Chambre des députés
12 novembre 1882
Le 28
mars 1882, la loi sur l'instruction
obligatoire et la laïcité venait compléter celle
sur sa gratuité, votée le 16 juin
1881 . Il faudra attendre le 30 octobre 1886 pour qu'il y ait une
loi sur la laïcisation du personnel enseignant de l'enseignement
public.
......................
M. Fallières, ministre
de l'intérieur et des cultes. Messieurs, avant que la discussion
ne s'engage sur le budget des cultes, je vous demande la permission de
vous soumettre une courte observation.
Les années précédentes, chaque
lois qu'arrivait la discussion de ce budget, un certain nombre de nos honorables
collègues profitaient de la. discussion générale pour
poser devant la Chambre la question de la séparation de l'Église
et de l'État.
La Chambre ne s'est pas arrêtée à
ces propositions; elle a estimé qu'on ne pouvait. par voie indirecte,
et par discussion budgétaire, abroger le Concordat. Aussi dans le
courant de la présente session, ces mêmes collègues,
qui sont les partisans persévérants de cette doctrine, ont-ils
déposé
un certain nombre de propositions de loi touchant le régime
concordataire et tendant à la séparation de l'Église
et de l'État. Une commission de 22 membres a été nommée,
elle a laborieusement travaillé pendant le cours de la précédente
session. Elle est arrivée, je crois, à des résultats
et, si je ne me trompe, son rapporteur a été nommé.
Il me semble que, dans cette situation, nous ne
pourrions utilement aborder la question de fond et que, dans l'intérêt
même de ceux qui veulent une discussion approfondie, la Chambre considérera
qu'il est préférable d'attendre le moment où la discussion
sur le rapport sera mise à l'ordre du jour, pour engager la discussion.
Je me bornerai donc aujourd'hui, pour qu'il n'y ait aucune espèce
de doute sur les intentions du Gouvernement, à demander que la Chambre
veuille bien passer à la discussion des chapitres du budget des
cultes et les voter.
Je termine en déclarant que nous prendrons
position dans ce débat quand il s'ouvrira et que le Gouvernement,
voulant se maintenir sur le terrain concordataire, vous demandera de repousser
toute propositions tendant à la séparation de l'Église
et de l'État. (Applaudissements au centre et à gauche.)
M. Édouard Lockroy.
Nous nous réservons pour cette discussion.
..................
M. Jules Roche. Messieurs, un
rapporteur du budget des cultes monta un jour à la tribune et commença
son rapport en disant:
" Vous vous demandez lins doute quel rapport il
peut exister entre les finances de la République et les prêtres.
" Et il terminait son rapport en proposant une loi ainsi conçue:
" La République française ne paye plus les frais d'aucun
culte. "
Aujourd'hui, messieurs, le rapport présenté
au nom de la commission du budget par l'honorable M. Noirot tient un langage
bien différent de celui de Cambon, et ce qu'on vous demande, ce
n'est pas de déclarer que la République française
ne paye plus les frais d'aucun culte, mais c'est de voter 51 millions en
chiffres ronds, pour les cultes, pour l'église catholique à
peu près complètement.
Messieurs, je ne viens pas vous demander, comme
M. le ministre de l'intérieur et des cultes semble le croire, de
porter aujourd'hui la discussion sur le terrain de la séparation
de l'Église et de l'État et sur le refus complet du budget
des cultes. Nous faisons, nous qu'on accuse quelquefois d'être des
esprits chimériques et de ne pas savoir tenir compte de la réalité
des choses, nous faisons, au contraire, la part la plus complète
de ces réalités, et ce sont des réalités que
nous poursuivons.
Nous voulons la séparation des Églises
et de l'État et nous espérons démontrer à 1a
Chambre quelle est la solution nécessaire des rapports entre les
Églises et l'État. Mais, aujourd'hui, en présence
de la situation parlementaire qui nous été exposée
par M. le ministre de l'intérieur et des cultes, en présence
du rapport qui va être prochainement déposé par la
commission spéciale que vous avez nommée pour examiner la
proposition de l'honorable M. Boysset et celle que j'ai déposée
moi-même et que vous avez bien voulu prendre en considération,
en présence de la loi du 18 germinal an x qui est en vigueur, qui
n'est pas abrogée aujourd'hui, en tenant compte de toutes ces réalités,
et en nous réservant notre entière liberté d'action
et de vote quand il s'agira de passer à la discussion des articles
ou lorsque l'on votera certains articles du budget, je me place sur le
terrain même qui a été choisi pu la commission du budget
et son rapporteur, l'honorable M. Noirot.
..............
Qu'est- ce donc que la loi du 18 germinal an X vous
oblige à voter? De quoi la France est-elle débitrice?
Si l'on prend le texte même du Concordat,
ou plutôt la loi du 18 germinal an X, pour parler exactement - car
il ne faut pas confondre une convention qui n'a pas de valeur légale
avec ce qui est la loi de la France, loi votée par la représentation
de la France, c'està-dire la loi de germinal an X, -que devonsnous,
aux termes de cette loi ? En nous reportant au texte même, il est
facile de voir que le traitement des évêques et des archevêques
et le traitement des curés sont seuls fixés par le Concordat.
Mais je ne veux pas abuser d'un argument de texte; et je veux examiner
.... la loi de l'an X au même point de vue que M. Noirot et
la commission du budget dont il était l'organe.
Quelle en est la portée, non pas an point
de vue politique, -c'est une discussion que nous réservons pour
plus tard, et je vous l'ai dit, je veux me tenir très rigoureusement
sur le terrain budgétaire -quelle est, au point de vue budgétaire
la portée légale, la portée rationnelle de la loi
du 18 germinal an X?
.....................
Est- ce que tous ces traitements qui figurent aujourd'hui
dans le budget des cultes, celui des desservants, celui des chanoines...
(Bruit.)
..............
Est-ce que tous ces traitements sont des conséquences
légitimes de la loi ?
.......
Et pour nous rendre compte de cette portée
budgétaire de 1a loi de l'an X et du concordat, il est bien évident
qu'il faut préciser les conditions dans lesquelles le concordat
a été conclu.
Qu'est-ce que l'Église a demandé,
lorsqu'elle a fait le concordat? Qu'est-ce que l'État lui a promis
? A quoi s'est-il engagé, et pour quels motifs a-t-on fait ce contrat
?
Il me suffit, messieurs, pour éclairer immédiatement
la question, de vous rappeler quelle était la situation légale
des cultes en France, lorsque le concordat a été conclu.
Je vous indiquais, il y a un instant,
la loi du 18 septembre 1794, par laquelle la République avait
déclaré qu'elle ne payerait plus les frais d'aucun culte.
Cette loi avait été suivie, jusqu'à 1801, d'une série
d'autres lois qui en avaient été le complément, le
développement, et qui avaient été faites pour assurer
dans toutes ses conséquences le régime de la séparation
des églises et de l'État. Telle avait été la
loi que vous connaissez bien, la loi organique du 3 ventôse an III,
qui opérait la séparation absolue de l'Église et de
l'État, déclarant qu'aucune taxe ni directe ni indirecte,
soit à la charge de l'État, soit à la charge des départements
ou des communes, ne serait acquittée pour les frais d'aucun culte;
qu'aucune dotation perpétuelle ou viagère ne pourrait être
établie en faveur des cultes; qu'aucun signe extérieur ne
pourrait indiquer quel culte on célébrait dans tel lieu déterminé.
Tel avait été le but des lois du 11
prairial an III, du 20 fructidor an III, du 7 vendémiaire an IV,
du 7 nivôse et du 2 pluviôse an VIII.
Et pour ne pas entrer dans les détails de
toutes ces lois, j'en signale seulement les traits caractéristiques,
les traits généraux, qui sont les suivants: d'abord, liberté
absolue et égalité pour tous les cultes; aucun n'est favorisé,
aucun n'est opprimé. Les édifices antérieurement consacrés
aux cultes sont laissés à la libre disposition des communes.
Sur ce point, la loi du 11 prairial an III est particulièrement
intéressante à consulter: ces édifices sont placés
sous la police du chef de la municipalité, et ils doivent être
affectés également à la célébration
des divers cultes et aux cérémonies civiles soit aux fêtes
décadaires, soit aux réunions des électeurs; en un
mot, les habitants de la commune qui, aujourd'hui, vous le savez, sur presque
toute de la surface du territoire, sont privés de locaux où
ils puissent s'occuper de leurs affaires, ce peuple souverain qui n'a nulle
part à sa disposition un local où il puisse se livrer à
l'examen des questions qu'il doit résoudre, avait à cette
époque la libre disposition des édifices consacrés
aux cultes, précisément pour l'examen et la discussion des
affaires publiques. Le maire était chargé de régler
par un arrêté municipal les époques et les heures auxquelles
ces édifices devaient être affectés successivement,
tantôt à un culte, tantôt à un autre, tantôt
aux réunions des citoyens.
Un autre caractère de la législation
existante à l'époque de la conclusion du Concordat est l'acte
de soumission qui était imposé soit par la. loi du 7 vendémiaire
an IV, soit par la loi du 11 prairial an III, aux ministres du culte.
Les ministres, les prêtres d'une religion
quelconque ne pouvaient exercer leur ministère qu'à la condition
d'avoir préalablement déclaré devant la municipalité
du lieu où ils voulaient exercer ce ministère qu'ils se soumettaient
aux lois de la République.
Enfin, un autre caractère que j'ai déjà
indiqué, c'est qu'en dehors de la jouissance commune des édifices
publics, la police de ces édifices appartient particulièrement
à la municipalité.
Tel était, messieurs, le régime qui
avait été institué par les différentes lois
que je viens de vous indiquer et qui a régi la France pendant près
de sept ans.
De telle forte que, lorsque nous venons aujourd'hui
parler de séparation des Églises et de l'État, ce
n'est pas une idée métaphysique conçue de toutes pièces
et a priori, que nous apportons au pays; non, c'est le retour à
un ordre de choses expérimenté pendant une assez longue période
de la vie des hommes, pendant sept ans, et qui a donné des résultats
appréciés, constatés, démontrés par
l'histoire; de telle sorte que, lorsque nous discutons cette question,
c'est la méthode expérimentale et historique qui vient l'éclairer.
(Très
bien ! très bien ! à gauche. )
Messieurs, il y a sur la séparation de l'Église
et de l'État une double légende:
D'un côté, on prétend que la
séparation de l'Église et de l'État a été
l'organisation de 1a persécution religieuse, que c'est Bonaparte
qui a relevé les autels, rouvert les temples à ceux qui ont
besoin d'adorer une divinité; et de l'autre côté, on
prétend que la séparation de l'Église et de l'État
avait donné, au point de vue républicain, au point de vue
révolutionnaire, le seul qui nous intéresse, les résultats
les plus déplorables et les plus dangereux, qu'elle avait fortifié
l'Église et perdu complètement la République.
J'ai entendu soutenir cette thèse.
............
Si .... au point de vue budgétaire,
nous jetons un coup d'œil rapide sur la situation, sur les événements
qui se sont succédés en France depuis 1794 jusqu'au Concordat,
jusqu'à la loi du 18 germinal an X, nous allons voir
que la double légende dont je parlais à l'instant, est absolument
contraire à la réalité des choses; que les cultes
n'ont pas été persécutés, qu'ils étaient
absolument libres, plus libres qu'ils ne l'ont jamais été,
et que ce régime de liberté, bien loin d'avoir fortifié
cette institution politique qui est l'ennemie de l'État, de la société
civile et qui s'appelle l'Église romaine... (Très bien!
à gauche.) l'avait complètement ruinée. ( Interruptions
à droite.)
...................
Quant au clergé lui-même, ...., la
réponse n'est pas douteuse, lorsque vous consultez les actes du
concile national. Le décret du 28 septembre 1797, rendu par le concile
national de France, porte dans son article 1er, comme déclaration
dominant toutes les règles de conduite des catholiques, " que tout
catholique français doit aux lois de la. République une soumission
sincère et véritable. "
Ce n'est pas là le langage que tiennent aujourd'hui
nos prélats! (Très bien! très bien ! à l'extrême
gauche.)
.........................
Lorsque aujourd'hui des catholiques, des chrétiens,
prétendent qu'un tel régime inaugurerait la persécution,
je leur demande s'ils sont plus croyants , plus fidèles et
plus soumis aux volontés de l'Être qu'ils adorent et dont
ils se prétendent les prêtres, que ne l'étaient les
membres du concile de 1797 ? (Très bien ! très bien! à
gauche.)
Telle était donc en France la situation religieuse;
c'est-à-dire vous le voyez, messieurs, que l'Église romaine
avait perdu tout son pouvoir, qu'elle était absolument ruinée,
qu'elle n'existait plus en France qu'à l'état de rébellion
sur quelques points isolés du territoire dans l'ouest
ou dans le midi, et que, dans l'immense majorité da la République
au contraire, les cultes, là où ils se célébraient
et sur ce point j'aurais beaucoup à dire, -se célébraient
d'une façon absolument paisible et en dehors de toute préoccupation
politique. (Très bien! sur les mêmes bancs.)
Mais en Italie quelle était donc la situation
de l'Église romaine ? Quelle était donc 1a situation du pape
qui venait de perdre la France ? -et vous savez quel est le rôle
que la France joue dans le domaine du souverain pontife : elle est "la
fille aînée de l'Église" ; si l'Église perd
la France, elle perd ses plus importantes ressources pécuniaires,
et sa plus grand force morale ; ......
Les soldats de la République française
étaient allés deux fois en Italie, ils l'avaient conquise,
ils y avaient fondé la République Cisalpine, la République
parthénopléenne. On avait conclu le traité de Tolentino
par lequel le souverain pontife avait perdu la plupart de les États
et avait été obligé de céder à la République
française Bologne, Ferrare, Aucône, la légation de
Ravenne, et de payer une indemnité de 30 millions. Le traité
de CampoFormio était conclu; après lui, le traité
de Lunéville venait de l'être et en consacrait toutes les
bases. De sorte que le pape se voyait menacé de toutes parts. Il
avait perdu son pouvoir spirituel; son pouvoir temporel était réduit.
Il conservait Rome, mais elle était menacée.
Les Français venaient d'entrer dans Milan,
et lorsque Bonaparte avait commencé les négociations du Concordat
et qu'il voyait le pape, non pas hésiter, car il avait trop envie
de conclure, mais chercher, avec l'habileté particulière
aux représentants de l'Église, et grâce à leur
habitude de la pratique des gouvernements. à tirer le meilleur parti
possible de la situation, il avait menacé de renoncer au traité
de Tolentino, c'est-à-dire d'enlever au pape le territoire qui lui
restait.
C'est dans ces conditions que le pape, lorsqu'il
croit que tout est perdu, qu'il n'y a plus de culte romain en France, lorsqu'il
est menacé chez lui, voit tout à coup que tout est sauvé
; c'est alors que Bonaparte lui offre le Concordat pour des motifs que
vous connaissez, parce qu'il voulait appuyer la servitude politique sur
la servitude religieuse. (Applaudissements à gauche.)
Le souverain pontife, dans cette situation, comprend
tout le parti qu'il a à tirer du Concordat , et il se garde
bien d'entrer dans une discussion de finances, de demander des traitements;
cela lui est bien égal; ce qui lui importe, c'est de détruire
la liberté des cultes en France.
.................
C'est de détruire la liberté
des cultes, c'est de faire restaurer officiellement, légalement,
publiquement, uniquement l'Église romaine; c'est de reprendre la
jouissance de ces 40.000 édifices qui sont livrés au culte,
et dans lesquels les religions rivales viennent célébrer
leurs cérémonies; c'est, en un mot, de reparaître,
après la Révolution, avec tout l'éclat, toute la puissance,
tout l'appareil extérieur du pouvoir et de la domination que l'Église
romaine, l'Église catholique avait si longtemps exercés en
France. (Applaudissements à gauche.)
Et alors il fit le Concordat. Il n'entre pas dans
les discussions de chiffres, cela lui est bien égal; il se contente
de l'article 1er du Concordat, qui déclare que "1a religion catholique,
apostolique, romaine, -ce mot qu'on n'avait pas entendu en France depuis
sept ans, -sera librement exercée en France, que son culte sera
public. "
Il se contente de l'article 12, dans lequel, avec
un soin extrême, l'Église s'empare de tous les édifices,
de telle sorte qu'il ne reste plus rien aux autres cultes, plus rien aux
citoyens lorsqu'ils voudront se réunir pour exercer leurs droits
civiques. "Toutes les églises métropolitaines, cathédrales,
paroissiales et autres, nécessaires au culte, seront remises à
la disposition des évêques."
Voilà le Concordat.
Quant au traitement, on parle, dans l'article 14
sans y attacher d'importance, sans même préciser les chiffres,
d'un traitement convenable qui sera assuré aux évêques
et aux curés, et le chiffre de ce traitement est fixé plus
tard dans les articles organiques : 15.000 francs pour les archevêques,
10.000 francs pour les évêques, 1,500 francs pour les curés
de première classe et 1.000 francs pour les curés de seconde
classe. Quant aux desservants, aux vicaires, aux chanoines et aux séminaires,
quant à tous les membres de ce clergé catholique qui dévore
aujourd'hui le budget. ..... ... il n'en est question dans le Concordat
ou dans les articles organiques que pour exclure formellement tout traitement
leur profit. (Très bien ! A l'extrême gauche. )
Voilà donc le Concordat conclu dans les conditions
que je viens de vous rappeler: au point de vue budgétaire, il n'est
question que des traitements des évêques et des curés.
Mais si l'Église, ..., avait pensé
que plus tard, à la faveur même de l'exercice du contrat qu'elle
venait de signer, elle pourrait ....... remettre la main sur les ressources
de la France, ...., elle ne s'était pas trompée. .....
Il suffit, messieurs, pour s'en convaincre, de jeter
un coup d'œil sur le développement des dépenses du culte
après le Concordat. Le premier budget concordataire, ....., s'élève
à 1.258.197 fr.. ...
....
En 1803, ..., 4 millions ; en 1805, ..., 12 millions
et en 1813, il est de 17 millions.
Mais il ne faut pas oublier qu'à ce moment
la France .... comprenait 130 départements.
.......
Après l'empire, ..., la France est envahie
; elle est réduite à 85 départements. Que devient
le budget des cultes ? [ il ne cesse d'être augmenté]
Si bien, messieurs, que .... , vous voyez ce budget
arriver en 1820 à 24 millions, et en 1826 à 30 millions,
..., et le budget de 1829 était de 35 millions.
La monarchie de juillet .... s'empresse de faire
des réductions importantes dans le budget des cultes. Elle supprime
d'un coup deux millions. Malheureusement ces bonnes dispositions durent
peu, et, ......., en 1847 il arrive à 39 millions.
C'est à ce chiffre que la monarchie de Juillet
laisse le budget des cultes à la seconde République qui a
le malheur de faire bénir ses arbres de la liberté par les
prêtres, de telle sorte que les arbres de la liberté en meurent.
en attendant que la République en meure elle-même. (Rires
approbatifs à gauche Rumeurs à droite.)
Dès 1849, l'Assemblée législative
élève à son tour de 2 millions le budget des cultes,
il a bien fallu payer les bénédictions; -nous le trouvons
porté à 41 millions et quelques centaines de milliers de
francs.
Arrive le coup d'État. Les prélats
bénissent le parjure, ils chantent des Te Deum et on leur
paie leurs Te Deum 2 millions d'augmentation. Le budget qui suit
le coup d'État s'élève, en effet. à 44.439.000
fr. L'empire le porte à 50 millions bientôt après,
et il reste à peu près fixé à ce chiffre jusqu'en
1870.
A cette époque, messieurs, vous savez ce
que fait le second empire; il finit comme le premier par l'invasion et
par le démembrement de la patrie, et le pays, le suffrage universel,
..., envoie librement à Versailles l'Assemblée que vous connaissez,
l'Assemblée à majorité monarchique et cléricale.
......
Le suffrage universel subit aussitôt les conséquences
de ses actes : cette Assemblée qui se trouve en présence
d'un pays ruiné, à qui on vient d'arracher deux provinces,
cinq milliards de rançon, que fait-elle ? Que fait l'Église
?
Lorsque la patrie est ainsi écrasée
sous le poids d ses malheurs, est-ce qu'elle vient généreusement
faire un sacrifice ? est-ce qu'elle vient faire abandon d'une part de ses
ressources ? Est-ce qu'elle vient au secours de la France ? est-ce qu'elle
lui tend la main ? Tandis que les princes d'Orléans demandent 40
millions ...(Applaudissements à gauche.) l'Église
arrive ; elle demande, l'année même où, sur la plus
grande partie du territoire de l'Est de la France, les armées étrangères
occupent encore la partie envahie, elle demande une augmentation de cinq
millions à son budget. (Vifs applaudissements.)
Et nous sommes aujourd'hui, ..., en présence
d'un budget des cultes qui s'élève à 53.526.206 fr..
.............
Quel est donc cependant, en regard de ces 53 millions,
le chiffre concordataire ? ..........., nous devons, au plus, 6 millions.
............
Mais ce que je voudrais maintenant examiner, ce
qui nous importe, c'est de savoir quelles sont véritablement les
ressources de l'Église catholique en France, et si l'État
ne paye en réalité à l'Église que 53 millions
par an, ce qui est déjà un joli denier.
53 millions! c'est à peine si depuis un très
petit nombre d'années, et grâce à la. République.
le budget de l'instruction publique a atteint et dépassé
ce chiffre. Mais ces 53 millions, je n'hésite pas à dire
que cela. n'est rien, absolument rien. Il y a en plus un certain nombre
de crédits qui sont dissimulés sous une forme ou sous une
autre dans les autres budgets. Il ne suffit de prendre le budget des cultes
proprement dit ; dans les budget de tous les autres ministères,
on trouve quelque part, plus ou moins bien caché, plus ou moins
modestement dissimulé, un crédit pour l'Église catholique.
(C'est cela ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
Dans le budget de la marine et des colonies.....
(Ah
! ah à l'extrême gauche) il est de 1 million 071.312 francs
Voix à gauche Bien plus que cela !
..............
Je prends les chiffres officiels; je ne parle pas
de ce qui est dissimulé; je ne cite que les chiffres qui apparaissent
dans le budget.
Dans le budget de l'intérieur, .... au budget
des affaires étrangères,..... au budget de la guerre, ...
au budget des beaux-arts, au budget de l'instruction publique ......
Ce n'est pas tout. Il y a les budgets municipaux
.....
............
Aux termes du Concordat les communes ne doivent
absolument rien pour les frais de culte;...... mais la législation
postérieure a singulièrement aggravé cet état
de chose.
Le décret du 30 novembre 1809 a, dans son
article 92, rendu obligatoire pour les communes les charges relatives aux
cultes, lorsque les ressources de la fabrique ne permettent pas d'y subvenir.
................
Ce n'est pas tout encore. Vous avez vu que le Concordat
a mis à la disposition exclusive du culte catholique les édifices
qui y son t consacré ; c'est une valeur dont il faut tenir compte,
j'imagine. Voilà. une religion qui n'a pas besoin de se procurer
à ses frais les édifices nécessaires à ses
cérémonies, au logement de ses ministres; elle reçoit
tout cela de l'État ou des communes, gratuitement; elle n'est même
pas obligée d'entretenir ces édifices: on les entretient
pour elle. C'est le propriétaire qui fait les réparations,
et c'est l'Église qui jouit des édifices.
Que valent ces édifices? Et que représente
pour l'Église cette jouissance exclusive au point de vue budgétaire?
Représentez-vous un industriel, un maître
d'usine qui fait son bilan. Est-ce qu'il va négliger 1a valeur locative
des immeubles qu'il occupe? N'est-ce pas là une part considérable
de sa situation de fortune ?
Eh bien, ,voilà une industrie religieuse.....
(Rires
et Applaudissements à l'extrême gauche. -Murmures à
droite) .... voilà l'Église catholique qui occupe des
édifices considérables. Que valent ils? Le compte n'est pas
facile à faire; il faut procéder par approximation, par évaluation,
en généralisant les résultats connus, en s'élevant,
par le procédé de logique bien usité, du connu à
l'inconnu.
.................
Si l'Église catholique devait se procurer
à ses frais, avec ses propres ressources, des édifices semblables
à ceux que l'État met à sa disposition exclusive,
il faudrait bien qu'elle dépensât une somme équivalente
à la valeur de ceux dont elle jouit. Tel est le point de vue très
positif, très marchand, très pratique, auquel il importe
de se placer pour évaluer la valeur des édifices qui sont
consacrés au culte. (Très bien! très bien! sur
divers bancs à gauche.)
.................
Il y a les fabriques qui ont des ressources considérables,
ressources inconnues même du Gouvernement, et si vous cherchez, soit
au ministère des finances, de l'intérieur ou des cultes,
quelle est la situations de fabriques .... on ne le sait pas. ......
Le revenu des biens immobiliers des fabriques évalué,
par l'administration des finances, certainement à un chiffre inférieur
à ce qu' est réellement, s'élève à 2,780,000
francs par an.
Il y a encore le revenu des biens des séminaires,
de leurs biens immobiliers, car de leurs biens mobiliers nous ne savons
rien, nous ne connaissons que le revenu des biens immobiliers : il est
d'un million par an. (Interruptions à droite.)
Il y a, aussi le revenu des biens des congrégations,
que la Chambre connaît; elle est saisie d'une proposition
de loi relative à ces biens; Il est de 35 millions par an.
Il y a, en outre, le montant annuel des dons et
legs faits aux. établissements religieux. d'une façon authentique,
puisqu'ils sont autorisés par le conseil d'État.
.............................
Faites le total et vous avez un chiffre de 326,478,000
fr.
Mais il y a encore autre chose. Il ne faut pas oublier
quelle est aujourd'hui la situation de l'enseignement en France. Un
grand nombre de membres des congrégations religieuses reçoivent
encore des traitements comme instituteurs ou institutrices congréganistes
publics.
......................
Vous ne voulez pas faire, personne ici, dans la
majorité républicaine, au moins, ne veut faire de politique
cléricale. (Très bien! très bien ! à gauche)
Personne ne le dirait, et personne ne le pense.
M. Talandier. C'est cependant ce qu'on fait.
M. le comte de Douville-Maillefeu. Sans s'en douter.
M. Jules Roche. Nous sommes en divergence fur les meilleurs moyens
à prendre pour faire cette politique que la France réclame
(Très bien ! sur quelques bancs à gauche), qu'elle réclame
si énergiquement depuis sa grand victoire contre les tentatives
du gouvernement des curés : la politique laïque, la politique
anticléricale (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Voilà ce que vous voulez faire tous ici dans la majorité
républicaine. Vous êtes 450 qui voulez suivre une politique
anticléricale.
Eh bien, si vous n'acceptez pas nos conclusions,
si vous vous ne faites pas au moins le budget concordataire, en attendant
que nous voyions ce que nous ferons sur la question de la séparation
de l'Église et de l'État, si vous votez le projet présenté
par M. Noirot, le projet de la commission du budget, qu'est-ce que vous
ferez ?
Vous continuerez ce qu'ont fait vos prédécesseurs,
ce que le Gouvernement de la France fait depuis quatre-vingts ans: vous
payerez vous-mêmes, avec le budget, les frais de la guerre, que cette
institution politique, je le répète, qui s'appelle l'Église
catholique, fait à la société moderne. (Très
bien ! très bien ! et applaudissements à gauche.)
Et c'est facile à prouver.
L'Église catholique, en France comme partout,
ne se contente pas de célébrer ses cérémonies,
Elle ne se contente pas de prêcher ses doctrines, elle fait des œuvres,
-c'est le mot qu'elle emploie, -et qu'elle appelle elle-même des
œuvres catholiques.
Elle couvre le territoire d'un réseau d'associations
politiques qui combattent l'État, et qui le combattent avec les
ressources que l'État leur fournit lui-même. Et il serait
intéressant, de même que je le disais tout à l'heure,
de savoir quelle est la situation budgétaire des 40.000 fabriques
de France; de même il faudrait savoir quel est l'état de toutes
ces œuvres catholiques, de toutes ces sociétés privilégiées
qui se sont établies au mépris de la loi, alors que les citoyens
qui voulaient s'associer pour l'exercice de leurs droits civiques, pour
développer les principes de la Révolution française
étaient poursuivis et condamnés.
(Vive approbation à gauche.)
Il faut savoir quel est le dénombrement de
ces œuvres, où elles sont, quel est l'état de leurs forces.
quelles sont leurs ressources. Mais lorsque vous le demandez à l'État,
an Gouvernement de la République française, il répond
qu'il n'en sait rien et que personne n'est en mesure de répondre
à cette question: quelle est donc, en définitive, dans ce
pays-ci la. situation de l'Église catholique?
.........................
Si nous étions sous le régime de la
séparation de l'Église et de l'État, comme nous y
avons été depuis 1794 jusqu'au Concordat,
si tous ceux qui voudraient se livrer à des actes religieux quelconques
et invoquer le secours du prêtre étaient obligés de
payer, comme cela. est naturel, la rétribution de ce prêtre,
l'armée des catholiques en France ne pourrait pas disposer de ses
ressources pour antre chose. (Très bien! très bien ! à
l'extrême gauche) Ou au moins il faudrait diminuer ces ressources
de l'argent, qu'elle serait obligée de consacrer aux frais de son
culte.
Mais comme l'État paye les frais de ce culte
et comme il donne aux catholiques les immeubles et qu'il fait tontes les
dépenses que les catholiques seraient obligés de faire, les
catholiques prennent leur argent de poche, et ils s'en servent pour fonder
et faire vivre leurs œuvres. (Très bien! très bien! et
applaudissements à gauche. -Interruptions et rires à droite.)
.......................
Au total, 2O6 associations catholiques; qui
comptent en province 441 succursales; - total 6'7; avec les 52 œuvres dont
je parlais d'abord, total 699 associations catholiques, dont on peut dès,
aujourd'hui assurer l'existence et le fonctionnement.
Il faudrait ajouter encore ces innombrables confréries
qui sont installées dans toutes les communes, qui, sous la direction
du curé, sont de véritables associations politiques, offrant
une organisation toute prête pour cette lutte que l'Église
livre depuis si longtemps à la démocratie, à la. République.
Tout cela, messieurs, toutes ces œuvres catholiques,
c'est vous, je le répète, c'est vous qui les subventionnez
directement avec le budget des cultes ! (Approbations ironiques à
droite.) Car il est bien évident que si vous ne votiez pas le
budget des cultes, les catholiques seraient obligés d'employer leurs
ressources à payer les frais de leur culte, au lieu de subventionner
ces œuvres qui sont un des obstacles les plus considérables que
la République rencontre dans son fonctionnement et dans son développement.
..............................
Inaugurez une politique féconde, en appliquant
la loi du 18 germinal an X au budget qui vous est soumis. Vous commencerez
ainsi, en présence de ces "œuvres catholiques", de ces œuvres de
combat organisées sur tout le territoire et qui menacent la. République,
vous commencerez les œuvres républicaines, les œuvres de progrès,
d'émancipation et de justice sociale, les œuvres de la Révolution.
(Vifs
applaudissements sur plusieurs bancs à gauche )
.................
M. Freppel. Nos honorables
collègues paraissent croire que le maintien du budget des cultes
et le maintien du Concordat sont une seule et même question. De telle
sorte qu'il suffirait à l'État français de dénoncer
la convention de 1801 pour se trouver, à l'instant même, affranchi
de tout obligation financière envers l'Église catholique.
.................
Vous dénonceriez le Concordat, vous établiriez
le régime de la séparation de l'Église et de l'État...
un membre a gauche. Cela. viendra, nous l'espérons
bien !
...que le budget des cultes, sous une forme
ou sous une autre: salaire. traitement, dotation. indemnité, n'en
subsisterait pas moins comme une dette rigoureuse ....(Oh ! oh ! à
gauche), comme une dette de justice, une dette sainte et sacrée.
(Applaudissements
à droite.) C'est ce que j'ai à démontrer. (Bruit
à gauche.)
.....
Vous connaissez tous, messieurs, le célèbre
décret des 2 et 4 novembre l789; il n'est pourtant pas inutile de
le rappeler:
" L'Assemblée nationale décrète
:
" 1° Que tous les biens ecclésiastiques
sont à la disposition de la nation... (Ah! ah! à gauche)
à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais
du culte, à l'entretien de ses ministres (Très bien !
très bien ! à droite) "...et au soulagement des pauvres.
" (Bruit à gauche.)
Et pour bien marquer qu'il s'agissait là
d'une charge permanente, devant revenir chaque année dans le budget
de la nation, l'Assemblée décrète, le 13 avril 1790:
" L'Assemblée nationale,
" Considérant qu'elle n'a et ne peut avoir
aucun pouvoir à exercer sur les consciences et sur les opinions
religieuses ; que la. majesté de la religion et le respect profond
qui lui est dû ne permettent point qu'elle devienne un sujet de délibération
;
" Considérant que l'attachement de l'Assemblée
nationale au culte catholique, apostolique et romain, ne saurait être
mis en
doute au moment où ce culte va être mis par elle à
la première place du dépenses publiques, et où,
par un mouvement unanime de respect, elle a exprimé les sentiments
du la seule manière qui puisse convenir à la dignité
de la religion et au caractère de l'Assemblée nationale,
décrète....
"Art lV. : Dans l'état des dépenses
publiques de chaque année, il sera porté une somme
suffisante pour fournir aux frais du culte de la religion catholique, apostolique
et romaine, à l'entretien des ministres des autels et aux pensions
des ecclésiastiques, tant séculiers que réguliers.
La somme nécessaire au service de l'année 1791 sera incessamment
déterminée, " (Très bien ! très bien ! à
droite.)
Voilà, messieurs, la source, l'origine première
du budget des culte!
M. Clémenceau. Et la constitution civile du clergé de France?
M. Girault (Cher). On ne s'attendait pas alors à ce que le clergé deviendrait antifrançais! (Bruit)
M. Freppel. Ce décret est antérieur de six mois
à la Constitution civile du clergé en France, qui n'a été
votée que les 12 juillet et 24 août 1790; par conséquent,
le décret que je viens de rappeler n'a absolument rien de commun
avec cette constitution. (Applaudissements à droite.)
............
Le 3 ventôse an III, ou si vous aimez mieux
le 21 lévrier 1795. oubliant que l' Assemblée
constituante n'avait mis les biens ecclésiastiques à la disposition
de la nation qu'à la charge de pourvoir d'une manière convenable
aux dépenses du culte et à l'entretien de ses ministres,
au mépris de cette clause formelle, de cette condition expresse,
de cet engagement irrévocable, la Convention décida, en un.
jour de colère et de vengeance, que le culte catholique ne serait
plus salarié.
A l'extrême gauche. Elle a eu raison
!
Mais, messieurs, qu'est-ce que cela prouve ? Est-ce
qu'une dette de justice cesse d'être une dette de justice parce que
le débiteur refuse de payer ? ..... Et encore la convention elle-même
rendait hommage au principe du budget des cultes en maintenant dans leur
intégralité les pensions ecclésiastiques, .......
Mais, d'ailleurs, messieurs, n'allons pas chercher
des arguments dans des temps pareils, dans une législation toute
de haine et de violence, qui ne laissait au clergé catholique d'autre
alternative que l'apostasie ou la déportation. Ce n'est pas là
qu'on trouvera jamais de quoi infirmer le droit et prescrire contre la
justice. (Très bien ! très bien ! à droite.)
..........................
Devant les principes et les faits que je viens de
rappeler, je ne suis pas étonné de voir que, depuis le commencement
de ce siècle jusqu'à ces dernières années,
dans aucune Assemblée française, il ne s'est élevé
de contestation sérieuse sur une dette que tous tes représentants
du pays s'accordaient à tenir pour une dette de justice et d'honneur.
Il ne s'en est pas élevé sous le premier empire, malgré
la pénurie du trésor épuisé par les grandes
guerres des premières années de ce siècle. Il ne s'en
est pas produit sous la. Restauration, où, bien au contraire - les
éloquentes paroles de M. de Chateaubriand sont encore présentes
à tous les esprits, -où, bien au contraire, le sentiment
de la justice et de l'équité faisait envisager à beaucoup
le budget des cultes comme ne répondant que faiblement aux besoins
de la religion d'une part, à la valeur des biens ecclésiastiques
aliénés, de l'autre.
Mais ce qui vous paraîtra peut-être
digne de remarque, c'est que, pas plus que sous le premier Empire et sous
la Restauration, le budget des cultes, pris dans son ensemble, n'a été
objet d'un contestation sérieuse sous 1a monarchie de juillet, que
personne n'accusera d'avoir témoigné au clergé une
tendresse excessive.....
...............
Vous m'objecterez peut-être que pendant 1a
monarchie de Juillet, - il me semble avoir entendu tout à l'heure
une interruption de ce genre, - les députés étaient
élus par le suffrage restreint, et que dès lors mon argument
à vos yeux perd quelque peu de sa valeur ?
Eh bien, tournons-nous vers les députés
issus du suffrage universel et voyons ce que la république de 1848
a fait du budget des cultes.
.......................
Non seulement elle l'a voté chaque
année sans réclamations sérieuses, mais elle l'a inscrit
en propres termes dans la Constitution elle-même, dans la loi fondamentale
de l'État. pour bien montrer qu'il s'agissait d'un droit placé
à tout jamais en dehors et au-dessus de toute contestation. (Très
bien ! très bien droite).
Voilà ce que vous avez oublié de dire
tout à l'heure dans votre exposé historique du budget des
cultes. L'article 7 de la Constitution d e1848 porte : "Chacun professe
librement sa religion et reçoit de l'État, pour l'exercice
de son culte, une égale protection. Les ministres, soit des cultes
actuellement reconnus par la loi, soit de ceux qui seraient reconnus à
l'avenir, ont le droit de recevoir un traitement de l'État."
Le droit, entendez-le bien ! ce n'est pas un grâce,
une faveur, mais un droit qui répond un devoir de la part de l'État.
Et ce n'est pas sans réflexion, ce n'est
pas sans un mûr examen, sans un débat contradictoire que ce
mot. "droit " avait été introduit dans 1a loi fondamentale
de l'État, dans la Constitution elle-même.
M. Madier de Montjau .Vous
l'avez détruite en 1851, cette Constitution, vous avez applaudi
ceux qui la déchiraient! Vous les avez bénis. (Très
bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)
.................
Il n'y a, messieurs, qu'une objection au budget
des cultes, et vous me permettrez d'y répondre avant de terminer
ce trop long discours.
........
Cette objection avait été présentée
à l'Assemblée constituante de 1848 par M. Lavallée,
sans avoir pu même y être admise aux honneurs de la discussion.
Depuis lors, elle a été fréquemment reproduite dans
certains journaux, et l'honorable M. Jules Roche y touchait tout à
l'heure.
Comment, dit-on, forcer un citoyen à contribuer
aux dépenses d'un culte qui n'est pas le sien? N'est-ce pas là
violenter la conscience? Voilà bien l'objection, si je ne me trompe.
Eh bien, messieurs, la réponse est facile.
Il en est de même des catholiques pour une
quantité d'autres services publics dont ils n'usent en aucune façon
et parmi lesquels il s'en trouve même qui peuvent répugner
à leurs consciences. Vous contribuez, vous, déistes, vous,
athée, à payer les frais du culte catholique, du culte protestant,
du culte israélite...
............
...comme payent les théâtres
ceux qui se font un devoir de n'y jamais mettre les pieds; comme payent
l'enseignement des lycées ceux qui n'y enverront jamais leurs enfants;
comme payent les écoles neutres, les écoles athées,
-selon que vous voudrez les appeler... (Applaudissements à droite),
ceux-là même qui regardent ce mode d'éducation comme
la ruine morale du pays (Approbation à droite); comme payent
les tribunaux ceux qui n'ont jamais eu de procès (Bruit à
gauche); comme payent les expéditions lointaines et ruineuses
ceux mêmes qui les blâment et les réprouvent le plus
hautement. (Très bien! à droite. -Interruptions à
gauche.)
La. conscience des contribuables n'est engagée
pour rien dans leur participation aux charges publiques. Lorsqu'on fait
partie d'un corps social, on n'a. pas le droit de se dérober à
des obligations communes, sous prétexte qu'elles ne vous conviennent
pas. Encore une fois, il n'y a pas là de responsabilité personnelle.
Vous ne faites pas plus adhésion au culte catholique, au culte protestant
ou au culte israélite en allant payer votre quote-part chez le percepteur
que nous ne faisons adhésion par là à la morale des
théâtres ni à l'enseignement athée ou matérialiste
qui peut être donné dans tel ou tel établissement de
l'État.
A moins de vouloir dissoudre le pacte social, on
est bien obligé d'admettre cette mutualité dans les charges,
cette réciprocité de services et de fonctions, cet échange
de sacrifices qui le balancent et qui s'équilibrent; autrement,
c'est l'égoïsme, c'est le particularisme, c'est le séparatisme
(Très
bien! très bien ! à droite.) c'est la négation
de la civilisation, c'est le retour à la barbarie, c'est la dissolution
de l'ordre social. (Exclamations à gauche. -Applaudissements
à droite.)
L'objection n'a donc pas de valeur, ou bien elle
tend à la dissolution du pacte social, et, par conséquent,
ma thèse reste absolument intacte
..............