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28 juin 1905

     * Dépôt, par M. Lozé, d’un rapport fait au nom de la commission des affaires extérieures sur le projet de loi concernant la rectification de la frontière franco-belge le long su « Ry de France »
    * Dépôt, par M. François Deloncle , d’un rapport fait au nom de la même commission sur le projet de loi ayant pour objet d’approuver une nouvelle prorogation de la réforme judiciaire en Égypte.(En ces temps d e conquête s coloniales, la Grande Bretagne et la France avaient des « visées » sur Égypte et sur le Maroc. Dans ses « Mémoires», Joseph Caillaux écrit qu’il a eu « troc de nos droits sur Égypte contre le désintéressement anglais au Maroc. Bien que le contrat ne fût pas de premier ordre puisque nous cédions des réalités contre des espérances l’opinion publique l’accueillit avec joie. »)
    * Adoption d’un projet de loi ayant pour objet l’achèvement de l’arrière-port de l’Agha à Alger.

suite de la discussion du projet et des diverses propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(43° journée ; réduite et annotée)

M. le président : La Chambre s’est arrêtée hier à l’examen de l’article 26, sur lequel il restait un certain nombre d’amendements à examiner. Le premier est celui de M. Lefas, tendant rédiger ainsi l’article 26 :
     « Il est interdit à l’avenir d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des cimetières, ainsi que des musées ou exposition. »
.....
(Amendement repoussé par 307 voix contre 266)
     Il y a sur l’article 26 un dernier amendement de M. Auffray, ainsi conçu :
     « A l’avenir, il ne pourra plus être élevé ou apposé de signe ou d’emblème religieux, sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, que sur les édifices servant au culte, dans les cimetières, dans les musées ou expositions, et sur les monuments ou statues consacrés à la mémoire des personnages célèbres. »
.....
(Amendement repoussé par 323 voix contre 258)
...
    L’article 26 est ainsi rédigé : « Il est interdit à l’avenir d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou exposition. »
     Il n’y a pas d’opposition ?...

M. de l’Estourbeillon :  Comment ? Cet article doit être mis aux voix par scrutin.

M. le marquis de La Ferronnays : ... je dépose une demande de scrutin. Il est impossible de voter une loi de cette nature sans que chacun prenne sa responsabilité. (Bruit à gauche.)

(La Chambre adopte l’article par 335 voix contre 235)

M. le président : M. Paul Constans a déposé une disposition additionnelle ainsi conçue :
     « Art. 26bis.- Conformément à l’article 2 de la loi du 28 mars 1882, l’instruction religieuse ne pourra être donnée, par les ministres des cultes, aux enfants des écoles primaires publiques qu’en dehors des jours de classe. »
     D’autre part, MM. Abel Lefèvre, Couyba et Veber proposent d’insérer après l’article 27 un article additionnel qui serait ainsi conçu :
     « Conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 28 mars 1882, l’enseignement religieux ne peut être donnée aux enfants âgés de six à treize ans, inscrits dans les écoles publiques, qu’en dehors des heures de classe.
     « Il sera fait application aux ministres des cultes, qui enfreindraient ces prescriptions, des dispositions de l’article 14 de la loi précitée »

M. le rapporteur : cette question devrait plutôt venir en discussion après l’article 27.

M. Paul Constans (Allier) : Si j’ai déposé mon amendement sous forme d’article 26 bis, c’est précisément parce que l’article 27 indique quelles pénalités devront être appliquées aux contraventions aux articles précédents. C’est pour faire l’économie d’un nouveau paragraphe à ajouter que j’ai adopté cette méthode.

M. le président :  Enfin, M. Carnaud propose le texte suivant sur la même question :
 « Un règlement d’administration publique fixera les heures et les jours ou pourra être donné l’enseignement religieux, de façon à ne point nuire à la fréquentation scolaire. »
     Vous préférez, monsieur le rapporteur, que la discussion de ces divers amendements, qui ont le même objet, vienne après l’article 27 ?

M. le rapporteur : je ne pense pas qu’il puisse y avoir inconvénient pour M. Constans à discuter son amendement après l’article 27.
     Il y a une loi scolaire qui prévoit un cas analogue et édicte des pénalités. L’amendement de M. Lefèvre présente l’avantage de se référer à cette loi.

M. Paul Constans (Allier) : A l’heure actuelle, l’entente peut s’établir entre les membres de l’enseignement et les membres du pouvoir civil. Au lendemain de la séparation, cela ne peut plus exister.
     Voila pourquoi je tiendrais à faire inscrire dans la police des cultes une disposition formelle.

M. le rapporteur : Je ne fais pas d’objection au fond même de votre amendement. Il s’agit en ce moment d’une question de procédure, de méthode.

M. le président : Je crois qu’il vaut mieux faire ce que demande la commission. (Assentiment.)
...
     Nous passons à l’article 27.
     J’en donne lecture :
     « Art. 27. - Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de simple police.
     « Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 23, 24 et 25 , ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 23 et 24 , ceux qui ont fourni le local.. »
     Il y a sur cet article un amendement de M. Auffray ainsi conçu :
     « Art. 27. - Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de simple police.
     « Sont passibles de ces peines, ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation et les ministres du culte qui y ont participé, comme organisateurs ou officiants. »
     Le premier paragraphe de cet amendement est identique au premier paragraphe du texte de la commission. Rien ne s’oppose par conséquent à ce que la Chambre se prononce tout de suite sur le premier paragraphe de l’article 24. (Assentiments.)
     Je mets aux voix ce premier paragraphe.
(Le premier paragraphe de l’article 27, mis aux voix est adopté.)

M. Auffray :  Le texte de la commission frappe des peines de simple police veux qui ont participé en qualité de ministres du culte à une manifestation interdite. J’ai voulu préciser et restreindre cette disposition aux ministres du culte qui auront participé à la manifestation comme organisateurs ou officiants. Voici pourquoi.
     Je suppose qu’à une procession prennent part, par exemple, vingt ou trente séminaristes qui n’y sont pas en réalité comme ministre du culte. L’intention de la commission n’est pas de faire tomber sous le coup des contraventions les ministres du culte qui figureraient à ces manifestations comme peuvent y figurer des laïques. Telle est la portée de mon amendement ; je crois que la commission peut y donner satisfaction.

M. le ministre des cultes :  le texte que nous proposons est suffisamment précis ; nous disons : « comme ministre du culte ».

M. Auffray :  L’explication que veut bien me donner M. le ministre me donne satisfaction.

M. le président : L’amendement est retiré.
     Je mets aux voix le second paragraphe de l’article 27.
(Le second paragraphe, puis l’ensembles de l’article 27, mis aux voix est adopté.
     Nous arrivons aux articles additionnels dont j’ai donné lecture.

M. Abel Lefèvre : ... ce que nous demandons pour cet objet particulier, c’est simplement le maintient, après la séparation, de l’état de chose actuel.
     Vous savez, messieurs, comment est actuellement réglée la question : la loi de 1882 s’est particulièrement préoccupée d’assurer d’une part la neutralité de l’école et, d’autre part, le libre exercice de la religion des enfants.
....
     Malheureusement cette loi de1882, qui donne à chacun son rôle, est l’objet, dans un très grand nombre de cas, d’interprétations incorrectes et abusives de la part de certains ministres des cultes.
     Dans un certain nombre de communes, les desservants ne se contentent pas des deux jours mis à leur disposition par la loi pour l’enseignement religieux. PLusieurs d’entre eux donnent cet enseignement les autres jours de la semaine, les uns, il est vrai, en dehors des heures de classe, ce qui n’est pas contraire à la loi, mais d’autres se font un malin plaisir, pour faire une niche à l’instituteur, de donner cet enseignement précisément à l’heure où les enfants devraient être présents à l’école et cela, en violation même de la loi qui dit que les heures réglementaires de l’école doivent être consacrées intégralement à l’enseignement fixé par les programmes.
...
 Ainsi s’explique l’utilité de notre article additionnel. Actuellement, je le reconnais, les ecclésiastiques qui essaient de donner l’enseignement du catéchisme à des heures qui concordent avec les heures scolaires sont l’exception.
     Ils sont l’exception, parce qu’ils savent que le cas échéant vous pourriez  sévir contre eux. Mais demain, si vous étiez entièrement désarmés il est à craindre que ce qui n’est aujourd’hui que l’exception ne devienne aussitôt la règle. (Très bien ! très bien !)
....
M. le ministre des cultes : Il me parait nécessaire, pour les raisons qui ont été indiquées tout à l’heure par M. Abel Lefèvre, d’inscrire dans la loi de séparation une disposition permettant d’éviter que l’enseignement religieux vienne contrarier     l’application de la loi de 1882 sur l’instruction obligatoire. Nous ne commettons aucun excès de pouvoir en réglementant cette matière.
....
     Si nous adoptions l’amendement de M. Constans, nous modifierions la loi de 1882 qui est le véritable terrain sur lequel il faut se placer et, en même temps, nous risquerions de contrarier les habitudes locales et les convenances des familles ...
....
M. le rapporteur : La commission, à l’unanimité de ses membres, a adopté l’amendement de M. Abel Lefèvre ; mais elle demande que cet amendement forme un article 27 bis.
.......
(L’amendement que M. Constant a maintenu est repoussé par 378 voix contre 142 ; l’amendement de M. Abel Lefèvre, mis aux voix est adopté et devient l’article 27 bis.)

M. le président : Je donne lecture de l’article 28 :
     « Art. 28. - Sont punis d'une peine d'amende de 16 fr. à 200 fr. et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement, ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte. »

(M. Lemire dépose un amendement pour pouvoir demander des précisions. Étant satisfait des réponses, il le retire.)

M. Ribot :... Je trouve excellent que l’on protège efficacement la liberté religieuse. Je ferais remarquer seulement, en vue d’une discussion qui viendra à son heure, que l’on n’a pas cessé de faire campagne pour l’abrogation de l’article 414 du code pénal qui protège la liberté du travail par une formule identique à celle que l’on nous propose en ce moment. Il y a, si je ne me trompe, un rapport de l’honorable M. Barthou, dans lequel il est dit que le droit commun doit suffire ; que le mot « menaces » est infiniment trop élastique, et qu’un texte qui est la reproduction exacte de celui qu’on vous soumet en ce moment-ci doit disparaître de nos codes.
     On ne pourra plus, je crois, combattre l’article 414. Mais la liberté du travail, ..., ne mérite-t-elle pas d’être autant protégée que la liberté religieuse ? Du jour où vous aurez pensé que le droit commun ne suffit pas et qu’il faut un texte spécial, je crois que vous aurez détruit tous les arguments en faveur de l’abrogation de l’article 414.

M. Paul Constans (Allier) : Mais la liberté du travail n’existe pas pour les travailleurs ! (Exclamations à droite.) Vous le savez très bien, monsieur Ribot. Le travailleur n’a la liberté de travailler que dans la mesure où on veut bien l’occuper. (Très bien ! à l’extrême gauche.)

M. Ribot : Je suis un peu inquiet, monsieur le rapporteur, de la formule très élastique, que vous ajoutez aux mots « voies de fait, violences ou menaces », qui ont un sens précisé par la jurisprudence.
     Vous dites qu’il suffit de faire craindre à une personne de perdre son emploi ou de souffrir dans sa fortune d’une façon quelconque, sans menace, sans manœuvres, sans même rien de défini. Avec de pareilles formules nous pouvons aller extrêmement loin ! Si un commerçant se figure qu’il ne pourra plus vendre à une personne pieuse parce qu’il ne va pas à la messe, un procès sera-t-il possible ?

M. le rapporteur : Mais non !

M. Ribot :  Pourtant il pourra craindre d’être atteint dans sa fortune ?

M. le rapporteur : Encore faudra-t-il prouver, par exemple, que le président de l’association cultuelle ou le prêtre a menacé ce commerçant de l’atteindre dans ses intérêts s’il ne consent pas à faire partie de l’association.

M. Ribot :  C’est une menace. Alors, vous exigez qu’il y ait une menace ?

à gauche. C’est évident

M. le rapporteur :  L’article dit : « soit en lui faisant craindre ... » C’est clair.

M. Ribot : Eh bien ! l’inverse pourra également se présenter. Si des associations de libres penseurs décident qu’on ne s’approvisionnera plus chez ceux qui vont à la messe, il y a donc un délit ?

M. Ferdinand Buisson, président de la commission : Toutes les intolérances se valent.

M. Ribot :  Et si des personnes dénoncent des fonctionnaires publics comme allant à la messe, elles tomberont également directement sous le coup de l’article 28. C’est bien là votre pensée ? (Applaudissements et rires au centre et à droite.)

M. le président : Il y a un amendement de M. Gourd qui a reçu satisfaction par le nouveau texte de la commission.
.....
     Personne ne demande plus la parole sur l’article 28 ?....
     Je le mets aux voix (Il est adopté)
     Nous arrivons à un amendement additionnel présenté par M. Paul Constans (Allier), Vaillant, Dejeante, Allard, Bouveri, Dufour, Delory, Chauvière, Marcel Sembat, Thivrier, Walter, Bénézech, Piger, Ferrero, Octave Vigne, Meslier, Jules Coutant (Seine), et dont voici le texte :
    " Sera puni d’une amende de 100 à 2 000 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout chef d’industrie ou patron quelconque, qui aura tenté d’exercer une pression religieuse sur ses ouvriers ou employés par la menace d’un renvoi ou qui les aura privé de leur travail pour refus, soit de participer à une cérémonie religieuse, soit de faire partie d’une association cultuelle, soit de contribuer aux frais d’un culte ou pour une cause quelconque d’ordre religieux. »

M. le rapporteur :  C’est ce que nous venons de voter !
...
M. Paul Constans : ... J’ai entendu défendre très longuement durant cette discussion, la liberté des catholiques ou des différentes confessions religieuses ; on s’est beaucoup moins préoccupé de la liberté de ceux qui n’appartiennent à aucune confession religieuse. Nous vous demandons tout simplement de prendre quelques précautions pour que demain on n’oblige pas les travailleurs des usines, des ateliers ou des champs à entrer dans les associations cultuelles où vraisemblablement on leur demandera une cotisation, sous la menace de perdre leur travail et par conséquent, d’être réduit à la misère.
 Je tiens à la souligner, M. Ribot, tout à l’heure encore, en faveur de sa thèse invoquait la liberté du travail. Mais la Chambre n’ignore pas que le salarié ne peut travailler qu’autant que ceux qui possèdent tous les moyens de production veulent l’occuper et à condition qu’ils veuillent l’occuper.
     Voilà qui est bien établi : nous demandons par notre article qu’il y ait des pénalités particulières pour les patrons, chefs d’industrie, directeurs de maison de commerce qui voudraient abuser de leur situation de dispensateurs de salaires pour obliger des salariés à faire adhésion à un culte quelconque, qu’il s’agisse du culte catholique, du culte protestant ou du culte israélite. (Et rien pour la religion musulmane qui était déjà à cette époque la deuxième religion en France (puisque l’Algérie c’était la France !)
.....
M. Gayraud : Pour bien marquer que nous ne désirons pas que personne soit obligé, forcé, contraint de pratiquer notre culte, pour bien prouver à la Chambre que ce que nous voulons, c’est la liberté de conscience religieuse, je la prie de voter l’amendement de M. Constans.(Mouvements divers)
.....
(Amendement repoussé par 437 voix contre 77)

M. Lasies : Beaucoup de nos collègues n’ont pas voté l’amendement de M. Constans parce que, comme l’a fait remarquer M. Le rapporteur, il faisait double emploi avec l’article 28. M. le rapporteur ne peut invoquer la même raison contre l’amendement que j’ai déposé comme paragraphe additionnel à l’article 28.

M. le président : L’article 28 est voté, monsieur Lasies; votre amendement constituerait donc un article 28 bis qui serait ainsi conçu :
 « La peine prévue à l’article précédent sera doublée si le délit est commis par un ministre ou un fonctionnaire public. »
.....
(Amendement repoussé par 336 voix contre 219)
     Nous passons à l’article 29.
     « Art. 29. - Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices. »
...
(Article adopté par 536 voix contre 43
     « Art. 30.- Les dispositions des deux articles précédents ne s'appliquent qu'aux troubles, outrages ou voies de fait, dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d'après les dispositions du Code pénal. »
(L’article 30, mis aux voix, est adopté)

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©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3