16 novembre 1905
Suite de la 1ère délibération sur
le projet de loi,
adopté par la Chambre des députés,
concernant la séparation des Églises et
de l'État
(5° journée, réduite
et annotée)
M. de Lamarzelle
: Messieurs, j’ai montré à la séance d’avant-hier
comment tous les chefs du parti républicain, Gambetta, Paul Bert,
Jules Ferry, Waldeck-Rousseau, s’étaient toujours prononcés
pour le maintien du Concordat, tous jusqu’à M. Combes inclusivement,
et celui-ci avec plus de force encore que les autres. J’ai montré
ensuite comment tout à coup M. Combes adopta une politique nettement
séparatiste.
A ce moment M. le président de la commission
m’a interrompu en me disant : « Gambetta, Jules ferry et Paul Bert auraient
fait comme lui ».
Un instant après M. Vallé ajoutait
: « C’est de la bonne évolution ! »
De l’évolution ! Je ne crois pas. Car qui
dit évolution dit marche continue, lente, progressive vers une transformation.
Nous ne voyons rien de semblable ici. , il y a un changement brusque : il
y a un chef de Gouvernement qui soutient le Concordat avec plus d’énergie
encore que ses prédécesseurs et qui tout à coup, brusquement,
change d’attitude. Il y a, permettez-moi cette expression sportive qui rend
bien ma pensée, il y a un véritable tête-à-queue.
Ce n’est pas de l’évolution, cela !
....
Alors, il faut bien s’entendre sur la signification
à donner, au point de vue du droit public, à ces mots : liberté
religieuse.
La liberté religieuse, est-ce la liberté
de croire dans son for intérieur, dans sa conscience, en soi même
? Si telle est la liberté religieuse, il est certain ... qu’aucun gouvernement
ne peut rien contre la liberté religieuse ; Néron lui-même
n’a rien pu contre elle. (Très bien ! très bien ! à
droite)
Seulement, au point de vue du droit public, la liberté
religieuse, ce n’est pas cela ; c’est la liberté de pratiquer le culte
de ses croyances. (Très bien ! sur les mêmes bancs.)
Et pour qu’un gouvernement me donne la liberté
de pratiquer ma religion, il faut qu’il m’en laisse le moyen et même,
dans certaines circonstances politiques ..... qu’il m’en donne les moyens.
(Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.)
Or, pour pratiquer une religion, il faut des ministres
du culte, il faut des églises ; ces églises, il faut les bâtir,
les entretenir ; ces ministres du culte, il faut qu’ils vivent, il faut qu’ils
aient un traitement. Pour tout cela, il faut de l’argent. Or votre loi ....
ne permet pas à l’Église de France de se constituer un patrimoine
stable. Elle ne lui permet que de vivre au jour le jour, sans indépendance.
(très bien ! à droite) Or, elle ne peut pas vivre ainsi.
...
M. Vidal de Saint-Urbain
:... Je suis un libéral et un adversaire aussi de la séparation
des Églises et de l’État.
...
Assurément, messieurs, sur le principe même
de la séparation ..., on pourrait se mettre facilement d’accord. En
ce qui me concerne, je ne vois aucune doctrine d’État nous obligeant
à un Concordat ; il n’existe pas d’avantage, du côté confessionnel,
dans une religion quelconque, un dogme qui l’ai jamais imposé aux
consciences On peut ne pas être partisan du Concordat et rester très
bon français, très bon républicain et même très
bon catholique. Toute la question est de savoir dans quelles circonstances
se fait la séparation, si elle st opportune, si elle se produit dans
des conjonctures propres à assurer l’indépendance réciproque
de l’État et du clergé. Il faut rechercher en outre si elle
se fait dans des conditions honorables pour une nation qui, ayant vécu
pendant des siècles en bonne intelligence avec le Saint-Siège,
rompt brusquement avec lui sans même avoir recours aux formalités
qu’on emploie d’habitude quand après une longue union une des parties
contractante dit à l’autre : Je ne veux plus rester avec vous !
...
Tout autre était la situation lorsqu’il s’agissait
de frapper, comme vous l’avez fait, la liberté du droit d’association
et la liberté d’enseignement.
Ici, ..., j’ai toujours eu la pensé qu’un
vrai républicain, qu’un libéral, qu’un homme pénétré
des principes des principes de 1789 ne pouvait pas vous donner la main. Il
y avait, en effet, une atteinte au droit des personnes, au droit des consciences,
à l’inviolabilité du domicile, à la propriété,
à toutes les conquêtes de l’esprit moderne, contre laquelle protestaient
toutes les conventions de notre droit démocratique. C’est pour ce
motif que j’ai combattu avec toute l’énergie dont je suis capable
les lois que vous avez votées sur ces divers points depuis 1901.
...
Dans la question qui se pose aujourd’hui sur le
principe de la séparation, la situation n’est plus la même, je
le reconnais. On pourrait s’entendre parce qu’une telle question ne soulève
en soi, ..., aucune doctrine contraire aux principes généraux
et immuables qui régissent les État et les religions. Beaucoup
de pays n’ont pas de concordat, sans pour cela que la politique y soit mal
conduite ou que les religions y soient en mauvaise posture.
Ah ! messieurs, si la République, au lieu
de s’être jetée dans une voie que je trouve mauvaise et qui
consiste à restreindre une à une toute les liberté publiques
et à les supprimer, avait suivi la voie large que lui annonçaient
les Thiers, les Lamartine, les Gambetta, tous ceux qui, sous l’empire, ou
avant l’empire, protestaient contre les proscriptions et les ostracismes
; si vous aviez fait de la décentralisation, de l’émancipation,
si vous aviez assuré la défense nationale sur les frontières,
si vous aviez donné au peuple, qui les attend depuis si longtemps,
les réformes que nous promettons toujours sans les octroyer jamais
et qu’il possède déjà dans beaucoup de pays monarchiques
; si vous aviez répandu à flot la justice, la liberté
et la fraternité ; si vous aviez proscrit la haine et fait la concorde,
je comprendrais très bien que la conséquence naturelle d’une
telle politique fût, à un moment donné, la séparation
des Églises et de l’État. La séparation loyale, faite
sous un régime de liberté vraie, en assurant l’indépendance
de la religion, la vie des ministres, c’eût été un régime
très acceptable, préférable peut être, pour l’État
et pour l’Église, au régime du Concordat. Le Concordat en somme
est une chaîne, qui lie les deux parties, les oblige à des concessions,
à des compromissions ; c’est une entrave qui, dans un temps de réels
progrès, devrait disparaître comme toutes les autres. Les deux
parties y trouveraient leur compte. C’était l’opinion de Lamartine,
de la plupart des républicains de marque. C’était aussi la manière
de voir de beaucoup de catholiques, et non des moindres, de Lacordaire, de
Montalembert, pour ne citer que les plus illustres.
...
Mais nous n’en sommes malheureusement pas là.
L’ère de la liberté n’est pas encore ouverte. Telle que vous
la proposez, dans les circonstances où elle se produit, la séparation
s’annonce plutôt comme une œuvre de combat, hostile à l’idée
religieuse, imprudente pour la sûreté et la tranquillité
de l’État.
...
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1