Chambre des députés
29 janvier 1887
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M. Pichon. La question des rapports
de l'Église et de l'État est pendante devant une commission
de la Chambre: ce n'est pas par voie budgétaire qu'on peut résoudre
un des plus graves problèmes posés devant le parti républicain
et devant le pays. Cette question est à 1a fois politique, financière,
diplomatique, philosophique et religieuse: elle ne peut être tranchée
que par le vote d'une nouvelle loi.
Je reconnais toute l'importance de ces objections. Il
est clair que le refus du budget des cultes ne pourrait avoir d'autre signification,
d'autre portée, qu'une invitation adressée au Gouvernement
d'avoir à dénoncer officiellement le traité, dénoncé
depuis bien longtemps dans la pratique, passé entre le premier consul
et Pie VII.
Il est clair que, par le refus de voter les crédit,
pour les églises reconnues par l'État, la Chambre ne résoudrait
pas les grosses difficultés qui se rattachent à l'établissement
d'un régime conforme aux droits des citoyens, à la liberté
de conscience et à l'intérêt de la République.
(Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
La Chambre dirait seulement d'une manière
nette et claire qu'elle répudie le système qui crée des
religions privilégiées aux dépens de la liberté
des Français et de la bourse des contribuables... (Très bien
! très bien sur les mêmes bancs)...
M. le comte de Kergarlou, ironiquement. Vous la respectez bien quand il s'agit de l'instruction publique.
M. Pichon...... qui entretient dans l'État une classe
de fonctionnaires qui sont par devoir et par profession des ennemis de la
République, et qui fait du pouvoir spirituel du pape l'égal
sinon le supérieur du pouvoir civil qui négocie avec lui.
Ce n'est d'ailleurs pas notre faute si la discussion du
budget se présente sans que la question des rapports entre l'État
et les doctrines religieuses ait été spécialement débattue
devant le Parlement, si cette question en est encore au même point
après dix ans de République que dans les premiers jours du
gouvernement républicain, si jamais les représentants du pays
n'ont été appelés à se prononcer autrement que
par des décisions budgétaires sur le maintien ou la suppression
du Concordat. Nous sommes obligés de prendre la question telle qu'elle
se pose le jour où, sans l'avoir soulevée, nous la rencontrons
sous la forme politique et financière, et nous ne pouvons admettre
qu'on nous demande d'engager notre responsabilité sur un principe que
nous condamnons et que nos électeurs répudient, sous le prétexte
qu'à une date que nous ne connaissons pas, nous serons appelés
à émettre une opinion toute platonique sur une loi que le Gouvernement
combattra et fera repousser. (Applaudissements à l'extrême
gauche)
Ce serait 1a première fois, depuis 1876, que les
adversaires du Concordat laisseraient passer la discussion da budget sans
venir exposer les raisons impérieuses qui commandent de substituer
à l'union et à 1a suspicion mutuelle de l'État et de
l'Église, l'indépendance et la séparation de l'Église
et de l'État.
Je sais bien que M. Goblet a voté, deux années
de suite, la mort dans l'âme et en se déclarant le partisan très
ferme de la thèse que je viens défendre, le crédit pour
les religions subventionnées.
M. le président du conseil. Je l'ai toujours voté.
M. Pichon. Mais tout le monde n'a pas la résignation chrétienne
de M. le président da conseil. Je fais appel, à cet égard,
à M. le ministre du commerce. Tandis que M. Goblet venait déclarer,
en 1884 et en 1885, qu'il voterait le budget des cultes, une fois encore,
en souhaitant que la Chambre aboutisse promptement à la supprimer,
M. Lockroy répliquait, comme M. Floquet, comme le regretté M.
Lepère : Quant à nous, notre opinion est faite, nous considérons
le Concordat comme une œuvre périmée et nous refusons d'accorder
les crédits qui nous sont demandés.
Je regrette que l'éloquence si fine, si spirituelle,
si persuasive de M. le ministre du commerce n'ait pa réussir à
convertir M. le président da conseil. (Sourires et mouvements divers.)
Je ne veux pas examiner ai les chiffres qu'on nous
propose correspondent exactement aux obligations contractées par le
Concordat ; je ne veux pas rechercher, en ce moment, si les sommes qui nous
sont demandées dans le rapport spécial de M. Andrieux dépassent
ou non les allocations concordataire; ce lont là des questions qui
ont assurément leur importance, mais dans lesquelles je n'ai pas l'intention
d'entrer. Je me bornerai à dire que le Concordat n'a prévu
qu'un traitement convenable pour les curés et les évêques
dont les paroisses et les diocèses sont compris dans les circonscriptions
tracées en 1802 ; de telle sorte que, si nous avions à voter
un budget rigoureusement concordataire, nous ne devrions même pas accorder
les 5.281.400 fr. qui nous sont demandés par la commission du budget
pour le traitement des curés et des évêques puisqu'il
existe à l'heure actuelle des évêchés qui ne sont
pas concordataires.
Quant aux desservants, vicaires et séminaires, ainsi
que M. Jules Roche le faisait observer en 1882 à cette tribune, il
n'en est question dans le Concordat que pour exclure formellement toute espèce
de gratifications à leur profit.
Mais je ne m'arrête pas à cette discussion
; je n'ai pas l'intention de chicaner sur les chiffres ; pour moi, la question
est plus haute, et je voudrais l'examiner biens moins au point de vue de l'économie
budgétaire qu'au point de vue de la politique générale
du parti républicain. (Très bien ! très bien ! à
gauche.)
En admettant que le budget qu'on nous propose soit concordataire,
ce qui n'est pas, je vous demande, messieurs, si vous êtes bien sûrs
d'être liés par le Concordat.
Je me souviens qu'en 1887, Gambetta disait à cette
tribune : Quant à mol. je suis partisan du système qui rattache
l'Église à l'État; mais je ne défends le Concordai,
entendez-le, qu'autant qu'il sera interprété comme un traité
bilatéral qui vous oblige et vous tient comme il m'oblige et comme
il me tient.
Et le grand orateur ne distinguait pas entre le Concordat
lui-même et les lois qui en ont été la suite, et il niait
que celles-ci ne fussent pas d'obligation étroite pour le clergé.
Ce raisonnement me parait l'évidence même,
car, s'il est démontré que l'Église ne tient pas compte
des obligations qu'elle a acceptées, et même que sa constitution
et ses décrets le lui interdisent, je vous demande ce que signifie
ce traité dont une des parties contractantes se dérobe et n'exécute
pas les engagements qu'elle a souscrits. (Très bien ! très
bien ! sur divers bancs à gauche)
Si, qui plus est, l'État le dérobe à
son tour et n'applique ni dans son esprit ni dans sa. lettre le traité
qu'il a conclu, je vous demande, à plus forte raison, ce que devient
ce document au bas duquel ne figurent plus que deux signatures protestées.
Eh bien ! je dis que ni l'Église ni l'État
n'exécutent le Concordat.
..............
Je le prouve d'abord pour l'Église. Je pourrais
rechercher des éléments pour mon argumentation dans les innombrables
faits qui alimentent les polémiques de la presse : je ne le veux pas.
Je prétends trouver les preuves de ce que j'avance dans la constitution
même et dans l'organisation de l'Église.
J'invoque d'abord l'opinion apportée ici par M.
Goblet et par M. le commissaire du Gouvernement lors de la discussion de
la loi de l'enseignement laïque, pour établir l'incapacité
des congréganistes à enseigner dans les écoles de l'État.
Que disait M. Goblet? Que disait le commissaire da Gouvernement?
Il disaient que les lois de l'Église interdisent aux congréganistes
d'enseigner les lois de l'État.
Eh bien, si je démontre que les lois de l'Église
lui interdisent d'exécuter la convention concordataire, j'aurai démontré
par là même l'incapacité de l'Église à
exécuter le Concordat.
Je crois que la preuve ne sera pas difficile à faire
: il suffit de comparer le texte des lois civiles et le texte des lois religieuses,
le texte des lois organiques et le texte du Syllabus. (Interruptions à
droite)
...............
Je prends, dans les lois organiques, les articles qui
sont considérés comme des garanties pour l'État par
les partisans du Concordat.
L'article 1er des lois organiques interdit " la publication
et l'impression de toute bulle, bref, rescrit, décret, mandat, etc.,
sans l'autorisation du Gouvernement. "
L'article 28 du Syllabus frappe d'anathème " quiconque
dira qu'il n'est pas permis aux évêques de publier même
les lettres apostoliques sans l'autorisation du Gouvernement. "
Eh bien, je demande quelle est la doctrine de l'Église
: est-elle celle des lois organiques, qu'elle n'a jamais reconnues ou celle
du Syllabus? Je demande à qui les évêques obéissent
: au ministre des cultes ou. au pape? (Très bien ! très bien
! à gauche.)
L'article 6 des lois organiques et les articles suivants
établissent et réglementent le droit d'appel comme d'abus.
L'article 41 du Syllabus condamne comme hérétique, contraire
à la foi et aux droits de l'Église, le droit d'exequatur et
le droit d'appel comme d'abus.
Je demande qu'elle est celle des Jeux stipulations qui
lie le clergé : est-ce la loi religieuse, ou la loi civile? Le clergé
obéit-il à l'autorité du gouvernement de la République
ou à l'autorité pontificale ?
L'article 20 de lois organiques interdit aux évêques
de quitter leur résidence sans l'autorisation du Gouvernement. Il est
considéré comme l'un des plus important pour l'État par
les partisans du concordat.
L'article 49 da Syllabus déclare ennemi de l'Église
catholique et de la société " quiconque prétend que
l'autorité séculière peut empêcher les évêques
et les fidèles de communiquer librement entre eux et avec le pontife
romain. "
Ici encore je vous demande quelle est la stipulation qui
lie les évêques? Si c'est le décret de l'autorité
civile ou celui du chef infaillIble du catholicisme ?
L'article 24 des lois organiques prescrit l'enseignement
de la déclaration de 1682 ; le Syllabus est dirigé tout entier
contre cette déclaration célèbre et substitue la doctrine
de l'Église ultramontaine à celle de l'Église gallicane
morte en France avec Bossuet. (Très bien ! très bien! à
gauche.)
.....................
Vous voyez bien, messieurs, que le Concordat est caduc,
qu'il est pour l'Église lettre morte, qu'il a été renié,
déchiré, anéanti par les décisions postérieures
de la curie romaine, et que c'est poursuivre un chimère que prétendre
le conserver.
La constatation n'est pas de moi. Elle a été
faite souvent, non seulement à la tribune des assemblées républicaines
par M. Lockroy, par M. Floquet, par M. Boysset, par M. Lepère, mais
aussi à la tribune du corps législatif par les orateurs et
les ministres du second empire. C'est M. Guéroult qui, dans la séance
du 9 juillet 1868, faisait prévoir la fatalité d'un divorce
pour incompatibilité d'humeur entre l'État et l'Église
et qui annonçait comme prochaine, en lisant une citation de Montalembert,
la suppression du budget des cultes.
C'est M. Émile Olivier qui, dans la séance
du 10 juillet de la même année .... (Interruptions à
gauche.)
Ce n'est pas une autorité pour les républicains,
mais c'en est une pour la droite. (marques d'assentiment à gauche.)
C'est, dis-je, M. Émile Ollivier qui, 1e 10 juillet
de Ia même année, parlant je 1a réunion du concile qui
allait proclamer l'infaillibilité du pape, disait : " Je ne connais
pas, depuis 1789, d'événement plus considérable: c'est
la séparation de l'Église et de l'État, opérée
par le pape lui-même! "
A quoi M. Eugène Pellettan répondait fort
justement: " Tant mieux ! qu'il renonce à son budget !" (Très
bien ! très bien ! à gauche.)
La caducité du Concordat ! Mais Napoléon
1er lui-même l'avait constatée, lorsqu'en convoquant le concile
de 1811 il disait dans les instructions données aux députés
: " Le Concordat n'existe plus, puisque le pape, une des deux parties contractantes,
refuse d'en exécuter les clauses essentielles. "
Et remarquez bien qu'en 1811 il n'était
pas intervenu une résolution, qui a la valeur d un dogme, qui lie étroitement
la conscience des prêtres et des catholiques, qui est d'un bout à
l'autre la négation vivante de ce chiffon de papier qui s'appelle
le Concordat ! (Très bien ! très bien ! à l'extrême
gauche.)
Je dis que ce traité, l'État ne l'exécute
pas plus que l'Église; il ne l'exécute ni dans l'établissement
de son budget ni dans ses rapports ordinaires avec Rome et avec les évêques
; et j'ajoute qu'il ne peut pas l'exécuter.
Il ne le peut pas, parce -que son exécution rigoureuse
ne serait digne ni de l'État ai de l' Église, parce que c'est
un régime qui a été fais par le despotisme, qui pouvait
convenir au despotisme, et, encore, ce serait discutable, mais qui n'a pas
de place dans le gouvernement d'une démocratie. (Très bien!
très bien ! à gauche,)
Mais, dit-on, il est politique de conserver le budget des
cultes. Ce n'est pas par principe qu'il faut le maintenir : C'est par habileté-
Il serait imprudent de livrer l'Église à elle-même, da
la laisser, suivant le mot de Cavour, libre dans l'État libre. Un
jour. peut-être, ce sera moins dangereux ; attendons que ce jour arrive.
Telle est bien, messieurs, l'objection que j'ai rencontrée
dans tous les rapports sur les budgets depuis 1876. J'en excepte deux cependant
: celui de M. de Douville-Maillefeu et celui de M. Andrieux. C'est aussi
l'objection principale, et pour ainsi dire unique, qui s'est produite dans
1a discussion des bureaux pour la nomination de la commission qui examine
les propositions de MM. Michelin et YvesGuyot.
J'ajoute que les défenseurs de cette opinion ne
me paraissent pas tous avoir une confiance excessive dans leur argument, car
il a été très souvent difficile de trouver un rapporteur
pour le budget des cultes. Il a fallu le plus souvent, comme le fait spirituellement
remarquer M. Andrieux, choisir un avocat d'office. Et il s'est généralement
acquitté de sa. tâche avec un laconisme qui prouve qu'il n'avait
pas à son service une grande abondance de raisons.
............................
Cette année, ce n'est pas sans difficulté
que M. Goblet, partisan résolu de la séparation de l'Église
et de l'État et l'ayant énergiquement réclamée
comme candidat et comme député, en ayant posé le principe
devant les électeurs de la. Somme, mais pensant qu'il faut qu'un chef
de gouvernement fasse abstraction de certaines de ses opinions de député,
ce n'est pas sans difficulté, dis-je, que M. le ministre des cultes
a obtenu de la commission du budget le vote des crédits qu'elle nous
propose.
M. Andrieux a raconté, ..., les phases variées
par lesquelles a passé ce malheureux budget. .....
La commission du budget commence par repousser le budget
des cultes; puis elle le vote dans une séance suivante; puis, elle
décide quelques jours après qu'elle attendra que la Chambre
ait statué sur les propositions de séparation de l'Église
et de l'État dont elle est saisie.
L'attente étant trop longue, elle finit par voter
les crédits qui sont demandé.
Il me semble que les défenseurs républicains
du budget des caltes n'ont pas, dans le Concordat, une foi beaucoup plus grande
que l'Église, et c'est peut-être ce qui explique que de part
et d'autre on mette si peu de rigueur à l'exécuter.
Il est facile de dire que le régime concordataire
donne des armes à l'État contre l'Église ; il est plus
difficile de le prouver. J'ajoute que personne ne l'a jamais prouvé.
Je vais examiner très rapidement, ..., ce que l'État
donne à l'Église et ce que l'Église donne à l'État
par le Concordat.
L'État fait de l'Église une institution officielle,
il l'érige en pouvoir public, il lui donne le prestige d'une institution
d'État. (Très bien ! sur divers bancs à gauche.)
Il l'assure contre les risques de l'indifférence
ou de la désaffection des fidèles, Il exempte les clercs du
service militaire, c'est-à-dire qu'il donne une prime à ce
qu'on appelle dans les séminaires la vocation ecclésiastique
et ce que j'appelle, moi, le manque de vocation pour le service de la patrie.
(Applaudissements à gauche.)
Il fournit aux prêtres une rente annuelle de 60
millions qui s'augmente de la. jouissance des édifices consacrés
au culte, de logement dans les monuments épiscopaux, et de la libre
disposition des dons et des legs qui, n'étant plus nécessaires
pour les besoins journaliers de l'Église, constitue son fonds de réserve
pour la propagande contre les institutions de la démocratie. (Très
bien ! à gauche)
Le 4 novembre 1882, M. Jules
Roche évaluait, à cette tribune, à 450 millions par
an la somme fournie à l'Église par le Gouvernement de la République.
Subvenant ainsi à tous les besoins du culte catholique,
l'État permet à l'Église de fonder, d'entretenir, de
propager les institutions qu'elle dirige contre le monde moderne, telles que
cercles catholique,. denier des écoles chrétiennes, congrès
d'ouvriers bien pensants, etc.
Et qui est à la tête de ces œuvres ? L'épiscopat
avec tous les curés, avec tous les desservants placés sous
ses ordres, avec toutes la milice sacrée qu'on dit maintenue dans
l'obéissance aux lois et dans la fidélité à la
république par le concordat.....
..........
Voyons maintenant ce que l'Église donne à
l'État.
L'Église donne à l'État l'appel comme
d'abus. Ah ! c'est une arme dont il a été fait grand usage:
on l'employait déjà du temps de la Restauration.
Je ne sais pas si le clergé de cette époque
était aussi respectueux qu'aujourd'hui de l'appel comme d'abus; l'affaire
avait peut-être moins d'intérêt pour le gouvernement de
la Restauration. J'ai retrouvé une ordonnance d'abus de 1824 qui interdit
aux évêques d'adresser des observations, des remontrances au
Gouvernement par voie de lettres pastorales. Je n'ai pas pu ne pas me dire
que le clergé de 1886 respectait bien peu les ordonnances qui datent
du règne bienheureux de la Congrégation.
................
Est-ce que l'appel comme d'abus a jamais empêché
la révolte des évêques? est -ce qu'il a jamais été
an frein aux débordements des passions religieuses hostiles au Gouvernement
?.. Qui le dira? qui prétendra que ce moyen dérisoire a jamais
été un procédé de résistance sérieuse
à l'action combinée de l'épiscopat contre le Gouvernement
républicain ?
Voyons donc quelles autres garanties l'Église donne
à l'État.
Elle lui donne le serment du prêtre: garantie précieuse
sous un régime qui a eu ce grand honneur de supprimer comme inutile,
inefficace et immoral le serment des fonctionnaires !
...............
Il y a une autre garantie que donne l'Église: c'est
le costume spécial, c'est-à-dire l'habit à la française
avec les bas violets pour les évêques, (On rit.) Je suis
obligé de prendre dans les lois organiques ce que j'y trouve: je vous
assure que ce sont les garanties les plus sérieuses qu'elles donnent
à l'État. Il est arrivé qu'un jour un sous-préfet
eut l'idée, assurément originale et imprévue, d'appliquer
cette prescription de la. loi dans son arrondissement : le ministre de l'intérieur
d'alors, je crois que c'était M. de Marcère, eu fut tellement
étonné, tellement stupéfait, tellement outré
qu'il s'empressa de révoquer le sous-préfet.
Le Gouvernement possède encore d'antres armes: le
droit d'empêcher la publication des bulles, le droit, d'interdire aux
évêques d'aller à Rome, le droit d'exiger l'enseignement
de la déclaration de 1682.
J'ai dit tout à l'heure le cas que le Syllabus
faisait de ces droits et vous savez le cas qu'en font les curés et
les évêques.
....................................
Mais le Gouvernement, dit-on, peut supprimer le traitement
des prêtres. Il le peut, c'est incontestable, à une condition,
c'est de le rétablir. (Rires à l'extrême gauche.)
Je m'explique. Je ne parle ici que des prêtres concordataires;
pour tous les autres, M. le ministre des cultes peut, du jour au lendemain,
en restant dans les termes du traité, leur enlever leurs gratifications.
Mais pour les prêtres concordataires, ce qui est
légal ou ce qui parait tel, ce qui se pratique. c'est la suspension
du traitement. Je ferai remarquer d'abord que, si on considère la suspension
de traitement comme efficace, on est mal venu à combattre, sous prétexte
d'inefficacité, la suppression du budget des cultes, qui n'est que
la généralisation du procédé dont on se déclare
satisfait. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
J'ajouterai que si le Concordat permet la suspension du
traitement des prêtres, il la rend illusoire dans la pratique en rendant
inévitables les réclamations et les remontrances de la cour
de Rome et en mettant le Gouvernement dans la nécessité de
transiger avec le Saint-Siège ou de lui déclarer la guerre et
de déchirer le traité.
.......................
N'avons-nous pas pas tous les jours une preuve de l'inefficacité
du Concordat pour maintenir les débordements de l'Église ?
(réclamations à droite. - Applaudissements à l'extrême
gauche.)
................
Aussi, avons nous entendu sans surprise, nous les adversaires
du Concordat, dans la discussion des élections contestées, la
lecture de mandements d'évêques, de lettres, de circulaires,
de prônes, de sermons de curés recommandant de voter contre la
République.
Quel a été le résultat ? Ça
été l'invalidation des opérations électorales
de cinq départements ........
.................
Tant il est vrai que plus on examine la législation
concordataire, plus on arrive à cette conviction que l'État
y joue un rôle de dupe, lorsqu'il prétend ramener à lui
par le maintien ou plutôt par la résurrection d'une convention
périmée, une puissance que son passé, ses traditions,
ses dogmes, ses aspirations et ses haines constituent à l'état
de rivale et d'ennemie implacable en face de lui. (Très bien !
très bien ! à gauche )
L'insuffisance du Concordat à été
si bien reconnue que les partisans, je pourrais dira les inventeurs de la.
politique concordataire ont été les premiers à proposer
des amendements au Concordat.
Vous vous rappelez les propositions
de M, Paul Bert, de M. Corentin-Guyho, de M. Bernard-Lavergne, qui avaient
pour but d'ajouter des sanctions pénales à la loi organique.
La Chambre n'a pas voté ces propositions, et à mon avis elle
a bien fait, parce que l'expérience nous enseigne combien il est difficile
de s'arrêter dans la voie de la. répression. (Très
bien ! très bien !)
L'Assemblée constituante, aussi, avait cru qu'il
était possible d'établir un régime d'union et d'entente
entre l'État et l'Église. Elle avait fait la constitution civile
du clergé, dont le Concordat n'a été qu'une reproduction
bien imparfaite. Vous connaissez les conséquences de cette
déplorable mesure: l'Assemblée législative et la Convention
ont été obligées de prendre contre le clergé
réfractaire des mesures qui ont commencé par la mise en demeure
de démission pour aboutir ....... à la peine de mort,
en passant par le bannissement et la déportation .... Et vous savez
que cet état de choses n'a pris fin que le j'our où la plus
grande des Assemblées révolutionnaires comprit que pour régulariser
œuvre d'affranchissement de la Révolution, son devoir était
de voter la suppression du budget des cultes et la séparation de l'Église
et de l'État. (Applaudissement à l'extrême gauche.)
...................
Quant à Bonaparte, il avait une façon particulière
d'appliquer le Concordat. Pour lui, le pape était un évêque,
l'évêque de Rome, et il était, lui. l'empereur, son souverain,
comme Charlemagne !
Dès 1806, il déclarait dans des lettres célèbres
adressées au cardinal Fesch, qu'il n'admettait pas que je pape s'occupât
de politique.
..............
En 1809, il abolissait le pouvoir temporel du pape, il
s'emparait de 1a personne de Pie VII, il mettait à sac sa résidence,
il enlevait, le pape , l'emmenait à Grenoble l'enfermait à Fontainebleau,
et lui faisait signer. le couteau sur la gorge un second Concordat qu'il
aurait exécuté sans doute par les mêmes procédés
que le premier.
Lui aussi, éprouvait le besoin d'amender les lois
organiques, et il le faisait sérieusement. Il demandait au pape de
reconnaître le code civil, la liberté des cultes, de supprimer
tous les ordres religieux, d'abolir le célibat des prêtres,
c'est-à-dire qu'il demandait au pape de cesser d'être le pape,
il demandait an catholicisme de renoncer au catholicisme.
Et quelle était la réponse da pape ' C'était
un bref d'excommunication. Et Napoléon, voyant qu'il ne pouvait rien
obtenir de cette papauté à laquelle il avait fait tant de sacrifices,
voyant qu'il ne pouvait en obtenir que des brefs d'excommunication -ce qui
n'était pas dangereux mais ce qui était insuffisant Napoléon
se retournait vers son clergé; il convoquait le concile de 1811. Et
quelle était la réponse des évêques ? Le concile,
dès sa première séance, par 1a voix de l'archevêque
de Bordeaux, affirmait le droit du pape d'excommunier les souverains, de
quelque rang qu'ils soient, qui se permettraient de toucher aux privilèges
de l'Église.
...................
Et c'est parce que je suis, comme vous, messieurs,
l'ennemi de la violence ; c'est parce que je la considère, ainsi que
vous, comme le pire des maux ; c'est parce que je rêve, comme vous,
pour mon pays, l'unité morale autant que l'ordre matériel; c'est
parce que je voudrais, comme vous, autant que cela est possible, la paix
dans les esprits et la concorde dans les intelligences, que je repousse de
toutes mes forces un régime qui aboutit à de si désastreux
effets.
Ce que nous demandons est-il donc si nouveau, si étrange
? Est-ce une revendication tellement audacieuse qu'elle ait de quoi faire
reculer les représentants d'un pays républicain ?
Messieurs, le régime de la séparation de
l'Église et de l'État a été celui de la France,
et tous les historiens s'accordent à reconnaître qu'il avait
produit les meilleurs fruits.
Il a contre lui deux sortes d'arguments : l'un vient de
la droite, l'autre de la gauche. On dit d'une part : Le budget des cultes
est une dette sacrée. Il serait prématuré de le supprimer.
On dit de l'autre : Le budget des cultes est une dette sacrée ? Mais,
messieurs, il suffit de relire les débats de la constituante pour
se convaincre de la futilité de cette prétention. (Mouvements
en sens divers.)
Le clergé propriétaire ! Mais c'est le contraire
le la doctrine du code civil; c'est le contraire de la théorie de
la propriété moderne; c'est le contraire de la pratique des
anciens rois de France; c'est le contraire de l'opinion soutenue par tous
les orateurs, par tous les jurisconsultes qui ont fait décréter
la vente des biens ecclésiastiques et la suppression des dîmes;
c'est le contraire des réclamations des premiers États généraux.
Comment ! vous admettriez que des dons faits, par exemple,
au moyen âge, en vue d'un service que la société moderne
déclare inutile, qu'elle modifie, soient la. propriété
d'une caste privilégiée, dépouillée des charges
et bénéfices en vue desquels ils ont été conférés?
Vous voudriez que ces biens se transmettent de génération en
génération, à qui? aux héritiers légitimes
des premiers détenteurs qui en ont eu la. jouissance? Non. A une association
constitué, suivant les règles du code, dont tous les membres
soient propriétaires et aient droit à une quote-part des biens
exploités par la collectivité ? Pas davantage. A qui, alors
? A une association constituée en dehors de toutes nos lois, qui immobiliserait
entre ses mains une part sans cesse croissante et absorbante des terres et
des revenus nationaux.... (Applaudissements à gauche) ; à
une société qui n'aurait qu'une existence mystique et qui échapperait
à toutes les lois, à toutes les règles qui obligent
l'universalité des sociétés, des associations et des
citoyens !
Vous voudriez que la volonté du légataire
du moyen âge, que le caprice du roi barbare qui, en expiation de ses
péchés, a enrichi les moines et qui a payé par une libéralité
commode le tribut religieux de ses orgies... (Rumeurs à droite.
-Vifs applaudissements à gauche) ; vous voudriez que cette volonté,
ce caprice, soient de droit étroit pour les représentants d'un
pays qui a vu passer successivement la Renaissance, la Réforme, 1a
Révolution française, qui a vu s'engloutir en moins d'un siècle,
après avoir traversé la plus prodigieuse des épopées,
trois monarchies et deux empires !
Vous voudriez que ces immeubles, ces champs, ces bois,
ces forêts, dont la féodalité a fait cadeau aux congrégations
pour doter l'enseignement, les autels, l'assistance publique, et qui ont
été si souvent détournés de leur destination
par les premiers détenteurs, vous voudriez que la société
n'ait pas le droit de les reprendre, de les incorporer dans son domaine le
jour où elle supprime les services pour lesquels ils ont été
conférés? (Vifs applaudissements.) Vous voudriez que
nous n'ayons pas le droit de biffer de la l'iste de ces services le culte
catholique et de le dépouiller de son caractère public pour
le déclarer chose privée?
Faut-il le dire après Talleyrand, Mirabeau, Lanjuinais,
Garat, Thouret, Duport, après les auteurs de nos lois et de nos codes,
après les grands hommes qui nous ont fait ce que nous sommes, auxquels
nous devons la liberté, l'émancipation, auxquels nous devons
pus encore, la patrie! Faut-il redire que les sociétés sont
des corps qui n'existent qu'en vertu des droits que la loi leur confère,
qu'elles n'ont rien d'immortel, rien d'immuable. (Très bien ! très
bien ! à gauche), qu'elles ne peuvent prétendre, en vertu
d'une personnalité civile éternelle, absorber à la.
longue tous les fonds et toutes les propriétés particulières,
et que les administrateurs de patrimoine national ont le droit de les supprimer
le jour où ils les jugent dangereuses pour la liberté, le bien-être
et la prospérité des citoyens ! (Applaudissements répétés
à gauche.)
M. le comte de Lanjuinais. Mon grand-père s'est toujours opposé a la confiscation des biens du clergé.
M. Pichon. Nous parlerons tout à l'heure de votre grand-père.
Faut-il rappeler cette foudroyante réplique que
s'attirait l'abbé Maury, l'éloquent défenseur des propriétés
ecclésiastiques à l'Assemblée constituante: " Vous prétendez
que vous avez reçu des biens comme Église, comme opinion ;
que ces biens, ces richesses, sont attachés à l'existence même
de votre opinion, de votre Église ; eh bien, Supposez que tout le
monde en France abandonne le catholicisme et qu'il ne reste plus qu'un seul
catholique: sera-t-il donc propriétaire des deux milliards qui appartiennent
au catholicisme?
Mais la conséquence de la propriété
ecclésiastique, c'est que la nation dont les représentants continuaient
de croire à la nécessité de subventionner l'Église,
n'aurait pas le droit de vendre les biens ecclésiastiques, c'est qu'elle
avait dû substituer un nouvel impôt a celui qu'elle supprimait
avec les privilèges féodaux; c'est qu'elle aurait été
forcée de garantir au clergé un revenu au moins égal
à celui du capital dont elle s'emparait, c'est ..... (Interruptions
à droite.)
................
Je dis que l'Assemblée constituante aurait
été obligée d'inscrire au livre de la dette publique
des rentes perpétuelles pour les prêtres bénéficiaires
et leurs ayants droit.
Elle ne l'a pas fait. je ne conteste pas qu'en échange
de 1a mainmise sur les propriétés ecclésiastiques elle
ait donné un traitement aux prêtres. Pourquoi ?
Parce que dans sa. pensée, et c'est là, selon
moi, son erreur fondamentale, le culte catholique devait conserver son caractère
public, parce qu'elle croyait que l'État devait une rétribution
aux prêtre, parce qu'elle n'était pas arrivée à
cette conception supérieure de la liberté, qui interdit à
la collectivité toute intrusion dans le domaine de la conscience individuelle.
(Applaudissements à gauche)
L' Assemblée législative a partagé
son erreur et la Convention a fait de même jusqu'au jour où elle
s'est aperçue que sa politique religieuse était contraire à
l'intérêt national, à l'esprit même de la République,
jusqu'au moment où elle a compris que la. séparation complète
de l'Église et de l'État était le couronnement nécessaire
d'une œuvre de justice et de pacification. Est-ce qu'elle s'est préoccupée
à ce moment d'indemniser le clergé? Est-ce que quelqu'un a
réclamé lorsque Cambon est venu lire son admirable rapport
du 18 septembre 1794, dont la conclusion était que la République
française ne payait plus ni le salaire ni les frais d'aucun
culte? Est-ce que quelqu'un a protesté lorsque Boissyd'Anglas
est venu proclamer dans une séance suivante que la politique de la.
Convention devait être la tolérance et l'indifférence
parfaite pour tous les cultes.
Est-ce que la droite s'est récriée lorsque
Lanjuinais, dans la séance da 1er juin 1795,
est venu demander que les édifices publics soient provisoirement prêtés
au culte en attendant des conditions plus ou moins onéreuses stipulées
pour la. location des temples dont la propriété restait à
jamais à la nation? (Vifs applaudissements à gauche.)
................
La vérité est, messieurs, que lorsque le
Concordat fut conclu, l'Église avait pris son parti du régime
qui lui donnait la liberté sans salaire ; la vérité est
que les protestations contre la vente des bien ecclésiastiques s'étaient
éteintes et que le culte catholique était universellement célébré,
sans que l'Église songeât à demander de rétributions
pour son service.
M. le comte de Lanjuinais. Vous oubliez de dire qu'on avait une
singulière manière d'éteindre les protestations, à
cette époque.
.................................
M. Pichon. Où a-t-on vu que le budget des cultes fût une
indemnité accordée en échange des biens de l'Église
? Ce n'est pas dans le Concordat, qui se borne à garantir un traitement
convenable aux curés et aux évêques, et qui déclare
que ni le pape Pie VII et ses successeurs ne troubleront en aucune manière
les acquéreurs des biens ecclésiastiques, et qu'en conséquence
la propriété de ces biens demeurera incommutable dans leurs
mains et dans celles de leurs ayants cause.
Ce n'est pas dans la législation monarchique, qui
proteste tout entière contre la prétention du clergé
au droit lie propriété.
............
Et voulez-vous savoir l'avis de la monarchie qui, messieurs
de la droite, vous tient sans doute le plus à cœur, quoiqu'elle
soit bien oubliée, de la monarchie constitutionnelle ? Vous vous souvenez
qu'en 1831 l'archevêché de Paris avait été mis
à sac. Par une ordonnance da. mois d'août de la même année
on avait affecté à l'habitation des archevêque, l'ancien
hôtel de la grande aumônerie de France et décidé
la vente des matériaux de l'ancien archevêché.
M. de Quelen, alors archevêque de Paris, protesta
vivement en soutenant que l'État n'était pas propriétaire,
et qu'en fait la vente des biens ecclésiastiques n'avait jamais été
sanctionnée par l'Église. Le gouvernement passa outre et décida
de convertir l'ancien archevêché en promenade publique. Nouvelles
protestations plus indignées encore de M. de Quelen.
Le Gouvernement d'alors fit ce que ferait encore le Gouvernement
d'aujourd'hui, il déféra de M. de Quelen au conseil d'État.
J'ai sous les yeux le rapport du conseil d'État; il est irrité,
indigné, de voir qu'on révoque en doute le droit de propriété
de la nation:
...................
Et voulez-vous savoir quelles avaient été
les opinions émises à la. Chambre des pairs par les plus ardents
défenseurs de la monarchie constitutionnelle ? Elles sont résumées
dans un très beau discours de Montalembert, - ce ne sont pas les opinions
de Montalembert que je vous cite, mais celles des monarchistes constitutionnels,
contre lesquelles il proteste:
"...On a dit que l'Église n'est propriétaire
de rien; que, pour elle, il n'y a jamais eu, ni par le Concordat ni par aucun
acte postérieur, retour à la propriété... "
.........
... qu'elle n'a tout au plus qu'un droit de jouissance, d'affectation,
absolument subordonné à la volonté de l'État.
D'où il résulte nécessairement ( et votre commission
l'a expressément reconnu) que s'il plaît à l'État
ou à un de ses ministres de s'emparer des 30 000 églises qui
ont été rendues au culte, d'en faire des temples protestants,
ou bien de les appliquer à une autre destination étrangère,
ou même profane, il en a le droit ; d'où il résulte encore
que tous les dons et legs faits à l'Église par les fidèles
depuis trente ans avec la sanction formelle de l'État ne sont, eux
aussi, qu'une jouissance provisoire sur lesquelles l'État a le droit
de mettre la main quand il lui plaît." (Très bien ! très
bien ! - Applaudissements à gauche.)
Voulez-vous une antre autorité, celle de M. Jules
Simon (Mouvements divers à gauche), qui écrivait, il
y a quinze ans, dans la Liberté de conscience : " Je dirai sur-le-champ
qu'à mes yeux les biens du clergé étaient, pour la plus
grande part, mal acquis; que les conditions des fondations n'étaient
pas observées, ou ne l'étaient que par exception; qu'un clergé
propriétaire dans le sol est un danger pour l'État et pour
les familles; que, par conséquent, le budget des cultes n'était
pas une indemnité, mais un salaire; et qu'enfin ce n'est pas à
l'État mais aux fidèles à salarier les ministres du
culte et à pourvoir aux frais des cultes."
Voulez-vous une autorité plus catholique encore ? (Rires
et applaudissements ironiques à gauche.)
Je veux parler de celle du père Lacordaire, qui
était, lui aussi, partisan très déclaré de la
séparation de l'Église et de l'État, mais qui n'avait
jamais dit, jamais prétendu, jamais écrit qu'elle dût
avoir pour conséquence la restitution des biens de l'Église.
C'est lui qui disait :
" Entre Dieu et le Trésor il faut choisir une fois
............"
................
J'ai à répondre, messieurs, à un
dernier argument, c'est celui des républicains qui affirment que la
séparation de l'Église et de l'État ne serait pas acceptée
par l'opinion publique, qu'elle est prématurée.
Telle n'était pas, dans l'ancienne Chambre, l'opinion
d'un certain nombre de ministres qui l'ont renouvelée d'ailleurs pendant
1a période électorale.
M. Goblet, notamment, affirmait de la façon la
plus énergique, devant les électeurs de la Somme, qu'il était
nécessaire d'orienter vers la séparation de l'Église
et de l'État la politique religieuse du Gouvernement.
(M. le président du conseil fait un signe d'assentiment.)
Mais M. Goblet professe cette opinion comme député;
il ne croit pas qu'il lui soit possible de la professer comme ministre...
.............
...et il est venu, au nom du Gouvernement, au sein
de la commission du Concordat, expliquer que d'après lui il n'y avait
de majorité à la Chambre, ni pour la séparation de l'Église
et de l'État, ni même pour les mesures préparatoires.
Je me suis permis de demander à M. le ministre des
cultes sur quels documents, sur quels faits il appuyait cette double affirmation,
il m'a répondu que ce ne pouvait être qu'une conjecture.
Eh bien, je lui dirai que c'est une conjecture des plus
risquées et que rien, absolument rien, ne permet à un membre
du Gouvernement de dire qu'il n'y a pas ici une majorité, au moins
pour voter la liberté d'association ....
Un membre à gauche. Sans doute s'il la combat
!
Quant à la séparation de l'Église
et de l'État, on croirait en vérité que c'est une doctrine
nouvelle, qu'elle n'a jamais été soutenue avant qu'il ait pris
fantaisie à quelques radicaux de l'inscrire dans leurs programmes,
qu'elle n'existe en fait dans aucun pays, qu'elle n'a jamais figuré
dans la législation française, qu'elle est sans passé,
sans présent et probablement sans lendemain !
Ah! j'aurais compris que la Convention nationale la trouvât
prématurée; j'aurais compris que les législateurs de
1794, ayant à pourvoir à l'organisation
intérieure et la sécurité extérieure de la patrie,
aux prises avec de formidables difficultés, avec la guerre étrangère
et avec la guerre civile, ayant à achever œuvre d'émancipation
de la Révolution française, fissent aux conclusions de Cambon
l'opposition que nous rencontrons aujourd'hui.
C'était pour les législateurs et les réformateurs
du dix-huitième siècle que l'idée de le séparation
de l'Église et de l'État était nouvelle ; c'était
à eux qu'elle pouvait sembler prématurée ; c'est pour
la France à peine sortie de la domination monarchique, de la lutte
épouvantable, héroïque des grands jours de la Révolution
, que la séparation de l'Église et de l'État pouvait
paraître une surprise ; et cependant ils n'ont pas hésité
à en faire l'épreuve et jamais l'ordre n'a mieux régné,
jamais la tranquillité n'a été aussi grande .... (Applaudissements
sur divers bancs à gauche), jamais les esprits ne se sont pacifiés
avec plus de confiance que sous le régime novateur et libéral
des dernières années de la Convention. (Applaudissements
à gauche. - Protestations à droite.)
Ce qui a été une surprise pour la France,
j'ai le droit de le dire, c'est le Concordat : c'est le Concordat signé
par Bonaparte dans le but d'asseoir son despotisme sur la servilité
de l'Église, c'est le Concordat dont le premier consul espérait
se servir pour la création d'une milice dévouée à
son ambition dictatoriale; c'est le Concordat, dont les deux parties contractantes
n'ont eu d'autre pensée que de se tromper l'une l'autre (Très
bien ! très bien !) ; c'est le Concordat à l'aide duquel
le futur empereur espérait rompre le dernier fil par lequel l'ancienne
dynastie tenait encore au pays
Ignorez-vous l'opposition que rencontra œuvre du premier
consul dans les assemblées politiques ? le mécontentement du
Tribunat, le dédain du conseil d'État, la stupéfaction
du corps législatif, l'irritation de l'armée, dans laquelle
le vainqueur de la campagne d'Italie était pourtant si populaire ?
Ignorez-vous que tandis que la restauration de l'autorité religieuse
faisait l'étonnement des corps constitués de la République,
on attendait à Rome avec la plus grande anxiété, en comptant
les jours et les heures, la réponse de Paris aux demandes du saint-père.
..............
Et bientôt le catholicisme, qui n'existait plus
comme influence politique, put, grâce au Concordat, reprendre son empire
sur l'esprit public et nous préparer, suivant l'expression de Lanfrey,
les longs et cruels déchirements qui devaient mettre en péril
toutes les conquêtes de l'esprit moderne.
Mais enfin, nous dit-on, le Concordat existe et il régit
depuis quatre vingt ans les rapports de l'État et de l'Église,
et il serait dangereux de l'abroger.
Ah ! messieurs, cette affirmation aurait bien surpris le
parti républicain sous l'empire; elle aurait bien surpris les hommes
qui nous ont enseigné la république et qui portaient si vaillamment
dans la bataille le drapeau des revendications démocratiques; elle
aurait bien surpris M. Gambetta, M. Jules Simon, M. Jules Ferry, M. Henry
Brisson, M. Jules Favre, les orateurs, les représentants, les hommes
de plume et les hommes d'action du parti républicain. Dès 1845,
Lamartine s'écriait à la Chambre de la monarchie constitutionnelle
:
" Quant à moi, j'ose le dire comme je l'ai toujours
pensé : le Concordat fut une œuvre rétrograde et une faute
politique. "
En 1869 .......... En 1861 ............. En 1867 .......
en 1868 .........
En 1869, tous les candidats de l'opposition républicaine,
qui ont constitué, pour la plupart, le gouvernement de la défense
nationale et qui ont occupé le pouvoir presque sans interruption sous
la République, demandaient la suppression du budget des cultes et
l'abrogation du Concordat. (Vifs applaudissements sur divers bancs à
gauche.)
Une des vertus de la République a été
chose incroyable ! - de convaincre les hommes d'État républicains
de la nécessité de s'opposer à une réforme dont
ils n'avaient cessé de se dire les partisans; ils ont trouvé
prématurée une opinion qu'ils soutenaient depuis vingt ans;
ils ont déclaré dangereuse une doctrine qu'ils affichaient en
tête de toutes leurs professions de foi et que les électeurs,
en les nommant, consacraient par leurs suffrages. Je ne sais que penser de
ce spectacle, sinon, comme le dirait M. Grévy en 1848, qu'il est profondément
démoralisant. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes
bancs.)
.....................
Mais, messieurs, ces doctrines que vous avez affirmées
dans le pays, au corps législatif, dans vos écrits, dans vos
discours, dans vos professions de foi, dans vos programmes, ces doctrines
ne vous appartiennent pas, vous n'en avez pas la libre disposition : elles
sont notre patrimoine. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Vous en êtes comptables au suffrage universel, qui se les
est appropriées, qui les a faites siennes, qui y a souscrit alors
que vous y souscriviez vous-mêmes. Ces idées que vous avez répandues,
popularisées avec votre autorité, avec votre éloquence,
et que vous avez rehaussées, à une certaine date, par l'éclat
de votre adhésion, ces idées ont été recueillies
par une jeunesse avide de vos paroles, passionnée pour la liberté
et pour la justice. (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs.)
Elles ont amené à la République une
génération qui tressaillait au cri de la conscience révoltée
contre le césarisme, et dont le cœur battait avec le vôtre quand
vous affirmiez les revendications de la démocratie loyale et irréconciliable
en face du coup d'État triomphant. Qu'est-ce qui a rendu le pays républicain,
sinon l'affirmation incessante du droit, la revendication permanente de la
justice, l'appel de tous les jours à la liberté ? (Nouveaux
applaudissements sur les mêmes bancs. - Exclamations à droite.)
Et ce droit, cette justice, cette liberté, vous
renoncez à les revendiquer le jour où le pays est venu, à
votre voix, à la République, le jour où il vous est
passible de les faire passer de la théorie dans la pratique; vous
les marchandez, vous les refusez, sous prétexte qu'ils sont comme
l'Église, d'un domaine qui n'est pas de ce monde !
Vous vous défiez de cette nation qui vous a suivi
dans la bataille contre les forces du passé coalisées, qui
vous a encouragés à tous les combats contre l'asservissement
religieux ! Comment ! après une tentative de coup d'État faite
de compte à demi par la monarchie et par l'Église, après
la dissolution de la Chambre obtenue par le gouvernement des curés
.... (Vifs applaudissements sur un grand nombre de bancs à gauche.
- Interruptions à droite) des élections se sont faites,
en France, au cri : le cléricalisme, voilà l'ennemi ! et la
France a répondu par une solennelle et décisive répudiation
du cléricalisme ; vous avez séparé l'Église de
l'école et le suffrage universel a applaudi. Vous avez appliqué
les décrets aux congrégations non autorisées, et les
électeurs ont battu des mains ; toutes les entreprises que vous avez
tentées pour restituer à l'État son caractère
absolument laïque ont obtenu, dans le pays, une approbation que la présence
de 400 républicains sur ces bancs démontre.
Toutes les fois que vous avez battu en brèche un
privilège ecclésiastique, vous avez groupé l'unanimité
des fractions du parti républicain ; et vous hésitez, et vous
reculez, et vous vous vous récusez quand on vous demande d'achever
une œuvre que vous avez inaugurée, en reprenant une mesure qui a été
décrétée, il y a près d'un siècle, et
qui, vous le reconnaissez vous-même, a pour elle le droit, la justice
et la raison ! (Bravos et applaudissements sur divers bancs à gauche.)
.....
Vous avez dissous les congrégations religieuses, vous avez
aboli le serment religieux, vous avez voté la liberté des funérailles,
vous avez décrété l'enseignement laïque, vous avez
pris devant les électeurs l'engagement d'astreindre les séminaristes
au droit commun, aux mêmes obligations que tous les citoyens : l'Église
ne tient plus à l'État que par un lien, le budget des cultes:
ce lien je vous demande de le trancher. (Bravos et applaudissements répétés
sur divers bancs à gauche. -L'orateur, en regagnant son banc, reçoit
les félicitations de ses amis.)
................
M. Freppel. Messieurs, je m'étais
permis de penser que, cette année, le budget des cultes ne ferait
pas l'objet d'une longue discussion, et cela pour trois motifs :
Le premier, c'est que la Chambre ayant nommé une
commission spéciale de vingtdeux membres, avec charge d'étudier
les rapports de l'Église et de l'État, il me semblait tout naturel
d'attendre, pour traiter cette question à fond, que la commission eût
terminé son rapport. .
Vouloir en effet supprimer le budget des cultes tant que
le Concordat est debout, c'est une idée qui ne saurait venir à
l'esprit de personne.
.............
J'avais une deuxième raison de croire que la Chambre
ne toucherait, cette année, au budget des cultes que pour le voter
tel qu'il est et sans grande contradiction.
Et en effet, tandis que le budget de tous les autres ministères
s'est enflé, démesurément peut-être, seul le budget
des cultes a été diminué d'un cinquième en quelques
années. (Interruptions à gauche.)
.......
Enfin - et c'est la. troisième raison pour laquelle
j'estimais cette discussion superflue - je ne pouvais pas oublier que vous
aviez tranché la question d'avance dans vos engagements électoraux,
dont j'ai fait le dépouillement avec un soin scrupuleux; et, en effet,
sur 580 membres dont se compose cette Chambre, il n'y en a pas plus de 100
qui aient annoncé à leurs électeurs ... (dénégations
à gauche) ... qu'ils voteraient la suppression immédiate
du budget des cultes..
...........
Voilà pourquoi je m'étais permis de supposer
que, dans l'une comme dans l'autre hypothèse, vous écarteriez
cette année une pareille discussion comme ne pouvant être qu'une
discussion purement académique. (Exclamations à gauche.)
M. Camille Pelletan. Comment ! académique?
M. Millerand. Vous vous êtes trompé.
M. Freppel. Et si je me sers de ce mot, ce n'est pas que je veuille y attacher une signification désobligeante pour personne. Il peut sembler juste en effet que l'Académie française n'ait pas seule le privilège d'entendre des discours aussi étudiés et aussi éloquents que celui de l'honorable M. Pichon (Très bien ! très bien !)
M. Millerand. Et aussi utiles !
M. Freppel. Aussi utiles, c'est une autre question ; le vote le
montrera tout à l'heure. Je vous prie, monsieur Millerand, de me laisser
continuer; je n'ai pas interrompu une seule fois M. Pichon (C'est vrai
!), bien qu'il n'ait pas toujours dit des choses qui me fussent très
agréables. (On rit. - Parlez! parlez!)
J'aurais pu ajouter une quatrième raison, messieurs,
et me demander si, dans les circonstances présentes, alors que nous
avons tous un grand besoin d'union, de concorde et de rapprochement, s'il
est bon, s'il est sage et utile d'entamer des discussions aussi irritantes
que celle-ci. (Très bien ! très bien ! à droite.)
Quand l'orage aura passé, nous pourrons nous disputer entre nous comme
bon nous semblera ; mais de grâce, en ce moment n'avivons pas les haines
alors qu'il faudrait tout faire pour les calmer. (Très bien
! très bien ! sur divers bancs.)
Mais enfin je me trouve eu présence d'une thèse
que j'ai le devoir de discuter, car il ne faut pas laisser l'opinion s'égarer
sur ce point. Cette thèse, la voici: Le budget des cultes n'est pas
la conséquence d'un engagement de l'État français envers
le clergé et les catholiques de France ; par conséquent, vous
pouvez. le supprimer sans violer les lois de la justice et de l'équité.
Pour démontrer le contraire, je suis obligé
de remonter aux. origines du budget des cultes et, selon moi, ces origines
sont ailleurs que dans le Concordat.
Vous savez, messieurs, à la suite de quels embarras
financiers l'Assemblée constituante de 1789 mit à la disposition
de la nation tous les biens ecclésiastiques. En se servant de ces
mots :" Biens ecclésiastiques", dans le décret du 2 novembre
1789, l'Assemblée reconnaissait par là même que les biens
en question étaient véritablement des biens d'église.
(Protestations à gauche.)
Un membre à droite. Écoutez ; nous
avons écouté M. Pichon sans interrompre, nous !
Et, en effet. que le clergé, alors le premier corps
de l'État, fût légitime propriétaire de ses biens,
nul ne pouvait le contester sans nier l'évidence même.
Depuis quatorze siècles, en France, les corps ecclésiastiques
usaient, jouissaient, disposaient de leurs biens; ils achetaient, ils vendaient,
ils aliénaient, ils donnaient des baux, ils faisaient en un mot tous
les actes qui constituent le droit de propriété, en se conformant,
bien entendu, aux lois et règlements qui gouvernaient la matière.
Prétendre que les bien, ecclésiastiques appartenaient à
la nation , comme on l'a dit tout à l'heure, c'était dissimuler
la convoitise sous un sophisme qui n'a
même rien de spécieux, car jamais actes de donation, jamais chartes
de fondation n'ont porté ces mots: je donne ou je lègue à
l'État ou à la nation; mais bien cette formule invariable
: je donne ou lègue à tel diocèse, à tel évêché,
à telle fabrique, à tel chapitre, à telle paroisse, à
tel monastère; et cela pour les frais du culte, l'entretien de ses
ministres et pour le soulagement des pauvres. (Très bien ! très
bien ! à droite.)
Les biens de l'Église étaient tellement sa
propriété, que c'est même à ce titre qu'ils étaient
affranchis de la plupart des impôts.
Les biens de l'Église appartenaient si peu à
1a nation que lorsque l'État était en détresse, il s'adressait
aux assemblées du clergé pour en obtenir des secours; et, en
cas de refus, au pape pour solliciter l'autorisation de lever des subsides
sur les corps ecclésiastiques. Tout cela, messieurs. est indiscutable.
(Très bien ! très, bien ! à droite.)
M. Antonin Dubost. C'est contraire à l'histoire!
..............
M. Freppel. A la place du droit de propriété, mettez
le droit d'usage et d'usufruit, et mon argumentation conservera toute la
valeur, car il n'est pas plus permis de dépouiller une personne ou
une collectivité du droit d'usage et d'usufruit que de lui enlever
la propriété. (Très bien l très bien ! à
droite.)
Or, que l'Église ait eu à tout le moins,
avant 1789, l'usage et l'usufruit de ses biens, il faudrait véritablement
avoir perdu le sens pour le contester. (Marques d'approbation sur les mêmes
bancs.)
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée constituante passa
outre, entraînée par deux hommes que l'on vient de nommer :
l'un, cet évêque apostat, véritable type d'hypocrisie
et de lâcheté ..... (Humeurs à gauche. - Très
bien ! à droite)
.............
..... qui allait traîner à travers la première
moitié de ce siècle le scandale de ses palinodies, et, après
avoir trompé les hommes pendant sa vie, essaya encore de tromper Dieu
lui-même à son heure dernière .... (Rires ironiques
à gauche. - Applaudissements sur plusieurs bancs à droite);
l'autre, un des mortels les plus chargés de vices qui aient paru en
France, traître à la Révolution comme il l'avait été
au roi, et qui devait montrer par son exemple, comme on l'aura rarement prouvé,
qu'un merveilleux talent est le don le plus funeste quand il est accompagné
d'une absence complète de sens moral. (Très bien ! très
bien ! à droite.) C'est donc à la suite de Mirabeau
et de Talleyrand que l'Assemblée constituante ..... incorpora
les biens ecclésiastiques au domaine national.
.................
Je ne sais pas si le droit de propriété,
battu en brèche de toutes parts, résistera toujours aux assauts
qu'on lui livre ; je ne sais pas si, au vingtième ou au vingt et unième
siècle peut-être, il aura son éclipse et le socialisme
son jour de triomphe. (Mouvements divers.)
...........
Mais je crois pouvoir affirmer, c'est que ce jour-là
il cherchera la première justification dans l'acte des constituants
de 1789 ; et cela est déjà fait, car c'est là-dessus,
c'est sur la confiscation des biens ecclésiastiques par l'Assemblée
nationale que
s'appuie Karl Marx dans son vaste, son important ouvrage sur " le Capital
", pour soutenir que la. nation est le seul et unique propriétaire
du sol. (Mouvements divers.)
L'Assemblée constituante de 1789 a-t-elle
eu le sentiment des conséquences qu'allait entraîner un pareil
acte ? Je le crois, car elle comptait dans son sein des hommes possédant
à un haut degré le sens juridique. Le fait est qu'elle recula
devant 1a confiscation pure et simple, devant la confiscation sans compensation
et sans indemnité.
Elle se dit que les biens dont se composait le patrimoine
de l'Église avaient une triple affectation : les frais du culte, l'entretien
de ses ministres et le soulagement des pauvres. Et alors, se tournant vers
ces corps dépossédés, évêchés, diocèses,
chapitres, paroisses, fabriques, elle leur dit: Sous l'empIre de ce que je
considère comme une nécessité d'État, j'ai mis
vos biens à la disposition de la. nation; mais, par contre, mais en
retour, et en vous substituant la nation dans 1a disposition de vos biens,
je lui transfère les charges que vous aviez à remplir: les
frais du culte, l'entretien de ses ministres et le soulagement des pauvres.
(Très bien l très bien ! à droite.)
.........
Le 2 novembre, le jour des morts, (Ah ! ah ! sur plusieurs
bancs au centre), était bien choisi pour porter un coup mortel
à l'Église de France ! Comment Talleyrand, lui du moins, n'a-t-il
pas été frappé de cette coïncidence !
(Rires et mouvements divers.)
"L'Assemblée nationale décrète que
tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la
nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux
frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des
pauvres."
C'est donc bien une " charge " que l'Assemblée
constituante imposait à la nation en retour des biens ecclésiastiques
qu'elle mettait à sa. disposition; c'est un contrat onéreux
qu'elle faisait avec ces corps dépossédés, avec ces établissements
publics, évêchés, diocèses, fabriques, chapitres.
Et ce contrat, subi d'abord, comme on subit toutes les spoliations qu'on
ne peut empêcher, fut ratifié plus tard, en 1801, accepté,
validé par le chef suprême de l'Église, au nom du clergé
et des catholiques de France.
................
Et pour bien montrer qu'il ne s'agissait pas là
d'une charge transitoire, passagère, mais d'un engagement permanent,
irrévocable de la part des État français, l'Assemblée
constituante décréta, le 13 avril 1790, que désormais,
chaque année les dépenses du culte catholique seraient mises
à la première place des dépenses publiques, - entendez
bien, à la. première place, - c'est-à-dire avant les
dépenses de la guerre, de la marine et de l'instruction publique. (Réclamations
à gauche.)
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Qu'on ne me dise pas .... qu'en faisant le budget des
cultes une charge permanente et irrévocable pour la notion française,
l'Assemblée en subordonnait l'accomplissement à l'acceptation
de la constitution civile du clergé de France. Ce serait là,
tout à la fois, une erreur de droit et une erreur de fait.
Une erreur de droit: car il est impossible en droit, de
subordonner l'exécution d'un contrat à une apostasie. Une erreur
de fait; car à ce moment-là, il ne s'agissait pas encore de
la constitution civile, qui n'a été décrétée
que plusieurs mois après, de cette néfaste mesure qui a été
la cause principale des déceptions et des mécomptes de la Révolution
française, de cette étrange aberration d'hommes politiques
voulant se faire théologiens, à la suite d'une poignée
de jansénistes comme Camus, de cet acte tyrannique dont Louis Blanc
a pu dire avec raison qu'il était une " tentative irréfléchie
et une inconséquence pleine de péril." (Très bien!
très bien! à droite.)
Mais, me direz-vous, l'Assemblée constituante de
1789 était une Assemblée monarchique, et nous sommes une Assemblée
républicaine.
L'Assemblée constituante de 1789 une Assemblée
monarchique ! Eh! il y aurais beaucoup à dire là-dessus. (On
rit.) En tout cas, c'était une singulière manière
de constituer la monarchie que de lui ôter par avance tous les moyens
de vivre et d'exister, (Très bien ! très bien ! à
droite.)
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Eh bien, ...., je n'ai jamais pu comprendre, et je ne
comprends pas bien encore, ...., comment vous, républicains, vous
songiez à célébrer le centenaire de 1789. Mais ce centenaire
ne vous appartient pas ! Il appartient à la monarchie réformatrice
et constitutionnelle. (Applaudissements à droite. - Rires ironiques
à gauche.)
Votre véritable centenaire est celui du 21 septembre
1792 ..... date anniversaire de la proclamation de la République.
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Nous voici en 1792. L'assemblée législative
vient de décréter la République. Nous sommes au lendemain
du massacre des prêtres à l'Abbaye aux Carmes à Saint
-Firmin, de ces lamentables journées que nous voudrions tous pouvoir
effacer des annales de notre histoire.
L' Assemblée législative vient de décréter
que " les biens de tous les Français seront à la disposition
du pouvoir exécutif ".
C'est bien le. moment, ce semble, d'oublier les engagements
de 1789 vis-à-vis du clergé et des catholiques de France.
Eh bien, non, l' Assemblée législative ne
les oublie pas. Elle ne les perd pas de vue, elle y reste fidèle, au
moins en principe et dans ce même décret du 14 septembre 1792,
où elle déclare "qu'à compter du 1er janvier 1793, les
citoyens, dans chaque municipalité ou paroisse, aviseront eux-mêmes
aux moyens de pourvoir à toutes les dépenses du culte auquel
ils sont attachés". Elle fait une exception pour le traitement des
ministres du culte catholique.
M. Camille Pelletan. Des ministres du culte catholique assermentés !
M. Freppel. Peu importe quant au principe ! Ce traitement continuera
d'être servi par l'État, pourquoi? Parce qu'il est la représentation
des biens ecclésiastiques incorporés en 1789 au domaine national.
Impossible de dire plus hautement que ce traitement était
une dette de justice que l'Assemblée législative n'osait pas
nier dans les jours mêmes où - et ce sera son éternelle
condamnation - elle était restée impassible et muette devant
le plus lâche et le plus odieux des forfaits. (Très bien
! très bien ! à droite.)
....................
Et la
Convention ............ elle, au contraire, .......,; lui a donné
la consécration légale, juridique, la plus éclatante
de toutes. Dans le décret même par lequel elle a ordonné
la formation du Grand-Livre, dans le célèbre décret du
24 août 1793, promulgué le 13 septembre suivant, elle formulait
en ces termes l'énoncé de la dette: " La République pourvoira
aux frais du culte à compter du 1er janvier 1794.
"
On me disait tout à l'heure : La suppression du
budget des cultes, c'est une indication au Gouvernement pour faire la séparation.
Vous me permettrez de vous dire, messieurs, que c'est la séparation
faite et exécutée. Je vous ai indiqué dans la commission
un moyen de nous mettre d'accord sur un projet de résolution que vous
auriez apporté devant la Chambre et par lequel vous aviez invité
le Gouvernement à étudier des mesures préparatoires à
la séparation. Et je vous avais dit que nous verrions alors s'il se
trouvait dans la Chambre une majorité pour la faire, parce qu'en effet,
dans la déclaration ministérielle apportée le lendemain
du jour où le cabinet s'est constitué, j'avais dis à
la Chambre que je n'avais pas la prétention de faire une besogne impossible
et que je n'aborderais pas de réformes pour lesquelles je n'aurais
pu l'assurance de rencontrer une majorité.
M. Millerand. Présentez-la sous une autre forme.
M. le président du conseil. ...qui me parait attentatoire aux consciences religieuses et qui ne peut être acceptée par le pays.
M. le rapporteur. ...contre la séparation de l'Église et de l'État, les membres qui ont formé la majorité ne se sont préoccupés que des conséquences pratiques de leur vote.
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