6 décembre 1905
Suite de la discussion du projet de loi
concernant la séparation des Églises et
de l'État
(21° journée, réduite
et annotée)
M. le président : ... La parole est à M. Denoix qui demande le retrait de l’urgence.
M. Denoix :... Ce projet, ...,
a eu une fortune véritablement extraordinaire. On a dit, et je le crois,
que cent trente députés avaient inscrit dans leur profession
de foi la réforme qui en fait l’objet. I: y a un livre, que nous ne
possédons pas au Sénat, mais qui se trouve à la Chambre
des députés, livre précieux entre tous, puisque, à
chaque instant, il permet aux députés de rappeler leurs collègues
au respect des engagements qu’ils ont pris. Ce livre s’appelle : «
le Barodet » (du nom du député
qui en demandé la création)
J’ai eu la curiosité de
voir un peu ces professions de foi, et je reconnais que le nombre est considérable
de ceux qui ont inscrit la séparation des Églises et de l’État
sur leur programme ; ce nombre se rapproche bien de cent trente. Combien,
sur ces cent trente, n’avaient promis la réforme que comme un article
de programme ancien, comme une continuation du programme républicain
depuis trente ans ? Très peu - presque aucun - avaient osé
envisager la possibilité de faire voter cette réforme dans
le courant de l’année 1905, ou, en tout cas, dans le courant de la
législature qui va bientôt finir.
...
M. le président de la commission
: Si c’est sous prétexte que la loi n’a pas été
suffisamment étudiée que M. Denoix nous demande le retrait de
l’urgence, j’avoue que je ne comprends plus du tout. (Très bien
! à gauche.) Est-ce qu’il estime que les débats n’ont pas
été complets ? Ils ont eu, messieurs, l’ampleur et la
dignité que comportait un pareil sujet.
Toutes les thèses, toutes
les théories, toutes les doctrines ont pu être exposées
ici librement ; c’est pied à pied que les adversaires de la loi l’ont
combattue : ils ne l’ont pas fait seulement avec un talent, avec une ténacité,
auxquels je rends hommage, mais aussi avec une précision qui montre
qu’ils la connaissent à fond et qu’ils en avaient étudié
tous les détails. (Très bien ! très bien !)
Est-ce que les membres de cette
haute Assemblée n’ont pas pu, eux aussi, se livrer à l’étude
réfléchie de cette loi, depuis quatre semaines que dure la
discussion, et à quoi aurait servi cette précaution inusitée
ainsi prise de faire distribuer à chacun d’eux un exemplaire des débats
qui ont eu lieu devant la Chambre des députés ?
Or, messieurs, c’est quand un
projet de loi a été l’objet d’un si minutieux examen qu’on vient
dire au Sénat qu’il a mal vu ce qu’il faisait et qu’il faut tout recommencer.
...
Alors qu’on soutient que nous
voulons gêner l’administration de l’Église et que nous n’accordons
pas aux associations cultuelles le bénéfice de la loi 1901,
nous élargissons cette même loi à leur profit parce qu’elle
ne leur permettrait pas de se mouvoir à leur aise, si on les avait
enfermées dans ses limites.
...
La loi 1901 ne donne aux associations
de droit commun que la possibilité de percevoir des cotisations -...-
et le droit de posséder les immeubles strictement nécessaires
à l’accomplissement du but qu’elles se proposent. Nous donnons aux
associations cultuelles tout cela, plus le droit d’avoir des réserves
: une première, limitée quant à son chiffre ; une seconde,
limitée quant à l’emploi des fonds.
Il faut avouer que si, après
avoir fait une telle loi, nous voulons déclarer la guerre à
l’église, nous sommes véritablement beaux joueurs, car nous
laissons et nous donnons à l’Église ce qui constitue le nerf
de la guerre : l’argent. (Très bien ! et applaudissements à
gauche.)
Et comment, dans de telles conditions,
peut-on venir parler de la précarité possible de l’Église
? Est-ce que l’Église a jamais manqué d’argent ? Avant la Révolution,
elle possédait le tiers de la fortune du royaume. Après la
révolution, et en un seul siècle, nous l’avons vue se constituer
un patrimoine de 320 millions .... sans compter tout ce qu’ont reçu
les congrégations, car, si l’on ne trouve pas le milliard, ce n’est
cependant pas avec l’argent de l’État qu’on a édifié
les maisons d’éducation et les riches chapelles qui se dressent dans
toutes les cités importantes de la France.
Et il faut croire que l’argent
lui arrivait avec abondance, car tout ne restait pas dans notre pays : une
partie s’en allait à Rome comme denier de Saint-Pierre. (Applaudissements
à gauche.)
...
Qui donc nommera dorénavant
les évêques ? Le pape, le pape tout seul. ... Qui gênera
les évêques dans leur relations avec la papauté ? Personne.
Actuellement, les évêques
ne peuvent quitter le territoire de la république sans l’autorisation
du Gouvernement. Ils ne peuvent publier dans leurs mandements les brefs,
rescrits, expéditions et décrets de Rome sans cette même
autorisation ; ils ne peuvent tenir des synodes que sous cette condition
; ils sont astreints à l’obligation de résidence.
Toutes ces entraves vont disparaître.
Tout ce qui gênait la liberté de l’Église est supprimé.
Il y a mieux. Si les gouvernements
qui se sont succédés en France avaient veillé à
la stricte obligation des lois concordataires, l’Église n’aurait même
pas eu la liberté du dogme, car ce n’est pas l’infaillibilité
du pape que l’on enseignerait dans les séminaires comme on le fait
aujourd’hui : c’est le contraire, c’est la déclaration de 1682, qui
condamne l’infaillibilité dont le Concordat impose l’enseignement.
Cette liberté du dogme,
vous la recouvrez, pleine, entière, sans restriction, sans limite,
tout au moins sans autre limite que la raison ......
Et maintenant, messieurs, si de
ce côté (la droite) on n’apprécie pas à
sa valeur la liberté que nous vous octroyons, nous n’y pouvons rien.
Quant à nous, nous estimons que nous ne payerons jamais assez cher
la liberté que nous allons conquérir. (Très bien
! très bien ! - Vifs applaudissements à gauche.)
...
M. le président : Je consulte le Sénat sur le retrait
de l’urgence .... (Repoussé par 181 voix contre 100) (Vifs applaudissements
à gauche.) Avant de consulter le sénat sur l’ensemble de
la loi, je donne la parole à M. de Lamarzelle qui a des conditions
générales à présenter.
M. de Lamarzelle : Messieurs,
la déclaration que je vais avoir l’honneur de lire au Sénat
est signée de mon nom, bien entendu, et de celui de mes honorables
collègues MM. Charles Riou, le vice-amiral de Cuverville, G. Bodinier,
A. de Béjarry, le comte de Blois, H. Le Cour Grandmaison, Halgan, A.
Maillard, le comte de Pontbriand, le comte de Tréveneuc, le général
Mercier, le marquis de Carné, le vice-amiral de la Jaille, Dominique
Delahaye, le comte de Goulaine, Paul Le Roux, Haugoumar des Portes, Brager
de La Ville-Moysan, A. Ollivier, Merlet, Le Proviost de Launay, de Chamaillard,
le général de Saint-Germain.
Malgré tous nos efforts,
le sénat a accepter sans y changer une virgule le projet voté
par la Chambre.
On peut fouiller toute l’histoire
parlementaire : c’est en vain qu’on tentera d’y découvrir, en matière
législative un peu grave, un pareil précédent. ...
Ce résultat d’ailleurs ne
nous a pas surpris : nos adversaires avaient pris soin d’avance de nous l’annoncer.
Dès le début de la discussion nous savions que nous lutterions
ici seulement pour le devoir et pour l’honneur.
.....
Non, cette loi n’est pas une loi
de liberté ; car une loi d’exception ne peut pas être une loi
de liberté. Or, ici, l’exception est partout, elle est notamment dans
la fixation de la compétence, et c’est là particulièrement
où ce projet viole outrageusement les principes de ceux-là mêmes
qui vont la voter. Rappelez-vous avec quelle énergie votre grand orateur
radical est venu ici formuler l’un des articles fondamentaux du code
républicain : « Justice administrative, ces deux mots hurlent
d’être accouplés. »
Nous ne voterons pas le projet
aussi parce qu’il entend consacrer la rupture de la France avec sa tradition,
la rupture de la France avec le catholicisme.
.....
M. Méline : Messieurs, au
moment où le sénat va consacrer d’une façon définitive
la loi dont il vient de voter les articles, je vous demande de résumer
brièvement les raisons principales qui vont dicter mon vote et le vote
de mes amis, les républicains libéraux. (Exclamations ironiques
à gauche. - Très bien ! et applaudissements au centre.)
M. Destieux-Junca : Les amis de la réaction ! (Réclamations au centre.)
M. le président : Messieurs, n’interrompez pas ! Ce sont là des locutions dont nous nous servons tous les jours et que tout le monde comprend !
M. Destieux-Junca : C’est un franc-maçon qui parle
M. Méline: ... qui a toujours résisté à
des francs-maçons comme vous et qui en est depuis longtemps séparé.
(La francs-maçonnerie et
les francs-maçons ont été, à plusieurs reprise
au cours des débats, accusés de tous les maux; ou presque.)
J’estime ... [qu’] il nous est
impossible, ..., de prendre la responsabilité d’une loi dont nous
redoutons les conséquences pour la France et pour la République.
La première raison pour
laquelle nous repoussons la loi, ..., c’est que nous ne nous reconnaissons
pas le droit de le faire ; nous n’avons pas reçu de mandat pour cela
...
M. Destieux-Junca : Parlez pour vous !
...
M. Méline : ... Notre devoir, du reste, nous a été
tracé par une autorité que vous ne récuserez pas, par
l’honorable M. Combes, lorsqu’il disait :
« La séparation exige
impérieusement pour la tranquillité même des esprits
qu’elle ait été ratifiée par l’assentiment du public
et aucun gouvernement ne voudrait substituer ses vues personnelles à
la volonté des électeurs. »
M. Destieux-Junca : Nous verrons cela aux élections.
M. Méline : ... Je sais que l’honorable président
de la commission répond ..... : « Le pays est avec nous.
La preuve, c’est qu’il ne bouge pas ; il ne dit rien, il ne manifeste pas
! Voyez donc toutes les élections. Il semble qu’il reste indifférent
aux débats qui s’agitent ici. »
Permettez-moi de vous dire que
vous connaissez bien mal le tempérament de ce pays ! Oui, il est ainsi
fait peut-être, parce qu’il n’a pas encore les mœurs de la liberté,
qu’il subit sans se plaindre.
M. Destieux-Junca : Il vous a même subi ; mais il ne recommencera pas. (Vives protestations au centre et à droite. -Cris : A l’ordre !)
M. le président : Monsieur Destieux-Junca, vous n’avez pas
la parole. Veuillez ne pas interrompre et ne m’obligez pas à vous
rappeler à l’ordre.
...
M. Méline : J’arrive, ..., à la deuxième raison....
Nous ne croyons pas qu’elle ait
été faite dans les conditions nécessaires pour offrir
au pays les garanties les garanties qu’il est en droit d’attendre du législateur.
La précipitation avec laquelle vous l’avez votée, le refus
du sénat soit de la corriger, soit de la modifier nous semblent lui
enlever l’autorité dont elle aurait besoin pour mériter l’assentiment
de la nation.
A la différence des lois
d’affaires que vous faites tous les jours, que vous passez au crible avec
une vigilance et une fermeté qui vous a valu la confiance du pays,
vous avez, ..., voté celle-ci les yeux fermé ; je ne dis rien
d’excessif.
Il n’est pas douteux que la discussion
a laquelle nous venons de nous livrer a fait ressortir jusqu’à l’évidence
les incorrections, les imperfections, les lacunes, les obscurités,
je pourrais dire les énormités dont cette loi fourmille.
(Très bien ! très bien ! au centre et à droite.)
Messieurs, ..., il est très
fâcheux que le sénat n’ait pas voulu entrer dans la voie où
la Chambre des députés elle-même était entrée.
La Chambre avait sensiblement modifié, amélioré le projet
primitif déposé par le Gouvernement ; en l’améliorant
elle avait un peu approché du but : il dépendait de vous de
l’atteindre ... Vous auriez peut-être pu en faire ainsi une loi
acceptable, au moins pour ceux qui sont partisans de la séparation.
.... Vous en avez fait une loi
d’expédients, une loi transitoire, provisoire, que personne, même
de ce côté du Sénat (La gauche) , ne considère
comme définitive.
... Je ferai volontiers cette
concession que le régime de la séparation est infiniment plus
logique, plus conforme à la vérité des choses que l’autre.
Il est certain que l’État n’est pas compétent en matière
religieuse ; il ne doit aux religions qu’une seule chose : la liberté.
Mais, messieurs, la question ne
se pose pas ainsi. On ne fait pas de loi pour donner satisfaction à
une doctrine ; on fait des lois pour un pays déterminé, pour
une situation déterminée, des lois qui conviennent au moment
où on légifère.
Vous ne pouvez pas méconnaître
que la France est dans une situation, on peut le dire, unique au monde :
son gouvernement est rivé depuis quatre siècles à l’Église.
M. le président de la commission : Rivé est bien le mot !
M. Méline : Il en résulte un ensemble d’habitudes,
de mœurs, des intérêts tellement complexes qu’il est impossible
de dissocier d’un coup une oeuvre aussi considérable et aussi ancienne.
C’est la raison pour laquelle les grands chefs du parti républicain
qui nous ont précédés : Gambetta, Jules Ferry, Paul Bert
... M. de Freycinet, tout en étant partisan de la séparation,
n’ont jamais songé à la proposer, parce qu’ils estimaient que
ce n’était pas brusquement qu’on pourrait couper le câble qui
lie l’Église à l’État ; qu’il fallait une longue préparation
avant de prendre une pareille mesure et de lancer le pays dans l’inconnu.
...
... Ce n’est pas, ..., une
loi d’émancipation des consciences. .... Cette loi soumet de plus
le clergé à des restrictions absolument contraire au droit
commun.
Une véritable loi de séparation
doit être une loi de liberté pour l’église, et non seulement
une loi de liberté, mais une loi de respect du droit commun
...
... Une des dispositions surtout
nous parait exorbitante, c’est celle qui enlève le prêtre à
la juridiction ordinaire, lorsqu’il commet un délit d’opinion dans
l’édifice même du culte. Vous le renvoyez devant le tribunal
correctionnel, [alors qu’aujourd’hui], fonctionnaire, bénéficie
de la juridiction ordinaire du jury et que ce même prêtre, quand
il deviendra demain un simple citoyen, perdra le bénéfice du
droit commun et serra renvoyé devant le tribunal correctionnel. Une
pareille énormité, messieurs, juge la loi et il ne se trouvera
pas, j’en suis convaincu, un seul jurisconsulte pour ratifier une semblable
disposition.
...
J’ »arrive au traitement
du clergé lui-même.
...
Vous sacrifiez ... complètement
les prêtres rémunérés par les communes qui ne sont
pas moins digne de pitié que les prêtres rémunérés
par l’État.
J’ai donc le droit de dire que
vos mesures de transition à l’égard du clergé sont absolument
insuffisantes, notamment pour une portion du jeune clergé, dont vous
aller faire des adversaires acharnés de la loi elle-même, une
légion de révoltés qui deviendront des ennemis de la
république elle-même. (Mouvements divers.)
...
Je répète qu’un
certain nombre des auteurs de la loi poursuivent l’affaiblissement de l’idée
religieuse ; ils espèrent que la séparation aura ce résultat
de détacher de l’église catholique ceux que M. Clemenceau appelait
des incrédules pratiquants ; on se dit qu’ils perdront l’habitude
d’aller à l’église le jour où ils seront obligés
de payer les frais du culte.
...
Je reconnais qu’il en est d’autres,
et ils sont plus nombreux au sénat, ..., qui n’en veulent nullement
à l’idée religieuse, mais qui poursuivent une autre idée
: réduire le clergé à l’impuissance et le punir de la
longue opposition que, selon eux, il a faite à la République.
Voilà les deux courants
d’idées qui ont, dans les deux chambres, entraîné le vote
de la loin; c’est l’union de ces deux courants qui a fait la majorité.
Un mot, d’abord de l’idée
religieuse. Je crois que ceux qui se flattent de l’affaiblir avec la loi nouvelle
se font de singulières illusion. ...
La religion répond à
un sentiment universel, à un besoin de la nature humaine qu’obsédera
toujours l’éternel problème des destinées de l’homme,
de ses origines, de la cause première qui gouverne le monde.
...
M. le président de la commission
rêve de substituer à la religion le règne de la raison.
Je ne nie pas que, vues d’une certaine hauteur, la science et la philosophie
ne puissent être considérés comme des religions ; mais
vous m’accorderez bien que ces religions seront toujours l’exception et le
privilège d’une élite. Elles ne suffiront jamais à l’humanité.
...
Prenez garde que ces incrédules
pratiquants soient bien souvent des catholiques intermittents, chez lesquels
le sentiment religieux ne se réveille que dans les grandes circonstances,
dans les grandes joies et dans les grandes douleurs de la vie ..... Ajoutez
que si vous voulez conquérir ces incrédules pratiquants, le
clergé fera, lui aussi, des efforts pour les retenir de son côté.
..... En l’affamant, vous lui donnez indirectement le conseil de s’adresser
au peuple ; ..... je crois que M. le président de la commission attendra
encore longtemps la victoire de la raison sur la révélation.
Ce qui est infiniment plus probable,
c’est une recrudescence de l’idée religieuse.
...
J’arrive au clergé. La
loi n’est faite que pour lui, ou, si vous voulez, contre lui. (Approbation
à droite et au centre.).
Tous les orateurs qui ont soutenu
le projet de loi ont apporté à cette tribune un long réquisitoire
contre lui. On lui reproche son attitude politique depuis trente ans ...
sa résistance à la République, son intervention dans
la bataille électorale ; on espère que la loi de séparation
va le réduire à l’impuissance et lui enlever ses principaux
moyens d’action.
Il faudrait peut-être corriger
un peu ce tableau ; il serait peut-être juste de rappeler que les grandes
batailles politiques du clergé se sont livrées surtout au 16
Mai et pendant la période boulangiste.
M. Destieux-Junca : Et pendant la période méliniste. (Mouvements divers.)
M. Méline : Non, non, pas pendant la période
méliniste.
Si on avait voulu faire la séparation
avec une apparence de raison, c’est à ce moment qu’on aurait dû
l’entreprendre, car il n’est pas douteux que les dernières batailles
que nous avons livrées n’étaient que jeu d’enfants en comparaison
de celles du 16 Mai et de la période boulangiste. (Et c’est une période où
il n’y eut pas de dépôt de proposition de loi demandant la séparation
?)
...
Cela dit, je vous fais volontiers
cette concession que la partie militante du clergé a fait trop de politique
depuis trente ans et qu’elle a trop manifesté son opposition à
la République.
Personne ne le sait mieux que
moi, puisque, dans mes grandes batailles électorales, j’ai toujours
rencontré, sauf de rares exceptions, le clergé contre
moi ... (Exclamations ironiques à gauche.) ... ce qui prouve
combien je suis clérical. (Très bien ! et rires au centre.)
Cela ne m’a pas empêché
d’être tolérant, de rester tolérant, par principe et par
raison .... par principe, parce que j’estime que la tolérance est
un devoir de conscience et qu’on la doit, comme la liberté, même
à ses adversaires. (Très bien ! très bien !
et applaudissements au centre et à droite.)
Et par raison, parce que j’apercevais,
derrière le clergé qui me combattait, cette masse de bons catholiques,
d’excellents républicains, qui ne prenaient pas le mot d’ordre du
clergé et qui me restaient fidèles parce qu’ils me savaient
gré de ma modération, et qu’ils m’étaient reconnaissants
de ne pas me venger en prêchant la guerre religieuse et en mangeant
tous les matins du curé. (Très bien ! très bien !
et applaudissements sur un grand nombre de bancs.)
M. Destieux-Junca : Et vous, vous mangiez les républicains !(Vives exclamations et bruit prolongé au centre et à droite.)
M. le président : Monsieur Destieux-Junca, je vous
rappelle à l’ordre.
...
Certes, vous n’aurez plus de difficultés
avec le pape, c’est entendu, vous n’en aurez plus du tout ; mais le pape
nommera les évêques qu’il voudra et vous n’aurez rien à
dire. Il nommera même des congréganistes si cela lui plaît.
...
N’oubliez pas, d’ailleurs, qu’entre
le clergé et vous, vous allez rencontrer maintenant les associations
cultuelles qui seront l’état-major de l’armée des fidèles
; ces associations se composeront d’hommes considérables de chaque
pays, que vous n’intimiderez pas aisément et sur lesquels vous n’aurez
pas beaucoup de prise.
Je ne veux rien exagérer
et je me garderai bien de dire que ces associations deviendront des associations
politiques ; je ne le crois pas. Vous avez pris pour cela des précautions.
... Mais ... des membres des qui composeront les associations cultuelles
se garderont bien de faire de la politique dans les associations mêmes,
mais vous ne les empêcherez pas de se faire connaître, de se rapprocher,
et, en dehors de l’association, de constituer des comités politiques.
....
Vous arriverez ainsi à constituer,
je le crains, ce que le pape Léon XIII n’avait pas voulu constituer
: un parti catholique politique.
...
Et maintenant y a-t-il un remède
à une situation pareille ?
Il y en - le malheur est que le
Gouvernement n’en veuille pas- ...il fallait négocier un nouveau concordat
qui aurait relâché les liens existants entre Rome et la France,
et qui, insensiblement, vous aurai amenés à la séparation,
une séparation acceptée par tout le monde..... En tout cas,
il fallait essayer. Si Rome avait pris l’attitude que vous dites et si elle
avait voulu résister de parti pris, ne faire aucune concession, vous
auriez acte et vous auriez ainsi mis le pape dans sont tort et le pays de
votre côté.
...
J’ai la conviction absolue que, dans quelques années,
le Gouvernement de la France, quel qu’il soit, sera acculé à
la nécessité de se rapprocher de Rome. ... (Ce qui aura lien en 1923 et 1924)
...
M. de Marcère : ... La loi a été discuté
de ce côté de l’assemblée (la droite) ainsi que
de ce côté (le centre), très peu de ce côté
(la gauche). seuls les représentants du Gouvernement et de
la commission ont eu la parole.
...
M. Émile Combes : Messieurs,
je ne monte à la tribune que pour y faire au nom du groupe de la gauche
démocratique une très simple et très courte déclaration.
Nous nous sommes abstenus de propos délibérés d’apporter
le moindre changement aux diverse articles du projet de loi qui nous a été
soumis relativement à la séparation des Églises et de
l’État.
...
Nous votons la loi telle qu’elle
est sortie de la Chambre des députés, parce que nous avons
hâte de mettre fin à la situation officielle des cultes reconnus
et de consacrer, par une mesure définitive, la neutralité confessionnelle
de la République française.
Nous la votons aussi parce que
nous la considérons, malgré ses imperfections et ses lacunes,
comme une loi de liberté, d’affranchissement moral et de paix sociale
!
...
Nous la votons enfin parce que
nous tenons particulièrement à la rendre exécutoire à
partir du 1er janvier 1906, afin que le corps électoral qu’on a cherché
et qu’on cherchera certainement à tromper sur les sentiments réels
de la majorité républicaine des deux Chambres, ait le temps
de bien se rendre compte, avant les élections législatives
d’avril, du véritable caractère de la loi et des effets naturels
de ses dispositions ...
...
... mais nous n’entendons nullement
nous enlever par ce vote le droit de remédier plus tard à des
défectuosités qui n’ont échappé à aucun
de nous.
...
Notre conduite à cet égard
s’inspirera surtout des résultats de l’expérience qui va commencer
dès le début de l’année prochaine. (Vifs applaudissements
à gauche.)
...
M. le président : Que le sénat me permette de lui faire
remarquer que, si la loi est votée, il lui restera à se prononcer
sur une modification proposée au titre. Je prie donc mes collègues
de vouloir bien ne pas quitter la salle des séances.
Voici, messieurs, le résultat du scrutin sur l’ensemble
du projet de loi relatif à la séparation des églises
et de l’État :
Pour l’adoption : ..... 179
Contre : ................... 103
MM. Dominique Delahaye, de Béjarry,
... (Et leurs amis) ...
ont déposé un amendement ainsi conçu :
« dans le titre du projet
de loi concernant la séparation des Églises et de l’État,
remplacer les mots :
« La séparation »
« Par les mots suivants :
« Les nouveaux rapports »
M. Delahaye : ... Au lieu
d’entrer en rapport avec des confessions religieuses vous serez en rapport
avec la masse des fidèles représentée par les membres
des associations cultuelles.
Vous changez le protocole ; nouveaux
rapports, mais rapports tout de même.
Rapports de contrôle financier
attribués désormais à l’enregistrement et à l’inspection
générale des finances, au lieu que les comptes des fabriques
étaient envoyés à la préfecture. On change d’administration
; mais c’est toujours le contrôle de l’État.
...
(Amendement repoussé par 194 voix contre 25)
M. le président : En conséquence, messieurs, le titre reste et portera ces mots : « concernant la séparation des Églises et de l’État ». (Applaudissements à gauche)
Ont votés pour :
Ont voté contre :
N’ont pas pris part au vote :