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23 mai 1905
 
 

suite de la discussion du projet et des propositions de loi
concernant la séparation des Églises et de l'État.
(24° journée ; réduite et annotée)



M. le président : ... La Chambre s'est arrêtée hier après avoir voté le premier paragraphe de l'article 5.
    J'ai annoncé qu'il y avait une disposition additionnelle à ce paragraphe, présentée par l'honorable M. Aynard. L'amendement de M.Aynard est ainsi conçu :
    "Ajouter au premier paragraphe la disposition suivante :
    "En ce qui concerne les biens des établissements d'enseignement, l'attribution pourra être faite à une association déclarée conformément à la loi du 1er juillet 1901"
...
M. Aynard : ...
    ... il m'a semblé que dans sa réponse la commission s'était souvent inspirée de cette définition délicieusement subtile et souple, avec laquelle on peut tout faire, qui est puisée dans une législation étrangère : l'affectation voisine.
    Or, en matière d'enseignement il n'y a pas d'affectation voisine ;...
    ... à qui iront les fondations ayant pour but l'enseignement qui pour la majorité des cas est confessionnel. Où peuvent-elles aller, si ce n'est aux associations formées sous le régime de la loi de 1901 ?

M. Charonnat : L'enseignement confessionnel est supprimé.

M. Aynard : L'enseignement congréganiste et l'enseignement confessionnel sont deux choses distinctes. Peut-être anticipez-vous dans votre désir de supprimer le second. Mais en l'état de la législation actuelle ... nous n'avons pas franchi la dernière étape et ... l'enseignement confessionnel et religieux est encore toléré en France.
...
    ...il ne sagit pas d'enseignement congréganistes, puisqu'il y a beaucoup de fondations protestantes et israélites qui ne peuvent pas être congréganistes, et qu'en ce qui touche les catholiques, il s'agira d'association non congréganistes toujours, et formées même dans la plupart des cas par des laïques.... Si la commune ne peut recevoir de biens affectés à des écoles dont elle devrait prendre la charge, si des associations déclarées ne peuvent en hériter, alors ces biens ne à personne, ils reviennent, c'est à dire qu'ils seront confisqués ...
    ... Je crois que tout le monde jusqu'à présent a discuté avec le plus grand sérieux et la plus grande bonne volonté, que tous les discours ont été utiles. Seulement, quand on veut faire des lois aussi rapidement ... (Exclamations à l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)

M. César Trouin :  Jamais une loi n'a été aussi sérieusement discutée.

M. Aynard : Je vous demande pardon, messieurs; quand il s'agit de changer un état des choses existant depuis plus de cent ans dans notre pays, appuyé sur les habitudes, les mœurs, la tradition ayant crée une foule de droits, détats de fait respectables, vous croyez qu'on peut faire de pareilles lois en un clin d'œil, en un tour de main - et ce que j'appelle en un tour de main, c'est quelques mois de discussion alors qu'il faudrait des années, et au moins deux lectures. (Exclamations à l'extrême gauche et à gauche. - Applaudissements au centre et à droite.)
...
M. le ministre des cultes : ...  Je dois dire tout d'abord que la question n'a en fait qu'une importance restreinte, car les biens qui ont été donnés aux fabriques ou aux consistoires à la charge d'entretenir des écoles ne sont pas considérables.
...
(Amendement repoussé par 313 voix contre 254)

M. le président : Le premier paragraphe de l'article 5 reste donc libellé tel que nous l'avons voté hier.
    Nous passons au second paragraphe qui est ainsi conçu:
    "Toute action en reprise ou en revendication devra être exercé dans un délai de six mois à partir du jour de l'attribution prévue au paragraphe précédent .Elle ne pourra être intentée qu'en raison de donation ou de legs et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe."
    M. Louis Lacombe propose de remplacer ce texte par disposition suivante :
    "Aucune action en revendication ne pourra être exercée par qui que ce soit à raison dévolutions de biens prévues au présent article."
...
M. Louis Lacombe : ...  Un de vos éminent prédécesseur, monsieur le rapporteur, Paul Bert, a fait, au moment de la discussion de la loi de 1886, une déclaration analogue à la vôtre. Vous savez ce qu'il en est advenu.
    Au moment de la discussion de la loi du 30 octobre 1886, que se passa-t-il ? M. Jules Roche soutint un amendement identique à celui que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui.
    Il tendait à interdire les actions en revendication de la part des héritiers. M. Jules Roche avertit avec raison la Chambre d'alors que si son amendement était repoussé, plus de 2 000 communes allaient être jetées dans des procès sans fin. L'amendement fut néanmoins repoussé et les actions en revendications furent admises.
    Qu'en est-il résulté ? Nos communes ont été l'objet -  nous le savons tous - d'une quantité de procès en restitution. Elles en ont pâti. A ce moment là le rapporteur de la commission, Paul Bert, pour atténuer le mauvais effet produit par le rejet de l'amendement de M. Jules Roche, s'empressa de déclarer à la Chambre qu'on ferait sans doute des procès, mais que ces procès seraient fort mauvais, "des procès fatalement perdus, des instances destinées à succomber devant les tribunaux".
    Or, ces instances ont toutes triomphé. Les communes en ont souffert, et les prévisions optimistes de Paul Bert ont été complètement déjouées. (Interruptions à droite.)
...
M. Fernand Ramel : Il faudrait rappeler dans quelles circonstances les tribunaux ont statué et je vais vous l'indiquer. Ils ont recherché quelles étaient les conditions déterminantes de l'attribution et quand ils ont constaté que ces conditions déterminantes étaient par exemple l'enseignement congréganiste ou religieux, en un mot l'enseignement confessionnel, ils ont déclaré que la donation ou le legs était révoqué.
    Ils ont fait une interprétation fidèle à la volonté du donateur, ce qui n'était qu'un acte de justice. Vous, vous faites le contraire.
...
M. le rapporteur : En rédigeant le second paragraphe de l'article 5, la commission n'a pas voulu affirmer un principe ni donner une force nouvelle au droit qui résulte de toute notre législation en matière de revendication. Elle a simplement été guidée par un souci d'équité ; et M. Lacombe avait raison de dire tout à l'heure que le paragraphe 2 de l'article 5 s'applique à des cas peu nombreux. Il s'agit d'abord d'héritiers en ligne directe. C'est à dire que les cas de revendication se trouvent très limités. (sans doute parce que ce genre de legs ou don est le fait de personnes sans descendance ;  sans héritiers en ligne directe. ?)
    En outre il est bien entendu que la revendication ne pourra être admise que dans le cas où l'objet du legs ou de la donation aura été détourné de sa destination. La commission en admettant ce cas de revendication a simplement voulu marquer le souci qu'elle a de faire respecter la volonté des testateurs ou donateurs ... et par là elle pouvait se croire à l'abri des reproches qui viennent de lui être adressés par MM. Rudelle, Auffray et Aynard. Elle ne les a pas mérités.
    Quant à l'honorable M. Lacombe je le prie de de contenter des explications que je viens de donner et qui doivent le satisfaire dans une large mesure. J'espère qu'il voudra bien retirer son amendement. (Très bien ! très bien ! à gauche.)

M. Louis Lacombe : Je suis satisfait des explications de M. le rapporteur, et je retire mon amendement.

M. le président : L'amendement de M. Lacombe est retiré.
    Nous arrivons à un amendement de M. Auffray, ainsi conçu :
    "Les auteurs de donations ou de legs aux établissements du culte supprimés, grevés d'une affectation prévues au présent article, leurs héritiers ou ayants droits pourront, dans le délais de six mois à partir du jour de la dévolution prévue ci-dessus, et même dans le silence des actes au sujet du droit de retour, désigner l'établissement ou l'association dont la destination sera conforme à celle desdits biens et auquel les représentants légaux des établissements publics du culte supprimés seront tenus d'attribuer les biens.
    "Il n'est pas fait obstacle, par la présente disposition, à l'exercice du droit de retour, selon le droit commun, tel qu'il aura été prévu dans les actes de donation ou dans les dispositions testamentaires."
...
M. le président : Je mets aux voix l'amendement de M. Auffray, qui est repoussé par la commission et le Gouvernement.
    (L'amendement mis aux voix, n'est pas adopté)
    Nous passons à un amendement de MM. Rudelle et Auffray, ainsi conçu :
    "Modifier ainsi le deuxième paragraphe:
    "Toute action en reprise ou en revendication devra être exercée dans un délai de deux ans à partir du jour où la dévolution prévue aura été notifiée aux intéressés. Elle ne pourra être intentée qu'à raison de donation ou de legs"

M. Rudelle : ...
    Dans la loi de 1901, en effet, l'action en revendication est formulé à l'article 18 dans les termes suivants : "Les biens et les valeurs acquis à titre gratuit et qui n'auraient pas été spécialement affectés par l'acte de libéralité à une ouvre d'assistance, pourront être revendiqués par le donateur, ses héritiers ou ayants droit, ou par les héritiers ou ayants droits du testateur, sans qu'il puisse leur être opposé aucune prescription pour le temps écoulé avant le jugement prononçant la liquidation. "
    Ce qu'on a cru utile de faire, ce que les jurisconsultes, les législateurs de 1901 ont jugé indispensable en ce qui concerne les biens donnés aux congrégations, je me demande pourquoi, aujourd'hui, vous ne le faites pas à propos de biens qui, dans votre esprit, ont évidemment une destination moins éloignée de vos idées et de vos conceptions politiques, et comment vous prétendez édicter une disposition plus rigoureuse que celle qui a été insérée dans la loi de 1901. Je crois que vous n'arriverez jamais à justifier cette disposition que vous introduisez dans la loi.
...
M. le rapporteur : Nous maintenons le délais fixé par le texte de la commission, mais je puis dire dès à présent à l'honneur de M. Rudelle que la commission est disposée à accepter un amendement de M. L'abbé Lemire, amendement qui aurait pour effet de prolonger le délai, non pas, dans les proportions où l'honorable M. Rudelle le propose, d'une façon appréciable.
    Dans ces conditions, je demande à la Chambre de repousser la première partie de l'amendement de M. Rudelle.

M. Rudelle : Il y a un point que je voudrais signaler à M. le rapporteur, c'est encore une analogie avec la loi de 1901. Cette loi dit qu'à peine de nullité, le jugement nommant le liquidateur, qui sert de point de départ au délai de six mois, serait inséré au Journal officiel et dans les journaux locaux d'annonces ou d'avis, de façon que tous les intéressés puissent en être saisis. Or ici, y a-t-il une insertion au Journal officiel ? Vous ne le dites pas dans votre texte. Vous devriez indiquer un mode quelconque de publicité par laquelle tous les tiers pourraient être saisis.

M. le rapporteur : D'après l'amendement de M. Lemire accepté par la commission, l'arrêté préfectoral ou le décret en conseil d'État servirait de point de départ.

M. Rudelle : Quelle publicité donnera-t-on obligatoirement à cet arrêté préfectoral ou à ce décret du conseil d'État ? Celui-ci ne reçoit pas nécessairement une publicité, celui-là est simplement inséré dans un petit fascicule qu'on appelle le Bulletin départemental. En réalité, il n'y a de publicité officielle que celle qui paraît au Bulletin des lois ou au Journal officiel.

M. le rapporteur : On pourrait ajouter qu'il sera inséré au Journal officiel.

M. le président : Avant de consulter la Chambre sur la première partie de l'amendement, nous pourrions passer tout de suite à l'amendement de M. Lemire. Vous verrez, monsieur Rudelle, si le texte établi d'accord entre M. Lemire et la commission vous donne satisfaction. Consentez-vous à ce qu'il soit procédé ainsi ?

M. Rudelle : J'accepte très volontiers cette méthode de travail en réservant bien entendu la dernière observation que j'ai présentée en ce qui concerne la publicité et sur laquelle j'attends une réponse.

M. le président : L'amendement de M. Lemire est ainsi conçu :
    "Rédiger comme suit le deuxième paragraphe de l'article 5 :
    " Toute action en reprise ou en revendication devra être exercé dans un délai de six mois à partir du jour où l'attribution prévue au paragraphe précédent aura été approuvée par arrêté préfectoral ou par décret rendu en conseil d'État."
...
M. le ministre des cultes :  Voici le texte qui pourrait être substitué à l'amendement :
    " ... à partir du jour où l'arrêté préfectoral ou le décret approuvant l'attribution aura été inséré au Journal officiel ..."

M. Lemire :  Cette rédaction me donne complète satisfaction.

M. le président :  Le texte de la commission serait donc le suivant pour la première partie du second paragraphe de l'article 5 :
    "Toute action en reprise ou en revendication devra être exercée dans un délais de six mois à partir du jour où l'arrêté préfectoral ou le décret approuvant l'attribution aura été inséré au Journal officiel."
    Cette rédaction donne satisfaction à l'amendement de M. Lemire et à la première partie de celui de M. Rudelle.

M. Rudelle : Parfaitement et je retire cette partie de mon amendement.
...
M. le président : Le texte du deuxième paragraphe reste rédigé comme j'en ai donné lecture.
    M. de Ramel propose de substituer aux mots "dans un délais de six mois" les mots "dans un délais de deux ans"
(L'amendement  est repoussé par 327 voix contre 231)
    Il y a sur ce paragraphe un amendement de M. Vigouroux et plusieurs de ses collègues, qui a reçu satisfaction par le texte de la commission.
    Je mets aux voix la première partie du second paragraphe de l'article 5 en ces termes :
    "Toute action en reprise ou en revendication devra être exercé dans un délai de six mois à partir du jour où l'arrêté préfectoral ou le décret approuvant l'attribution aura été inséré au Journal officiel"
    (Cette première partie du paragraphe ainsi modifiée, mise aux voix, est adoptée.)
    La fin du paragraphe est ainsi conçue :
    " L'action ne pourra être intentée qu'en raison de donation ou de legs et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe."
    MM. Paul Beauregard et Lefas proposent de supprimer les "et seulement par les auteurs et leurs héritiers en ligne directe."
...
M. le rapporteur :La commission a considéré que si les héritiers en ligne directe continuaient bien la personne du testateur ou du donateur et se trouvaient qualifiés pour surveiller l'emploi des fonds affectés à une destination déterminée, il n'en était pas de même des collatéraux.
...
    (L'amendement est repoussé par 320 voix contre 270)

M. le président : M. de Ramel propose d'intercaler après les mots : "en raison de donation ou de legs", les mots : "ou de ventes conditionnelles."
    (Amendement repoussé par 333 voix contre 240)
    M. Bertrand propose d'ajouter au texte de la commission les mots : "... et les légataires universels."
    (Amendement repoussé par 325 voix contre 252)

    Je mets aux voix la seconde partie du deuxième paragraphe de l'article 5 ... (Adopté)
    Je mets aux voix l'ensemble du paragraphe ... (Adopté)
    Je mets aux voix l'ensemble de l'article 5 ... (Adopté par 329 voix contre 250)

    Nous passons à l'article 6.
    La commission présente un nouveau texte ainsi conçu :
    "Art. 6 -  Faute par un établissement ecclésiastique d'avoir, dans le délai fixé par l'article 4, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y sera pourvu par décret
    A l'expiration dudit délai, les biens à attribuer seront, jusqu'à leur attribution, placés sous séquestre.
    Dans le cas où les biens attribués en vertu de l'article 4 et de l'article 6 -  paragraphe 1er - seront, soit dès l'origine, soit dans la suite, réclamés par plusieurs associations formées pour l'exercice du même culte, l'attribution qui en aura été faite par les représentants de l'établissement ou par décret pourra être contestée devant le Conseil d'État, statuant au contentieux , lequel prononcera en tenant compte de toutes les circonstances de fait."
    La Chambre sait que sur cet article 6, MM. Sarrien, Joseph Caillaux, Cruppi, Charles Dumont, Georges Leygues, Camille Pelletan, Georges Trouillot, Pierre Baudin, Charles Beauquier, Bourrat, Chaumet, Émile Chautemps (Haute-Savoie), Couyba, Jean Codet, Debussy, Gaston Doumergue, Dron, Gabrielli, Gervais, Gouzy, Guyot-Dessaigne, Jumel, Laferre, Levraud, Muteau, Puech, Albert Sarraut, Roch et Saumade avaient présenté un amendement qui a été accepté par la commission.
......
(Après des discussions, la suite est reportée à une prochaine séance)

©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3