Précédent
Sénat
Session extraordinaire de 1905

5 décembre 1905
Suite de la discussion du  projet de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État
(20° journée, réduite et annotée)




M. le président : ... Nous sommes arrêtés, messieurs, au titre VI : « Dispositions générales. » Mais avant donner lecture de l’article 37, je dois consulter le Sénat sur la deuxième partie du paragraphe 11 de l’article 11, que nous avions réservée jusqu’après le vote des articles 34 et 35.
        Je donne lecture du paragraphe11 :
        « Les pensions et allocations prévues ci-dessus seront incessibles et insaisissables dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante ... »
        Cette première partie du paragraphe a été votée par le sénat. Seule, la disposition suivante a été réservée :
        « ... ou en cas de condamnation pour l’un des délits prévus aux article 34 et 35 de la présente loi. »
        Pour motiver cette réserve, on a fait observer que cette dernière partie ne pouvait être adoptée qu’après le vote des articles 34 et 35.
        M. Guillier demande la suppression de cette dernière partie du paragraphe ...

M. Guillier :  Messieurs, lorsque l’honorable M. Combes exposa, dans son discours d’Auxerre du 4 septembre 1904, ses vues et ses conceptions sur le grave problème de la séparation des Églises et de l’État, il ne manqua pas d’aborder la question des pensions et allocations qui, au lendemain du vote de la loi, dans une période de transition, devaient nécessairement être servies aux ministres des cultes jusqu’alors reconnus. Il fit une déclaration destinée à rassurer ceux qui, partisans en principe de la réforme, ne veulent pas la voir s’accomplir au prix d’infortunes individuelles et imméritées.
        « Il ne faut ici, proclamait-il, reculer devant aucun sacrifice conforme à la justice » J’ose placer mon amendement sous le couvert de cette parole.......
...
(La disposition est votée par 172 voix contre 102 ; le paragraphe 11 est adopte ; ainsi que l’ensemble de l’article 11 par 178 voix contre 58.)

M. le président : Titre VI ; Dispositions générales
        « Art. 37.- L'article 463 du Code pénal et la loi du 26 mars 1891 sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicte des pénalités. »
(Adopté)
        « Art. 38. -Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904. »
        Il y a, ..., un amendement de MM. le vice-amiral de Cuverville, Dominique Delahaye ... (et leurs amis) ... ainsi conçu :
        « Art. 38. - Rédiger ainsi cet article :
        « Les associations religieuses appelées congrégations pourront se constituer en se conformant aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901. le titre III de ladite loi ainsi que les lois des 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904 sont et demeurent abrogées. »

M. l’amiral de Cuverville : ... En défendant à la tribune de la Chambre des députés l’amendement que je reproduits devant le Sénat, l’honorable abbé Gayraud, député du Finistère, rappelait que cet amendement n’était autre chose que l’expression de l’ancienne doctrine républicaine.
        Et, en effet, dans une proposition de loi relative à la liberté d’association, déposée en 1898, et qui évoquait le rapport de Jules Simon sur la proposition Dufaure, en 1182, et le rapport de M. Goblet, en 1895, voici comment s’exprimaient MM. Viviani, Dejeante, Zévaès, Rabier, Chenavaz, Charles Bos et plusieurs de leurs collègues :
        « Aucune condition, soit d’autorisation, soit même de déclaration, n’est imposée aux associations en général ... L’association ainsi librement formée, sans aucune intervention de la puissance publique, ne peut évidemment exercer aucun droit en tant qu’association ...
        « Ces dispositions s’appliquent à toutes les associations, quel que soit leur objet, politique, religieux, littéraire, scientifique, artistique ou charitable, sans qu’il y ait à faire à cet égard de différence entre les associations religieuses et les autres ; elles doivent toutes, sans distinction, jouir des mêmes libertés. Telle a été de tout temps, ajoutaient les auteurs de la proposition de loi, la doctrine du parti républicain. »
        Sous la réserve que le régime concordataire ferait place au régime de séparation de l’Église et de l’État, ils admettaient que les congrégations religieuses pourraient bénéficier, comme toutes les autres associations, de la liberté et de l’égalité de traitement.
        « Toutefois, ajoutaient-ils encore, ce régime d’égalité comporte nécessairement certaines mesures exceptionnelles en ce qui concerne les associations qui se destinent à vivre en commun et, particulièrement, les congrégations religieuses ; nous ne proposons ni de les supprimer, ni même, en tant qu’elles ne réclameraient pas la personnalité civile, de les assujettir à une autorisation préalable. Nous avons pensé qu’il suffirait de leur imposer une simple déclaration ... Nous reconnaissons d’ailleurs à l’État le droit de dissoudre les associations ayant ce caractère, mais le décret de dissolution devra être pris en conseil des ministres. »
        Telle était, en 1898, la doctrine du parti républicain : la séparation est chose faite et vous n’avez pas craint, en la faisant, de jeter la France dans un inconnu redoutable (Très bien ! très bien ! à droite.), où elle peut perdre, ..., sa paix religieuse au dedans et sa grandeur au dehors (Nouvelles marques d’approbation); je vous demande de rendre aux congrégations religieuses, que vous avez dispersées  malgré toutes les promesses qui leur avaient été faites, la liberté d’association.
    Les mesures que vous prenez à l’égard des associations cultuelles pour empêcher ce que vous appelez la reconstitution de la mainmorte, vous donneront toute sécurité à l’égard des congrégations religieuses et ce ne sont pas les âmes d’élite qui remplissaient les asiles de prière et de charité que vous avez fermés qui compromettront la République. (Très bien ! à droite.)
...
        Quand, sous le faux prétexte d’une opposition systématique au régime républicain, vous avez dispersé les congrégations religieuses qui étaient, ..., l’honneur de notre pays, vous avez livré leurs biens à l’avidité des liquidateurs et vous avez réduit leurs membres à la misère ; les vieillards, les infirmes sont allés mourir dans quelques localités ignorés ; d’autres ses ont sécularisés et vivent péniblement avec le secours de quelques âmes généreuses ; ceux qui ont voulu conserver leur état religieux on dû s’exiler, et nous, qui les avons défendus jusqu’à la dernière heure, nous en recevons parfois des nouvelles navrantes.
...
(Amendement repoussé par 175 voix contre 45)
(L’article 38, mis aux voix est adopté.)

M. le président :  « Art. 39.- Les jeunes gens, qui ont obtenu à titre d'élèves ecclésiastiques la dispense prévue par l'article 23 de la loi du 15 juillet 1889, continueront à en bénéficier conformément à l'article 99 de la loi du 21 mars 1905, à la condition qu'à l'âge de vingt-six ans ils soient pourvus d'un emploi de ministre du culte rétribué par une association cultuelle et sous réserve des justifications qui seront fixées par un règlement d'administration publique. »
(Adopté)
        « Art. 40.- Pendant huit années à partir de la promulgation de la présente loi, les ministres du culte seront inéligibles au conseil municipal dans les communes où ils exerceront leur ministère ecclésiastique. »
        Sur cet article 40, M. Guillier propose un amendement ainsi conçu :
        « Rédiger ainsi l’article 40 :
        « Pendant le temps où ils recevront un traitement de l’État, les ministres du culte seront inéligibles au conseil municipal dans les communes où ils exerceront leur ministère ecclésiastique. »
        M. Vidal de Saint-Urbain, par voie d’amendement, propose purement et simplement la suppression de l’article.

M. Vidal de Saint-Urbain: M. le président, je retire mon amendement, et je déclare me rallier à celui de M. Guillier.
...
M. le rapporteur :  Il serait choquant de voir l’ancien ministre du culte, le curé devenu conseiller municipal et maire de la commune, ceint de l’écharpe tricolore, commencer par faire le mariage civil avant d’aller à l’église pour le mariage religieux. (Interruptions)
        On se fera à ces moeurs, c’est entendu, mais il est nécessaire d’avoir une certaine période de transition et tout le monde le comprend.
...
(L’amendement de M. Guillier est repoussé par 179 voix contre 90)
(L’article 40 est adopté)

M. le président :  « Art. 41.- Les sommes rendues disponibles chaque années par la suppression du budget des cultes seront réparties entre les communes au prorata du contingent de la contribution foncière des propriétés non bâties qui leur aura été assigné pendant l'exercice qui précédera la promulgation de la présente loi. »
        Il y a sur cet article deux amendements.
        Le premier présenté par M. Ponthier  de Chamaillard ( Qui le retirera au profit du second) ...
        Le second, présenté par M. Pichon, est ainsi conçu :
        Modifier ainsi qu’il suit l’article 41 :
        « Les sommes rendues disponibles chaque année par la suppression du budget des cultes seront réparties entre les communes, un tiers par part égales, deux tiers au prorata du contingent de la contribution foncière des propriétés non bâties qui aura été assignée à chaque commune pendant l’exercice qui précédera la promulgation de la présente loi. »
...
(Amendement repoussé par 171 voix contre 55)
...
        « Art. 42.- Les dispositions légales relatives aux jours actuellement fériés sont maintenues. »
(Adopté)
        « Art. 43.- Un règlement d'administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.
        « Des règlements d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonie. »
        Il y a sur cet article, deux amendements : l’un de M. Treille, ainsi conçu :
        « Rédiger ainsi le second paragraphe en ce qui concerne l’Algérie :
        « La présente loi est applicable à l’Algérie. »
        L’autre de M. Brager de la Ville-Moysan, ainsi conçu :
        « Remplacer le dernier paragraphe de cet article par la phrase suivante :
        « La présente loi n’est pas applicable à l’Algérie et aux colonies françaises. »

M. Alcide Treille :  Je retire mon amendement

M. Brager de La Ville-Moysan: Messieurs, lorsque ...., j’ai déposé .... l’amendement ....j’étais mu par trois motifs d’ordre différent. Le premier était celui-ci : c’est que le paragraphe 2 de l’article 42 édicte pour ainsi dire pour toutes nos colonies un pur régime d’arbitraire ; c’est le bon plaisir des gouverneurs qui détermine quel sera, à un moment donné, le régime relatif aux cultes qui régnera dans notre domaine colonial.
        Il pourra se produire qu’un jour, mû par certains sentiments, le gouverneur d’une colonie édicte des dispositions que, quelques semaines ou quelques mois plus tard, un autre gouverneur viendra supprimer pour les remplacer par des dispositions nouvelles, peut-être même contradictoires avec celles qui précédemment étaient en vigueur.
        Or, il semble que nous ne puissions, nous, législateur, accepter que, dans un article de loi que nous sommes chargé d’élucider, on établisse ainsi le régime du bon plaisir pour toute un catégorie de citoyens vivant sous les lois françaises. (Très bien ! à droite)
....
        Mais d’autres raisons plus pressantes encore militent en faveur de ma thèse :  on nous disait, ..., de ce côté de l’Assemblée (la gauche) que .. on avait obéi à .... des raisons politiques. Permettez-moi de dire que des considérations de cet ordre ne peuvent offrir, ..., un grand intérêt en ce qui concerne les colonies. Ce n’est ni à Madagascar, ni au Tonkin, ni au Sénégal, alors qu’aucune représentation de ces différentes colonies n’existe dans le Parlement français, que des motifs d’ordre politique peuvent dicter telle ou telle réglementation.
...
        Que fera-t-on, par exemple, pour l’Algérie ? Je sais qu’à cet égard il existe chez un certain nombre d’entre vous des craintes assez vives sur l’effet que pourra produire l’application complète à l’algérie du régime de la séparation des Églises et de l’État. On ne le fera pas, parce qu’à côté du culte catholique, du culte protestant et du culte juif, il y a le culte musulman et que l’on craindrait de porter une atteinte quelconque aux croyances des fidèles de ce dernier culte.
        Nous arriverons ainsi à ce résultat bizarre que, dans nos colonies, on verra le culte musulman mieux traité que [les autres]. Voilà pourquoi on veut se réserver, notamment dans cette colonie, le droit de doser d’une manière habile et savante le régime de séparation qu’on lui imposera. On évitera tout ce qui pourrait gêner le culte musulman, parce qu’on craint des difficultés terribles qui, finalement, pourraient produire une véritable révolution contre la France et l’influence française.
(Si, en vertu de décrets de 1911 et 1913, la loi de 1905 est applicable en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion, la Guyane et les autres collectivités d’outre-mer relèvent de régimes particuliers....
    L’absence d’application de la loi de 1905 aux départements algériens (1905-1962) Malgré l’extension des dispositions de la loi de 1905 aux trois départements algériens par le décret du 27 septembre 1907, l’État n’a jamais cessé d’exercer en fait un contrôle prononcé sur l’exercice du culte musulman, en accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie d’agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées domaniales (circulaire Michel du 16 février 1933). Les milieux musulmans locaux réagirent en exigeant de bénéficier de la même liberté que les cultes métropolitains. L’Émir Khaled adressa le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Édouard Herriot, président du Conseil. Par la suite, l’Association des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis formula un ensemble de propositions destinées à appliquer à l’Islam algérien le statut de droit commun des religions, qui furent reprises par la plupart des formations politiques musulmanes dès les années 1930 : création d’associations cultuelles et d’un Conseil supérieur islamique, convocation d’un congrès religieux chargé de définir l’organisation définitive du culte musulman conformément à la loi de 1905. Ces initiatives ne trouvèrent aucun écho auprès des autorités métropolitaines.
    Bien que la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie ait réaffirmé l’indépendance du culte musulman à l’égard de l’État dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques ont perduré jusqu’à l’indépendance. L’attitude de la République était dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses. Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux musulmans, les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la dépendance de l’État pour mieux en contrôler l’exercice.
     Cet épisode de non-application de la loi de 1905 est parfois présenté comme symptomatique de l’incapacité de la République française à considérer l’Islam sur un pied d’égalité avec les autres religions. Il a en tout état de cause eu pour effet de créer un lien entre le religieux et le civil dont on retrouve encore les traces aujourd’hui.
Texte tiré du rapport du Haut conseil à l’intégration :  « L’Islam dans la république » par Roger Fauroux - Novembre 2000 )
        D’une façon générale, d’ailleurs, les motifs que les auteurs de la séparation invoquent en faveur de la thèse ..... ne semblent guère pouvoir s’appliquer à l’état intellectuel et social des colonies.
        On nous dit que ce régime était nécessaire pour un certain progrès des idées modernes qui voulait qu’après avoir passé par un régime de l’union intime des pouvoirs civils et religieux, on arrivât peu à peu à une distinction de ces pouvoirs se traduisant par un régime d’accord réciproque, celui des concordat ; on ajoutait que ce même régime avait fait son temps et que le mouvement continu des idées modernes devait amener nécessairement enfin la séparation  complète des deux pouvoirs. Or, ces considérations sont-elles applicables aux colonies ? Les indigènes du Congo, de Madagascar ou du Tonkin possèdent-ils un niveau intellectuel susceptible de comprendre ce progrès prétendu des idées modernes ? .... (Non, il n’est pas raciste ; c’était « normal » de penser de cette façon à cette époque ...)
.....
        J’ajouterai même que ... je vois au contraire des raisons très fortes qui militent en faveur du maintien de l’état de chose actuel dans nos colonies françaises ... Vous n’ignorez pas que dans la plupart de nos colonies l’influence religieuse est l’influence française sont pour ainsi dire deux choses qui se confondent. (Très bien ! à droite.) Vous n’ignorez pas que ce sont généralement les missionnaires qui sont les premiers pionniers de la civilisation européenne, que ce sont eux qui sont les meilleurs agents de l’influence française ! ...
        Vous n’ignorez pas que, là où le missionnaire s’est établi, là où il a su grouper autour de lui un troupeau de fidèles, (un troupeau de fidèles !!!  qu’on pourra envoyer à l’abattoir dans les tranchées  de 14-18) la France trouve toujours un appui dévoué et peut compter sur les meilleurs des indigènes pour maintenir ou développer son influence.
    Croyez-vous que, quand les missionnaires auront disparu, les résidents civils ou les autres fonctionnaires pourront obtenir les mêmes résultats et conquérir une influence aussi féconde ?
...
        Je sais que parmi les fonctionnaires que la France envoie dans ses possessions d’outre-mer, il y en a de fort intelligents et de très patriotes ; mais je sais aussi qu’il y en a, au contraire quelques-uns, dont l’action personnelle, loin de servir à grandir la France, ne peut que la diminuer aux yeux des populations indigènes. Je rappellerai simplement des faits qui viennent de se passer et qui montrent que certains agents travaillent à civiliser les indigènes au moyen de la dynamite étrangement employée. (Très bien ! très bien ! à droite) (Un de ces « agents » avait utilisé de la dynamite pour faire exploser un congolais)
...
        ...Voilà pourquoi j’avais déposé mon amendement. Mais comme je n’ignore pas qu’il aura le même succès que tous ceux qui l’ont précédé, .... je préfère retirer mon amendement. (Très bien ! très bien ! à droite)
...
M. Paul Gérente : ... Nous estimons, nous, citoyens algériens, nous républicains algérien, qu’une loi, d’un caractère aussi général, comportant des principes aussi graves, si elle est bonne pour la métropole, est bonne également pour nous ... (Très bien ! très bien ! et applaudissements à gauche.) ... que nous devons être soumis, en un mots, nous, citoyens français, aux mêmes lois civiques et religieuses partout, en Algérie comme en métropole. (Mais les musulmans n’étaient pas citoyens français ...)
... Nous comprenons la nécessité d’un règlement d’administration publique ; mais nous voulons que l’esprit de ce règlement soit bien dans l’esprit de la loi, c’est à dire l’esprit de la séparation. (Très bien ! très bien ! et applaudissements sur les mêmes bancs.)

M. de Lamarzelle :  Est ce que vous demandez l’application de la loi de séparation mêmes aux musulmans, en Algérie ?

M. Paul Gérente :  C’est une discussion nouvelle qu’on réclame de moi : je suis prêt à y entrer, si le sénat le désire; (Exclamations à droite.)
...
M. Le Provost de Launay :  Vous savez bien qu’on n’appliquera pas la séparation aux musulmans
...
M. de Lamarzelle :  je constate qu’on ne veut pas l’application de la loi aux musulmans et que les citoyens français sont traités moins bien que les indigènes des pays conquis. (Très bien ! à droite)
...
M. Brager de la Ville-Moysan : je voudrais simplement demander  à M; le ministre de me répondre clairement à la question suivante : Si le régime de séparation est appliqué en Algérie, la suppression du budget des cultes atteindra-t-elle aussi bien le clergé du culte musulman que le clergé des autres cultes .....
...
M. le ministre : Messieurs, le Gouvernement appliquera la loi à l’Algérie comme aux colonies ; il ne peut être séparatiste en France et antiséparatiste en Algérie et aux colonies. (Très bien ! à gauche.) mais le Gouvernement vous demande de lui laisser la responsabilité des conditions dans lesquelles aura lieu l’application de la loi. (Très bien ! à gauche.)  C’est à quoi tend l’article 43, §2. ....
    J’ajoute que cet article ne contient rien de nouveau, tout au moins quant à la formule, car l’exercice des cultes aux colonies a toujours fait l’objet non de disposition législatives, mais de décrets. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
    ..... certes, nous entendons appliquer la loi en Algérie et aux colonies dans l’esprit où elle est faite pour la métropole, mais il y a des mesures de sauvegarde que le Gouvernement a le droit d’édicter ...(Murmures à droite : C’est l’arbitraire absolu !) ... et il n’y manquera pas. (Approbations à gauche.)
.....
M. Gourju : Messieurs, quand nos collègues de l’Algérie nous déclarent qu’ils sont mieux placés que nous pour se constituer les interprètes des voeux formulés par les électeurs algériens et par les corps constitués de ce pays, nous sommes trop persuadés de la légitimité de leur affirmation pour avoir un seul instant l’idée de la contester.
        ... Mais l’Algérie n’est pas constituée comme le territoire continental de la France. Elle contient, en immense majorité, des habitants de conditions diverses qui ne sont pas électeurs français, qui ne jouissent pas des droits électoraux et qui, par conséquent, ne sont pour rien ni directement ni indirectement dans l’élection de nos collègues.
        Je voudrais leur demander si eux-mêmes, si la commission et le Gouvernement avec eux, ont bien envisagé, en se plaçant à ce point de vue, toutes les conséquences que peut engendrer l’application de la loi en Algérie.
...
        Mais je vous demande si vous êtes bien préoccupés aussi d’autres algériens qui ne sont ni français ni musulman. La province d’Oran compte, en très grand nombre, des Espagnols qui ne sont pas citoyen français, qui n’ont par conséquent, aucun droit électoral ; la province de Constantine, comme la régence de Tunis , compte, en nombre pour le moins égal des italiens qui sont dans le même cas ...

M. L’amiral de Cuverville : Et les Maltais sont aussi très nombreux !
...
M. Gourju : Or, je voudrais simplement savoir si le Gouvernement usera des mêmes temporisations et des mêmes précautions    .... Il serait fort grave et peut-être très inquiétant d’appliquer tout de suite la loi de séparation à ces populations, parce qu’ils .... sont très attachés à leur religion, qu’en Algérie ils ne sont généralement pas riches, que, ..., l’aide de l’État leur est indispensable pour satisfaire leurs besoins religieux, et qu’il ne faut, à aucun prix, [qu’ils] soient poussés à aller chercher soit en Espagne, soit en Italie le moyen de pratiquer leur religion. Ce serait un péril pour la domination française. (Très bien ! très bien ! à droite et au centre.)
...
        Je demande donc au Gouvernement, qui me paraît préoccupé - et qui l’est légitimement - de l’intérêt des musulmans, s’il s’est préoccupé de l’intérêt des catholiques espagnols et italiens, pour éviter le danger que je lui signale. (Applaudissements au centre et à droite.)
....
(L’article 43 est adopté par 194 voix contre 44)

M. le président : « Art. 44.- Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l'organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l'État, ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment :
        « 1° La loi du 18 germinal an X ; portant que la convention passée le 26 messidor an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ;
        « 2° Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ;
        « 3° Les décrets du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l'ordonnance du 28 mai 1844 sur le culte israélite ;
        « 4° Les décrets des 22 septembre 1812 et 19 mars 1859 ;
        « 5° Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du code pénal
        « 6° Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l'article 136 et l'article 167 de la loi du 5 avril 1884 ;
        « 7° Le décret du 30 décembre 1809 et l'article 78 de la loi du 26 janvier 1892. »
        Il y a, messieurs, sur cet article, trois amendements.
        Le premier de MM. Ponthier de Chamaillard, le vice-amiral de Cuverville ... (Et leurs amis) ..., est ainsi conçu :
        « Supprimer les paragraphes 1°, 2°, 3° de cet article. »
        En second lieu, MM. Dominique Delahaye, le vice-amiral de Cuverville ... (Et leurs amis) ..., demandent de rédiger ainsi le paragraphe 5 :
        « 5° Les articles 199 à 208, 260 à 264, 294 du code pénal. »
        Enfin, MM. Dominique Delahaye, le vice-amiral de Cuverville ... (Et leurs amis) ... proposent d’ajouter entre les numéros 5° et 6°, les paragraphe suivants:
        « 5 bis :Les décrets des 7 janvier 1808 et 16 décembre 1809;
        « Le paragraphe 7° de l’article 12 de la loi du 30 novembre 1875;
        « La paragraphe 7° de l’article 21 de la loi du 2 août 1875. »

(Les amendements seront repoussés, l’article adopté par petits bouts avant d’être adopté dans son ensemble par 178 voix contre 97)

        Tous les articles, messieurs, sont adoptés. Mais avant de consulter le Sénat sur l’ensemble du projet de loi, j’ai à lui faire connaître que notre collègue M. Denoix a déposé une proposition tendant au retrait de l’urgence. C’est par cette proposition que nous continuerons la discussion.
        Si l’urgence n’est pas retirée, je donnerai la parole à ceux de nos collègues qui veulent parler sur l’ensemble.
...
        Enfin, si le texte de la loi est adopté, il restera une dernière proposition de M. Delahaye -...-  qui demande au sénat de changer non pas le texte de la loi, mais le titre de la loi.
 
 

SUITE
 

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1