Les propositions de
loi dont vous nous avez renvoyé l'examen sont, comme nous l'avons
déjà dit, au nombre de cinq.
Deux d'entre elles, celle
de M. Boysset et celle de M. Jules Roche, se rattachent au système
de la séparation ; celles de MM. Paul Bert, Bernard Lavergne et
Corentin-Guyho sont, au contraire d'ordre concordataire.
Proposition Boysset
"Les Français peuvent
s'associer librement dans un but religieux.
"Les associés pourront
obtenir par une loi la transformation de leur association de fait en association
légalement reconnue et jouissant de la personnalité civile.
"Dans le cas d'association
de fait, les associés ne peuvent procéder que conformément
aux règles 315 et suivants du code civil, sans qu'il puisse, en
aucune manière, être fait application des dispositions du
même code sur le contrat de société.
"Dans le cas d'association
légalement reconnue, aucune de ces associations, faites dans un
but religieux, ne pourra acquérir, recevoir, ni posséder,
ni directement, ni par personne interposée, aucun aucun autre immeuble
que ceux nécessaires à l'exercice du culte et dont la contenance
est déterminée au maximum à un hectare.
Lesdites associations ne pourront,
en aucun cas, ni sous aucune forme, constituer un ordre monastique ou une
congrégation ou communalité, ni se syndiquer entre elles,
sous peine de dissolution immédiate et sans préjudice des
dispositions formulées ci-après."
Ces dispositions édictent des pénalités et règlent le sort des biens illégalement acquis par les associations 'de fait" ou "reconnues".
Proposition Paul Bert
"On peut considérer la proposition de loi qui vous soumise comme
composée de deux ordres de dispositions
"Les unes ramènent
l'Église catholique aux conditions qui ont été reconnues
comme suffisantes pour sa liberté par son chef infaillible. Elles
suppriment tous les avantages que lui a concédé la faiblesse
des gouvernements. L'attribution de bâtiments appartenant à
l'État, aux départements, aux communes, à des des
sociétés ecclésiastiques non spécifiées
dans les lois organiques est rapportée. Le traitement des chanoines,
les bourses des séminaires disparaissent. Les charges non concordataires
imposées aux budget des communes sont supprimées. Le monopole
des pompes funèbres, si blessant pour la liberté de conscience,
n'existe plus.
"Les autres ont pour objet,
en attachant une sanction pénale à la violation d'un certain
nombre de prescriptions concordataires, de ramener l'Église à
l'observation des conditions qui ont présidé à son
établissement.
"Le système répressif
organisé par la présente proposition de loi peut être
ramené à trois points :
"1° Il maintient en la
réglant la procédure d'abus ...
"2° Il attache une sanction
pénale à un certain nombre de dispositions des articles organiques
qui en étaient dépourvues ...
"3° Enfin, sur la double
base de la déclaration d'abus et de la condamnation pénale,
il fonde le pouvoir du ministre qui l'exerce par voie disciplinaire et
peut prononcer alors la suppression du traitement et des avantages concédés
par le Concordat."
M. Paul Bert ajoute ensuite
les réflexions suivantes, que nous reproduisons parce qu'elles marquent
nettement la différence entre son système d'application du
Concordat et celui que présentent ceux de nos collègues dont
il nous reste à analyser les propositions :
"Vous ne trouverez donc dans nos propositions aucune disposition tendant,
comme le voudraient certains publicistes, à faire prévaloir
un enseignement dogmatique sur un autre, à assurer à la faiblesse
une protection contre la force, à opérer telle ou telle réforme
depuis longtemps réclamée dans l'Église. Ce sont là
des questions intérieures qui peuvent solliciter le zèle
des évêques ; mais l'État entend y demeurer absolument
étranger. Il restera sur le terrain de la police extérieure
des cultes. Sur ce terrain, ses droits ne sont ni contestables ni contestés.
L'article 1er du Concordat en est la reconnaissance solennelle."
Proposition Corentin-Guyho
La seconde partie en diffère
absolument.
Le remarquable exposé
des motifs de la proposition de M. Corentin-Guyho fait un sombre tableau
de la situation du clergé des paroisses. Il le montre privé
de toute indépendance et de toute sécurité, livré
à l'arbitraire des évêques, qu'il qualifie de
"joug de fer"
"Un évêque, dit-il,
tient dans ses mains la position, la dignité, la personne et, jusqu'à
un certain point, la vie de tous les membres de son clergé."
Sous ce régime, le
clergé des paroisses a perdu avec sa liberté, la dignité
et la science. Les évêques n'ont pas craint, pour en arriver
à cet état d'abaissement de leurs subordonnés et de
destruction de toute énergie volontaire, de violer même certaines
règles établies par les conciles et les canons.
M. Corentin-Guyho fait ressortir
avec force les conséquences politiques de cette oppression
sans cesse grandissante. D'une part le clergé devenant ultramontain,
parce que les évêques nommés sous l'influence prépondérante
du nonce, mettent à cette condition leurs bonnes grâces, et
parce que le recours au pape est la seule ressource du prêtre injustement
condamné. D'autre part, l'hostilité de la plus grande partie
du clergé contre les principes démocratiques et les institutions
républicaines elles-mêmes, hostilité suscitée
par l'action toute puissante des évêques sur leur inférieurs,
et favorisée par l'éducation qu'ils leur ont fait donner
dans les grands séminaires.
Il y a selon M. Corentin-Guyho,
de grands avantages politiques à prendre des mesures qui briseront
cette discipline de fer, et rendront au clergé inférieur
les conditions de dignité et d'indépendance auxquelles il
a canoniquement droit.
Pour cela, il demande d'abord
que les chanoines ne soient plus nommés directement par l'évêque,
mais soient élus par le chapitre, faute de quoi, ils ne recevront
pas de subvention de l'État ( art. 6).
Il exige que les candidats
aux cures aient subi un concours, sans quoi l'agrément de l'État
devra leur être refusé. Il espère aussi couper court
aux nominations inspirées seulement par l'esprit de parti, et exciter
entre les jeunes prêtres de mérite une heureuse émulation.
"L'État, dit-il, a intérêt à ce que le prêtre
soit plus instruit, car il sera moins fanatique."
Quant au desservant révoqué
par un évêque, il pourra obtenir du ministre de continuer
à toucher son traitement de l'État, et l'évêque
devra pourvoir, sur les fonds du diocèse, au traitement du nouveau
titulaire qu'il aura désigné ( art. 9).
Mais pour la continuation
du traitement au desservant révoqué par l'évêque,
comme pour la suppression du traitement au desservant conservé par
l'évêque, c'est le conseil supérieur des cultes qui
prononce souverainement.
Ce conseil est composé
de 18 membres : 6 nommés par les Chambres, 6 par le conseil d'État,
6 par le ministre, dont 4 ecclésiastiques docteurs en théologie
catholique, 1 pasteur protestant, 1 rabbin (art. 2).
Cette assemblée de
composition mixte devra exercer sur les ministres des diverses confessions
le rôle d'un conseil disciplinaire. C'est devant elle que seront
notamment traduits les desservants qui auraient abusé de leurs fonctions,
pour s'entendre condamner à la suspension ou à la suppression
de leur fonction. (art. 19, 20, 21.)
Elle pourra même refuser
le traitement et l'usage du presbytère à un desservant nouvellement
nommé, "si, d'après le passé,
il y a lieu de présumer que ce prêtre pourra agir, dans son
nouveau ministère, contre les lois de l'État et les prescriptions
de l'autorité." (Art. 22)
Enfin, la proposition de M.
Corentin-Guyho amène une modification importante dans l'ambassade
auprès du saint-siège, ambassade qu'elle rattache directement
au ministère des cultes, et qu'elle réduit à un rôle
exclusivement religieux.
Proposition Bernard Lavergne
La première série
a les plus grandes analogies avec la première partie de la
proposition de M. Paul Bert, celle qui a trait aux sanctions pénales
à ajouter aux prescriptions concordataires.
Nous y trouvons cependant
une disposition qui n'a pas son analogue chez M. Paul Bert :
"Art. 34 bis - Tout prêtre qui quittera la France pour aller desservir
dans un pays étranger perdra tout droit à l'exemption de
service militaire.
"Tout prêtre affilié
à une congrégation étrangère, ou dont le siège
sera à l'étranger, perdra la qualité de Français."
Les dispositions les plus importantes
de la seconde série ont trait à la nomination des desservants
et des curés, et aux peines disciplinaires qui peuvent leur être
infligées par l'autorité épiscopale.
La nomination des desservants
et des curés ne peut porter que sur des prêtres ayant subi
l'épreuve d'un concours ( art. 19 et 63). Le concours pour les candidats
aux cures sera subi "devant des prêtres
pourvus d'un titre inamovible, et nommés par le ministres des cultes
sur la proposition de l'évêque"
(art. 19).
Pour la nomination des desservants,
l'évêque "devra préalablement
prendre l'avis du curé du canton" (art.
19). Enfin, le préfet pourra faire à cette nomination une
opposition qui sera jugée souverainement par le ministre (art. 19
et 63). Il n'est pas inutile de rappeler ici que le Concordat (art. 10)
n'exige "l'agrément" du
Gouvernement que pour la nomination des curés, et non des desservants.
Quant aux
"peines disciplinaires excédant la censure simple, elles ne pourront
s'exercer à l'égard des ecclésiastiques rétribués
sur les fonds publics ... que par la voie des officialités diocésaines"
(art. 11), avec appel possible à l'officialité métropolitaine,
et de là, pour vice de forme, au conseil d'État ( art. 15).
M. Bernard Lavergne indique même la composition de l'officialité
diocésaine, savoir: " l'évêque,
président ; deux chanoines désignés par lui, et deux
ecclésiastiques élus au scrutin secret par les prêtres
du diocèses pourvus d'un titre inamovible, et agréés
par le Gouvernement" (art. 11)
Ajoutons que ,d'après
son article 31, "les vicaires et desservants
qui auront exercé trois ans de suite dans la même commune,
ne pourront être déplacé sans l'autorisation du Gouvernement."
©Maurice Gelbard
9, chemin du clos d'Artois
91490 Oncy sur École
ISBN 2 - 9505795 -2 - 3
Dépôt légal 2ème trimestre
1999