Aux élections législatives  du 20 février et 5 mars 1976, les républicains obtiennent la majorité.

Assemblée nationale
25 novembre 1876

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du budget des cultes.
    MM. Boysset, Barodet, Margie, Lockroy, Madier de Montjau, Louis Blanc, Georges Perin, Floquet, Turigny, Ordinaire, Martin Nadaud et Duportal présentent sur l'ensemble du budget des cultes un amendement ainsi conçu :
    "Suppression des articles 1er à 18"
.....
M. Charles Boysset. Messieurs, en mon nom personnel et au nom d'un certain nombre de mes collègues, j'ai déposé un amendement aux termes duquel la suppression complète du budget des cultes vous est demandée.
    Nous, maintenons notre amendement.
    Dans la séance d'hier, notre proposition a été qualifiée d'exorbitante par M. Granier de Cassagnac; un autre orateur a parlé de persécution, de guerre à l'Église.
    Je repousse ces accusations et ces qualifications. C'est au nom de la liberté de cons-cience, si chèrement achetée, si étrangement oubliée aujourd'hui que nous maintenons notre proposition,. C'est à ce titre que nous demandons à la Chambre d'écouler avec quelque attention 1a discussion à laquelle nous ne nous livrons point à l'aventure.
    A gauche. Très bien! très bien!

M. Boysset. M Granier de Cassagnac a fait, hier, l'historique sommaire des rapports de l'Église avec l'État, en ce qui concerne la question matérielle, la question purement financière des intérêts. Je ferai, très rapidement aussi, la contre-partie de cet historique en y ajoutant les rectifications que commande la vérité.
    On vous a rappelé hier en excellents termes, et en termes habiles, que avant 1789, il y avait une religion. d'État. A cette époque, l'Église était chargée d'un immense service public, - le service du culte, le service religieux, - elle était aussi gardienne unique de notre état civil; elle avait de plus l'enseignement. Elle avait donc une fonction complexe d'un ordre supérieur. Aussi était-elle le premier ordre de l'État; elle avait le pas sur la noblesse même.
    A cette situation supérieure correspondaient logiquement d'immenses domaines, une immense richesse, une situation financière considérable.
    Lorsque l'Assemblée constituante de 1789 eut à l'occuper des biens da clergé - dont je m'occuperai tont à l'heure, - Talleyrand évaluait à deux milliards, - et l'évaluation était très faible, - l'ensemble des richesses immobilières du clergé. Ce n'était pas deux milliards seulement, c'était trois milliards qui constituaient la valeur totale des richesses immobilières qui étaient, alors, entre les mains de l'Église. Et, en admettant comme exacts les calculs de M. Granier de Cassagnac au point
de vue de la dépréciation des valeurs, en tenant pour exactes les proportions qu'il a établies, ces trois milliards de richesses immobilières représentent cinq à six milliards, c'est-à­dire la moitié au moins de la fortune immobilière de la France.
      A ces richesses immobilières, il fallait ajouter encore des richesses mobilières d'une  importance incalculable. Le produit de ces richesses immobilières était de 70 millions au moins, auxquels il fallait ajouter 80 millions de dîmes, ce qui constituait un budget annuel basé sur les richesses immobilières et sur des habitudes traditionnelles dont le clergé revendiquait énergiquement le maintien, ce qui constituait, dis-je, un budget d'environ 150 millions pouvait représenter 500 millions au moins de notre monnaie.
    Ainsi, messieurs, immenses services, immense puissance. immenses richesses.
    Vous savez aussi, messieurs, comment l'Assemblée nationale de 1789, enfermée dans les inextricables embarras de finances qui lui avaient été légués par la royauté absolue, arriva à mettre la main sur les richesses possédées par l'Église; alors intervint un acte qui a été examiné et qualifié, et mal qualifié, hier. M. Granier de Cassagnac a bien voulu reconnaître qu'il n'y avait pas eu spoliation, mais il a cru pouvoir affirmer qu'il y avait eu contrat.
    Non, non, point de contrat entre l'Église et la Nation représentée par l'Assemblée constituante! C'est une erreur complète, j'en demande pardon à l'honorable M. Granier de Cassagnac. L'histoire est là; les débats mémorables qui intervinrent alors sont présents à toutes les mémoires: Mirabeau, Talleyrand, l'abbé Maury, l'abbé de Montesquiou prirent aux débats une part très active, très passionnée, très insistante.
    Mirabeau démontra que les biens qui avaient été si longtemps dans les mains du clergé et qu'il tenait de dotations royales ou princières, ou particulières, étaient simplement un dépôt, base de produits et de ressources à l'aide desquelles le clergé pouvait subvenir à ces immenses services que j'ai rappelés tout à l'heure, (Très bien: à gauche.) et que, dès lors, ces biens possédés à titre purement précaire pouvaient toujours revenir à l'État, que l'État seul en était propriétaire... (Très bien! très bien! à gauche), que cette propriété il entendait la maintenir, que ce n'était pas un droit nouveau, que c'était la consécration d'une situation traditionnelle, constitutionnelle en quelque sorte,, qu'il fallait le déclarer, le constater, et en déduire, suivant les situations, toutes les conséquences. Voici les paroles même de Mirabeau ; voici le résumé des considérations exposées par Mirabeau à la séance du 2 novembre :
    " Vous allez décider une grande question. La nation et l'Europe sont attentives. Nous nous sommes arrêtés jusqu'à présent à de frivoles, à de puériles objections. C'est moi qui ait eu l'honneur de vous proposer de déclarer que la nation est propriétaire des biens du clergé. (Très bien! à gauche.) Ce n'est point un droit que j'ai voulu faire acquérir à ta nation; j'ai voulu constater seulement celui qu'elle a, qu'elle a toujours en, qu'elle ana toujours,
    " ... S'il faut en croire quelques membres du clergé, le principe que je propose est une erreur. Le clergé est propriétaire, et la religion, la morale et l'État seront ébranlés si l'on touche à ses immenses richesses. "
    Et Mirabeau continuait :" C'est pour la nation entière, ne vous y trompes pas, que le clergé a recueilli ses richesse.; c'est pour la nation que la loi à permis au clergé de recevoir des donations; puisque, sans ces libéralités, la société aurait été forcée elle-même de donner au clergé des retenus dont ces propriétés, acquises de son consentement. n'ont été que le remplacement momentané. Et c'est pour cela que les biens de l'Église n'ont jamais  eu le caractère de propriétés particulières. " (Très bien ! très bien! à gauche.)
    Mirabeau assimilait ensuite ces biens immeubles de l'Église aux biens composant le domaine de la couronne, qui ne sont en réalité, disait-il, que du biens nationaux, dont le roi à tout au plus l'usufruit (Très bien! à gauche. )
    " Les biens du clergé, comme le domaine de Ia couronne sont une grande richesse nationale. Les ecclésiastiques n'en sont ni les maîtres ni les usufruitiers; leur produit est destiné à un service public.
    "Rien de commun entre ces sortes de biens et les propriétés individuelles. "
    C'est à la suite de ces grands débats que l'Assemblée, à la forte majorité rappelée hier par l'honorable M Granier de Cassagnac, vota la mainmise de la nation sur les domaines immobiliers qui avaient été perdant de longs siècles entre les mains de l'Église.
    Dès lors, tout le système, qui vous a été exposé hier tombe. Non, je le répète, ce n'était pas un contrat. L'Église, au contraire, par l'organe de CazaIès et de Maury, protesta violemment, âprement, contre ce qu'elle qualifiait hautement de spoliation. On invoqua les traditions, l'autorité de saint Ambroise et de saint Augustin pour affirmer la ferme et plénière propriété de l'Église, et l'Assemblée nationale, peu touchée de ces protestations et de ces revendications, déclara, avec Mirabeau, que ces biens étaient biens nationaux, qu'ils n'avaient jamais perdu, qu'ils ne pouvaient perdre cette qualité en aucun temps et sous  aucun prétexte. (Nouvelle approbation à gauche.)
    Seulement, l'Assemblée constituante, considérant comme n'ayant pas cessé d'être un service public le service de la religion catholique, déclara que, dès lors, il y avait lieu de substituer au mode de rémunération adopté jusqu'alors à ce service public une rémunération d'une nouvelle nature se produisant sous une autre forme: la rémunération budgétaire. L'Assemblée constituante la substitua aux ressources anciennes provenant des biens du clergé Elle l'établit dans la plénitude de son autorité et de son droit.
    Ainsi point de contrat, mais une méthode nouvelle de rétribution pour un service qui continuait à apparaître comme service public. Plus tard, la Constitution de l'an III déclara que l'État ne reconnaissait aucun culte, qu'il n'en salariait aucun. que tout culte était libre, que la sécurité et la tranquillité publiques limitaient leurs droits respectifs.
    Puis. arrive le Consulat, Ce n'est certes pas par l'effet de sa foi religieuse que le premier consul entra en pourparlers avec le Saint- Siège; on sait assez que ce fut sous l'influence unique de vues ambitieuses. (Très bien! à gauche. )

M. Vernhes C'était un instrument de son règne !

M. Charles Boysset. Le Concordat intervint. Il rétablit à titre de service public, à titre de religion d'État, la religion catholique.
    Apparaît ensuite le régime de 1815, qui confirme et qui aggrave cette situation, à tel point que le dimanche devient obligatoire par la loi de 1814, que la peine de mort est édictée en 1825 contre quiconque touche aux vases sacrés ou aux saintes hosties.
    Enfin, nous arrivons à 1830.
    A partir de 1a Charte de 1830, qui abolissait la religion d'État, proclamait la liberté des cultes, une modification profonde se produit Liberté complète de religion ou, en termes plus généraux, de doctrine,
    Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que dès lors la religion catholique perd irrévocablement ce caractère de domination, ce caractère d'universalité nécessaire, juridique, obligatoire, dont elle s'était prévalue dans les siècles précédents, et qui avait eu, pour conséquence forcée, logique, fatale: au quatorzième  siècle la création  de l'inquisition, au seizième siècle la Saints Barthélemy, au dix-septième siècle la révocation de l'Edit de Nantes. (Vive a approbation à gauche.) Le culte israélite ou l'un des cultes protestants succédait- il à cette domination, ainsi perdue par l'Église catholique? Non, personne  ne pourra le soutenir un seul instant. Aucun autre culte n'était substitué au culte catholique en tant que domination. A partir de cette époque, liberté complète, absence complète de prédominance.
    Cessation do toute domination d un culte sur l'autre; plus de religion dominante, plus de religion dominée.
    A partir de ce moment où est donc le service public?
    Si aujourd'hui nous traversons par la. pensée notre société française, la société légale, la société officielle, que trouvons-nous? Nous rencontrons bien des catholiques, des israélites, des protestants de la confession d'Augsbourg, des protestants de la confession de Genève; mais, à coté, mais au delà de ces quatre cultes privilégiés, nous trouvons vingt sectes protestantes absolument distinctes et dissidentes. Nous trouvons le déisrne avec ses mille formes individuelles. Nous trouvons le scepticisme et l'indifférence. Nous trouvons la grande école scientifique qui n'accorde son hommage et sa foi qu'à l'expérimentation, à la démonstration, Et, enfin, la négation dans ses plus audacieuses formules. Et, toutes ces doctrines, elles ne sont pas seulement tolérées, mais, dans l'état de notre droit public, chacun leur doit à toutes sans exception, le respect et la déférence. (Vive approbation à gauche.)
    C'est là une situation indéniable.
    Dès lors, où est la doctrine privilégiée? où est le service public ? Si vous avez autant de doctrines que d'hommes, où est le service public, intéressant la société tout entière et chacun des citoyens ?
    M. Granier de Cassagnac a donné hier des exemples de services publics. Le service public, c'est l'armée, par exemple. L'armée est une école de discipline intérieure, salutaire par excellence: l'armée défend notre sol, elle protège nos frontières, Quel est le citoyen qui en France ne soit pas intéressé à ce service , précieux et tutélaire ? Pas un seul! Il y a là un intérêt général, un intérêt universel, indéniable. Si nous considérons l'administration, nous trouvons qu'il y a des nécessités de gérance intéressant tous les citoyens, sans exception. Service public, inscrit justement au budget, avec allocation convenable.
    On a a cité encore la magistrature. Certes, il est nécessaire qu'au nom d'une loi unique les contestations qui peuvent s'élever entre les citoyens reçoivent une solution pratique, régulière, aussi équitable que possible, par les décisions de fonctionnaires légalement institués. Ici encore l'intérêt de tous se trouve manifestement en jeu. Il est nécessaire et utile à tous que cette magistrature recherche, saisisse et châtie les méfaits qui peuvent se produire parmi nous. L'intérêt est manifestement universel. Il y a service public et indemnité correspondante.
    Mais quand il s'agit de doctrines, où est la service, je le demande avec insistance ? Est-ce que le salaire que vous attribuez aux catholiques ne blesse pas les protestants d'Augsbourg ou de Genève ? Est-ce que la. subvention des juifs ou des protestants n'irrite pas les catholiques ? Est-ce que les déistes, les hommes de science et les hommes de négation peuvent accepter comme légitime, comme justifiée la rémunération allouée aux catholiques, aux. juifs, aux protestants. (Très bien à gauche.)
    En vérité, ces considérations sont triviales à force d'être vraies!
    Vous subventionnez donc aujourd'hui quatre doctrines privilégiées, quatre doctrines inconciliables entre elles, qui se détestent ou qui tout au moins se heurtent et se blessent mutuellement. Vous les salariez toutes quatre et vous nous obligez, nous qui avons le droit de n'appartenir à aucune de ces doctrines, et qui, en réalité, leur demeurons absolument étrangers, vous nous contraignez à contribuer à la dépense sous ce faux prétexte, sous cette fiction mensongère que c'est là un service public ! (Assentiment à gauche.)

     La solution, elle est simple. Le service public disparaissant, il reste un service particulier que chaque citoyen peut se procurer à sa convenance et rémunérer personnellement dans telles proportions qu'il aura déterminées. Nous sommes des hommes de liberté ; nous n'entendons ni persécuter ni même gêner personne; nous voulons le respect des Consciences et pour les autres et pour nous-mêmes. C'est à ce titre que nous demandons de rayer du budget général ce qui concerne le payement de ce service doctrinal ou théologique purement personnel et nullement social, absolument comparable au service scientifique, au service esthétique, au service industriel que chacun de nous peut se procurer à ses dépens, la liberté pour tous encore une fois, mais point cie service public. puisqu'il. y a ici une série de services purement individuels qui doivent être indivIduellement rémunérés. (Très bien !)
    Que vous preniez certaines précautions de prudence, de justice, d'équité, que vous admettiez, à votre budget, même telles ou telles pensions au profit de ceux qui ont ce qu'on appelle des droits acquis, ce mot dont on a tant abusé! - que vous dotiez à titre purement individuel, soit viager, soit temporaire, un certain nombre de ceux qui sont aujourd'hui investis de fonctions ecclésiastiques, rien de mieux, je ne m'y oppose pas pour ce qui me concerne; il y a des nécessités de transition que je reconnais et que je proclame: mais plus de service public, universel, intéressant tous les citoyens; donc, plus d'allocation budgétaire pour cause de service public. (Marques d'approbation.)
    Telles sont, messieurs, les considérations que je vous prie de peser dans vos consciences, et qui, j'en suis sûr, paraîtront à beaucoup d'entre vous tellement frappantes et saisissantes, qu'ils les regarderont comme devant tôt ou tard produire leurs fruits, car il est possible que la Chambre, en face d'une mesure de cette importance, éprouve des hésItations et désire des atermoiements; mais il est certain pour moi que tôt ou tard, quand le moment sera venu - et ce moment ne peut tarder, vous arriverez à la seule solution possible. logique, efficace en face des difficultés qui nous obsèdent

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     Je me suis efforcé de montrer à la. Chambre que le système, que la conception légale qui avait prévalu jusqu'en 1830, consistait dans .l'institution légale d'un service public dont l'Église était chargée, et dont il était juste et logique de la rémunérer dans des proportions plus ou moins larges. et généreuses.
    J'ai montré qu'à partir de 1830 la situation avait été complètement transformée, qu'à partir de cette époque la religion d'État. avait constitutionnellement disparu, que la domination de l'Église catholique avait fait place à  la liberté des consciences et des doctrines, et que, dès lors, ce qui avait été jusqu'alors un service public était devenu service purement individuel, devant être soutenu par les rémunérations purement individuelles de ceux qui pouvaient en demander les bénéfices.
    J'ajoute qu'à ces considérations de droit qui ne paraissent irréfutables viennent s'ajouter de graves et décisives considérations de fait.
    Tel qu'il est constitué aujourd'hui le budget. des cultes intéresse tout spécialement l'Église catholique. Le culte israélite n'a qu'une allocation misérable de 200 000 fr. qu'il reçoit assez dédaigneusement. Les deux cultes protestants, la confession d'Augsbourg et celle de Genève ont ensemble 12 ou 13 000 fr. , et ils sont fort disposés à abandonner ces maigres épaves qui, presque partout, sont complétées par des dotations complémentaires provenant de la générosité des fidèles. dotations bien autrement importantes la plupart du temps que cette rémunération budgétaire exiguë et insuffisante. C'est donc l'Église catholique qui est en cause: elle reçoit plus de 50 millions. C'est contre les 50 millions qui lui sont 'attribués annuellement que nous dirigeons nos réclamations budgétaires.
    Or, il convient d'examiner l'attitude de l'Église catholique, ou pour le dire en termes plus généraux, du parti catholique dont elle est le centre.
    Je demande à la Chambre quelques instants. encore de sa bienveillante attention. (Parlez ! parlez !)
    Voici quelle était, il y a quelques années l'opinion d'un homme éminent et considérable, qui, après avoir occupé' de hautes fonctions dans la magistrature  et dans le Gouvernement, après :avoir été sous l'empire ministre des cultes, après avoir été sénateur impérial, fait encore aujourd'hui partie du Sénat actuel, Je veux parler de l'honorable M. Rouland.
Voici ce que ,disait en 1865 M. Rouland à la. tribune du Sénat de l'empire:
    " Je n'accuse point le Saint Père... A mon sens il est trompé par les intrigues, entraîné par les obsessions de ce que je nomme le parti ultramontain. Ce parti, il règne en maître souverain: il constitue une puissance occulte, mais réelle qui dirige toutes choses sous le nom de papauté, .
    ". Pour quiconque étudie ce parti, - et pendant longtemps  j'ai vu de près ce qui constitue ses principes et sa conduite, le parti ultramontain est l'ami de tous les hommes qui regrettent le passé et qui peut-être détestent le présent. Dans le monde religieux il usurpe, trouble l'administration des diocèses. pousse le clergé inférieur à passer par dessus l'épiscopat pour ne plus voir que la papauté, sacrifie le clergé séculier, national, au clergé congréganiste, qui n'a de patrie qu'à Rome: il affaiblit, humilie l'épiscopat et veut le réduire aux proportions d'un simple vicariat
    " Pour cc parti, la liberté religieuse signifie la suprématie absolue de la papauté, la négation d u pouvoir civil, la destruction des  garanties de l'Église universelle, l'asservissement du monde catholique.
    " Les doctrines de ce parti sont connues. Suivant lui, le pape est infaillible; il absorbe en lui les droits de l'Église universelle; il gouverne souverainement le monde religieux au nom de Dieu. Il représente la divinité sur 1a terre; toute vérité tombe de ses lèvres; ses jugements sont irréformables. Il lui appartient de contrôler la valeur des institutions humaines: les peuples et les rois sont soumis à son arbitrage. "
    Et l'une des dernières phrases du discours de l'honorable M. Rouland était celle-ci:
    " Pour moi, l'Encyclique de Pie IX ne tend qu'au but hautement avoué par Grégoire VlI: barrer le chemin à la civilisation moderne, sous quelque forme qu'elle se présentes "
    A gauche. Très bien! très bien !
    Voilà, messieurs, quelle était en 1865, après l'apparition de l'Encyclique et du Syllabus, l'opinion de l'honorable M..Rouland. Je recommande a l'un de ses amis politiques, M. Granier de Cassagnac, cette indication, cette dénonciation véhémente, ainsi dirigées contre le parti catholique, au nom du progrès, au nom de la société moderne.
    Depuis lors, je le demande, l'attitude du parti catholique a-t-elle changé ? S'est-elle modifiée?

M. Barodet. Elle s'est aggravée!

M. Charles Boysset.  Oui, elle  s'est modifiée; elle s'est modifiée  avec aggravation, comme on le dit très justement au pied de la tribune. Tout le monde le voit, le sent, le sait. Et, en effet, tandis que 1a société civile continuait à progresser du  côté  de l'émancipation universelle,  du coté  de la liberté de science et de  conscience, tandis que le régime démocratique se fondait définitivement parmi nous, qu'arrivait-il d'autre part? Il se produisait forcément une dissidence  de plus en plus accentuée entre la société et l'Église. Cela était  fatal  encore une fois.  Les évêques  de France, dont quelques uns avaient été, il y a quinze ou vingt ans, signalés comme atteints de mollesse ou comme enclins à la résistance à l'endroit de l'autocratie pontificale et qui, pour cc fait, avaient été réprimandés avec véhémence par le Saint-Siège, - je ne fais ici que répéter ce que disait il y a quelques mois l'honorable M. Keller avec sa. sincérité, avec sa hauteur de pensée et de parole, et M. de Mun 1'a redit après lui, et tous deux sans doute sont prêts à le redire - les évêques de France se sont serrés autour du Saint-Siège pontifical; autour des évêques se sont serrés tous les membres du clergé par une discipline rigide.. Autour de l'Église ainsi rangée autour du trône pontifical , tous les fidèles se sont également réunis et groupés. Et, aujourd'hui, vous avez une masse compacte, homogène, étroitement unie dont je vous félicite, car vous avez vos doctrines, et je crois à la sincérité des hommes; je laisse ici tout ce qu'il peut se produire de misères, d'intrigues, de convoitises, d'ambitions personnelles et matérielles au milieu de tout cela, je ne veux considérer que les passions sérieuses, les convictions sincères et les vues désintéressées. Je crois, je veux croire à la sincérité des hommes .

     Eh bien, ce que je trouve, c'est qu'aujourd'hui le parti catholique est étroitement constitué, que les évêques, le clergé,  les fidèles sont unis intimement et que de  plus, autour de ce parti  puissant, et à raison  même de  cette puissance.  il a pour  son malheur  rallié  autour de lui comme auxiliaires véhéments  tous les partis mécontents  et hors  d'usage, les débris  de l'Empire  par exemple,  aujourd'hui  devenus  orthodoxes,  à la grande  surprise du  monde et peut-être apportera-t-on à cette tribune dans un instant certaines révélations inattendues el intéressantes.
    Ainsi, autour du parti catholique animé de passions sincères et supérieur auquel j'envoie mon salut et mon hommage, se sont serrés une foule de débris et d'épaves politiques qui espèrent, à l'aide de celle grande assochation, à l'aide de cette puissance, reconquérir leur situation politique, irrévocablement perdue, (Très bien ! très bien !)
    Ainsi la situation de 1865, alors que M. Rouland mettait à l'index et incriminait avec véhémence ce qu'il appelait nettement, énergiquement le parti ultramontain, ne s'est modifié qu'en un seul, celui de l'aggravation. Les dissidences sont de plus en plus profondes; la division s'est accentuée, elle est devenue si visible et si profonde, que de toutes parts on signale les conflits, le désordre et le trouble qu'elle engendre.
    Je lis dans le très beau livre de M. Keller sur l'Encyclique cette phrase significative:
    " L'heure est venue de comparer les doctrines catholiques avec les idées modernes: il faut choisir entre ces deux drapeaux, et l'Encyclique nous y invite avec une saisissante opportunité. "
    Voilà où nous en sommes arrivés, messieurs; il faut choisir, entre quoi? Entre le Syllabus et les principes de la société moderne, c'est-à-dire encore une fois l'émancipation définitive, 1a liberté de science et de conscience, car j'oublie encore ceci, c'est que depuis 1865, depuis le jour où M. le sénateur Rouland laissait entendre ces déclarations véhémentes, ces accusations,   cette sorte de réquisitoire contre le parti ultramontain, deux faits se sont produits : le Syllabus qui s'est publié, qui s'est répandu, qui s'est affirmé, :avec une opiniâtre énergie, et que les catholiques ont proclamé comme la loi suprême des consciences, et les décisions d'un conseil œcuménique, proclamant au monde l'infaillibilité du souverain pontife.
    Messieurs, je ne méconnais point le rôle qu'a pu jouer l'Église dans d'autres temps. Au risque de me séparer de quelques-un de mes amis qui professent une opinion contraire, je n'ai jamais dénié ce rôle considérable; mais aujourd'hui les temps ont changés, les services sont loin de nous. Mais l'Église et ses fidèles, qui affirment comme éternelle et divine la doctrine catholique, ne peuvent, en vérité, que maintenir leur attitude impérieuse. Les évêques ne peuvent que répondre aux injonctions de l'autorité temporelle : Nous savons ce que nous avons à dire ou à taire, nous ne vous reconnaissons pas le droit de nous ouvrir ou de nous fermer les lèvres ; nous relevons d'un souverain infaillible; lorsqu'il nous transmet ses décisions, ses lois suprêmes, la loi humaine ne saurait nous affecter ou nous atteindre : il nous faut transmettre aux nations les décrets d'en haut.
    Ainsi parlent les évêques, au nom du parti catholique. Or, à cette heure, le code suprême du VatIcan, c'est le Syllabus, c'est-à-dire la négation de la société  moderne et du régime que la France s'est donné. Comment éviter les discordances? Oui, il y a rébellion, il y a dissidence  ardente, passionnée, obstinée et, je le répète, résistance et rébellion logiquement nécessaires. Il y a quelques jours, M. le garde des sceaux, que je regrette de ne pas voir à son banc.

M. le ministre de l'intérieur.  Il est au Sénat, où il est allé voter.

M. Charles Boysset. M. le garde des sceaux  s'exprimait avec sa vigueur habituelle sur la nécessité impérieuse de l'application de la loi:
    " Quel est le devoir du Gouvernement, je le demande à tous ceux qui m'écoutent ? n'est-ce  pas de faire observer les lois   existantes? Mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur le disait tout à l'heure à la tribune, et je le répète après lui :   "C'est notre devoir rigoureux, c'est notre  devoir  nécessaire ; tant  qu'elles existent. nous devons en demander l'observation, l'observation impartiale.  "
    On a donc tort de dire que nous devrions considérer comme non avenues  toutes les lois qui ont été faites sous un autre régime; nous devons les considérer comme existantes. Aussi les défendrons-nous tant qu'elles n'auront. pas été abolies; aussi en demanderons-nous l'application, et, quant à la magistrature, elle fera son devoir en les appliquant,."
    Et il terminait par ces mots :
    " Quant à présent, ce que je voulais dire à la Chambre, c'est qu'il y a des lois, que ces lois, existent, que nous les maintiendrons, que nous les ferons observer; et, en second lieu, que nous les faisons observer à l'égard de tout le monde, (Interruption sur certains bancs à gauche.} Je le répète, à l'égard de tout te monde! Et, pour nous, ministres de la loi, il n'y a pas de parti ni dans cette Chambre, ni en dehors ; quiconque viole la loi doit être poursuivi, (Très bien! très bien !) "
    C'est là un ferme langage. Mais les faits?
    Est-il certain que 1a loi soit observée et respectée? N'est-elle pas au contraire gravement méconnue de la part de l'Église ?
    Tous nous savons que la loi est méconnue et bafouée. Un. exemple seulement, messieurs, parmi les plus graves. ,
    Que dit l'article 24 des articles organiques? " Ceux qui seront choisis pour l'enseignement dans les séminaires souscriront la déclaration faite par le clergé de France en 1682 et publiée par un édit de la même année. Ils se soumettront à y enseigner la doctrine qui y est contenue, et les évêques adresseront une expédition en forme de tette soumission au conseiller d'État chargé des affaires concernant les cultes."
    Est-ce que ces dispositions sont exécutées ? Lorsqu'on interroge à cet égard M. le garde des sceaux ou M. le ministre de l'instruction publique, sur ce qui se passe dans les séminaires, où une surveillance permanente devait être légalement exercée, l'honorable garde des sceaux et l'honorable ministre de l'instruction publique sont obligés de confesser que les séminaires leur sont fermés à double tour, et qu'il ne peuvent en aucune manière y faire pénétrer leur surveillance.
    La déclaration de 1682 est-elle enseignée ? Qui le soutiendrait ? Chacun sait le contraire. Et cette déclaration de 1682, messieurs, ce n'est ni une décision de théologie, ni une manifestation insignifiante et secondaire à faire appliquer parmi nous ; non, c'est un document d'ordre supérieur, c'est une loi d'État, consacrant l'indépendance du pouvoir temporel en face du pouvoir spirituel, contenant défense au pontife romain de s'ingérer dans les affaires de l'État.
    Lorsque cette déclaration de 1682 est parue, sous le règne de Louis XIV, trois ans avant la révocation de l'Edit de Nantes, elle fut enregistrée comme loi d'État. Louis XIV rendit un édit formel, dûment enregistré par le parlement, aux termes duquel la déclaration des évêques d e France devait être rigoureusement enseignée, non seulement dans les établissements catholiques, mais dans l'université même, alors aux mains de l'Église. Il y avait obligation impérieuse de souscrire, à cet égard, des soumissions formelles ;il y avait surveillance rigoureuse exercée avec cette âpreté qui n'appartient qu'aux despotes.
    Quelques années après le Concordat de 1801, un autre despote, Napoléon 1er, reprit pour son compte personnel l'édit de Louis XIV. Il le fit publier comme loi d'État ; de telle sorte, que la déclaration de 1682 a reçu deux ou trois consécrations de premier ordre et de haute importance. Consultez le Bulletin des lois, en effet, vous y trouverez, à la date du 25 février 1812, l'édit de Louis XIV adopté par l'empire.
    "..........."
    Ainsi, messieurs, c'est sur le Concordat qu'est fondé l'allocation budgétaire du culte catholique. Au Concordat se rattachent étroitement les articles organiques ; ils sont comme le Concordat lui-même, une loi de l'État ; ils ont la même valeur légale ; ils ont été l'objet d'un seul et même rapport; ils ont été votés en même temps par le corps législatif ; leur force légale ne peut être sérieusement contestées, pas plus, en vérité, que celui du code civil lui-même. (Très bien! très bien ! à gauche.)
    Eh bien, ce Concordat et ses articles organiques qui en seront une dépendance nécessaire et où se trouve prescrit l'obligation d'enseigner la déclaration d e1682, loi de l'empire, aujourd'hui encore existante, tout cela reste inexécutées en dépit des déclarations si fermes de M. le garde des sceaux. Le parti catholique, le parti de l'Église, à laquelle cependant sont continuées les subventions budgétaires, se rit de la loi. (Très bien ! à gauche.)
    Combien d'autres violations flagrantes de la loi ne pourrais-je point citer à cette tribune !
..............................
    Et c'est dans ces conditions, messieurs, que vous subventionnez, que vous voulez continuer à subventionner un service qui, je crois vous l'avoir démontré, n'est point un service public, qui n'est plus qu'un service de doctrines individuelles, particulières, privées ! C'est dans ces conditions que vous voulez accorder des subsides considérables à une association puissante qui a pour chef un souverain infaillible, dont les Syllabus constitue le décret suprême et qui, comme couronnement de cette œuvre, proclama impossible toute réconciliation entre lui et la civilisation moderne ! C'est à cette société puissante, à cette Église hautaine et dissidente que vous faites des conditions particulièrement privilégiées ! C'est à cette Église violatrice des lois que vous donnez des subventions et des privilèges !
    C'est à cette Église que vous accordez je ne sait quelles faveurs continuelles ! c'est pour elle que vous ouvrez complaisamment 40 000 chaires dans lesquelles on prêche le Syllabus, c'est à dire la guerre à la société moderne, à la société républicaine qui vit de liberté ; c'est à elle que vous ouvrez 40 000 chaires pour y prêcher toutes les idées contraires aux principes indiscutables de notre société présente, à tous les éléments sociaux que nous avons conquis : liberté de cultes, liberté de conscience, liberté de presse, suffrage universel, mariage civil, etc. . Laissez-moi vous dire qu'à mes yeux c'est de la démence.
    En droit comme en fait, vous ne pouvez maintenir cet état de choses. Si vous ne le réformez aujourd'hui même - car peut-être vos délibérations actuelles s'y refuseront, - j'ose déclarer que , nécessairement, cette solution est prochaine ; ce sera l'œuvre de cette Chambre ou de celle tout au moins qui lui succédera.
    C'est la solution unique. Nous la réclamons hautement au nom du droit, au nom de la justice, de la logique et de la liberté. . (Très bien! très bien ! et applaudissements à gauche.)
............
M. le prince Jérôme-Napoléon Bonaparte. Messieurs, j'ai demandé la parole et je monte à cette tribune pour remplir un devoir, celui de signaler les empiétements successifs, que je considère comme un grand danger pour mon pays, du parti clérical. (Mouvements divers)
......................
26 novembre 1876
.......................
M.  Dufaure.  garde  des sceaux, ministre de la justice et des cultes, président  du  conseil.  Messieurs, la discussion générale du budget des cultes a continué, et je ne m'en plains pas. A l'occasion de l'article 1er, elle est même devenue plus générale, plus complète, plus étendue, plus élevée qu'elle ne l'avait été au commencement de nos débats. Il ne faut pas se dissimuler l'importance de 1a proposition que l'honorable M. Boysset et ses amis ont présentée comme un amendement. Cet amendement, on l'a dit, on l'avoue, n'est pas  la  suppression d'un article du budget; il est le retranchement de tout le budget, et avec le retranchement du budget la réalisation de celle formule: la séparation de l' Église et de l'État.
    L'honorable M. Bardoux a fait entrevoir, dans des termes que je ne saurais assez louer, les conséquences immédiates de ce que l'on demande à la tribune. La séparation de l'Église et de l' État, quoi que l'honorable préopinant puisse dire du dévouement que mettra tout le monde catholique à venir au secours des 50,000 ecclésiastiques que l'on prive de ce qui les fait vivre, quoi qu'il dise, il ne faut pas nous le dissimuler, c'est la déclaration que les prêtres vénérables qui ont donné à leurs concitoyens depuis longues années le secours de leurs paroles, de leurs conseils, de leurs consolations, seront immédiatement renvoyés de leurs presbytères... -
    voix à gauche. Non! non! on n'a pas dit cela.
M. le garde des sceaux. ... que ces modestes églises de village, comme nos vieilles cathédrales, seront immédiatement délaissées, abandonnées.
    voix à gauche. Non! non! (Très bien! très- bien! à droite et au centre.)
    voix ci droite. C'est leur but !
    Plusieurs membres à gauche. Pourquoi?
M. le garde des sceaux. On me demande pourquoi '? Et ceux qui me le demandent réclament la suppression de tous les chapitres du budget, dans lesquels se trouvent les crédits nécessaires pour entretenir et réparer les églises et les cathédrales! Leur demande même répond à la question qu'ils prenaient la peine de m'adresser.
    Ainsi, messieurs, je le disais, j'avais le droit de le dire: c'est la conséquence immédiate de votre proposition; vous voudriez la dérober aux regards, vous ne le pouvez pas.
    Oui, modestes églises de villages, belles cathédrales de nos villes, tout sera livré aux ravages  du temps,  personne ne viendra plus les défendre. (Dénégation sur plusieurs bancs gaucho.)

M. Barodet. Il n'y a donc plus de catholiques en France ? .

M. le garde des sceaux. Je suis étonné que mes collègues veuillent prolonger l'ironie que M. Talandier avait commencée...

M. Talandier. Je n'ai pas parlé ironiquement.

M, le garde des sceaux. Ils ne connaissent pas la France, ils ne savent pas que dans chaque commune, même dans la plus pauvre il y a une église que la. piété dé nos pères a construite; ils ne savent pas que cette église quand on réunirait les subventions de tous les habitants de la. commune, jamais on ne parviendrait à la faire entretenir. Ils n'ont fait aucune attention à cela; ils sont au milieu de Paris, au milieu des richesses de la capitale ; ils savent bien qu'on peut y faire de grandes quêtes, de grandes collectes; ,cela est vrai mais croyez-vous que, dans nos campagnes, il en soit ainsi?
    Messieurs. vous vivez. dans, un monde qui est étroit, qui est exclusif, qui vous empêche dc connaître le pays. (Marques d'approbation à droite et au centre,) ,
    Plusieurs membres à gauche. Nous le connaissons !
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     Maintenant, on ne s'en préoccupe pas, mais on arrive à se dire: Pourquoi cette réunion, cette cohésion de l'Église et de l'État? Pourquoi ne pas les séparer ? Pourquoi salarier une Église catholique, une Église protestante, une Église de la confession d' Augsbourg et même une Église israélite ? Pourquoi?
    Je voudrais bien savoir à quelle époque on a osé, dans un pays, se séparer de la ,religion au point où on veut le faire ?
    Je n'en connais qu'un exemple; et, sans vouloir blesser personne, - je déclare que je suis monté à la tribune avec le dessein de parler avec un calme profond, et si parfois je paraissais manquer à mon engagement, ce se raient les interruptions qui m'y conduiraient, - sans vouloir absolument blesser aucun de nos honorables collègues, je dis qu'une fois il y a eu une autorité, bien précaire, hier usurpée, mais enfin il y a eu une autorité qui a déclaré 1a séparation de l'Église et de l'État, et, vous allez le voir, par les motifs que l'on invoque aujourd'hui à la tribune.
    En effet, je trouve dans le Journal officiel de la Commune .. (Exclamations sur plusieurs bancs à gauche.)
    A droite. Très bien! très bien!

M. Georges Perin. Il faut qu'une thèse soit bien mauvaise pour qu'on soit réduit, pour la défendre, à de pareils moyens oratoires !

M le président. Veuillez donc ne pas interrompre, messieurs !

M. le garde des sceaux. Voulez-vous me permettre de lire, monsieur Perin?
" La Commune de Paris,
" Considérant que le premier des principes de la République française est la liberté ;
" Considérant que la liberté de conscience est la première liberté;
" Considérant que le budget des cultes est contraire à ce principe, puisqu'il impose les citoyens contre leur propre foi. "

M. Talandier. C'est très logique!

M. le garde des sceaux. M. Talandier trouve cela. très logique.

M le comte do Douville-Maillefeu. Sans doute, et c'est vrai !

M. le président. Veuillez donc ne pas interrompre, monsieur de Douville-Maillefeu; vous avez demandé la. parole; vous répondrez.

M. le garde des sceaux. Je continue :
    " Considérant, en fait, que le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté,
    " Décrète:
    " Art. 1er.- L'Église est séparée de l'État,
    " Art. 2. - Le budget des cultes est supprimé.
    " Art. 3. - Les biens dits de mainmorte appartenant aux congrégations religieuses, meubles ou immeubles, sont déclarés propriétés nationales. (Ah! ah! à droite.- Voilà ! voilà !)
    "Art. 4. -Une enquête sera. faite immédiatement sur ces biens, pour en constater la nature et les mettre à la disposition de la nation. " (Bruit à gauche.)
    Messieurs, vous avez, remarqué parmi les considérants dont je viens de vous donner lecture celui que développait tout à l'heure l'honorable M. Talandier en commençant son discours et que M. Boysset présentait hier.
    Un membre à gauche. Parfaitement !

M. le garde des sceaux. Parfaitement ! dites-vous ? Laissez-moi y répondre.

    A droite. Très bien! - Parlez ! parlez !

M. le garde des sceaux. On a dit: C'est une tyrannie que de m'obliger, moi, citoyen, à salarier un culte dans lequel je n'al aucune foi, qui me parait non-seulement inutile, mais dangereux..
    On n'a pas vu, je crois, à quelles conséquences on arrive avec  un argument do cette nature. Il est étrange de le voir présenter au moment où nous délibérons sur cette grande loi de l'État qui a pour objet de réunir, d'après les principes de la justice la plus sévère, toutes les ressources qu'on peut trouver dans les forces contributives du pays afin de les employer à l'usage de tous les services publics. (Très bien ! très bien !) .
    Il ne s'agit pas de savoir si un des services publics pour lesquels nous votons le budget est utile à tont le monde; il s'agit de savoir s'il a une utilité nationale et locale suffisante...

    A droite. C'est cela! c'est évident !

M. do Baudry-d'Asson. (Très bien! très bien !)

M le garde des sceaux. ... pour que l'État vienne pourvoir à sa dépense. Mais avec le système qu'ont présenté nos deux honorables collègues, M. Boysset et M. Talandier, il n'y a plus de budget ! Vous n'aurez qu'à décomposer, je ne dis pas tous, mais une bonne partie des articles du budget, vous trouverez à tout moment quelqu'un qui vous dira: Mais cet article du budget ne m'intéresse pas; c'est une tyrannie que de me demander de payer, de salarier ce service qui m'est étranger ! (Réclamations à gauche. - Marques d'assentiment au centre et à droite.).
    Demandez à ce pauvre cultivateur, dont le fils abordera à peine le seuil de l'école primaire, demandez-lui pourquoi il est appelé à payer les frais de toutes les facultés, de toutes les universités, de l'école supérieure, des écoles secondaires; jamais son  fils ne appelé à participer aux bienfaits de l'instruction à divers degrés distribuée par ces établissements, et cependant il contribue à leur entretien.

M. Laroche-Joubert. Il a même contribué à édifier et continue à subventionner 1e nouvel Opéra qu'il ne verra jamais !

M. le garde des sceaux. Et remarquez, messieurs, que ce que nous disons de ces différentes conditions sociales il faudra le dire des différentes régions de la France; il faudra le dire des industries diverses auxquelles nos populations se livrent. (C'est vrai - Très bien!)
    J'ai voulu répondre à cette objection. non pas qu'elle soit, à mon avis, très sérieuse, mais elle a été formulée avec tant d'assurance dans le discours très logique que prononçait , hier, l'honorable, M. Boysset, et aujourd'hui avec  tant de chaleur l'honorable M. Talandier, qu'il m'a été impossible de ne pas m'y arrêter  un moment  pour montrer qu'un argument  de cette  nature,  qu' une prétention semblable sépare, isole, rend étranger l'un à l'autre chacun des intérêts de ce pays;  on crée ainsi  l'égoïsme le plus profond, quand supprime  tout  ce qu'il y a de grand, à voir tous les citoyens d'un pays concourir à ce qui peut être utile à chacune de ses parties. (Très bien! très bien!)
    Est-il vrai que les services rendus par les ministres des religions ne sont utiles  qu'à un petit nombre de personnes ? Vous le prétendez. Mais nous sommes membres d'une religion à laquelle appartient la. grande majorité de la nation et une majorité considérable.
    Vous abusez de ce que quelques catholiques ne sont pas très fervents... (Rires ironiques à gauche.)
    Vous êtes bien gais aujourd'hui, messieurs; moi, je  parle sérieusement.
    A droite et sur plusieurs bancs au centre, Très bien! très bien! - Parlez!

M. le garde des sceaux, Je le répète : vous vivez dans un monde qui ne connaît ni les choses ni les hommes. Vous m'interrompez par des mots sans portée et vous m'empêchez de continuer mon raisonnement,
    J'y reviens.
    Je disais à la Chambre que ce ne sont pas des services médiocres que rendent à la. nation les clergés des religions reconnues. C'est au clergé catholique que vous vous adressez spécialement et, alors, je réponds: Comment! dans les 40 000 communes de France, il y a un modeste ecclésiastique qui est à la disposition de ses concitoyens de tout rang, de toute fortune, de tout âge; on a besoin de lui en toutes circonstances; on l'appelle au chevet d'un malade, il y est immédiatement le jour et la nuit; on a un 'enfant à baptiser, il le baptise ; il bénit les mariages ; il prépare les enfants à la première communion; il enseigne à tous les lois de la morale la plus pure et la plus élevée qui ait jamais été connue dans le monde, (Vifs applaudissements à droite.) Il enseigne cette morale au profit de ceux mêmes qui n'aiment pas la religion, comme au profit des fidèles... (Nouveaux applaudissements à droite), car tous profitent de la morale de chacun, et on vient nous dire que cet homme est inutile et qu'on rémunère en lui un service auquel l'État ne devrait rien!
     Je repousse absolument une prétention pareille; je ne connais pas, quant à moi, de service plus élevé, ni plus utile, ni qui mérite mieux protection. Je dis la protection de l'État: car, messieurs, c'est là tout ce que nous prétendons pour lui.
    Mais la protection de l'État, c'est là ce qui lui a été assuré, ce qui a été assuré aux trois cultes reconnus par le Concordat et les articles organiques. Relisez les expressions par lesquelles l'illustre Portalis caractérisait la nature de ce contrat. Il disait "Nous ne créons pas de religion d'État. nous ne créons pas de religion dominante; cela n'existe plus parmi nous; mais l'État accorde protection à tous les cultes qu'il reconnaît, et, en échange, les ministres de ces cultes dont il garantit la discipline, les fonctions, l'existence, doivent respecter scrupuleusement les lois de leur pays. "
    Voix diverses à gauche. Eh bien, qu'ils les respectent! - C'est ce que nous leur demandons! - Mais c'est ce qu'ils ne font pas !

M. le garde des sceaux. Messieurs, je vous rappelle les termes du contrat; je ne peux pas, en même temps, vous montrer qu'il est observé : attendez!
    a gauche. Ah ! ah !

M. le garde des sceaux. Comment! vous imaginez-vous que je puis tout dire il la fois ?

M. le président. Messieurs, veuillez laisser parler M. le ministre.

M. Deschanel. Monsieur 1e président, nous applaudissions la citation.

M. le président. Laissez parler  l'orateur que vous interrompez  à chaque  instant

M. le garde des sceaux. Eh bien, messieurs, c'est là le contrat: d'un côté, protection du Gouvernement pour les cultes qu'il reconnaît, pour leur discipline, leur doctrine, pour leurs ministres, et, d'un autre côté, engagement des ministres de ces cultes à respecter toujours et en tout temps les lois de l'État. Il y a donc en un contrat; il a été très nettement réglé, et, permettez-moi de vous citer textuellement, - cela en vaut la peine,- les conditions que chacune des parties s'est en gagée à observer:
    Voici les articles 12, 13 et 14 du Concordat
    " Tontes les églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales et autres non aliénées, nécessaires au culte, seront mises à la disposition des évêques
    "Art. 13. - Sa Sainteté pour le bien de la paix et l'heureux: rétablissement de la religion catholique, déclare que ni elle ni ses successeurs ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens ecclésiastiques aliénés et, qu'en conséquence, la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus y attachés demeureront incommutables entre leurs mains ou celles de leurs ayants cause. "
    " Art. 14. - Le Gouvernement assurera un traitement convenable aux: évêques et aux curés dont les diocèses seront compris dans la circonscription nouvelle."
    Jamais, messieurs, contrat plus solennel et, en même temps, plus clair, n'a été passé et ne demande davantage à être respecté.
    L'honorable M. Boysset a ajouté cependant: Mais ce contrat n'a pas été observé par toutes les parties; il y a certains articles qu'on a omis d'exécuter.
    Messieurs, il est nécessaire de dire quelques mots à la Chambre sur ce point, car c'est une partie importante du discours de l'honorable M, Boysset.
    Il y a un article  du Concordat qui  concerne le serment des évêques; je dois vous en donner lecture; vous verrez en quels termes le serment des évêques était exigé.
    " Je jure et promets à Dieu, sur les saints Évangiles, de garder obéissance, et fidélité au gouvernement établi par la Constitution de la République française. Je promets aussi, de n'avoir aucune intelligence, de n'assister à aucun conseil, de n'entrer dans aucune ligue, soit au dedans, soit au dehors, qui: soit contraire à la tranquillité publique; que si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'iI se trame quelque chose de préjudiciable à l'État, je le ferai savoir au Gouvernement." (Très bien' très bien! fur divers bancs à gauche,)
    Eh bien, qu'avez-vous à interrompre,!

M. Boysset. Personne n'interrompt! Je demande la parole.

M. le garde des sceaux. Demandez la parole et n'interrompez pas !

M. le président. Veuillez faire silence, messieurs.

M. Boysset. Personne n'a interrompu; c'est une manière de provoquer les interruptions, voilà. tout!.....

M. le garde des sceaux. Vous venez de voir les derniers mots du serment :"Si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il se trame quelque chose au préjudice de l'État, je le ferai savoir au Gouvernement. "
    Un écrivain de l'époque, qui a été depuis dans les Assemblées législatives, M. Bignon, disait " que l'empereur avait voulu se constituer par là une gendarmerie sacrée. " (Sourires.)
    Le serment a été prêté sous l'Empire; il a été modifié depuis, en ce sens que l'on a retranché la clause offensante qui le termine , et puis il a été prêté jusqu'en 1870, lors 'de l'établissement du Gouvernement de la défense nationale.
    A cette époque, un décret de ce Gouvernement abolit pour tout le monde en France le serment.
..............
    Que restait-il à dire à M. Talendier et à M. Boysset ?
    N'ai-je pas répondu à tout ce que leur ai entendu dire ? je voudrais cependant répondre à quelques objections qui ont été faites
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    Et alors,  que reste-t-il? Il reste des mots, encore des mots: la puissance cléricale est menaçante, elle est à nos portes! Je vous demande à quel caractère vous la reconnaissez ? (Exclamations sur quelques bancs à gauche. - Interruption prolongée.)
    Voulez-vous me permettre, messieurs, de vous dire toute ma pensée sur ce point., ( Oui ! oui! à gauche.) Oh je vous la. ferai connaître bien sincèrement. (Sourires à droite.)
    Quand je lis les publications que nous devons à nos évêques, quand je les étudie, et quand je les compare avec les publications dont elles ont été précédées, permettez-mois de dire que je n'y trouve que des principes absolument conformes aux nôtres.
...................
M. le garde des sceaux. J'ai demandé à mes procureurs généraux de faire ouvrir des informations sur les faits principaux qui m'avaient été signalés ; mais il est arrivé là, messieurs, ce qui arrive bien souvent : les témoins qui avaient été si prompts à répandre les bruits, appelés devant le juge d'instruction ou devant le procureur de la République, ne se sont plus souvenus de tous les faits qu'ils avaient racontés. (Rires et applaudissement à droite.)
    Laissez-moi vous dire tout ce que je puis vous affirmer sur ce point. L'ecclésiastique qui, dans sa chaire, soutient une lutte électorale ou prononce des paroles offensantes contre quelqu'un, manque essentiellement à ses devoirs et est soumis à la seule sanction que la loi m'accorde, c'està-dire à l'appel comme d'abus. (Très bien.) Il a été pratiqué de tout temps, il le serait encore aujourd'hui. Mais avant de porter l'appel comme d'abus au conseil d'État, il faut avoir la preuve des faits sur lesquels il reposerait. (Marques d'assentiment.)
    Un membre à gauche. Si l'on ne consulte que les complices ! (Bruits.)
.................
    On nous  a dit: au point de vue de l'extérieur,  quel sort faites-vous à la. France? Elle est seule ou presque seule nation catholique en Europe- Il lui faut alors renoncer il toute alliance. Voyez son a venir.
    J'entends, je l'avoue, avec quelque peine représenter notre pays comme s'il était complètement isolé, comme s'il était dépourvu de toute sympathie.
    Et puis, à quoi attribue-t-on cet isolement?
    Les uns nous disent: C'est la République ! Tant que la France sera en République, elle n'aura aucun allié dans le monde. Vous pouvez en être sûrs! (Sourires sur divers bancs.)
    Les autres, - et ils viennent un peu du même côté, - nous disent: Tant que la France sera catholique,  elle ne trouvera  aucun  allié dans  le monde...
    A gauche. Non pas catholique, mais cléricale, cléricale !

M. le garde des sceaux. Oh! vous approuvez cela! (Mais non!. mais non!)
    Expliquez-vous donc, ou plutôt n'interrompez pas, car je puis me méprendre sur le sens de vos interruptions.
    Eh bien, messieurs, il résulte de celle double déclaration, - elle est bien claire, j'en vois la conséquence, - c'est que tant que la France n'abjurera pas la foi CAtholique...
    voix diverses à gauche. On n'a pas dit cola! - Il n'est pas question de cela !

M. le garde des sceaux. ..... tant que la France n'abjurera pas la foi catholique, tant qu'elle n'abjurera. pas la foi républicaine, elle ne sara rien dans la monde.
    Ne voyez-vous pas où cela  vous conduit, vous qui approuvez de telles objections?
    Messieurs, je vous prie d'être une nation qui s'appartienne, et de ne pas demander au monde quelles doivent être vos opinions et votre constitution, sous le rapport de la foi religieuse comme sous le rapport da la foi poitique. (Marques nombreuses d'assentiment.)
    A gauche. Ici nous sommes d'accord !
.......................
M. Charles Boysset. Messieurs, ......, J'attendais, je l'avoue, une discussion solide, une de ces réfutations vigoureuses, comme M. le garde des sceaux à coutume de les produire......., j'attendais que les grandes questions de liberté de conscience fussent abordées à cette tribune. (Exclamations à droite.) ....... il n'en à pas été dit un seul mot et je m'étonne d'avoir rencontré dans le dis-cours de M. le garde des sceaux, au lieu de ces considérations d'ordre supérieur, je ne sais quelles assimilations blessantes pour les auteurs de la proposition. Pourquoi la Commune a-t-elle été mêlée à tout cela? Pourquoi ces rapprochements étranges qui visent obliquement un certain nombre de collègues (Applaudissements à gauche.)
    Messieurs, il y a là un procédé que je recommande à l'attention de la Chambre. Non, il n'était pas bon, il n'est pas bon que la Commune, il n'est pas bon que les effroyables événements qui ont ensanglanté l'histoire, il y a cinq années à peine, soient mêlés aux propositions et aux actes des membres de cette Chambre. (Nouveaux applaudissements à gauche.)
    Ce  sont là des diversions habiles, sans doute, et je comprends le besoin de ces diversions, car la thèse défendue par M. le garde des sceaux était, selon moi, une thèse difficile, une thèse impossible à soutenir, par les raisons de droit, de liberté, de justice. (Très bien ! très bien! à gauche)
    On nous accuse d'inventer, d'arborer, d'agiter, le fantôme du cléricalisme ! M. le garde des sceaux prenant vivement, ardemment, puissamment la cause du clergé, la cause de l'Église catholique, est venu lire il cette tribune je ne sais quel mandement de M. l'évêque de Paris, mandement qui date de 1848.
    Ah ! messieurs, entre 1848 et l'heure présente, il faut placer non- seulement trente années, mais une longue série d'événements dont il faut tenir compte et qui ont fait de l'Église catholique, ainsi que je le disais hier, un adversaire de la société moderne, un adversaire du régime républicain, un adversaire de la. liberté. (Très bien ! à gauche. - Réclamations l droite.)
    On vient déclarer avec assurance, - et c'est à M. le garde des sceaux que je m'adresse, - on déclare que la loi n'a jamais été violée. Mais à la chancellerie, à l'heure où je parle - je le sais et je l'affirme - des plaintes ont été adressées contre des prédications véhémentes, contre des philippiques enflammées mettant à l'index nos institutions, nos lois, cette Chambre même; j'en appelle au témoignage de ceux de mes collègues qui savent ce qui se passe et qui connaissent les faits.
    Voix diverses à gauche. Oui ! oui ! - T'ous les dimanches!
    A droite. Les preuves? les preuves ?
.....................................................
    Est-ce quo le Syllabus n'existe pas? Est-il ignoré da M. le garde des sceaux? En dépit des exclamations qui peuvent partir du banc des ministres, non-seulemont le Syllabus existe, mais il y a des commentaires du  Syllabus, et il y en a partout; ils se répandent à profusion non-seulement dans le monde des fidèles, mais dans les écoles même ou se distribue l'enseignement élémentaire.
    Voici un dignitaire de l'Église, M. Gaume, évêque in partibus, à ce qu'on m'annonce; il a publié un Petit catéchisme du Syllabus, dont je vous demande la permission de vous lire quelques extraits.
    A gauche, Lisez! lisez!

M, Charles Boysset. Dès l'avant-propos, On peut voir quels sont les sentiments, les ardeurs, les passions, qui animent aujourd'hui l'Église.
    " La soumission au Syllabus est un de voir de conscience pour tous les chrétiens. sans exception. . . . " - à commencer par M. le garde des sceaux. ( Rires à gauche.) .
    "Tous, par conséquent, doivent connaître le Syllabus et le connaître si bien qu'il soit pour chacun, prêtre ou simple fidèle. habitant des villes ou habitant des campagnes, un oracle invariable. Ainsi l'exige non-seulement l'obéissance à l'Église. mais encore la nécessité d'éviter les pièges tendus sous nos pas, c'est-à-dire les erreurs qui circulent autour de nous, nombreuses comme les atomes de l'air, et non moins contraires aux. intérêts temporels des peuples que funestes au salut des âmes. "
....................................
    M  1e garde des sceaux  veut  le maintien du. budget. des cultes dans son intégralité plénière. Deux raisons sont invoqués par lui. La première, c'est que c'est là un service public, non point universel, non point obligatoire, il n'a pu aller jusque-là. mais un service public, utile et nécessaire. Et, procédant par voie d'assimilation ; il s'écrie: Prenez  garde  ! Où
 vous engageriez-vous si par aventure, il vous arrivait de supprimer, ou même de diminuer, d'amoindrir les ressources du. budget des cultes ? Par la 'logique même des choses,  vous seriez amenés à faire disparaître successivement la totalité des chapitres de notre budget national, car vous n'y rencontrez pas un chapitre qui soit absolument utile à tous, sauf exception.
    Et M. le garde des sceaux, poursuivant son raisonnement, ajoute: "Lorsque nous avons crée, lorsque nous créons encore, lorsque nous subventionnons des établissements d'enseignement secondaire ou supérieur, ne voyez-vous pas que le pauvre cultivateur qui, à la sueur de son front, trace son sillon dans la campagne, n'en aura jamais le bénéfice?
    J'en demande pardon à M. le garde des sceaux, mais il n'est pas possible que son esprit éminent, que sa raison si ferme et si sûre  aient pu se laisser prendre à des raisonnements de cette inanité. (Murmures à droite. - Très bien! sur quelques bancs à gauche.)
    Lorsque nous créons des établissements d'enseignement secondaire ou supérieur, ne voyez-vous pas et chacun ne comprend-il pas clairement que ces établissements sont ouverts à tous, et, que le fils du plus grossier manœuvre, le fils du plus humble paysan peut y accéder et y recevoir la vie intellectuelle supérieure qui est distribuée dans ces établissements précieux?
    Dès lors, au point de vue puissantiel, si je puis ainsi dire,  est-ce que ces établissements  n'appartiennent pas à tous? Est ce qu'un seul citoyen peut se désintéresser de la création de ces foyers de lumière? est-ce qu'un seut peut être tenté de soutenir qu'ils lui sont inutiles? Est-ce que vous n'apercevez pas que dans ces instituts supérieurs, dans ces séminaires de la science, que la lumière et la force sont données à pleines mains, et qu'elles rejaillissent directement ou indirectement, sur le pays tout entier, sans que le bénéfice soit détourné d'un seul? .
    On n'a pas fourni un seul argument, je le répète,. pas un seul argument solide - Non, ce n'est point ainsi que la question doit être posée. La question? c'est celle de savoir si, dans un culte quelconque, parmi les quatre cultes que vous subventionnez par privilège, il s'en trouve un qui ait ce caractère de généralité et d'universalité juridique nécessaire, obligatoire, qui intéresse tous les citoyens sans exception.
    Je défie quiconque de le soutenir, et M. le garde des sceaux. lui-même, ne l'a pas tenté. Qu'il y ait quelque utilité dans telle ou telle doctrine, dans telle ou telle philosophie, c'est là une appréciation individuelle pouvant être contestée par une appréciation individuelle différente. A moins que vous n'arriviez à abolir d'un trait de plume cette immense et précieuse conquête de la liberté de conscience , qui forme une partie de notre patrimoine social depuis 1789, cela n'est pas possible.

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Sénat
13 décembre 1876

M. le marquis do Franclieu. Messieurs l'Église libre dans un État libre, telle est la grande question soulevée avec une irritation fiévreuse à la tribune et dans la presse, au début de la discussion du budget des cuItes dans la Chambre des députés.
    Les arguments pour ou contre le sont présentés en foule de part et d'autre; mais la  lumière ne s'est produite pour personne, parce que, volontairement ou non, on a confondu la liberté de l'Église et de l'État avec la séparation de l'Église et de l'État; deux ordres d'idées et de faits tellement différents l'un de l'autre, que le premier est la proclamation d'une vérité primordiale, tandis que l'autre est la négation même des conditions d'existence les plus essentielles à toute société pour pouvoir se soutenir et prospérer dans le temps.
    Quelques considérations s'adressant au plus simple bon sens peuvent suffire, je le crois du moins, à convaincre quiconque peut encore rentrer en soi-même. Je vais avoir l'honneur d'essayer de vous les exposer si vous voulez bien m'accorder un moment d'attention. (Parlez ! parlez ! à gauche.) Je n'en abuserai pas pendant longtemps.
    Qu'est-ce que l'Église libre dans un État libre? Et tout d'abord, qu'est-ce que l'Église? qu'est-ce que l'État? (Ah! ah! sur les mêmes bancs.)
    La solution de ces trois questions est d'autant plus indispensable, qu' il est impossible de s'entendre sur les conclusions auxquelles il nous faut arriver, si nous ne sommes pas préalablement d'accord sur les expressions dont nous nous servons.
    Qu'est-ce donc que l'Église?
    Tout vous répond, depuis dix-neuf siècles, que l'Église est la société des fidèles, réunis dans une même foi, sous la direction d'un sacerdoce éclairé et maintenu dans l'unité par une autorité infaillible, dont la mission reste la même depuis le premier jour et le prolongera jusqu'à la fin des temps; par un miracle dont il dépend de chacun de constater la réalité et les effets.
    Jésus-Christ a dit à ses apôtres... (Ah ! ah ! à gauche. -Bruit à droite): Mon royaume n'est pas de ce monde; allez et enseignez ; et à Pierre en particulier: Tu confirmeras tes frères dans la vérité; ce que tu lieras sera lié, ce que ta délieras sera délié.
    Tout cela est simple, clair et formel; il en résulte nécessairement pour le sacerdoce le devoir de ne s'adresser qu'au for intérieur de l'homme, de convaincre sa raison et de l'amener volontairement à Dieu; pour le chrétien, le droit d'être incessamment en rapport avec le sacerdoce, de peser la parole et de recourir à son pouvoir de lier et de délier.
    Ainsi, le devoir absolu du prêtre d'enseigner et le droit imprescriptible du chrétien de le confirmer dans sa foi, se réunissent pour délimiter une sphère d'action dans laquelle l'Église doit jouir d'une indépendance complète.
    D'autre part, ce qu'on appelle l'État est le le pouvoir administratif et coercitif d'une association plus ou moins considérable, déterminée par une force des choses invariable, c'est à dire en vertu d'une loi naturelle ou providentielle ayant pour raison d'être et pour but de faire naître l'homme, de le développer à l'aide de toutes les forces résultant de la collectivité et de lui garantir l'usage de son libre arbitre et des facultés dont il est doué, à la condition de ne porter aucune atteinte au libre arbitre ni aux droits de ses semblables.
    Si ces deux définitions sont l'expression même des vérités que la révélation divine nous enseigne et que l'expérience de tous les temps confirme tous les jours davantage, il est impossible de ne pas reconnaître que le domaine de l'État ne comprend que la. partie extérieure de l'homme, et que, pour ce qui la rapporte à les fins éternelles, celui-ci ne doit dépendre que de sa conscience propre pour ce que l'Église lui propose de croire et de prendre pour règle de conduite.
    La question posée en ces termes serait bien simple et il y a longtemps qu'elle aurait été résolue sans appel, si, à côté du principe de la liberté de l'Église, on ne se trouvait pas incessamment en face de toutes les difficultés de l'application.
    Il ne suffit pas de dire à l'Église qu'elle est libre pour qu'elle le soit ; il faut encore  que les lois dépendantes de l'initiative des pouvoirs politiques lui garantissent l'usage de cette liberté, et qu'elle soit en possession des institutions à l'aide desquelles elle puisse se faire entendre partout.
    En droit, l'Église doit être absolument libre ; par le fait, elle a toujours dépendu, dans des proportions variables, du libre arbitre des peuples ; parce que nulle part encore on n'a voulu admettre et reconnaître sincèrement que le for intérieur de l'homme, qu'il le veuille ou non, appartient exclusivement à Dieu, son créateur.
    Sans doute, sauf dans quelques rares moments d'oblitération complète, pendant lesquels un peuple ou une partie de ceux qui le composent arrivent jusqu'à nier Dieu; sans doute, toujours et partout les gouvernements ont déclaré, ainsi que le faisait dernièrement un ministre des cultes (Sénat, 2 décembre 1876) à cette tribune, qu'il n'y avait pas de société qui pût subsister en dehors de la reconnaissance d'un être supérieur, et de l'accomplissement des devoirs dont l'homme ne peut s'affranchir sans devenir la victime de sa révolte.
    C'est déjà beaucoup qu'une pareille profession de foi dont l'universalité accuse irrésistiblement la nécessité; mais ce n'est pas tout, Il faut encore, sous peine de tomber dans des contradictions de nature à tout confondre et à tout détruire, vouloir les conséquences naturelles d'un fait qui s'impose et contre lequel tout est vain, puisqu'en s'y refusant on arrive invariablement au néant. Il faut donc, dès le moment où un peuple ne peut se passer d'une religion professée ouvertement, qu'il y ait un
culte et des ministres de ce culte.
    La question n'a jamais été posée autrement; mais comment a-t-elle été généralement résolue? Excepté en France, jusqu'à la fin du siècle dernier, et encore dans une certaine mesure, depuis Luther, sachant parfaitement que, s'ils peuvent exercer une influence directe sur les actes extérieurs de l'homme, par la loi ou par la force, il leur est impossible d'agir sur la raison, la conscience et la volonté individuelles sans parler au nom de Dieu, presque tous les gouvernants voulurent, dans un espoir d'une domination sans limites, réduire le clergé à l'état de fonctionnaires spéciaux, préposés à la direction des âmes sous l'inspiration des pouvoirs temporels.
    C'était violer le libre arbitre imprescriptible de l'homme et se heurter contre la première et la plus essentielle des conditions dans lesquelles Dieu a voulu nous placer en nous envoyant sur la terre.
    Je n'ai pas à vous faire ici l'historique de tous les maux qu'une pareille aberration a déversé sur l'humanité tout entière. Vous savez aussi bien, et peut-être mieux que moi, ce qui a résulté de troubles, de guerre civiles et autres, de spoliations, de ruines et de sang versé, à la suite de la révolte contre l'Église, d'un moine qui voulait satisfaire et justifier sas convoitises et ses passions.
    ici et là, on a vu des princes régnants devenir pontifes de leurs sujets, et ailleurs, devant la résistance de quelques uns de ces princes de la terre, des peuples ont conduit leurs souverains à l'échafaud et sont arrivés, peu à peu, à la négation de toutes les vérités, en dehors desquelles les nations et les hommes se ravalent au-dessous de la brute la plus immonde.
    Nous ne pouvons plus le nier aujourd'hui ; les échos nombreux et retentissants de la presse, sinon certaines discussions officielles dans lesquelles on cherche à rassurer les timorés, tout nous démontre que les hommes qui se prétendent l'expression de la volonté nationale veulent nous condamner à ce dernier degré de l'avilissement.
    Heureusement les apparences ne sont pas d'accord avec la réalité. En dépit de tout ce qu'on dit et des infamies que les journaux colportent dans le monde entier, jamais notre pays n'a été aussi sérieusement ni aussi sincèrement catholique qu'il ne l'est en ce moment. Je l'affirme en face de tous les détracteurs de l'Église, et je puis vous promettre, messieurs, à vous qui êtes le dernier espoir de notre pays, que si, tout à l'heure, vous rétablissez au budget des cultes les allocations supprimées en haine de notre sainte religion, vous verrez l'opinion publique des honnêtes gens, 1a seule durable et féconde, vous applaudir et vous remercier.
    On a pu jusqu'à présent calomnier l'Église et l'accuser de prétendre à une suprématie universelle, au temporel comme au spirituel. C'est un mensonge auquel il n'est plus possible de se laisser prendre maintenant que la révolution se montre ouvertement ce qu'elle est et qu'elle ne dissimule plus le but qu'elle veut atteindre.
    La preuve de ce que j'avance est partout ; l'Église, fidèle à sa mission formulée par ces deux mots, que j'ai déjà indiqués: " Allez et enseignez, " n'a et ne saurait avoir d'antre volonté que de projeter partout sa divine lumière, en laissant à l'homme et aux nations, sous leur responsabilité propre, la complète liberté d'en profiter ou non.
    Je vais, si vous voulez bien me le permettre, messieurs, appeler ici à mon aide un document devant lequel toute personne de bonne  foi doit s'incliner avec respect et se rendre.

    Un sénateur. A la question ! Au budget!

M. le marquis de Franclieu. Je parle de la liberté de l'Église, de la liberté de l'État, des rapports entre l'Église et l'État. Je suis à la question, car cette question a été constamment traitée.

    A gauche. Parlez ! parlez!

M. le marquis de Franclieu. Peu de temps avant la réunion du dernier concile, alors que tous les esprits se préoccupaient
si vivement de l'infaillibilité du pape dont on se préparait à définir le dogme, un ministre de l'Empire, catholique libéral, adressa
au cardinal Antonelli un mémorandum, véritable acte d'accusation contre les prétendus empiétements de la puissance ecclésiastique, dans lequel il signalait, avec une crainte affectée, les dangers que le concile allait faire courir à la société moderne.
    Le secrétaire d'État de Pie IX s'empressa de répondre par une note diplomatique, certainement approuvé par le pape, où, avec une impitoyable logique, il réduisait à néant les décevantes arguties du ministre français, en exposant rapidement la nature des rapports qui existent entre l'Église et la société civile.

    Une voix à droite. Et le budget ?
    Plusieurs sénateurs à gauche. Parlez ! parlez!

M. le marquis de Franclieu. C'est précisément ce que j'avais l'honneur de vous exposer au commencement, et du moment que nous avons ici l'avis de l'Église, il me semble qu'on peut l'écouter.
    Voici cette note que je livre à vos méditations :
    "L'Église n'a jamais entendu et n'entend point exercer un pouvoir direct et absolu sur les droits politiques de l'État. Elle a reçu de Dieu la sublime mission de conduire les hommes, soit individuellement, soit réunis en société, à une fin surnaturelle. Elle a donc, par là même, le pouvoir et le devoir de juger de la moralité et de la justice de tous les actes, soit intérieurs soit extérieurs dans leur rapport ave les lois naturelles et divine. Ors, comme toute action. qu'elle soit ordonnée par un pouvoir suprême ou qu'elle émane de la liberté de l'individu, ne peut être exempte de ce caractère de morale et de justice; ainsi advient-il que le jugement de l'Église, bien qu'il porte directement , sur la moralité des actes, s'étend indirectement sur toutes les choses aux quelle cette moralité vient se joindre. Mais ce n'est point là s'immiscer directement, dans les affaires politiques, qui, d'après l'ordre établi de Dieu et d'après l'enseignement de l'Église elle-même, sont du ressort du pouvoir temporel, dans dépendance aucune d'une autre autorité. La subordination du pouvoir civil au pouvoir religieux s'entend aussi de la prééminence du sacerdoce sur l'empire, eu égard à la supériorité de la fin de l'un, comparée à celle de l'autre. Ainsi, l'autorité de l'empire dépend de celle du sacerdoce, comme les choses humaines dépendent des choses divines, les choses temporelles des choses spirituelles.
    "Si la félicité temporelle, qui est la fin de la puissance, est subordonnée à la béatitude éternelle, qui est la fin spirituelle du sacerdoce, ne s'ensuit-il pas qu'à considérer le but en vue duquel Dieu les a établis, un pouvoir est subordonné à l'autre comme sont aussi subordonnées leur puissance et la fin qu'ils poursuivent ?
    "Il résulte de ces principes que si l'infaillibilité de l'Église embrasse - mais non pas dans le sens indiqué de la dépêche française - tout ce qui est nécessaire à la conservation de l'intégrité de la foi, nul préjudice n'en dérive ni pour la science, ni pour l'histoire, ni pour la politique. La prérogative de l'infaillibilité n'est pas un fait inconnu dans le monde catholique ; le suprême magistère  de l'Église a dicté de tous temps des règles de foi, sans que l'ordre intérieur des États en ait été atteint et sans que les princes aient eu à s'en alarmer. Ceux-ci mêmes, appréciant avec sagesse l'influence de ces règles au point de vue du bon ordre de la société civile, se firent souvent eux-mêmes les vengeurs et les défenseurs des doctrines définies, et en procurèrent, grâce au concours de la puissance royale, la pleine et respectueuse observance.
    "Ne suit-il pas encore de là que si l'Église a été instituée par son divin fondateur comme une vraie et parfaite société, distincte et indépendante du pouvoir civil, investie d'une pleine et triple autorité législative, judiciaire et coercitive, il en dérive aucune confusion dans la marche de la société humaine et dans l'exercice des droits des deux pouvoirs ? La compétence de l'un et de l'autre sont clairement distinctes et déterminées par la fin respective qu'ils poursuivent. En vertu de son autorité, l'Église ne s'ingère point d'une manière directe et absolue dans les principes constitutifs des gouvernements, dans les formes de divers régimes civils, dans les droits politiques des citoyens, dans leurs devoirs à l'égard de l'État et dans les autres matières indiquées par la note de M. le ministre. Mais nulle société ne peut subsister sans un principe suprême, régulateur de la moralité de ses actes et de ses lois.
    "Telle est la sublime mission que Dieu a confiée à l'Église en vue de la félicité des peuples, et sans que l'accomplissement de ce ministère entrave la libre et prompte action des gouvernements. C'est l'Église, en effet, qui lorsqu'elle leur inculque ce principe de rendre à Dieu ce qui appartient à Dieu et à César ce qui appartient à césar, impose en même temps à ses fils l'obligation d'obéir en conscience à l'autorité des princes. Mais ceux-ci doivent bien aussi reconnaître que s'il s'édicte quelque part des lois opposées aux principes de l'éternelle justice, obéir, ce ne serait plus rendre ce qui appartient à César, mais dérober à Dieu ce qui appartient à Dieu."
    Vous comprendrez  fa-cilement, messieurs. que je n'ai rien à ajouter à cette monition que j'ai l'honneur et le bonheur de vous faire connaître ou de rappeler à ceux d'entre vous qui l'ont oubliée après l'avoir reçue. Ce serait en infirmer l'autorité.
    Je me contenterai, en descendant de cette tribune, d'en faire ressortir la signification indiscutable pour quiconque croit en Dieu.
    Bien loin de vouloir la séparation de l'Église et de l'État, il faut que l'Église libre et l'État libre se prêtent un mutuel concours pour le plus grand bonheur de l'homme dans ce monde et dans l'autre. Nous ne pouvons donc pas enlever à l'Église des moyens d'action dont elle ne saurait se passer, et qui ne sont pas même, de bien loin, la représentation de ce dont la Révolution l'a spoliée, (Très bien ! sur plusieurs bancs,)