14 novembre 1905
Suite de la 1ère délibération
sur le projet de loi,
adopté par la Chambre des députés,
concernant la séparation des Églises
et de l'État
(4° journée, réduite
et annotée)
* Dépôt par M. Savary d’un rapport fait au nom de la commission chargé d’examiner une proposition de loi ayant pour objet de réprimer les actes de corruption dans les opérations électorales.
M. Halgan : ... Dans le département
que j’ai l’honneur de représenter, en Vendée, catholiques
et libéraux manifestent leur mécontentement, je dirais plus
encore, leur indignation.
Les uns et les autres voient clair dans la
loi. Ce qu’ils voient, c’est que les auteurs sont inspirés par la
haine et que leur but unique est de détruire, à une date
prochaine, toute religion en France. (Très bien ! très
bien ! à droite.)
Messieurs, le premier moyen dont on a usé
pour arriver à ce résultat lamentable a été
la suppression du budget des cultes. .....
Messieurs, on nous a souvent énuméré
ceux qui protestaient contre une pareille mesure.
Les catholiques d’abord. Ils réclament
l’exécution, non pas de promesses, mais d’engagements formels qui
obligeraient l’État à fournir aux ministres des cultes les
ressources nécessaires.
les porteurs de rentes sur l’État peuvent être mis
au rang des protestataires. Si aujourd’hui on déchire le pacte qui
liait l’État, demain ces rentiers pourront bel et bien voir mettre
leurs titres à néant. Le payement de leurs arrérages
sera refusé. (Nouvelles marques d’approbation sur les même
bancs.)
Quelle est aussi l’impression des contribuables
? A leurs impôts ordinaires, déjà si lourd, qu’ils
versent dans la caisse du percepteur, ils vont être obligés
d’ajouter des impôts volontaires pour faire face aux dépenses
d’un culte auquel ils demeurent fidèles.
L’autre jour, l’honorable M. Charles
Dupuy rappelais qu’il avait été promis de ne pas verser dans
le Trésor public les sommes demeurées libres par suite de
la suppression du budget des cultes. Ces sommes devront être réparties
entre les communes au prorata de la contribution foncière.
Quel leurre ! dirons-nous avec notre éminent
collègue. Nous avons assisté pour notre part à plusieurs
conversions de la rente, puis de la vente des diamants de la couronne.
Toujours on promettait de consacrer à des oeuvres utiles les ressources
provenant de ces opérations. mais elles étaient absorbées
par le gouffre béant du Trésor public. Jamais ces promesses
n’ont été réalisées.
Aujourd’hui, on se demande encore où
vont les millions provenant de la vente des biens des congrégations.
(Très bien ! très bien ! à droite.)
Citons encore comme victimes de la loi ces
malheureux ouvriers dont le travail était consacré à
la construction, à l’ornementation des églises. Ils sont
très nombreux. Leur main-d'œuvre était représentée
par beaucoup de millions, et les voilà réduits aujourd’hui
à la misère. .....
...
Les lois que vous édictez blessent,
hélas ! souvent la conscience des catholiques. Il y a, par exemple,
la loi du divorce : eh bien ! un prêtre catholique qui est exposé,
en chaire, à affirmer l’indissolubilité des liens du mariage,
tombera sous le coup de la loi.
Pour l’application de cet article, nous allons
voir apparaître des légions de délateurs.
Jusqu’à présent, la guerre et
la marine étaient le champ ordinaire de la délation, ...
Maintenant, les délateurs vont avoir une autre carrière ;
il y aura moins de délateurs pour officiers, mais il y aura des
délateurs de curés.
(Voir l’affaire des fiches)
M. Dominique Delahaye : Il y en a depuis longtemps, mais enfin, il y en aura un plus grand nombre.
M. le comte de Tréveneuc : Cela devient une institution
nationale.
...
M. Halgan : ... cette loi, nous n’en connaîtrons même
pas le sens véritable, quand vous l’aurez votée, car
l’article 43 contient une menace terrible. Un règlement d’administration
publique, y est-il écrit, déterminera les moyens d’application.
Messieurs, nous savons bien quel danger offrent
ces règlement d’administration publique. C’est un blanc-seing que
signe le Parlement et dont on fait souvent le plus détestable emploi.
....
Nous gardons la mémoire de ce qui s’est
passé pour la loi des congrégations et nous savons combien
elle a été rendue lourde par le règlement d’administration
publique. Le règlement d’administration publique sera pour cette
loi ce qu’étaient les articles organiques pour le Concordat.
(Nouvelles marques d’approbation sur les bancs de droite.)
(Je ne pense pas que ces arguments
soient d’une très grande hauteur, loin de là ! à l’avenir,
je tâcherai, dans la mesure du possible, de ne pas les reproduire.)
...
M. Monis: Je désire porter
à la connaissance du sénat un document qui m’arrive à
l’instant même. Si je l’avais eu plus tôt, je l’aurais produit
par voie de rectification au procès verbal.
M. le comte de Mun m’a adressé une
lettre ainsi conçue :
« Monsieur le sénateur,
« Dans le discours que vous avez prononcé
hier à la tribune du sénat, vous avez, afin de justifier
vos attaques contre l’Église, rappelé la tentative que j’ai
faite, en 1885, pour organiser le parti catholique. A ce propos vous avez,
en les plaçant entre guillemets dans le compte rendu officiel, cité
comme de moi et pour définir mes intentions, des paroles que je
n’ai jamais écrites ni prononcés. J’ai sous les yeux la lettre
que, pour lui annoncer mon projet en le priant de s’y associer, j’ai adressé
au vicomte de Belizal, et que vous avez invoquée comme si votre
citation en était extraite.
« Elle ne renferme rien qui se rapproche
de la phrase que vous avez rapportée.
« J’ignore où vous avez puisé
ce texte de la lettre que m’aurait à son tour écrite M. Cazenove
de Pradines.
Il était assurément, ainsi que plusieurs membres
les plus autorisés du parti royaliste, opposé à mon
entreprise.
« Mais quelle que pût être
ma déférence pour eux, ce ne furent pas leurs avis qui m’y
firent renoncer. Ce fut l’intervention du grand pape Léon XIII dont
vous avez fait, devant le sénat, un si juste éloge.
« Sans blâmer cette entreprise
en principe, il craignait que, dans l’état intérieur de notre
pays, la formation d’un parti catholique ne parût mêler l’Église
à nos luttes politiques, ce qu’il s’efforça d’empêcher
pendant toute la durée de son pontificat..
« L’exemple, vous le voyez, va directement
contre la thèse que vous avez soutenue.
« Veuillez agréer, monsieur le
sénateur, l’assurance de mes sentiments distingués.
« A. de Mun. »
J’ai tenu, messieurs , à donner acte
à M. de Mun de sa protestation et à la faire paraître
au Journal officiel dans le meilleur rang possible. (Très bien
! très bien !)
...
M. Boudenoot
: ... il ne faut pas, messieurs, se lasser de dire et de redire
que non seulement des libéraux, mais des catholiques, et non des
moindres, que des esprits en somme fort religieux ont, au cours du dix-neuvième
siècle, préconisé et appelé de leurs vœux la
séparation des Églises et de l’État. .... Cependant,
en réponse à ceux qui prétendent qu’être séparatiste,
c’est être antireligieux, il me sera permis de rappeler à
mon tour que des hommes profondément religieux comme Gerbet, comme
Montalembert, comme Lacordaire, parmi les catholiques, comme Vinet et comme
Edmond de Pressensé, parmi les protestants, ont été
de sincères partisans de la séparation.
Plus récemment encore, messieurs, des
écrivains catholiques ont dit que la séparation pouvait être
« un bienfait pour l’Église, à qui elle rendrait la
liberté que les concordats lui ont enlevé, en échange
d’avantages matériels disproportionnés avec ce que l’État
exige du prêtre ».
L’honorable M. Maxime Lecomte, dans son très
remarquable rapport, a cité, à cet égard, des noms
et des exemples auxquels je peux ajouter un souvenir personnel. J’ai entendu
plusieurs fois un catholique éminent, un de mes anciens collègues
à la Chambre des députés, Mgr d’Hulst, émettre
des opinions favorables au principe de la séparation.
Si donc, messieurs, les adversaires de la
loi peuvent nous traiter d’anticléricaux - le cléricalisme
voulant surtout l’union de l’Église et de l’État pour assurer
la domination de l’une sur l’autre - il ne leur est pas permis de faire
passer pour antireligieux tous les partisans du projet actuel. (Très
bien, très bien ! à gauche.)
...
En 1863, après les élections
qui firent entrer au Corps législatif une minorité petite
par le nombre, mais grande par le talent, de libéraux et de républicains.
.... M. Laboulaye crut le moment propice pour exposer les idées
et les espérances du parti libéral et pour en dresser le
programme. Eh bien, dans la liste qu’il établit alors des libertés
individuelles, sociales et politiques, il met au premier rang la liberté
des cultes, c’est à dire la séparation des Églises
et de l’État. .....
Et par quel renversement des idées
et des choses, ce qui, naguère, était considéré
comme libéral, serait devenu de nos jours, oppressif et tyrannique
? (Très bien ! très bien ! à gauche et applaudissements
au centre.)
....
.....en régime concordataire, ce sont
des conflits perpétuels, ..., et ... l’union de l’Église
et de l’État, était loin d’offrir au monde le tableau qu’on
a voulu en vain nous tracer d’un ménage heureux et tranquille.
Et cela s’est passé ainsi sous tous
les gouvernements, que les ministères fussent aux mains du centre
droit ou du centre gauche, aux mains des radicaux ou des modérés.
De chacun de ces conflits, je n’ai pas besoin de dire que les partis opposés
se rejettent mutuellement la responsabilité, qui sur l’État,
qui sur l’Église. Les uns s’écrient : c’est la faute à
Thiers, c’est la faute à Jules Simon, c’est la faute à M.
de Freysinet, à Casimir Perier, à Waldeck-Rousseau, à
Combes ; les autres répliquent : c’est la faute aux évêques,
au nonce, à Pie IX, à Léon XIII, à Pie X, à
leurs secrétaires généraux.
.....
Je demande donc que l’État abandonne,
..., toute politique qui consiste à intervenir dans le domaine religieux.
J’espère qu’ainsi dégagé des luttes confessionnelles,
il pourra tourner toute son attention et tous ses efforts vers la solution
de ces problèmes politiques, économiques et sociaux qui ont
été résolus en partie chez les nations voisines, prenant
ainsi sur nous une avance qui doit faire envie à notre démocratie
républicaine. ....
.... Réciproquement l’Église
devra rester étrangère à nos luttes politiques. ....
...
... On n’est pas sectaire parce qu’on vote
la séparation ; on n’est pas un clérical parce qu’on ne la
vote pas. (Approbation sur divers bancs) Je reconnais qu’il y a
parmi les adversaires de la séparation des républicains fermes
et sincères ; ils voient tout simplement les choses encore aujourd’hui
comme les voyaient, il y a vingt-cinq ans, les Gambetta, les Paul Bert
et les Jules Ferry. Mais [lorsqu’ils] tenaient ce langage qui nous a été
tant de fois cité, nous n’avions vécu que cinq à quinze
ans de République ; nous n’avions pratiqué, ..., ni la liberté
de la presse, ni la liberté de réunion ; nous n’avions pas
encore laïcisé, ni rendu obligatoire et gratuite l’instruction
primaire ; nous n’avions pas vu, par conséquent, arriver à
l’âge d’homme toute une génération ayant reçu
l’enseignement public.
Enfin, messieurs, nous n’avions pas de loi
sur les associations, et je n’ai pas besoin de rappeler qu’un grand nombre
de républicains considéraient cette loi comme une préparation
nécessaire au régime de la séparation.
Sans doute, je reconnais avec l’honorable
M. Charles Dupuy que, du fait qu’une loi sur les associations a été
votée, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il faille voter
la séparation ; mais je crois qu’il ne contestera pas que la loi
sur les associations a rendu possible le régime de la séparation
qui ne l’eût pas été auparavant. (C’est vrai ! à
gauche.)
...
Jusqu’ici, chaque fois que des motions tendant
à provoquer la séparation étaient présentées
aux Chambres, au gré de l’initiative parlementaire, nombre de républicains,
même partisan du principe, se refusaient à les adopter,
et j’étais du nombre. Nous considérions que, dans une question
de ce genre, la responsabilité du Gouvernement était engagée
au premier chef. Nous disions que l’initiative parlementaire et même
l’adhésion de tel groupe important de la majorité ne suffisait
pas à motiver de notre part un vote favorable ; nous estimions qu’il
fallait qu’il y eût un gouvernement, non seulement favorable au principe
de la mesure, mais encore décidé à déposer
ce projet et à prendre, devant l’opinion et devant le pays, la responsabilité
de la mise en vigueur de la loi.
Eh bien ! ... , aujourd’hui nous avons vu
deux gouvernements successifs, présidés par des hommes appartenant
à des nuances diverses de l’opinion républicaine, se prononcer
en faveur de la mesure, et ils ont déposé un projet que les
ministres responsables viennent défendre devant le Parlement.
...
... Le jeu de la liberté est la condition
de la vie humaine, et la félicité publique ne peut être
procurée par la servitude qui est le plus grand des maux.
Voilà les vrais maximes d’un gouvernement
républicain, d’un gouvernement démocratique. (Très
bien à gauche.)
Je m’élevais tout à l’heure
contre les prétentions de nos adversaires de droite, de faire passer
pour antireligieux quiconque est anticlérical. Mais, je proteste
également contre l’opinion opposée qui consiste à
faire croire que pour être anticlérical il faut se montrer
antireligieux.
....
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -3 - 1