précédent
6 juin 1905

     * Dépôt, par M. le ministre de la justice, d'un projet de loi ayant pour objet de modifier  et de compléter les lois des 22 janvier 1851 et 10 juillet 1901 sur l'assistance judiciaire.
    * Dépôt, par, par M. Gouzy, d'une proposition de loi tendant à ouvrir au ministre des colonies un crédit extraordinaire de 100 000 fr. pour venir en aide aux habitants des établissements français de l'Océanie, victimes de l'ouragan du 25 mars dernier.

suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(30° journée ; réduite et annotée)
M. le président : ... La Chambre a commencé hier l'examen des amendements déposés à l'article 9. Le premier amendement qui vient aujourd'hui en discussion est celui de MM. Paul Bignon et Rouland. Il est ainsi conçu :
    "Rédiger l'article 9 comme suit :
    " Les ministres des cultes ( archevêques, évêques, vicaires généraux, chanoines, curés doyens, curés desservants, vicaires, pasteurs, rabbins, etc., etc. ) qui compteront vingt années de fonctions rémunérées par l'État, les départements, les communes, ou de fonctions dans les établissements du culte, tels que grands et petits séminaires, ou encore de fonction dans aumôneries des hospices, hôpitaux et asiles, recevront une pension viagère calculée sur la moitié de leur dernier traitement, mais qui, dans aucun cas, ne pourra être inférieure à 500 fr., ni supérieure à 6 000 fr..
    "Les ministres des cultes qui auront rempli les fonctions dont il est parlé ci-desssus recevront, à titre de pension annuelle viagère :
    "Au dessus de dix ans et au dessous de vingt ans de service, les deux cinquièmes;
    "Au dessus de six ans et au dessous de dix ans, le quart;
    "Au dessous de six ans, le cinquième du traitement dont ils jouiront au moment du vote de la loi.
    "Ces dispositions ne seront applicables que deux années après le vote de la loi, l'État, les départements et les communes devant, pendant ce laps de temps, verser aux ministres des cultes une allocation égale à la totalité de leur ancien traitement.
    "Réserve faite ... ( le reste comme au texte de la commission)"
...
M. Aristide Briand, rapporteur : Alors que l'article 9 proposé à la Chambre par la commission d'accord avec le Gouvernement n'admet au bénéfice des pensions que les ministres du cultes qui ont été rémunérés par l'État pendant vingt ans, l'honorable M. Bignon étend ce bénéfice à tous les ministres du culte, sans exception, salariés ou non par l'État et quelqu'ait été la durée de leurs services.
    Un tel système aurait pour effet de perpétuer le budget des cultes et d'imposer à l'État des charges qu'aucune raison valable ne saurait justifier ...
(L'amendement est repoussé par 306 voix contre 265)

M. le président : Nous arrivons à un amendement présenté par MM. Albert-Le-Roy, Marc Réville, Eugène Réveillaud, Jean Codet, Jules Siegfried, Louis Mill, Braud, Bichon, Noël, Ridouard, Léopold Fabre, Ferrier, Messimy, Sibille, Torchut, Deléglise, Balitrand, Lacombe, Rougier, Vigouroux et d'Irart d'Etchepare, tendant à rédiger comme suit l'article 9 :
    "Les ministres des cultes salariés par l'État qui, lors de la promulgation de la présente loi seront âgés de plus de soixante ans révolus et qui auront, pendant trente ans au moins rempli des fonctions ecclésiastiques rémunérées par l'État, recevront une pension annuelle viagère égale aux trois quarts de leur traitement, mais ne dépassant pas 1 500 fr.
    "Ceux qui seront âgés de plus de trente cinq ans, et qui auront, pendant quinze ans au moins, rempli des fonctions ecclésiastiques rémunérées par l'État, recevront les deux tiers de leur traitement.
    "En cas de décès des titulaires, ces pensions, pour les cultes non catholiques, seront réversibles, jusqu'à concurrence de la moitié de leur montant, au profit de la veuve et des orphelins mineurs laissés par le défunt et, jusqu'à concurrence du quart, au profit de la veuve sans enfants mineurs. A la majorité des orphelins, leur pension s'éteindra de plein droit.
    "Les ministres des cultes actuellement salariés par l'État, qui ne seront pas dans les conditions ci dessus, recevront pendant quatre ans à partir de la suppression du budget des cultes, une allocation égale à la totalité de leur traitement pour la première année, au deux tiers pour la deuxième, à la moitié pour la troisième, au tiers pour la quatrième.
    " Toutefois, dans les communes de moins de 1 500 habitants et pour les ministres des cultes qui continueront à y remplir leurs fonctions, la durée de chacune des quatre périodes ci-dessus indiquées sera doublées.
    "Les départements et les communes pourront, sous les mêmes conditions que l'État, accorder aux ministres des cultes actuellement salariés par eux des pensions ou des allocations établies sur la même base et pour une égale durée.
    "Réserve est faite des droits acquis en matière de pensions par application de la législation antérieure, ainsi que des secours accordés, soit aux anciens ministres des différents cultes, soit à leur famille.
   "Les pensions ne pourront se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement alloué, à titre quelconque, par l'État, les départements ou les communes.
    "La loi du 27 juin 1885, relative au personnel des facultés de théologie catholique supprimées, est applicable aux professeurs, chargés de cours, maître de conférences et étudiants des facultés de théologie protestante et de l'école centrale rabbinique.
    Les pensions et allocations prévues ci-dessus seront incessibles et insaisissables dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante ou en cas de condamnation pour l'un des délits prévus aux articles 31 et 32 de la présente loi."
M. Albert-Le-Roy : ... Je demande à la Chambre si l'on agirait pas ainsi que nous l'indiquons, au cas où il serait question de toute autre espèce de fonctionnaires. Admettez, messieurs, l'hypothèse de la suppression des conseils de préfecture qui me semble absolument désirable. N'accorderiez-vous pas des pensions aux conseillers de préfecture dont l'emploi serait aboli ? (Très bien ! très bien ! à gauche.)
...
Enfin, messieurs, les auteurs de l'amendement estiment qu'il importe, en votant des pensions ecclésiastiques assez larges et assez généreuses, de faire une loi de séparation de Églises et de l'État qui donne satisfaction aux intérêts individuels, de même que vous avez voulu effectuer une grande réforme politique et sociale.
...
M. le rapporteur : Tout en reconnaissant que l'amendement présenté par M. Albert-Le-Roy respecte l'économie générale de l'article 9, la commission n'a pas cru pouvoir l'adopter. Elle a jugé que la troisième catégorie de ministres du culte admis à la pension n'y avait pas des droits suffisants.
    Cependant elle pense que certaines dispositions de l'amendement mériteraient d'être prises en considération, par exemple celle relative à la réversibilité au profit des veuves ou des orphelins mineurs des ministres du culte, celle qui vise les droits acquis en matière de secours, enfin celle qui concerne le personnel des facultés de théologie supprimées.
    Mais l'extension du bénéfice de la pension à des ministres âgés de trente-cinq ans seulement, a paru excessive à la commission qui ne peut, dans ces conditions, adopter l'amendement de M. Albert-Le-Roy. (TRès bien ! très bien ! à gauche.- Mouvements divers.)

M. le ministre des cultes :  Le Gouvernement repousse la prise en considération de l'amendement de M. Albert-Le-Roy.

M. Le président : Je consulte la Chambre sur la prise en considération de l'amendement de M. Albert-Le-Roy, repoussé par la commission et le Gouvernement.
(La prise en considération est votée par 309 voix contre 251)
    En conséquence, l'amendement est pris en considération et renvoyé à la commission.
    La commission demande que la séance soit suspendue pour lui permettre d'examiner l'amendement à fond.
...
(La séance, suspendue à trois heures vingt-cinq minutes, est reprise à quatre heures et quart.)

M. le rapporteur : La commission vient d'examiner l'amendement de M. Albert-Le-Roy pris en considération par la Chambre. Elle l'a adopté sous le bénéfice des modifications suivantes arrêtées d'accord avec les auteurs de l'amendement et M. Le ministre des cultes.
    Le deuxième et le troisième paragraphe seraient confondus en un seul qui serait ainsi rédigé :
    " Ceux (des ministres des cultes) qui seront âgés de plus de quarante-cinq ans et  de moins de soixante ans, et qui auront, pendant vingt ans au moins rempli des fonction ecclésiastiques rémunérées par l'État, recevront une pension  viagère annuelle égale à la moitié de leur traitement. Les pensions allouées par les deux paragraphes précédents ne pourront pas dépasser quinze cents francs."
    Cette modification correspond à la réalité des faits. Un ministre du culte catholique n'exerce son sacerdoce qu'à partir de vingt-cinq ans ; comme il doit avoir vingt ans de service rémunérés par l'État pour obtenir une pension, ce n'est guère qu'à quarante cinq ans d'âge qu'il y aura droit.
    Dans le paragraphe suivant, nous avons proposé la suppression de ce membre de phrase : pour les cultes non catholiques." Cette précision nous a paru absolument inutile.
...
    Enfin dans le paragraphe qui règle les indemnités aux ministres des cultes dans les petites communes, le chiffre de 1 500 habitants serait abaissé à 1 000.
    A l'avant dernier paragraphe, la commission a supprimé le membre de phrase " et de l'école centrale rabbinique" à la suite d'observations que M. le ministre des cultes a bien voulu faire valoir devant la commission et qui ont été acceptées par M. Albert-Le-Roy, l'auteur principal de l'amendement pris en considération.
...
    En conséquence, l'article 9 serait ainsi libellé :
    "Les ministres des cultes qui, lors de la promulgation de la présente loi, seront âgés de plus de soixante ans révolus et qui auront, pendant trente ans au moins, rempli des fonctions ecclésiastiques rémunérées par l'État, recevront une pension annuelle et viagère égale aux trois quarts de leur traitement.
  "Ceux qui seront âgés de plus de quarante-cinq ans et  de moins de soixante ans qui auront, pendant vingt ans au moins, rempli des fonction ecclésiastiques rémunérées par l'État recevront une pension  viagère annuelle égale à la moitié de leur traitement. Les pensions allouées par les deux paragraphes précédents ne pourront pas dépasser 1.500 francs.
    En cas de décès des titulaires, ces pensions seront réversibles, jusqu'à concurrence de la moitié de leur montant, au profit de la veuve et de orphelins mineurs laissés par le défunt et, jusqu'à concurrence du quart, au profit de la veuve sans enfants mineurs. A la majorité des orphelins, leur pension s'éteindra de plein droit.
    "Les ministres des cultes actuellement salariés par l'État, qui ne seront pas dans les conditions ci-dessus recevront, pendant quatre ans à partir de la suppression du budget des cultes, une allocation égale à la totalité de leur traitement pour la première année, aux deux tiers pour la deuxième, à la moitié pour la troisième, au tiers pour la quatrième.
    "Toutefois, dans les communes de moins de 1.000 habitants et pour les ministres des cultes qui continueront à y remplir leurs fonctions, la durée de chacune des quatre périodes ci-dessus indiquée sera doublée.
      "Les départements et les communes pourront, sous les mêmes conditions que l'État, accorder aux ministres des cultes actuellement salariés par eux, des pensions ou des allocations établies sur la même base et pour une égale durée.
       "Réserve est faite des droits acquis en matière de pensions par application de la législation antérieure ainsi que des secours accordés, soit aux anciens ministres des différents cultes, soit à leur famille.
       "Les pensions  ne pourront se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement alloué, à titre quelconque par l'État les départements ou les communes.
      La loi du 27 juin 1885, relative au personnel des facultés de théologie catholique supprimées est applicable aux professeurs, chargés de cours, maîtres de conférences et étudiants des facultés de théologie protestante.
    " Les pensions et allocations prévues ci-dessus seront incessibles et insaisissables dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante ou en cas de condamnation pour l'un des délits prévus aux articles 31 et 32 de la présente loi."
...
M. Grousseau : J'entends plusieurs de nos collègues demander l'impression du nouveau texte.
...
M. le rapporteur :  L'honorable M. Grousseau (qui vient de faire un commentaire du nouveau texte) vient de nous prouver qu'il n'a pas besoin d'un texte imprimé ... pour apprécier la portée exacte des modifications qui sont proposées à la Chambre.
...
M. le président : Je mets aux voix la motion de M. Grousseau, tendant à renvoyer à demain la suite de la discussion pour permettre l'impression de l'amendement.
(Motion repoussée par 325 voix contre 248.)
...
    Un certain nombre d'amendements qui ont été présentés tombent. Pour les autres, je vais demander à leurs auteurs s'ils les maintiennent.
(Monsieur Berry ne soutient pas son amendement, M. Gaffier déclare vouloir en déposer un autre et M. Augagneur ne maintient pas son amendement. MM. Caillaux, Georges Leygues, Noulens, Chaigne, Maurice Colin, Pierre Dupuy, Larquier, Siegfried, Fernand-Brub, Baband-Lacroze, Catalogne, Chastenet, Corderoy, Dussuel, Grosdidier, de La Batut, Malizard, Germain Périer, Robert Surcouf maintiennent le leur.)
    Cet amendement est ainsi conçu :
    "A partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, la somme actuellement consacrée au service des cultes dans le budget général sera répartie entre les communes au prorata des dépenses du personnel des cultes incombant actuellement à l'État.
    "Ce versement sera opéré dans les conditions et sous les réserves suivantes :
    "Un chapitre sera ouvert au budget du ministère de l'intérieur sous la rubrique : "Grosses réparations aux édifices du culte. - Constructions ou reconstructions déjà en cours." Le montant du crédit sera annuellement déterminé par la loi de finances.
    "Un crédit de 7 millions sera inscrit au budget du ministère des finances (Première partie) à un chapitre ainsi libellé : "Pensions et indemnités aux anciens ministres des cultes". En conséquence, des pensions seront accordées par décret contresigné par les ministres des finances et de l'intérieur à tous les ministres des cultes qui n'auront plus d'emploi et qui compteront vingt-cinq années de fonction rémunérées par l'État. Ces pensions seront viagères et égales à la moitié du traitement moyen des six dernières années. Elles ne pourront être ni inférieures à 400 fr., ni supérieures à 1 200 francs. En outre, des indemnités pourront être accordées aux ministres des cultes que l'âge, les infirmités, les charges de famille ou toute autre cause reconnue légitime mettront dans la difficulté de subvenir à leurs besoins. Le droit à ces indemnités sera reconnu et leur montant fixé par une commission dont la composition sera arrêtée par décret et qui devra comprendre deux représentants du ministère des finances, deux représentants du ministère de l'intérieur, deux conseillers d'État, deux conseillers maître à la cour des comptes. Les indemnités devront être calculées en tenant compte à la foi des années de service, des situations individuelles, des charges de famille ; elles ne pourront être inférieures à 400 fr. par an, ni supérieures à 1 200 fr.
    "Le surplus de la somme de 42 millions sera réparti tous les ans par un décret contresigné par les ministres des finances et de l'intérieur entre les communes au prorata des dépenses du personnel des cultes qui incombent actuellement actuellement à l'État dans chacune de ces communes ou réunion de communes. Toutefois, celles qui comptent moins de 4 000 âmes de population agglomérée recevront une somme égale à la totalité des susdites dépenses. Les sommes ainsi réparties devront être intégralement employées à des dégrèvements qui porteront en premier lieu sur les centimes additionnels aux quatre contributions directes.
    "Par mesure transitoire, durant deux années, toutes les communes seront tenues d'attribuer l'intégralité des sommes ainsi reçues aux ministres des cultes en fonction sur leur territoire. Les commune comptant moins de 4 000 âmes de population agglomérée devront continuer cette allocation pendant une seconde période de quatre années"
(Amendement repoussé par 452 voix contre 134 ; puis Monsieur Lemire essaye de reconstruire son amendement en tenant compte de la nouvelle rédaction de la commission, mais celui-ci est malgré tout repoussé par 313 voix contre 245. La discussion est ensuite renvoyée au lendemain.)

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3