suite de la discussion du projet et des propositions de
loi
concernant la séparation des Églises et
de l'État.
(16° journée ; réduite
et annotée)
M. le président :...
Avant de passer à la discussion des amendements,
je donne lecture de la nouvelle rédaction, proposée par la
commission de l'article 4 :
"Dans le délai d'un
an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens
mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux,
consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec
toutes les charges et obligations qui les grèvent, transférés
au même titre par les représentants légaux de ces établissements
aux associations qui, en se conformant aux règles d'organisation
générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice,
se seront légalement formées, suivant les prescriptions de
l'article 17, pour l'exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions
desdits établissements.
"Toutefois, ceux des biens
qui proviennent de l'État et qui ne sont pas grevés d'une
fondation pieuse feront retour à l'État.
"Les attributions de biens
ne pourront être faites par les établissements ecclésiastiques
qu'un mois après la promulgation du règlement d'administration
publique prévu à l'article 36 . Faute de quoi la nullité
pourra en être demandée devant le tribunal civil par toute
partie intéressée ou par le ministère public.
"En cas d'aliénation par
l'association cultuelle de de biens mobiliers ou immobiliers faisant partie
du patrimoine de l'établissement public dissous, le montant du produit
de la vente devra être employé en titres de rente nominatifs."
Il y a un article 4bis
dont il y aura lieu de donner ultérieurement lecture.
La parole est à M.
Ribot pour une motion d'ordre.
M. Ribot :
M. le président vient de donner lecture d'une nouvelle rédaction
que la commission a accepté hier et qu'elle a fait distribuer aujourd'hui.
Je crois que la Chambre a besoin d'une explication ...
La première rédaction
...
donnait au tribunal une sorte de pouvoir arbitraire non défini,
sans critérium légal, pour choisir entre les associations
qui se présenteraient afin de succéder aux établissements
publics supprimés.
... nous avons
déclaré que nous ne voulions pas nous ingérer dans
l'organisation intérieure de chaque culte... . Nous disons
que c'était là la doctrine et la pratique américaine
et que ce devait être, dans un régime de séparation
loyale et sincère, la pratique à laquelle nous devions tous
nous rallier.
...
M. Aristide Briand, rapporteur :
...
je m'empresse de déclarer
qu'il n'y a rien dans cette modification qui soit contraire ou même
simplement en désaccord avec l'esprit dans lequel l'article 4 avait
été conçu et arrêté dans son premier
texte. Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter à l'interprétation
que j'en avais donné dans mon rapport.
...
A l'heure où
va être faite la dévolution des biens, nous sommes en présence
de trois églises; ... Ces églises ont des constitutions
que nous ne pouvons pas ignorer ; ... et notre premier devoirs,
à nous législateurs, au moment où nous sommes appelés
à régler le sort le sort des Églises dans l'esprit
de neutralité où nous concevons la réforme, c'est
de ne rien faire qui soit attentatoires à la libre constitutions
de ces Églises. (Très bien ! très bien ! au centre
et sur divers bancs.)
...
M. le président : Nous arrivons
à un amendement présenté par M. Jules Auffray, tendant
à remplacer les articles 4 à 7 par d'autres articles.
Je donne tout d'abord lecture
de l'amendement sur l'article 4 :
remplacer l'article 4 par
le texte suivant :
"Art. 4 - dans le délai
d'un an à partir de la promulgation de la présente loi, il
sera fait attribution, sous les distinctions et dans les conditions suivantes,
de tous les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques,
conseils presbytéraux et autres établissements ecclésiastiques
du culte, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent,
par les représentants légaux de ces établissements.
"Tous les biens, grevés
d'une fondation pieuse ou qui auront été, jusqu'au jour de
la promulgation de la présente loi, affectés à l'entretien
du culte, seront attribués aux associations légalement formées
pour succéder aux droits et charges des établissements du
culte supprimés.
"Ces associations seront désignées
par les évêques et les consistoires.
"A défaut d'une association
formée dans la même commune, l'attribution pourra être
faite à toute autre association cultuelle désignée
comme il a été dit ci-dessus, et prenant l'engagement de
pourvoir aux charges des fondations et aux besoins du culte auxquels il
était pourvu par l'établissement public du culte supprimé."
...
M. Jules Auffray
: ...
C'est tout ce qui est
réglé au titre II. Il porte comme en-tête : "De la
dévolution des biens"
Or, la commission a dû
statuer sur les quatre questions suivantes : Quels biens vont être
dévolus ? Sous quel régime tomberont les biens dévolus
? Par qui la dévolution sera-t-elle faite ? En quatrième
et dernier lieu, quels recours peuvent être ouverts à ceux
de qui proviennent un certain nombre de ces biens ?
...
Pour résoudre l'ensemble
de ces quatre questions la commission avait été sollicitée
dans les sens les plus divers ...
La commission s'est
trouvée d'abord en présence d'un
système très radical qu'elle a repoussé et qui
a été avant-hier rejeté par la chambre....
Un second projet était
signé de MM. Vaillant et Allard ; il était un peu moins radical
que le projet de MM. Allard et Vaillant ... [Il] se
contentait d'attribuer tout l'ensemble des biens, y compris les fondations
pieuses, à un culte quelconque, qui n'était pas nécessairement
le culte qui jusqu'alors avait possédé ces biens. Ce projet
a été également écarté par la commission.
Le troisième amendement que la commission
a repoussé est celui de M. Régnier aux termes duquel les
biens étaient attribués par des commissaires liquidateurs
nommés par décret, sans que d'ailleurs aucune règle
d'attribution fût indiquée.
Ces dispositions étaient toutes plus radicales
que celles de la commission.
Le quatrième projet, ..., d'abord
écarté puis accepté par la commission, est celui de
de MM. Trouillot, Sarrien,
Camille Pelletant et plusieurs autres
collègues. Suivant cet amendement, les biens des fabriques, menses,
consistoires et conseils presbytéraux seraient administrés
par les associations cultuelles, comme ils l'étaient par ces établissements
publics du culte.
En outre, de ces propositions émanant de
l'initiative parlementaire, la commission s'est trouvée en présence
de deux projets de Gouvernement, qu'elle a également écartés.
Le premier était celui de M. Combes ; au termes de ce projet les
biens de fabriques, menses, consistoires, etc., pouvaient être l'objet
de concessions décennales dans les limites des besoins des différents
cultes, besoins déterminés, suivant l'importance des biens,
soit par le conseil d'État, soit par arrêté préfectoral.
Le projet de M. Combes exceptait,..., de
ces concessions décennales les biens provenant de l'État
et les fondations charitables qu'on attribuait à des établissements
publics ; pour la première fois, on se préoccupait de la
constitution des fonds de réserve, et le projet de M. Combes en
créait deux ; un sans limitation de chiffre, exclusivement affecté
à l'achat de terrains aux constructions ou réparation d'immeubles
affectés au culte, l'autre, limité au tiers du revenu annuel
des différentes associations cultuelles.
Si je me permet de donner ces explications, c'est
que je cherche, dans le sort fait à ces projets, la pensée
directrice de la commission. Cette pensée s'est dessinée
peu à peu : au début la commission s'est placée sur
un terrain un peu étroit ; elle a ensuite étendu ses vues,
modifié son esprit, et j'examinerai tout à l'heure si toutes
ces modifications sont conçues dans un sens libéral ou dans
un sens restrictif de la liberté : c'est à ce point de vue
qu'il est intéressant de discuter l'article 4
...
La commission a fonctionné depuis
bientôt deux ans - c'est à dire depuis le 18 juin 1903 - et
c'est, aujourd'hui seulement, 20 avril 1905, qu'elle adopte cette solution.
Or quel avait été jusqu'ici son système ?
La première question était celle-ci
: Quels seront les biens dévolus ?
La commission décidait que tous les biens
actuellement possédés seraient attribués par les représentants
légaux des associations cultuelles à venir, à l'exception
de deux catégories de bien : 1° les biens provenant de dotation
d'État ; 2° les biens provenant de fondations charitables ou
étrangères au culte.
Sur la seconde question : sous quel régime
tomberont les biens dévolus ? la commission décidait, il
y a deux jours encore, que les biens attribués par les représentants
légaux appartenaient aux fabriques et, par conséquent, appartiendraient
aux associations cultuelles.
...
Sur la troisième question : Par qui
la dévolution sera-t-elle faite ? la commission statuait que les
représentants légaux des établissements publics à
supprimer attribueraient les biens, les uns aux associations cultuelles
légalement formées, les autres, c'est-à-dire les biens
charitables ou étrangers au culte, à des établissements
d'utilité publique, sous l'approbation du préfet ou du conseil
d'État.
...
Enfin sur la quatrième question : quels recours
seront ouverts à ceux de qui proviennent les biens ? la commission
ouvrait une action en reprise ou en revendication aux auteurs des donations
ou legs ou à leurs héritiers en ligne directe.
Tel était, il y a deux jours, le système
de la commission. Depuis, elle a
apporté trois modifications importantes à son premier
projet. Je dis : trois, ce qui montre tout de suite, comme on en a discuté
qu'une tout à l'heure, qu'il en reste deux autres à examiner.
La première modification a été
rendue nécessaire à la suite du débat soulevé
par MM. Ribot et thierry, et relative au règlement des dettes. Je
n'en parle pas puisqu'elle fait l'objet de l'article 4bis ...
Les deux autres modifications admises récemment
par la commission portent sur les points suivants.
La commission, dont la rédaction primitive
était celle-ci : "Dans le délais d'un an, etc. ... les biens
mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, etc., seront
attribués par les représentants légaux ...", a accepté
l'amendement de MM. Trouillot, Bourrat, Dron, Gouzy, Guyot-Dessaigne, camille
Pelletant, Sarrien et Codet, et a rédigé ainsi son nouvel
article :
"dans le délai d'un an, etc., les biens mobiliers
et immobiliers administrés par les menses, etc., seront transférés
au même titre par les représentants légaux."
Enfin, le dernier amendement accepté par
la commission depuis hier est celui de M. Boucher d'un côté,
et de M. de Présentés de l'autre ; il consiste à dire
que les représentants légaux feront l'attribution des biens
aux associations qui non seulement se seront légalement formés
suivant les prescriptions de l'article 17, mais qui se seront conformés
aux règles d'organisation générale du culte dont elles
se proposent d'assurer l'exercice.
A l'heure actuelle le système de la commission
est donc le suivant : d'abord, en ce qui concerne les biens dévolus,
elle les fait tous passer aux associations cultuelles excepté :1°
les biens provenant des dotations de L'État ; 2° les fondations
charitables ou étrangères au culte.
Sur la seconde question : sous quel régime
vont tomber les biens dévolus ? Elle décide que ces biens
qui étaient administrés par les menses, fabriques, consistoires,
etc., vont être transférés au même titre, et
par conséquent continueront d'être administrés de même
par les associations cultuelles.
Sur la troisième question : par qui la dévolution
va-t-elle être faite ? elle décide que la dévolution
sera faite à des associations qui seront en conformité avec
les règles organiques du culte aux besoin duquel elles prétendront
pourvoir.
...
Sur la dernière question, elle n'a
rien modifié ...
...
[J'ai trois observations à faire] que je vous demande la permission
de développer .... (Interruptions à l'extrême
gauche et à gauche. -Parlez ! parlez ! à droite)
M. Jaurès : C'est de l'obstruction !
M. Jules Auffray : Non, monsieur Jaurès, je n'ai nullement l'intention de faire de l'obstruction, mais bien d'éclairer le débat.
M. Jaurès : Mettons qu'elle est d'autant plus efficace qu'elle est involontaire. (Rires et applaudissements à l'extrême gauche et à gauche. - Protestations à droite.)
M. Jules Auffray :Monsieur Jaurès, je ne me prête pas aux traits d'esprit, même venant d'un homme aussi autorisé que vous. Il est peut-être spirituel à un homme qui jouit dans cette Chambre de l'importance de M. Jaurès de dire que l'obstruction est involontaire, ce qui signifie que l'orateur est un imbécile. (Exclamations.)
M. Jaurès : Oh! monsieur Auffray !
...
M. le rapporteur: M. Auffray,..., nous a fait un discours
très intéressant sur l'article 4 ; mais en réalité
il n'a pas défendu son amendement ...
M. Jules Auffray : Évidemment, si M. le rapporteur est
convaincu que je n'ai pas discuté mon amendement, c'est que pendant
deux heures, j'ai été d'une obscurité parfaite. (On
rit)
...
... sur l'avis de M. Ribot, je retire
mon amendement.
(La Chambre, consultée, décide qu'elle tiendra une séance exceptionnelle demain matin)
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3