Chambre des députés
4 novembre 1903
M. Gayraud. Messieurs,
mon intention n'est pas d'interroger le Gouvernement; à l'occasion
de la discussion du budget des cultes, sur sa politique envers l'Église
et le clergé, Je désirerais simplement savoir de lui quel
but il se propose. A-t-il simplement le dessein d'appliquer le Concordat,
ou bien entend-il en préparer la dénonciation dans un avenir
prochain et tracer comme les lignes générales d'un nouveau
régime des cultes pour le temps futur de la séparation des
Églises et de l'État.
Il semblerait, à considérer les faits,
que le Gouvernement ne se préoccupe pas précisément
de l'application loyale de la convention concordataire, mais plutôt
de préparer ce régime de la séparation cher un grand
nombre de nos collègues.
.........
M. le président du conseil.
...... Quant à la séparation des Églises et de l'État,
c'est vous et vos amis qui vous chargez de la préparer. (Vifs
applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)
...
M. Gayraud. ..... Mais est-ce que les instituteurs ne sont pas
aussi des fonctionnaires ? Pourquoi les membres du clergé ne pourraient-ils
pas faire, en vue de défendre la religion ce que vous accordez aux
instituteurs le droit de faire dans le but de défendre la démocratie
et la République ? (Applaudissements à droite. - Interruptions
à gauche.)
.........
M. Maurice Allard. Je serai
très bref. Je ne veux ni entrer, comme M. Gayraud, ni dans la cuisine
de l'administration des cultes, ni me livrer à une discussion de
doctrine. Une pareille discussion devant la Chambre devient bien inutile.
Voilà trente ans que nous l'entendons. Aussi, je ne ferai à
aucun de mes collègues l'injure de croire qu'il n'a pas une opinion
faite sur la question. Elles est d'ailleurs solutionnée dans l'opinion
publique.
Je ne renouvellerai donc pas cette année
le débat entre le vieux philosophe spiritualiste, qui est président
du conseil, et le moniste qui parle à cette tribune.
Je veux cependant faire quelques observations sur
le plus étonnant rapport qui ait jamais émané d'une
commission radicale du budget.
........
Le travail de M. Dulau, je vous l'assure,
ne fora pu avancer d'un pas la question de la séparation. Nous y
trouvons, d'abord, une attaque non déguisée contre
ceux qui ,chaque année, viennent demander la suppression du
budget des cultes.
"Aussi bien, dit-il, n'a-t-on pu envisager! jusqu'à
ce jour que comme une simple manifestation le refus de certains de nos
collègues, de voter les crédits destinés à
assurer l'exécution' des clauses diverses de la convention intervenue
entre notre société civile et la papauté."
Si l'honorable rapporteur était présent,
je lui dirais quo, si tous les, ans nous demandons la suppression du budget
des cultes, ce n'est pas pour nous livrer à une manifestation platonique,
mais au contraire, parce que nous avons le désir d'aboutir, et de
faire voter la réforme par la majorité républicaine
de cette Assemblée. (Applaudissements à l'extrême
gauche.)
D'autre phrases sont aussi étonnantes :
"Toucher au Concordat, dit M. Dulau, dans les circonstances
actuelles, qu' on le veuille ou non, ce serait, de quelque
façon qu'on voulût résoudre le problème,
porter un coup redoutable aux religions diverses qui se partagent les consciences,
à la religion catholique surtout, la plus généralement
répandue dans notre pays. "
"Entrer en guerre contre les croyances religieuses
dans les circonstances actuelles jetterait la République dans un
véritable péril. Nul n'ignore, en effet, les difficultés
sans cesse renouvelées, que le Gouvernement a rencontrées
dans l'application de la loi de 1901 aux congrégations. En face
de l'hostilité ouverte de tous les membres des congrégations
dissoutes serait-il d'une politique habile pour le Gouvernement de Ia République
de s'aliéner encore tout le clergé des paroisses
de France, sorti des rangs de la démocratie et que son origine,
le milieu où il vit, la modestie de sa mission rapprochent
plutôt des institutions qui nous régissent ?"
Une dernière citation :
"Aux yeux d'un grand nombre de républicains,
écrit M. le rapporteur, le Concordat parait une institution caduque
et vieillie ne répondant plus à la conception nouvelle des
consciences affranchies de toute idée mystique et de tout culte.
Ils né réfléchissent pas que les consciences libres
de tout préjugé ne sont encore dans notre pays qu'une exception
infime, qu'elles n'existent presque pas dans les campagnes et que, priver
du jour au lendemain les masses attachées à leur croyance
des facultés que le Concordat a créées pour leur culte,
c'est, en réalité, violenter des consciences, provoquer délibérément
des colères et de périlleux ressentiments."
Je demande à M, le président de la
Commission du budget et à son rapporteur général ,s'ils
estiment que supprimer le
Concordat, faire la séparation des Églises et de l'État,
c'est violenter les consciences ; je demande aux radicaux, partisans de
la séparation des Églises et de l'État, qui ont le
désir, je veux le croire, avec la même conscience que nous,
de la voir aboutir, comment ils peuvent permettre que de pareils rapports
soient imprimés en leur nom et viennent, sous leur autorité,
se produire devant la Chambre. Croient-ils servir de cette façon
la cause de la séparation des Églises et de l'État
? (Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. Georges Berthoulat. Ce rapport leur à été lu et ils l'ont approuvé.
M. Maurice Allard. C'est un incident que je voulais vider rapidement.
Ma principale préoccupation à cette tribune n'est pas, je
le répète, de faire aujourd'hui de la doctrine, c'est d'essayer
de dégager la véritable opinion de la Chambre sur la
question de la séparation des Églises et de l'État.
Il faut en finir avec les équivoques. Il faut qu'on sache dans le
pays si véritablement il y a ici une Chambre anticléricale
décidée à poursuivre jusqu'au bout la lutte contre
l'Église.
C'est pourquoi j'ai porté à nouveau
devant cette Assemblée, cette année comme les années
précédentes, comme d'autres l'avaient fait ayant moi depuis
trente ans la question de la séparation des Églises et de
l'État; et je le fais en connaissance de cause, avec
la persuasion, contrairement à l'argumentation qu'on m'opposera
à cette tribune, que les discussions budgétaires sont le
meilleur terrain pour faire aboutir les réformes.
Quand nous abordons à cette tribune des questions
qui, sont à l'ordre du jour de l'opinion publique, on: nous objecte
que nous ne pouvons pas soulever dans une discussion budgétaire
des: 'réformes de cette importance. Attendez, nous
dit-on, que des commissions aient, discuté et que les rapports
aient été déposés sur le bureau. Les réformes
ne se font que par projets et propositions de loi.
Ni les radicaux, ni certains socialistes ne parlaient
autrefois de cette façon. Rappelez-vous les anciennes discussions
budgétaires. :Elles étaient l'occasion pour les opinions
diverses de se faire jour et on les discutait avec ampleur.
Eh bien ! nous voulons qu'elles aient maintenant,
comme avant, le même éclat.
Qu'est-ce donc que ces nouvelles théories
? En réalité qu' est-ce donc qu'une discussion de budget?
Si nous passons en revue tous les rouages de notre administration française,
ce n'est pas simplement pour inscrire un chiffre devant chaque service
; non, c'est pour que nous puissions discuter l'utilité de ces rouages
et s'ils sont défectueux, les améliorer; s'ils sont mauvais,
les supprimer.
................
Affirmer que si la séparation des Églises
et de l'État, si l'impôt progressif sur le revenu ont été
mis et sont récemment remis sur le tapis, c'est parce que nous n'avons
pas laissé tomber ces questions dans les oubliettes parlementaires
et que chaque année, nous avions pris soin de les ressusciter au
moment de la discussion budgétaire.
......
Vous savez bien quelle est la lenteur du travail
dans les commissions. Je ne veux pas de cette façon incriminer ni
le zèle de la commission de séparation des Églises
et de l'État, ni celui de son rapporteur. Je fais moi-même
partie de cette commission ; nous travaillons, et je sais que prochainement
peut-être, le rapporteur sera en mesure
de vous présenter le résumé de nos travaux. Mais,
rappelez-vous votre histoire parlementaire et tous les projets qui, étudiés
dans les commissions, ayant été même l'objet d'un rapport,
sont encore, après trente ans, à l'état de projets
et ne sont jamais venus en discussion publique devant cette Chambre. Je
pourrais vous en faire une longue énumération.
(Cliquer pour en avoir un exemple d'une
occasion ratée)
Eh bien ! j'ai peur qu'il en soit de même,
malgré le zèle de la commission, de la séparation
des Églises et de l'État ; j'ai peur qu'il en soit de même
pour cette réforme inscrite depuis si longtemps dans le programme
républicain. Savez-vous pourquoi j'ai cette crainte, messieurs ?
C'est parce que, ...., sous notre constitution ne peuvent aboutir que les
projets d'initiative gouvernementale ou les projets d'initiative parlementaire
que le Gouvernement finit par faire siens sous la pression de l'opinion
publique. (Très bien ! très bien ! à l'extrême
gauche.)
......
Enfin, messieurs, je ne sais si le Gouvernement
fera sien notre rapport, ce produit de la seule initiative parlementaire.
J'ai suivi la politique religieuse de M. le président
du conseil ; j'ai, non pas entendu, mais lu attentivement ses discours
de Marseille et de Clermont-Ferrand, et j'approuve ces discours sur un
certain nombre de points.
Seulement, sur cette question spéciale de
la séparation des Églises et de l'État, j'ai remarqué
que M. le président du conseil avait fait certaines réserves,
et je reconnais, j'avoue qu'il m'a été impossible de dégager
entièrement quelle est sa pensée.
M. le président du conseil nous a dit qu'il
y avait une œuvre à parachever. .... je suis même d'avis,
moi, qu'elle est tout entière à accomplir ..... Mais quand
[il] a abordé la question de la séparation des Églises
et de l'État, il s'est borné à nous dire d'abord -....-
que devant le clergé déchaîné contre la République,
il a été absolument impuissant et qu'il n'avait entre les
mains aucun instrument capable de réduire à néant
cette rébellion et cette agitation du clergé. Ensuite, ....,
soulevant d'une main un peu tremblante les voiles de l'avenir, [il] nous
a laissé entendre qu'il faudrait s'occuper, à un moment donné,
devant le parlement, de régler les rapports des Églises et
de l'État.
Eh bien ! cette formule m'a paru extrêmement
vague. je ne sais pas ce que c'est que de régler les rapports des
Églises et de l'État ......... Le pays pays veut supprimer
ces rapports ; il ne veut plus qu'il existe entre l'Église et l'État
aucun rapport quelconque. (Très bien ! très bien
! à l'extrême gauche.)
Or, après ces déclarations, M. le
président du conseil, dans un excellent passage d'un de ses discours,
laissait entendre qu'il n'était pas de ces chefs de Gouvernement
qui ont la prétention d'entraîner des majorités après
eux ; mais au contraire, il se laissait guider par la majorité républicaine.
Je suis absolument de son avis : dans un véritable régime
républicain, ce n'est pas pas le Gouvernement qui doit entraîner
une majorité ; c'est la majorité représentant le pays
qui doit guider le Gouvernement. . (Très bien ! très bien
! à l'extrême gauche - Mouvements divers.)
Au centre. C'est un système !
M. le président du conseil, ministre de l'intérieur
et des cultes. Oui ! c'est mon système !
.........................
Monsieur le président du conseil, je ne vous
interpelle pas, je ne veux pas parler de l'application d'une loi qui vous
est chère, que, d'ailleurs, vous avez appliquée jusqu'à
présent, dans la mesure du possible. Ce n'est peut-être pas
l'application que vous faites de cette loi, mais la loi même, qui
est défectueuse. Vous n'allez pourtant pas nous faire croire, ni
faire entendre au pays que la loi sur les associations, avec les faibles
résultats qu'elle a donnés jusqu'ici, constituent une véritable
action anticléricale et qu'elle peut détruire d'un seul coup
le péril romain. Votre action contre les congrégations s'est
traduite jusqu'ici par des actes tellement insignifiants que, dans toutes
les régions que nous représentons, on n'aperçoit véritablement
pas qu'un progrès ait été accompli.
Pendant les vacances, j'ai parcouru bien des villes
de provinces : je suis allé dans le nord, dans le midi, à
Tours, à Poitiers, à Marseille, à Toulon. Partout,
j'ai vu des républicains qui m'ont dit :"Comment ! les journaux
racontent tous les jours que les congrégations sont parties, que
l'Église est terrassée ? Mais tel couvent subsiste encore
dans notre ville et il y en a un autre à côté et un
autre encore dans ce coin; on voit des théories de soutanes dans
les rues ; les prêtres du clergé séculier sont plus
insolent que jamais ! Les jésuites sont dispersés, dit-on
! Ils ont partout rouvert leurs collèges avec les mêmes méthodes
d'enseignement et les mêmes professeurs qu'auparavant!" Et ces plaintes
sont justes ; rien n'est changé. (Exclamations au centre et à
droite.)
Toutes ces écoles que vous avez fermées,
monsieur 1e président du conseil, vous savez qu'elles sont rouvertes
en partie au moins, peut-être pour les deux tiers.
Les congréganistes expulsés sont rentrés non pas par
la fenêtre, mais bien par la porte,
après avoir pris le
soin de changer seulement leur costume. J'ai lu dans les journaux qu'à
Marseille, à la suite d'une pétition des mères de
famille, vous aviez accordé une prorogation de fermeture à
vingt-cinq écoles religieuses de cette ville.
.......
Vous avez fait votre possible, je ne nie pas, mais
vous avez, je le répète, entre les mains, un mauvais instrument
....
......
Si vous voulez que le pays ait confiance
dans votre politique anticléricale que vous menez, je le reconnais,
avec une apparence d'énergie bien supérieure à
celle de tous les cabinets qui vous ont précédé,
il faut qu'il voie que vous voulez véritablement arriver à
un résultat sérieux, et ce résultat sérieux
vous ne l'obtiendrez, je le répète, que par le vote de 1a
séparation des Églises et de l'État.
Comment vous luttez, dites vous, contre l'Église
et, sur le même budget que celui des instituteurs et des professeurs,
vous payez le prêtre que vous prétendez combattre, que vous
considérez, comme un ennemi ? C'est le pire des illogismes et, c'est
cet illogisme que ne comprend pas le pays, Quand vous aurez dit au pays:
nous supprimons le budget des prêtres qui sont les adversaires de
la République et les adversaires du progrès, alors seulement
il croira à la sincérité de votre lutte anticléricale.
(Très bien ! très bien! à l'extrême gauche,)
............
Ah ! messieurs, tous les jours, vous vous vantez
d'être les descendants, les continuateurs des révolutionnaires
de 1789 et de 1793! Eh bien ! rappelez-vous qu'il a suffi d'une nuit, celle
du 4 août, pour abolir les privilèges de la noblesse.
Vous faudra-.t-il plus d'une journée pour abolir les privilèges
de l'Église? (Applaudissements à l'extrême gauche
et sur divers bancs à gauche.)
.......
M. le président du conseil. Messieurs .... Je ne dirai
... que deux mots au sujet de l'amendement de M. Allard. Je demande à
la Chambre de l'écarter, et je le demande tout particulièrement
aux partisans de la doctrine soutenue par M? Allard. (Mouvements divers)
Pour peu qu'ils veuillent y réfléchir,
ils comprendront que la proposition qui leur est faite est aussi intempestive
qu'elle est illogique. Personne ici, pas même M. Allard ne peut se
faire d'illusion sur le sort qui l'attend ; un vote prévu de tout
le monde va l'écarter et fournir un argument des plus sérieux
aux adversaires de la proposition pour établir qu'il n'y a pas dans
cette Chambre, de majorité pour la séparation des Églises
et de l'État.
En effet, chacun de nous sent très bien qu'une
question aussi grave et si délicate n'est pas de celle qui peuvent
être tranchées par voie budgétaire. L'adoption d'une
loi sur la police des cultes et la dénonciation du Concordat doivent
précéder la séparation des Églises et de l'État
comme deux préliminaires indispensables qui seuls peuvent la justifier.
...........................
(Amendement repoussé par 312 voix contre 205)