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26 juin 1905

    * Délibération sur le projet de loi concernant la création d’une école nationale d’arts et métiers à Paris.
    * Délibération sur les diverses propositions de loi relatives aux caisses de retraites ouvrières et portant création de retraites de vieillesse et d’invalidité.
    * Adoption d’une proposition de loi concernant la vente d’îles ou de forts déclassés du littoral
    *Dépôt, par MM. Argeliès, Berthoulat et Rudelle, d'une proposition de loi tendant à ouvrir au ministre de l'agriculture un crédit extraordinaire de 200 000 fr., pour venir en aide aux cultivateurs et habitants des cantons d'Arpajon, Longjumeau et Palaiseau (Seine-et-Oise), éprouvés par de récents orages
* Suite de la délibération sur la proposition de loi concernant la fraude sur les vins et le régime des spiritueux.
* Suite de la délibération sur la proposition de loi présentée par la commission des boissons et relative à l’amnistie pour les contraventions commises par les bouilleurs de cru
* Discussion des interpellations
    1° de M. Jules-Louis Breton sur le fonctionnement des établissements congréganistes d'assistance;
    2° de M. Leferre sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour mettre fin à l'exploitation de l'enfance dans certains établissements de bienfaisance privés;
    3° de M. Jules Coutant sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour faire cesser:
        - les faits scandaleux qui se commettent envers les enfants des enfants mineurs dans les établissements de bienfaisance privés
- le préjudice que cause au commerce, à l'industrie et à la main d'œuvre ouvrière l'exploitation desdits établissements;
    4° de MM. Steeg et Guleysse sur l'application de la loi du 24 juillet 1889 et de la loi du 2 novembre 1892 aux établissements de bienfaisance privés.
    * Communication d'une demande d'interpellation  de M. Paul Vigné sur les abus de notre politique coloniale à Madagascar.
- Jonction aux interpellations relatives au Congo.
* Communication d’un décret désignant un commissaire du Gouvernement pour assister le ministre des finances dans la discussion des projets de loi portant fixation du taux de taxe de fabrication sur les alcools d’origine industrielle pour les années 1904, 1905, 1906.
* Dépôt, par M. le ministre de l’instruction publique et des beaux arts, d’un projet de loi ayant pour objet l’exécution de travaux d’agrandissement à l’observatoire météorologique du Puy de Dôme ...
(Comme ce n’est pas mon propos, je ne connais pas  les résultats des débats à propos de la fraude sur le vin, mais comme  ce sera une des causes de s révoltes des vignerons du Languedoc qui auront lieu deux ans plus tard .... Quant à l’exploitation des enfants dans les établissements de bienfaisance privés, c’était déjà un sujet de  discussion lors des débats sur la loi de 1901 ... Mais tout cela dure depuis quelque temps déjà ; non ?)

suite de la discussion du projet et des diverses propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(41° journée ; réduite et annotée)

M. le président : ... La Chambre s’est arrêté à l’article 23 dont elle a adopté le premier paragraphe.
     Le deuxième paragraphe est ainsi conçu:
     “Une seule déclaration suffit pour l'ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lieu dans l'année. »
......
     Je mets aux voix le second paragraphe de l’article 23.
(Le second paragraphe, mis aux voix est adopté)
     Je mets aux voix l’ensemble de l’article 23
(L’ensemble de l’article 23 est adopté.)
 ......
     « Art. 24.- Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l'exercice d'un culte. »
     Personne ne demande la parole sur cet article?...
     Je le mets aux voix.
(L’article 24, mis aux voix, est adopté.)
     Ici s’insérait comme article additionnel une disposition proposée par M. Charles Chabert (Drôme), et ainsi conçue :
     « Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l’exercice  de leurs fonctions. »
.....
M. Albert Congy : Qu’est-ce qu’un costume ecclésiastique ?

M. Charles Chabert (Drôme) : Il est étrange, il est véritablement incompréhensible qu’un projet de loi si longuement et si mûrement étudiés et à tous égards si remarquable, ne dise pas un mot d’une question qui a une importance extrême, capitale, le porte du costume ecclésiastique.

M. Lasies : ironiquement. En effet, à l’époque où nous sommes c’est d’une importance capitale ! (Rires à droite.)

M. Charles Chabert (Drôme) :  cette omission est-elle voulue ? Est-elle, au contraire, involontaire ? Je ne sais. En tout cas elle a surpris bien des gens dans tous les camps. (Très bien ! très bien ! à gauche )
...
M. Aristide Briand, rapporteur : Messieurs, au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirait que le silence du projet de loi au sujet du costume ecclésiastique, qui paraît le préoccuper si fort, n’a pas été le résultat d’une omission mais bien au contraire d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule (Applaudissements et rires au centre et à droite), que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements.
 ... Ce que notre collègue voudrait atteindre dans la soutane, c’est le moyen qu’elle procure de se distinguer facilement des autres citoyens.
     Mais la soutane une fois supprimée M. Chabert peut être sûr que, si l’Eglise devait y trouver son intérêt, l’ingéniosité combinée des prêtres et des tailleurs aurait tôt fait de créer un vêtement nouveau, qui ne serait plus la soutane, mais se différencierait encore assez du veston et de la redingote pour permettre au passant de distinguer au premier coup d’oeil un prêtre de tout autre citoyen.
...
     Quant au prestige dont jouit la religion dans nos campagnes, je crois qu’il serait téméraire de l’attribuer uniquement à la forme du vêtement que portent les prêtres. L’influence de l’Eglise tient à d’autres causes, moins faciles à détruire ; sinon, il y a longtemps que la libre pensée aurait déjà triomphé du dogme. (Très bien ! très bien ! à droite.)
     Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. Ce costume n’existe plus pour nous avec son caractère officiel, c’est à dire en tant qu’uniforme protégé par l’article 259 du code pénal. La soutane devient, dès le lendemain de la séparation, un vêtement comme les autres, accessible à tous les citoyens, prêtres ou non.......
....
M. Dejeante : ... Depuis longtemps déjà j’avais moi-même présenté des propositions tendant à demander pour les prêtres de tous les cultes le rétablissement du droit commun.

M. Gayraud : Le droit commun, c’est la liberté du costume.

M. Rudelle : C’est de s’habiller comme bon vous semble.
.....
M. Gayraud :  venez donc ici demain avec une soutane.

M. Tournade : Pour être logique, M. Dejeante devra venir habillé en curé à la prochaine séance.
......
(Amendement repoussé par 391 voix contre 184)

M. le président : Nous passons à l’article 25.
     Il est ainsi conçu :
     « Art. 25. - Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d'un culte ne peuvent avoir lieu sur la voie publique.
     « Les cérémonies funèbres seront réglées dans toutes les communes par arrêté municipal dans les conditions de la loi du 15 novembre 1887.
     « Les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal. »
     Il y a sur le premier paragraphe un certain nombres d’amendements mais M. Grousseau en demande la suppression.
....
M. Gousseau : ... Vous [M. le rapporteur] venez de reconnaître que le principe de la liberté de conscience et du libre exercice du culte domine même l’article 25. ... Il domine toute la loi. Donc il faut modifier l’article 25 qui le contredire, en établissant une prohibition absolue que vous ne pouvez pas maintenir....
     ... Le respect de la liberté de conscience conduit au respect mutuel des croyances, mais non à la prohibition des manifestations extérieures du culte. (Très bien, très bien ! à droite)
     [Vous dites] :  « Les manifestations religieuses sur la voie publique seraient susceptibles de troubler l’ordre public .»
     Que de fois nous avons entendu ce mot ! Que de fois M. le rapporteur, M. le président du conseil, se levant pour répondre à tel ou tel amendement, se sont contentés de dire : l’ordre public !
     Nous n’avons pas la prétention d’avoir un souci plus complet de l’ordre public que les socialistes de nos jours. ( Rires.)
...
M. Paul Constans (Allier) : Demandez la liberté pour le drapeau rouge et les manifestations de notre parti et nous subirons vos manifestations religieuses.

M. Le lieutenant-colonel Rousset : Le drapeau rouge n’est pas le drapeau de la France.

M. Gayraud : Je serai avec M. Constans.

M. Grousseau : ... dans le discours que vous avez prononcé, monsieur le rapporteur, lors de la discussion générale, j’ai relevé cette phrase : « le projet de loi sauvegarde toutes les libertés, dans la mesure où les libertés des citoyens et des groupements peuvent être respectées ou élargies dans un pays qui a le souci de l’ordre public »
     Pouvez-vous maintenir cette affirmation en présence de l’article que nous discutons ? Evidemment non, à moins que vous n’ayez de l’ordre public une conception fort dangereuse pour la liberté.
     Remarquez qu’il ne s’agit pas d’une interdiction spéciale et motivée, mais d’une prohibition générale et absolue, alors même qu’il n’y aurait aucune crainte pour la tranquillité publique. N’est-ce pas un régime véritablement odieux ? L’appliquerait-on en dehors des cérémonies extérieures du culte ?
     N’y a-t-il pas d’autres cérémonies, d’autres fêtes, en tous genres, avec leur rassemblements, leurs cortèges, leurs cavalcades ? Avez-vous jamais eu l’idée de défendre tout cela d’avance en bloc par une mesure générale ?
     La manifestation publique des sentiments apparaît de plus en plus comme une nécessité dans un pays démocratique. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)
     Vous ne pouvez pas faire abstraction de cette considération ; .....
     Mais alors, pourquoi pas l’égalité pour tous ; sous les mêmes réserves que pour imposer l’ordre public ....
     Votre troisième et dernier argument, monsieur le rapporteur, est tiré des avantages que peut présenter une disposition générale.
     « Il est sage, dites-vous, d’enlever aux conseils municipaux la responsabilité d’autoriser ou d’interdire les manifestations religieuses sur la voie publique .... La loi, par cette disposition, sera pacificatrice. »
     Vraiment on croirait entendre le ministre de l’intérieur de je ne sais quel gouvernement autocratique ! le ministre d’un monarque absolu n’emploierait pas une formule plus heureuse que celle-ci : Il ne faut pas laisser discuter les conseils municipaux, il faut prohiber une fois pour toute et comme cela nous aurons la paix ! Mais en vérité c’est la paix dont parlait tacite :  ubi solitudinem factunt, pacem appellani. (Nouveaux applaudissements à droite et au centre.)
....
     Je retire mon amendement.
     J’ajoute toutefois un mot...... j’appartiens au groupe de l’action libérale dont la devise est :  « Liberté pour tous. » . (Très bien ! très bien ! à droite .)

M. le président :Nous arrivons à l’amendement de M. Henry Boucher, qui consiste à remplacer le 1er paragraphe de l’article 25 par la disposition suivante :
     « Les processions et autres manifestations externes d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du maire de la commune »
....
M. Noulens a déposé un amendement ainsi conçu :
     « Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte continueront à être réglées en conformité des articles 95 à 97 de la loi municipale du 5 avril 1884 »

M. Henry Boucher : Ainsi que je l’ai exposé à la Chambre, mon amendement n’a qu’un caractère subsidiaire. Je ne le maintiens que pour le cas où, contrairement à mes vœux, on refuserait aux catholiques le droit commun, la liberté dont ils jouissent aujourd’hui. J’affirme encore que la véritable solution consiste dans le maintien du statu quo et je voterai pour l’amendement de M. Noulens, qu’il soit ou non abandonné par lui.
...
M. le ministre des cultes :  L’amendement de M. Noulens va bien au delà du texte primitivement proposé par la commission ; il va au delà également  de la législation actuelle. (Interruption à droite.) S’il était adopté, il accorderait une liberté qui n’existe pas aujourd’hui.
     M. Boucher demande que la loi de séparation ne se traduise pas par une diminution des libertés dont jouissent les catholiques. ...
...
M. Noulens :  Je retire mon amendement. (Mouvements divers)
...
M. Victor Augagneur : J’avoue que tout d’abord j’avais été ému par les arguments de M. Grousseau, nous disant que si nous interdisions les processions, nous serions amenés à interdire les manifestations autres que les manifestations religieuses.
...
 De plus, quand nous parlons de manifestations, de quoi s’agit-il ? Il s’agit, à la suite d’une réunion, à la suite de je ne sait quel mouvement populaire, d’une protestation contre ou en faveur d’une loi, par un certain nombre de citoyens réunis sur la voie publique. Ces manifestations se passent d’une façon irrégulière ; cela n’a rien de commun avec les cérémonies qui se tiennent à jour et à heure fixe dans un même point.

M. Henry Maret :  Et la manifestation du 1er mai ? Elle est périodique celle-là ! (Applaudissements au centre et à droite.)

M. Victor Augagneur : M. Henry Maret me dit : « Et la manifestation du 1er mai ? » Quand donc a-t-elle été acceptée, légalisée par l’autorité ? Les manifestations du 1er mai ont été le plus souvent brutalement arrêtées. (Applaudissements à l’extrême gauche. - Mouvements divers.)
(Le 1er mai  sera légalisé par le gouvernement de Vichy  ; officiellement pour célébrer le « travail » qui était avec la famille et la  Patrie la nouvelle devise de l’Etat. Ne serait-ce pas  pour éviter de dangereuses frictions avec l’occupant nazi ?)
     Je n’apprécie pas ; je constate un fait. ce n’est pas en vous appuyant sur le précédent des manifestations ouvrières que vous pouvez réclamer le droit de faire des processions. Ce n’est pas en invoquant ces manifestations encadrées par les troupes, par la police, non pas pour les protéger contre les adversaires, mais pour arrêter la liberté de leurs évolutions, que vous serez fondés à réclamer un traitement de faveur pour les manifestations religieuses. (Très bien ! très bien ! à l’extrême gauche)
...
M. Ribot : ...Il s’agit en ce moment de savoir si on permettra aux catholiques ce que l’on permet, ce que nous voulons tous qu’on permette à tous les citoyens.

M. Alexandre Zévaès : Même aux ouvriers ?

M. Ribot :  Pourquoi dites-vous : « Même aux ouvrier ! » ... les ouvriers sont des citoyens comme nous.

M. Paul Constans (Allier) : C’est pour cela qu’on les fusille quand ils font une manifestation pacifique. (Exclamations.)

M. Ribot : Il serait vraiment affligeant de voir subsister toutes ces distinctions et tous ces souvenirs des plus mauvais temps de ce pays et de l’éducation déplorable que nous nous sommes donnée . (Très bien ! très bien ! au centre.)
....
(L’amendement de M. Noulens, repris par M. Ribot est adopté par la Chambre, sous ses applaudissements, par 294 voix contre 255)
 

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©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3