M. le président : La Chambre s'est
arrêté à l'amendement de M. de Pressensé qui
consiste à rédiger ainsi l'article 4 :
"Dans un délais d'un
an à partir de la promulgation de la présente loi, il sera
procédé dans chaque département, par les soins des
agents du domaine, à l'inventaire exact des biens mobiliers et immobiliers
des menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres
établissements publics du culte, de leur nature, de leur valeur,
de leur charges et de leurs origines. Tous ces biens qui ne proviennent
pas des libéralités des fidèles ou qui n'ont pas été
grevés de fondations pieuses feront retour à l'État,
en vertu d'un décret rendu en conseil d'État, s'ils ont une
valeur supérieure à 10 000 fr., et autrement par arrêté
préfectoral. Ceux qui ne rentrent pas dans le patrimoine public
seront attribués aux associations qui seront formées
pour l'exercice du culte dans l'ancienne circonscription des établissements
publics qui avaient jouissance de ces biens. Quant à ceux qui sont
grevés d'une affectation charitable ou de toute autre affectation
étrangère à l'exercice du culte, ils seront attribués
aux services ou établissements publics ou d'utilité publique
les plus rapprochés par leur but de cette affectation."
Pour la première partie,
M. de Pressensé a, je crois, reçu satisfaction.
...
M. Francis
de Pressensé : je demande à
exposer très brièvement pourquoi je retire celui de mes amendements
qui se réfère à l'article 4
C'est, tout d'abord,
parce que sur certains des point principaux qu'il visait, j'ai obtenu satisfaction
de la commission. ...
...
En faisant cette déclaration,
je ne maintiens mes autres amendements qu'afin d'essayer d'obtenir de la
commission qu'elle veuille bien les incorporer dans son projet. Si elle
ne le fait pas, je voterai le projet tel qu'elle nous le présentera,
avec d'autant plus de satisfaction que j'ai le droit d'y reconnaître
les idées fondamentale de ma proposition,
en particulier au sujet des associations cultuelles dont je me félicite
d'avoir pris l'initiative. (Très bien ! très bien ! à
gauche )
M. Louis Lacombe
: J'avais déposé à
l'article 4 un amendement visant l'inventaire à faire des biens
des fabriques supprimées remis aux associations cultuelles venant
prendre leur place.
Pour les mêmes raisons
que celles qui viennent d'être invoquées par M. de Pressensé,
la commission m'ayant donné satisfaction, mon amendement n'a plus
de raison d'être ; je le retire.
M. le président : Nous passons à
l'amendement de M. Massé, qui tend à modifier l'article 4
ainsi qu'il suit :
"Dans le délais d'un
an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens
mobiliers et immobiliers appartenant aux mense, fabriques, conseils presbytéraux,
consistoires et autres établissements publics du culte seront avec
toutes les charges et obligations qui les grèvent, répartis
entre les associations formées pour l'exercice et l'entretien du
culte dans les diverses circonscriptions religieuses.
"Cette répartition
qui entraînera la concession gratuite de ces biens pour une période
de dix ans et à charge d'en rendre compte à l'expiration
de ce délai, se fera après avis des représentants
légaux des établissements précités existant
au moment de la promulgation de la présente loi, par un décret
en conseil d'État ou par arrêté en conseil de préfecture,
suivant que la valeur des biens s'élèvent ou non à
10 000 fr.
"Ces concessions devront être renouvelées
dans les mêmes conditions, tant que subsistera l'association, pour
des périodes de même longueur. Elles ne pourront être
supprimées ou réduites qu'en cas de dissolution de l'association,
de constitution, dans la même circonscription religieuse, d'une nouvelle
association rattachée au même culte ou d'affectation des ressources
qui en proviennent à un but autre que l'exercice et l'entretien
du culte.
"Toutefois ceux des biens qui proviennent et qui
ne sont pas grevés d'une fondation pieuse feront retour à
l'État.
"A défaut d'une association apte à
recueillir les biens d'un établissement ecclésiastique, ceux
de ces biens qui ne seront pas grevés d'une fondation pieuse, pourront
être réclamés par la commune où l'établissement
a son siège à charge par elle de les affecter à des
œuvres d'assistance ou de prévoyance.
"Il ne pourra être procédé à
la répartition des biens prévue au paragraphe 1er qu'un mois
après la promulgation du règlement d'administration publique
prévu à l'article 36.
M. Massé
:... désireux d'épargner
les instants de la Chambre et d'alléger le débat je retire
provisoirement mon amendement, me réservant, lorsque viendra en
discussion le texte même de la commission, de demander à la
Chambre de bien vouloir y introduire quelques modifications de détail
que je juge cependant capitales. (Très bien ! très bien
!)
M. le président : L'amendement est
retiré.
Nous passons à un amendement
de M. Gayraud qui tend à rédiger comme suit l'article 4 :
"dans un délai de trois
mois à partir de la promulgation de la présente loi, les
établissements public du culte se transformeront en associations
du même culte conformément à l'article 5 et suivants
de la loi du 1er juillet 1901. Tous les biens qu'ils possèdent ou
dont ils jouissent continueront d'appartenir auxdites associations sans
qu'il y ait lieu à aucune perception au profit du Trésor.
"Des associations de diverses
communes pourront se constituer en association unique."
L'amendement n'est pas appuyé
...
Nous arrivons à un
amendement de M. Sénac qui tend à rédiger comme suit
l'article 4 :
"Dans le délais d'un
an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens
mobiliers et immobiliers gérés et administrés au nom
du domaine public par les menses, fabriques, conseils presbytéraux,
consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec
toutes les charges et obligations qui les grèvent attribués
en usufruit ou jouissance par les représentants légaux de
ces établissements aux associations qui se seront légalement
formés pour l'exercice du culte dans les anciennes circonscriptions
desdits établissements.
"Les biens grevés de
fondations pieuses, faisant également partie du domaine public,
seront attribués auxdites associations dans les mêmes conditions
d'usufruit."
(Le troisième paragraphe
comme au texte de la commission)
"Nulle aliénation,
par l'association cultuelle, de biens mobiliers ou immobiliers administrés
par l'établissement public dissous ne peut avoir lieu que par la
coopération du nu propriétaire, qui stipulera les clauses
de remploi du prix de vente."
L'amendement n'est pas appuyé
?....
Nous passons à un amendement
de MM. Georges Leygues, Caillaux, Noulens,
Maurice Colin, Chaigne, Pierre Dupuy, Larquier, Le Bail, Siegfried, Babaud-Lacroze,
Bicher, Cazauvieille, Cazeaux-Cazalet, Chaumet, catalogne, Chastenet, Cloarec,
Corderoy, Dislau, Dormoy, Dussuet, Grosdidier, Jumel, de La Batut, Modeste
Leroy, Lhopiteau, Malizard, Antoine Maure, Jean Morel, Mulac, Nicolle,
Germain Périer, Pourteyron, Ray, Ruel, Robert Surcouf, et Videau,
qui tend à rédiger ainsi l'article 4:
"Dans le délais d'un
an à partir de la promulgation de la présente loi, les menses,
fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements
ecclésiastiques disparaîtront en tant qu'établissements
publics et leurs administrateurs leur substitueront par une désignation
expresse faite à la préfecture ou à la sous-préfecture
du siège de l'établissement une association formée,
aux termes des articles 16,17 et 18 ci-dessous, pour l'exercice du culte
dans la circonscription de l'établissement supprimé.
"L'accomplissement des formalités
prescrites par la présente loi aura pour effet de conférer
à l'association, en vertu de la désignation dont elle aura
été l'objet, le caractère d'utilité publique.
"Dans le délai de deux
mois à partir de la désignation, le ministre compétent
aura le droit, par arrêté motivé, de s'opposer à
la désignation pour inobservation des formalités prescrites.
L'arrêté ministériel devra être notifié
aux administrateurs de l'établissement supprimé et à
ceux de l'association désignée, qui pourront exercer un recours
devant le conseil d'État statuant au contentieux.
"cette désignation
attribuera de plein droit à l'association reconnue d'utilité
publique les biens mobiliers et immobiliers de l'établissement supprimé,
avec toutes les charges et obligations qui les grèvent;"
M. Georges Leygues
:
...
La république
est laïque et ne peut être que laïque. Le Gouvernement
nous a conviés à tenter un nouvel effort pour affirmer son
indépendance au regard de l'Église ; ... ; Nous répondons
à son appel. Nous ne recherchons pas si une pareille question aurait
été mieux à sa place au début qu'à la
fin d'une législature : le problème est posé il faut
le résoudre. (Très bien ! très bien ! sur divers
bancs à l'extrême gauche)
...
Messieurs, il n'est pas de
question plus grave que celle qui se débat à cette tribune.
Tous les termes doivent en être pesés et discuté avec
la plus grande impartialité. J'ai entendu dire par de précédents
orateurs que si la séparation des Églises et de l'État
est devenue inévitable, c'est la faute du Gouvernement. Je ne partage
pas cette opinion. Je crois que le Concordat n'a pas été
strictement exécuté par les deux parties contractantes. L'État
républicain a manqué de fermeté et de vigilance ;
mais il n'est pas douteux que le clergé, le haut clergé surtout
a, à maintes reprises, méconnu quelques-unes des dispositions
essentielles du Concordat, notamment les évêques, en sortant
trop fréquemment de leurs diocèses, hors desquels ils n'ont
aucune espèce de juridiction (Exclamations au centre) et
en se mêlant trop souvent à des manifestations ayant un caractère
politique. Ils ont outrepassé l'article 20. (Applaudissements
à gauche.)
De même l'ouverture
d'innombrables lieux de culte en violation de l'article 44 a créé
une source constante de difficultés et de conflits. Par conséquent
ne rejetons pas sur l'État républicain, sur le Gouvernement,
la responsabilité d'avoir seul posé cette question.
...
La séparation
est incontestablement le terme de l'évolution laïque ; nous
assistons à un phénomène social dont personne ne peut
nier la portée ; toutes les nations, peu à peu, se dégagent
du joug théologique et l'esprit laïque tend à prendre
partout la prépondérance. L'oeuvre du Gouvernement républicain
doit être de favoriser cette évolution. (Très
bien ! très bien ! )
Mais il doit accomplir
cette œuvre sans froisser les consciences, sans troubler les habitudes
traditionnelles qui sont respectables et qui, parfois, sont aussi fortes
que les croyances elles-même.
...
Nous connaissons l'opinion
du Gouvernement et de la commission sur la séparation ;il n'y a
qu'une opinion dont jusqu'à maintenant on ne s'est pas préoccupé
: c'est l'opinion de l'immense majorité des citoyens français
qui habitent la campagne. (Applaudissements au centre, à droite
et sur divers bancs à gauche. - Interruptions à l'extrême
gauche.)
...
Les habitants de ces communes
demandent trois choses : garder leur église et leur curé
(Très bien ! très bien ! ) ; après la séparation,
ne pas payer plus qu'ils ne payent pour le culte. (Mouvements divers.)
Ils
souhaitent même la suppression du casuel. (Très bien
! très bien ! ) Enfin ils veulent que, dans aucun cas, les édifices
du culte ne deviennent une charge pour le budget communal. (Très
bien ! très bien ! au centre et sur divers bancs à
droite.)
...
J'ajoute que beaucoup de nos
compatriotes voudraient aussi que la politique fût interdite au prêtre.
(Très bien ! très bien ! )
Eh bien ! la solution
de la séparation que nous leur offrons leur causera quelque surprise.
Eux disent : "Payez le ministre du culte plus cher, si vous le voulez ;
mais surveillez-le." Et nous leur répondons : "Le prêtre ne
sera plus surveillé, mais c'est vous qui le payerez !"
...
Donc, en résumé,
nous votons la séparation aux conditions suivantes : liberté
des cultes ; respect de leur organisation traditionnelle ; revendication
pour l'État des garanties d'ordre public auxquelles il ne doit jamais
renoncer ; large retraites aux ministres des différents cultes ;
jouissance gratuite des édifices aux associations ; restitution
du budget des cultes aux contribuables.
...
M. Jaurès
:
...
S'il est vrai, en effet,
que la séparation, sous la forme libérale où la commission
la présente, c'est à dire ... sous la seule
forme où le parti républicain puisse la voter, s'il est vrai
que la séparation offre ce péril, qu'elle va renforcer l'autorité
de l'Église en accentuant le caractère politique de son action,
s'il est vrai que demain les paysans vont être désorienté,
déçus, irrités, que les associations cultuelles groupées
et fédérées par les évêques vont constituer
une force de réaction compacte et redoutable, si cela est vrai,
messieurs, et si le bas clergé dont on nous parle en termes idylliques
va s'apercevoir soudain qu'il est, pour la première fois, livré
à l'arbitraire des évêques ...(Rires à l'extrême
gauche, à gauche et au centre.) ...si tout cela est vrai, il
n'y a qu'une conclusion, c'est de nous en tenir à l'œuvre napoléonienne
vers laquelle M. Leygues se tournais avec une nostalgie évidemment
républicaine. (Rires et applaudissements à l'extrême
gauche et sur de nombreux bancs au centre et à droite.)
Je crois que notre
honorable collègue a quelque peu exagéré. je ne méconnais
pas que des millions de de citoyens et en particulier des millions de paysans
sont attachés ou à la religion traditionnelle ou au culte
traditionnel ; et il y aurait en effet péril en même temps
qu'injustice et violence si nous adoptions une seule disposition qui fit
réellement obstacle à la liberté de conscience et
à la liberté du culte. (Applaudissements à l'extrême
gauche, au centre et à droite.)
Mais il n'y a rien
dans les principes du projet, il n'y a rien dans ses dispositions essentielles
qui puisse éveiller les inquiétudes de M. Leygues et les
inquiétudes du pays catholique. S'il est vrai que les paysans sont
attachés à certaines pratiques et à certaines habitudes,
s'il est même vrai que plusieurs d'entre eux auraient souhaité
que les rapports de l'Église et de l'État se dénouent,
non pas par la séparation, mais en faisant en effet du prêtre
un fonctionnaire exclusivement payé sur les fonds publics, si cela
est vrai dans une certaine mesure, vous avez cependant ignoré, monsieur
Leygues, une partie des traits qui, à l'heure présente, constituent
la physionomie du paysan républicain de France. Il n'est pas aussi
incapable de mouvement dans l'esprit d'expérience intellectuelle
et d'éducation politique que vous paraissez l'imaginer. (Applaudissements
à l'extrême gauche et à gauche.) Il a des croyances
dix fois séculaires, il a des pratiques dix fois séculaires,
mais il a depuis des siècles l'expérience du concours que
l'Église organisée a apporté contre lui aux forces
de conservation et de réaction. (Applaudissements sur les mêmes
bancs.)
...
Il a en particulier,
depuis la Révolution, l'expérience de l'effort permanent
de l'Église dans la commune qu'il connaît bien, comme dans
l'État, qu'il devine, pour faire obstacle aux institutions de liberté,
de République et de démocratie. (Dénégations
à droite.) Il a peu à peu tiré tiré cette
conclusion, nouvelle, je le reconnais, mais qui s'affirme tous les jours
dans son esprit, que puisque l'Église, comme institution, combat
la république dans l'État et dans la commune, il faut respecter
la liberté des croyants, mais ce serait duperie d'ajouter à
cette force politiquement hostile de l'Église, la force d'argent
et d'investiture morale que lui donne le Concordat. (Applaudissements
à gauche.)
Voilà pourquoi
la tentative faite pour opposer les campagnes aux villes en cette question
n'aboutira pas.
M. Leygues ... a résumé
son amendement à cette tribune ; mais il ne l'a pas seulement résumé,
il l'a mutilé. Il n'en a pas mis en lumière le trait caractéristique
... qui est la transformation des associations cultuelles en établissements
d'utilité publique du culte. (Très bien ! très
bien ! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
...
Messieurs, ce n'est pas douteux
; si demain, après l'abrogation prétendue nominale du régime
concordataire, si demain dans toutes les paroisses, des associations cultuelles
se forment qui se constituent, non pas selon la liberté, mais qui
se constituent avec la marque administrative et gouvernementale, avec l'autorisation
de conseil d'État, vous reconstituez par ces trente-six mille établissements
d'utilité publique religieuse une véritable Église
d'État, un véritable corps d'Église d'État.
(Applaudissements
à l'extrême gauche et sur divers bancs au centre et à
droite.)
...
... et vous n'aviez
supprimé le Concordat entre le pape et l'Empereur que pour établir
le Concordat entre les marguilliers et les conseillers des préfectures.
(Applaudissements
et rires à l'extrême gauche et sur divers bancs.)
...
... l'arbitraire préfectoral,
le caprice préfectoral subsiste à l'origine et en transportant
la décision au conseil d'État vous ne faites qu'installer
cet arbitraire au sommet même de l'État et rétablir
ce qu'il y avait de plus dangereux, de plus arbitraire, de plus administratif
dans le Concordat napoléonien. (Applaudissements à l'extrême
gauche et sur divers bancs au centre et à droite.)
...
Et pourquoi donc M. Leygues, pourquoi
ceux de ses amis qui ont signé son amendement ou qui ont proposé
des amendements du même ordre, pourquoi donc repoussent-ils...
le système des associations cultuelles telle [que la commission]
l'institue et le définit ? C'est là, messieurs, la question
qui est maintenant posée devant nous ; la question des associations
cultuelle sest vraiment le nœud de la loi que vous allez faire.
...
S'il avait été
question de créer un régime nouveau en faisant table rase,
il eût été facile de ne pas faire allusion dans la
loi à l'état de fait actuel, au fonctionnement actuel
des Églises et de cultes.... Vous reprochez à l'addition
de la commission de paraître reconnaître en fait l'organisation
actuelle des Églises. Mais qui donc, à quelle institutions
le projet
... remet-il le soin de gérer le patrimoine des
églises, et à qui veut-il que, par privilège, les
édifices soient remis ? Qu'est-ce qui va constituer la nouvelle
association cultuelle pour les catholiques ? Ce sont les fabriques ; et
qu'est-ce que les fabriques ?
Est-ce un organe de pure laïcité,
n'est-ce pas un organe d'une église constituée ? Et ces fabriques,
de quoi sont-elles composées, messieurs ? De délégués
qui sont en majorité nommés par l'évêque ; en
sorte qu'à l'origine même de tout le mécanisme légal
qui va se constituer par les associations cultuelles, il y a évidemment
l'organisation catholique et l'autorité catholique. (Très
bien ! très bien ! à l'extrême gauche et sur divers
bancs à au centre et à droite.)
...
Les cardinaux, dans
leur lettre d'il y a quelques semaines au président de la République,
affirmaient que le régime des associations cultuelles était
contraire au principe même de l'Église catholique, au principe
d'autorité, à la hiérarchie catholique qui doit procéder
du sommet à la base et non de la base au sommet.
... [et pourtant c'est l'organisation
acceptée en Angleterre, aux États Unis, en Suisse ...]
En tout cas, si les
cardinaux prétendaient condamner ce régime des associations
cultuelles, ils se gardent bien de définir le régime qui,
selon eux, dans l'hypothèses de la séparation, serait compatible
avec le catholicisme. Or, quel pourrait être ce régime ? Est-ce
que par hasard les catholiques demanderaient, comme cela s'est pratiqué
et se pratique dans quelques uns des États des États-Unis,
que l'évêque fût titulaire de toutes les propriétés
ecclésiastiques ? Ce serait une sorte de fidéicommis reconstituant
indirectement le corps de l'Église et ce serait absolument contraire
à toute la législation que nous voulons instaurer.
Est-ce à l'Église
considérée comme une association des ministres des cultes
? Messieurs, la loi sur les associations n'interdirait pas aux ministres
des cultes en France depuis le plus humble desservant jusqu'aux plus superbes
cardinaux, de former une association. La loi de 1901 ne le leur interdit
pas, ils pourraient constituer une association cultuelle.
Il y a des difficultés.
La première, c'est que cette association ayant visiblement son chef
à l'étranger, ne pourrait posséder que dans
les conditions particulières que la loi de 1901 prévoit
pour ces sortes d'associations. La seconde, c'est que l'Église évidemment
n'acceptera jamais qu'entre les ministres de ses cultes l'association,
c'est à dire le contrat, c'est à dire la reconnaissance de
droits et d'obligations réciproques se substitue à la hiérarchie
d'autorité.
Et alors, messieurs, voici
la question que nous avons le droit de poser aux catholiques, que nous
avons même ... le droit de leur demander : Comment alors,
si vous ne voulez pas des associations cultuelles, si vous ne voulez pas
des associations de fidèles, de laïques possédant, recueillant,
fussent-ils en harmonie avec l'Église elle-même, comment pouvez-vous
concevoir le régime de la séparation ?
En France, on ne possède
que comme individu ou comme association. Vous ne voulez pas, vous ne demandez
pas que les évêques possèdent, comme individus, le
patrimoine des églises ; vous ne demandez pas, vous ne pouvez pas
demander, car cela est contraire à votre hiérarchie catholique,
que les ministres des cultes forment une association. Donc, il n'y a plus,
messieurs, si vous voulez qu'un régime nouveau de séparation
puisse fonctionner, il n'y a plus que les associations cultuelles de laïques,
de fidèles, telles que la loi républicaine que nous allons
voter les institue et je ne comprends pas les résistances cardinalices
et je me félicite que l'attitude nouvelle de la droite en cette
question soit une réponse décisive à l'opposition
formulée par les cardinaux.
...
Messieurs, il me semble
qu'il y a dans l'inquiétude de quelques-uns de nos collègues
une méprise. J'ai entendu dire par plusieurs d'entre eux : mais
nous allons reconnaître par la loi l'organisation des Églises
! Mais nous allons consacrer la hiérarchie catholique !
Non, messieurs ! vous constatez
simplement à l'état de fait qu'il y a une Église fonctionnant
dans des conditions de fait ... que vous ne pouvez pas ignorer au moment
même où vous légiférez sur un régime
de transition, c'est à dire sur le passage d'un état de fait
à un ordre nouveau ...
...
Que demain, avec ces associations
cultuelles marchent quelques prêtres convaincus logiquement ou par
illusion qu'ils peuvent concilier le christianisme et la Révolution,
l'Évangile et les Droits de l'homme ; qu'il y ait quelques-uns de
ces prêtres qui se rappellent qu'ils sont sortis du peuple et qu'ils
doivent incliner non pas leur propagande politique, mais leur influence
morale plutôt vers les classes souffrantes que vers les classes privilégiées,
...
,
que quelques prêtres démocrates de cœur ou libres d'esprit
se lèvent, soient soutenus par leurs associations cultuelles, il
sera bien difficile à l'épiscopat qui, lui même, dans
sa région ne pourra vivre qu'appuyé sur l'assentiment public
des catholiques, il lui sera difficile, arbitrairement, de frapper et de
foudroyer ces hommes.
...
Voilà pourquoi
l'œuvre que la commission nous soumet, œuvre de liberté, œuvre de
loyauté, œuvre hardie dans son fond, mais qui ne cache aucun piège,
qui ne dissimule aucune arrière pensée, est conforme au véritable
génie de la France républicaine.
...
(Contrairement à mon vœu initial de
faire court, je n'ai pas pu m'empêcher de vous faire savourer de
larges extraits du discours de Jean Jaurès. Des tribuns pareils
manquent de nos jours ; non ?)
M. Noulens
: ...
Il n'est pas douteux
que l'ordre public est grandement intéressé à ce que
l'État puisse surveiller l'emploi du patrimoine considérable
qui actuellement encore est détenu par les établissements
ecclésiastiques. Et d'autre part il est évident que les collectivités
de fidèles ont intérêt à ce que, par des mesures
imprévoyantes, on n'amène pas la dispersion de ce patrimoine
indispensable à l'exercice du culte. (Très bien ! très
bien ! au centre et sur divers bancs à gauche.)
...
N'y a-t-il pas quelques contradiction,
après avoir proclamé que les associations seront libres de
se constituer et de se disputer les biens affectés au culte, à
venir ensuite leur imposer un contrôle, si faible soit-il ?
Dans le système de
notre amendement, nous posons en principe, ..., la nécessité
du contrôle pour toutes les associations appelées à
bénéficier de l'attribution des biens appartenant actuellement
aux établissements publics. C'est la contre-partie des avantages
que nous leur accordons. ...
Quant à la disposition
qui oblige les associations à faire le remploi en titres nominatifs
de leurs biens, ..., elle peut gêner singulièrement
la gestion même des associations.... ; il lui est interdit
de vendre une partie de son patrimoine pour l'acquittement de ses dettes.
...
Ce que nous demandons à
la commission c'est de voir si vraiment il n'y a rien à retenir
de notre amendement pour obéir à cette préoccupation
de protéger l'intérêt public et en même temps
l'intérêt des collectivités de fidèles. (Applaudissements
sur divers bancs)
...
M. Aristide Briand :...
Si disposé que je sois
à être agréable à notre honorable collègue,
je ne puis me résigner à retenir de son amendement que ce
qui me paraît conforme au texte de la commission, c'est à
dire peu de choses.
...
Depuis vingt-cinq ans, chaque
fois qu'une association religieuse a sollicité la reconnaissance
d'utilité publique, le conseil d'État la lui a nettement
refusée par des considérations de neutralité confessionnelle.
Il n'a jamais voulu admettre que l'État pût assumer cette
responsabilité morale. Il serait singulier, qu'au lendemain de la
séparation, les marguilliers qui composent les établissements
publics du culte aient toute qualité et toute autorité pour
investir l'association cultuelle de leur choix du caractère d'utilité
publique !
...
(Après diverses autres interventions, la discussion sera reportée à une prochaine séance.)
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3