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21 avril 1905
    * Dépôt par M. Fleury-Ravarin, d'un rapport fait au nom de la 12° commission d'intérêt local sur le projet de loi tendant à annexer à la ville de Lyon la commune de Villeurbanne à l'exception de trois parcelles et une partie de diverses autres communes.
    * Dépôt, par MM. Bagnol, Aldy et plusieurs de leurs collègues, d'une proposition de loi relative à l'amnistie pour faits de grève et faits connexes.
suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(17° journée ; réduite et annotée)

M. le président : La Chambre s'est arrêté à l'amendement de M. de Pressensé qui consiste à rédiger ainsi l'article 4 :
    "Dans un délais d'un an à partir de la promulgation de la présente loi, il sera procédé dans chaque département, par les soins des agents du domaine, à l'inventaire exact des biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres établissements publics du culte, de leur nature, de leur valeur, de leur charges et de leurs origines. Tous ces biens qui ne proviennent pas des libéralités des fidèles ou qui n'ont pas été grevés de fondations pieuses feront retour à l'État, en vertu d'un décret rendu en conseil d'État, s'ils ont une valeur supérieure à 10 000 fr., et autrement par arrêté préfectoral. Ceux qui ne rentrent pas dans le patrimoine public seront attribués  aux associations qui seront formées pour l'exercice du culte dans l'ancienne circonscription des établissements publics qui avaient jouissance de ces biens. Quant à ceux qui sont grevés d'une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère à l'exercice du culte, ils seront attribués aux services ou établissements publics ou d'utilité publique les plus rapprochés par leur but de cette affectation."
    Pour la première partie, M. de Pressensé a, je crois, reçu satisfaction.
...
M. Francis de Pressensé : je demande à exposer très brièvement pourquoi je retire celui de mes amendements qui se réfère à l'article 4
    C'est, tout d'abord, parce que sur certains des point principaux qu'il visait, j'ai obtenu satisfaction de la commission. ...
...
    En faisant cette déclaration, je ne maintiens mes autres amendements qu'afin d'essayer d'obtenir de la commission qu'elle veuille bien les incorporer dans son projet. Si elle ne le fait pas, je voterai le projet tel qu'elle nous le présentera, avec d'autant plus de satisfaction que j'ai le droit d'y reconnaître les idées fondamentale de ma proposition, en particulier au sujet des associations cultuelles dont je me félicite d'avoir pris l'initiative. (Très bien ! très bien ! à gauche )

M. Louis Lacombe J'avais déposé à l'article 4 un amendement visant l'inventaire à faire des biens des fabriques supprimées remis aux associations cultuelles venant prendre leur place.
    Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être invoquées par M. de Pressensé, la commission m'ayant donné satisfaction, mon amendement n'a plus de raison d'être ; je le retire.

M. le président : Nous passons à l'amendement de M. Massé, qui tend à modifier l'article 4 ainsi qu'il suit :
    "Dans le délais d'un an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux mense, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront avec toutes les charges et obligations qui les grèvent, répartis entre les associations formées pour l'exercice et l'entretien du culte dans les diverses circonscriptions religieuses.
    "Cette répartition qui entraînera la concession gratuite de ces biens pour une période de dix ans et à charge d'en rendre compte à l'expiration de ce délai, se fera après avis des représentants légaux des établissements précités existant au moment de la promulgation de la présente loi, par un décret en conseil d'État ou par arrêté en conseil de préfecture, suivant que la valeur des biens s'élèvent ou non à 10 000 fr.
    "Ces concessions devront être renouvelées dans les mêmes conditions, tant que subsistera l'association, pour des périodes de même longueur. Elles ne pourront être supprimées ou réduites qu'en cas de dissolution de l'association, de constitution, dans la même circonscription religieuse, d'une nouvelle association rattachée au même culte ou d'affectation des ressources qui en proviennent à un but autre que l'exercice et l'entretien du culte.
    "Toutefois ceux des biens qui proviennent et qui ne sont pas grevés d'une fondation pieuse feront retour à l'État.
    "A défaut d'une association apte à recueillir les biens d'un établissement ecclésiastique, ceux de ces biens qui ne seront pas grevés d'une fondation pieuse, pourront être réclamés par la commune où l'établissement a son siège à charge par elle de les affecter à des œuvres d'assistance ou de prévoyance.
    "Il ne pourra être procédé à la répartition des biens prévue au paragraphe 1er qu'un mois après la promulgation du règlement d'administration publique prévu à l'article 36.
M. Massé :... désireux d'épargner les instants de la Chambre et d'alléger le débat je retire provisoirement mon amendement, me réservant, lorsque viendra en discussion le texte même de la commission, de demander à la Chambre de bien vouloir y introduire quelques modifications de détail que je juge cependant capitales. (Très bien ! très bien !)

M. le président : L'amendement est retiré.
    Nous passons à un amendement de M. Gayraud qui tend à rédiger comme suit l'article 4 :
    "dans un délai de trois mois à partir de la promulgation de la présente loi, les établissements public du culte se transformeront en associations du même culte conformément à l'article 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901. Tous les biens qu'ils possèdent ou dont ils jouissent continueront d'appartenir auxdites associations sans qu'il y ait lieu à aucune perception au profit du Trésor.
    "Des associations de diverses communes pourront se constituer en association unique."
    L'amendement n'est pas appuyé ...
    Nous arrivons à un amendement de M. Sénac qui tend à rédiger comme suit l'article 4 :
    "Dans le délais d'un an à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers gérés et administrés au nom du domaine public par les menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent attribués en usufruit ou jouissance par les représentants légaux de ces établissements  aux associations qui se seront légalement formés pour l'exercice du culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.
    "Les biens grevés de fondations pieuses, faisant également partie du domaine public, seront attribués auxdites associations dans les mêmes conditions d'usufruit."
    (Le troisième paragraphe comme au texte de la commission)
    "Nulle aliénation, par l'association cultuelle, de biens mobiliers ou immobiliers administrés par l'établissement public dissous ne peut avoir lieu que par la coopération du nu propriétaire, qui stipulera les clauses de remploi du prix de vente."
    L'amendement n'est pas appuyé ?....

    Nous passons à un amendement de MM. Georges Leygues, Caillaux, Noulens, Maurice Colin, Chaigne, Pierre Dupuy, Larquier, Le Bail, Siegfried, Babaud-Lacroze, Bicher, Cazauvieille, Cazeaux-Cazalet, Chaumet, catalogne, Chastenet, Cloarec, Corderoy, Dislau, Dormoy, Dussuet, Grosdidier, Jumel, de La Batut, Modeste Leroy, Lhopiteau, Malizard, Antoine Maure, Jean Morel, Mulac, Nicolle, Germain Périer, Pourteyron, Ray, Ruel, Robert Surcouf, et Videau, qui tend à rédiger ainsi l'article 4:
    "Dans le délais d'un an à partir de la promulgation de la présente loi, les menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements ecclésiastiques disparaîtront en tant qu'établissements publics et leurs administrateurs leur substitueront par une désignation expresse faite à la préfecture ou à la sous-préfecture du siège de l'établissement une association formée, aux termes des articles 16,17 et 18 ci-dessous, pour l'exercice du culte dans la circonscription de l'établissement supprimé.
    "L'accomplissement des formalités prescrites par la présente loi aura pour effet de conférer à l'association, en vertu de la désignation dont elle aura été l'objet, le caractère d'utilité publique.
    "Dans le délai de deux mois à partir de la désignation, le ministre compétent aura le droit, par arrêté motivé, de s'opposer à la désignation pour inobservation des formalités prescrites. L'arrêté ministériel devra être notifié aux administrateurs de l'établissement supprimé et à ceux de l'association désignée, qui pourront exercer un recours devant le conseil d'État statuant au contentieux.
    "cette désignation attribuera de plein droit à l'association reconnue d'utilité publique les biens mobiliers et immobiliers de l'établissement supprimé, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent;"

M. Georges Leygues : ...
    La république est laïque et ne peut être que laïque. Le Gouvernement nous a conviés à tenter un nouvel effort pour affirmer son indépendance au regard de l'Église ; ... ; Nous répondons à son appel. Nous ne recherchons pas si une pareille question aurait été mieux à sa place au début qu'à la fin d'une législature : le problème est posé il faut le résoudre. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à l'extrême gauche)
...
    Messieurs, il n'est pas de question plus grave que celle qui se débat à cette tribune. Tous les termes doivent en être pesés et discuté avec la plus grande impartialité. J'ai entendu dire par de précédents orateurs que si la séparation des Églises et de l'État est devenue inévitable, c'est la faute du Gouvernement. Je ne partage pas cette opinion. Je crois que le Concordat n'a pas été strictement exécuté par les deux parties contractantes. L'État républicain a manqué de fermeté et de vigilance ; mais il n'est pas douteux que le clergé, le haut clergé surtout a, à maintes reprises, méconnu quelques-unes des dispositions essentielles du Concordat, notamment les évêques, en sortant trop fréquemment de leurs diocèses, hors desquels ils n'ont aucune espèce de juridiction (Exclamations au centre) et en se mêlant trop souvent à des manifestations ayant un caractère politique. Ils ont outrepassé l'article 20. (Applaudissements à gauche.)
    De même l'ouverture d'innombrables lieux de culte en violation de l'article 44 a créé une source constante de difficultés et de conflits. Par conséquent ne rejetons pas sur l'État républicain, sur le Gouvernement, la responsabilité d'avoir seul posé cette question.
...
    La séparation est incontestablement le terme de l'évolution laïque ; nous assistons à un phénomène social dont personne ne peut nier la portée ; toutes les nations, peu à peu, se dégagent du joug théologique et l'esprit laïque tend à prendre partout la prépondérance. L'oeuvre du Gouvernement républicain doit être de favoriser cette évolution.  (Très bien ! très bien ! )
    Mais il doit accomplir cette œuvre sans froisser les consciences, sans troubler les habitudes traditionnelles qui sont respectables et qui, parfois, sont aussi fortes que les croyances elles-même.
...
    Nous connaissons l'opinion du Gouvernement et de la commission sur la séparation ;il n'y a qu'une opinion dont jusqu'à maintenant on ne s'est pas préoccupé : c'est l'opinion de l'immense majorité des citoyens français qui habitent la campagne. (Applaudissements au centre, à droite et sur divers bancs à gauche. - Interruptions à l'extrême gauche.)
...
    Les habitants de ces communes demandent trois choses : garder leur église et leur curé  (Très bien ! très bien ! ) ; après la séparation, ne pas payer plus qu'ils ne payent pour le culte. (Mouvements divers.) Ils souhaitent même la suppression du casuel.  (Très bien ! très bien ! ) Enfin ils veulent que, dans aucun cas, les édifices du culte ne deviennent une charge pour le budget communal. (Très bien ! très bien !  au centre et sur divers bancs à droite.)
...
    J'ajoute que beaucoup de nos compatriotes voudraient aussi que la politique fût interdite au prêtre. (Très bien ! très bien ! )
    Eh bien ! la solution de la séparation que nous leur offrons leur causera quelque surprise. Eux disent : "Payez le ministre du culte plus cher, si vous le voulez ; mais surveillez-le." Et nous leur répondons : "Le prêtre ne sera plus surveillé, mais c'est vous qui le payerez !"
...
    Donc, en résumé, nous votons la séparation aux conditions suivantes : liberté des cultes ; respect de leur organisation traditionnelle ; revendication pour l'État des garanties d'ordre public auxquelles il ne doit jamais renoncer ; large retraites aux ministres des différents cultes ; jouissance gratuite des édifices aux associations ; restitution du budget des cultes aux contribuables.
...

M. Jaurès : ...
    S'il est vrai, en effet, que la séparation, sous la forme libérale où la commission la présente, c'est à dire ...  sous la seule forme où le parti républicain puisse la voter, s'il est vrai que la séparation offre ce péril, qu'elle va renforcer l'autorité de l'Église en accentuant le caractère politique de son action, s'il est vrai que demain les paysans vont être désorienté, déçus, irrités, que les associations cultuelles groupées et fédérées par les évêques vont constituer une force de réaction compacte et redoutable, si cela est vrai, messieurs, et si le bas clergé dont on nous parle en termes idylliques va s'apercevoir soudain qu'il est, pour la première fois, livré à l'arbitraire des évêques ...(Rires à l'extrême gauche, à gauche et au centre.) ...si tout cela est vrai, il n'y a qu'une conclusion, c'est de nous en tenir à l'œuvre napoléonienne vers laquelle M. Leygues se tournais avec une nostalgie évidemment républicaine. (Rires et applaudissements à l'extrême gauche et sur de nombreux bancs au centre et à droite.)
    Je crois que notre honorable collègue a quelque peu exagéré. je ne méconnais pas que des millions de de citoyens et en particulier des millions de paysans sont attachés ou à la religion traditionnelle ou au culte traditionnel ; et il y aurait en effet péril en même temps qu'injustice et violence si nous adoptions une seule disposition qui fit réellement obstacle à la liberté de conscience et à la liberté du culte. (Applaudissements à l'extrême gauche, au centre et à droite.)
    Mais il n'y a rien dans les principes du projet, il n'y a rien dans ses dispositions essentielles qui puisse éveiller les inquiétudes de M. Leygues et les inquiétudes du pays catholique. S'il est vrai que les paysans sont attachés à certaines pratiques et à certaines habitudes, s'il est même vrai que plusieurs d'entre eux auraient souhaité que les rapports de l'Église et de l'État se dénouent, non pas par la séparation, mais en faisant en effet du prêtre un fonctionnaire exclusivement payé sur les fonds publics, si cela est vrai dans une certaine mesure, vous avez cependant ignoré, monsieur Leygues, une partie des traits qui, à l'heure présente, constituent la physionomie du paysan républicain de France. Il n'est pas aussi incapable de mouvement dans l'esprit d'expérience intellectuelle et d'éducation politique que vous paraissez l'imaginer. (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche.) Il a des croyances dix fois séculaires, il a des pratiques dix fois séculaires, mais il a depuis des siècles l'expérience du concours que l'Église organisée a apporté contre lui aux forces de conservation et de réaction. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
...
    Il a en particulier, depuis la Révolution, l'expérience de l'effort permanent de l'Église dans la commune qu'il connaît bien, comme dans l'État, qu'il devine, pour faire obstacle aux institutions de liberté, de République et de démocratie. (Dénégations à droite.) Il a peu à peu tiré tiré cette conclusion, nouvelle, je le reconnais, mais qui s'affirme tous les jours dans son esprit, que puisque l'Église, comme institution, combat la république dans l'État et dans la commune, il faut respecter la liberté des croyants, mais ce serait duperie d'ajouter à cette force politiquement hostile de l'Église, la force d'argent et d'investiture morale que lui donne le Concordat. (Applaudissements à gauche.)
    Voilà pourquoi la tentative faite pour opposer les campagnes aux villes en cette question n'aboutira pas.
    M. Leygues ... a résumé son amendement à cette tribune ; mais il ne l'a pas seulement résumé, il l'a mutilé. Il n'en a pas mis en lumière le trait caractéristique ... qui est la transformation des associations cultuelles en établissements d'utilité publique du culte. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
...
    Messieurs, ce n'est pas douteux ; si demain, après l'abrogation prétendue nominale du régime concordataire, si demain dans toutes les paroisses, des associations cultuelles se forment qui se constituent, non pas selon la liberté, mais qui se constituent avec la marque administrative et gouvernementale, avec l'autorisation de conseil d'État, vous reconstituez par ces trente-six mille établissements d'utilité publique religieuse une véritable Église d'État, un véritable corps d'Église d'État. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs au centre et à droite.)
...
    ... et vous n'aviez supprimé le Concordat entre le pape et l'Empereur que pour établir le Concordat entre les marguilliers et les conseillers des préfectures. (Applaudissements et rires à l'extrême gauche et sur divers bancs.)
...
    ... l'arbitraire préfectoral, le caprice préfectoral subsiste à l'origine et en transportant la décision au conseil d'État vous ne faites qu'installer cet arbitraire au sommet même de l'État et rétablir ce qu'il y avait de plus dangereux, de plus arbitraire, de plus administratif dans le Concordat napoléonien. (Applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs au centre et à droite.)
...
  Et pourquoi donc M. Leygues, pourquoi ceux de ses amis qui ont signé son amendement ou qui ont proposé  des amendements du même ordre, pourquoi donc repoussent-ils... le système des associations cultuelles telle [que la commission] l'institue et le définit ? C'est là, messieurs, la question qui est maintenant posée devant nous ; la question des associations cultuelle sest vraiment le nœud de la loi que vous allez faire.
...
   S'il avait été question de créer un régime nouveau en faisant table rase, il eût été facile de ne pas faire allusion dans la loi  à l'état de fait actuel, au fonctionnement actuel des Églises et de cultes.... Vous reprochez à l'addition de la commission de paraître reconnaître en fait l'organisation actuelle des Églises. Mais qui donc, à quelle institutions le projet ... remet-il le soin de gérer le patrimoine des églises, et à qui veut-il que, par privilège, les édifices soient remis ? Qu'est-ce qui va constituer la nouvelle association cultuelle pour les catholiques ? Ce sont les fabriques ; et qu'est-ce que les fabriques ?
    Est-ce un organe de pure laïcité, n'est-ce pas un organe d'une église constituée ? Et ces fabriques, de quoi sont-elles composées, messieurs ? De délégués qui sont en majorité nommés par l'évêque ; en sorte qu'à l'origine même de tout le mécanisme légal qui va se constituer par les associations cultuelles, il y a évidemment l'organisation catholique et l'autorité catholique.  (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche et sur divers bancs à au centre et à droite.)
...
    Les cardinaux, dans leur lettre d'il y a quelques semaines au président de la République, affirmaient que le régime des associations cultuelles était contraire au principe même de l'Église catholique, au principe d'autorité, à la hiérarchie catholique qui doit procéder du sommet à la base et non de la base au sommet.
... [et pourtant c'est l'organisation acceptée en Angleterre, aux États Unis, en Suisse ...]
    En tout cas, si les cardinaux prétendaient condamner ce régime des associations cultuelles, ils se gardent bien de définir le régime qui, selon eux, dans l'hypothèses de la séparation, serait compatible avec le catholicisme. Or, quel pourrait être ce régime ? Est-ce que par hasard les catholiques demanderaient, comme cela s'est pratiqué et se pratique dans quelques uns des États des États-Unis, que l'évêque fût titulaire de toutes les propriétés ecclésiastiques ? Ce serait une sorte de fidéicommis reconstituant indirectement le corps de l'Église et ce serait absolument contraire à toute la législation que nous voulons instaurer.
    Est-ce à l'Église considérée comme une association des ministres des cultes ? Messieurs, la loi sur les associations n'interdirait pas aux ministres des cultes en France depuis le plus humble desservant jusqu'aux plus superbes cardinaux, de former une association. La loi de 1901 ne le leur interdit pas, ils pourraient constituer une association cultuelle.
    Il y a des difficultés. La première, c'est que cette association ayant visiblement son chef à l'étranger, ne pourrait posséder que dans les conditions particulières que la loi de 1901 prévoit pour ces sortes d'associations. La seconde, c'est que l'Église évidemment n'acceptera jamais qu'entre les ministres de ses cultes l'association, c'est à dire le contrat, c'est à dire la reconnaissance de droits et d'obligations réciproques se substitue à la hiérarchie d'autorité.
    Et alors, messieurs, voici la question que nous avons le droit de poser aux catholiques, que nous avons même ... le droit de leur demander : Comment alors, si vous ne voulez pas des associations cultuelles, si vous ne voulez pas des associations de fidèles, de laïques possédant, recueillant, fussent-ils en harmonie avec l'Église elle-même, comment pouvez-vous concevoir le régime de la séparation ?
    En France, on ne possède que comme individu ou comme association. Vous ne voulez pas, vous ne demandez pas que les évêques possèdent, comme individus, le patrimoine des églises ; vous ne demandez pas, vous ne pouvez pas demander, car cela est contraire à votre hiérarchie catholique, que les ministres des cultes forment une association. Donc, il n'y a plus, messieurs, si vous voulez qu'un régime nouveau de séparation puisse fonctionner, il n'y a plus que les associations cultuelles de laïques, de fidèles, telles que la loi républicaine que nous allons voter les institue et je ne comprends pas les résistances cardinalices et je me félicite que l'attitude nouvelle de la droite en cette question soit une réponse décisive à l'opposition formulée par les cardinaux.
...
    Messieurs, il me semble qu'il y a dans l'inquiétude de quelques-uns de nos collègues une méprise. J'ai entendu dire par plusieurs d'entre eux : mais nous allons reconnaître par la loi l'organisation des Églises ! Mais nous allons consacrer la hiérarchie catholique !
    Non, messieurs ! vous constatez simplement à l'état de fait qu'il y a une Église fonctionnant dans des conditions de fait ... que vous ne pouvez pas ignorer au moment même où vous légiférez sur un régime de transition, c'est à dire sur le passage d'un état de fait à un ordre nouveau ...
...
    Que demain, avec ces associations cultuelles marchent quelques prêtres convaincus logiquement ou par illusion qu'ils peuvent concilier le christianisme et la Révolution, l'Évangile et les Droits de l'homme ; qu'il y ait quelques-uns de ces prêtres qui se rappellent qu'ils sont sortis du peuple et qu'ils doivent incliner non pas leur propagande politique, mais leur influence morale plutôt vers les classes souffrantes que vers les classes privilégiées, ... , que quelques prêtres démocrates de cœur ou libres d'esprit se lèvent, soient soutenus par leurs associations cultuelles, il sera bien difficile à l'épiscopat qui, lui même, dans sa région ne pourra vivre qu'appuyé sur l'assentiment public des catholiques, il lui sera difficile, arbitrairement, de frapper et de foudroyer ces hommes.
...
    Voilà pourquoi l'œuvre que la commission nous soumet, œuvre de liberté, œuvre de loyauté, œuvre hardie dans son fond, mais qui ne cache aucun piège, qui ne dissimule aucune arrière pensée, est conforme au véritable génie de la France républicaine.
...
(Contrairement à mon vœu initial de faire court, je n'ai pas pu m'empêcher de vous faire savourer de larges extraits du discours de Jean Jaurès. Des tribuns pareils manquent de nos jours ; non ?)

M. Noulens : ...
    Il n'est pas douteux que l'ordre public est grandement intéressé à ce que l'État puisse surveiller l'emploi du patrimoine considérable qui actuellement encore est détenu par les établissements ecclésiastiques. Et d'autre part il est évident que les collectivités de fidèles ont intérêt à ce que, par des mesures imprévoyantes, on n'amène pas la dispersion de ce patrimoine indispensable à l'exercice du culte. (Très bien ! très bien ! au centre et sur divers bancs à gauche.)
...
 N'y a-t-il pas quelques contradiction, après avoir proclamé que les associations seront libres de se constituer et de se disputer les biens affectés au culte, à venir ensuite leur imposer un contrôle, si faible soit-il ?
    Dans le système de notre amendement, nous posons en principe, ..., la nécessité du contrôle pour toutes les associations appelées à bénéficier de l'attribution des biens appartenant actuellement aux établissements publics. C'est la contre-partie des avantages que nous leur accordons. ...
    Quant à la disposition qui oblige les associations à faire le remploi en titres nominatifs de leurs biens, ..., elle peut gêner singulièrement la gestion même des associations.... ; il lui est interdit de vendre une partie de son patrimoine pour l'acquittement de ses dettes.
...
    Ce que nous demandons à la commission c'est de voir si vraiment il n'y a rien à retenir de notre amendement pour obéir à cette préoccupation de protéger l'intérêt public et en même temps l'intérêt des collectivités de fidèles. (Applaudissements sur divers bancs)
...
M. Aristide Briand :...
    Si disposé que je sois à être agréable à notre honorable collègue, je ne puis me résigner à retenir de son amendement que ce qui me paraît conforme au texte de la commission, c'est à dire peu de choses.
...
    Depuis vingt-cinq ans, chaque fois qu'une association religieuse a sollicité la reconnaissance d'utilité publique, le conseil d'État la lui a nettement refusée par des considérations de neutralité confessionnelle. Il n'a jamais voulu admettre que l'État pût assumer cette responsabilité morale. Il serait singulier, qu'au lendemain de la séparation, les marguilliers qui composent les établissements publics du culte aient toute qualité et toute autorité pour investir l'association cultuelle de leur choix du caractère d'utilité publique !
...

(Après diverses autres interventions, la discussion sera reportée à une prochaine séance.)

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3