1er décembre 1905
Suite de la discussion du projet de loi
concernant la séparation des Églises
et de l'État
(18° journée, réduite
et annotée)
M. le président :...
Nous en sommes, messieurs, à l’article 17. J’en donne lecture :
«
Art. 17. -Les immeubles par destination classés en vertu de
la loi du 30 mars 1887 ou de la présente loi sont inaliénables
et imprescriptibles .
« Dans le cas où
la vente ou l'échange d'un objet classé serait autorisé
par le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, un droit de
préemption est accordé : 1° aux associations cultuelles
; 2° aux communes ; 3° aux départements ; 4° aux musées
et sociétés d'art et d'archéologie ; 5° à
l'État. Le prix sera fixé par trois experts que désigneront
le vendeur, l'acquéreur et le président du tribunal civil
« Si aucun des acquéreurs
visés ci-dessus ne fait usage du droit de préemption la vente
sera libre ; mais il est interdit à l'acheteur d'un objet classé
de le transporter hors de France.
« Nul travail de réparation,
restauration ou entretien à faire aux monuments ou objets mobiliers
classé ne peut être commencé sans l'autorisation du
ministres des beaux-arts, ni exécuté hors la surveillance
de son administration, sous peine, contre les propriétaires, occupants
ou détenteurs qui auraient ordonné ces travaux, d'une amende
de 16 à 1 500 fr..
« Toute infraction
aux dispositions ci-dessus ainsi qu'à celles de l'article 16 de
la présente loi et des articles 4, 10, 11, 12 et 13 de la loi du
30 mars 1887 sera punie d'une amende de 100 à 10 000 fr. et d'un
emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l'une de ces deux
peines seulement.
« La visite des édifices
et l'exposition des objets mobiliers classés seront publiques :
elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance. »
Sur cet article 17 il y
a un amendement de M. Léopold Thézard qui portait sur trois
parties ; mais M. Thézars vient de me faire savoir qu’il renonce
aux deux premières parties et se propose de développer seulement
la troisième partie de son amendement qui est ainsi conçue
:
« §5.- Seront
punis d’une amende de 100 à 10 000 fr. et d’un emprisonnement de
six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement,
ceux qui auront, soit détruit ou dégradé volontairement
un des immeubles ou objet mobiliers classés en vertu de la loi du
30 mars 1887 ou de la présente loi, ceux qui auront consenti l’aliénation
sans l’autorisation prescrite ou les auront sciemment acquis sans cette
autorisation, ceux qui auront transporté hors de France un objet
même régulièrement acquis. »
M. Léopold Thézard:
Messieurs, mon amendement a simplement pour objet de substituer une rédaction
précise à la formule vague et quelque peu incohérente,
à mon sens, adoptée par la Chambre des députés.
.... pour éviter les équivoques qui se produiraient certainement
devant la justice si on prétendait appliquer le texte tel qu’il
est.
...
M. Guillier : ... Par conséquent,
l’ouvrier qui, sans autorisation du ministre des beaux-arts ou hors de
la surveillance de son administration, aura exécuté un travail
de réparation, de restauration ou d’entretien, aux objets classés,
sera poursuivi et puni.
M. le président de la commission: Mais non !
M. Guillier : Permettez, c’est le texte ; il aura commis
une infraction à ce paragraphe 4, il aura contrevenu «aux
dispositions ci-dessus » puisque le travail de réparation
qu’il aura effectué est prohibé par le paragraphe 4.
Il est donc répréhensible.
M. le président de la commission : C’est celui qui a la
jouissance qui sera poursuivi.
...
(Amendement repoussé par 176 voix contre 99)
...
(L’article 17 est adopté par 195 voix contre 65)
M. le président : Nous passons au titre IV
Des associations pour l’exercice
des cultes
« Art.
18. - Les associations formées pour subvenir aux frais, à
l'entretien et à l'exercice public d'un culte devront être
constituées conformément aux articles 5 et suivants du titre
Ier de la loi du 1er juillet 1901. Elles seront, en outre, soumises aux
prescriptions de la présente loi. »
M. le vicomte de Montfort :...Sans
doute nous entrerons encore dans nos églises, dans ces églises
que vous nous avez laissées, mais nous y entrerons avec l’appréhension
cruelle de les voir fermer demain. (Vives protestations à gauche.
Très bien ! très bien ! à droite) Ces églises
élevées par les générations qui nous ont précédées,
et qui gardent pour nous, même pour ceux qui ne sont pas croyants,
les plus doux et les plus chers souvenirs de notre passé familial,
de nos joies et de nos douleurs. (Nouvelle et vive approbation à
droite.)
Et ces ministres du
culte, que vous frappiez hier, si souvent, par des suspensions de traitement,
vous brandissiez au-dessus de leur tête tout cet arsenal de précautions
et de pénalités, qui va les mettre à la merci de toutes
les inquisitions et de toutes les délations (Rumeurs à
gauche. - Très bien ! très bien ! à droite)
et en fera, dans notre société moderne, de véritables
parias. (Applaudissements sur les mêmes bancs)
De telle sorte que nous
avons, messieurs, le sentiment très net qu’on va profiter de toutes
les irrégularités, constatées, alléguées
ou crées, dans la constitution des associations, dans la dévolution
des biens, dans leur administration, dans l’état des immeubles,
dans la conduite et dans le langage des prêtres, pour fermer peu
à peu les églises, et supprimer le culte par petits paquets,
par petites charrettes. ( Interruptions à gauche. -Très
bien ! très bien ! à droite.)
M. Antoine Perrier : Ce n’est pas exact. Ce n’est pas du tout ce que nous voulons faire.
M. le vicomte de Montfort : Je ne doute pas , mon cher collègue,
de vos intentions, mais je crois fermement qu’en fait, les choses se passeront
ainsi. (Approbation sur les mêmes bancs.) (Un
siècle après, je ne comprend pas cette panique du part clérical
; était-elle sincère ou feinte ?)
....
(La première partie de l’article 18 est adoptée ; la
deuxième aussi, par 179 voix contre 86, puis l’ensemble de l’article
par 183 voix contre 61)
M. le président : « Art.
19. -Ces associations devront avoir exclusivement pour objet l'exercice
d'un culte et être composés au moins :
« Dans les communes
de moins de 1.000 habitants, de sept personnes ;
« Dans les communes
de 1.000 à 20.000 habitants, de quinze personnes ;
« Dans les communes
dont le nombre des habitants est supérieur à 20.000, de vingt-cinq
personnes majeures, domiciliées ou résidant dans la circonscription
religieuse.
« Chacun de leurs
membres pourra s'en retirer en tout temps, après payement des cotisations
échues et de celles de l'année courante, nonobstant toute
clause contraire.
« Nonobstant toute
clause contraire des statuts, les actes de gestion financière et
d'administration légale des biens accomplis par les directeurs ou
administrateurs seront, chaque année au moins présentés
au contrôle de l'assemblée générale des membres
de l'association et soumis à son approbation.
« Les associations
pourront recevoir, en outre, des cotisations prévues par l'article
6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes
pour les frais du culte, percevoir des rétributions : pour les cérémonies
et services religieux même par fondation ; pour la location des bancs
et sièges ; pour la fourniture des objets destinés au service
des funérailles dans les édifices religieux et à la
décoration de ces édifices.
« Elles pourront verser,
sans donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes
à d'autres associations constituées pour le même objet.
« Elles ne pourront,
sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État,
des départements et des communes. Ne sont pas considérées
comme subventions les sommes allouées pour réparations aux
monuments classés »
...
(Le premier paragraphe est adopté)
...
Entre ce paragraphe et la
paragraphe 2 se place un amendement déposé par MM. le comte
de Goulaine, le vice-amiral de Cuverville ... (Et
leurs amis) ... ainsi conçu :
« Les fonctionnaires
civils et militaires peuvent faire partie de ces associations. »
...
M. le général Billot
:
... Il y a longtemps déjà, sous la présidence de M.
de Freycinet, j’avais l’honneur d’être ministre de la guerre ; nous
fûmes conduits à rédiger une circulaire, qui porte
mon nom, d’après laquelle il est interdit aux militaires de faire
partie d’aucune association, quelle qu’en soit la nature et quel qu’en
soit le but. Le Gouvernement d’alors estimait que la grand association
militaire instituée pour assurer à l’intérieur le
maintien de l’ordre (en tirant sur
les ouvriers qui manifestaient ?) et garantir en dehors
la défense de la sécurité du pays et de son honneur,
essentiellement obéissante, privée du droit de vote et préservée
ainsi de toute passions et agitations politiques, ne devait participer
à aucune association : nous y avons fidèlement tenu la main.
Dans des conditions pareilles,
vouloir associer les militaires, même à des associations cultuelles,
me paraît une faute grave.
...
(Amendement retiré; le paragraphe 2 est adopté)
M. le président : A la suite de ce paragraphe se place
un amendement de MM. Brager de La Ville-Moysan, Pinault, ...
(Et leurs amis) ... ainsi conçu :
« Après la
paragraphe 2 ...
« Ajouter le paragraphe
suivant :
« Au cas où,
par la disparition d’un ou plusieurs de ses membres, l’association
se trouverait réduite à un nombre de membres inférieur
au minimum légal, les directeurs auront un délai d’un an
pour la compléter. »
M. Ponthier de Chamaillard : ... On peut ne pas trouver facilement, du jour au lendemain, les remplaçants nécessaires. Pourra-t-on, par surprise ...
M. le ministre : Mais non !
M. Ponthier de Chamaillard : Monsieur le ministre, nous nous
méfions de tout et de quelque autre chose encore !
Un sénateur à droite : Nous
sommes payés pour cela !
M. le rapporteur : C’est une défiance incurable.
M. le ministre : C’est l’autorité judiciaire qui sera
appelée à veiller à l’observation des règles
de l’article 19, puisque d’après l’article 23 c’est elle qui sera
saisie des infractions auxdites prescriptions et qui aura qualité
pour prononcer la dissolution. Il est évident qu’il y aura un délai
moral accordé avant toute condamnation.
Plusieurs sénateurs à droite : lequel
? Il faudrait préciser.
M. Le Cour Grandmaison
:
Qu’appelez-vous un délai moral ?
...
M. Ponthier de Chamaillard : Quand nous voyons l’usage que vous
faites de certaines lois, de certains pouvoirs que vous êtes attribués
(Très
bien ! à droite), nous craignons que, du jour au lendemain,
alors qu’une association cultuelle ne sera plus au complet, vous ne lui
arrachiez les biens que vous lui aurez transmis auparavant. (Très
bien ! très bien ! à droite.)
...
(Amendement repoussé par 172 voix contre 83)
(Les § 3, 4 et 5 sont adoptés)
M. le président : « § 6.- Elles pourront verser, sans
donner lieu à perception de droits, le surplus de leurs recettes
à
d'autres associations constituées pour le même objet. »
M. Guillier propose, par
voie d’amendement, le remplacement de cette dernière phrase par
la disposition suivante :
« Ne sont pas considérés
comme subvention :
« 1° Les sommes
allouées pour réparations aux monuments classés ;
« 2° Les baux
relatifs aux immeubles que les départements ou les communes consentiront
aux associations cultuelles, dans les conditions prévues par la
loi du 5 avril 1884, quel qu’en soit le prix. »
(Amendement repoussé ; le § 6 est adopté. Il en
est ainsi aussi de l’article 19 par 194 voix contre 34)
...
« Art.
20. -Ces associations peuvent, dans les formes déterminées
par l'article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des
unions ayant une administration ou une direction centrale ; ces unions
seront réglées par l'article 18 et par les cinq derniers
paragraphes de l'article 19 de la présente loi. »
(Adopté)
Il y a sur cet article une
disposition additionnelle présentée par MM. Brager de La
Ville-MOysan, le vice-amiral de Cuverville ...(Et
leurs amis) ...
Elle est ainsi formulée
:
« Ajouter à
cet article un second paragraphe ainsi conçu :
« Ces unions pourront
constituer un fonds de réserve spécial qui devra être
uniquement destiné à servir des retraites aux ministres des
cultes âgés et sans ressources, ainsi que des pensions aux
veuves et aux enfants orphelins en bas âge des ministres des cultes
protestant et israélite »
....
(Amendement repoussé par 181 voix contre 98)
(L’ensemble de l’article 20 est adopté.)
«Art.
21.- Les associations et les unions tiennent un état de leurs
recettes et de leurs dépenses ; elles dressent chaque année
le compte financier de l'année écoulée et l'état
inventorié de leurs biens, meubles et immeubles.
« Le contrôle
financier est exercé sur les associations et sur les unions par
l'administration de
l'enregistrement et par l'inspection générale des finances.
»
M. Halgan demande la suppression de cet article.
M. Halgan : ... Par qui donc
est organisé le contrôle financier ? Par l’État. Lui
qui fait table rase du passé, qui refuse de reconnaître aucun
culte, qui a rayé de tous ses papiers le nom de religion, il s’arroge
le droit de voir ce qui se passe au sein des associations cultuelles !
... Comment jugeriez-vous, messieurs, la conduite d’un homme qui, après
avoir divorcé, poussé par un sentiment bizarre, entreprendrait
de surveiller les agissements financiers de celle avec laquelle l’unissait
les liens du mariage, qui voudrait aller chez son notaire, chez son agent
de change ? Assurément vous qualifieriez sa conduite d’odieuse
et de ridicule. ne pourrions-nous pas nous servir ici de ces mêmes
épithètes ? (Très bien ! très bien ! à
droite.)
...
L’article 21 est adopté par 177 voix contre 48.
M. le président : «
Art. 22.- Les associations et unions peuvent employer leurs ressources
disponibles à la constitution d'un fonds de réserve suffisant
pour assurer les frais et l'entretien du culte et ne pouvant, en aucun
cas, recevoir une autre destination : le montant de cette réserve
ne pourra jamais dépasser une somme égale, pour les unions
et associations ayant plus de 5 000 F de revenu, à trois fois et,
pour les autres associations, à six fois la moyenne annuelle des
sommes dépensées par chacune d'elles pour les frais du culte
pendant les cinq derniers exercices.
« Indépendamment
de cette réserve, qui devra être placée en valeurs
nominatives, elles pourront constituer une réserve spéciale
dont les fonds devront êtres déposés, en argent ou
en titres nominatifs, à la Caisse des dépôts et consignations
pour y être exclusivement affectés, y compris les intérêts,
à l'achat, à la construction, à la décoration
ou à la réparation d'immeubles ou meubles destinés
aux besoins de l'association ou de l'union. »
Il y a sur cet article un
amendement de MM. Gustave Denis, Richard Waddington, Fortier et Boissel
, ainsi conçu :
Modifier comme suit la dernière
partie du paragraphe 1er :
Le montant de cette réserve
ne pourra jamais dépasser une somme égale, pour les unions
et associations ayant plus de 5 000 fr. de revenus à cinq fois et,
pour les autres associations, à dix fois la moyenne annuelle des
sommes dépensées par chacune d’elles pour les frais du culte
pendant les cinq dernières exercices. »
M. Richard Waddington :
... je reconnaît que la crainte de l’accumulation des biens de mainmorte
a, dans les législations de la plupart des pays, dicté une
limite à cette accumulation. ... Mais il s’agit de savoir si la
limite fixée par le projet en discussion n’est pas trop réduite
...
...
(Amendement repoussé par 174 voix contre 106)
...
(L’article 22 est adopté par 180 voix contre 84.)
M. le président : «
Art. 23. -Seront punis d'une amende de 16 F à 200 F, et
, en cas de récidive, d'une amende double , les directeurs ou administrateurs
d'une association ou d'une union qui auront contrevenu aux articles 18,
19, 20, 21 et 22.
« Les tribunaux pourront, dans le cas d'infraction
au paragraphe 1er de l'article 22, condamner l'association ou l'union à
verser l'excédent constaté aux établissements communaux
d'assistance ou de bienfaisance.
« Ils pourront, en outre, dans tous les cas
prévus au paragraphe 1er du présent article, prononcer la
dissolution de l'association ou de l'union. »
Il y a sur cet articles trois amendements ...
M. Le Cour Grandmaison : En présence du sort qui est réservé
à nos amendements, je crois inutile de fatiguer d’avantage le Sénat
et je retire ceux que j’avais déposés (Très bien
! très bien ! à gauche.)
(M. Guillier en reprendra un à son compte, mais le retira après
des explications du rapporteur)
M. le président : Nous arrivons, messieurs, à
un amendement de M. Brager de La Ville-Moysan, ainsi conçu :
« Rédiger ainsi le troisième
paragraphe de cet article :
« Ils pourront, en outre, en cas de récidive,
dans tous les cas prévus au paragraphe 1er du présent article,
prononcer la dissolution de l’association ou de l’union. »
(Amendement repoussé par 178 voix contre 51)
(L’article 23 est adopté par 176 voix contre 67)
« Art.
24.- Les édifices affectés à l'exercice du culte
appartenant à l'État, aux départements ou aux communes
continueront à être exemptés de l'impôt foncier
et de l'impôt des portes et fenêtres.
« Les édifices
servant au logement des ministres des cultes, les séminaires, les
facultés de théologie protestante qui appartiennent à
l'État, aux départements ou aux communes, les biens qui sont
la propriété des associations et unions sont soumis aux mêmes
impôts que ceux des particuliers.
« Les associations
et unions ne sont en aucun cas assujetties à la taxe d'abonnement
ni à celle imposée aux cercles par article 33 de la loi du
8 août 1890, pas plus qu'à l'impôt de 4 % sur le revenu
établi par les lois du 28 décembre 1880 et 29 décembre
1884 .»
(Article mis aux voix et adopté)
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1