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Sénat
Session extraordinaire de 1905

17 novembre 1905
Suite de la 1ère délibération sur le  projet de loi,
adopté par la Chambre des députés,
concernant la séparation des Églises et de l'État
(6° journée, réduite et annotée)

* Dépôt au nom du ministère de l’intérieur  d‘un projet de loi, adopté par la Chambre des députés, adopté avec modification  par le Sénat, adopté avec de nouvelles modifications par la Chambre des députés, tendant à autoriser la ville de Paris à emprunter une somme de 120 millions et à organiser le service du gaz.

M. Vidal de Saint-Urbain : ... On nous a dit hier qu’une grosse majorité, lors de l’avènement du ministère Rouvier, s’était formée sur ce point spécial ; je sais tout cela. Mais je sais aussi très bien que cette majorité comprend des libéraux qui ont voté contre la séparation des Églises et de l’État, qui n’en veulent pas plus aujourd’hui qu’hier, mais qui ne veulent pas non plus renverser le ministère. C’est une majorité purement politique,  qui ne porte pas spécialement sur la séparation. Le véritable ministère de la séparation, celui qui l’a faite, qui l’a provoquée, qui l’a, ..., déchaînée et qui doit en porter la responsabilité devant l’histoire, c’est le ministère Combes.

M. le président de la commission : Il l’accepte cette, cette responsabilité.
...
A gauche Il a bien fait.
...
M. de Lamarzelle : C’est M. Waldeck-Rousseau qui est l’auteur de tout le mal.

M. Vidal de Saint-Urbain :... il s’en est vanté dans tous les discours qu’il a faits dans les diverses localités de France, où il va déclarant que c’est le plus grand honneur de sa vie ...
....
     Vous êtes toujours à nous parler des humbles, des petits ; c’est pour eux, dites-vous que vous travaillez et que vous acceptez les lourds fardeaux de l’État, que vous acceptez d’être député, sénateurs, les maîtres du pays. (Sourires à droite.) ne sont-ils pas aussi des humbles et des petits ceux qui n’ont pas de famille, qui se sont voués à une carrière qu’ils aimaient, qui en sont privés tout à coup, qui n’ont plus aucun moyen d’existence. Est-ce parce qu’ils portent une soutane qu’ils seraient condamnés comme des parias ? La plupart des prêtres sont des paysans, je vous le disais hier. Pourquoi tant de dureté pour ces paysans qui ont fait la République, cette République qui vous comble d’honneurs ?
...
M. Philippe Berger : ... La loi de séparation des Églises et de l’État ! rien ne prouve mieux la puissance des idées et le peu que nous pouvons pour en hâter l’évolution. Voilà une loi qui sommeillait depuis cinquante ans dans le programme républicain. Soudain elle s’impose à tous les esprits et prend le pas sur toutes les autres réformes.
 Et, alors que ses partisans mêmes croyaient des années encore nécessaires pour en préparer l’évolution, nous allons nous trouver demain en présence du fait accompli.
....
     Et c’est ainsi que nous avons vu le grand forgeron de la conception socialiste de la loi de séparation, M. Aristide Briand, et M. Ribot, ce défenseur acharné des idées libérales, finir par se rencontrer sur le sommet de la pensée, et aussi sur les sommets de l’éloquence de la tribune française, et aboutir, de concession en concession, au texte qui est soumis aujourd’hui à vos délibérations. (Très bien ! très bien !)
...
     C’est la que se remarque la prudence de notre Constitution, qui a voulu que toutes les lois fussent soumises aux délibérations des deux Chambres, et il n’aurait pas fallu bien longtemps pour apporter entre les différents articles cette harmonie que plus d’un des membres de l’autre Assemblée attendait peut -être de votre sagesse et de votre expérience. (Très bien ! à droite et sur divers bancs au centre.)
     Au lieu de cela une voix nous dit : Vote ! vote !
.....
     Voilà des articles qui ne sont pas bien d’accord entre eux : vote ! Ils sont en contradiction avec l’esprit de la loi : vote ! Ils risquent de devenir un danger pour l’État : vote ! Ils portent atteinte à des droits acquis : vote ! vote  toujours, mets ton bulletin blanc dans l’urne ; mets-le encore, mets-le jusqu’au bout par devoir républicain.
     Eh bien ! oui, messieurs, je voterai la loi et je la voterai par devoir républicain .... parce que je crois que cette loi, telle qu’elle est, représente un effort immense pour résoudre d’une façon équitable  le grave problème qui nous est soumis et qui ne peut attendre, et parce que je crois que, si nous ne la votons pas aujourd’hui, nous ne savons pas ce que nous aurons demain.
....
     Messieurs, certainement, il n’est pas un de nous qui serait heureux de consacrer de longues séances à discuter cette loi pour l’amender et je ne doute pas que la majorité de la Chambre des députés ne reconnût la justesse de vos observations ... et n’acceptât vos amendements.
....
     Seulement ... si la loi retournait au Palais-Bourbon, nous aurions à craindre de nouveaux retards qui nous empêcheraient d’aboutir avant la fin de la législature. Or, je le répète, il est des questions qui, une fois soulevées, ne peuvent pas rester en suspens. La séparation est virtuellement faite, il faut la faire passer dans nos lois. Il n’est pas de gouvernement, actuellement, quel qu’il soit, qui pourrait revenir en arrière à un ordre de choses qui n’est plus. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
......
     .... Les auteurs de la loi ... ont considéré que l’administration des biens était la fonction principale des associations, ils ont placé en tête, comme un élément fondamental de la loi ce qui devait être rejeté à la fin parmi les  dispositions transitoires.
 Et pourquoi, messieurs ? Parce que, par suite de vieilles habitudes d’esprit, ils ont placé le temporel au-dessus du spirituel, ils ont fait le principal de ce qui était l’accessoire, et si je pouvais  le dire sans crainte  de blesser des convictions respectables, ils sont restés catholiques en rompant avec le catholicisme, et ils n’ont vu dans les associations cultuelles que des conseils de fabrique élargis (Très bien ! très bien ! à gauche) dont la fonction principale était d’assurer à l’Église les ressources nécessaires.
     Eh bien ! messieurs, l’association cultuelle n’est pas cela. L’association cultuelle, c’est la vieille Église qui revit et qui doit revivre avec toutes les facultés, avec tout ce qui était contenu dans l’Église reconnue par l’État.
     Et c’est de là qu’est né ce mot barbare d’association cultuelle auquel je ne peux me faire, qui pourra avoir cours dans les bureaux de la direction des cultes (On rit) -...- mais qui ne passera pas dans l’usage parce qu’il ne répond pas à la réalité. J’aime mieux pour ma part, au lieu de créer ce barbarisme, ressusciter un mot de la vieille langue française, qui répondrait plus exactement à la chose, et dire des associations ecclésiales, comme on appelait les biens de l’Église des biens ecclésiaux.
 (Ce qui aurait évité que des gens lisent « associations cultuRelles » là où il est écrit « cultuelles ». Que l’on donne à des associations cultuRelles régies par la très libérale loi de 1901, des contraintes de la loi de 1905)
     Qu’est-ce qu’une association ecclésiale, messieurs ? C’est une association libre qui remplace l’ancienne Église Elle doit donc contenir tout ce qu’il y avait dans la notion d’Église. Sans doute la célébration du culte est la manifestation la plus importante de la vie de l’Église, mais, à côté de cette fonction l’Église a un rôle éducateur. Elle se doit non seulement à ses fidèles pour les édifier ; elle se doit aussi aux enfants. De là le droit pour une association ecclésiale de donner l’instruction religieuse, droit qui est indiqué dans la loi, mais qui n’est pas formellement reconnu..
.....
     J’ai fini, messieurs. La séparation est inévitable ; il faut la voter. Mais dites-vous bien que la séparation n’est pas un but, elle est un moyen ; le but c’est la liberté ; la loi de séparation ne doit pas être une arme de combat, elle doit être une arme de liberté. Elle doit être une loi destinée non pas à entraver l’activité des associations du culte, mais une loi où elles trouveront assez de liberté pour vivre et se développer, et où l’État trouvera les garanties nécessaires pour défendre la société laïque contre l’esprit dominateur de l’Église et contre les attaques de ceux qui se sont faits trop souvent les auxiliaires de la réaction. (Très bien ! très bien ! à gauche)
....
     Je ne dis pas que la transition pourra se faire sans secousses et sans déchirements, et mon cœur saigne d’avance aux souffrances  souvent imméritées qui en seront la conséquence. Une opération de ce genre ne peut pas se faire sans laisser des blessures qui seront longues à cicatriser. Ce n’est pas maintenant qu’on en ressentira le contre coup, c’est dans trois ans, quand ou aura pu sentir les charges de la séparation et en reconnaître les inconvénients.
(trois plus tard, M. Aristide Briand devait modifier la loi)
...
     Et qu’importe si l’opération était salutaire. Qu’importe au pays que nous soyons ou non réélus. Le pays ne nous a pas envoyés ici pour nous occuper de notre prochaine réélection, il nous a placé ici pour faire des lois qui dépassent la durée de cette législature et pour consulter l’intérêt lointain de la République. (Applaudissements à gauche)
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     Ceux qui verront d’un peu plus loin que nous les événements auxquels nous assistons, ne pourront s’empêcher d’admirer les progrès réalisés depuis trente ans dans la conception de la vie sociale et dans la réalisation de la société nouvelle. L’enseignement laïque et obligatoire, le service militaire obligatoire et égal pour tous, les développements magnifiques de la mutualité, les lois d’assistance et de solidarité, la loi sur les associations, enfin la séparation des Églises et de l’État. C’est tout une nouvelle conception des droits de la société, devenue majeure, et de ses devoirs envers ses membres. (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.)
...
M. Maxime Lecomte, rapporteur : ... Je crois que la vraie question -...- est de nous décider d’après les nécessités politiques de notre temps et de notre pays. (Très bien ! très bien ! à gauche. - Marques ironiques d’approbation à droite.)
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     En effet, messieurs, il y a eu, par le résultat des élections à la Chambre des députés en 1902 et par le renouvellement d’un tiers du Sénat en 1903, une condamnation absolument nette, ç’a été la condamnation des congrégations, ce qui n’était d’ailleurs qu’une réfection partielle du pacte concordataire.
     Ces élections ont produit dans les deux Chambres une majorité nettement anticléricale et c’est cette majorité qui, à la Chambre des députés, a considéré comme un devoir de faire enfin, en réponse aux incessantes provocations venant de Rome, une séparation nécessaire. (Très bien ! très bien ! à gauche.)
...
     Cela me rappelle un discours de Victor Hugo, prononcé lors de la discussion de la loi Falloux abrogée au Sénat, ... Victor Hugo disait : « C’est votre habitude ; toutes les fois que vous forgez une chaîne, vous dites : Voilà la liberté, et je dis, moi, au contraire : Chaque fois que vous criez à la persécution, c’est parce que la République a donné à l’ensemble des citoyens une liberté nouvelle. » (Très bien ! très bien ! à gauche.)
...
     Et continuant cette citation, je me permettrai de vous lire ceci :  « Cessez de mêler l’Église à vos affaires, à vos intrigues, à vos combinaison, à vos destinées, à vos ambitions. Ne l’appelez pas votre mère pour en faire votre servante. Voyez le mal que vous lui faites ! Voyez comme elle dépérit depuis qu’elle vous a. Vous vous faites si peu aimer que vous finirez par la faire haïr. »
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     Et en effet, les théologiens parlementaires, qu’il nous faut suivre parfois, parlent longuement de la thèse et de l’hypothèse. Il ne faut pas qu’ils oublient l’antithèse, cette antithèse qui frappe tous les yeux : Rome condamne la liberté des cultes et la République la donne.
...
     En terminant, ..., je m’adresserai aux républicains ... Je leur dis, ..., Réfléchissez ! Croyez-vous possible, en présence de l’antinomie qui existe entre nos institutions et ce qui découle du Syllabus (Exclamations à droite) , croyez-vous possible de faire un Concordat nouveau ? .... Votez cette séparation qui se fait dans des conditions de pondération qui doivent vous rassurer. Si cette séparation libérale, ..., ne peut se réaliser aujourd’hui, vous pouvez la saluer, vous ne la reverrez plus. (Vifs applaudissements à gauche. - Exclamations et applaudissements ironiques à droite. L’orateur, en regagnant sa place, reçoit les félicitations de ses amis.)

M. Léopold Thézard: Messieurs, comme membre de la minorité de la commission, je crois de mon devoir de présenter au Sénat de brèves observations au sujet du projet soumis en ce moment à ses délibérations. Ce projet me parait de nature à soulever de très légitimes appréhensions à un double point de vue ; d’abord en raison du trouble, du malaise tout au moins qu’il apportera, à plus ou moins longue échéance, dans les habitudes religieuses des populations et ensuite à raison de l’influence politique que pourra exercer la transformation imprimée au caractère du clergé, des ministres des cultes de notre pays.
...
     En ces dernières années, on s’est attaché à restreindre ou à supprimer l’action des congrégations, c’est à dire l’action de ce clergé non concordataire qui, sous le couvert de la religion, exerçait dans toutes les branches de l’activité nationale une action envahissante que l’on trouvait menaçante.
     Or, qu’allez-vous faire ? Vous allez donner la vie et la force à un clergé non concordataire de 50 000 membres, sans compter les associations cultuelles, c’est à dire une vaste congrégation à laquelle, malgré les difficultés du premier moment, ne manqueront prochainement ni les ressources, ni les moyens d’action (Très bien ! au centre) , à une vaste congrégation où l’on verra les demi-soldes ecclésiastiques instituées par votre projet de loi et qui seront pour la République ce que furent les demi-soldes militaires pour la Restauration; ...
     Je me demande si une réforme aussi grave à bien sa place à la fin d’une législature qui n’a été amené à s’en occuper que par occasion. (Très bien !)
.....
 
 

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©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
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