21 novembre 1905
Suite de la discussion du projet de loi
sur la séparation des Églises et de
l'État
(9° journée, réduite
et annotée)
* Dépôt, par M. Édouard Millaud, d’un rapport sur le projet de loi adopté par la Chambre des députés, portant ouverture au ministère des affaires étrangères, sur l’exercice 1905, d’un crédit extraordinaire de 3 790 000 fr. pour l’acquisition du palais Farnèse à Rome.
M. le président :
... Nous en sommes restés à la deuxième phrase de
l’article 2 :
« En conséquence, à partir
du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront
supprimées des budgets de l'État, des départements
et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des
cultes. »
Sur cette phrase, il y a un amendement de
MM. Gustave Denis, Richard Waddington, le vicomte de Monfort et Boissel
ainsi conçu :
« Substituer aux mots :
« En conséquence, à partir
du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront
supprimées, etc. ... »
« le texte suivant :
« En conséquence, à partir
du 1er janvier 1907, seront supprimées, etc. ... »
M. Gustave Denis : ... L’article
2 porte qu’à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de
la loi, le budget des cultes sera supprimé ; c’est bien là
du moins le sens de la périphrase qui suit l’indication de la date
du 1er janvier.
Qu’entendez-vous par « le 1er janvier
qui suivra la promulgation de la loi » ? je crois que, dans votre
esprit, c’est certainement le 1er janvier 1906 et, en fait, ce sera le
1er janvier 1906. Nous sommes, en effet, au 21 novembre et, évidemment,
si l’on nous fait voter l’urgence sur une loi dont l’importance motiverait
certainement deux délibérations (Très bien ! très
bien ! sur divers bancs), si l’on nous fait siéger tous les
jours au grand détriment du bon travail du Sénat ... (Nouvelle
approbation sur les mêmes bancs.) ... c’est évidemment
pour que la loi soit votée au mois de décembre, promulguée
immédiatement après son vote, et par conséquent, mise
en application le 1er janvier 1906.
Après le vote de l’article 2, nous
passerons aux articles suivants, et je rencontre tout d’abord l’article
5 qui contient dans son second paragraphe les dispositions suivantes :
« Les attributions de biens ne pourront
être faites par les établissements ecclésiastiques
qu'un mois après la promulgation du règlement d'administration
publique prévu à l'article 43 . »
« Elles ne pourront être faites
qu’un mois après », cela veut dire qu’elles pourront souvent
être faites plus d’un mois après. Et si je me rapporte à
l’article 43, dans lequel je vois que le conseil d’État, qui sera
chargé d’élaborer un règlement d’administration publique,
aura trois mois pour faire un règlement. Ainsi, d’une part, trois
mois pour l’élaboration et la confection du règlement d’administration
publique et un mois au moins, peut-être deux, trois ou d’avantage,
pour transmettre aux associations cultuelles, les biens qui leur seront
dévolus en vertu de l’article 4. Cela fait donc, messieurs, un minimum
de quatre mois, c’est-à-dire dans la plupart des cas une période
de cinq, six ou huit mois et peut-être d’avantage, pendant
laquelle les associations cultuelles ne pourront être constituées.
(Très
bien ! très bien ! à droite.)
Je demande à la commission de vouloir
bien me dire, par l’organe de son rapporteur, comment on pourvoira, pendant
cette période de transition, au service des cultes. Je ne vois,
pour moi, qu’un seul moyen d’y pourvoir, c’est de maintenir le budget des
cultes pendant un temps suffisant pour que les associations cultuelles
aient pu, aux termes de la loi nouvelle, se constituer (Nouvelle approbation
au centre et à droite) et entrer en possession des biens qui
leur serviront à entretenir le culte.
...
Messieurs, je pose la question à la
commission. Si la réponse nous donne satisfaction, je retirerai
mon amendement ; mais si, au contraire, elle n’est pas satisfaisante, je
demanderai au sénat de le voter. (Très bien ! très
bien ! sur divers bancs.)
...
M. le ministre des cultes
: Messieurs, l’amendement ... a pour but d’éviter l’interruption
du culte au lendemain de la séparation. Or, les dispositions du
projet sont précisément combinées de façon
que cette éventualité ne se produise pas.
...
(Amendement repoussé par 174 voix contre 104)
M. le président : Je consulte le sénat sur cette
phrase :
« En conséquence, à partir
du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront
supprimées des budgets de l'État, des départements
et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des
cultes. »
( Cette phrase, mise aux voix, est adoptée.)
( Un amendement visant à supprimer tout le 1er paragraphe
de l’article 2 - accusé de
faire l’apologie de l’athéisme -est repoussé
par l’adoption de ce paragraphe par 178 voix contre 82)
Ici se place un amendement de MM. de Goulaine,
le vice-amiral de Cuverville, le général de Saint-Germain,
Maillard, Charles Riou, le vice-amiral de la Jaille, de Béjarry,
Bodinier, Paul le Roux, Dominique Delahaye, de Lamarzelle, Brager de La
Ville-Moysan, ainsi conçu :
« Ajouter à cet article la disposition
suivante :
« En temps de guerre, l’État
accordera aux associations cultuelles légalement constituées
les allocations et autorisations nécessaires pour assurer conjointement
avec elles le service d’aumônerie dans les corps de troupes combattants.
»
M. le comte de Goulaine: Messieurs,
je demande au sénat la permission de reprendre l’amendement qui
avait été déposé à la Chambre des députés
par l’honorable M. Lasies, amendement qui n’a même pas été
discuté au fond. On a objecté que cette proposition n’avait
pas été faite en temps utile .....
Je ne suis pas seul ici à me rappeler
ces soirs de bataille où le silence de la mort n’est interrompu
que par l’appel des blessés et des mourants ....
Songeant à tout ce qu’ils ont sacrifié
pour que la France demeurât grand et respectée, ils attendent
plus d’elle qu’une seule chose : les derniers secours d’une religion dans
laquelle ils été élevés et qui a été
le guide de leur existence. (Très bien ! très bien ! à
droite.)
Ainsi, du moins, seront endormies pour eux
leurs cruelles souffrances, adoucies pour ceux qui vont mourir, les sombres
heures du trépas. (Vive approbation à droite et au centre.)
M. l’amiral de Cuverville:
C’est une grande consolation pour leurs familles !
...
M. le ministre : Messieurs, notre honorable collègue
peut être complètement rassuré : le service d’aumônerie
dans les corps de troupe en campagne pourra continuer à fonctionner
après le vote de la loi comme aujourd’hui.
Les dépenses d’aumônerie ne sont
pas à proprement parler, des dépenses destinées à
subventionner le service public du culte. ....
(Amendement repoussé par 179 voix contre 91)
M. le président : Nous arrivons à un amendement
présenté par M. Brager de La Ville-Moysan, qui est ainsi
conçu :
« Ajouter à l’énumération
qui termine le premier paragraphe de cet article les mots suivants :
« ... sur les escadres, divisions
navales et bâtiments armés, suivant les règlements
actuels dans les corps de troupe en campagne. »
(Amendement repoussé par 175 voix contre 98)
Nous arrivons, messieurs, à l’amendement
de M. Guiller ; il est ainsi conçu :
« Remplacer le deuxième paragraphe
par les dispositions suivantes :
« Pourront toutefois être inscrits
auxdits budgets ainsi qu’à ceux des établissements ci-après
visés, les dépenses relatives à des services d’aumônerie
et destinées à assurer le libre exercice du culte suivant
les règlements actuellement en vigueur, soit sur les bâtiments
de la flotte, soit dans les corps de troupes en campagne, soit dans les
établissements publics tels qu’écoles spéciales,
lycées, collèges, hospices, asiles, prisons.
« Les allocations en nature ou en argent
accordées aux aumôniers qui assureront ces divers services,
pourront se cumuler avec les pensions prévues par l’article 11.
»
(Amendement repoussé par 178 voix contre 101)
...
Je donne lecture de la seconde partie du premier
paragraphe de cet article:
« Pourront toutefois être inscrites
auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie
et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans
les établissements publics tels que lycées, collèges,
écoles, hospices, asiles et prisons. »
(Adopté par 285 voix contre 7)
Nous arrivons maintenant, messieurs, à
une disposition additionnelle déposée par MM. Charles Riou,
le vice-amiral de Cuverville, le vice-amiral de la Jaille, de Lamarzelle,
le comte de Goulaine, Dominique Delahaye, Ponthier de Chamaillard, Bodinier,
Paul Le Roux, le général de Saint-Germain, Brager de La Ville-Moysan,
Maillard, le marquis de Carné.
...
Je donne lecture de ce texte ...
« Ajouter après le paragraphe
1er la disposition suivante :
« Pourront également être
inscrites auxdits budgets les dépense occasionnés pour assurer
la liberté de conscience et l’exercice du culte aux indigents recueillis
dans les hospices ou aux familles d’indigents inscrites aux bureaux
de bienfaisance ou sur la liste d’assistance médicale gratuite.
»
...
M. Vallé , président
de la commission : Messieurs, si j’appartenais à l’opposition,
je me serais bien gardé d’apporter à cette tribune un amendement
de cette nature, car il m’aurait paru injurieux pour le clergé.
(Très
bien ! très bien ! à gauche.)
...
Comment, messieurs, on vient nous dire ici
que lorsqu’un indigent aura besoin des secours de la religion, il se trouvera
des prêtres qui resteront sourds à son appel .... parcequ’ils
ne recevront pas de salaire ? (Protestations à droite. - Marques
d’approbation à gauche.)
(Amendement repoussé par 200 voix contre 27)
M. le président : Le dernier paragraphe de l’article 2
est ainsi conçu :
« Les établissements publics
du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées
à l'article 3. »
M. Gourju propose d’amender comme suit cette
rédaction :
« Art. 2.- Rédiger ainsi
le second alinéa :
« A partir de la promulgation de la
présente loi, les établissements publics du culte seront
transformés de plein droit en association privées dans les
termes de la loi du 1er juillet 1901. Les actes de l’autorité publique
qui les avaient institués leur tiendront lieu de déclaration
prévue par cette loi. »
M. Gourju : ... je demande
tout simplement que, pour ce qui concerne les associations destinées
à assurer l’exercice du culte, nous revenions au droit commun, rien
de plus, rien de moins. Il me semble que ce retour au droit dans notre
pays, qu’autant que possible il ne faut pas remplacer le droit commun par
le droit exceptionnel, à moins de nécessités péremptoires.
(Très bien ! à droite et au centre.)
Ce droit commun, messieurs, il est celui de
la loi que vous avez votée au mois de juin 1901 et qui porte aujourd’hui
la date presque célèbre du 1er juillet 1901.
...
M. le rapporteur : ... L’idée
se résume en un mot : le droit commun, et ma réponse, c’est
qu’en effet, ce n’est qu’un mot ; il y a autant de droit communs qu’il
y a de matières diverses. Il y a le droit commun pour les avocats,
qui n’est pas le même que le droit commun pour les médecins
; et si l’on veut parler des associations, il y a le droit commun des syndicats
professionnels qui n’est certes pas identique au droit commun des congrégations.
Nous faisons, à l’heure qu’il est,
une loi sur la police des cultes ; l’État règle dans les
matières religieuses ce qui est de sa compétence et qui est
de l’intérêt supérieur de la société.
Lorsque cette loi sera faite, elle constituera,
pour cette matière spéciale, si vous voulez, le droit commun
; mais à l’heure qu’il est, il n’existe pas encore.
...
J’ajoute qu’en faisant une loi sur le contrat
d’association, le législateur n’a pas pu s’interdire le droit, je
dirai même le devoir d’adapter cette loi aux associations qui auraient
pour objet l’exercice public du culte.
En effet, le point de départ, le principe de la loi de
séparation est qu’il ne s’agit plus d’un service public, que c’est
une affaire de conscience individuelle. .....
...
Avec la doctrine du droit commun, il faudrait
être logique. Il faudrait dire, par exemple, qu’en cette matière
le droit commun règnera souverainement, qu’on prendra, pour chaque
partie de la loi, le droit commun qui peut s’y appliquer. Pour la propriété,
par exemple, il est reconnu que l’État et les communes sont propriétaires
des établissements du culte. Eh bien ! le droit commun de la propriété,
c’est de jouir des objets qui sont votre propriété, et on
ne pourrait pas remettre aux associations cultuelles les édifices
consacré actuellement au culte.
Pour les réunions publiques, le droit
commun, c’est la loi spéciale sur les réunions publiques
; par conséquent, chaque fois qu’il y aurait exercice public du
culte, on devrait faire une déclaration, et celui qui officierait
serait obligé de supporter la contradiction qui est le droit commun
en matière de réunion publique.
J’arrive au droit qui concerne les associations,
et je dis que, comme elles ne peuvent pas être reconnues d’utilité
publique, elles n’auraient pas la capacité qui leur est vraiment
nécessaire. Elles auraient seulement la capacité restreinte
des associations déclarées. Or ce système ne convient
ni à l’État ni à l’Église.
(Très
bien ! et applaudissements à gauche.)
(Amendement repoussé par 178 voix contre 86)
M. le président : Je consulte le sénat sur la rédaction
de la commission , dont je relis le texte :
« Les établissements publics
du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées
à l'article 3. »
(Texte adopté par 188 voix contre 62)
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1