Chambre des députés
1er juillet 1885
M le comte de Malllé. Mais la Commune a déjà bien commencé, ce me semble !
M. Clovis Hugues. La Commune
a commencé, mais vous n'avez pas fini ! Du reste vous avez fusillé
quatre mIlle partisans de 1a Commune avant qu'elle ait fusillé quelques
prêtres ! (Réclamations à droite.)
.......
M. de Baudry d'Asson. C'est pour signaler cet immense péril
à la France catholique ; oui! c'est pour la préserver de
hontes ineffaçables et d'attentats inexplicables que j'ai voulu
lui dire encore une fois, du haut de cette tribune : L'ennemi c'est la
République! (Applaudissements à droite. - Rires et exclamations
à gauche.)
.....
M. Langlois. Messieurs, ...,
en ma qualité de républicain, je crois utile, nécessaire.
qu'il y ait aujourd'hui une discussion sérieuse sur la question
qui, incontestablement, passionne et divise le plus le pays et pas seulement
le pays, mais encore le parti républicain ; je veux parler de la
séparation des Églises et de l'État. question qui,
vous le savez, se décompose en deux parties: 1° dénonciation
da Concordat; 2° suppression du budget des cultes. (Mouvements divers
à gauche.)
Un membre à gauche. Qui empêche
aujourd'hui l'accord de se faire là-dessus avant les élections
?
M. Eugène Delattre. Nous étions tous d'accord sur cette question il y a quelque temps. C'était celle qui nous divisait le moins!
M. Langlois. On nous avait promis, il y deux ans, et il semblait
que de part et d'autre on avait accepté le rendez-vous, qu'une discussion,
et une discussion sérieuse, aurait lieu dans le courant de cette
législation. Ce débat n'est pas venu, et comme nous sommes
à 1a fin de la législature, je me permets de le provoquer.
(Mouvements divers.)
Voix au centre. Vraiment, le moment est bien
choisi !
Pour ma part, je n'ai aucune objection à
faire à la dénonciation du Concordat. ( Interruptions
sur divers bancs à gauche.)
.....
Quelques-uns, je le sais, prétendent que,
le Concordat une fois dénoncé l'État laïque se
trouverait désarmé vis-à-vis des délits spéciaux
que peuvent commettre les ministres des cultes. (Mouvements divers.)
M. Vernhes. Le droit commun ne comptet-il donc pour rien? (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
M. Langlois. Si le Concordat une fois dénoncé,
le législateur supprimait complètement, - je dis: complètement,
- le budget des cultes, je suis prêt à reconnaître que
l'état laïque pourrait bien être désarmé,
car, dans cette hypothèse, je suis de ceux qui croient que les articles
199 à 208 du code pénal n'auront plus d'application.
......
Je crois qu'avec la législation actuelle
qui, depuis 1876, a supprimé les autorisations, qu'avec la loi sur
les réunions publiques, si, demain, vous supprimiez, non pas partiellement.
mais complètement le budget des cultes, ceux qui n'émargeraient
pas à ce budget, auraient le droit, comme aujourd'hui ceux qui ne
sont pas autorisés et ceux qui ne touchent aucun traitement de l'État,
de dire légalement: je ne suis pas le ministre d'un culte, et je
ne suis justiciable que du droit commun; je suis un citoyen soumis au droit
commun et non pas aux articles spéciaux du code.
...........
M. Lepère. Il fallait
commencer plus tôt cette discussion. Toutes les fois que nous avons
demandé la. suppression du budget des cultes, vous vous êtes
tenu coi. Vous attendez le dernier moment pour soulever cette question.
(Très bien! très bien! sur divers bancs à gauche.)
M. Horteur. s'adressant à M. Lepère. Vous
avez combattu la. suppression du budget des cuites quand vous étiez
ministre.
.............
M. Langlois. Je répondrai à mon ami Lepère
qu'il est certain que depuis deux ans la question a été posée
par un amendement demandant la suppression du budget des cuItes, et l'on
a répondu à cette tribune que la question était complexe,
qu'elle touchait à une autre question : la dénonciation du
Concordat, à la question du régime général
des rapports de l' État avec les Églises et à la séparation
des Églises et de l'État. Il a été dit lci
que ces diverses questions ne devaient pas être traitées au
moment de la discussion du budget des cultes, mais séparément
et lorsqu'on s'occuperait d'une proposition déposée par M.
Paul Bert sur ce point C'est à ce moment que le débat a été
renvoyé. Le gouvernement a parlé et chacun s'est dit, dans
cette Chambre: Nous renvoyons la solution de la question à la discussion
de la proposition de M. Paul Bert. Celte discussion n'a pas eu lieu; j'aurais
voulu qu'elle se produisit; je me réservais d'y prendre part; mais
enfin, à défaut de ce débat, je n'ai plus qu'une ressource,
c'est de prendre la parole sur le budget des cultes. C'est ce que je fais.
Je dis qu'aujourd'hui l'État n 'est pas désarmé;
on peut dire, comme M. Delattre, qu'il n'use pu assez des articles 199
à 206 du code pénal. . .
M. Eugène Delattre. Il n'en use pas da tout !
M. Langlois. ... mais, légalement. je le répète,
l'État n'est pas désarmé vis-à-vis des Contraventions
que pourraient commettre les membres des cultes israélite ou protestant
qui n 'ont pas de concordat.
Je dis donc que l'État ne serait pas désarmé
davantage si, après avoir dénoncé le Concordat, il
maintenait un certain budget des cultes et, par le seul fait de ce maintien,
les articles 199 à 208 du code pénal resteraient applicables.
S'il en était autrement, ces articles cesseraient de l'être.
Et alors, m'adressant non pas seulement aux républicains
qui sont ici, mais aux républicains du dehors, je leur dis: La plupart
d'entre vous qui sont partisans de la séparation de l'Église
et de l'État, le sont justement parce qu'ils trouvent qu'on n'use
pas assez contre les membres du clergé, qui font de la politique
dans leurs chaires, des articles 199 à 208 du code pénal
et surtout des articles 202 à 208. Eh bien, sachez que le jour où
l'on supprimerait complètement le budget des cultes, les articles
199 à 208 n'auraient plus d'application contre les membres du clergé
catholique.
M. Édouard Lockroy. Pourquoi cela?
M. Langlois. Parce que tout le monde pouvant réclamer le droit commun et dire qu'il est citoyen français, on arriverait à ceci que, dans 36.000 paroisses de France, les prêtres auraient le droit de critiquer et de discuter les actes du Gouvernement, ainsi que les lois votées par des Chambres républicaines, et de les discuter et critiquer aussi vivement qu'on le fait dans toutes les réunions publiques, et cela. au nom du droit commun.
M. Clovis Hugues. Ne les payez pas, laissez -les faire ! (Dénégations
et interruptions sur divers bancs à gauche.)
..........
M. Langlois. M. Jules Ferry disait, il y a deux ans à
cette tribune: " Le clergé ne peut être que salarié,
ou propriétaire, ou persécuté. (Bruit au centre.)
..........
Et il ajoutait: Je ne voudrais jamais d'un clergé
persécuté. Dans l'état actuel des croyances, des mœurs
et du habitudes en France, je craindrais fort le danger d'un clergé
qui deviendrait trop propriétaire; c'est pourquoi pour le moment,
et peut-être, disait il, pour longtemps, je suis et je serai pour
un clergé salarié.
.............
Aujourd'hui, le culte catholique reçoit :
1° de l'État, l'usage gratuit des cathédrales et des
palais épiscopaux, usage qui entraîne pour l'État,
propriétaire, des dépenses de réparation et quelquefois
de construction qui forment une partie, - minime, il est vrai, - du budget
des cultes; 2° il reçoit des communes l'usage gratuit des églises;
3° il reçoit de l'État et facultativement des communes,
la réparation et, dans quelques cas, la reconstruction des églises.
...........
4° Enfin le culte catholique reçoit des
communes, toujours facultativement, le loyer ou l'usage gratuit des presbytères
et en plus des subventions en argent pour compléter les traitements
des vicaires. Cette dernière dépense n'est plus que facultative
depuis le vote de la proposition de M. Jules Roche: elle forme un total
peu considérable qui s'élève environ à 2 millions.
On peut, sans erreur sensible , s'abstenir d'en tenir compte dans les calculs
.
Le clergé catholique, reçoit en outre,
et cette fois ci en argent, de l'État 42 millions, des fidèles
comme produit de ses quêtes 50 millions, et comme produit de ses
tarifs, !4 millions. Total de ses recettes en argent, 116 millions.
Pour connaître le salaire réel du prêtres,
qu'il vienne des fidèles ou de l'État, peu importe.
- il faut évidemment retrancher de ces 116 millions les dépenses
qui incombent au clergé, et qui concernent non pas les immeubles,
mais le mobilier, les fleurs, les bougies, l'encens, les tentures, les
habillements sacerdotaux, ainsi que, il faut bien l'ajouter, les dépenses
pour les séminaires, en tant qu'elles incombent au clergé,
les salaires des auxiliaires laïques du clergé, tels que les
suisses, bedeaux, chantres, organistes, enfants de cœur. Je crois que l'on
peut évaluer le total de ces dépenses, provenant de ces divers
chefs, à 60 millions au moins; si vous le voulez, ce sera moins,
mais les 2 millions dont je n'ai pas tenu compte tout à l'heure
se retrouveront ainsi.
J'évalue à 60 millions les dépenses
du clergé en y comprenant évidemment les dépenses
pour les séminaires, les salaires des auxiliaires laïques,
en même temps que les dépenses du matériel.
La différence entre les 116 millions que
reçoit le clergé et les 60 millions qu'il dépense
est représentée par la somme de 56 millions. C'est là
le salaire actuel et réel des prêtres. On me dit : Pourquoi
ne comptez vous pas le loyer des églises, que j'ai indiqué
pour mémoire?
A cela je réponds que, le budget des cultes
étant supprimé, le clergé catholique n'en aurait pas
moins, par le vote des conseils municipaux, l'usage gratuit des églises,
dont les communes sont propriétaires.
Je ne crois pas, pour ma part, qu'il existe en France,
un seul conseil municipal - je n'en excepte pas le conseil municipal actuel
de Paris, - qui oserait enlever au clergé l'usage des églises
ou des temples, catholiques ou protestants, peu importe, dont la commune
est propriétaire.
........
J'ajoute que si, par hasard, un conseil municipal
avait cette audace, il créerait dans la commune une agitation telle
que le Gouvernement qui, sous tous les régimes, est le gardien de
la paix publique, aurait pour premier devoir de consulter la population
au plus vite, en commençant par dissoudre le conseil municipal.
.........
Le jour où les prêtres n'émargeront
plus au budget, ils ne manqueront pas d'exciter, au besoin par des discours
prononcés en chaire, la générosité des fidèles.
et ils sauront bien multiplier leurs quêtes. Ils obtiendront ainsi
la première année trois ou quatre fois ce qu'ils reçoivent
aujourd'hui.
.........
Le droit commun ne donne-t-il pas à toute
personne jouissant de ses droits civils la liberté - j'en appelle
aux légistes et je ne crains pu leurs objections - la liberté
de se réunir à un nombre illimité de personnes pour
constituer avec elles une société de secours mutuels ou d'assurances
mutuelles ? Évidemment oui. ....
.......
M. Roque (de Fillol). Pourraient-ils vivre avec cela?
M. Langlois. C'est la question.
Je n'ai parlé jusqu'ici que des secours ;
vous me permettrez bien de parler aussi des dons et legs. Aujourd'hui,
le clergé séculier, le clergé paroissial et diocésain.
émargeant au budget de l'État, ne reçoit presque pas
de dons et legs; la plupart des dons et legs vont collectivement aux congrégations
religieuses autorisées, et, par personnes substituées, aux
congrégations non autorisées. Vous savez bien comment ces
dernières procèdent;.......
Le jour où le clergé cessera d'émarger
au budget de l'État, les dons et legs ne manqueront pas d'être
faits individuellement aux prêtres qui auront fait un contrat d'assurance
avec la société mutuelle dont je viens de parler, et ces
dons et legs, s'ajoutant aux recettes, des excédents se produiront
nécessairement, dans la caisse de cette société mutuelle.
.... le clergé pourrait arriver, en vertu du droit commun,
à se constituer ce que j'appelle des excédents de recettes
sérieux, de manière à devenir un propriétaire
dangereux.
........
Quant à moi, je me résume, et je dis
que si au lieu d'être ce que je suis, un libre penseur, j'étais
un fervent catholique, je n'hésiterais pas aujourd'hui à
demander la séparation des Églises et de l'État, la
suppression du budget des cultes, car je suis convaincu que l'Église
y gagnerait.
.......
Seulement si la séparation n'était
pas votée, dans dix ans je ne serais peut-être pas du même
avis ; dans vingt ans, très probablement, et je dirais presque certainement,
je serais d'un avis contraire, et comme catholique, comme membre du clergé,
je redouterais fort la séparation de l'Église et de l'État.
Il est vrai que dans vingt ans je n'aurai pas ce souci : je serai mort
...(On rit)
Mais comme libre penseur, je suis d'un sentiment
inverse : dans vingt ans, je n'hésiterais pas à voter la
séparation ; dans sept ou huit ans, cela dépendrait du mouvement
des croyances et des mœurs. Pour le moment, il y a à cette mesure
un danger réel ; c'est une aventure que l'on courrait, et beaucoup
de bons esprits parmi les républicains disent : Ne courons pas cette
aventure ; la question n'est pas mûre encore, elle mûrira,
et en attendant votons le budget des cultes. (Très bien ! très
bien ! sur divers bancs)
.....
...Et seuls 122 députés contre 324 s'opposeront au
vote de ce budget.