budget des cultes
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M. le président ..... MM. Marcel Sembat, AlIard, Bouveri,
Chauvière, Paul Constans, Jules Coutant (Seine), Dejeante,
Delory, Jacques Dufour, Meslier, Piger, Thivrier, Vaillant, Walter, proposent
de supprimer les chapitres 1 à 24 inclus du budget des cultes
M. Ernest Roche a également déposé
un amendement tendant à supprimer les divers chapitres de
ce budget.
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M. Maurice Allard. Messieurs,
nous demandons purement et simplement, par notre amendement, la suppression
du budget des cultes.
Bien entendu , je ne veux pas ouvrir en ce moment
une discussion de doctrine sur la question de la séparation des
Églises et de l'État. cette discussion viendra à son
heure, et bientôt, je l'espère, puisque M. le président
du conseil et la commission de la séparation des Églises
et de l'État sont d'accord pour hâter le dépôt
du rapport ....
Plusieurs voix au centre. Non, ils ne sont
pas d'accord.
M. Cachet. Nous n'avons pas encore examiné le projet du Gouvernement.
M. Maurice Allard. La majorité de la commission de séparation
a fait son possible pour que son rapport puisse être déposé
vers le mois de janvier. (Très bien ! très bien ! à
l'extrême gauche et sur divers bancs à gauche.)
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En attendant cette discussion, je vous
demande, comme nous l'avons fait l'année dernière et les
précédentes, de voter dès aujourd'hui la suppression
du budget des cultes, et d'accomplir ainsi contre la papauté et
contre l'Église un acte véritablement décisif.
(Très bien! très bien! à l'extrême gauche.)
Pour motiver cette opinion il me suffit de
prendre le rapport de l'honorable M. Morlot.
J'y relève en effet les passages suivants
:
" Les nouvelles dispositions de la papauté
à l'égard du Gouvernement de la République justifient
singulièrement l'insistance mise par un grand nombre d'entre nous
à réclamer la dénonciation du Concordat de 180I. "
Et M. Morlot ajoute:
" Dans l'état actuel de nos relations avec
Rome, le moment nous semblait propice pour affirmer, une fois de plus,
notre désir de dénoncer un contrat si peu respecté
par la partie la plus intéressée pour manifester
notre sentiment par une nouvelle proposition de suppression du budget
des cultes. Nous n'y avons pas manqué, mais la commission du budget
a pensé qu'il était inutile cette année de se livrer
à cette manifestation et de recourir à cette sorte de mise
en demeure."
Mais M. Morlot, dans une autre partie de son rapport,
tout en déclarant qu'il votera la suppression du budget des cultes
, affirme que, dans sa pensée, le vote émis en ce sens jusqu'à
ce jour par les libres penseurs, n'est qu'une sorte de manifestation
platonique en faveur de la séparation des Églises et de l'État.
Ici, nous ne sommes d'accord, ni
avec M. Morlot, ni surtout avec la majorité de la
commission du budget. En vous demandant de supprimer le budget des cultes,
nous n'entendons pas nous borner à une simple manifestation ; nous
pensons que les deux questions, ne sont pas intimement liées, et
que d'ailleurs, supprimer le budget des cultes, c'est préparer de
la meilleure façon la séparation des Églises et de
l'État.
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A côté de ces raisons générales,
nous en avons d'autres plus immédiates pour solliciter votre vote.
Je vous demande la suppression du budget des cultes comme une déclaration
de guerre à la papauté.
M. Dèche. Mais vous ne voulez pas qu'on la vote !
M. Maurice Allard. ...je vous la demande comme une réponse
au dernier discours prononcé par le pape devant ses cardinaux en
consistoire secret; ce discours contient une affirmation que vous ne pouvez
pas tolérer; la meilleure manière de répondre à
cette manifestation, c'est de voter aujourd'hui même la suppression
du budget des cultes. (.Applaudissements à l'extrême gauche.)
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M. Ernest Roche.
messieurs, conformément au programme républicain, je viens
vous demander de supprimer le budget des cultes.
Ce n'est pas la première fois que pareille
proposition, qui traîne depuis trente-cinq ans dans toutes les professions
de foi démocratiques, est présentée à cette
tribune, je le sais; mais ce que le pays à qui on l'a si souvent
promise ignorait, et , je l'avoue, ce que moi-même je ne savais pas,
c'est que c'est la première fois qu'elle y est portée avec
l'intention formelle d'aboutir. Je n'invente rien : cette constatation
résulte des déclarations mêmes de M. 1e rapporteur
qui s'exprime ainsi dans son rapport:
" Il n'est jamais entré dans l'esprit des
membres du Parlement qui votent chaque année le budget des cuItes,
que sa suppression pure et simple constituât une mesure suffisante
à résoudre la question des relations des Églises et
de l'État.. Ils ont trop conscience des dispositions multiples et
successives qui devront être prises pour rompre avec un état
de choses basé sur le Concordat, sur la tradition et sur les habitudes,
pour avoir supposé un seul instant qu'un vote: budgétaire
puisse en tenir lieu. Ils savent, aussi bien que quiconque, que la suppression
du budget des cultes ne peut être la préface de la séparation
des Églises et de l'État et qu'elle ne pourra jamais être
que la conséquence d'un régime nouveau solidement établi.
Aussi, en votant contre les crédits des cultes, ont-ils simplement
voulu apporter leur contribution au mouvement d'opinion qui se dessine
de plus en plus clairement."
D'où il résulte, si j'ai bien lu,
malgré toutes les précautions oratoires dont l'aveu est enveloppé,
que ceux qui, chaque année, votaient assidûment la suppression
du budget des cultes, entendaient uniquement faire une démonstration
platonique qu'il serait plus exact de qualifier de démonstration
électorale.
M. Maurice Allard. Cela n'a jamais été notre intention.
M Ernest Roche. .... qu'ils comptaient bien ne pas être
suivis et que s'ils avaient cru l'être, ils auraient probablement
changé d'attitude.
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Vous savez bien, messieurs, que si vous
laissez entrer la séparation des Églises et de l'État
dans l'engrenage parlementaire elle n'en sortira plus jamais.
A supposer même que vous réalisiez.
la question avant les vacances de juillet, voire même avant les vacances
de Pâques, vous savez bien vous allez être aux prises
avec les lenteurs et les modifications aussi inévitables qu'incalculables
que le Sénat ne manquera pas d'y apporter. Comme fatalement il est
des points sur lesquels vous ne vous voudrez certainement pas céder,
et comme le Gouvernement - qui n'y sera pas obligé- ne voudra pas
forcer la main du Sénat dans le sens que vous aurez indiqué,
il est incontestable que l'éternel chassé-croisé d'une
Chambre a l'autre recommencera pour une durée que le plus perspicace
de nous ne saurait déterminer. Durée illimitée
hélas !
Il n'en sera de cette question comme de la plupart
des autres. C'est en vain que la démocratie attendra la solution.
Faut-il vous citer des exemples ? Je n'en prendrai
qu'un, mais il est éloquent : Qu'est devenue cette fameuse et malheureuse
loi concernant les ouvriers et employés de chemins de fer. Cette
loi qui dure depuis sept ou huit ans et que la Chambre a trois fois votée,
sans que les braves et loyaux se. Il en est de même
pour toutes les réformes sociales, ouvrières et démocratiques,
C'est qu'en réalité - et laissez-moi
ici élever le débat - c'est qu'en réalité,
on nous a donné, on nous a imposé, devrais-je plutôt
dire, et vous avez la prétention de défendre, sans vouloir
y apporter de modification aucune, une République où le
suffrage universel compte à peu près pour rien. On
peut, au Luxembourg, sabrer, biffer, supprimer, mutiler toutes vos
lois, on peut faucher en herbe toutes vos initiatives sans obtenir
de vous aucun mouvement de révolte, d'indignation ou seulement d'impatience.
A l'extrême gauche. Grâce
à la puissance capitaliste.
Cette puissance capitaliste, oui, est la plus redoutable
que nous ayons à combattre. Nous ne savons que baisser la tête
devant ses arrêts tout puissants. C'est la Constitution qui nous
y contraint, et la Constitution, c'est l'arche sainte qui à laquelle
il ne faut pas toucher ; c'est la raison principale pour laquelle
tant que cette Constitution nous étranglera et étranglera
la République, je ne serai jamais du côté des satisfaits.
(Très
bien ! très bien ! sur divers bancs à l'extrême gauche.)
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Il n'est qu'une chose dont nous ayons la
possession complète et que nul ne saurait nous disputer, chose que
nous pouvons sûrement et fièrement promettre, parce qu'elle
nous appartient, chose que nous avons promise et que nous promettons tous
les jours, c'est notre refus de voter certains budget, et en particulier
le budget des cultes, sans craindre que personne l'inscrive d'office si
nous ne le voulons pas.
Cette promesse, messieurs, je viens vous prier de
la réaliser non pas plus tard, non pas dans un an, à la veille
de la consultation du suffrage universel, mais tout de suite, mais aujourd'hui
même, puisque l'occasion nous en est offerte.
J'ajoute que la séparation de l'Église
et de l'État en sera le prix; elle en dépend : vous le sentez
bien, elle en sera non seulement la conséquence inévitable,
mais la conséquence immédiate. Rien ne pourra plus
s'y opposer, ni le Gouvernement, ni le Sénat ni personne. Au lieu
d'être une Chambre d'enregistrement comme nous sommes, attendant
pour agir qu'on veuille bien nous le permettre, nous devenons les arbitres
, décidant d'un point capital de la politique républicaine,
dans la plénitude de notre droit, de la souveraineté que
nous tenons des électeurs et du mandat qu'ils nous ont donné,
sans que, je le répète, ni le Sénat, ni le Gouvernement,
ni personne, me puisse s'opposer à ce qui sera la véritable
volonté populaire. (Très bien ! très bien ! sur
divers bancs à l'extrême gauche.)
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M. Émile Combes, président
du conseil, ministre de l'intérieur et des cultes. Je n'ai pas
besoin de le dire à la Chambre ; je suis hostile à la suppression
du budget des cultes, car cette mesure fait partie du
projet de loi sur la séparation des Églises et de l'État
et
c'est parce qu'elle y est comprise que je demande à la Chambre d'attendre
pour l'adopter la discussion de ce projet. Mais je tiens à mettre
à l'aise toutes les consciences !
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M. Ernest Roche faisait appel à la
droite de cette Assemblée, l'invitant il voter la suppression de
ce budget. Les journaux m'ont appris également
que la droite nationaliste s'était rangée à la même
résolution.
Je crois devoir prévenir loyalement la Chambre que si
elle croit l'heure venue de supprimer le budget des cultes
et si, par un vote, elle consacre cette manière de voir, je suis
absolument résolu à ne pas demander au Sénat le rétablissement
de ce budget. (Applaudissements répété à
l'extrême gauche et sur divers bancs bancs à gauche)
Je tirerai naturellement de ce vote l'induction
que la Chambre est pressée de voter la séparation des Églises
et de l'État et, dès lors, j'extrairai du Projet déposé
les trois ou quatre articles qui me paraissent plus particulièrement
destinés à opérer la transition entre l'ordre de choses
actuel, et l'ordre de choses à venir et, comme nous avons devant
nous, avant le 31 décembre, six bonnes semaines, j'inviterai
la Chambre et le Sénat (Nouveaux applaudissements sur les mêmes
bancs à gauche et à l'extrême gauche) à
adopter d'urgence ces quelques dispositions légales, en attendant
qu'ils en votent le complément tel qu'il est indiqué dans
notre projet de séparation.
Et maintenant, si le cœur en dit aux nationalistes,
qu'ils y aillent gaiement. (Nouveaux applaudissements et rires
à gauche et à l'extrême gauche. - Mouvements divers
à droite et au centre.)
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Les amendements seront repoussés par 325 voix contre 232
Le Figaro, journal
qui se qualifiait sans doute encore de "non politique", publiait dans son
numéro daté du 23 novembre "que les députés
nationalistes de la Seine ont décidé de contre le budget
des cultes. Ils expliqueront ce vote par une déclaration lue à
la tribune, dans laquelle ils diront, en substance, que c'est le cabinet
actuel qui a violé le Concordat, et qu'ils ne croient pas, dès
lors, devoir lui accorder les crédits du budget des cultes"
La veille, dans son numéro daté
du 22 le journal avait publié quelques unes des « Fiches »
sur les militaires demandées par le général André,
ministre de la Guerre. C'est ce qui causera la chute du cabinet Combes.
l'Aurore du 25 novembre, journal de Clemenceau ,relatant la disussion du budget des cultes : "Parbleu s'est exclamé M. Ernest Roche, un nationaliste, la suppression du budget des cultes acquises, la séparation est comme faite. .... " Comme M. Combes avait dit que de toute façon il suivrait l'avis de la Chambre, il ne perdrait pas la partie, puisqu'il ne la jouait pas. Au nom des nationalistes, M. Gauthier de Clagny a déclaré que chacun de ses amis voterait selon ses sentiments. Les séparatistes , qu'ils viennent de droite ou de gauche, sont des séparatistes déterminés.
Ce journal publiait en feuilleton d'Eugène
Sue "Les mystères de Paris"