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Sénat
Session extraordinaire de 1905

22 novembre 1905
Suite de la discussion du  projet de loi
sur la séparation des Églises et de l'État
(10° journée, réduite et annotée)





M. le président : ... Le sénat s’est arrêté à la disposition additionnelle présentée à l’ article  2 par MM. le comte de Goulaine, le vice-amiral de la Jaille, le général de Saint-Germain, Charles Riou, de Béjarry, Maillard, Bodinier, Brager de La Ville-Moysan, le marquis de Carné, le vice-amiral de Cuverville et Dominique Delahaye.
     Elle est ainsi conçue :
     « Néanmoins la représentation diplomatique du gouvernement de la République française auprès du Vatican est maintenue. »

M. l’amiral de La Jaille :... C’est parce que le Gouvernement précédent me paraît avoir agi sans logique, comme on le fait toujours, d’ailleurs, sous l’empire de la passion (Applaudissements à droite) que je viens demander au Sénat de maintenir, telle qu’elle était auparavant, notre représentation auprès du Vatican. (Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs.)
...
     Croyez-vous vraiment que cette représentation réciproque, jugée indispensable jusqu’à l’an dernier, sous le régime du Concordat, devienne inutile ou superflue après le vote de la loi que vous discutez. Je ne le pense pas, car si la séparation de l’Église et de l’État consacre l’indépendance réciproque de ces deux puissances, celles-ci continueront à se connaître comme elles se sont connues jusqu’à la séparation. Auprès de l’État, l’Église existera toujours avec sa hiérarchie. (Très bien ! très bien ! à droite.)
...
M. Charles Prevet : Messieurs, au nom d’un très grand nombre de nos collègues, je prie M. l’amiral de la Jaille de vouloir bien retirer l’amendement qu’il vient de présenter, non pas que nous ne reconnaissions la force des arguments qu’il a apporté à la tribune, mais parce que nous estimons que le moment ne serait pas heureusement choisi pour trancher une question de cette importance.
     Dans le projet de loi qui nous occupe, nous réglons les rapports de l’État laïque avec l’organisation religieuse de ce pays.
     Les rapports de la France avec le Vatican sont d’un ordre un peu différent.
...
(L’amiral de la Jaille retirera son amendement et l’ensemble de l’article 2 sera adopté par 179 voix contre 96)

M. le président : Nous arrivons, messieurs, au titre II de la loi.
    Attribution des biens.  - pensions
     « Art. 3. - Les établissements dont la suppression est ordonnée par l'article 2 continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu'à l'attribution de leurs biens aux associations prévues par le titre IV et au plus tard jusqu'à l'expiration du délai ci-après.
     « Dès la promulgation de la présente loi, il sera procédé par les agents de l'administration des domaines à l'inventaire descriptif et estimatif :
     « 1° Des biens mobiliers et immobiliers desdits établissements ;
     « 2° Des biens de l'État, des départements et des communes dont les mêmes établissements ont la jouissance.
     « Ce double inventaire sera dressé contradictoirement avec les représentants légaux des établissements ecclésiastiques ou eux dûment appelés par une notification faite en la forme administrative.
     « Les agents chargés de l'inventaire auront le droit de se faire communiquer tous titres et documents utiles à leurs opérations. »

     M. Gourju demandait par un amendement la suppression du premier paragraphe et MM. Ponthier de Chamaillard, le vice-amiral de Cuverville, Bodinier, le comte de Goulaine et le vice amiral de la Jaille ont déposé un amendement tendant à la suppression du deuxième paragraphe.
...
M. Gourju : Mon amendement n‘a plus de raison d‘être ... Il était destiné à mettre le texte de l’article 3 en harmonie avec celui que j’ai proposé hier pour le deuxième paragraphe de l’article 2 et qui a été repoussé par le Sénat ... D’ailleurs, je crois devoir prévenir le Sénat, dès maintenant, pour éviter d’avoir à fournir plusieurs fois la même explication, que mes amendements tombent ainsi jusques et y compris celui qui porte l’article 6. ...
 mais je me réserve de soutenir celui que j’ai déposé sur l’article 7, parce qu’il contient un objet tout différent.
...
M. Guillier : Messieurs, si notre honorable collègue M. Ponthier de Chamaillard avait pu défendre l’amendement qu’il avait proposé, je n’aurais pas pris moi-même l’initiative de ... [le] soutenir.
     Si la séparation est inévitable, je souhaite que la loi qui la réalisera contienne des dispositions aussi conformes que possible aux règles habituelles du droit. ...
     L’article 3 prescrit « un inventaire des biens mobiliers et immobiliers appartenant aux établissements publics des cultes qui vont disparaître, ainsi que de ceux appartenant à l’État, aux départements et aux communes, dont ces mêmes établissements ont la jouissance ».
     Je n’ai rien à objecter à cette formalité. je ne partage pas, à son égard, les inquiétudes et les scrupules de quelques-uns de nos collègues ; j’estime, au contraire, ..., que cette mesure conservatoire présente des avantages multiples, aussi bien pour l’État, les départements ou les communes, propriétaires des biens qui vont être attribués  aux associations cultuelles, que pour ces associations qui vont en recueillir la jouissance. L’inventaire aura pour effet de constater d’une façon régulière la consistance des biens que les associations prennent en charge, il est bon -...- afin d’éviter dans l’avenir une discussion sur la nature et la réalité des biens ainsi abandonnés, qu’il soit dressé un acte, ..., établissant nettement la situation des parties intéressées. je ne dirais rien si le projet de loi s’était contenté de prescrire cet inventaire sans autre commentaire ; mais il précise que cet inventaire doit être descriptif et estimatif. Or si je conçoit l’utilité de la description, je n’admet pas l’estimation.
     Tout d’abord, je trouve anormal l’inventaire des immeubles.
...
     L’inventaire, d’ordinaire, ne s’applique qu’aux meubles et aux valeurs mobilières. Ceux-ci peuvent facilement disparaître.
 Il est donc prudent pour éviter leur enlèvement, de les mentionner dans un relevé qui porte le nom d’inventaire.
 Mais pour les immeubles, pareilles crainte est superflue ; ils sont par leur nature à l’abri de tout enlèvement frauduleux. on a pour constater leur existence, les énonciations des matrices cadastrales, les titres, les documents; on a, en un mot, le moyen bien certain d’être absolument fixé sur l’importance, sur la consistance de l’avoir immobilier des établissements qui vont être supprimés.
     Du reste, messieurs, la situation des associations cultuelles qui vont être substituées aux établissements public du culte actuellement existants est analogue à la situation de l’usufruitier. Ces associations cultuelles n’auront que l’usufruit des biens qui vont leur être abandonnés. Le code à réservé le cas de l’usufruitier et il a indiqué dans l’article 600, qu’avant d’entrer en jouissance, celui-ci était tenu de faire dresser un inventaire pour le mobilier  et un état pour les immeubles. Le code a créé cette distinction que je vous demande de respecter aujourd’hui : pour les immeubles un simple état des lieux ; pour les meubles, l’inventaire.
 ...
     L’exécution de la mesure dans le projet de loi est confié aux agents des domaines. Certes, je reconnais le savoir des fonctionnaires de cette grande administration. je crois cependant qu’ils pourront parfois être très embarrassés, lorsqu’il s’agira pour eux d’évaluer certains objets mobiliers qui sont actuellement en la possession des fabriques et qu’il faudra se prononcer sur la valeur de vieux vases sacrés, de vieux calices, de vieux tableaux, en un mot ce qui constitue le trésor des fabriques. (Très bien ! très bien ! à droite.) J’estime que les agents de l’enregistrement, ..., n’ont pas de ces matières une compétence spéciale et feront très mal cette évaluation. (Très bien ! très bien ! à droite. - dénégation à gauche.)
     A plus forte raison, lorsqu’il s’agira de procéder à l’évaluation des immeubles. ...
...
(La première partie de l’article 3 jusqu’à ces mots « et estimatifs » exclusivement est adopté par 195 voix contre 39. Les mots « et estimatifs » sont adoptés par 178 voix contre 76. La deuxième partie de l’article 3, depuis les mots « et estimatifs » est adopté par 181 voix contre 31. L’ensemble de l’article 3 est adopté par 178 voix contre 56)

M. le président : « Art. 4. - Dans le délai d'un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers des menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, transférés par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui, en se conformant aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice, se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l'article 19, pour l'exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements. »
     Sur cet article 4, ... il y a ... un amendement de MM. Brager de La Ville-Moysan, Pinault, le vice amiral de Cuverville, le comte de Goulaine, de Lamarzelle, Rodinier, le marquis de Carné, Maillard, de Las Cases, le vice-amiral de la Jaille, Charles Riou et Ollivier, ainsi conçu :
     « Art. 4. - rédiger ainsi cet article :
     « Dans le délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers dont jouissent les menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements publics du culte seront, avec toutes les charges et obligations qui les grèvent et avec leur affectation spéciale, remis par les représentants légaux de ces établissements aux associations que les Églises auront légalement constituées pour l’exercice de leur culte dans les circonscriptions de ces établissements, suivant les règles de leur hiérarchie, leur organisation générale et le régime adopté par elles pour leurs biens. »
...
    M. Brager de La Ville-Moysan : Messieurs, ..., l’article dont nous abordons la discussion est le point capital de la loi. Si, en effet, les associations cultuelles peuvent se constituer le lendemain de la promulgation de la loi, le service du culte restera plus ou moins assuré en France, mais enfin, tout au moins pendant quelque temps, il restera assuré.
     Si, au contraire, ..., il existe pour les catholiques des obstacles presque absolus à l’adoption des associations cultuelles, il est évident que la loi ne pourra recevoir aucune application pratique, que nous nous trouverons, au point de vue de l’organisation du culte catholique, en face du néant.
    La question a été admirablement comprise à la Chambre des députés ; lorsque la commission apporta devant elle le projet d’article créant les associations cultuelles, on s’aperçut tout de suite qu’il y avait dans l’organisation proposée quelque chose d’absolument inacceptable pour le culte catholique : le projet ne respectait en rien le hiérarchie ecclésiastique ; les associations devaient se constituer d’une façon pour ainsi dire indépendante, sans lien avec l’autorité religieuse, et, ainsi, l’organisation hiérarchique de l’Église catholique n’était nullement sauvegardée. Un grand nombre de députés, appartenant à tous les partis, reconnurent que cette disposition était inacceptable, et la commission s’empressa de donner satisfaction à leur désir en introduisant dans son texte primitif une disposition qui reconnaissait les règles générales d’organisation du culte. Ce ne fut pas sans une discussion approfondie, sans même d’assez vives controverses que le texte de l’article 4 fut adopté. Il souleva une opposition très forte, notamment de la part de l’extrême gauche de la Chambre des députés, et cependant on peut dire que son adoption parut satisfaire tous les partis.
...
     Permettez-moi, messieurs, de ne pas partager cet  optimisme.
...
     Quels sont donc les administrateurs des menses et des fabriques qui vont être chargés de faire la liquidation de ces établissements ?
     Pour les menses, les administrateurs sont les évêques ; pour les fabriques, ce sont les fabriciens et les curés. Ce sont ... les chefs et les fidèles les plus dévoués à l’Église catholique qui vont être chargés de transmettre les biens appartenant à l’Église, ..., aux associations cultuelles et aux autres destinataires de biens ; ....
     Ce sera, par exemple, un évêque qui sera chargé de transmettre à l’Université un collège catholique créé avec les deniers des catholiques ... On verra des menses ou des fabriques qui devront transférer des établissements hospitaliers religieux tenus par des religieuses à des établissements où le système de la laïcisation a été établi pour le plus grand dommage et des malades et des finances ! (Très bien ! très bien ! à droite)  (des finances, certes ; mais pas pour les soins aux malades ; pas à cette époque)
...
     Il en résultera que ce seront les évêques, les prêtres, les président de fabrique qui devront signer eux-mêmes les actes desquels résultera la laïcisation des établissements d’enseignement, des hospices ou des établissements de charité qui avaient été fondés par les catholiques !
     Cette conséquence est en elle-même presque inadmissible ; il semble que ce soit une sorte de traquenard qui a été tendu aux chefs du culte catholique et aux meilleurs de ses fidèles ; il semble que l’on ait voulu les placer dans cette situation étrange d’être eux-mêmes des laïcisateurs. (Très bien ! très bien ! à droite)
....
 

SUITE
 

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1