Succès républicain aux élections législatives du 4 et 18 octobre .

Chambre des députés
1er juillet 1885

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M. de Baudry d'Asson. Messieurs, depuis que le défunt leader du parti républicain lui donna publiquement ce mot d'ordre : "Le cléricalisme, voilà l'ennemi! " c'est sur le budget des cultes que la République a livré, chaque année, à ses adversaires, ses plus implacables batailles. (C'est vrai ! à droite.)
    César disait à ses soldats aux prises avec les troupes de Pompée: " Soldats, frappez au visage ! " Gambetta, parodiant le cri du vainqueur de Phareale, recommandait une autre tactique à ses amis politiques: "Républicains, s'écriait-il, frappez à la bourse!" (Bruit.)
    La consigne a été exécutée avec une discipline de fer. D'un budget à l'autre, la majorité républicaine a réduit, bon an mal an, de 2 millions la dotation du clergé. Quatorze millions en sept ans, voilà les dépouIlles opimes prélevées par les vainqueurs sur les vaincus !
    Il y avait des conventions et des traités, cependant, qui semblaient devoir garantir à perpétuité la dotation des cultes. C'étaient, messieurs, vos ancêtres en révolution qui en avaient consenti les stipulations. Quand ils confisquèrent, à titre de biens nationaux, le patrimoine de l'Église et des œuvres, ils avaient législativement grevé le Trésor public d'une rente annuelle et perpétuelle au profit des dépossédés. S'étant approprié le fonds, il s'étaient résignés à payer un revenu qui pût assurer aux spoliés une honorable indemnité.
    Vint le Concordat qui sanctionna le nouveau régime.
    Vous n'avez pas su respecter ce contrat international dans son intégrité; .vous avez cessé, permettez- moi de vous le dire, de faire honneur à la parole et à la signature de vos prédécesseurs.
    Ce qui était une dette de justice, une obligation sacrée, vous en avez fait une sorte d'aumône volontaire et constamment réductible ou révocable à votre gré. L'indemnité légale, vous l'avez transformée, d'abord, en traitement facultatif, et aujourd'hui, vous en êtes rendus à la considérer comme un salaire ! (Très bien! très bien! à droite.)
    La pensée injurieuse, et le mot, aussi impropre que blessant s'étalent à 1a page 3 du rapport superficiel de M. Maunoury sur le projet de loi portant fixation des dépenses du budget des cultes pour l'année 1886. Pour vous, les cardinaux, les archevêques, les évêques, les vicaires généraux, les prêtres desservants ou vicaires, ne sont plus que des salariés au même titre que les cantonniers et les hommes de peine. La commission du budget des cultes le dit expressément : " L'intention du ministère est de ne plus salarier les chanoines. "
    Il ne se passe guère un jour, non plus, sans que les ministres, les sous-ministres et leurs agents de toute catégorie et de tout ordre ne prétendent traiter les membres du personnel des cultes comme de simples fonctionnaires assujettis au bon plaisir des détenteurs des pouvoirs publics. C'est à cette interversion des rôles, à cette méconnaissance des situation, que nous devons les scandales des procédés administratifs employés par des législateurs éphémères et des ministres d'un jour contre les autorités les plus vénérables de notre sacerdoce si saint, si patient et si dévoué! (Très bien ! très bien! à droite. - Bruit à gauche.)
    J'use de mon droit le plus strict en protestant, messieurs, contre de telles prétentions et d'aussi coupables abus de pouvoir.
    Parce que vous détenez la fortune des capitalistes et l'épargne des rentiers dans les coffres du Trésor public, oseriez-vous les bafouer et les outrager ? Non, n'est-ce pas ! Vous auriez trop peur de les voir affluer à vos guichets et à vos caisses pour vous réclamer leurs dépôts. Ce serait la banqueroute immédiate et irrémédiable. Vous seriez forcés d'avouer que vos coffres sont vides et qu'il vous est absolument impossible, pour le moment, de représenter les milliards qui vous ont été confiés et dont vous faites chaque jour un si triste emploi. ('Très bien ! très bien!) Oui, parce que vous avez tout craindre du rentier, vous le laissez en paix.
    Vous feriez sagement, messieurs, je vous le dis sans esprit de parti...., de montrer le même respect pour le clergé. Vous le devez, d'abord, car ce n'est pas librement et volontiers qu'il a vu passer sa fortune entre vos mains.
    Appelons les choses par leur nom, c'est mon système : Eh bien, oui, c'est une spoliation flagrante qui vous a constitués les débiteurs du clergé, Nos évêques, nos prêtres n'auraient que faire de vos ressources budgétaires si la Révolution ne les avait pas  indignement dépouillés du patrimoine que l'Église avait acquis par le travail, les sacrifices volontaires et les dons de la charité, (Très bien! très bien ! à droite.)
    En vertu de la spoliation de la fin du dernier siècle, vous avez contracté une dette sacrée, celle qui consiste à assurer aux ministres du culte, vos créanciers, messieurs, et non vos salariés... (Vif assentiment à droite), une indemnité digne et convenable, une redevance annuelle légalement établie et, jusqu'à vous, messieurs, loyalement servie même dans les jours troublés qui ont assombri notre histoire. (Bruit à gauche.)
    Inutile de vous apporter des témoignages, puisqu'il vous serait impossible de nier un fait aussi indiscutable. Cette indemnité convenable, qu'en avez-vous fait ? Alors que la valeur de l'argent eu devenue trois ou quatre fois moindre qu'elle n'était il y a quatre-vingts ans, vous ne cessez de réduire la redevance que vous êtes, en vertu des spoliations de la Convention, condamnés à remettre annuellement au clergé. Vous renouvelez, laissez-moi vous le dire, les procédés qui ont déshonoré la première Révolution.
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    J'en appelle à tout homme de bonne loi: est-ce une indemnité convenable celle qui met la disposition des ministres du culte catholique une somme annuelle de quarante millions ?
    Il y a 43.353 membres actifs du clergé qui reçoivent leur part de cette allocation. Comptez bien, messieurs: cela représente, en moyenne, 922 fr. pour chacun d'eux. Vous donnez au pasteur protestant 2.111 fr. ...
    A gauche. Il est marié !
    ..... au rabbin israélite, 2.522 fr...; au mufti musulman, plus de 1 ,600 fr., et vous marchandez à nos prêtres les 922 fr... qui représentent les milliards des biens meubles et immeubles confisqués par la Révolution !
    Appellerez-vous ces 922 fr. un traitement convenable? Le moindre de vos employés, le plus modeste des hommes de peine que vous appelez à vous servir dans les ministères reçoit - le budget en rait foi - an minimum de 1.200 fr.. - ce n'est pu trop du reste, - et, passez moi le mot, vous vous acharnez, chaque année, à rogner encore sur les 922 fr... de nos desservants.
     C'est là, messieurs, une politique inhumaine et souverainement inique. Ce n'est pu tout; avec le payement de ces 922 fr., vous avez la prétention de réduire nos malheureux prêtres, vos nobles victimes, au rôle de fonctionnaires salariés. Vous leur contestez l'exercice des droits civils, la discussion des affaires publiques, l'initiative légale, l'ingérence dans les luttes politiques et jusqu'au droit de contrôle et de critique des actes du Gouvernement, (Très bien ! très bien! - Bruit à gauche.)
    Ne blâmeriez-vous pas, en effet, même dans les tristes temps dans lesquels nous vivons, ce prêtre qui s'occuperait activement de faire échouer un candidat républicain, c'est-à-dire un persécuteur de la religion, pour faire triompher un candidat catholique, un candidat dévoué à la cause religieuse? (Très bien ! à droite.)
    Ce prêtre, diriez-vous, mais c'est un intrigant... (Rires à gauche), c'est plus, c'est un traître ! Ne doit-il pas tout au Gouvernement, puisqu'il émarge au budget des cultes ?
    Et moi, j'oserais voue dite: Ce prêtre, c'est un excellent prêtre, c'est un homme de devoir, parce qu'il a défendu dans la plénitude de son droit la religion de Dieu dont il est le ministre. (Très bien! à droite.) C'est un héros, car il a bravé vos menaces, vos colères et vos haines; c'est un apôtre éclairé, car il a su comprendre qu'il ne vous devait rien, absolument rien, en dehors de la prière pour votre conversion ! (Rires ironiques à gauche et au centre. - Approbation à droite.)
    Jusqu'ici, confiants dans leur esprit de paix, leur patience et leur résignation, vous les avez. traités, nos prêtres, comme des hommes inoffensifs. Prenez-y garde, messieurs, la charité la plus héroïque a des Imites, celles de la conscience et du devoir.
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    Ce que M. René Goblet s'est permis d'appeler un abus, un écart de langage, les catholiques, en masse, l'ont appelé un acte apostolique, un cri vengeur d'une grande conscience sacerdotale. une éclatante revendication des droits les plus sacrés.
    Nos persécuteurs l'ont compris comme nous; la preuve en est dans le déchaînement de leurs colères et de leurs menaces.
    Vous êtes, messieurs, à tel point pénétrés de la réprobation que soulève  dans le pays cette guerre hypocrite que, depuis sept ans, vous poursuivez impitoyablement contre Dieu, l'Église, les sacerdoce et les consciences catholiques, qu'aujourd'hui, à la veille de comparaître de nouveau devant le corps électoral. vous n'avez pas osé continuer ostensiblement les hostilités. Vous avez étouffé dans 1a commission du budget, et vous écarterez de cette tribune les propositions que l'esprit de secte, l'ordre des loges qui vous inspirent et les impatiences de la. rage persécutrice prétendaient imposer à vos complaisances antireligieuses. (Exclamations et rires à gauche. ~ Très bien! très bien ! à droite.)
    Le rapport de M. Maunoury est muet sur tous les projets qu'une haine infernale fait naître dans l'esprit des enfants terribles de l'anticléricalisme. Ce rapport, d'ordinaire le plus long et le plus passionné, tient cette fois en quatre feuillets. (Rires à gauche) Il ne soulève qu'un coin du voile qui cache aux yeux de la foule les projets implacables de l'irréligion et de l'athéisme.
    La suppression du budget des cultes vous a été demandée formellement; vous avez répondu : Ce n'est pas une question budgétaire, et, quel qu'en puisse être le caractère, nous l'examinerons à fond après les prochaines élections !
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    La vérité, c'est que vous ne voudriez pas être chargés d'un aussi lourd bagage de responsabilité pour comparaître devant le corps électoral. Vous sentez que vous ployez déjà sous le triple fardeau des aventures coloniales, de la crise agricole et du déficit. (Rumeurs à gauche. - Très bien ! très bien ! à droite.)
    Mais il est de notre devoir, à nous députés catholiques, membres de la minorité. de ne pas laisser surprendre l'opinion par votre suspension d'armes et votre feinte modération. (Très bien ! très bien! à droite.)
    Non, vous n'avez pas désarmé; non, vous n'avez z pas renoncé à votre campagne de déchristianisation de notre France. (Rires à gauche.) Le rapport de votre commission du budget des cultes le dit expressément, c'est une halte, une suspension d'armes, une sorte d'armistice que la majorité de cette Chambre et le Gouvernement entendent mettre à profit pour retremper dans les passions démagogiques et consacrer les quatre années d'une nouvelle législature à porter le dernier coup aux institutions religieuses de notre malheureux pays.
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    Vous voulez reprendre et consommer contre les catholiques l'œuvre des Dioclétiens, des Nérons, des Julien l'Apostat... (Bruyante hilarité à gauche), l'œuvre des conventionnels et des adorateurs de 1a déesse Raison. (Très bien! très bien ! à droite,)
    Eh bien, il faut que le peuple qui tient au baptême. à la première communion, au mariage chrétien, à la messe, à la prière, aux derniers saCrements, à l'enterrement en terre sainte, à son église, à son curé, à la foi de ses pères et à la plus chère des libertés, messieurs, à la liberté de conscience ! ... (Vives marques d'approbation à droite), oui ! il faut que ce peuple sache bien que votre réélection serait la fin de tout cela, le retour aux hécatombes de martyrs et aux saturnales sacrilèges et sanglantes qui ont marqué d'un sceau d'horreur, à la fin da dernier siècle, les journées sinistres de la Terreur. (Applaudissements à droite. - Exclamations bruyantes et applaudissements ironiques au centre et à gauche.)

M le comte de Malllé. Mais la Commune a déjà bien commencé, ce me semble !

M. Clovis Hugues. La Commune a commencé, mais vous n'avez pas fini ! Du reste vous avez fusillé quatre mIlle partisans de 1a Commune avant qu'elle ait fusillé quelques prêtres ! (Réclamations à droite.)
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M. de Baudry d'Asson. C'est pour signaler cet immense péril à la France catholique ; oui! c'est pour la préserver de hontes ineffaçables et d'attentats inexplicables que j'ai voulu lui dire encore une fois, du haut de cette tribune : L'ennemi c'est la République! (Applaudissements à droite. - Rires et exclamations à gauche.)
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M. Langlois. Messieurs, ..., en ma qualité de républicain, je crois utile, nécessaire. qu'il y ait aujourd'hui une discussion sérieuse sur la question qui, incontestablement, passionne et divise le plus le pays et pas seulement le pays, mais encore le parti républicain ; je veux parler de la séparation des Églises et de l'État. question qui, vous le savez, se décompose en deux parties: 1° dénonciation da Concordat; 2° suppression du budget des cultes. (Mouvements divers à gauche.)
    Un membre à gauche. Qui empêche aujourd'hui l'accord de se faire là-dessus avant les élections ?

M. Eugène Delattre. Nous étions tous d'accord sur cette question il y a quelque temps. C'était celle qui nous divisait le moins!

M. Langlois. On nous avait promis, il y deux ans, et il semblait que de part et d'autre on avait accepté le rendez-vous, qu'une discussion, et une discussion sérieuse, aurait lieu dans le courant de cette législation. Ce débat n'est pas venu, et comme nous sommes à 1a fin de la législature, je me permets de le provoquer. (Mouvements divers.)
    Voix au centre. Vraiment, le moment est bien choisi !
    Pour ma part, je n'ai aucune objection à faire à la dénonciation du Concordat. ( Interruptions sur divers bancs à gauche.)
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    Quelques-uns, je le sais, prétendent que, le Concordat une fois dénoncé l'État laïque se trouverait désarmé vis-à-vis des délits spéciaux que peuvent commettre les ministres des cultes. (Mouvements divers.)

M. Vernhes. Le droit commun ne compte­t-il donc pour rien? (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)

M. Langlois. Si le Concordat une fois dénoncé, le législateur supprimait complètement, - je dis: complètement, - le budget des cultes, je suis prêt à reconnaître que l'état laïque pourrait bien être désarmé, car, dans cette hypothèse, je suis de ceux qui croient que les articles 199 à 208 du code pénal n'auront plus d'application.
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     Je crois qu'avec la législation actuelle qui, depuis 1876, a supprimé les autorisations, qu'avec la loi sur les réunions publiques, si, demain, vous supprimiez, non pas partiellement. mais complètement le budget des cultes, ceux qui n'émargeraient pas à ce budget, auraient le droit, comme aujourd'hui ceux qui ne sont pas autorisés et ceux qui ne touchent aucun traitement de l'État, de dire légalement: je ne suis pas le ministre d'un culte, et je ne suis justiciable que du droit commun; je suis un citoyen soumis au droit commun et non pas aux articles spéciaux du code.
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M. Lepère. Il fallait commencer plus tôt cette discussion. Toutes les fois que nous avons demandé la. suppression du budget des cultes, vous vous êtes tenu coi. Vous attendez le dernier moment pour soulever cette question. (Très bien! très bien! sur divers bancs à gauche.)

M. Horteur. s'adressant à M. Lepère. Vous avez combattu la. suppression du budget des cuites quand vous étiez ministre.
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M. Langlois. Je répondrai à mon ami Lepère qu'il est certain que depuis deux ans la question a été posée par un amendement demandant la suppression du budget des cuItes, et l'on a répondu à cette tribune que la question était complexe, qu'elle touchait à une autre question : la dénonciation du Concordat, à la question du régime général des rapports de l' État avec les Églises et à la séparation des Églises et de l'État. Il a été dit lci que ces diverses questions ne devaient pas être traitées au moment de la discussion du budget des cultes, mais séparément et lorsqu'on s'occuperait d'une proposition déposée par M. Paul Bert sur ce point C'est à ce moment que le débat a été renvoyé. Le gouvernement a parlé et chacun s'est dit, dans cette Chambre: Nous renvoyons la solution de la question à la discussion de la proposition de M. Paul Bert. Celte discussion n'a pas eu lieu; j'aurais voulu qu'elle se produisit; je me réservais d'y prendre part; mais enfin, à défaut de ce débat, je n'ai plus qu'une ressource, c'est de prendre la parole sur le budget des cultes. C'est ce que je fais.
    Je dis qu'aujourd'hui l'État n 'est pas désarmé; on peut dire, comme M. Delattre, qu'il n'use pu assez des articles 199 à 206 du code pénal. . .

M. Eugène Delattre. Il n'en use pas da tout !

M. Langlois. ... mais, légalement. je le répète, l'État n'est pas désarmé vis-à-vis des Contraventions que pourraient commettre les membres des cultes israélite ou protestant qui n 'ont pas de concordat.
    Je dis donc que l'État ne serait pas désarmé davantage si, après avoir dénoncé le Concordat, il maintenait un certain budget des cultes et, par le seul fait de ce maintien, les articles 199 à 208 du code pénal resteraient applicables. S'il en était autrement, ces articles cesseraient de l'être.
    Et alors, m'adressant non pas seulement aux républicains qui sont ici, mais aux républicains du dehors, je leur dis: La plupart d'entre vous qui sont partisans de la séparation de l'Église et de l'État, le sont justement parce qu'ils trouvent qu'on n'use pas assez contre les membres du clergé, qui font de la politique dans leurs chaires, des articles 199 à 208 du code pénal et surtout des articles 202 à 208. Eh bien, sachez que le jour où l'on supprimerait complètement le budget des cultes, les articles 199 à 208 n'auraient plus d'application contre les membres du clergé catholique.

M. Édouard Lockroy. Pourquoi cela?

M. Langlois. Parce que tout le monde pouvant réclamer le droit commun et dire qu'il est citoyen français, on arriverait à ceci que, dans 36.000 paroisses de France, les prêtres auraient le droit de critiquer et de discuter les actes du Gouvernement, ainsi que les lois votées par des Chambres républicaines, et de les discuter et critiquer aussi vivement qu'on le fait dans toutes les réunions publiques, et cela. au nom du droit commun.

M. Clovis Hugues. Ne les payez pas, laissez -les faire ! (Dénégations et interruptions sur divers bancs à gauche.)
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M. Langlois. M. Jules Ferry disait, il y a deux ans à cette tribune: " Le clergé ne peut être que salarié, ou propriétaire, ou persécuté. (Bruit au centre.)
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    Et il ajoutait: Je ne voudrais jamais d'un clergé persécuté. Dans l'état actuel des croyances, des mœurs et du habitudes en France, je craindrais fort le danger d'un clergé qui deviendrait trop propriétaire; c'est pourquoi pour le moment, et peut-être, disait il, pour longtemps, je suis et je serai pour un clergé salarié.
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    Aujourd'hui, le culte catholique reçoit : 1° de l'État, l'usage gratuit des cathédrales et des palais épiscopaux, usage qui entraîne pour l'État, propriétaire, des dépenses de réparation et quelquefois de construction qui forment une partie, - minime, il est vrai, - du budget des cultes; 2° il reçoit des communes l'usage gratuit des églises; 3° il reçoit de l'État et  facultativement des communes, la réparation et, dans quelques cas, la reconstruction des églises.
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    4° Enfin le culte catholique reçoit des communes, toujours facultativement, le loyer ou l'usage gratuit des presbytères et en plus des subventions en argent pour compléter les traitements des vicaires. Cette dernière dépense n'est plus que facultative depuis le vote de la proposition de M. Jules Roche: elle forme un total peu considérable qui s'élève environ à 2 millions. On peut, sans erreur sensible , s'abstenir d'en tenir compte dans les calculs .
    Le clergé catholique, reçoit en outre, et cette fois ci en argent, de l'État 42 millions, des fidèles comme produit de ses quêtes 50 millions, et comme produit de ses tarifs, !4 millions. Total de ses recettes en argent, 116 millions.
    Pour connaître le salaire réel du prêtres, ­ qu'il vienne des fidèles ou de l'État, peu importe. - il faut évidemment retrancher de ces 116 millions les dépenses qui incombent au clergé, et qui concernent non pas les immeubles, mais le mobilier, les fleurs, les bougies, l'encens, les tentures, les habillements sacerdotaux, ainsi que, il faut bien l'ajouter, les dépenses pour les séminaires, en tant qu'elles incombent au clergé, les salaires des auxiliaires laïques du clergé, tels que les suisses, bedeaux, chantres, organistes, enfants de cœur. Je crois que l'on peut évaluer le total de ces dépenses, provenant de ces divers chefs, à 60 millions au moins; si vous le voulez, ce sera moins, mais les 2 millions dont je n'ai pas tenu compte tout à l'heure se retrouveront ainsi.
 

    J'évalue à 60 millions les dépenses du clergé en y comprenant évidemment les dépenses pour les séminaires, les salaires des auxiliaires laïques, en même temps que les dépenses du matériel.
    La différence entre les 116 millions que reçoit le clergé et les 60 millions qu'il dépense est représentée par la somme de 56 millions. C'est là le salaire actuel et réel des prêtres. On me dit : Pourquoi ne comptez vous pas le loyer des églises, que j'ai indiqué pour mémoire?
    A cela je réponds que, le budget des cultes étant supprimé, le clergé catholique n'en aurait pas moins, par le vote des conseils municipaux, l'usage gratuit des églises, dont les communes sont propriétaires.
    Je ne crois pas, pour ma part, qu'il existe en France, un seul conseil municipal - je n'en excepte pas le conseil municipal actuel de Paris, - qui oserait enlever au clergé l'usage des églises ou des temples, catholiques ou protestants, peu importe, dont la commune est propriétaire.
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    J'ajoute que si, par hasard, un conseil municipal avait cette audace, il créerait dans la commune une agitation telle que le Gouvernement qui, sous tous les régimes, est le gardien de la paix publique, aurait pour premier devoir de consulter la population au plus vite, en commençant par dissoudre le conseil municipal.
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    Le jour où les prêtres n'émargeront plus au budget, ils ne manqueront pas d'exciter, au besoin par des discours prononcés en chaire, la générosité des fidèles. et ils sauront bien multiplier leurs quêtes. Ils obtiendront ainsi la première année trois ou quatre fois ce qu'ils reçoivent aujourd'hui.
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    Le droit commun ne donne-t-il pas à toute personne jouissant de ses droits civils la liberté - j'en appelle aux légistes et je ne crains pu leurs objections - la liberté de se réunir à un nombre illimité de personnes pour constituer avec elles une société de secours mutuels ou d'assurances mutuelles ? Évidemment oui. ....
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M. Roque (de Fillol). Pourraient-ils vivre avec cela?

M. Langlois. C'est la question.
    Je n'ai parlé jusqu'ici que des secours ; vous me permettrez bien de parler aussi des dons et legs. Aujourd'hui, le clergé séculier, le clergé paroissial et diocésain. émargeant au budget de l'État, ne reçoit presque pas de dons et legs; la plupart des dons et legs vont collectivement aux congrégations religieuses autorisées, et, par personnes substituées, aux congrégations non autorisées. Vous savez bien comment ces dernières procèdent;.......
    Le jour où le clergé cessera d'émarger au budget de l'État, les dons et legs ne manqueront pas d'être faits individuellement aux prêtres qui auront fait un contrat d'assurance avec la société mutuelle dont je viens de parler, et ces dons et legs, s'ajoutant aux recettes, des excédents se produiront nécessairement, dans la caisse de cette société mutuelle.  .... le clergé pourrait arriver, en vertu  du droit commun, à se constituer ce que j'appelle des excédents de recettes sérieux, de manière à devenir un propriétaire dangereux.
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    Quant à moi, je me résume, et je dis que si au lieu d'être ce que je suis, un libre penseur, j'étais un fervent catholique, je n'hésiterais pas aujourd'hui à demander la séparation des Églises et de l'État, la suppression du budget des cultes, car je suis convaincu que l'Église y gagnerait.
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    Seulement si la séparation n'était pas votée, dans dix ans je ne serais peut-être pas du même avis ; dans vingt ans, très probablement, et je dirais presque certainement, je serais d'un avis contraire, et comme catholique, comme membre du clergé, je redouterais fort la séparation de l'Église et de l'État. Il est vrai que dans vingt ans je n'aurai pas ce souci : je serai mort ...(On rit)
    Mais comme libre penseur, je suis d'un sentiment inverse : dans vingt ans, je n'hésiterais pas à voter la séparation ; dans sept ou huit ans, cela dépendrait du mouvement des croyances et des mœurs. Pour le moment, il y a à cette mesure un danger réel ; c'est une aventure que l'on courrait, et beaucoup de bons esprits parmi les républicains disent : Ne courons pas cette aventure ; la question n'est pas mûre encore, elle mûrira, et en attendant votons le budget des cultes. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs)
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...Et seuls 122 députés contre 324 s'opposeront au vote de ce budget.