Le coup de force de Mac-Mahon
travail réalisé avec l'aide du livre de Jean Garrigue :
"La République des hommes d'affaires" (Aubier 1997)
ainsi que celui de Jean-Yves Mollier et Jocelyne George
"La plus longue des Républiques 1870-1940" (Fayard 1994)
Vous trouverez une narration extrêmement détaillée
de ces journées historiques dans
"l'Histoire de France contemporaine", tome 8, d'Ernest Lavisse, édité
par Hachette en 1921,
et encore plus détaillée dans "Le coup d'état manqué
du 16 mai 1877" de Fresnette Pisani-Ferry, Robert Laffont - 1965
L'histoire retient la date du 16 mai 1877, mais les
événements ont commencé le 12 décembre 1876,
quand le maréchal Mac-Mahon élu en 1873 président de
la République avec l'intention de travailler au ``rétablissement
de l'ordre moral'' , nomme Jules Simon comme président du conseil
en remplacement de Dufaure. Il a beau se
dire "profondément conservateur", le fait qu'il soit aussi "profondément
républicain" lui vaut de faire face , dès les premières
semaines de 1877, à une violente campagne cléricale, déclenchée
par Mgr Freppel, évêque d'Angers
- qui n'était pas encore député de la 3° circonscription
de Brest - , et du clergé ultramontain, celui qui obéit d'abord
à Rome avant de se considérer comme Français. Cette
agitation fut relayée par la presse monarchique qui annonce le
réveil imminent des forces réactionnaires.
Au mois de mars, l'agitation catholique atteint son paroxysme
à propos des mesures prises par le gouvernement italien contre la papauté.
Depuis septembre 1870 et l'entrée dans Rome des troupes italiennes,
la ferveur catholique a crée autour du pape un véritable mythe,
celui du "prisonnier" dont la souffrance égale la passion du Christ.
Sous le fallacieux prétexte qu'en le privant de ses Etats on l'avait
incarcéré au Vatican, il refusait de quitter ce quartier de
Rome alors que rien ne lui interdisait de voyager où il l'entendait.
En 1877, l'épiscopat légitimiste intensifie sa propagande;
une pétition est envoyée au président de la République
et aux deux chambres, les sommant d'intervenir dans les affaires italiennes
" pour faire respecter l'indépendance du SaintPère " ;
c'est à dire d'intervenir militairement contre l'Italie dans la grande
tradition de 1849 et de 1867.
Ces ingérences de l'Église dans la politique
de l'État républicain sont évidemment inadmissibles
pour Jules Simon, qui interdit le colportage de la pétition cléricale.
" Il semblait que le clergé avait pris parti dans la lutte engagée
par le parti monarchiste contre la République ", écrit Émile
de Marcère dans ses mémoires
. C'est pourquoi, le 4 mai 1877, le Centre gauche unit sa voix à
celles des deux groupes républicains pour présenter l'ordre
du jour suivant :« La Chambre, considérant que les manifestations
ultramontaines dont la recrudescence pourrait compromettre la sécurité
intérieure et extérieure du pays constituent une violation
flagrante des droits de l'État, invite le Gouvernement, pour réprimer
cette agitation antipatriotique, à user des moyens légaux
dont il dispose et passe à l’ordre du jour. »
C'est l'occasion pour Gambetta
de lancer la fameuse phrase de son ami Peyrat : " Le cléricalisme? Voilà
l'ennemi. " C'est surtout l'occasion d'une nouvelle démonstration
d'unité des gauches et du Centre gauche, qui votent ensemble, par 316
voix contre 114, l'ordre du jour gouvernemental promettant de " réprimer
cette agitation antipatriotique " des cléricaux.
L'unité républicaine se confirme du reste
le 15 mai, lors du vote de la proposition M.
Cuneo d'Ornano abrogeant les peines pour délits de presse, et
qui est adoptée par une large majorité de gauche et de Centre
gauche, étoffée pour une fois par les bonapartistes.
C'est à la suite de ce vote que Jules Simon, au
matin du 16 mai, reçoit de MacMahon une demande d'explication
qui ressemble fort à un ordre de démission. Furieux que le
président du Conseil ait laissé passer la proposition Cuneo
d'Ornano sans la combattre, le président de la République laisse
publier par la presse une lettre adressée à Jules Simon
dans laquelle il lui demande s'il avait le sentiment de conserver sur la
Chambre " l'influence nécessaire pour faire prévaloir ses vues".
Ce qui est un désaveu cinglant . Le président du
Conseil se rend aussitôt à l'Élysée pour remettre
sa démission, que Mac-Mahon accepte, avec ces mots: "Je suis un homme
de droite, nous ne pouvons plus marcher ensemble ." et d'ajouter
''Si je ne suis pas responsable, comme vous, envers le parlement, j'ai une
responsabilité envers la France dont aujourd'hui plus que jamais je
dois me préoccuper.''
La question du pouvoir personnel était posé.
Devant les protestations républicaines, il prononce, en accord avec
le Sénat - ce qui était une obligation constitutionnelle
de la III° République - , la dissolution de la chambre par 149
voix contre 130. Il s'engagera à fond dans la bataille électorale,
mais les républicains remporteront cette victoire qui aura fait dire
à Gambetta: ``Quand le peuple aura fait entendre sa voix souveraine,
il faudra se soumettre ou se démettre'' - phrase qui lui vaudra une
condamnation de trois mois d'emprisonnement - .....Mac-Mahon se démettra deux ans plus tard, avant la fin de son
mandat. Les élections avaient redonné aux républicains
323 sièges sur les 363 qu'ils avaient, contre seulement 198 à
leurs adversaires, dont 104 pour les bonapartistes en plein renouveau.
Mais c'est de ces journées que le parti républicain
mené par Gambetta combattra le cléricalisme en demandant années
après années la suppression du budget des
cultes; ce qui aboutit en 1905 à la suppression du Concordat et
la séparation des Églises et de l'État.
Si Gambetta à fait son discours
le 4 mai, résumant toute son action, énoncée en 1869
dans le
"programme de Belleville", il avait mené depuis 5
ans de nombreux discours au travers du pays.
Il faut toutefois remarquer que,
dès le 25 novembre précédent, M. Boysset et ses amis
avaient demandé la suppression du budget des cultes
pour 1877 ! C'était la première fois !
*Sans aller jusqu'à
consacrer la France au Sacré-Coeur comme le souhaitait le baron de
Belcastel, l'érection de la basilique du Sacré-Coeur à
Montmartre est décrée d'utilité publique. Conçue
en expiation des "crimes" de la Commune, cette construction apparaîtra
longtemps comme une insulte à la conscience républicaine.
Il y a une multiplication des pellerinages. L'Administration
met des freins à la liberté des enterrements civils. Les maires
sont nommés par les préfets souvent en dehors du conseil municipal,
du moment qu'on choisit quelqu'un qui est un ami de l'Ordre et souvent de
l'Eglise.
Les préfets, sous-préfets, magistrats et
fonctionnaires qui ne correspondent pas aux vues de ce Gouvernement sont révoqués
et remplacés par des gens qui conviennent .....
Depuis lors, les Présidents de la République
n'ont eu que peu de pouvoirs ; ils "inauguraient les chrysanthèmes"
selon l'expression de De Gaulle. Mais depuis 1962, ce dernier et ses successeurs
verront leur pouvoir légitimé par leur élection au suffrage
universel.