suite de la discussion du projet et des propositions de
loi
concernant la séparation des Églises et
de l'État.
(26° journée ; réduite
et annotée)
M. le président : ... L'amendement de M. de Castelnau
est ainsi libellé :
"Reprendre pour le premier paragraphe de l'article
6, le premier texte de la commission, comme suit :
"Faute pour un établissement ecclésiastique
d'avoir dans le délai fixé par l'article 4, procédé
aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par le tribunal
civil du siège de l'établissement, et ce, conformément
aux dispositions de cet article."
M. Grousseau : Messieurs,
la discussion qui s'est engagée sur l'article 6 a déjà
prouvé jusqu'à l'évidence que le changement de juridiction,
c'est à dire la substitution du conseil d'État aux tribunaux
judiciaires, n'a été qu'un prétexte pour modifier
le sens que l'article 4 avait reçu dans le grand débat à
la suite duquel il a été adopté.
M. Cruppi, d'une part, M. Jaurès, d'autre
part, dans des discours d'une extrême habileté, ont rapproché
les distances. Ils ont essayé de réduire à un simple
malentendu le plus grave des dissentiments. ...
...
M. Cruppi en abordant ce qu'il a appelé
"le côté essentiel du problème", s'est exprimé
en ces termes : " La raison de décider, selon nous, la raison d'admettre
ici la compétence administrative réside dans la nature même
des biens dont il s'agit d'effectuer la dévolution. En effet, de
quels biens, de quel patrimoine s'agit-il ? Lorsque nous parlons du patrimoine
existant des fabriques, de ce qu'on a souvent désigné, au
cours des discussions précédentes, par l'expression "biens
des fabriques", il s'agit de biens collectifs, de biens corporatifs, de
véritables fondations ayant, pourrait-on dire, la nature de biens
du domaine public, ..." - veuillez remarquer les derniers mots de cette
citation - " ... relevant, à ce titre, de la compétence administrative."
Est-ce vrai ? Non, certainement non. cela est, au
contraire, d'une inexactitude absolue.
Je me demande comment M. Cruppi a pu oublier certain
texte formel qui contient la réfutation de sa thèse. Tout
doute disparaît en effet, à la simple lecture de l'article
80 du décret du 30 décembre 1809 sur les fabriques :
"Toutes contestations relatives à la propriété
des biens et toutes poursuites à fin de recouvrement des revenus
seront portées devant les juges ordinaires."
...
Je poursuit ma démonstration en parlant maintenant
des arguments présentés par M. Caillaux et par M. Pelletan.
L'un et l'autre nous ont fait d'intéressantes
citations ; ce n'est pas la première fois qu'on les entendait à
cette tribune. Turgot me paraît en ce moment fort en faveur (Sourires)
; seulement je ferai observer que Turgot devrait paraître bien démodé,
car n'oubliez pas que la même plume avec laquelle il attaquait les
fondations, il attaquait en même temps, de la même façon,
avec les mêmes arguments, et les associations et les corporations.
(Très
bien ! très bien !)
Monsieur Pelletan, vous nous avez cité
une phrase que vous admiriez ; et je me suis permis, quand vous demandiez
en quelque sorte à vos collègues à qui il fallait
l'attribuer, de prononcer le nom de Chapelier. C'est qu'en effet Turgot
a été reproduit par Chapelier dans un rapport qui est resté
célèbre, le rapport qui a donné lieu à une
des lois les plus odieuses qui aient jamais été faites dans
aucun pays. C'est la loi du 14 juin 1791, loi qui décide qu'il ne
peut y avoir d'association entre patrons et ouvriers, parce qu'il ne peut
pas y avoir entre les divers patrons et entre les divers ouvriers le moindre
intérêt commun. Tel est, en quelque sorte, l'exposé
des motifs de la loi du 14 juin
1791. (Applaudissements à droite.)
Quand on vient nous déclarer que la
théorie de Turgot est toujours la théorie vraie, je dis que
l'on retarde d'un siècle. La théorie révolutionnaire
en vertu de laquelle il n'y aurait en présence l'intérêt
particulier et que l'intérêt général, sans intérêt
intermédiaire, cette théorie à fait faillite. (Très
bien ! très bien ! à droite.)
C'est l'honneur du Gouvernement et des Chambres
d'avoir réprouvé cette erreur et d'avoir enfin fait voter
la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats et la loi du 1er juillet 1901.
Je parle de sa première partie, celle qui concerne les associations.
(Applaudissements à droite.)
M. Joseph Caillaux : La droite applaudit la loi sur les associations.
M. Grousseau : Monsieur Caillaux, ne créez pas une équivoque
qui ne serait pas digne de vous. La droite applaudit en effet le premier
titre de la loi de 1901, mais elle réprouve le titre II, qui est
un démenti donné au principe général du titre
1er. (Applaudissements à droite) (
Et ne parlons pas du titre III
concernant les congrégations religieuses qui y sont strictement
réglementées)
Nous
applaudissons tout en regrettant qu'au moment où la France sortait
de cette situation vraiment pénible où elle était,
à l'arrière-ban des nations civilisées quant au droit
d'association, elle n'ait pas fait cette loi libérale et plus large
quant au patrimoine des associations. (Applaudissement à droite)
... Vous me
permettrez donc, messieurs, de rappeler comment s'est exprimé M.
Caillaux.
Entre le tribunal civil et
le conseil d'État, a-t-il dit, " il n'y a pas de liberté
de choix. Toutes ces questions sont déterminées par les règles
générales de notre droit. Au fond tout ce sur quoi roule
la discussion, c'est le caractère des biens qui appartenaient hier
aux fabriques et qui seront demain aux associations.
" Deux théories sont
en présence. La première consiste à alléguer
..." - c'est ce que nous faisons, nous - "... que les biens des établissements
publics du culte appartiennent aux fidèles. La seconde théorie
consiste à dire que les biens que les biens des établissement
publics du culte appartiennent à quelques-unes des diverses collectivités
qui sont groupées sur le sol national. Suivant que l'on admet l'une
ou l'autre de ces deux thèses, il en découle toute une série
de solutions auxquelles on ne peut échapper."
Je suis absolument de cet
avis. M. Caillaux ajoute :
" Si vous acceptez la première
..." - celle que je soutiens - " ... si vous considérez que les
biens appartiennent aux fidèles, alors, sans contestations possibles
ils doivent être attribués aux églises qui représentent
ces fidèles. Donc ce sont les associations formées sous l'égide
de l'épiscopat qui les recueilleront et comme il s'agit dans cette
hypothèse, étant donné la théorie, de biens
privés, c'est le tribunal civil qui sera compétent.
" Au reste ..." - écoutez
bien cette déduction logique - " ... la question devient secondaire,
les tribunaux civils devront se borner à entériner la décision
des autorités ecclésiastiques, puisqu'elles ne peuvent les
attribuer qu'aux associations formées sous l'égide de l'épiscopat.
"Admettez-vous, au contraire,
la seconde théorie ? Admettez-vous que les biens en question sont
des biens de la collectivité? Alors ils appartiennent à l'État
" Et vous voyez d'ici que l'État ne les attribue que par acte administratif,
ce qui entraîne la compétence administrative.
Jamais question n'a été
mieux posée, mon cher collègue. Mais reste à savoir
si c'est la première ou la deuxième de ces théories
qui doit prévaloir. Pour mon compte, je n'ai pas une hésitation
et je me prononce pour la première que je crois incontestable. Je
m'excuse de m'exprimer avec une sorte d'absolutisme qui pourrait paraître
peu respectueux des sentiments d'autrui ; n'y voyez, messieurs, que
le résultat de la conviction avec laquelle j'expose mes opinions
à cette tribune. (Très bien ! très bien !)
...
Ainsi le conflit est-il religieux, est-il politique
? Tel est l'examen que l'on parle de donner au conseil d'État !
Est-il véritablement sensé de songer à doter la juridiction
administrative de la mission de juger le caractère politique des
conflits qui pourraient s'élever dans chaque commune de France entre
des associations cultuelles ? Oseriez-vous mettre cela dans la loi ? (Applaudissements
à droite.) Et si vous ne l'y mettez pas, véritablement,
pourquoi le mettez-vous dans les travaux préparatoires ? car nous
sentons bien, aujourd'hui, ce qui se passe. On ne veut pas écrire
dans la loi ce qui est le fond de la pensée de quelques uns ; mais
on le lit dans des discours qui seront présentés plus tard
aux juridictions compétentes, pour leur tracer une ligne de conduite
et leur imposer des arrêts. (Applaudissements à droite.)
Tout cela est bien dangereux. Prenez garde,
messieurs. Il serait contraire au droit, contraire au bon sens, contraire
à l'intérêt du pays, contraire à la paix publique,
de donner à une haute juridiction, qui doit statuer dans le calme
et dans la majesté du droit, un attribution politique. (Vifs
applaudissements à droite et sur divers bancs au centre.)
...
M. Georges Leygues : ... Pourquoi
avons nous déposé l'amendement en discussion ? Pour deux
raisons : l'une d'ordre juridique : nous avons voulu transférer
à la juridiction administrative la connaissance des litiges qui
pourront s'élever à l'occasion de la dévolution des
biens et ne pas subordonner étroitement la justice française
à la justice ecclésiastique ; l'autre d'ordre public : nous
ne voulons pas attribuer à l'autorité ecclésiastique,
en tout état de cause, un pouvoir discrétionnaire sur les
biens des fabriques. Nous entendons respecter intégralement les
prérogatives et l'autorité spirituelle de l'Église,
mais nous ne croyons pas pouvoir reconnaître aux autorités
diocésaines un pouvoir temporel sans limite.
...
M. Ribot nous a reproché d'avoir changé
d'opinion en nous unissant à des républicains radicaux-socialistes.
Notre honorable collègue se trompe. En ce qui me concerne, je n'ai
pas varié. Je défends aujourd'hui la thèse que j'ai
défendue dans la séance du 21 avril.
Je ne retire rien des déclarations que j'ai apportée à
ce moment à la tribune. Je reste fidèle aux principes qui
ont inspiré tous les amendements que j'ai signé et que je
défendrai.
Nous ne poursuivons qu'un but : réaliser
une séparation claire et franche, exempte de toute équivoque
; assurer dans le régime nouveau la liberté de conscience
la plus complète, le respect de toutes les croyances, l'exercice
loyal de tous les cultes. Or la liberté de conscience n'est qu'un
leurre si elle est contrainte de se réfugier dans le for intérieur
de l'individu, si elle ne peut pas se manifester publiquement. Il faut
pour qu'elle soit une réalité, qu'elle se combine avec la
liberté des cultes, qu'elle ait des lieux de réunion où
les fidèles puissent se livrer en commun aux exercices religieux.
(Très bien ! très bien !)
C'est pour cela que mes amis et moi avons
déposé une série d'amendements qui tendent à
attribuer aux associations cultuelles la jouissance gratuite des édifices
du culte pour de très longues périodes et à restituer
le budget des cultes aux contribuables, afin de permettre à nos
communes rurales, après la séparation, de garder leur église
et d'assurer l'exercice de leur culte.
M. Ribot, en discutant l'amendement à l'article
6, a méconnu nos intentions et dénaturé notre
pensée, lorsqu'il a prétendu que nous allions organiser l'insécurité
des biens dévolus aux associations cultuelles.
C'est exactement le contraire que nous cherchons.
...
Les
biens des catholiques affectés à des usages catholiques soit
sous formez de fondations pieuses, soit pour des actes de dévotion,
soit pour des messes à la mémoire des défunts, soit
pour l'entretien des chapelles, doivent conserver leur affectation spéciale
; sous aucun prétexte, ils ne peuvent être détournés.
(Très bien ! très bien !) C'est là une question
de loyauté et de probité élémentaire. Les biens
régulièrement dévolus à des associations cultuelles
contre lesquelles on n'a aucun grief à élever, dont tous
les membres sont d'accord entre eux, qui se conforment à l'objet
en vue duquel elles ont été constituées, ces biens-là
nous déclarons qu'ils ne peuvent être contestés par
une association nouvelle quelle qu'elle soit.
Nous ne reconnaissons à personne le droit
de déposséder ces associations de leur patrimoine.
(Mouvements à droite. -Très bien ! très bien !)
Il est en effet de la plus haute importance,
pour l'Église, pour la tranquillité de nos communes, pour
la paix publique que les associations cultuelles jouissent paisiblement
des biens régulièrement dévolus et que cette jouissance
ne puisse être interrompue que dans des cas déterminés
par la loi.
...
L'association cultuelle qui se présentera
pour recueillir les biens devra être constituée conformément
à l'organisation du culte qu'elle se proposera de continuer. Rien
de plus juste. Il tombe sous le sens qu'une association ne pourra revendiquer
des biens donnés aux fabriques catholiques, pour assurer l'exercice
d'un culte qui serait le culte protestant ou le culte israélite,
ou même un culte prétendu catholique qui se trouverait en
désaccord sur des questions fondamentales de dogme, de hiérarchie
ou de discipline avec l'évêque. (Très bien
! très bien !)
...
Nous sommes tous d'accord pour défendre les
prérogatives de l'Église, mais chaque fois que l'un de nous
revendique, au nom de la société civile, qui représente
les intérêts généraux de la nation, les garanties
nécessaires sans lesquelles aucun État ne peut ni subsister,
ni se développer, nous rencontrons d'inexplicables résistances.
(Applaudissements
à gauche.)
Dès qu'on fait allusion à une
intervention de l'État par ses représentants légaux,
c'est un concert de protestations. S'agit-il de donner au préfet
un droit, non pas de décision, mais de simple contrôle de
surveillance sur l'administration des biens, d'enregistrement d'un acte
quelconque : on s'indigne. Le préfet, le représentant du
Gouvernement ! Comment ose-t-on parler du préfet ? Ce fonctionnaire
est suspect. Mais l'évêque ne l'est pas. Il s'agit, en effet
de reconnaître à l'évêque une autorité
absolue, non pas seulement au spirituel, ce que je reconnaît pour
ma part, mais au temporel, tout le monde approuve et il faut braver des
colères pour formuler une simple réserve. (Très
bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
...
Si quelqu'un propose de conférer aux tribunaux
administratifs le soin de trancher des litiges qui touchent aux biens des
associations, on s'écrie :" Les tribunaux administratifs ! y pensez-vous
! des juges qui vont obéir au pouvoir exécutif : tyrannie,
intolérance, arbitraire gouvernemental !" (Très
bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
...
mais quand on parle des tribunaux ecclésiastiques
qui siègent à Rome, qui sont composés de cardinaux
allemands, italiens, espagnols, dont je ne suspecte ni ne critique l'impartialité,
mais qui sont étrangers, qui obéissent à des règles
que nous ignorons, on élève aucune protestation et on nous
dit : La décision de ces tribunaux sera juste et bonne, il faudra
la respecter. (Très bien ! très bien !)
...
M. le rapporteur :... Je vous
demande, messieurs, de vouloir bien vous soustraire à l'influence
néfaste des polémiques passionnées et ne retenir de
nos débats que les paroles qui y ont été réellement
prononcées. Notamment quand il s'agit du rapporteur, je serais heureux
qu'on ne substituât pas d'autres opinions à celles qu'il a
exprimées lui-même. (Très bien ! très bien
! )
(Puis, il rappellera ce qu'il a écrit
dans son rapport, comment il a été rédigé,
ce qu'il a fait et dit depuis le début des débats en tenant
compte de l'avis de tous..)
...
Ceux qui, dans dix ans, reliront cette discussion
resteront stupéfaits que la Chambre s'y soit complue si longtemps,
car ils constateront qu'elle était sans portée pratique et
ne s'appliquait à aucun cas.
...
Mes paroles vous étonnent ? Mais je
suis convaincu que l'honorable M. Gayraud qui est un théologien
distingué et l'honorable M. Lemire, qui connaît également
ces questions, ne me démentiront pas si j'affirme à nouveau
qu'en régime de séparation, le curé, le prêtre
ne seront pas livrés sans défense à l'arbitraire de
l'évêque.
M. Gayraud : Dans ces termes, votre proposition n'est pas répréhensible ... (Rires et applaudissements à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.) ...mais je ne signerais pas des deux mains toutes les propositions que M. le rapporteur vient d'émettre. La raison est ... que M. le rapporteur ne se rend peut-être pas bien compte de ce qu'est le fonctionnement de la hiérarchie ecclésiastique.
M. le rapporteur : Il me suffit que l'honorable M. Gayraud consente
à les signer d'une main. (On rit.)
....
Le prêtre avant le Concordat jouissait
vis-à-vis de l'évêque de garanties que cette convention
a fait disparaître et qui tiennent à la règle canonique,
au vieux droit canon. Ai-je raison M. Gayraud ?
M. Gayraud : Parfaitement.
M. le rapporteur : Ici, vous donnerez votre signature des
deux mains. (Rires.)
Le régime de séparation fera
revivre cette règle. (Dénégation sur divers bancs.)
Mais je vous demande pardon ; c'est certain.
...
En réalité, messieurs, nous sommes
tous d'accord pour vouloir à la fois que les associations qualifiées
pour l'attribution des biens soient sérieuse et en mesure d'assurer
l'exercice du culte qu'elles se proposent. Nous sommes également
d'accord pour reconnaître aux juges la pleine indépendance
pour l'appréciation de tous les éléments de droit
et de tous les éléments de droit et de toutes les circonstances
de fait qui pourraient être de nature à déterminer
leur décision.
C'est à dire que les articles 4 et 6 se compléteront
l'un l'autre et se combineront ensemble....
....
Et maintenant je supplie mes collègues et
amis de gauche d'apporter plus de méthode et de discipline dans
cette discussion. Elle est déjà difficile, elle sera rendue
impossible si tous les amendements - ils sont plus de deux cents à
l'heure actuelle, dont la moitié au moins déposés
par des partisans de la séparation - sont maintenus. Messieurs,
je me permets de dire à ceux qui ont voté le principe de
la séparation : Si vous vous avez émis ce vote avec regret,
vous seriez bien coupables maintenant, vous étant engagés,
de ne pas aller jusqu'au bout. Faire échouer la réforme,
à présent que le principe est voté, ce serait un crime
contre la république (Vifs applaudissements à l'extrême
gauche et à gauche.), vous en porteriez la responsabilité.
Vous n'ignorez pas qu'il y a deux moyens de faire échec à
une réforme. Il y a celui qui consiste à voter nettement
contre elle ; et puis il y a celui qui consiste, par voie de surenchères,
à la rendre si difficile, si incohérente qu'elle devienne
inapplicable. (Très bien ! très bien !)
Le législateur qui se livre à ce petit
jeu assume vis-à-vis de son pays et vis-à-vis de sa conscience
une responsabilité que je ne voudrais pas partager avec lui. Pour
moi, qui ai pris mon rôle au sérieux, j'ai fait et je reste
décidé à faire des efforts sincères et persistants
pour m'acquitter de ma tâche.
Mais si j'avais pu supposer que tous les éléments
du parti républicain ne me prêteraient pas leur aide, leur
concours, je n'aurais pas entrepris une si lourde tâche. (Applaudissements
sur un grand nombre de bancs.) C'est une grosse partie, messieurs,
que vous jouez ; vous êtes dans des conditions difficiles pour réaliser
cette réforme puisqu'il vous faut nécessairement aller vite
et que c'est déjà une mauvaise condition pour faire bien
; mais puisque vous vous êtes engagé dans cette voie, puisque
vous avez marqué vous-même le but, puisque vous avez pris
devant le pays républicain l'engagement de l'atteindre, vous n'avez
plus le droit de défaillir en route ; vous avez encore moins le
droit de multiplier les obstacles sous les pas de ceux qui veulent l'atteindre.
(Applaudissements
à l'extrême gauche et à gauche)
En ce qui me concerne, je me déclare
prêt à faire toutes les concessions nécessaires, celles
bien entendu qui n'exigeront pas de capitulation de conscience de ma part
; mais je reste plus convaincu que jamais que la séparation doit
être faite dans un esprit de libéralisme très net.
Sur ce point, encore, messieurs, je me permet d'insister.
Évidemment, quand on a lutté longtemps contre une vieille
ennemie comme l'Église, quand on s'est pris corps à corps
avec elle dans les moments les plus difficiles, les plus périlleux,
les plus critiques, quand on s'est habitué à lui porter des
coups et à en recevoir d'elle, on finit par éprouver une
sorte d'affection pour elle et l'on se résous difficilement à
s'en séparer. (Rires et applaudissements.)
...
Il faut pourtant que vous vous y résigniez..
Vous reprenez votre liberté ; il n'est que
juste que vous laissiez à l'Église la sienne et que vous
lui permettiez d'en jouir dans les limites où l'ordre public n'en
sera pas menacé. C'est cela la séparation. Ceux qui vous
disent qu'elle doit être une gifle sur la face de l'Église
vous donnent un mauvais conseil et singulièrement dangereux.
Pour moi, je n'ai jamais été disposé
à le suivre....
Messieurs, il y a parmi les catholiques deux éléments
, il y a des catholiques surexcités, toujours prêts à
la bataille, voulant toujours pousser les choses au pire, mais la grande
masse n'est pas animé du même esprit. (Très bien
! très bien ! au centre.)
...
Beaucoup de catholiques français désirent
seulement n'être pas troublés dans leurs traditions, dans
leurs habitudes, veulent garder la liberté, à l'abri de toute
persécution possible, d'exprimer leurs sentiments religieux. Vous
n'avez pas le droit de les brimer, d'inquiéter leur conscience ;
ces catholiques ne sont pas forcément des ennemies de la République
; il en est qui votent pour des républicains et font ainsi l'appoint
du succès dans beaucoup de circonscriptions républicaines.
(Applaudissements sur divers bancs.) L'article 4 adopté dans
les conditions que vous savez avait produit dans le pays une véritable
détente.
...
Il avait eu pour effet de rassurer ces consciences
catholiques mais non cléricales et de les rendre inaccessibles aux
excitations des réactionnaires. Beaucoup commençaient à
se rallier à l'idée de la séparation. Ils l'envisageaient
comme une chose possible et peu redoutable.
...
C'est parce que je reste convaincu que l'adoption
de l'article 6, après les commentaires qui en ont été
faits, n'aura pas pour conséquence de compromettre l'heureux effet
moral causé par le vote de l'article 4, que j'invite la Chambre
à s'y rallier. Elle peut le faire sans se déjuger. Entre
ces deux textes, il n'y a aucune contradiction. (Vifs applaudissements
à l'extrême gauche, à gauche et sur divers bancs au
centre.)
...
(Après d'autres débats)
M. Maurice Allard : Voilà deux jours que nous nous agitons
dans une discussion qui, suivant l'expression très juste de M. le
rapporteur lui-même, n'est qu'une querelle byzantine (On
raconte que les Byzantins disputaient du sexe des anges alors que la ville
était assiégée)
(Après d'autres débats)
...
M. le président : Je mets aux voix la proposition de
renvoi à la commission de l'article 6.
(Proposition repoussée par 290 voix contre 281)
Nous en revenons à l'amendement de M. de
Castelnau. Je rappelle que M. de Castelnau propose, pour le premier paragraphe
de cet article, le premier texte de la commission ainsi libellé
:
"Faute par un établissement ecclésiastique
d'avoir, dans un délai fixé par l'article 4, procédé
aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par le tribunal
civil du siège de l'établissement, et ce, conformément
aux dispositions de cet article."
...
Il y a sur l'amendement ... une demande de
scrutin public à la tribune.
Conformément à l'article 85 du règlement,
il va être procédé à l'appel des noms des noms
des signataires de cette demande ...
L'appel nominal commencera par la lettre
C
...
Le bureau me fait connaître que le
scrutin est nul pour défaut de quorum.
...
On me fait connaître, d'après
le droit politique qui nous régit, [que] dans des cas semblables
il s'est trouvé que, par un rappel au règlement ou par des
observations des membres de l'Assemblée, le président a été
amené à consulter le bureau pour savoir si la Chambre était
réellement en nombre et si ce n'était pas l'abstention voulue
d'un certain nombre de membres que le quorum n'avait pas été
atteint à l'appel nominal.
Les précédents, qui se trouvent consignés
dans le traité que j'ai sous les yeux et que vous pouvez consulter,
indiquent que, si le bureau est unanime à reconnaître que
la Chambre est en nombre, le scrutin est valable. Je viens de consulter
le bureau, qui a été unanime à déclarer que
la Chambre est en nombre. Par conséquent, le scrutin est valable.
(Applaudissements à gauche)
(L'amendement est repoussé par 162 voix contre 103 et la suite
de la discussion est renvoyée à une
séance ultérieure.)
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3