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8 juin 1905

     * Dépôt, par M. Rouland, d'un rapport fait au nom de la commission du budget sur la proposition de loi de M. Lamy et plusieurs de ses collègues, tendant à unifier les pensions de demi-solde des veuves d'inscrits maritimes.

suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(32° journée ; réduite et annotée)

M. Le président :... La Chambre s'est arrêtée aux dispositions additionnelles à l'article 9
    La première de ces dispositions est celle de M. Joseph Brisson. Elle est ainsi conçue :
    "Dans le cas où, pour une même fonction, un ministre des cultes recevrait un traitement de l'État, du département et de la commune, le calcul de la pension serait basé sur la somme des traitements."
(Amendement repoussé par 323 voix contre 230)
    Nous arrivons à un paragraphe additionnel de M. Chavoix, ainsi conçu :
    "Les demande de pension devront être, sous peine de forclusion, formées dans un délai d'un an après la promulgation de la présente loi"

M. Chavoix : Je crois savoir que la commission ne fait pas d'opposition à l'adoption de mon amendement.

M. Aristide Briand, rapporteur : Parfaitement

M. Chavoix :  dans ces conditions, je n'insiste pas autrement pour le soutenir.

M. le ministre de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes :  Le Gouvernement accepte l'amendement. La disposition proposée par M. Chavoix aurait pu être insérée dans un règlement d'administration publique ; mais il n'y a pas d'inconvénient à ce qu'elle figure dans la loi.

M. le président : Je mets aux voix le paragraphe additionnel de M. Chavoix. (le paragraphe additionnel est adopté)
    MM. Louis Lacombe et Balitrand ont déposé un paragraphe additionnel ainsi conçu :
    "Les sommes rendues disponibles sur le budget des cultes supprimé et après payement des pensions susvisées, seront employées à l'attribution aux communes, à due concurrence, du principal de l'impôt foncier sur la propriété non bâtie."
    Mais, d'accord avec les auteurs de l'amendement, nous pourrions renvoyer ce texte, s'il n'y a pas d'opposition, à la discussion ultérieure des dispositions analogues ? (Assentiment.)
    Il en est ainsi décidé.
    Je mets aux voix l'ensemble de l'article 9
    (L'ensemble de l'article 9, mis aux voix est adopté.)

    Nous arrivons à l'article 10.
    TITRE III
    DES ÉDIFICES DES CULTES
    "Les édifices antérieurs au Concordat, servant  à l'exercice des cultes ou au logement de leurs ministres , cathédrales, églises, chapelles de secours, temples,  synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leur dépendances immobilières, et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été remis aux cultes, sont et demeurent propriétés de l'État, des départements, des communes. qui devront en laisser la jouissance gratuite, pendant deux années à partir de la présente loi, aux établissements ecclésiastiques puis aux associations formées pour l'exercice du culte dans les anciennes circonscriptions des établissements ecclésiastiques supprimés et aux quelles les biens de ces établissements auront été attribués.
  L'État, les départements et les communes seront soumis à la même obligation en ce qui concerne les édifices postérieurs au Concordat dont ils seraient propriétaire, y compris les faculté de théologie protestante."
    Il y a sur cet article, un certain nombre d'amendements.
    Le premier est présenté par MM. Allard, Vaillant, Dejeante, Bouvert, Chavière, Paul Constans (Allier), Jules Coutant (Seine), Delory, Jacques Dufour, Piger, Marcel sembat, Thivrier et Walter. Il tend à remplacer les articles 10 à 15 par l'article suivant :
    "A partir de la promulgation de la présente loi, les édifices et immeubles appartenant à l'État, aux département ou aux communes et servant actuellement au service des cultes ou au logement de leurs ministres, sont désaffectés de plein droit.
    "L'État, les départements ou les communes rentrent en pleine possession et jouissance de ces biens, ainsi que des objets mobiliers qui les garnissent.
    "Il leur est interdit de les vendre ou de les concéder à titre gratuit aux associations formées pour l'exercice du culte. Mais ils peuvent les louer en tout ou en partie, séparément ou simultanément, aux associations formées pour l'exercice d'un culte ou à tout individu exerçant un culte. (Mouvements divers.)
    "Toute location dans un but religieux ne pourra être faite que pour une durée maximum de cinq ans. Le prix de cette location ne pourra être inférieur à 5 p. 100 de la valeur de l'immeuble. Le minimum du prix de toute location partielle sera calculée sur le même taux."

M. Le comte de Lanjuinais : Qu'est-ce que vaut Notre-Dame ? (Rires à droite et au centre)
...
M. le président : Je mets aux voix l'amendement de M. Allard et ses collègues, réduit à ses trois premiers paragraphes ; il est repoussé par le Gouvernement et la commission.
...
(Il est également repoussé par la Chambre par 475 voix contre 98 ; MM. Vaillant et quelques uns de ses amis ayant déposé un autre amendement semblable, ne croient pas utile de le soumettre à une discussion et a un vote ; ils le retirent.)
    Il y a sur le même article, un amendement de M. Dansette, ainsi conçu:
    "Les édifices antérieurs ou postérieurs au Concordat, servant à l'exercice des cultes ou au logement de leurs ministres : cathédrales, églises, chapelles de secours, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissent au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont par la présente loi transférés en toute propriété aux associations cultuelles dont la formation est prévue au chapitre IV, les droits de l'État demeurant réservés en ce qui concerne ceux de ces monuments qui sont ou seront classés par la suite monuments historiques."

M. Jules Dansette : ...
    Si vous étiez vraiment des libéraux, si vous vouliez des solutions d'apaisement, vous ne perdiez pas votre temps en longues discussions juridiques ; vous reconnaîtriez que pour résoudre ce grave problème que vous avez imprudemment soulevé, il suffit d'un peu de libéralisme, de bon sens et d'équité.

M. Paul Constans : Il faudrait définir ce qu'est le libéralisme.

M. Jules Dansette : Le libéralisme, c'est le respect du droit, de l'équité et du sentiment public. (Applaudissements à droite) Les églises ont été bâties dans un but déterminé, exclusif, qu'il s'agisse des églises romanes, construites par des artistes anonymes, hantés par les terreurs de l'an mil, que l'on soit en présence des cathédrales gothiques ... qu'il s'agisse des églises modernes où s'affirment l'esprit compliqué et l'impuissance de nos architectes modernes, elles résument dans leurs murs la mentalité des âges disparus, elles sont un lambeau de notre histoire nationale ; ... Un gouvernement se grandit lui-même à respecter ces choses nobles. La politique n'est pas une science de formules et de vérité mathématiques ; elle est faite par des hommes et pour des hommes, elle a le devoir de tenir compte du sentiment public même lorsque, comme c'est le cas aujourd'hui, les gouvernants estiment que ce sentiment ne repose que sur des erreurs et des préjugés.
...
(Amendement repoussé par 335 voix contre 186)

M. le président: Nous arrivons à l'amendement de M. Augagneur, qui tend à remplacer les articles 10, 11 et 12 par un nouveau texte.
    Je donne lecture de l'article 10 proposé par M. Augagneur :
    "Il est fait donation par l'État, les départements et les communes, aux établissements ecclésiastiques et aux associations à eux substituées, telles qu'elles sont désignées et instituées par le titre IV de la présente loi, des établissements servant exclusivement à l'exercice des cultes : cathédrales, églises, chapelles de secours, temples et synagogues, propriétés de l'État, des départements et des communes, soit antérieurement à la promulgation du concordat, soit postérieurement à cette promulgation.
    "Les archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires et leurs dépendances immobilières sont remis en possession de l'État, des départements ou des communes dont ils sont la propriété.
    "Les dépendances mobilières des établissements religieux consacrés ou non aux cultes sont attribuées, en toute propriété, aux associations susnommées."

M. Victor Augagneur : ...
    Mon amendement tendait à un double but : supprimer toute dépense pour les communes ; la donation y pourvoyait ; empêcher l'éclosion des questions politiques communales relatives à la location ou à l'aliénation des édifices du culte.
...
    Je veux rester avec la minorité qui a voté contre certaines dispositions de l'article 4, avec la majorité républicaine qui, hier, m'a fait l'honneur de me suivre sur la question des pensions ; c'est pour cela, messieurs, que je retire mon amendement. je ne veux pas aller contre l'opinion générale de mes amis et de mon parti, parce que je crois que déjà, dans trop de circonstances, la droite de cette Assemblée a joué un rôle trop prépondérant dans la question de la séparation des Églises et de l'État. (Applaudissements à l'extrême gauche)

M. le rapporteur : ...
    Ce que je retiens des explications de l'honorable M. Augagneur, c'est qu'il n'admet pas le système de la commission, c'est-à-dire la location limitée des édifices religieux.
    En l'adoptant la commission avait cru pourtant se faire l'interprète des désirs de la majorité républicaine. M. Augagneur a critiqué ce système avec une telle véhémence qu'il n'en reste presque plus rien. De sorte que, tout en retirant son amendement, il n'en a pas moins conclu, au profit des associations cultuelles, pour la jouissance illimitée et gratuite des édifices religieux. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs.)
...
M. Lasies : Je reprends l'amendement de M. Augagneur. (Exclamations ironiques à l'extrême gauche.) Entre bonapartistes on peut bien se permettre ces procédé-là. (On rit.)
...
(L'amendement est repoussé par 307 voix contre 13)
...
M. le président : Nous en arrivons à un amendement présenté par M. Étienne Flandin et ainsi conçu :
    "L'État, les départements et les communes, propriétaires des édifices servant à l'exercice des cultes, en concéderont la jouissance aux associations cultuelles par baux emphytéotiques consentis pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans, moyennant un loyer annuel de 1 franc.
    "Ces baux soumettront les associations au payement des charges, contributions et réparations de toute nature prévues par la loi du 25 juin 1902, sous réserve des droits et obligations résultant pour l'État de la loi du 30 mars 1887 sur la protection des monuments historiques."

M. Étienne Flandin (Yonne) :...
    Vous savez tous, messieurs, quelle est la portée du bail emphytéotique. C'est un bail consenti pour une durée sensiblement plus longue que la durée des baux ordinaires, jusqu'à concurrence de quatre-vingt-dix-neuf ans, moyennant une redevance très modique, affectant le caractère d'une quasi libéralité. Il entraîne pour l'emphytéote ou preneur un droit de jouissance exceptionnellement étendu ; mais s'il lui assure ce droit de jouissance, il lui impose, en retour, des charges très lourdes, des obligations que ne supportent pas les preneurs ordinaires ; il est tenu des grosses réparations, de toutes les réparations et, s'il fait des travaux d'amélioration, ce sera le propriétaire qui en bénéficiera sans indemnité, à l'époque lointaine où le bail prendra fin..
    Vous saisissez immédiatement, messieurs, combien, en réalité, une semblable situation serait avantageuses pour nos communes. ...
    A l'heure actuelle, messieurs, la question qui tient les plus étroitement au cœur de ces masses religieuses, la question, qui, je puis vous le dire, les angoisse profondément, c'est celle que vous discutez en ce moment, c'est la question des édifices du culte. Vous pouvez demander aux croyants tous les sacrifices, hormis un seul, hormis celui de la vieille église qui à leurs yeux se confond avec la foi. (Applaudissements au centre et à droite.)
    Vous ne la leur arracherez pas sans risquer de les détacher violemment de la République. J'en sais même beaucoup, parmi ceux qui depuis longtemps ont désappris le chemin de l'église, qui ne verraient pas sans un sentiment pénible troubler des habitudes séculaires et profondément respectables.
    La révolution a commis la lourde faute de ne pas les respecter. C'est pour cela que le régime de la séparation des Églises et de l'État, qui aurait dû consacrer dans ce pays l'affermissement de la liberté religieuse, n'a pas su se maintenir en France, alors qu'il est accepté sans la moindre protestation dans le Nouveau-Monde. C'est qu'au-delà de l'Atlantique, la séparation des Églises et de l'État n'est pas l'hostilité de l'État, c'est la neutralité bienveillante de l'État. (Très bien ! très bien ! au centre.)
    C'est une mesure d'émancipation laïque, ce n'est pas je ne sais quelle croisade anticonfessionnelle. (Très bien ! très bien ! )
    Inspirez-vous, messieurs, de la même d'idées, de la même largeur de libéralisme, et vous produirez dans ce pays le même résultat d'apaisement à une heure où jamais peut-être l'union de tous les Français n'a été plus utile et plus nécessaire. (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs.)
    Est-ce donc si difficile, mes chers collègues ?
...
M. le ministre des cultes : ... Je crois que le  vote de l'amendement de M. Flandin produirait dans les communes un effet absolument contraire à celui qu'il attend.  (Très bien ! très bien ! à gauche.)
...
    Le Gouvernement demande donc le rejet de l'amendement (Applaudissements à gauche.)
...
(L'amendement est adopté par 295 voix contre 276. Il est renvoyé à la commission. La suite de la discussion est, elle, renvoyée à une prochaine séance.)

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3