suite de la discussion du projet et des propositions de
loi
concernant la séparation des Églises et
de l'État.
(11° journée ; réduite
et annotée)
M. Eugène Réveillaud : (continuant son développement
de la veille)....
J'ai voulu, par ce préambule, non retarder
la discussion des articles du projet de loi, mais l'éclairer, en
montrant sur quels points particuliers il s'écarte et dévie
de l'orientation générale, excellente et libérale
que ses auteurs se sont proposée.
...
Pour le reste de mon contre-projet, j'en fais aussi
volontiers l'abandon provisoire, et je me rends d'avance au conseil que
me donnerait sans doute mon véritable ami, le conseiller écouté
de notre parti, l'honorable Brisson.
J'ai retenu l'observation qu'il a faite hier en
s'opposant à l'adoption du contre projet de M. Allard par ce motif
qu'il nous indiquait que le vote du 1er article du contre-projet, quel
qu'l soit, déterminerait la substitution d'un texte nouveau au texte
proposé d'accord par la commission et par le Gouvernement.
Il en résulterait certainement, ajoutait M. Brisson, une interruption
de notre travail, puisque la commission aurait à recommencer le
sien. Or nous voulons, avant de nous proroger, avoir voté la séparation
des Églises et de l'État.
Je déclare donc, par déférence
à cette observation, retirer mon contre-projet (Applaudissements
à l'extrême gauche et à gauche), tout en me réservant,
encore une fois, d'en présenter, sous forme d'amendement, les dispositions
caractéristiques au fur et à mesure du déroulement
du projet.
...
M. Julien Goujon : Je reprends
le contre-projet. (Mouvements divers. - Applaudissements à droite
et au centre.)
...
M. Réveillaud, après avoir déposé
un contre-projet qui avait reçu dans la presse un accueil des plus
favorables, dont on s'entretenait beaucoup à la Chambre et qu'un
grand nombre de nos collègues considéraient comme plus libéral
que celui de la commission, a pensé qu'il devait, au cours de la
discussion, abandonner ses propres idées pour accepter celles du
Gouvernement, celles de la commission. C'est affaire à lui, c'est
affaire à sa conscience, c'est affaire à ses coreligionnaires.
Quant à nous, messieurs, nous croyons que la proposition de M. Réveillaud
est plus libérale que celle qu'on nous propose de voter et qu'elle
peut très bien servir de base à la discussion des articles
à laquelle nous allons dès maintenant nous livrer.
...
Messieurs, le contre-projet de M. Réveillaud, comme la
proposition du Gouvernement et de la commission, contient dans son premier
article, l'affirmation d'un principe qui nous est cher à tous, le
principe de la liberté religieuse. La liberté religieuse,
...,
comprend
deux choses : la liberté de conscience et la liberté des
cultes, ... Cette liberté doit-elle être illimitée
? Pour mon compte personnel, je en soutiendrai pas cette thèse devant
la Chambre. Il est est incontestables qu'à toutes les périodes
de notre histoire, surtout sous l'ancien régime, on a pensé
que la liberté religieuse, comme toutes les autres libertés,
pouvaient quelquefois engendrer des abus, et qu'il y avait lieu de la réglementer
Il est permis à un simple particulier de
penser, de croire ou de ne pas croire, d'exprimer sa croyance dans des
manifestations purement intimes, sans intervention des pouvoirs publics.
Mais lorsque les citoyens veulent, en commun ou même individuellement,
manifester leur religion par des actes extérieurs, il est certain
que ces actes peuvent quelquefois troubler la "tranquillité publique",
pour employer l'expression que je trouve dans le premier article du Concordat,
et que l'État a le droit d'intervention.
Mais il ne s'agit pas de proclamer la liberté
de conscience et la liberté des cultes. ... , il faut la
donner de façon telle qu'elle puise s'exercer en toute sécurité
et sans craindre de rencontrer sur sa route des obstacles ou des empêchements
qui en paralyseraient nécessairement l'essor et aboutiraient, ...,
à la suppression même de l'exercice du culte et du culte lui-même.
Pour qu'un culte puisse s'exercer librement, il
lui faut deux choses : d'abord les moyens matériels des vivres et,
ensuite, la garantie qu'on ne découragera pas, par une réglementation
de police trop étroite, ceux qui veulent s'y livrer.
Or, au seuil du projet de la commission comme, ...,
au
seuil du contre-projet de l'honorable M. Réveillaud, je trouve la
suppression du budget des cultes.
L'un et l'autre déclarent que l'État
ne reconnaît plus aucun culte, qu'il n'en salarie aucun, qu'aucune
subvention ni directe, ni indirecte ne pourra leur être fournie soit
par l'État, soit par les départements, soit par les communes.
J'en tire cette première conclusion que du moment que vous supprimez
aux cultes les moyens matériels de faire face à leurs dépenses,
vous en supprimez le libre exercice que vous promettez.
....
Je dis en outre qu'au point de vue social l'opération
est mauvaise. Avec votre système, en effet, des associations cultuelles
s'établiront dans les communes, dans les cantons, peu importe !
Mais vous savez ce que seront ces associations cultuelles, M. Allard vous
l'a dit hier. Ce seront des corporations dans lesquelles on fera probablement
autant de politique que de religion. Vous allez rétablir,
que vous le vouliez ou non, les confréries de l'ancien régime,
celles contre lesquelles on a précisément fait la Révolution.
Vous allez aussi, messieurs, arriver à jeter le pauvre sous la dépendance
du riche. M. Allard indiquait hier avec beaucoup de de justesse que le
châtelain, par exemple, serait obligé, s'il voulait satisfaire
plutôt ses opinions politiques que ses opinions religieuse, de verser
des fonds pour l'entretien du culte ; c'est possible, mais en échange
des sacrifices d'argent qu'il aura consentis, le châtelain de nos
villages exigera de la soumission de la part du prêtre et de la reconnaissance
de la part des électeurs. (Très bien ! très bien
!)
...
Après avoir indiqué que supprimer
les moyens d'existence que l'on devait au culte, c'était le supprimer,
j'ai ajouté que l'on précipitait sa mort en brandissant au
dessus de sa tête l'arme des restrictions et des pénalités.
Quelles sont ces restrictions et ces pénalités
? Sont-elles de nature à faciliter ou à entraver le libre
exercice des cultes ?
Tout d'abord, on supprime le droit de réunion
privée. Quel motif a pu déterminer la commission à
prononcer l'interdiction des réunions privées pour l'exercice
des cultes ? En cherchant bien, j'ai trouvé ce motif exprimé
dans un rapport de l'un de nos prédécesseurs, M. Bardoux,
rapport publié dans le Journal officiel du 11 décembre
1879 :
"Nous proposons, disait-il, d'ajouter que les réunions
ne devront jamais avoir lieu à huis clos. La publicité est
un grand remède, elle permet la surveillance de l'autorité
et le contrôle de l'opinion publique. C'est la plus précieuse
des garanties contre la crainte de voir les cérémonies religieuses
dégénérer en réunions immorales ou purement
politiques."
J'ai cherché également si pareille
disposition se rencontre dans les législations étrangères.
Or elle n'existe ni en Bavière, ni en Belgique.
En Prusse, notamment, l'article 1er de la Constitution
de 1850 porte :
"La liberté des cultes, le droit de former
des associations religieuses et de célébrer les cérémonies
du culte dans un édifice public ou privé sont reconnus."
Ce n'est, messieurs, que dans la
loi mexicaine de 1874, qui semble avoir inspiré particulièrement
les auteurs du projet qui vous est soumis que je lis cette disposition
: "Toutes les réunions qui auront lieu dans les temples seront publiques
et soumises à la surveillance de la police."...
Est-ce que tous les jours nous ne voyons
pas des réunions privées dans lesquelles on prêche
les doctrines les plus subversives au point de vue politique ou social
?
...
A-t-on jamais songé à interdire ces
réunions privées ? Croyez-vous que la morale aura aura à
souffrir davantage si des prêtres réunissent des fidèles,
par exemple en vue de retraites, et à l'abri de toute publicité
? ...
...
J'espère bien que le projet aura été
modifié avant que nous arrivions à ce dernier article dans
lequel vous établissez des responsabilités solidaires et
civiles.
Il reste deux questions auxquelles vous n'avez pas
pensées et qui sont très importantes. Vous admettez bien
que des femmes, par exemple, peuvent avoir le désir de pratiquer
leur culte ; eh bien, d'après votre projet les femmes ne peuvent
pas former des associations, elles ne peuvent pas faire de déclaration
en vue de réunions privées ou publiques et par conséquent,
apriori,
vous leur retirer tout droit d'exercer leur culte.
M. Ferdinand Buisson, président de la commission : Le contraire a été dit expressément dans la commission et c'est pour cela qu'on a mis le mot "personnes" au lieu du mot "membres".
M. Julien Goujon : Je suppose, monsieur le président de
la commission que vous connaissez le projet de loi. Or, vous commis l'imprudence
d'y inscrire que seules, pourraient faire des déclarations pour
l'exercice des cultes, les personnes jouissant de leurs droits civils et
en conséquence, les femmes sont exclues de cette faculté,
et non seulement les femmes mais aussi les étrangers. ...
... Il y a une église russe, rue Daru.
Comment, après la séparation, les Russes vont-ils pratiquer
leur religion en France ? ...
...
J'arrive à la dernière observation
que j'avais à présenter.
La police des cultes porte également sur
les écarts de parole ou d'écrit commis par les ministres
du culte. Ici encore, on va donner une entorse à la loi de 1881
qui, vous le savez, est une loi organique. Elle laisse à tout le
monde le droit d'exprimer sa pensée par la parole et par l'écrit.
Des délits ou des contraventions peuvent être commis à
l'égard des particuliers ou à l'égard de certaines
personnes publiques. Les pénalités diffèrent suivant
que l'injure ou la diffamation s'adressent à un particulier ou à
un citoyen chargé d'un service public, à un fonctionnaire.
...
[dans le contre-projet de M. Réveillaud]
Vous êtes prêtre ; en chair, vous diffamez un simple particulier
; vous êtes condamné à la prison ; de quinze jours
à deux ans. Si, au lieu de diffamer un simple particulier, vous
diffamez un ministre, par exemple, la peine n'est plus que d'un emprisonnement
de un mois à un an.
Pourquoi ? est-ce qu'un ministre vaut moitié
moins qu'un particulier ? ... ((On rit)
...
M. Aristide Briand, rapporteur
: La commission se sent d'autant mieux à l'aise pour demander à
la Chambre de repousser le contre-projet de M. Réveillaud que, d'abord,
celui-ci l'a abandonné, et qu'ensuite l'honorable M. Goujon, qui
l'a repris, s'est chargé par ses critiques de lui faire un assez
mauvais sort.
... je crois que ces critiques pourraient
être plus utilement formulées au moment de la discussion des
différents articles ... Nous pourrons y répondre alors.
Pour l'instant, je veux relever une erreur commise
par notre honorable collègue, quand il a dit que le projet ...
faisait obstacle à l'entrée dans les associations des femmes
ou des étrangers. Je me demande encore quelle est la disposition
qui a pu lui suggérer cette critique. A la commission, nous avons
été préoccupés de faciliter aux femmes et aux
étrangers l'accès des associations cultuelles et nous avons
pris des dispositions dans ce sens.
... je prie la Chambre de repousser le contre-projet
repris par M. Goujon. (Applaudissements à gauche et à
l'extrême gauche.)
...
M. Julien Goujon : ...
Mais je tiens à répliquer à
M. Briand qu'il commet une confusion lorsqu'il prétend que dans
son rapport il a admis implicitement les femmes et les étrangers
au droit de former des associations cultuelles. Il ne s'agit pas seulement
de former des associations cultuelles ; il faut leur permettre de manifester
leur croyances par des exercices de culte. Or ces exercices peuvent avoir
lieu en commun soit publiquement, soit dans des réunions privées.
Eh bien, les femmes n'ont pas le droit de se réunir publiquement,
de faire des déclarations de réunions publiques d'après
l'article 2 de la loi de 1881. dans votre texte vous indiquez que les réunions
publiques ne pourront avoir lieu que dans les conditions indiquées
à l'article 2 de la loi de 1881.
M. Bienvenu Martin,ministre de l'instruction publique, des beaux arts et des cultes : C'est le droit commun.
M. Julien Goujon : cet article 2 interdit aux femmes et aux étrangers de participer aux réunions publiques.
M. le ministre de l'instruction publique, des beaux arts et des cultes : Non pas de participer aux réunions, mais de faire la déclaration. C'est tout différent. (Très bien ! très bien ! à gauche)
M. Julien Goujon : Soit ! Je dis donc que les associations exclusivement
composées de femmes ou d'étrangers ne pourront se former,
et que, dans tous les cas, elles ne pourront accomplir la formalité
essentielle de la déclaration.
Sous les réserves que j'ai faites, je retire
à mon tour le contre-projet de M. Réveillaud.
M. le président : Le contre-projet est retiré.
Nous passons à l'article 1er du projet de
la commission.
Il est ainsi conçu :
TITRE 1er : principes
"Art. 1er : La république assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions
édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre
public."
Sur cet article, une série d'amendements
ont été déposés, mais ils portent tous sur
la phrase finale de l'article. Je donnerai donc d'abord la parole aux orateurs
inscrits sur l'article même, puisque la première partie n'est
pas contestée.
...
M. Lemire : ...
Lorsque je suis arrivé dans cette
enceinte, j'ai compris que nous ne sommes pas un pays comme l'Amérique
ou l'Angleterre. Nous ne sommes pas un pays fait de plusieurs organismes
distincts. Nous ne sommes pas le Royaume Unis de Grande Bretagne avec l'Irlande
et son home rule, l'Écosse et l'Angleterre.
Nous ne sommes, monsieur Réveillaud, la libre
Helvétie où chaque canton a son gouvernement distinct, où
chaque canton peut régler comme il l'entend les questions de culte.
Nous ne sommes pas les États Unis d'Amérique où le
lien fédéral est très faible, où chaque État
peut faire une législation spéciale sur les confessions religieuses,
pour favoriser plus ou moins leur constitution et leur fonctionnement,
si bien que quand M. Deschanel propose l'exemple de l'Amérique,
son argument ne porte pas ; il parle d'un pays dans lequel le pouvoir central
tranche fort peu de choses et où les pouvoirs locaux font à
peu près tout ce qui leur plaît.
...
... sans compter que les libertés
sont garanties. ...
...
Il n'y a pas, dans notre pays, de groupement
locaux indépendant. Je sais bien que nous avons la commune avec
le conseil municipal mais il est toujours plus ou moins sous la tutelle
des préfets. Cette tutelle commence à devenir moins rigide
à cause des variations de la politique, ce qui fait que les préfets
ne savent pas quelles instructions donner ; ils en donnent de moins en
moins personnellement, et ils consultent par téléphone le
ministre qui a toute la responsabilité. Cependant ils sont encore
là et ils veillent sur la liberté communale.
Avons nous des groupements sociaux ? Vous savez
tous à quelles luttes il a fallu se livrer pour arriver à
faire admettre la liberté syndicale, et elle n'est pas richement
dotée ; c'est une pauvre fille sans patrimoine ; on ne lui permet
pas d'être propriétaire, on ne lui permet pas de devenir riche,
c'est à dire puissante.
Nos liberté françaises sont toujours
des libertés négatives, c'est à dire des suppressions
de chaînes ; les libertés anglaises et américaines,
..., ne sont pas des suppressions de chaînes, ce sont ders suppressions
de force (Applaudissement à gauche.)
M. Réveillaud : Malheureusement la France a été élevée sue les genoux de votre Église.
M. Lemire : Je n'ai pas entendu, Monsieur Réveillaud.
Nous luttons de notre mieux pour obtenir le droit
de propriété aux syndicats et donner ainsi de la force à
une liberté.
Je ne serai pas démenti au banc du Gouvernement.
Dimanche dernier, en effet, dans un toast adressé à des mutualistes,
le préfet du Nord disait : "Nous voudrions bien être quelquefois
spectateurs de la liberté."
...
Il ajoutait : "Nous sommes dans un pays où
la liberté peut, si elle le veut, faire des merveilles. N'attendez
donc pas l'approbation du Gouvernement et marchez sans nous." (Très
bien ! très bien !)
Il a fallu du temps pour avoir une loi sur
la liberté des sociétés de secours mutuels. Nous ne
l'avons eue qu'en 1898. Seulement à peine sont-ils libres, ces braves
mutualistes, qu'ils demandent des subventions à l'État, comme
si on ne pouvait pas faire en France un seul groupement d'initiative privée
sans que le lendemain il vienne donner le spectacle de la mendicité
pour avoir de subventions. (Applaudissements sur divers bancs.)
...
Pour moi, je penserais que les organisations qui
ne savent pas être libres n'ont qu'à pas se fonder. La justification
de la liberté, c'est son activité, son énergie. Si
elle n'en a point, à quoi sert-elle ?
...
Ah ! nous avons fait une grande chose en 1901, nous
avons reconnu, paraît-il, la liberté d'association. ...
...
Chez nous il faudra une loi spéciale pour
les associations cultuelles. Pourquoi cette différence ?
Aux États-Unis la liberté que la loi
accorde à toutes les associations, quelles qu'elles soient, est
une liberté suffisante pour tout le monde et pour tout, tandis que
nous, nous n'avons que la liberté d'association tronquée
et paralysée que nous laisse la loi de 1901 ...
...
Par conséquent, quand vous nous reconnaissez
les associations, laissez-nous des associations où il y ait un lien
social.
...
M. le président : Avant de passer aux amendements, je
donne lecture de la première phrase de l'article 1er:
"La République assure la liberté de
conscience "
cette première phrase de l'article 1er n'est
pas contestée ; je la mets aux voix.
(Cette première phrase de l'article 1er,
mise aux voix, est adoptée.)
A cette phrase, M. Lasies propose d'ajouter
:
" ... aux fonctionnaires civils et militaires et
à tous les citoyens."
M. Lasies : Messieurs, quand
j'ai déposé mon amendement j'avais la ferme espérance
que la commission l'accepterait. Cependant elle a cru devoir le repousser.
J'ai demandé amicalement a M. le rapporteur quelles raisons elle
pouvait invoquer pour repousser une si modeste disposition dont le but
est de donner un peu de clarté au texte proposé ; il m'a
répondu : Nous considérons cette proposition comme presque
injurieuse pour les fonctionnaires civils et militaires que nous tenons
pour des citoyens... Du moment que le texte du Gouvernement
dit :"La liberté de conscience est assurée à tous
les citoyens ", y introduire les mots" fonctionnaires civils et militaires"
c'est adresser une injure à cette catégorie de citoyens.
Certes, en théorie, M. Le rapporteur a raison
: les fonctionnaires civils et militaires sont des citoyens français
comme les autres. Mais, en fait, de récents événements
nous prouvent que, plus qu'aux autres, on doit leur donner des garanties,
parce que plus que les autres, ils sont exposés à l'injustice
et à l'arbitraire. (Très bien ! très bien ! à
droite.) (Le chef de cabinet
du ministre de la guerre du ministère Combe, avait confié
à la francs-maçonnerie les soin d'établir des
"fiches" de renseignement sur les convictions politiques et religieuses
des officiers, bloquant l'avancement des militaires (trop) catholiques,
afin de républicaniser l'armée. M. Combes fût interpellé
à la Chambre le 28 octobre 1904. Le ministre de la guerre,
le général Louis André, démissionna ;
mais devant l'agitation continuelle à la Chambre, M. Combes laissa
sa place le 24 janvier 1905 à M. Rouvier.Mais, il y avait,
en plus, ce que M. Caillaux nomera des
"observateurs de l'esprit public ..."
...
L'honorable M. Briand, en me disant que les fonctionnaires étaient
des citoyens comme les autres commettait une erreur. Son assertion est
inexacte en principe et en fait. Inexacte en principe : en effet, les fonctionnaires
militaires, par exemple, ne peuvent se syndiquer pour défendre leurs
intérêts, ils n'ont pas le droit d'écrire, ils n'ont
pas le droit de parler, ils n'ont pas le droit de voter, ils sont courbés
sous une discipline impitoyable ; si par hasard leurs droits sont méconnus,
que peuvent-ils faire pour se défendre ? Rien, sinon garder respectueusement
le silence. C'est là ce qui fait la beauté et la grandeur
de la servitude militaire. (Applaudissements à droite et au centre.)
...
M. le rapporteur : La commission prie la Chambre de repousser
cet amendement. La déclaration de principe inscrite dans l'article
1er concerne en effet tous les habitants de ce pays sans en excepter les
fonctionnaires qu'ils soient civils ou militaires
...
A vouloir catégoriser, on ne pourrait que
diminuer la portée, qu'affaiblir le caractère d'une disposition
qui, pour garder toute sa force, doit précisément rester
générale.
L'article 1er a été conçu dans
un esprit et rédigé dans des termes qui devraient nous permettre
de nous rapprocher sur ce point dans un même vote.
C'est, peut-être, la seule occasion qui nous
sera offerte au cours de cette discussion de réunir nos bulletins
qui sont appelés à se séparer définitivement
dès le seuil de l'article 2 ; la commission vous prie messieurs,
de ne pas la laisser passer sans la saisir. (Applaudissements à
gauche.)
...
M. le ministre de l'instruction publique et des cultes : J'ai
déclaré et je répète que le Gouvernement entend
respecter de la manière la plus absolue la liberté de conscience
des fonctionnaires.
M. Lasies : Dans ces conditions, après une déclaration aussi nette, et pour pour bien montrer que je discutais une question de principe sans avoir l'intention de chercher une querelle au Gouvernement actuel, qui n'est pas responsable des faits énoncés, je retire volontiers mon amendement. Les paroles de M. le ministre me font espérer que désormais, les fonctionnaires civils ou militaires ne seront plus inquiétés pour leurs convictions religieuses. (Très bien ! très bien ! à droite et sur divers bancs au centre.)
M. le président : L'amendement est retiré.
Nous sommes maintenant en présence de deux
amendements analogues ; le premier de M. Julien Goujon, tend à modifier
ainsi l'article 1er :
"La République assure la liberté de
conscience. Elle garantie le libre exercice des cultes sous les seules
restrictions des lois de droit commun"
Le second de M. Auffray, tend à rédiger
l'article 1er de la façon suivante :
"La République assure la liberté de
conscience. Elle garantie le libre exercice des cultes, selon le droit
commun, sous les seules restrictions édictées ci-après."
Ces amendements me paraissent se confondre.
La parole est à M. Auffray
(M. Auffray, fatigué, demandera en vain que la discussion soit repoussée au lendemain ; la proposition, elle sera repoussée par 309 voix contre 261, M. le rapporteur ayant fait remarqué "qu'il n'y avait pas de droit commun qui garantisse le libre exercice des cultes".)
M. le président : MM. Paul Lerolle, de Castelneau, de
Mackau, du Halgouet, de Montaigu, Lamy, Forest, de Boissieu, de Gailhard-Bancel,
Savary de Beauregard et de l'Estourbeillon proposent de modifier ainsi
la seconde partie de l'article 1er
"Elle garantit à chacun la libre pratique
de sa religion et libre exercice des cultes, etc. ..."
...
M. Paul Lerolle : J'ai donc voulu, répondant à
l'appel même de M. le rapporteur de la commission, fixer par une
déclaration plus complète que la sienne et plus précise
en même temps, le sens que vous voulez donner à la loi.
...
...
M. le président : L'orateur se sentant fatigué,
demande le renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
...
J'entends demander que la prochaine séance
soit fixée demain.
...
Il en est ainsi ordonné.
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3