Se rendant aux désirs exprimés par les
groupes républicains de la Chambre, le gouvernement, au lieu de
prendre comme base de discussion de la réforme qui doit séparer
les Églises de l'État la proposition de loi Briand, a soumis
à la Commission chargée de l'étudier un projet de
loi en 25 articles dont nous commençons ci-après la publication.
Une première constatation s'impose, c'est
que, sauf en ce qui concerne les édifices du culte, le projet déposé
par M. Combes, beaucoup moins libéral que la proposition du député
socialiste Briand, ne réalise pas du tout la séparation dans
la liberté et la justice comme le demandait M. Paul Deschanel dans
son discours à la séance du 23 octobre.
Ce n'est pas une séparation à l'amiable
où chacun reprend sa liberté d'agir et de se gouverner à
sa guise, ce n'est pas le divorce même brutal qui rend chacune des
parties étrangères l'une à l'autre, c'est un régime
bâtard qui, maintenant les Églises sous la tutelle de l'État
comme elles le sont depuis un siècle, les prive du bénéfice
des allocations et subventions qui furent la rançon de l'aliénation
de leur indépendance. C'est, en un mot, la séparation dans
la servitude. L'état de dépendance des cultes vis-à-vis
du gouvernement subsiste. Il n'y a qu'un changement : les chaînes
étaient dorées. La dorure des subventions disparaît,
mais les chaînes restent.
On n'a qu'à lire les articles de cet important
projet pour se convaincre que l'État conserve vis-à-vis des
cultes tous les avantages politiques que lui reconnaît la législation
actuelle, avec cette différence qu'il les obtient sans bourse délier.
En effet, en dehors des pensions, fort minimes d'ailleurs,
qu'il accorde aux fonctionnaires du culte titulaires d'un traitement officiel
et qui est une disposition transitoire, il se réserve tous les droits
régaliens ou à peu près qu'il possédait déjà.
Sauf la nomination des ministres du culte qu'il
abandonne et qui, surtout en ce qui concerne l'Église catholique
était pour lui une source de difficultés inextricables et
de conflits inévitables, il se réserve des droits exorbitants
de contrôle et de police qui mettent, en somme, les confessions religieuses
entièrement à sa discrétion.
Le projet du gouvernement oblige les cultes à
lui soumettre (art. 9) l'état de leurs dépenses et de leurs
recettes; par l'article 12, les réunions de culte sont soumises
à des formalités spéciales qui les soustraient au
droit commun. Les contraventions à ces mesures de haute surveillance
sont frappées de peines très sévères (art.
14).
Enfin, les associations en vue de la célébration
d'un culte ne bénéficient pas des avantages concédés
par la loi du 1er juillet 1901, si libérale à l'égard
des associations de tout genre.
Nous admettons que le gouvernement ne puisse aux
cultes cette pleine liberté dont ils jouissent, par exemple, aux
États-Unis, sans danger aucun pour les institutions du pays.
En France, en raison de la longue domination de
l'Église, de la suprématie qu'elle a exercée, non
seulement dans le domaine spirituel, mais aussi dans le domaine temporel,
domination et suprématie qui ont laissé, sous les formes
les plus variées, de nombreuses survivances, il est naturel que
l'État prenne, vis-à-vis d'empiétements possibles,
toutes sortes de précautions.
Mais encore cette préoccupation légitime
ne devrait pas tenir aussi complètement en échec les principes
de liberté inscrits dans nos institutions républicaines.
Il est certain qu'en Prusse, par exemple, état
qui ne passe pas pour se laisser aller, en matière de politique
confessionnelle, à d'imprudentes concessions, les cultes y jouissent
d'une plus grand liberté d'action que dans le projet soumis par
le cabinet Combes aux délibérations du Parlement.
Dans cet examen rapide que nous venons de faire
du projet du gouvernement, nous avons envisagé la situation générale
faites aux cultes, en laissant de côté notre point de vue
particulier, celui de la religion juive. Nous avons uniquement en vue de
dégager la caractéristique du projet gouvernemental dans
son ensemble et nous croyons avoir montré combien peu réaliste
les espérances généreuses qu'on était en droit
de fonder sur une réforme qui, pour s'harmoniser avec le régime
démocratique, a besoin de s'inspirer de l'esprit de liberté
dont les institutions politiques sont si fortement imprégnées.
Nous examinerons ultérieurement ce projet
au point de vue de l'organisation future du judaïsme, du fonctionnement
de ses organes du culte.
Pour le moment, il nous suffira de faire remarquer
que le sort des minorités religieuses, et en particulier du judaïsme,
c'est, en tout état de cause, de pâtir pour autrui plus que
pour leur compte personnel, de supporter les conséquences d'un état
de choses dont la responsabilité ne leur incombe pas.
Quand les cléricaux sont au pouvoir, le culte
israélite, ou plutôt ceux qui lui appartiennent, sont traités
en suspects, en ennemis.
Qu'une saute de vent de l'opinion ramène
au pouvoir ceux qui s'intitulent libéraux, la suspicion qui enveloppe
l'Église qui a trempé dans plus d'une conspiration et les
mesures de préservation que ses compromissions avec les partis réactionnaires
appellent, lèsent, par répercussion, les intérêts
israélites solidaires des autres cultes.
Quoiqu'il advienne, nous juifs, nous sommes destinés
à souffrir, quand ce n'est pas de la haine de nos ennemis, c'est
de la revanche de ceux que nous nommons nos amis.
Entre le marteau et l'enclume, c'est cette position
qui n'est rien moins qu'agréable que les vicissitudes de la politique,
non seulement du passé, mais du présent, mais héla
! de l'avenir nous réservent toujours : quand nos droits de citoyens
ne sont pas contestés, ce sont ceux de notre conscience religieuse
qui se heurtent aux rigueurs des lois qu'on forge pour réfréner
des empiétements qu'on n'a pas à nous reprocher !
H Prague
LE PROJET
COMBES SUR LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE
L'ÉTAT
Titre 1er
SUPPRESSION DES DÉPENSES
DES CULTES - RÉPARTITION DES BIENS - PENSIONS
Art. 1er
A partir
du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, sont
et demeurent supprimés : toutes les dépenses publiques pour
l'exercice ou l'entretien d'un culte ; tous les traitements, indemnités,
subventions ou allocations accordés aux ministres d'un culte sur
les fonds de l'État, des départements, des communes ou des
établissements publics hospitaliers.
Art. 2
Pendant deux
ans à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente
loi, la jouissance gratuite des édifices du culte sera laissé
aux associations dont il sera parlé au titre II ci-après.
Après
cette période de temps écoulée, cessera de plein droit
l'usage gratuit des édifices religieux : cathédrales, églises,
temples, synagogues, ainsi que des bâtiments des séminaires
et des locaux d'habitation : archevêchés, évêchés,
presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes
par l'État, les départements et les communes.
Art. 3
Les biens
mobiliers et immobiliers appartenants aux menses, fabriques, consistoires,
conseils presbytéraux et autres établissements publics préposés
aux cultes antérieurement reconnus, seront concédés
à titre gratuit aux associations qui se formeront pour l'exercice
d'un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques
où se trouvent ces biens.
Ces concessions,
qui n'auront d'effet qu'à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation
de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de
ces associations, par décret en conseil d'État ou par arrêté
préfectoral, suivant que la valeur des biens s'élèvera
ou non à 10 000 fr., pour une période de dix années
et à charge d'en rendre compte à l'expiration de cette période.
Elles pourront être renouvelées dans les mêmes conditions
pour des périodes de même longueur ou d'une longueur moindre.
Ne pourront
être compris dans ces concessions : 1° les immeubles provenant
de dotation de l'État, qui lui feront retour ; 2° les biens
ayant une destination charitable, qui seront attribués par décret
en conseil d'État ou arrêté préfectoral, suivant
la distinction précitée, aux établissements publics
d'assistance situés dans les communes ou dans l'arrondissement.
Les biens
non concédés dans un délai d'une année, à
dater de la promulgation de la présente loi, ou dont la concession
ne serait pas redemandée, seront attribués dans les mêmes
formes entre les établissements d'assistance ci-dessus visés.