LE NOUVEAU PROJET
de
Séparation des Églises et de l'État
La séparation des Églises et de l'État
vient de faire un pas que d'aucun jugent décisifs. D'un côté,
le nouveau Cabinet, tenant la promesse contenue dans la déclaration
ministérielle, a déposé un projet de loi réglant
le nouveau régime des cultes et qui porte tous les sacrements, nous
voulons dire toutes les signatures des ministres compétents qui
brûlaient par leur absence sur le projet Combes, d'un autre côté,
la Chambre, dans sa séance du 10 février, a, par 338 voix
contre 185 sur 523 votants, adopté un ordre du jour "constatant
que l'attitude du Vatican a rendu nécessaire la Séparation
des Églises et de l'État". Elle a également décidée,
à une forte majorité, que la discussion de cette réforme
viendrait immédiatement après le vote de la loi militaire.
Voilà donc la galère portant les destinées
futures des cultes lancée définitivement sur l'océan
parlementaire où, d'ailleurs, les récifs - et beaucoup non
marqués sur la carte - ne manquent pas !
Cependant, un bon vent paraît gonfler ses
voiles, puisque le Gouvernement, par le dépôt de son projet,
et la Chambre par son vote de principe, marquent leur ferme propos de la
conduire à bon port.
Certes, en France, plus que partout ailleurs, il
faut compter avec l'imprévu, et on a vu d'autres projets, par exemple
celui sur l'impôt sur le revenu, figurant dans les programmes ministériels
et sur l'affiche du Palais-Bourbon depuis de longues années, traîner
sur la scène parlementaire, incapables de se muer en lois et de
devenir exécutoires.
Mais puisque, enflammés d'un beau zèle
que les maladresses de Rome ont singulièrement échauffé,
les pouvoirs publics veulent en finir avec ce problème troublant
et délicat des rapports des Églises et de l'État,
il faut espérer que, contre vents et marées, on aboutira.
Le projet du Cabinet Rouvier, par le souffle de
libéralisme qui l'anime, exempt de ces dispositions tatillonnes,
mesquines, vexatoires, qui caractérisaient celui de M. Combes, tout
bouillant de colère anticléricale, est de nature à
faciliter sa solution.
L'ancien président du Conseil traitait l'Église
et, par répercussion, les autres cultes en suspects, sinon en ennemis.
Aussi avait-il hérissé son projet, pour assurer à
l'État une prédominance qui est incontestable, de tous les
traits barbelés que sa hantise des dangers du cléricalisme
pouvait faire courir à la République lui avait suggérés.
Il avait multiplié les précautions
que le Gouvernement a le devoir de prendre pour se défendre contre
les empiétements traditionnels de l'Église, à un point
qui rendait l'exercice du culte - plutôt pour les confessions dissidentes
que pour celle-ci - précaire et instables.
La foi religieuse a déjà suffisamment
à lutter en France contre la guerre que lui fait la libre pensée
sans que la loi vienne encore par ses règlements tracassiers entraver
son développement et son expansion.
Il y a avait dans le projet Combes beaucoup à
faire pour le commissaire de police. L'ingérence du Gouvernement
dans les moindres détails de l'organisation du culte, de son fonctionnement,
s'y affirmait, y pesait de tout le poids du pouvoir séculier, à
chaque article. L'État y abusait vraiment de sa puissance en limitant,
par exemple, à un seul département, la fédération
des associations cultuelles, en soumettant leurs comptes au contrôle
permanent de ses représentants, en réduisant leur capital
à une portion ultra-congrue, en leur interdisant de faire appel
à leurs fidèles pour les besoins du culte autrement que par
des quêtes dans les temples, etc., etc. .Et nous ne parlons pas de
la mainmise brutale sur les édifices du culte, même ceux qui
sont la propriétés des différentes confessions et
du chiffre dérisoire des pensions de retraites accordées
à des ministres du culte, chargés, comme les pasteurs et
les rabbins, de famille et qui, du jour au lendemain, se retrouveraient
réduits à la misère !
Le projet du nouveau Cabinet
se
rapprochant de la proposition de loi de M. Briand, député,
tient compte, dans une mesure à laquelle il faut rendre justice,
des protestations énergiques soulevées dans les milieux protestants
et israélites, contre celui de l'ancien Cabinet qui, sans hostilité
préconçue et par le contre-coup d'une politique défensive
ne les visant pas, les maltraitait encore plus durement que l'Église
à laquelle il en voulait particulièrement.
L'esprit du projet Rouvier se trouve parfaitement
défini par cette phrase du court exposé de motifs qui le
précède :
Comme
la commission, nous voulons garantir le libre exercice des cultes, et cette
liberté ne doit avoir d'autres limites que celles qui sont imposées
par l'ordre public.
On ne saurait mieux déterminer la sphère
dans laquelle l'action de l'État peut s'exercer, sans porter d'atteinte
sérieuse à la liberté primordiale de l'exercice de
la religion.
Reste à examiner si les dispositions du projet
reflètent vraiment cet esprit de liberté et de justice, si
elles s'en inspirent.
On ne doit pas méconnaître que les
lignes principales trahissent un effort vers cette Séparation qui
doit assurer les droits de l'État sans restreindre ceux de la conscience
religieuse. Ce ne sera pas la réalisation de l'idéal des
démocraties modernes, que celle des États-Unis a d'ailleurs
pleinement atteint, l'Église libre dans l'État libre, mais
ce sera, en somme, au milieu des complications de la politique religieuse,
un compromis fort acceptable, un régime transitoire entre celui
de la tutelle de l'État et celui de l'autonomie, de l'indépendance
absolue qui n'est pas possible pour le moment.
Ainsi la dévolution aux associations cultuelles
de leurs biens s'opère, dans le projet Rouvier, par les soins des
établissements eux-mêmes et non plus, comme dans le projet
Combes, par un acte de pouvoir exécutif. Le transfert a lieu sans
immixtion de l'État.
Point particulièrement intéressant
pour le culte israélite, les unions d'associations formées
pour la célébration d'un culte ne seront pas limité
à un seul département, ce qui aurait porté un coup
mortel à tant de nos Communautés de province, incapables
de se suffire à elles-mêmes ; elles pourront englober dix
départements, ressort moyen des circonscriptions consistoriales
actuelles. Bien plus, le projet autorise des unions embrassant un plus
grand nombre de départements, mais alors que les premières
jouiront de la capacité juridique, les secondes en seront dépourvues.
D'une façon générale, l'organisation
actuelle du culte israélite ne sera pas sensiblement modifiée.
Toutes les restrictions des nationalité de
domicile, imposées par le projet Combes aux fonctionnaires des cultes
disparaissent. Les quêtes et collectes, pour subvenir aux frais du
culte, ne sont pas limitées à l'enceinte même des temples.
Leur comptabilité n'est plus soumise, comme dans le précédent
projet, au contrôle inquisitorial des représentants de l'État.
La disposition de leur capital est réglée
dans un esprit beaucoup plus large.
D'ailleurs, par la publication que nous ferons du
projet ministériel, le lecteur se rendra compte que l'équité
et le sentiment de justice y ont plus de place que dans celui qu'avait
conçu, dans la fièvre de la bataille, le précédent
président du Conseil.
On y remarque un souci visible, tout en sauvegardant
les droits de l'État, de ménager les susceptibilités
légitimes des différentes confessions, de leur rendre, sinon
la vie libre, du moins la vie possible, aisée, ce dont ne semblait
avoir aucunement cure M. Combes.
Maintenant, il est évident que le projet
en question n'est pas ne varietur. Il est susceptible d'améliorations
et même, hélas ! il faut nous y attendre, d'aggravations.
Mais il offre un terrain de discussion. Les mailles
de son canevas ne sont pas serrées de façon à y étrangler
la liberté du culte.
Exprimons le vœu que les reprises que le Parlement
sera appelé à faire à ce tissu, à ce texte
législatif, ne le déformeront pas trop et n'en feront pas
une camisole de force pour les confessions religieuses qui veulent, à
leur tour, éprouver les bienfaits de la démocratie du XX°siècle.
H. Prague