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Sénat
Session extraordinaire de 1905

6 décembre 1905
Suite de la discussion du  projet de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État
(21° journée, réduite et annotée)



M. le président : ... La parole est à M. Denoix qui demande le retrait de l’urgence.

M. Denoix :... Ce projet, ..., a eu une fortune véritablement extraordinaire. On a dit, et je le crois, que cent trente députés avaient inscrit dans leur profession de foi la réforme qui en fait l’objet. I: y a un livre, que nous ne possédons pas au Sénat, mais qui se trouve à la Chambre des députés, livre précieux entre tous, puisque, à chaque instant, il permet aux députés de rappeler leurs collègues au respect des engagements qu’ils ont pris. Ce livre s’appelle : « le Barodet » (du nom du député qui en demandé la création)
        J’ai eu la curiosité de voir un peu ces professions de foi, et je reconnais que le nombre est considérable de ceux qui ont inscrit la séparation des Églises et de l’État sur leur programme ; ce nombre se rapproche bien de cent trente. Combien, sur ces cent trente, n’avaient promis la réforme que comme un article de programme ancien, comme une continuation du programme républicain depuis trente ans ? Très peu - presque aucun -  avaient osé envisager la possibilité de faire voter cette réforme dans le courant de l’année 1905, ou, en tout cas, dans le courant de la législature qui va bientôt finir.
...
M. le président de la commission : Si c’est sous prétexte que la loi n’a pas été suffisamment étudiée que M. Denoix nous demande le retrait de l’urgence, j’avoue que je ne comprends plus du tout. (Très bien ! à gauche.) Est-ce qu’il estime que les débats n’ont pas été complets ? Ils ont eu, messieurs,  l’ampleur et la dignité que comportait un pareil sujet.
        Toutes les thèses, toutes les théories, toutes les doctrines ont pu être exposées ici librement ; c’est pied à pied que les adversaires de la loi l’ont combattue : ils ne l’ont pas fait seulement avec un talent, avec une ténacité, auxquels je rends hommage, mais aussi avec une précision qui montre qu’ils la connaissent à fond et qu’ils en avaient étudié tous les détails. (Très bien ! très bien !)
        Est-ce que les membres de cette haute Assemblée n’ont pas pu, eux aussi, se livrer à l’étude réfléchie de cette loi, depuis quatre semaines que dure la discussion, et à quoi aurait servi cette précaution inusitée ainsi prise de faire distribuer à chacun d’eux un exemplaire des débats qui ont eu lieu devant la Chambre des députés ?
        Or, messieurs, c’est quand un projet de loi a été l’objet d’un si minutieux examen qu’on vient dire au Sénat qu’il a mal vu ce qu’il faisait et qu’il faut tout recommencer.
...
        Alors qu’on soutient que nous voulons gêner l’administration de l’Église et que nous n’accordons pas aux associations cultuelles le bénéfice de la loi 1901, nous élargissons cette même loi à leur profit parce qu’elle ne leur permettrait pas de se mouvoir à leur aise, si on les avait enfermées dans ses limites.
...
        La loi 1901 ne donne aux associations de droit commun que la possibilité de percevoir des cotisations -...- et le droit de posséder les immeubles strictement nécessaires à l’accomplissement du but qu’elles se proposent. Nous donnons aux associations cultuelles tout cela, plus le droit d’avoir des réserves : une première, limitée quant à son chiffre ; une seconde, limitée quant à l’emploi des fonds.
        Il faut avouer que si, après avoir fait une telle loi, nous voulons déclarer la guerre à l’église, nous sommes véritablement beaux joueurs, car nous laissons et nous donnons à l’Église ce qui constitue le nerf de la guerre : l’argent. (Très bien ! et applaudissements à gauche.)
        Et comment, dans de telles conditions, peut-on venir parler de la précarité possible de l’Église ? Est-ce que l’Église a jamais manqué d’argent ? Avant la Révolution, elle possédait le tiers de la fortune du royaume. Après la révolution, et en un seul siècle, nous l’avons vue se constituer un patrimoine de 320 millions .... sans compter tout ce qu’ont reçu les congrégations, car, si l’on ne trouve pas le milliard, ce n’est cependant pas avec l’argent de l’État qu’on a édifié les maisons d’éducation et les riches chapelles qui se dressent dans toutes les cités importantes de la France.
        Et il faut croire que l’argent lui arrivait avec abondance, car tout ne restait pas dans notre pays : une partie s’en allait à Rome comme denier de Saint-Pierre. (Applaudissements à gauche.)
...
        Qui donc nommera dorénavant les évêques ? Le pape, le pape tout seul. ... Qui gênera les évêques dans leur relations avec la papauté ? Personne.
        Actuellement, les évêques ne peuvent quitter le territoire de la république sans l’autorisation du Gouvernement. Ils ne peuvent  publier dans leurs mandements les brefs, rescrits, expéditions et décrets de Rome sans cette même autorisation ; ils ne peuvent tenir des synodes que sous cette condition ; ils sont astreints à l’obligation de résidence.
        Toutes ces entraves vont disparaître. Tout ce qui gênait la liberté de l’Église est supprimé.
        Il y a mieux. Si les gouvernements qui se sont succédés en France avaient veillé à la stricte obligation des lois concordataires, l’Église n’aurait même pas eu la liberté du dogme, car ce n’est pas l’infaillibilité du pape que l’on enseignerait dans les séminaires comme on le fait aujourd’hui : c’est le contraire, c’est la déclaration de 1682, qui condamne l’infaillibilité dont le Concordat impose l’enseignement.
        Cette liberté du dogme, vous la recouvrez, pleine, entière, sans restriction, sans limite, tout au moins sans autre limite que la raison ......
        Et maintenant, messieurs, si de ce côté (la droite)  on n’apprécie pas à sa valeur la liberté que nous vous octroyons, nous n’y pouvons rien. Quant à nous, nous estimons que nous ne payerons jamais assez cher la liberté que nous allons conquérir. (Très bien ! très bien ! - Vifs applaudissements à gauche.)
...
M. le président : Je consulte le Sénat sur le retrait de l’urgence .... (Repoussé par 181 voix contre 100) (Vifs applaudissements à gauche.) Avant de consulter le sénat sur l’ensemble de la loi, je donne la parole à M. de Lamarzelle qui a des conditions générales à présenter.

M. de Lamarzelle : Messieurs, la déclaration que je vais avoir l’honneur de lire au Sénat est signée de mon nom, bien entendu, et de celui de mes honorables collègues MM. Charles Riou, le vice-amiral de Cuverville, G. Bodinier, A. de Béjarry, le comte de Blois, H. Le Cour Grandmaison, Halgan, A. Maillard, le comte de Pontbriand, le comte de Tréveneuc, le général Mercier, le marquis de Carné, le vice-amiral de la Jaille, Dominique Delahaye, le comte de Goulaine, Paul Le Roux, Haugoumar des Portes, Brager de La Ville-Moysan, A. Ollivier, Merlet, Le Proviost de Launay, de Chamaillard, le général de Saint-Germain.
        Malgré tous nos efforts, le sénat a accepter sans y changer une virgule le projet voté par la Chambre.
        On peut fouiller toute l’histoire parlementaire : c’est en vain qu’on tentera d’y découvrir, en matière législative un peu grave, un pareil précédent. ...
        Ce résultat d’ailleurs ne nous a pas surpris : nos adversaires avaient pris soin d’avance de nous l’annoncer. Dès le début de la discussion nous savions que nous lutterions ici seulement pour le devoir et pour l’honneur.
.....
        Non, cette loi n’est pas une loi de liberté ; car une loi d’exception ne peut pas être une loi de liberté. Or, ici, l’exception est partout, elle est notamment dans la fixation de la compétence, et c’est là particulièrement où ce projet viole outrageusement les principes de ceux-là mêmes qui vont la voter. Rappelez-vous avec quelle énergie votre grand orateur radical est venu ici formuler  l’un des articles fondamentaux du code républicain : « Justice administrative, ces deux mots hurlent d’être accouplés. »
        Nous ne voterons pas le projet aussi parce qu’il entend consacrer la rupture de la France avec sa tradition, la rupture de la France avec le catholicisme.
.....
M. Méline : Messieurs, au moment où le sénat va consacrer d’une façon définitive la loi dont il vient de voter les articles, je vous demande de résumer brièvement les raisons principales qui vont dicter mon vote et le vote de mes amis, les républicains libéraux. (Exclamations ironiques à gauche. - Très bien ! et applaudissements au centre.)

M. Destieux-Junca : Les amis de la réaction ! (Réclamations au centre.)

M. le président : Messieurs, n’interrompez pas ! Ce sont là des locutions dont nous nous servons tous les jours et que tout le monde comprend !

M. Destieux-Junca : C’est un franc-maçon qui parle

M. Méline: ... qui a toujours résisté à des francs-maçons comme vous et qui en est depuis longtemps séparé. (La francs-maçonnerie et les francs-maçons ont été, à plusieurs reprise au cours des débats, accusés de tous les maux; ou presque.)
        J’estime ... [qu’] il nous est impossible, ..., de prendre la responsabilité d’une loi dont nous redoutons les conséquences pour la France et pour la République.
        La première raison pour laquelle nous repoussons la loi, ..., c’est que nous ne nous reconnaissons pas le droit de le faire ; nous n’avons pas reçu de mandat pour cela ...

M. Destieux-Junca : Parlez pour vous !
...
M. Méline : ... Notre devoir, du reste, nous a été tracé par une autorité que vous ne récuserez pas, par l’honorable M. Combes, lorsqu’il disait :
        « La séparation exige impérieusement pour la tranquillité même des esprits qu’elle ait été ratifiée par l’assentiment du public et aucun gouvernement ne voudrait substituer ses vues personnelles à la volonté des électeurs. »

M. Destieux-Junca : Nous verrons cela aux élections.

M. Méline : ... Je sais que l’honorable président de la commission répond ..... :  « Le pays est avec nous. La preuve, c’est qu’il ne bouge pas ; il ne dit rien, il ne manifeste pas ! Voyez donc toutes les élections. Il semble qu’il reste indifférent aux débats qui s’agitent ici. »
        Permettez-moi de vous dire que vous connaissez bien mal le tempérament de ce pays ! Oui, il est ainsi fait peut-être, parce qu’il n’a pas encore les mœurs de la liberté, qu’il subit sans se plaindre.

M. Destieux-Junca : Il vous a même subi ; mais il ne recommencera pas. (Vives protestations au centre et à droite. -Cris : A l’ordre !)

M. le président : Monsieur Destieux-Junca, vous n’avez pas la parole. Veuillez ne pas interrompre et ne m’obligez pas à vous rappeler à l’ordre.
...
M. Méline : J’arrive, ..., à la deuxième raison....
        Nous ne croyons pas qu’elle ait été faite dans les conditions nécessaires pour offrir au pays les garanties les garanties qu’il est en droit d’attendre du législateur. La précipitation avec laquelle vous l’avez votée, le refus du sénat soit de la corriger, soit de la modifier nous semblent lui enlever l’autorité dont elle aurait besoin pour mériter l’assentiment de la nation.
        A la différence des lois d’affaires que vous faites tous les jours, que vous passez au crible avec une vigilance et une fermeté qui vous a valu la confiance du pays, vous avez, ..., voté celle-ci les yeux fermé ; je ne dis rien d’excessif.
        Il n’est pas douteux que la discussion a laquelle nous venons de nous livrer a fait ressortir jusqu’à l’évidence les incorrections, les imperfections, les lacunes, les obscurités, je pourrais dire les énormités dont cette loi fourmille. (Très bien ! très bien ! au centre et à droite.)
        Messieurs, ..., il est très fâcheux que le sénat n’ait pas voulu entrer dans la voie où la Chambre des députés elle-même était entrée. La Chambre avait sensiblement modifié, amélioré le projet primitif déposé par le Gouvernement ; en l’améliorant elle avait un peu approché du but : il dépendait de vous de l’atteindre ... Vous auriez peut-être pu  en faire ainsi une loi acceptable, au moins pour ceux qui sont partisans de la séparation.
        .... Vous en avez fait une loi d’expédients, une loi transitoire, provisoire, que personne, même de ce côté du Sénat (La gauche) , ne considère comme définitive.
        ... Je ferai volontiers cette concession que le régime de la séparation est infiniment plus logique, plus conforme à la vérité des choses que l’autre. Il est certain que l’État n’est pas compétent en matière religieuse ; il ne doit aux religions qu’une seule chose : la liberté.
        Mais, messieurs, la question ne se pose pas ainsi. On ne fait pas de loi pour donner satisfaction à une doctrine ; on fait des lois pour un pays déterminé, pour une situation déterminée, des lois qui conviennent au moment où on légifère.
        Vous ne pouvez pas méconnaître que la France est dans une situation, on peut le dire, unique au monde : son gouvernement est rivé depuis quatre siècles à l’Église.

M. le président de la commission : Rivé est bien le mot !

M. Méline : Il en résulte un ensemble d’habitudes, de mœurs, des intérêts tellement complexes qu’il est impossible de dissocier d’un coup une oeuvre aussi considérable et aussi ancienne. C’est la raison pour laquelle les grands chefs du parti républicain qui nous ont précédés : Gambetta, Jules Ferry, Paul Bert ... M. de Freycinet, tout en étant partisan de la séparation, n’ont jamais songé à la proposer, parce qu’ils estimaient que ce n’était pas brusquement qu’on pourrait couper le câble qui lie l’Église à l’État ; qu’il fallait une longue préparation avant de prendre une pareille mesure et de lancer le pays dans l’inconnu.
...
        ... Ce n’est pas, ...,  une loi d’émancipation des consciences. .... Cette loi soumet de plus le clergé à des restrictions absolument contraire au droit commun.
        Une véritable loi de séparation doit être une loi de liberté pour l’église, et non seulement une loi de liberté, mais une loi de respect du droit commun
...
        ... Une des dispositions surtout nous parait exorbitante, c’est celle qui enlève le prêtre à la juridiction ordinaire, lorsqu’il commet un délit d’opinion dans l’édifice même du culte. Vous le renvoyez devant le tribunal correctionnel, [alors qu’aujourd’hui], fonctionnaire, bénéficie de la juridiction ordinaire du jury et que ce même prêtre, quand il deviendra demain un simple citoyen, perdra le bénéfice du droit commun et serra renvoyé devant le tribunal correctionnel. Une pareille énormité, messieurs, juge la loi et il ne se trouvera pas, j’en suis convaincu, un seul jurisconsulte pour ratifier une semblable disposition.
...
        J’ »arrive au traitement du clergé lui-même.
...
        Vous sacrifiez ... complètement les prêtres rémunérés par les communes qui ne sont pas moins digne de pitié que les prêtres rémunérés par l’État.
        J’ai donc le droit de dire que vos mesures de transition à l’égard du clergé sont absolument insuffisantes, notamment pour une portion du jeune clergé, dont vous aller faire des adversaires acharnés de la loi elle-même, une légion de révoltés qui deviendront des ennemis de la république elle-même. (Mouvements divers.)
...
        Je répète qu’un certain nombre des auteurs de la loi poursuivent l’affaiblissement de l’idée religieuse ; ils espèrent que la séparation aura ce résultat de détacher de l’église catholique ceux que M. Clemenceau appelait des incrédules pratiquants ; on se dit qu’ils perdront l’habitude d’aller à l’église le jour où ils seront  obligés de payer les frais du culte.
...
        Je reconnais qu’il en est d’autres, et ils sont plus nombreux au sénat, ..., qui n’en veulent nullement à l’idée religieuse, mais qui poursuivent une autre idée : réduire le clergé à l’impuissance et le punir de la longue opposition que, selon eux, il a faite à la République.
        Voilà les deux courants d’idées qui ont, dans les deux chambres, entraîné le vote de la loin; c’est l’union de ces deux courants qui a fait la majorité.
        Un mot, d’abord de l’idée religieuse. Je crois que ceux qui se flattent de l’affaiblir avec la loi nouvelle se font de singulières illusion. ...
        La religion répond à un sentiment universel, à un besoin de la nature humaine qu’obsédera toujours l’éternel problème des destinées de l’homme, de ses origines, de la cause première qui gouverne le monde.
...
        M. le président de la commission rêve de substituer à la religion le règne de la raison. Je ne nie pas que, vues d’une certaine hauteur, la science et la philosophie ne puissent être considérés comme des religions ; mais vous m’accorderez bien que ces religions seront toujours l’exception et le privilège d’une élite. Elles ne suffiront jamais à l’humanité.
...
        Prenez garde que ces incrédules pratiquants soient bien souvent des catholiques intermittents, chez lesquels le sentiment religieux ne se réveille que dans les grandes circonstances, dans les grandes joies et dans les grandes douleurs de la vie ..... Ajoutez que si vous voulez conquérir ces incrédules pratiquants, le clergé fera, lui aussi, des efforts pour les retenir de son côté.     ..... En l’affamant, vous lui donnez indirectement le conseil de s’adresser au peuple ; ..... je crois que M. le président de la commission attendra encore longtemps la victoire de la raison sur la révélation.
        Ce qui est infiniment plus probable, c’est une recrudescence de l’idée religieuse.
...
        J’arrive au clergé. La loi n’est faite que pour lui, ou, si vous voulez, contre lui. (Approbation à droite et au centre.).
        Tous les orateurs qui ont soutenu le projet de loi ont apporté à cette tribune un long réquisitoire contre lui. On lui reproche son attitude politique depuis trente ans ... sa résistance à la République, son intervention dans la bataille électorale ; on espère que la loi de séparation va le réduire à l’impuissance et lui enlever ses principaux moyens d’action.
        Il faudrait peut-être corriger un peu ce tableau ; il serait peut-être juste de rappeler que les grandes batailles politiques du clergé se sont livrées surtout au 16 Mai et pendant la période boulangiste.

M. Destieux-Junca : Et pendant la période méliniste. (Mouvements divers.)

M. Méline :  Non, non, pas pendant la période méliniste.
        Si on avait voulu faire la séparation avec une apparence de raison, c’est à ce moment qu’on aurait dû l’entreprendre, car il n’est pas douteux que les dernières batailles que nous avons livrées n’étaient que jeu d’enfants en comparaison de celles du 16 Mai et de la période boulangiste. (Et c’est une période où il n’y eut pas de dépôt de proposition de loi demandant la séparation ?)
...
        Cela dit, je vous fais volontiers cette concession que la partie militante du clergé a fait trop de politique depuis trente ans et qu’elle a trop manifesté son opposition à la République.
        Personne ne le sait mieux que moi, puisque, dans mes grandes batailles électorales, j’ai toujours rencontré, sauf de  rares exceptions, le clergé contre moi ... (Exclamations ironiques à gauche.) ... ce qui prouve combien je suis clérical. (Très bien ! et rires au centre.)
        Cela ne m’a pas empêché d’être tolérant, de rester tolérant, par principe et par raison .... par principe, parce que j’estime que la tolérance est un devoir de conscience et qu’on la doit, comme la liberté, même à ses adversaires.  (Très bien ! très bien ! et applaudissements au centre et à droite.)
        Et par raison, parce que j’apercevais, derrière le clergé qui me combattait, cette masse de bons catholiques, d’excellents républicains, qui ne prenaient pas le mot d’ordre du clergé et qui me restaient fidèles parce qu’ils me savaient gré de ma modération, et qu’ils m’étaient reconnaissants de ne pas me venger en prêchant la guerre religieuse et en mangeant tous les matins du curé. (Très bien ! très bien ! et applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. Destieux-Junca :  Et vous, vous mangiez les républicains !(Vives exclamations et bruit prolongé au centre et à droite.)

M. le président :  Monsieur Destieux-Junca, je vous rappelle à l’ordre.
...
        Certes, vous n’aurez plus de difficultés avec le pape, c’est entendu, vous n’en aurez plus du tout ; mais le pape nommera les évêques qu’il voudra et vous n’aurez rien à dire. Il nommera même des congréganistes si cela lui plaît.
...
        N’oubliez pas, d’ailleurs, qu’entre le clergé et vous, vous allez rencontrer maintenant les associations cultuelles qui seront l’état-major de l’armée des fidèles ; ces associations se composeront d’hommes considérables de chaque pays, que vous n’intimiderez pas aisément et sur lesquels vous n’aurez pas beaucoup de prise.
        Je ne veux rien exagérer et je me garderai bien de dire que ces associations deviendront des associations politiques ; je ne le crois pas. Vous avez pris pour cela des précautions. ... Mais ... des membres des qui composeront  les associations cultuelles se garderont bien de faire de la politique dans les associations mêmes, mais vous ne les empêcherez pas de se faire connaître, de se rapprocher, et, en dehors de l’association, de constituer des comités politiques.
....
        Vous arriverez ainsi à constituer, je le crains, ce que le pape Léon XIII n’avait pas voulu constituer : un parti catholique politique.
...
        Et maintenant y a-t-il un remède à une situation pareille ?
        Il y en - le malheur est que le Gouvernement n’en veuille pas- ...il fallait négocier un nouveau concordat qui aurait relâché les liens existants entre Rome et la France, et qui, insensiblement, vous aurai amenés à la séparation, une séparation acceptée par tout le monde..... En tout cas, il fallait essayer. Si Rome avait pris l’attitude que vous dites et si elle avait voulu résister de parti pris, ne faire aucune concession, vous auriez acte et vous auriez ainsi mis le pape dans sont tort et le pays de votre côté.
...
    J’ai la conviction absolue que, dans quelques années, le Gouvernement de la France, quel qu’il soit, sera acculé à la nécessité de se rapprocher de Rome. ... (Ce qui aura lien en 1923 et 1924)
...
M. de Marcère : ... La loi a été discuté de ce côté de l’assemblée (la droite) ainsi que de ce côté (le centre), très peu de ce côté (la gauche). seuls les représentants du Gouvernement et de la commission ont eu la parole.
...
M. Émile Combes : Messieurs, je ne monte à la tribune que pour y faire au nom du groupe de la gauche démocratique une très simple et très courte déclaration. Nous nous sommes abstenus de propos délibérés d’apporter le moindre changement aux diverse articles du projet de loi qui nous a été soumis relativement à la séparation des Églises et de l’État.
...
        Nous votons la loi telle qu’elle est sortie de la Chambre des députés, parce que nous avons hâte de mettre fin à la situation officielle des cultes reconnus et de consacrer, par une mesure définitive, la neutralité confessionnelle de la République française.
        Nous la votons aussi parce que nous la considérons, malgré ses imperfections et ses lacunes, comme une loi de liberté, d’affranchissement moral et de paix sociale !
...
        Nous la votons enfin parce que nous tenons particulièrement à la rendre exécutoire à partir du 1er janvier 1906, afin que le corps électoral qu’on a cherché et qu’on cherchera certainement à tromper sur les sentiments réels de la majorité républicaine des deux Chambres, ait le temps de bien se rendre compte, avant les élections législatives d’avril, du véritable caractère de la loi et des effets naturels de ses dispositions ...
...
        ... mais nous n’entendons nullement nous enlever par ce vote le droit de remédier plus tard à des défectuosités qui n’ont échappé à aucun de nous.
...
        Notre conduite à cet égard s’inspirera surtout des résultats de l’expérience qui va commencer dès le début de l’année prochaine. (Vifs applaudissements à gauche.)
...
M. le président : Que le sénat me permette de lui faire remarquer que, si la loi est votée, il lui restera à se prononcer sur une modification proposée au titre. Je prie donc mes collègues de vouloir bien ne pas quitter la salle des séances.
    Voici, messieurs, le résultat du scrutin sur l’ensemble du projet de loi relatif à la séparation des églises et de l’État :

Nombre de votants : ..... 282
Majorité absolue : ........ 142

Pour l’adoption : ..... 179
Contre : ................... 103

    Le Sénat a adopté. (Vifs applaudissements à gauche. - Cris de : « Vive la République ! »)

        MM. Dominique Delahaye, de Béjarry, ... (Et leurs amis) ... ont déposé un amendement ainsi conçu :
        « dans le titre du projet de loi concernant la séparation des Églises et de l’État, remplacer les mots :
        « La séparation »
        « Par les mots suivants :
        « Les nouveaux rapports »

M. Delahaye : ...  Au lieu d’entrer en rapport avec des confessions religieuses vous serez en rapport avec la masse des fidèles représentée par les membres des associations cultuelles.
        Vous changez le protocole ; nouveaux rapports, mais rapports tout de même.
        Rapports de contrôle financier attribués désormais à l’enregistrement et à l’inspection générale des finances, au lieu que les comptes des fabriques étaient envoyés à la préfecture. On change d’administration ; mais c’est toujours le contrôle de l’État.
...
(Amendement repoussé par 194 voix contre 25)

M. le président :  En conséquence, messieurs, le titre reste et portera ces mots : « concernant la séparation des Églises et de l’État ». (Applaudissements à gauche)


Scrutin sur l’ensemble du projet de loi :

Ont votés pour :

    MM. Aguillon, Alasseur, Aucoin, Aunay (d’).
    Barbaza, Bassinet, Bataille, Beaupin, Belle, Berger (Philippe), Bernard, Berthelot, Bézine, Bidault, Bienvenu Martin, Bizot de Fontenay, Blanc (Philippe), Blanchier, Boissier, Boissy d’Anglas, Bonnefoy-Sibour, Borne, Boudenoot, Bouffler, Bougues, Boulliez (Achile), Boulanger (Ernest), Bourgeois (Léon), Brisson (Jules), Brunet.
    Calvet, Cazot (Jules), Chabré, Chantagrel, Chaumié, Chautemps (Émile), Clemenceau, Cocula, Combes, Constans, Crémieux, Crozet-Fourneyron.
    Darbot, Daumy, Deandreis, Decrais (Albert), Defarge, Dellestable, Delpech, Demôle, Depreux, Desmons, Destieux-Junca, Develle (Edmond), Dubost (Antonin), Dupuy (Jean), Dussolier (Alcide), Duval (César).
    Estournelles de Constant (d’), Expert-bezançon.
    Fagot, Fayard, Forest (Charles), Forgemol de Bostquénard, Forichon, Fougeirol, Francos, Freycinet (de), Frézoul.
    Gacon, Garreau, Gassier, Gauthier (Aude), Genoux, Gérard (Albert), Giaccobi, Giguet, Gillot, Girard (Alfred), Girard (Théodore), Girault, Giresse, Godin (Jules), Gomot, Goujon, Goutant, Gravin, Grévy (général), Guérin (Eugène), Guillemaut, Guyot.
    Hayez, Hugot, Huguet.
    Jouffray
    Knight.
    Labrousse,  Latappy, Laterrade (Alexandre), Le Chevalier (Georges), Lecomte (Maxime), Lefèvre (Alexandre), Leydet (Victor), Limouzin-Laplanche, Lintilhac (Eugène), Lordereau, Louis Blanc, Lourties.
    Magnien, Maguin, Martin (Félix), Mascuraud, Maureau, Maurice-Faure, Mazière, Méric, Millaud (Édouard), Milliès-Lacroix, Monis (Ernest).
    Obissier Saint-Martin, Ournac.
    Pams, Parisot (Louis), Paul Gérente, Pauliac, Pauliat, Paul Strauss, Pédebidou, Perréal, Perrier (Antoine), Petitjean, Peyrot, Peytral, Pic-Paris, Piettre, Piot, Pochon, Poincaré (Raymond), Poirrier, Potié, Pradal, Prevet, Prillieux.
    Ranc, Ratier (Antony), Razimbaud, Régismanset, Ricard (Henri), Ringot, Rivet, Rolland, Rouvier (Maurice), Rouvier (Paul).
    Saint-Germain, Saint-Romme, Sal (Léonce de), Savan , Savary, Sigallas.
    Tassin, Thorel, Thounens, Thuillier, Treille (Alcide), Trystram.
    Vagnat, Vallé, Veltan, Vieu, Viger, Vilar (Édouard), Villard, Ville, Vinet, Viseur, Vuillod.

Ont voté contre :

    MM. Audifred
    Barrière, Béjarry (de), Béranger, Bernot, Billot (général), Blois (comte de), Bodinier, Boissel (Victor), Bonnefille, Boularan, Bourganel, Brager de La Ville-Moysan
    Cabart-Danneville, Camparan, Carné (marquis de), Charles Dupuy, Charmes (Francis), Chatteleyn, Chauveau (Frank), Claeys, Courcel (baron), Cuverville (vice-amiral de)
    Danielle-Bernardin, Delahaye (Dominique), Deleatur, Demarçay (baron), Denis (Gustave), Denoix, Diancourt, Dubois Fresnay, Duchesne-Fournet
    Ermant
    Fessard, Fleury (Paul), Fortier, Froment.
    Gassis, Gathier (Haute-Saône), Guyot (Émile), Gentillez, Gervais, Gotteron, Goüin, Goulaine (comte de), Gourju, Grimaud, Guillier.
    Halgan, Haugoumar dès Portes.
    Jaille (vice-amiral de la).
    Labbé (Léon), Labiche (Émile), Lamarzelle (de), Las Cases (Emmanuel de), Lavertujon (Henri), Le Cour Grandmaison (Henri), Legrand, Lelièvre, Le Provost de Launay, Leroux (Paul)
    Maillard, Marcère (de), Maret, Marquis, Méline, Mercier (général), Merlet, Mézières, Milliard, Mir (Eugène), Monsservin, Montfort (vicomte de)
    Ollivier (Auguste), Outhenin-Chalandre, Ouvrier.
    Parissot (Albert), Pichon, Pinault, Ponlevoy (Frogier de), Pontbriand (du Breil, comte de), Ponthier de Chamaillard, Poriquet.
    Rambourgt, Raquet, Renaudat, Répiquet, Reymond, Riou, Rispal.
    Saillard, Saint-Germain (général de), Saint-Quentin (comte de), Sébline.
    Teisserenc de Bort, Thézard (Léopold), Tillaye, Touron, Trannoy, Tréveneuc (comte de)
    Vidal de saint-Urbain, Vissaguet
    Waddington (Richard).

N’ont pas pris part au vote :

MM. Arène (Emmanuel), Basire, Briens, Cicéron, Cordelet, Cuvinot, Dufoussat, Fallières, Haulou.
Absents par congé:
MM. Cassou, Monestier Moroux