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Sénat
Session extraordinaire de 1905

20 novembre 1905
Suite de la discussion du  projet de loi
sur la séparation des Églises et de l'État
(8° journée, réduite et annotée)




M. le président : ... Je donne lecture de l’article 1er :
 « Article 1er.- La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »
     Il y a sur cet article un amendement de MM. le comte de Goulaine, le vice-amiral de Cuverville, le vice-amiral de La Jaille, Bodinier, de Lamarzelle, le général de Saint-Germain, Charles Riou, Dominique Delahaye, Maillard, de Béjarry, Paul Le Roux, Brager de La Ville-Moysan, dont voici le texte :
     « Modifier ainsi la deuxième partie de l’article 1er :
     « Elle garantit à chacun la libre pratique de la religion et le libre exercice des cultes aux fonctionnaires civils et militaires. »
     Comme cet amendement ne porte que sur la seconde partie de l’article, je consulte le Sénat sur la première partie ..... (cette première partie est adoptée)

M. le comte de Goulaine: ... Imaginez la déception du chercheur qui, dans quelques siècles, voulant connaître de la situation des religions à notre époque, heureux d’avoir mis la main sur un document qui peut lui fournir des renseignements à cet égard, ouvrira la loi que vous allez voter et y fera cette découverte merveilleuse : « La République assure la liberté de conscience. » (Très bien ! très bien ! à droite.)
     Comme si la liberté de conscience pouvait être accordée ou retirée au gré des législateurs !
     Messieurs, les droits de la conscience seront dans ce temps-là ce qu’ils sont aujourd’hui, ce qu’ils étaient hier, ce qu’ils seront demain, ce qu’ils seront toujours : des prérogatives sacrées attachées, inhérentes à la personne humaine, auxquelles des hommages plus ou moins sincères n’ajoutent absolument rien ! (Nouvelles marques d’approbation sur les mêmes bancs.) Elles sont antérieures à l’État, et, ni les persécutions anciennes, ni les tyrannies plus modernes, ne les ont arrachées de nos cœurs dont elles resteront l’éternel apanage. (Et l’inquisition ?)
...
     Messieurs, si le Gouvernement est sincère, il montera après moi à cette tribune, il s’adressera à tous les fonctionnaires grands et petits, militaires de tous grades et de toutes armes, et il leur dira : « Aller à la messe, allez au prêche, allez au sermon, allez où vous voulez ... mettez vos enfants à l’école où bon vous semblera, fréquentez dans les villes où vous êtes, telles sociétés que vous voudrez fréquenter. » Si le Gouvernement dit cela, mon amendement tombe de lui-même. Mais s’il ne le dit pas, j’espère que le Sénat comprendra l’importance et l’opportunité de mon intervention.  (Très bien ! très bien ! à droite.)
...
     Je n’ai pas voulu rouvrir ici la question des fiches, mais, si vous voulez, nous la reprendrons.
...
M. le ministre de l’instruction publique et des cultes : Je croyais que l’on avait voté une loi précisément pour qu’il n’en fût  plus question. (Intéressante comme loi ! Non ?)

M. le comte de Goulaine :  Alors ne vous abritez pas derrière cette loi pour nous répondre.

M. le ministre : L’honorable M. de Goulaine a fait allusion à un incident auquel mon administration est complètement étrangère. Il s’agit d’une cérémonie qui aurait eu lieu à vannes le 21 octobre dernier ... et à laquelle on aurait interdit aux fonctionnaires et aux officiers d’assister. ..... J’ignore dans quelles conditions cette interdiction, si elle a été formulée, a été prise.
...
M. le comte de Goulaine : de sa place. Je demande à M. le ministre de me répondre aussi catégoriquement que je lui pose moi-même la question : Autorisez-vous vos petits fonctionnaires, cantonniers et autres, à placer leurs enfants dans les écoles qui ne sont pas les écoles du Gouvernement ? (Ce ne sont pas les écoles du Gouvernement ! Ce sont les écoles de la Nation ! )

M. le ministre : C’est une autre question ... (Exclamations à droite.)

M. le comte de Goulaine : Eh bien alors, vous n’admettez pas la liberté de conscience. (Très bien ! très bien ! et applaudissements à droite.)

M. le ministre :  M. de Goulaine parlait tout à l’heure de la messe ; je lui ai répondu.

M. Le Provost de Launay : Je répondrai brièvement à M. le ministre. Véritablement, ... il ne faudrait pas être de bonne foi pour nier que partout dans les ministères, à la base des notes données aux fonctionnaires, ... non pas dans les fiches - ...- mais dans les dossiers qui servent à les faire avancer, rester sur place ou même disgracier, la première question traitée partout, c’est de savoir si les fonctionnaires vont à la messe, s’ils sont pratiquants. (Très bien ! très bien à droite.)

M. le ministre, de sa place  : En ce qui me concerne, je me permets de donner  ... le démenti le plus formel. J’ai eu l’occasion, peu après mon arrivée au ministère, de faire imprimer des formules nouvelles (Exclamations à droite) parce que le stock des anciennes était épuisée. J’ai indiqué, à ce propos, que toute espèce de renseignements confidentiels devait être supprimée des notices individuelles. Il n’y que les notes de service qui puissent y figurer.
(Oui ! mais ... et dans les autres ministères  ? Il est intéressant de noter que nous sommes dans une période où la droite qui fut anti-républicaine réclame les libertés républicaines et où le Pouvoir accepte que ses fonctionnaires soient un rouage du Gouvernement, certes, mais plus un rouage idéologique. Je suis enseignant. Lorsqu’après des élections, des élèves originaires de l’immigration m’ont demandé pour qui j’avais voté et que j’avais répondu que le vote était secret, ils m’ont répliqué que de toute façon ils savaient comment j’avais voté. J’ai eu cette réplique  dans différents établissements du second degré. Je suis convaincu que ceux qui les ont ainsi embrigadés - sinon comment expliquer la similitude des réponses en différents endroits - sont originaires de pays où les fonctionnaires sont obligatoirement des rouages du pouvoir !)

M. Le Provost de Launay : Je n’accepte pas votre démenti, et je vous le retourne. Voici pourquoi : c’est parce que vous nous faites ici depuis quelques mois des déclarations ministérielles qui semblent vous placer, au point de vue théorique, en contradiction avec les ministre qui vous ont précédés. Officiellement, ostensiblement, vous réprouvez les fiches, vous assurez que les délégués n’existent plus ; eh bien ! c’est faux : ces délégués existent, ce sont les mêmes, et chaque fois qu’il arrive une demande de renseignements quelconque, fût-ce pour un facteur, on s’adresse aux délégués qui correspondent directement avec vos préfets ou sous-préfets. Pour tout, on leur demande leur avis, et pour tout leur avis est basé sur ce point : l’opinion religieuse.

Plusieurs sénateurs à gauche. C’est le devoir du Gouvernement de s’adresser aux préfets. Auprès de qui voulez-vous qu’il se renseigne ?

M. Destieux-Junca : Il faudrait peut-être qu’il s’adressât à l’archevêque ? (Rires à gauche.)

(L’amendement de M. de Goulaine est repoussé par 180 voix contre 78 et l’article 1er est adopté par 214 voix contre 46)

M. le président : « Art. 2 - La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
     « Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3. »
     Sur cet article 2, il a été déposé douze amendements : dix antérieurement à l’ouverture de la délibération, et deux aux cours de la délibération. .......
     1er amendement présenté par MM. de Las cases, de Lamarzelle, Bodinier, le vice-amiral de La Jaille, le comte de Goulaine, Dominique Delahaye, le vice-amiral de Cuverville et Charles Riou.
 Il est ainsi conçu :
     « Art. 2.- Le budget des cultes est maintenu comme service d’État. »

M. de Lamarzelle : Messieurs, le but de cet amendement, ..., c’est d’établir qu’après la séparation, le budget des cultes étant une véritable dette de l’État d’après les engagements pris par l’Assemblée constituante, pris à nouveau au moment du Concordat, ne peut être supprimé du fait de la séparation de l’Église et de l’État.
(Amendement repoussé par 178 voix contre 110)

M. le président :  Nous passons à l’examen de l’amendement présenté par MM. Charles Riou, de Lamarzelle, le comte de Goulaine, le vice-amiral de Cuverville, le vice-amiral de La Jaille, Dominique Delahaye, Bodinier, Ponthier de Chamaillard, Paul Le Roux, le général de saint-Germain, Maillard, Brager de La Ville-Moysan et le marquis de Carné.
 Il est ainsi conçu :
     « Rédiger ainsi le premier paragraphe de l’article 2 :
     « Les conditions dans lesquelles l’État, les départements et les communes pourront accorder leur concours aux cultes pour assurer leur fonctionnement seront déterminés ci-après. »
(Amendement repoussé par 184 voix contre 55)

     Nous arrivons, messieurs, à l’amendement présenté par MM. le vice-amiral de Cuverville, Dominique Delahaye, Bodinier, le comte de Goulaine, de Lamarzelle, Charles Riou, le vice-amiral de la Jaille, le marquis de Carné et Ponthier de Chamaillard.
     Il est ainsi conçu :
     « Supprimer les mots :
     « Ne reconnaît »
     « Dans la phrase :
     « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. »
(« Ne reconnaît est maintenu par 177 voix contre 44, puis « ne salarie ni ne subventionne aucun culte » est maintenu par 179 voix contre 85)

     Ici se place une disposition additionnelle, présentée par MM. Ponthier de Chamaillard, le vice-amiral de Cuverville, Bodinier, le comte de Goulaine, le vice-amiral de la Jaille, le marquis de Carné, et qui consiste à ajouter au texte que le sénat vient d’adopter par trois votes successifs le paragraphe suivant :
     « Toutefois le budget des cultes sera maintenu jusqu’à ce que le règlement relatif aux biens d’Église arrêté dans la convention du 26 messidor an IX ait été revisé d’un commun accord entre les contractants et qu’une entente soit intervenue entre l’État et les représentants des autres cultes. »
(Amendement repoussé par 181 voix contre 56)
 
 

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©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1