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11 avril 1905

suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(11° journée ; réduite et annotée)

M. Eugène Réveillaud : (continuant son développement de la veille)....
    J'ai voulu, par ce préambule, non retarder la discussion des articles du projet de loi, mais l'éclairer, en montrant sur quels points particuliers il s'écarte et dévie de l'orientation générale, excellente et libérale que ses auteurs se sont proposée.
...
    Pour le reste de mon contre-projet, j'en fais aussi volontiers l'abandon provisoire, et je me rends d'avance au conseil que me donnerait sans doute mon véritable ami, le conseiller écouté de notre parti, l'honorable Brisson.
    J'ai retenu l'observation qu'il a faite hier en s'opposant à l'adoption du contre projet de M. Allard par ce motif qu'il nous indiquait que le vote du 1er article du contre-projet, quel qu'l soit, déterminerait la substitution d'un texte nouveau au texte proposé d'accord par la commission  et par le Gouvernement. Il en résulterait certainement, ajoutait M. Brisson, une interruption de notre travail, puisque la commission aurait à recommencer le sien. Or nous voulons, avant de nous proroger, avoir voté la séparation des Églises et de l'État.
    Je déclare donc, par déférence à cette observation, retirer mon contre-projet (Applaudissements à l'extrême gauche et à gauche), tout en me réservant, encore une fois, d'en présenter, sous forme d'amendement, les dispositions caractéristiques au fur et à mesure du déroulement du projet.
...
M. Julien Goujon : Je reprends le contre-projet. (Mouvements divers. - Applaudissements à droite et au centre.)
...
    M. Réveillaud, après avoir déposé un contre-projet qui avait reçu dans la presse un accueil des plus favorables, dont on s'entretenait beaucoup à la Chambre et qu'un grand nombre de nos collègues considéraient comme plus libéral que celui de la commission, a pensé qu'il devait, au cours de la discussion, abandonner ses propres idées pour accepter celles du Gouvernement, celles de la commission. C'est affaire à lui, c'est affaire à sa conscience, c'est affaire à ses coreligionnaires. Quant à nous, messieurs, nous croyons que la proposition de M. Réveillaud est plus libérale que celle qu'on nous propose de voter et qu'elle peut très bien servir de base à la discussion des articles à laquelle nous allons dès maintenant nous livrer.
...
  Messieurs, le contre-projet de M. Réveillaud, comme la proposition du Gouvernement et de la commission, contient dans son premier article, l'affirmation d'un principe qui nous est cher à tous, le principe de la liberté religieuse. La liberté religieuse, ..., comprend deux choses : la liberté de conscience et la liberté des cultes, ... Cette liberté doit-elle être illimitée ? Pour mon compte personnel, je en soutiendrai pas cette thèse devant la Chambre. Il est est incontestables qu'à toutes les périodes de notre histoire, surtout sous l'ancien régime, on a pensé que la liberté religieuse, comme toutes les autres libertés, pouvaient quelquefois engendrer des abus, et qu'il y avait lieu de la réglementer
    Il est permis à un simple particulier de penser, de croire ou de ne pas croire, d'exprimer sa croyance dans des manifestations purement intimes, sans intervention des pouvoirs publics. Mais lorsque les citoyens veulent, en commun ou même individuellement, manifester leur religion par des actes extérieurs, il est certain que ces actes peuvent quelquefois troubler la "tranquillité publique", pour employer l'expression que je trouve dans le premier article du Concordat, et que l'État a le droit d'intervention.
    Mais il ne s'agit pas de proclamer la liberté de conscience et la liberté des cultes. ... , il faut la donner de façon telle qu'elle puise s'exercer en toute sécurité et sans craindre de rencontrer sur sa route des obstacles ou des empêchements qui en paralyseraient nécessairement l'essor et aboutiraient, ..., à la suppression même de l'exercice du culte et du culte lui-même.
    Pour qu'un culte puisse s'exercer librement, il lui faut deux choses : d'abord les moyens matériels des vivres et, ensuite, la garantie qu'on ne découragera pas, par une réglementation de police trop étroite, ceux qui veulent s'y livrer.
    Or, au seuil du projet de la commission comme, ..., au seuil du contre-projet de l'honorable M. Réveillaud, je trouve la suppression du budget des cultes.
    L'un et l'autre déclarent que l'État ne reconnaît plus aucun culte, qu'il n'en salarie aucun, qu'aucune subvention ni directe, ni indirecte ne pourra leur être fournie soit par l'État, soit par les départements, soit par les communes. J'en tire cette première conclusion que du moment que vous supprimez aux cultes les moyens matériels de faire face à leurs dépenses, vous en supprimez le libre exercice que vous promettez.
....
    Je dis en outre qu'au point de vue social l'opération est mauvaise. Avec votre système, en effet, des associations cultuelles s'établiront dans les communes, dans les cantons, peu importe ! Mais vous savez ce que seront ces associations cultuelles, M. Allard vous l'a dit hier. Ce seront des corporations dans lesquelles on fera probablement autant de politique  que de religion. Vous allez rétablir, que vous le vouliez ou non, les confréries de l'ancien régime, celles contre lesquelles on a précisément fait la Révolution. Vous allez aussi, messieurs, arriver à jeter le pauvre sous la dépendance du riche. M. Allard indiquait hier avec beaucoup de de justesse que le châtelain, par exemple, serait obligé, s'il voulait satisfaire plutôt ses opinions politiques que ses opinions religieuse, de verser des fonds pour l'entretien du culte ; c'est possible, mais en échange des sacrifices d'argent qu'il aura consentis, le châtelain de nos villages exigera de la soumission de la part du prêtre et de la reconnaissance de la part des électeurs. (Très bien ! très bien !)
...
    Après avoir indiqué que supprimer les moyens d'existence que l'on devait au culte, c'était le supprimer, j'ai ajouté que l'on précipitait sa mort en brandissant au dessus de sa tête l'arme des restrictions et des pénalités.
    Quelles sont ces restrictions et ces pénalités ? Sont-elles de nature à faciliter ou à entraver le libre exercice des cultes ?
    Tout d'abord, on supprime le droit de réunion privée. Quel motif a pu déterminer la commission à prononcer l'interdiction des réunions privées pour l'exercice des cultes ? En cherchant bien, j'ai trouvé ce motif exprimé dans un rapport de l'un de nos prédécesseurs, M. Bardoux, rapport publié dans le Journal officiel du 11 décembre 1879 :
    "Nous proposons, disait-il, d'ajouter que les réunions ne devront jamais avoir lieu à huis clos. La publicité est un grand remède,  elle permet la surveillance de l'autorité et le contrôle de l'opinion publique. C'est la plus précieuse des garanties contre la crainte de voir les cérémonies religieuses dégénérer en réunions immorales ou purement politiques."
    J'ai cherché également si pareille disposition se rencontre dans les législations étrangères. Or elle n'existe ni en Bavière, ni en Belgique.
    En Prusse, notamment, l'article 1er de la Constitution de 1850 porte :
    "La liberté des cultes, le droit de former des associations religieuses et de célébrer les cérémonies du culte dans un édifice public ou privé sont reconnus."
    Ce n'est, messieurs, que dans la loi mexicaine de 1874, qui semble avoir inspiré particulièrement les auteurs du projet qui vous est soumis que je lis cette disposition : "Toutes les réunions qui auront lieu dans les temples seront publiques et soumises à la surveillance de la police."...
    Est-ce que tous les jours nous ne voyons pas des réunions privées dans lesquelles on prêche les doctrines les plus subversives au point de vue politique ou social ?
    ...
    A-t-on jamais songé à interdire ces réunions privées ? Croyez-vous que la morale aura aura à souffrir davantage si des prêtres réunissent des fidèles, par exemple en vue de retraites, et à l'abri de toute publicité ? ...
...
    J'espère bien que le projet aura été modifié avant que nous arrivions à ce dernier article dans lequel vous établissez des responsabilités solidaires et civiles.
    Il reste deux questions auxquelles vous n'avez pas pensées et qui sont très importantes. Vous admettez bien que des femmes, par exemple, peuvent avoir le désir de pratiquer leur culte ; eh bien, d'après votre projet les femmes ne peuvent pas former des associations, elles ne peuvent pas faire de déclaration en vue de réunions privées ou publiques et par conséquent, apriori, vous leur retirer tout droit d'exercer leur culte.

M. Ferdinand Buisson, président de la commission : Le contraire a été dit expressément dans la commission et c'est pour cela qu'on a mis le mot "personnes" au lieu du mot "membres".

M. Julien Goujon : Je suppose, monsieur le président de la commission que vous connaissez le projet de loi. Or, vous commis l'imprudence d'y inscrire que seules, pourraient faire des déclarations pour l'exercice des cultes, les personnes jouissant de leurs droits civils et en conséquence, les femmes sont exclues de cette faculté, et non seulement les femmes mais aussi les étrangers. ...
    ... Il y a une église russe, rue Daru. Comment, après la séparation, les Russes vont-ils pratiquer leur religion en France ? ...
...
    J'arrive à la dernière observation que j'avais à présenter.
    La police des cultes porte également sur les écarts de parole ou d'écrit commis par les ministres du culte. Ici encore, on va donner une entorse à la loi de 1881 qui, vous le savez, est une loi organique. Elle laisse à tout le monde le droit d'exprimer sa pensée par la parole et par l'écrit. Des délits ou des contraventions peuvent être commis à l'égard des particuliers ou à l'égard de certaines personnes publiques. Les pénalités diffèrent suivant que l'injure ou la diffamation s'adressent à un particulier ou à un citoyen chargé d'un service public, à un fonctionnaire.
...
    [dans le contre-projet de M. Réveillaud] Vous êtes prêtre ; en chair, vous diffamez un simple particulier ; vous êtes condamné à la prison ; de quinze jours à deux ans. Si, au lieu de diffamer un simple particulier, vous diffamez un ministre, par exemple, la peine n'est plus que d'un emprisonnement de un mois à un an.
    Pourquoi ? est-ce qu'un ministre vaut moitié moins qu'un particulier ? ... ((On rit)
...
M. Aristide Briand, rapporteur : La commission se sent d'autant mieux à l'aise pour demander à la Chambre de repousser le contre-projet de M. Réveillaud que, d'abord, celui-ci l'a abandonné, et qu'ensuite l'honorable M. Goujon, qui l'a repris, s'est chargé par ses critiques de lui faire un assez mauvais sort.
    ... je crois que ces critiques pourraient être plus utilement formulées au moment de la discussion des différents articles ... Nous pourrons y répondre alors.
    Pour l'instant, je veux relever une erreur commise par notre honorable collègue, quand il a dit que le projet ... faisait obstacle à l'entrée dans les associations des femmes ou des étrangers. Je me demande encore quelle est la disposition qui a pu lui suggérer cette critique. A la commission, nous avons été préoccupés de faciliter aux femmes et aux étrangers l'accès des associations cultuelles et nous avons pris des dispositions dans ce sens.
    ... je prie la Chambre de repousser le contre-projet repris par M. Goujon. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)
...
M. Julien Goujon : ...
    Mais je tiens à répliquer à M. Briand qu'il commet une confusion lorsqu'il prétend que dans son rapport il a admis implicitement les femmes et les étrangers au droit de former des associations cultuelles. Il ne s'agit pas seulement de former des associations cultuelles ; il faut leur permettre de manifester leur croyances par des exercices de culte. Or ces exercices peuvent avoir lieu en commun soit publiquement, soit dans des réunions privées. Eh bien, les femmes n'ont pas le droit de se réunir publiquement, de faire des déclarations de réunions publiques d'après l'article 2 de la loi de 1881. dans votre texte vous indiquez que les réunions publiques ne pourront avoir lieu que dans les conditions indiquées à l'article 2 de la loi de 1881.

M. Bienvenu Martin,ministre de l'instruction publique, des beaux arts et des cultes : C'est le droit commun.

M. Julien Goujon :  cet article 2 interdit aux femmes et aux étrangers de participer aux réunions publiques.

M. le ministre de l'instruction publique, des beaux arts et des cultes :  Non pas de participer aux réunions, mais de faire la déclaration. C'est tout différent. (Très bien ! très bien ! à gauche)

M. Julien Goujon : Soit ! Je dis donc que les associations exclusivement composées de femmes ou d'étrangers ne pourront se former, et que, dans tous les cas, elles ne pourront accomplir la formalité essentielle de la déclaration.
    Sous les réserves que j'ai faites, je retire à mon tour le contre-projet de M. Réveillaud.

M. le président : Le contre-projet est retiré.
    Nous passons à l'article 1er du projet de la commission.
    Il est ainsi conçu :

    TITRE 1er : principes

"Art. 1er : La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public."
    Sur cet article, une série d'amendements ont été déposés, mais ils portent tous sur la phrase finale de l'article. Je donnerai donc d'abord la parole aux orateurs inscrits sur l'article même, puisque la première partie n'est pas contestée.
...
M. Lemire : ...
    Lorsque je suis arrivé dans cette enceinte, j'ai compris que nous ne sommes pas un pays comme l'Amérique ou l'Angleterre. Nous ne sommes pas un pays fait de plusieurs organismes distincts. Nous ne sommes pas le Royaume Unis de Grande Bretagne avec l'Irlande et son home rule, l'Écosse et l'Angleterre.
    Nous ne sommes, monsieur Réveillaud, la libre Helvétie où chaque canton a son gouvernement distinct, où chaque canton peut régler comme il l'entend les questions de culte. Nous ne sommes pas les États Unis d'Amérique où le lien fédéral est très faible, où chaque État peut faire une législation spéciale sur les confessions religieuses, pour favoriser plus ou moins leur constitution et leur fonctionnement, si bien que quand M. Deschanel propose l'exemple de l'Amérique, son argument ne porte pas ; il parle d'un pays dans lequel le pouvoir central tranche fort peu de choses et où les pouvoirs locaux font à peu près tout ce qui leur plaît.
...
    ... sans compter que les libertés sont garanties. ...
...
    Il n'y a pas, dans notre pays, de groupement locaux indépendant. Je sais bien que nous avons la commune avec le conseil municipal mais il est toujours plus ou moins sous la tutelle des préfets. Cette tutelle commence à devenir moins rigide à cause des variations de la politique, ce qui fait que les préfets ne savent pas quelles instructions donner ; ils en donnent de moins en moins personnellement, et ils consultent par téléphone le ministre qui a toute la responsabilité. Cependant ils sont encore là et ils veillent sur la liberté communale.
    Avons nous des groupements sociaux ? Vous savez tous à quelles luttes il a fallu se livrer pour arriver à faire admettre la liberté syndicale, et elle n'est pas richement dotée ; c'est une pauvre fille sans patrimoine ; on ne lui permet pas d'être propriétaire, on ne lui permet pas de devenir riche, c'est à dire puissante.
    Nos liberté françaises sont toujours des libertés négatives, c'est à dire des suppressions de chaînes ; les libertés anglaises et américaines, ..., ne sont pas des suppressions de chaînes, ce sont ders suppressions de force (Applaudissement à gauche.)

M. Réveillaud :  Malheureusement la France a été élevée sue les genoux de votre Église.

M. Lemire : Je n'ai pas entendu, Monsieur Réveillaud.
    Nous luttons de notre mieux pour obtenir le droit de propriété aux syndicats et donner ainsi de la force à une liberté.
    Je ne serai pas démenti au banc du Gouvernement. Dimanche dernier, en effet, dans un toast adressé à des mutualistes, le préfet du Nord disait : "Nous voudrions bien être quelquefois spectateurs de la liberté."
...
    Il ajoutait : "Nous sommes dans un pays où la liberté peut, si elle le veut, faire des merveilles. N'attendez donc pas l'approbation du Gouvernement et marchez sans nous." (Très bien ! très bien !)
    Il a fallu du temps pour avoir une loi sur la liberté des sociétés de secours mutuels. Nous ne l'avons eue qu'en 1898. Seulement à peine sont-ils libres, ces braves mutualistes, qu'ils demandent des subventions à l'État, comme si on ne pouvait pas faire en France un seul groupement d'initiative privée sans que le lendemain il vienne donner le spectacle de la mendicité pour avoir de subventions. (Applaudissements sur divers bancs.)
...
    Pour moi, je penserais que les organisations qui ne savent pas être libres n'ont qu'à pas se fonder. La justification de la liberté, c'est son activité, son énergie. Si elle n'en a point, à quoi sert-elle ?
...
    Ah ! nous avons fait une grande chose en 1901, nous avons reconnu, paraît-il, la liberté d'association. ...
...
    Chez nous il faudra une loi spéciale pour les associations cultuelles. Pourquoi cette différence ?
    Aux États-Unis la liberté que la loi accorde à toutes les associations, quelles qu'elles soient, est une liberté suffisante pour tout le monde et pour tout, tandis que nous, nous n'avons que la liberté d'association tronquée et paralysée que nous laisse la loi de 1901 ...
...
    Par conséquent, quand vous nous reconnaissez les associations, laissez-nous des associations où il y ait un lien social.
...
M. le président : Avant de passer aux amendements, je donne lecture de la première phrase de l'article 1er:
    "La République assure la liberté de conscience "
    cette première phrase de l'article 1er n'est pas contestée ; je la mets aux voix.
    (Cette première phrase de l'article 1er, mise aux voix, est adoptée.)
    A  cette phrase, M. Lasies propose d'ajouter :
    " ... aux fonctionnaires civils et militaires et à tous les citoyens."

M. Lasies : Messieurs, quand j'ai déposé mon amendement j'avais la ferme espérance que la commission l'accepterait. Cependant elle a cru devoir le repousser. J'ai demandé amicalement a M. le rapporteur quelles raisons elle pouvait invoquer pour repousser une si modeste disposition dont le but est de donner un peu de clarté au texte proposé ; il m'a répondu : Nous considérons cette proposition comme presque injurieuse pour les fonctionnaires civils et militaires que nous tenons pour des citoyens...  Du moment que le texte du Gouvernement dit :"La liberté de conscience est assurée à tous les citoyens ", y introduire les mots" fonctionnaires civils et militaires" c'est adresser une injure à cette catégorie de citoyens.
    Certes, en théorie, M. Le rapporteur a raison : les fonctionnaires civils et militaires sont des citoyens français comme les autres. Mais, en  fait, de récents événements nous prouvent que, plus qu'aux autres, on doit leur donner des garanties, parce que plus que les autres, ils sont exposés à l'injustice et à l'arbitraire. (Très bien ! très bien ! à droite.)  (Le  chef de cabinet du  ministre de la guerre  du ministère Combe, avait confié à la francs-maçonnerie  les soin d'établir des "fiches" de renseignement sur les convictions politiques et religieuses des officiers, bloquant l'avancement des militaires (trop) catholiques, afin de républicaniser l'armée. M. Combes fût interpellé à la Chambre le 28 octobre 1904. Le ministre de la  guerre,  le général Louis André,  démissionna ; mais devant l'agitation continuelle à la Chambre, M. Combes laissa sa place  le 24 janvier 1905 à M. Rouvier.Mais, il y avait, en plus, ce que M. Caillaux nomera des "observateurs de l'esprit public ..."
...
  L'honorable M. Briand, en me disant que les fonctionnaires étaient des citoyens comme les autres commettait une erreur. Son assertion est inexacte en principe et en fait. Inexacte en principe : en effet, les fonctionnaires militaires, par exemple, ne peuvent se syndiquer pour défendre leurs intérêts, ils n'ont pas le droit d'écrire, ils n'ont pas le droit de parler, ils n'ont pas le droit de voter, ils sont courbés sous une discipline impitoyable ; si par hasard leurs droits sont méconnus, que peuvent-ils faire pour se défendre ? Rien, sinon garder respectueusement le silence. C'est là ce qui fait la beauté et la grandeur de la servitude militaire. (Applaudissements à droite et au centre.)
...
M. le rapporteur : La commission prie la Chambre de repousser cet amendement. La déclaration de principe inscrite dans l'article 1er concerne en effet tous les habitants de ce pays sans en excepter les fonctionnaires qu'ils soient civils ou militaires
...
    A vouloir catégoriser, on ne pourrait que diminuer la portée, qu'affaiblir le caractère d'une disposition qui, pour garder toute sa force, doit précisément rester générale.
    L'article 1er a été conçu dans un esprit et rédigé dans des termes qui devraient nous permettre de nous rapprocher sur ce point dans un même vote.
    C'est, peut-être, la seule occasion qui nous sera offerte au cours de cette discussion de réunir nos bulletins qui sont appelés à se séparer définitivement dès le seuil de l'article 2 ; la commission vous prie messieurs, de ne pas la laisser passer sans la saisir. (Applaudissements à gauche.)
...
M. le ministre de l'instruction publique et des cultes : J'ai déclaré et je répète que le Gouvernement entend respecter de la manière la plus absolue la liberté de conscience des fonctionnaires.

M. Lasies : Dans ces conditions, après une déclaration aussi nette, et pour pour bien montrer que je discutais une question de principe sans avoir l'intention de chercher une querelle au Gouvernement actuel, qui n'est pas responsable des faits énoncés, je retire volontiers mon amendement. Les paroles de M. le ministre me font espérer que désormais, les fonctionnaires civils ou militaires ne seront plus inquiétés pour leurs convictions religieuses. (Très bien ! très bien ! à droite et sur divers bancs au centre.)

M. le président : L'amendement est retiré.
    Nous sommes maintenant en présence de deux amendements analogues ; le premier de M. Julien Goujon, tend à modifier ainsi l'article 1er :
    "La République assure la liberté de conscience. Elle garantie le libre exercice des cultes sous les seules restrictions des lois de droit commun"
    Le second de M. Auffray, tend à rédiger l'article 1er de la façon suivante :
    "La République assure la liberté de conscience. Elle garantie le libre exercice des cultes, selon le droit commun, sous les seules restrictions édictées ci-après."
    Ces amendements me paraissent se confondre.
    La parole est à M. Auffray

(M. Auffray, fatigué, demandera en vain que la discussion soit repoussée au lendemain ; la proposition, elle sera repoussée par 309 voix contre 261, M. le rapporteur ayant fait remarqué "qu'il n'y avait pas de droit commun qui garantisse le libre exercice des cultes".)

M. le président : MM. Paul Lerolle, de Castelneau, de Mackau, du Halgouet, de Montaigu, Lamy, Forest, de Boissieu, de Gailhard-Bancel, Savary de Beauregard et de l'Estourbeillon proposent de modifier ainsi la seconde partie de l'article 1er
    "Elle garantit à chacun la libre pratique de sa religion et libre exercice des cultes, etc. ..."
...
M. Paul Lerolle :  J'ai donc voulu, répondant à l'appel même de M. le rapporteur de la commission, fixer par une déclaration plus complète que la sienne et plus précise en même temps, le sens que vous voulez donner à la loi. ...
    ...
M. le président :  L'orateur se sentant fatigué, demande le renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
...
    J'entends demander que la prochaine séance soit fixée demain.
...
    Il en est ainsi ordonné.
 

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3