suite de la discussion du projet et des propositions de
loi
concernant la séparation des Églises et
de l'État.
(24° journée ; réduite
et annotée)
M. le président : ... La Chambre s'est arrêtée
hier après avoir voté le premier paragraphe de l'article
5.
J'ai annoncé qu'il y avait une disposition
additionnelle à ce paragraphe, présentée par l'honorable
M. Aynard. L'amendement de M.Aynard est ainsi conçu :
"Ajouter au premier paragraphe la disposition suivante
:
"En ce qui concerne les biens des établissements
d'enseignement, l'attribution pourra être faite à une association
déclarée conformément à la loi du 1er juillet
1901"
...
M. Aynard : ...
... il m'a semblé que dans sa réponse
la commission s'était souvent inspirée de cette définition
délicieusement subtile et souple, avec laquelle on peut tout faire,
qui est puisée dans une législation étrangère
: l'affectation voisine.
Or, en matière d'enseignement il n'y a pas
d'affectation voisine ;...
... à qui iront les fondations ayant
pour but l'enseignement qui pour la majorité des cas est confessionnel.
Où peuvent-elles aller, si ce n'est aux associations formées
sous le régime de la loi de 1901 ?
M. Charonnat : L'enseignement confessionnel est supprimé.
M. Aynard : L'enseignement congréganiste et l'enseignement
confessionnel sont deux choses distinctes. Peut-être anticipez-vous
dans votre désir de supprimer le second. Mais en l'état de
la législation actuelle ... nous n'avons pas franchi la dernière
étape et ... l'enseignement confessionnel et religieux est
encore toléré en France.
...
...il ne sagit pas d'enseignement congréganistes,
puisqu'il y a beaucoup de fondations protestantes et israélites
qui ne peuvent pas être congréganistes, et qu'en ce qui touche
les catholiques, il s'agira d'association non congréganistes toujours,
et formées même dans la plupart des cas par des laïques....
Si
la commune ne peut recevoir de biens affectés à des écoles
dont elle devrait prendre la charge, si des associations déclarées
ne peuvent en hériter, alors ces biens ne à personne, ils
reviennent, c'est à dire qu'ils seront confisqués ...
... Je crois que tout le monde jusqu'à
présent a discuté avec le plus grand sérieux et la
plus grande bonne volonté, que tous les discours ont été
utiles. Seulement, quand on veut faire des lois aussi rapidement ... (Exclamations
à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
M. César Trouin : Jamais une loi n'a été aussi sérieusement discutée.
M. Aynard : Je vous demande pardon, messieurs; quand il s'agit
de changer un état des choses existant depuis plus de cent ans dans
notre pays, appuyé sur les habitudes, les mœurs, la tradition ayant
crée une foule de droits, détats de fait respectables, vous
croyez qu'on peut faire de pareilles lois en un clin d'œil, en un tour
de main - et ce que j'appelle en un tour de main, c'est quelques mois de
discussion alors qu'il faudrait des années, et au moins deux lectures.
(Exclamations
à l'extrême gauche et à gauche. - Applaudissements
au centre et à droite.)
...
M. le ministre des cultes : ... Je dois dire tout d'abord
que la question n'a en fait qu'une importance restreinte, car les biens
qui ont été donnés aux fabriques ou aux consistoires
à la charge d'entretenir des écoles ne sont pas considérables.
...
(Amendement repoussé par 313 voix contre 254)
M. le président : Le premier paragraphe de l'article 5
reste donc libellé tel que nous l'avons voté hier.
Nous passons au second paragraphe qui est ainsi
conçu:
"Toute action en reprise ou
en revendication devra être exercé dans un délai de
six mois à partir du jour de l'attribution prévue au paragraphe
précédent .Elle ne pourra être intentée qu'en
raison de donation ou de legs et seulement par les auteurs et leurs héritiers
en ligne directe."
M. Louis Lacombe propose de
remplacer ce texte par disposition suivante :
"Aucune action en revendication
ne pourra être exercée par qui que ce soit à raison
dévolutions de biens prévues au présent article."
...
M. Louis Lacombe
: ... Un de vos éminent prédécesseur,
monsieur le rapporteur, Paul Bert, a fait, au moment de la discussion de
la loi de 1886, une déclaration analogue à la vôtre.
Vous savez ce qu'il en est advenu.
Au moment de la discussion
de la loi du 30 octobre 1886, que se passa-t-il ? M. Jules Roche soutint
un amendement identique à celui que j'ai l'honneur de défendre
aujourd'hui.
Il tendait à interdire
les actions en revendication de la part des héritiers. M. Jules
Roche avertit avec raison la Chambre d'alors que si son amendement était
repoussé, plus de 2 000 communes allaient être jetées
dans des procès sans fin. L'amendement fut néanmoins repoussé
et les actions en revendications furent admises.
Qu'en est-il résulté
? Nos communes ont été l'objet - nous le savons tous
- d'une quantité de procès en restitution. Elles en ont pâti.
A ce moment là le rapporteur de la commission, Paul Bert, pour atténuer
le mauvais effet produit par le rejet de l'amendement de M. Jules Roche,
s'empressa de déclarer à la Chambre qu'on ferait sans doute
des procès, mais que ces procès seraient fort mauvais, "des
procès fatalement perdus, des instances destinées à
succomber devant les tribunaux".
Or, ces instances ont toutes
triomphé. Les communes en ont souffert, et les prévisions
optimistes de Paul Bert ont été complètement déjouées.
(Interruptions
à droite.)
...
M. Fernand Ramel
:
Il faudrait rappeler dans quelles circonstances les tribunaux ont statué
et je vais vous l'indiquer. Ils ont recherché quelles étaient
les conditions déterminantes de l'attribution et quand ils ont constaté
que ces conditions déterminantes étaient par exemple l'enseignement
congréganiste ou religieux, en un mot l'enseignement confessionnel,
ils ont déclaré que la donation ou le legs était révoqué.
Ils ont fait une interprétation
fidèle à la volonté du donateur, ce qui n'était
qu'un acte de justice. Vous, vous faites le contraire.
...
M. le rapporteur : En rédigeant
le second paragraphe de l'article 5, la commission n'a pas voulu affirmer
un principe ni donner une force nouvelle au droit qui résulte de
toute notre législation en matière de revendication. Elle
a simplement été guidée par un souci d'équité
; et M. Lacombe avait raison de dire tout à l'heure que le paragraphe
2 de l'article 5 s'applique à des cas peu nombreux. Il s'agit d'abord
d'héritiers en ligne directe. C'est à dire que les cas de
revendication se trouvent très limités. (sans
doute parce que ce genre de legs ou don est le fait de personnes sans descendance
; sans héritiers en ligne directe. ?)
En
outre il est bien entendu que la revendication ne pourra être admise
que dans le cas où l'objet du legs ou de la donation aura été
détourné de sa destination. La commission en admettant ce
cas de revendication a simplement voulu marquer le souci qu'elle a de faire
respecter la volonté des testateurs ou donateurs ... et par
là elle pouvait se croire à l'abri des reproches qui viennent
de lui être adressés par MM. Rudelle, Auffray et Aynard. Elle
ne les a pas mérités.
Quant à l'honorable
M. Lacombe je le prie de de contenter des explications que je viens de
donner et qui doivent le satisfaire dans une large mesure. J'espère
qu'il voudra bien retirer son amendement. (Très bien ! très
bien ! à gauche.)
M. Louis Lacombe : Je suis satisfait des explications de M. le rapporteur, et je retire mon amendement.
M. le président : L'amendement de
M. Lacombe est retiré.
Nous arrivons à un
amendement de M. Auffray, ainsi conçu :
"Les auteurs de donations
ou de legs aux établissements du culte supprimés, grevés
d'une affectation prévues au présent article, leurs héritiers
ou ayants droits pourront, dans le délais de six mois à partir
du jour de la dévolution prévue ci-dessus, et même
dans le silence des actes au sujet du droit de retour, désigner
l'établissement ou l'association dont la destination sera conforme
à celle desdits biens et auquel les représentants légaux
des établissements publics du culte supprimés seront tenus
d'attribuer les biens.
"Il n'est pas fait obstacle,
par la présente disposition, à l'exercice du droit de retour,
selon le droit commun, tel qu'il aura été prévu dans
les actes de donation ou dans les dispositions testamentaires."
...
M. le président : Je mets aux voix
l'amendement de M. Auffray, qui est repoussé par la commission et
le Gouvernement.
(L'amendement mis aux voix,
n'est pas adopté)
Nous passons à un amendement
de MM. Rudelle et Auffray, ainsi conçu :
"Modifier ainsi le deuxième
paragraphe:
"Toute action en reprise ou
en revendication devra être exercée dans un délai de
deux ans à partir du jour où la dévolution prévue
aura été notifiée aux intéressés. Elle
ne pourra être intentée qu'à raison de donation ou
de legs"
M. Rudelle :
...
Dans la loi de 1901,
en effet, l'action en revendication est formulé à l'article
18 dans les termes suivants : "Les biens et les valeurs acquis
à titre gratuit et qui n'auraient pas été spécialement
affectés par l'acte de libéralité à une ouvre
d'assistance, pourront être revendiqués par le donateur, ses
héritiers ou ayants droit, ou par les héritiers ou ayants
droits du testateur, sans qu'il puisse leur être opposé aucune
prescription pour le temps écoulé avant le jugement prononçant
la liquidation. "
Ce qu'on a cru utile de faire, ce que les jurisconsultes,
les législateurs de 1901 ont jugé indispensable en ce qui
concerne les biens donnés aux congrégations, je me demande
pourquoi, aujourd'hui, vous ne le faites pas à propos de biens qui,
dans votre esprit, ont évidemment une destination moins éloignée
de vos idées et de vos conceptions politiques, et comment vous prétendez
édicter une disposition plus rigoureuse que celle qui a été
insérée dans la loi de 1901. Je crois que vous n'arriverez
jamais à justifier cette disposition que vous introduisez dans la
loi.
...
M. le rapporteur : Nous maintenons le délais fixé
par le texte de la commission, mais je puis dire dès à présent
à l'honneur de M. Rudelle que la commission est disposée
à accepter un amendement de M. L'abbé Lemire, amendement
qui aurait pour effet de prolonger le délai, non pas, dans les proportions
où l'honorable M. Rudelle le propose, d'une façon appréciable.
Dans ces conditions, je demande à la Chambre
de repousser la première partie de l'amendement de M. Rudelle.
M. Rudelle : Il y a un point que je voudrais signaler à M. le rapporteur, c'est encore une analogie avec la loi de 1901. Cette loi dit qu'à peine de nullité, le jugement nommant le liquidateur, qui sert de point de départ au délai de six mois, serait inséré au Journal officiel et dans les journaux locaux d'annonces ou d'avis, de façon que tous les intéressés puissent en être saisis. Or ici, y a-t-il une insertion au Journal officiel ? Vous ne le dites pas dans votre texte. Vous devriez indiquer un mode quelconque de publicité par laquelle tous les tiers pourraient être saisis.
M. le rapporteur : D'après l'amendement de M. Lemire accepté par la commission, l'arrêté préfectoral ou le décret en conseil d'État servirait de point de départ.
M. Rudelle : Quelle publicité donnera-t-on obligatoirement à cet arrêté préfectoral ou à ce décret du conseil d'État ? Celui-ci ne reçoit pas nécessairement une publicité, celui-là est simplement inséré dans un petit fascicule qu'on appelle le Bulletin départemental. En réalité, il n'y a de publicité officielle que celle qui paraît au Bulletin des lois ou au Journal officiel.
M. le rapporteur : On pourrait ajouter qu'il sera inséré au Journal officiel.
M. le président : Avant de consulter la Chambre sur la première partie de l'amendement, nous pourrions passer tout de suite à l'amendement de M. Lemire. Vous verrez, monsieur Rudelle, si le texte établi d'accord entre M. Lemire et la commission vous donne satisfaction. Consentez-vous à ce qu'il soit procédé ainsi ?
M. Rudelle : J'accepte très volontiers cette méthode de travail en réservant bien entendu la dernière observation que j'ai présentée en ce qui concerne la publicité et sur laquelle j'attends une réponse.
M. le président : L'amendement de M. Lemire est ainsi
conçu :
"Rédiger comme suit le deuxième paragraphe
de l'article 5 :
" Toute
action en reprise ou en revendication devra être exercé dans
un délai de six mois à partir du jour où l'attribution
prévue au paragraphe précédent aura été
approuvée par arrêté préfectoral ou par décret
rendu en conseil d'État."
...
M. le ministre des cultes : Voici
le texte qui pourrait être substitué à l'amendement
:
" ... à partir du jour
où l'arrêté préfectoral ou le décret
approuvant l'attribution aura été inséré au
Journal
officiel ..."
M. Lemire : Cette rédaction me donne complète satisfaction.
M. le président : Le texte
de la commission serait donc le suivant pour la première partie
du second paragraphe de l'article 5 :
"Toute action en reprise ou
en revendication devra être exercée dans un délais
de six mois à partir du jour où l'arrêté préfectoral
ou le décret approuvant l'attribution aura été inséré
au Journal officiel."
Cette rédaction
donne satisfaction à l'amendement de M. Lemire et à la première
partie de celui de M. Rudelle.
M. Rudelle : Parfaitement et je retire
cette partie de mon amendement.
...
M. le président : Le texte du deuxième
paragraphe reste rédigé comme j'en ai donné lecture.
M. de Ramel propose de substituer
aux mots "dans un délais de six mois" les mots "dans un délais
de deux ans"
(L'amendement est repoussé par
327 voix contre 231)
Il y a sur ce paragraphe
un amendement de M. Vigouroux et plusieurs de ses collègues, qui
a reçu satisfaction par le texte de la commission.
Je mets aux voix la première
partie du second paragraphe de l'article 5 en ces termes :
"Toute action en reprise ou
en revendication devra être exercé dans un délai de
six mois à partir du jour où l'arrêté préfectoral
ou le décret approuvant l'attribution aura été inséré
au Journal officiel"
(Cette première partie
du paragraphe ainsi modifiée, mise aux voix, est adoptée.)
La fin du paragraphe est ainsi
conçue :
" L'action ne pourra être
intentée qu'en raison de donation ou de legs et seulement par les
auteurs et leurs héritiers en ligne directe."
MM. Paul Beauregard et Lefas
proposent de supprimer les "et seulement par les auteurs et leurs héritiers
en ligne directe."
...
M. le rapporteur :La commission a considéré
que si les héritiers en ligne directe continuaient bien la personne
du testateur ou du donateur et se trouvaient qualifiés pour surveiller
l'emploi des fonds affectés à une destination déterminée,
il n'en était pas de même des collatéraux.
...
(L'amendement est repoussé
par 320 voix contre 270)
M. le président : M. de Ramel propose
d'intercaler après les mots : "en raison de donation ou de legs",
les mots : "ou de ventes conditionnelles."
(Amendement repoussé
par 333 voix contre 240)
M. Bertrand propose
d'ajouter au texte de la commission les mots : "... et les légataires
universels."
(Amendement repoussé
par 325 voix contre 252)
Je mets aux voix la seconde
partie du deuxième paragraphe de l'article 5 ... (Adopté)
Je mets aux voix l'ensemble
du paragraphe ... (Adopté)
Je mets aux voix l'ensemble
de l'article 5 ... (Adopté
par 329 voix contre 250)
Nous passons à
l'article 6.
La commission présente
un nouveau texte ainsi conçu :
"Art. 6 -
Faute par un établissement ecclésiastique d'avoir, dans le
délai fixé par l'article 4, procédé aux attributions
ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par décret
A l'expiration dudit délai,
les biens à attribuer seront, jusqu'à leur attribution, placés
sous séquestre.
Dans le cas où les
biens attribués en vertu de l'article 4 et de l'article 6 -
paragraphe 1er - seront, soit dès l'origine, soit dans la suite,
réclamés par plusieurs associations formées pour l'exercice
du même culte, l'attribution qui en aura été faite
par les représentants de l'établissement ou par décret
pourra être contestée devant le Conseil d'État, statuant
au contentieux , lequel prononcera en tenant compte de toutes les circonstances
de fait."
La Chambre sait que sur cet article 6, MM. Sarrien, Joseph Caillaux, Cruppi,
Charles Dumont, Georges Leygues, Camille Pelletan, Georges Trouillot, Pierre
Baudin, Charles Beauquier, Bourrat, Chaumet, Émile Chautemps (Haute-Savoie),
Couyba, Jean Codet, Debussy, Gaston Doumergue, Dron, Gabrielli, Gervais,
Gouzy, Guyot-Dessaigne, Jumel, Laferre, Levraud, Muteau, Puech, Albert
Sarraut, Roch et Saumade avaient présenté un amendement qui
a été accepté par la commission.
......
(Après des discussions, la suite est
reportée à une prochaine séance)
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3