5 décembre 1905
Suite de la discussion du projet de loi
concernant la séparation des Églises
et de l'État
(20° journée, réduite
et annotée)
M. le président :
... Nous sommes arrêtés, messieurs, au titre VI : «
Dispositions générales. » Mais avant donner lecture
de l’article 37, je dois consulter le Sénat sur la deuxième
partie du paragraphe 11 de l’article 11, que nous avions réservée
jusqu’après le vote des articles 34 et 35.
Je donne lecture du paragraphe11
:
« Les pensions et
allocations prévues ci-dessus seront incessibles et insaisissables
dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront
de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou
infamante ... »
Cette première partie
du paragraphe a été votée par le sénat. Seule,
la disposition suivante a été réservée :
« ... ou en cas de
condamnation pour l’un des délits prévus aux article 34 et
35 de la présente loi. »
Pour motiver cette réserve,
on a fait observer que cette dernière partie ne pouvait être
adoptée qu’après le vote des articles 34 et 35.
M. Guillier demande la suppression
de cette dernière partie du paragraphe ...
M. Guillier : Messieurs,
lorsque l’honorable M. Combes exposa, dans son discours d’Auxerre du 4
septembre 1904, ses vues et ses conceptions sur le grave problème
de la séparation des Églises et de l’État, il ne manqua
pas d’aborder la question des pensions et allocations qui, au lendemain
du vote de la loi, dans une période de transition, devaient nécessairement
être servies aux ministres des cultes jusqu’alors reconnus. Il fit
une déclaration destinée à rassurer ceux qui, partisans
en principe de la réforme, ne veulent pas la voir s’accomplir au
prix d’infortunes individuelles et imméritées.
« Il ne faut ici,
proclamait-il, reculer devant aucun sacrifice conforme à la justice
» J’ose placer mon amendement sous le couvert de cette parole.......
...
(La disposition est votée par 172 voix contre 102 ; le paragraphe
11 est adopte ; ainsi que l’ensemble de l’article 11 par 178 voix contre
58.)
M. le président : Titre VI ; Dispositions générales
« Art.
37.- L'article 463 du Code pénal et la loi du 26 mars 1891 sont
applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi
édicte des pénalités. »
(Adopté)
« Art.
38. -Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois
des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904. »
Il y a, ..., un amendement
de MM. le vice-amiral de Cuverville, Dominique Delahaye ... (et leurs amis)
... ainsi conçu :
« Art. 38. - Rédiger
ainsi cet article :
« Les associations
religieuses appelées congrégations pourront se constituer
en se conformant aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901.
le titre III de ladite loi ainsi que les lois des 4 décembre 1902
et 7 juillet 1904 sont et demeurent abrogées. »
M. l’amiral de Cuverville :
... En défendant à la tribune de la Chambre des députés
l’amendement que je reproduits devant le Sénat, l’honorable abbé
Gayraud, député du Finistère, rappelait que cet amendement
n’était autre chose que l’expression de l’ancienne doctrine républicaine.
Et, en effet, dans une proposition
de loi relative à la liberté d’association, déposée
en 1898, et qui évoquait le rapport de Jules Simon sur la proposition
Dufaure, en 1182, et le rapport de M. Goblet, en 1895, voici comment s’exprimaient
MM. Viviani, Dejeante, Zévaès, Rabier, Chenavaz, Charles
Bos et plusieurs de leurs collègues :
« Aucune condition,
soit d’autorisation, soit même de déclaration, n’est imposée
aux associations en général ... L’association ainsi librement
formée, sans aucune intervention de la puissance publique, ne peut
évidemment exercer aucun droit en tant qu’association ...
« Ces dispositions
s’appliquent à toutes les associations, quel que soit leur objet,
politique, religieux, littéraire, scientifique, artistique ou charitable,
sans qu’il y ait à faire à cet égard de différence
entre les associations religieuses et les autres ; elles doivent toutes,
sans distinction, jouir des mêmes libertés. Telle a été
de tout temps, ajoutaient les auteurs de la proposition de loi, la doctrine
du parti républicain. »
Sous la réserve que
le régime concordataire ferait place au régime de séparation
de l’Église et de l’État, ils admettaient que les congrégations
religieuses pourraient bénéficier, comme toutes les autres
associations, de la liberté et de l’égalité de traitement.
« Toutefois, ajoutaient-ils
encore, ce régime d’égalité comporte nécessairement
certaines mesures exceptionnelles en ce qui concerne les associations qui
se destinent à vivre en commun et, particulièrement, les
congrégations religieuses ; nous ne proposons ni de les supprimer,
ni même, en tant qu’elles ne réclameraient pas la personnalité
civile, de les assujettir à une autorisation préalable. Nous
avons pensé qu’il suffirait de leur imposer une simple déclaration
... Nous reconnaissons d’ailleurs à l’État le droit de dissoudre
les associations ayant ce caractère, mais le décret de dissolution
devra être pris en conseil des ministres. »
Telle était, en 1898,
la doctrine du parti républicain : la séparation est chose
faite et vous n’avez pas craint, en la faisant, de jeter la France dans
un inconnu redoutable
(Très bien ! très bien ! à
droite.), où elle peut perdre, ..., sa paix religieuse au dedans
et sa grandeur au dehors
(Nouvelles marques d’approbation); je vous
demande de rendre aux congrégations religieuses, que vous avez dispersées
malgré toutes les promesses qui leur avaient été faites,
la liberté d’association.
Les mesures que vous prenez à l’égard
des associations cultuelles pour empêcher ce que vous appelez la
reconstitution de la mainmorte, vous donneront toute sécurité
à l’égard des congrégations religieuses et ce ne sont
pas les âmes d’élite qui remplissaient les asiles de prière
et de charité que vous avez fermés qui compromettront la
République. (Très bien ! à droite.)
...
Quand, sous le faux prétexte
d’une opposition systématique au régime républicain,
vous avez dispersé les congrégations religieuses qui étaient,
..., l’honneur de notre pays, vous avez livré leurs biens à
l’avidité des liquidateurs et vous avez réduit leurs membres
à la misère ; les vieillards, les infirmes sont allés
mourir dans quelques localités ignorés ; d’autres ses ont
sécularisés et vivent péniblement avec le secours
de quelques âmes généreuses ; ceux qui ont voulu conserver
leur état religieux on dû s’exiler, et nous, qui les avons
défendus jusqu’à la dernière heure, nous en recevons
parfois des nouvelles navrantes.
...
(Amendement repoussé par 175 voix contre 45)
(L’article 38, mis aux voix est adopté.)
M. le président : « Art.
39.- Les jeunes gens, qui ont obtenu à titre d'élèves
ecclésiastiques la dispense prévue par l'article 23 de la
loi du 15 juillet 1889, continueront à en bénéficier
conformément à l'article 99 de la loi du 21 mars 1905, à
la condition qu'à l'âge de vingt-six ans ils soient pourvus
d'un emploi de ministre du culte rétribué par une association
cultuelle et sous réserve des justifications qui seront fixées
par un règlement d'administration publique. »
(Adopté)
« Art.
40.- Pendant huit années à partir de la promulgation
de la présente loi, les ministres du culte seront inéligibles
au conseil municipal dans les communes où ils exerceront leur ministère
ecclésiastique. »
Sur cet article 40, M. Guillier
propose un amendement ainsi conçu :
« Rédiger ainsi
l’article 40 :
« Pendant le temps
où ils recevront un traitement de l’État, les ministres du
culte seront inéligibles au conseil municipal dans les communes
où ils exerceront leur ministère ecclésiastique. »
M. Vidal de Saint-Urbain,
par voie d’amendement, propose purement et simplement la suppression de
l’article.
M. Vidal de Saint-Urbain:
M. le président, je retire mon amendement, et je déclare
me rallier à celui de M. Guillier.
...
M. le rapporteur :
Il serait choquant de voir l’ancien ministre du culte, le curé devenu
conseiller municipal et maire de la commune, ceint de l’écharpe
tricolore, commencer par faire le mariage civil avant d’aller à
l’église pour le mariage religieux. (Interruptions)
On se fera à ces
moeurs, c’est entendu, mais il est nécessaire d’avoir une certaine
période de transition et tout le monde le comprend.
...
(L’amendement de M. Guillier est repoussé par 179 voix contre
90)
(L’article 40 est adopté)
M. le président : « Art.
41.- Les sommes rendues disponibles chaque années par la suppression
du budget des cultes seront réparties entre les communes au prorata
du contingent de la contribution foncière des propriétés
non bâties qui leur aura été assigné pendant
l'exercice qui précédera la promulgation de la présente
loi. »
Il y a sur cet article deux
amendements.
Le premier présenté
par M. Ponthier de Chamaillard ( Qui le retirera au profit du second)
...
Le second, présenté
par M. Pichon, est ainsi conçu :
Modifier ainsi qu’il suit
l’article 41 :
« Les sommes rendues
disponibles chaque année par la suppression du budget des cultes
seront réparties entre les communes, un tiers par part égales,
deux tiers au prorata du contingent de la contribution foncière
des propriétés non bâties qui aura été
assignée à chaque commune pendant l’exercice qui précédera
la promulgation de la présente loi. »
...
(Amendement repoussé par 171 voix contre 55)
...
« Art. 42.- Les dispositions
légales relatives aux jours actuellement fériés sont
maintenues. »
(Adopté)
«
Art. 43.- Un règlement d'administration publique rendu dans
les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera
les mesures propres à assurer son application.
« Des règlements
d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles
la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonie.
»
Il y a sur cet article,
deux amendements : l’un de M. Treille, ainsi conçu :
« Rédiger ainsi
le second paragraphe en ce qui concerne l’Algérie :
« La présente
loi est applicable à l’Algérie. »
L’autre de M. Brager de
la Ville-Moysan, ainsi conçu :
« Remplacer le dernier
paragraphe de cet article par la phrase suivante :
« La présente
loi n’est pas applicable à l’Algérie et aux colonies françaises.
»
M. Alcide Treille : Je retire mon amendement
M. Brager de La Ville-Moysan:
Messieurs, lorsque ...., j’ai déposé .... l’amendement ....j’étais
mu par trois motifs d’ordre différent. Le premier était celui-ci
: c’est que le paragraphe 2 de l’article 42 édicte pour ainsi dire
pour toutes nos colonies un pur régime d’arbitraire ; c’est le bon
plaisir des gouverneurs qui détermine quel sera, à un moment
donné, le régime relatif aux cultes qui régnera dans
notre domaine colonial.
Il pourra se produire qu’un
jour, mû par certains sentiments, le gouverneur d’une colonie édicte
des dispositions que, quelques semaines ou quelques mois plus tard, un
autre gouverneur viendra supprimer pour les remplacer par des dispositions
nouvelles, peut-être même contradictoires avec celles qui précédemment
étaient en vigueur.
Or, il semble que nous ne
puissions, nous, législateur, accepter que, dans un article de loi
que nous sommes chargé d’élucider, on établisse ainsi
le régime du bon plaisir pour toute un catégorie de citoyens
vivant sous les lois françaises. (Très bien ! à
droite)
....
Mais d’autres raisons plus
pressantes encore militent en faveur de ma thèse : on nous
disait, ..., de ce côté de l’Assemblée (la gauche)
que .. on avait obéi à .... des raisons politiques. Permettez-moi
de dire que des considérations de cet ordre ne peuvent offrir, ...,
un grand intérêt en ce qui concerne les colonies. Ce n’est
ni à Madagascar, ni au Tonkin, ni au Sénégal, alors
qu’aucune représentation de ces différentes colonies n’existe
dans le Parlement français, que des motifs d’ordre politique peuvent
dicter telle ou telle réglementation.
...
Que fera-t-on, par exemple,
pour l’Algérie ? Je sais qu’à cet égard il existe
chez un certain nombre d’entre vous des craintes assez vives sur l’effet
que pourra produire l’application complète à l’algérie
du régime de la séparation des Églises et de l’État.
On ne le fera pas, parce qu’à côté du culte catholique,
du culte protestant et du culte juif, il y a le culte musulman et que l’on
craindrait de porter une atteinte quelconque aux croyances des fidèles
de ce dernier culte.
Nous arriverons ainsi à
ce résultat bizarre que, dans nos colonies, on verra le culte musulman
mieux traité que [les autres]. Voilà pourquoi on veut se
réserver, notamment dans cette colonie, le droit de doser d’une
manière habile et savante le régime de séparation
qu’on lui imposera. On évitera tout ce qui pourrait gêner
le culte musulman, parce qu’on craint des difficultés terribles
qui, finalement, pourraient produire une véritable révolution
contre la France et l’influence française.
(Si, en vertu de décrets
de 1911 et 1913, la loi de 1905 est applicable en Martinique, en Guadeloupe
et à la Réunion, la Guyane et les autres collectivités
d’outre-mer relèvent de régimes particuliers....
L’absence
d’application de la loi de 1905 aux départements algériens
(1905-1962) Malgré l’extension des dispositions de la loi de 1905
aux trois départements algériens par le décret du
27 septembre 1907, l’État n’a jamais cessé d’exercer en fait
un contrôle prononcé sur l’exercice du culte musulman, en
accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie
d’agréments et en réglementant le droit de prêche dans
les mosquées domaniales (circulaire Michel du 16 février
1933). Les milieux musulmans locaux réagirent en exigeant de bénéficier
de la même liberté que les cultes métropolitains. L’Émir
Khaled adressa le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Édouard
Herriot, président du Conseil. Par la suite, l’Association des oulémas
réformistes du cheikh Ben Badis formula un ensemble de propositions
destinées à appliquer à l’Islam algérien le
statut de droit commun des religions, qui furent reprises par la plupart
des formations politiques musulmanes dès les années 1930
: création d’associations cultuelles et d’un Conseil supérieur
islamique, convocation d’un congrès religieux chargé de définir
l’organisation définitive du culte musulman conformément
à la loi de 1905. Ces initiatives ne trouvèrent aucun écho
auprès des autorités métropolitaines.
Bien que
la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie
ait réaffirmé l’indépendance du culte musulman à
l’égard de l’État dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques
ont perduré jusqu’à l’indépendance. L’attitude de
la République était dictée par des considérations
coloniales davantage que religieuses. Du fait du refus de la République
de reconnaître la citoyenneté française aux musulmans,
les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion
civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la
dépendance de l’État pour mieux en contrôler l’exercice.
Cet
épisode de non-application de la loi de 1905 est parfois présenté
comme symptomatique de l’incapacité de la République française
à considérer l’Islam sur un pied d’égalité
avec les autres religions. Il a en tout état de cause eu pour effet
de créer un lien entre le religieux et le civil dont on retrouve
encore les traces aujourd’hui.
Texte tiré du rapport
du Haut conseil à l’intégration : « L’Islam dans
la république » par Roger Fauroux - Novembre 2000 )
D’une façon générale,
d’ailleurs, les motifs que les auteurs de la séparation invoquent
en faveur de la thèse ..... ne semblent guère pouvoir s’appliquer
à l’état intellectuel et social des colonies.
On nous dit que ce régime
était nécessaire pour un certain progrès des idées
modernes qui voulait qu’après avoir passé par un régime
de l’union intime des pouvoirs civils et religieux, on arrivât peu
à peu à une distinction de ces pouvoirs se traduisant par
un régime d’accord réciproque, celui des concordat ; on ajoutait
que ce même régime avait fait son temps et que le mouvement
continu des idées modernes devait amener nécessairement enfin
la séparation complète des deux pouvoirs. Or, ces considérations
sont-elles applicables aux colonies ? Les indigènes du Congo, de
Madagascar ou du Tonkin possèdent-ils un niveau intellectuel susceptible
de comprendre ce progrès prétendu des idées modernes
? .... (Non, il n’est pas raciste
; c’était « normal » de penser de cette façon
à cette époque ...)
.....
J’ajouterai même que
... je vois au contraire des raisons très fortes qui militent en
faveur du maintien de l’état de chose actuel dans nos colonies françaises
... Vous n’ignorez pas que dans la plupart de nos colonies l’influence
religieuse est l’influence française sont pour ainsi dire deux choses
qui se confondent. (Très bien ! à droite.) Vous n’ignorez
pas que ce sont généralement les missionnaires qui sont les
premiers pionniers de la civilisation européenne, que ce sont eux
qui sont les meilleurs agents de l’influence française ! ...
Vous n’ignorez pas que,
là où le missionnaire s’est établi, là où
il a su grouper autour de lui un troupeau de fidèles,
(un troupeau de fidèles !!! qu’on pourra envoyer à
l’abattoir dans les tranchées de 14-18)
la France trouve toujours un appui dévoué et peut compter
sur les meilleurs des indigènes pour maintenir ou développer
son influence.
Croyez-vous que, quand les missionnaires auront
disparu, les résidents civils ou les autres fonctionnaires pourront
obtenir les mêmes résultats et conquérir une influence
aussi féconde ?
...
Je sais que parmi les fonctionnaires
que la France envoie dans ses possessions d’outre-mer, il y en a de fort
intelligents et de très patriotes ; mais je sais aussi qu’il y en
a, au contraire quelques-uns, dont l’action personnelle, loin de servir
à grandir la France, ne peut que la diminuer aux yeux des populations
indigènes. Je rappellerai simplement des faits qui viennent de se
passer et qui montrent que certains agents travaillent à civiliser
les indigènes au moyen de la dynamite étrangement employée.
(Très bien ! très bien ! à droite)
(Un de ces « agents » avait utilisé de la dynamite pour
faire exploser un congolais)
...
...Voilà pourquoi
j’avais déposé mon amendement. Mais comme je n’ignore pas
qu’il aura le même succès que tous ceux qui l’ont précédé,
.... je préfère retirer mon amendement. (Très bien
! très bien ! à droite)
...
M. Paul Gérente :
... Nous estimons, nous, citoyens algériens, nous républicains
algérien, qu’une loi, d’un caractère aussi général,
comportant des principes aussi graves, si elle est bonne pour la métropole,
est bonne également pour nous ... (Très bien ! très
bien ! et applaudissements à gauche.) ... que nous devons être
soumis, en un mots, nous, citoyens français, aux mêmes lois
civiques et religieuses partout, en Algérie comme en métropole.
(Mais
les musulmans n’étaient pas citoyens français ...)
... Nous comprenons la nécessité d’un règlement
d’administration publique ; mais nous voulons que l’esprit de ce règlement
soit bien dans l’esprit de la loi, c’est à dire l’esprit de la séparation.
(Très
bien ! très bien ! et applaudissements sur les mêmes bancs.)
M. de Lamarzelle : Est ce que vous demandez l’application de la loi de séparation mêmes aux musulmans, en Algérie ?
M. Paul Gérente : C’est une discussion nouvelle
qu’on réclame de moi : je suis prêt à y entrer, si
le sénat le désire; (Exclamations à droite.)
...
M. Le Provost de Launay
: Vous savez bien qu’on n’appliquera pas la séparation
aux musulmans
...
M. de Lamarzelle : je constate qu’on ne veut pas l’application
de la loi aux musulmans et que les citoyens français sont traités
moins bien que les indigènes des pays conquis. (Très bien
! à droite)
...
M. Brager de la Ville-Moysan : je voudrais simplement demander
à M; le ministre de me répondre clairement à la question
suivante : Si le régime de séparation est appliqué
en Algérie, la suppression du budget des cultes atteindra-t-elle
aussi bien le clergé du culte musulman que le clergé des
autres cultes .....
...
M. le ministre : Messieurs,
le Gouvernement appliquera la loi à l’Algérie comme aux colonies
; il ne peut être séparatiste en France et antiséparatiste
en Algérie et aux colonies. (Très bien ! à gauche.)
mais le Gouvernement vous demande de lui laisser la responsabilité
des conditions dans lesquelles aura lieu l’application de la loi. (Très
bien ! à gauche.) C’est à quoi tend l’article 43,
§2. ....
J’ajoute que cet article ne contient rien de nouveau,
tout au moins quant à la formule, car l’exercice des cultes aux
colonies a toujours fait l’objet non de disposition législatives,
mais de décrets. (Très bien ! très bien ! à
gauche.)
..... certes, nous entendons appliquer la loi en
Algérie et aux colonies dans l’esprit où elle est faite pour
la métropole, mais il y a des mesures de sauvegarde que le Gouvernement
a le droit d’édicter ...(Murmures à droite : C’est
l’arbitraire absolu !) ... et il n’y manquera pas. (Approbations à
gauche.)
.....
M. Gourju : Messieurs, quand
nos collègues de l’Algérie nous déclarent qu’ils sont
mieux placés que nous pour se constituer les interprètes
des voeux formulés par les électeurs algériens et
par les corps constitués de ce pays, nous sommes trop persuadés
de la légitimité de leur affirmation pour avoir un seul instant
l’idée de la contester.
... Mais l’Algérie
n’est pas constituée comme le territoire continental de la France.
Elle contient, en immense majorité, des habitants de conditions
diverses qui ne sont pas électeurs français, qui ne jouissent
pas des droits électoraux et qui, par conséquent, ne sont
pour rien ni directement ni indirectement dans l’élection de nos
collègues.
Je voudrais leur demander
si eux-mêmes, si la commission et le Gouvernement avec eux, ont bien
envisagé, en se plaçant à ce point de vue, toutes
les conséquences que peut engendrer l’application de la loi en Algérie.
...
Mais je vous demande si
vous êtes bien préoccupés aussi d’autres algériens
qui ne sont ni français ni musulman. La province d’Oran compte,
en très grand nombre, des Espagnols qui ne sont pas citoyen français,
qui n’ont par conséquent, aucun droit électoral ; la province
de Constantine, comme la régence de Tunis , compte, en nombre pour
le moins égal des italiens qui sont dans le même cas ...
M. L’amiral de Cuverville : Et les Maltais sont aussi très
nombreux !
...
M. Gourju : Or, je voudrais simplement savoir si le Gouvernement
usera des mêmes temporisations et des mêmes précautions
.... Il serait fort grave et peut-être très inquiétant
d’appliquer tout de suite la loi de séparation à ces populations,
parce qu’ils .... sont très attachés à leur religion,
qu’en Algérie ils ne sont généralement pas riches,
que, ..., l’aide de l’État leur est indispensable pour satisfaire
leurs besoins religieux, et qu’il ne faut, à aucun prix, [qu’ils]
soient poussés à aller chercher soit en Espagne, soit en
Italie le moyen de pratiquer leur religion. Ce serait un péril pour
la domination française. (Très bien ! très bien
! à droite et au centre.)
...
Je demande donc au Gouvernement,
qui me paraît préoccupé - et qui l’est légitimement
- de l’intérêt des musulmans, s’il s’est préoccupé
de l’intérêt des catholiques espagnols et italiens, pour éviter
le danger que je lui signale. (Applaudissements au centre et à
droite.)
....
(L’article 43 est adopté par 194 voix contre 44)
M. le président : « Art.
44.- Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives
à l'organisation publique des cultes antérieurement reconnus
par l'État, ainsi que toutes dispositions contraires à la
présente loi et notamment :
« 1° La loi du
18 germinal an X ; portant que la convention passée le 26 messidor
an IX entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles
organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés
comme des lois de la République ;
« 2° Le décret
du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants
;
« 3° Les décrets
du 17 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l'ordonnance du 28
mai 1844 sur le culte israélite ;
« 4° Les décrets
des 22 septembre 1812 et 19 mars 1859 ;
« 5° Les articles
201 à 208, 260 à 264, 294 du code pénal
« 6° Les articles
100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l'article 136 et l'article 167
de la loi du 5 avril 1884 ;
« 7° Le décret
du 30 décembre 1809 et l'article 78 de la loi du 26 janvier 1892.
»
Il y a, messieurs, sur cet
article, trois amendements.
Le premier de MM. Ponthier
de Chamaillard, le vice-amiral de Cuverville ... (Et leurs amis) ..., est
ainsi conçu :
« Supprimer les paragraphes
1°, 2°, 3° de cet article. »
En second lieu, MM. Dominique
Delahaye, le vice-amiral de Cuverville ... (Et leurs amis) ..., demandent
de rédiger ainsi le paragraphe 5 :
« 5° Les articles
199 à 208, 260 à 264, 294 du code pénal. »
Enfin, MM. Dominique Delahaye,
le vice-amiral de Cuverville ... (Et leurs amis) ... proposent d’ajouter
entre les numéros 5° et 6°, les paragraphe suivants:
« 5 bis :Les décrets
des 7 janvier 1808 et 16 décembre 1809;
« Le paragraphe 7°
de l’article 12 de la loi du 30 novembre 1875;
« La paragraphe 7°
de l’article 21 de la loi du 2 août 1875. »
(Les amendements seront repoussés, l’article adopté par petits bouts avant d’être adopté dans son ensemble par 178 voix contre 97)
Tous les articles, messieurs,
sont adoptés. Mais avant de consulter le Sénat sur l’ensemble
du projet de loi, j’ai à lui faire connaître que notre collègue
M. Denoix a déposé une proposition tendant au retrait de
l’urgence. C’est par cette proposition que nous continuerons la discussion.
Si l’urgence n’est pas retirée,
je donnerai la parole à ceux de nos collègues qui veulent
parler sur l’ensemble.
...
Enfin, si le texte de la
loi est adopté, il restera une dernière proposition de M.
Delahaye -...- qui demande au sénat de changer non pas le
texte de la loi, mais le titre de la loi.
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1