"Archives Israélites"
jeudi 2 mars 1905
LA SÉPARATION
DEVANT LA COMMISSION DE LA CHAMBRE
La séparation est un des problèmes les
plus graves, les plus délicats, les plus gros de conséquences
politiques et social que la République ait eu à résoudre,
et l'on comprend aisément, en présence des difficultés
ardues de l'entreprise qu'après l'avoir inscrite sur son programme
au nombre de ses maîtresse réformes, elle ait hésité
si longtemps à l'aborder, à prendre ce taureau, cette bête
de l'Apocalypse, par les cornes ! Il a fallu un concours extraordinaire
de circonstances, la collision longtemps évitée, grâce
à des concessions réciproques de ces deux doctrines absolues,
intransigeantes comme celle de la CUrie romaine et celle de la revendication
nécessaire des droits de l'État laïque, de ces deux
pouvoirs, le spirituel et le séculier pour que le choc irrémédiable
et appréhendé se produisit et pour faire mûrir prématurément
une question qui ne paraissait pas à point pour affronter la discussion
devant les Chambres. L'entêtement de Rome allant jusqu'à la
provocation inutile, et la ténacité de M. Combes poussant
les choses à bout, ont fait plus pour avancer, pour activer cette
maturité, que toutes les pétitionnements qui auraient pu
être organisés.
Et le problème avec ses redoutables inconnues
s'est dressé tout à coup devant la démocratie française,
réclamant une solution urgente, s'imposant avec une force inéluctable,
et toutes les raisons qui pouvaient militer encore pour un ajournement,
ont disparu pour faire place à l'impérieuse nécessité
de régler, sans tarder, un démêlé devenu aigu
et d'établir un nouveau modus vivendi entre l'Église
qui n'a pas voulu désarmer et l'État qui ne pouvait se soumettre.
Les événements ont marché avec une rapidité
déconcertante.
Et, bien que le ministère qui avait sonné
le glas du régime concordataire ait succombé, le Cabinet
Rouvier qui héritait de sa politique que la Chambre avait fait sienne,
a dû accepter, nolens volens, sans bénéfice
d'inventaire, ce gros passif de sa succession.
Le nouveau Gouvernement n'a pas regimbé devant
la tâche ardue que lui léguait M. Combes. Mais il l'a comprise
autrement et il s'est appliqué, dans le projet qu'il a mis sur pied,
non à irriter les parties en présence, à leur faire
sentir le poids de la puissance séculière, à leur
marchander certains droits, à les chicaner, mais au contraire, il
a fait de sérieux efforts pour que la pilule de la Séparation
ne leur fût pas trop amère.
Nous avons montré, dans un précédent
article, qu'animé de cette louable intention d'apaisement et s'étant
débarrassé de ce cliquetis belliqueux que son prédécesseur
aimait à faire sonner, il était arrivé à jeter
les bases d'une Séparation qui n'alarmerait point les consciences
et ne rendrait pas aux confessions religieuses la vie impossible.
Ses dispositions conciliantes par l'effet d'une
contagion dont le bien comme le mal est coutumier, non seulement n'ont
pas soulevé d'objections dans les milieux politiques que leur radicalisme
pousse ordinairement aux résolutions extrêmes, mais encore
ont gagné la Commission de la Chambre chargée d'examiner
son projet.
Les amendements qu'elle y a fait sont, la plupart,
marqué au coin d'un libéralisme, d'un esprit de tolérance
que la passion politique pourrait seule faire méconnaître.
Le Cabinet Rouvier s'était efforcé
de tenir compte des protestations qui s'étaient élevées
contre cette intrusion permanente de l'État, édictée
par le projet Combes, dans les affaires intérieures des différents
cultes. La Commission a manifesté, par les modifications qu'elle
y a apportées, son intention de donner satisfaction aux principaux
desiderata
formulés par les représentants des confessions religieuses.
La plus importante, celle qui constitue comme la
note dominante, la caractéristique du projet, c'est celle qui n'impose
aucune limite territoriale à la Fédération des associations
cultuelles prévues, qui les laissent s'organiser et se grouper à
leur gré, de manière à sauvegarder les intérêts
généraux du culte.
Il n'est plus question dans le texte de la Commission,
de tolérer une Fédération centrale avec cette restriction
qu'elle sera dépourvue de la capacité juridique. Et la conséquence
de cette disposition libérale, c'est que les minorités protestante
et israélite dont les fidèles sont répartis inégalement
dans le pays, ici formant un groupe compacte avec de puissantes ressources,
là, végétant dans un isolement misérable et
incapable de se suffire à eux-mêmes, pourront maintenir leur
organisation administrative, sinon spirituelle, pour parer à tous
les besoins du culte partout où ils se manifesteront.
Leur gestion financière, loin d'être
soumise à l'arbitraire des agents du pouvoir central, sera placée
sous le contrôle de l'administration de l'Enregistrement pour les
associations, et de la Cour des Comptes pour les unions.
L'emploi des fonds est réglé également
d'une façon plus équitable que dans les projets antérieurs.
Bref, il plane au sein de la Commission de la Séparation un esprit
dégagé de toute préoccupation sectaire ; ses membres
paraissent animés du désir de donner à cette Réforme
qui doit opérer un si grave changement dans les relations des Églises
et de l'État, la physionomie d'un arrangement à l'amiable,
destiné à ménager des intérêts confessionnels,
plutôt que celle d'une rupture en faisant claquer les portes.
Si la Commission qui compte pourtant en son sein
de farouche laïcisateurs et des ennemis non dissimulés de l'Église,
a ainsi adouci les angles et fait preuve d'un esprit inattendu de conciliation,
c'est qu'elle tient à faire aboutir cette Réforme. Convaincue
que les pierres d'achoppement ne manqueront pas sur la voie législative
qu'elle doit parcourir, elle a fait un visible effort sur elle même
pour graisser les roues, et lui éviter, par un habile capitonnage,
de se briser dans les ornières parlementaires. Reste à savoir
si toutes ces précautions n'auront pas été inutiles,
et si la pelure d'orange qui a fait chavirer déjà tant de
projets parlementaires, ne fera pas culbuter et choir, quelque soin qu'on
ait pris pour éviter tout heurt, ce prodige d'équilibre où
elle a essayé de concilier les droits de la conscience religieuse
avec les devoirs supérieurs de la puissance séculière.
Et puis la Réforme arrivant à franchir
ce cap redoutable est devenue loi exécutoire, après avoir
reçu tous les sacrements législatifs, il faudra voir, à
l'usage, si elle contribuera, comme s'en flattent ses auteurs, à
rasséréner l'horizon religieux, ou si, au contraire, les
passions politiques qui ne sont pas prêtes à désarmer,
n'arriveront pas à transformer cet instrument de paix en un brandon
de discorde, à la faveur des difficultés, des litiges et
des querelles sans fin que mainte disposition de cette loi qui est une
cote mal taillée entre des intérêts contradictoires,
pourra faire naître.
Nous devons dire, qu'en ce qui concerne le culte
israélite qui n'a jamais affiché de prétentions politiques,
qui n'a jamais eu maille à partir avec l'État et s'est gardé
soigneusement de tout empiétement sur un domaine qui ne lui appartenait
pas, la Séparation peut être envisagée sans crainte.
Quand à l'influence que le changement de régime pourra apporter
à ses destinées intérieures, c'est une question qui
mérite d'être étudiée à part et que nous
examinerons ultérieurement.
H. Prague
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