. Le président : MM. de Gailhard-Bancel, Fabien-Cesbron,
Lerolle et Savary de Beauregard proposent de remplacer l’article 35 par
la disposition suivante :
« Sont supprimés les articles
13, 14, 15, 16 et 17 de la loi du 1er juillet 1901 et la loi du 4 décembre
1902 »
(L’amendement, mis aux voix n’est pas pris en considération
et l’article 35 est adopté.)
La tentative de supprimer le
titre III de la loi sera reprise en 1927
et 1931, sans succès. Le régime de Vichy abrogera l’article
14 en 1940 et l’article 16 en
1942.
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3