Journal officiel du 14 mars 1913

Ministère des colonies.
RAPPORT
AU PRÉSIDENT DE LA. RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

        Paris, le 11 mars 1913.
    Monsieur le Président,

    Il est apparu à mes honorables prédécesseurs et à moi-même qu'il y avait intérêt, après l'expérience faite en France de la séparation des Églises et de l'État, à adopter dans notre grande colonie de l'Océan indien un régime des cultes inspiré des principales dispositions et de l'esprit général de notre législation métropolitaine.
    La nécessité d'une réglementation cultuelle à Madagascar s'est depuis longtemps fait sentir. Or cette réglementation n'avait été jusqu'ici qu'à peine abordée. Si un arrêté du gouverneur général, en date du 8 juin 1901, a réglé en effet la question de la propriété des églises et des temples, aucun texte encore n'a fixé les conditions de l'ouverture, de l'affectation, et de la possession des édifices du culte. Il en est résulté toute une série de protestations et de polémiques. L'administration, tant locale que métropolitaine, s'est trouvée désarmée pour résoudre les difficultés qui lui étaient soumises, que l'autorité judiciaire s'était déclarée incompétente, et qu'aucune disposition législative n'était venue confier aux juridictions contentieuses le règlement de pareils litiges.
    Il a donc semblé nécessaire de confirmer le principe de la liberté des cultes, et, en même temps, d'en assurer l'exercice. A cette fin, des règles très simples et très libérales de police ont été prévues, une sorte d'état civil a été constitué pour les édifices cultuels, et les relations entre les divers cultes, les pouvoirs publics et la population, ont été déterminées.
    Cette étude a été poursuivie contradictoirement, à la fois dans les services de l'administration locale et dans ceux de mon administration centrale, après consultation de toutes les personnalités compétentes. Le conseil d'État a bien voulu lui donner la garantie de sa science juridique et de sa haute impartialité. J'ai tout lieu de croire, que, dans ces conditions, l'acte qui est présenté à la sanction éminente du chef de l'État est de nature à assurer à Madagascar le régime de paix intérieure et de liberté de conscience qui répond le mieux aux intentions du Gouvernement de la République.
    Si telle est votre appréciation, je vous serai obligé de vouloir bien revêtir, monsieur le Président, le présent décret de votre signature, et je vous renouvelle l'hommage de mes sentiments profondément respectueux.

                    Le ministre des colonies,
                    J. MOREL.
 

            Le Président de la République française,

    Sur le rapport du ministre des colonies,
    Vu la loi du 9 décembre 1905, concernant la séparation des Églises et de l'État, et notamment l'article 43, paragraphe 2, ainsi conçu :
    "Des règlements d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable à l'Algérie et aux colonies" ;
    Vu la loi du 2 janvier 1907, concernant l'exercice public des cultes;
    Vu la loi du 28 mars 1907, relative aux réunions publiques, et notamment l'article 3 ainsi conçu :
    "Des règlements d'administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi et celle du 2 janvier 1907 seront applicables à l'Algérie et aux colonies"
     Vu la loi du 13 avril 1908 modifiant les articles 6, 7, 9, 10, 13 et 14 de la loi du 9 décembre 1905 ;
    Vu l'article 18 du sénatus-consulte du 3 mai 1854;
    Vu la loi du 6 août 1896, déclarant colonie française l'île de Madagascar et dépendances;
    Vu le décret du 9 juin 1896, réorganisant le service de la justice à Madagascar;
    Vu les décrets du 11 décembre 1895 et du 30 juillet 1897, organisant le gouvernement général de Madagascar;
    Le conseil d'État entendu,

    Décrète :

TITRE 1er
PRINCIPES

     Art. 1er.- La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
     Art. 2. - La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, aucune dépense relative à l'exercice des cultes ne peut être inscrite aux budgets de Madagascar et de ses dépendances, ni au budget des communes de la colonie. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées et assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics, tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

TITRE II
ÉDIFICES DU CULTE

    Art. 3. - Les édifices du culte qui ont été construits sur un terrain domanial, ou pour la construction desquels il a été fait appel soit à des souscriptions en majeure partie locales, soit à la main-d'oeuvre gratuite des indigènes sont propriété de la colonie.
    Les autres édifices du culte peuvent être immatriculés dans les conditions prévues par le décret du 4 février 1911 sur la propriété foncière à madagascar.
    Art. 4. - L'ouverture d'un édifice au culte public est autorisé par arrêté du gouverneur général, sur la demande adressée à celui-ci par la collectivité des fidèles.
    Le gouverneur général ne peut ajourner ou refuser l'autorisation que dans les cas prévus aux articles 5 et 6.
    Art. 5. - Pour des motifs tirés de la sûreté publique, le gouverneur général peut ajourner à un an au plus l'ouverture au culte public du nouvel édifice. Ces motifs doivent être énoncés dans l'arrêté du gouverneur général. Si les circonstances l'exigent, la mesure peut être renouvelée, d'année en année, par de nouveaux arrêtés motivés du gouverneur général, pris en conseil d'administration.
    Art. 6. - En dehors des territoires érigés en communes et des agglomérations de 4 000 habitants au moins, le gouverneur général peut refuser l'autorisation d'ouvrir un édifice au culte public si dans un rayon de 8 kilomètres le nombre des édifices consacrés au culte est déjà de 5, ou si dans un rayon de 5 kilomètres le nombre des fidèles intéressés à l'ouverture de l'édifice au culte est inférieur à 80.
    Art. 7. - La collectivité des fidèles peut considérer l'autorisation comme accordée si, dans les cinq mois à dater de sa demande, elle ne reçoit aucune réponse du gouverneur général.
    Art. 8. - Les édifices domaniaux ouverts au public restent affectés aux collectivités qui en ont demandé l'ouverture au culte tant que celles-ci se conforment aux règles générales d'organisation du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice.
    Les contestations sur la jouissance d'un édifice domanial ouvert au culte public sont réglées par le conseil du contentieux, sauf recours au conseil d'État.
    Art. 9. - Les collectivités de fidèles auxquelles sont affectés les édifices domaniaux ouverts au culte public, sont tenus des réparation de toute nature, ainsi que des frais d'assurance et autres charges afférentes à ces édifices.
    La colonie peut néanmoins engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices.
    Art. 10. - Un édifice ouvert au culte public peut être fermé pour un an au plus, par arrêté du gouverneur général, pour des motifs tirés de la sûreté publique; ces motifs doivent être énoncés dans l'arrêté. La mesure peut être renouvelée d'année en année, si les circonstances l'exigent, par de nouveaux arrêtés motivés pris en conseil d'administration.
    Art. 11. - Un édifice domanial ouvert au culte public peut être désaffecté par arrêté du gouverneur général..
     1° Si, en dehors des cas de force majeure, le culte cesse d'être célébré pendant plus de six mois consécutifs
    2° Si la conservation de l'édifice est compromise par insuffisance d'entretien et si la collectivité des fidèles régulièrement mise en demeure d'effectuer les réparations urgentes n'a pas, dans les trois mois à dater de cette mise en demeure, pris les mesures nécessaires.
    4° Si l'édifice est détourné de sa destination.
    Art. 12. - dans les six mois qui suivront la publication du présent décret, le gouverneur général fera dresser un état des édifices ouverts au culte public.
    Les édifices ouverts au culte public à la date du 1er janvier 1912, en vertu d'autorisations émanant soit du gouverneur général, soit des chefs de province ou commandants de cercle seront inscrits sur cet état.
    Les édifices existants à la même date et ouverts au culte public sans autorisation pourront être également inscrits sur l'état, en vertu d'une décision du gouverneur général, prise après enquête.
    Chaque année, l'état sera complété par l'inscription des édifices régulièrement ouverts au culte public au cours de l'année précédente.
    Les articles 8, 9, 10 et 11 du présent décret sont applicables de plein droit aux édifices inscrits sur cet état.

TITRE III
SERVICE DU CULTE

    Art. 13.  - Les collectivités de fidèles subviennent à l'entretien de l'édifice consacré au culte, aux frais et à l'exercice public de ce culte.
    Elles peuvent recevoir des cotisations, le produit des quêtes et collectes, ainsi que des rétributions pour les cérémonies et services religieux, la location des bancs et sièges, la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration des édifices. Elles ne peuvent, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l'État, de la colonie ou des communes.
    Art. 14. - Les collectivités de fidèles peuvent, sans autorisation spéciale, désigner des représentants et constituer des assemblées dans le seul but de régler les questions concernant l'exercice du culte. Déclaration de ces assemblée doit être faite au chef de la province ou au commandant du cercle. Une seule déclaration suffit pour celles de ces assemblées qui sont périodiques.
    Art. 15. - Les collectivités jouissant d'un édifice cultuel désignent un délégué chargé de leurs rapports avec l'administration en se conformant aux règles d'organisation du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice.

TITRE IV
POLICE DES CULTES

    Art. 16. - Les réunions tenues en vue de la célébration d'un culte sont publiques.
    L'arrêté en vertu duquel un édifice est ouvert au culte public autorise pour l'avenir toutes les réunions tenues dans cet édifice en vue de la célébration du culte jusqu'à la désaffectation.
    Art. 17. - Des réunions publiques ayant pour objet l'exercice d'un culte peuvent être tenues dans des immeubles particuliers si dix fidèles au moins le demandent, et six dans un rayon de 5 kilomètres s'il n'existe pas d'édifices ouvert à ce culte.
    A cet effet, une autorisation doit être demandée au chef de province ou au commandant du cercle.
    La demande indique la nature du culte et le local où seront tenues les réunions.
    Art. 18. - Pour des motifs tirés de la sûreté publique, le chef de province ou le commandant de cercle peut ajourner, pour un an au plus, l'autorisation de tenir des réunions publiques dans un immeuble particulier en vue de l'exercice d'un culte. Ces décisions doivent être motivées et approuvées par le gouverneur général. Si les circonstances l'exigent, la mesure peut être renouvelée d'année en année dans les mêmes formes.
    Pour les mêmes motifs, et dans les mêmes formes également, l'autorisation accordée peut être retirée.
    Art. 19. - Les réunions accidentelles tenues à l'occasion du passage d'un ministre du culte dans les régions où il n'existe pas de fidèles de la confession à laquelle il appartient doivent être préalablement autorisées par le chef de la province ou le commandant du cercle.
    Art. 20. - Les autorisations prévues par les articles précédents sont considérés comme accordées si, dans le délais d'un mois à dater de la réception de la demande adressée par les intéressés, le chef de la province ou le commandant de cercle n'a pas répondu.
    Art. 21. - Les cérémonies cultuelles auxquelles il est procédé dans l'intérieur de la famille, notamment à l'occasion des naissances, mariages et décès, peuvent avoir lieu sans autorisation.
    Art. 22. - Les réunions publiques ayant pour objet l'exercice d'un culte, restent, dans l'intérêt de l'ordre public, placées sous la surveillance des autorités administratives.
    Art. 23. - Il est interdit de tenir des réunions publiques dans les lieux servant habituellement à l'exercice d'un culte.
    Art. 24. - Les manifestations extérieures du culte et les sonneries de cloches sont réglées par arrêté du gouverneur général.
    Art. 25. - Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à m'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.
    Art. 26. - Les contraventions aux articles 17, 19, 23 et 25 sont punies des peines de simple police.
    Sont passibles de ces peines ceux qui ont organisé la réunion ou manifestation, et dans le cas des articles 17 et 19, ceux qui y ont participé en qualité de ministre du culte et ceux qui ont fourni le local.
    Art. 27. - L'enseignement religieux ne peut être donné aux enfants de six à treize ans, inscrits dans les écoles publiques, qu'en dehors des heures de classe.
    Les ministres des cultes qui enfreindront cette disposition seront passibles des peines de simple police, conformément aux articles 479, 480 et suivants du code pénal.
    Art. 28. - Sont punis d'une amende de 16 fr. à 200 fr. et d'un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l'une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu,  soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l'auront déterminé à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte.
    Art. 29.- Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d'un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.
    Art. 30. - Les dispositions des deux articles précédents ne s'appliquent qu'aux troubles, outrages ou voies de fait, dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d'après les dispositions du code pénal.
    Art. 31. - Tout ministre d'un culte qui, dans les lieux où s'exerce ce culte, aura publiquement, par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d'un service public sera puni d'une amende de 500 à 3,000 fr. et d'un emprisonnement de un mois à un an, ou de l'une de ces deux peines seulement.  La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s'il est relatif aux fonctions, pourra être établie devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l'article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l'article 65 de la même loi s'appliquent aux délits du présent article et de l'article qui suit.
    Art. 32. - Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux ou s'exerce le culte contient un outrage à l'égard de la France, une provocation à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile.
    Art. 33. - Dans les cas prévus par les articles 31 et 32, l'édifice où aura été commis le délit pourra, par arrêté motivé du gouverneur général, être fermé au culte pour une durée qui n'excédera pas un ans.

TITRE V
DISPOSITIONS GÉNÉRALES

    Art. 34. - L'article 463 du code pénal et la loi du 26 mars 1891 sont applicables à tous les cas dans lesquels le présent décret édicte des pénalités  .
    Art. 35. - Il sera statué ultérieurement sur le régime applicable à Mayotte et aux Comores.
    Art. 36. - Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions contraires au présent décret.
    Art. 37. - Le ministre des colonies est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française et inséré au Bulletin des lois et au Bulletin officiel du ministère des colonies.

                Fait à Paris, le 11 mars 1913
                                   R. 0POINCARRE
                par le Président de la République :

               Le ministre des colonies,
                J. MOREL



Remarque : Si la structure de ce décret est très différente de ce qui s'est fait pour l'Algérie et les Îles de la Martinique de la Guadeloupe et de la Réunion, c'est qu'à Madagascar la loi du 1er juillet 1901 n'y avait pas été décrété.