Le Siècle daté du 27 décembre 1904
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La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE

Nous avons reçu de M. E. de Védrines la  lettre suivante en réponse aux questions que nous lui avions posées sur les projets  de séparation dont la commission parlementaire est saisie :

            Francescas (Lot-et-Garonne), 14 déc. 1904 -

        Monsieur
    Me voici bien en retard pour répondre aux questions que le Siècle a bien voulu me poser au sujet des projets de séparation des Églises et de l'État.
    J'ai d'ailleurs pris connaissance avec le plus grand intérêt des premiers résultats de votre enquête ; ils sont tels que je puis me considérer comme dispensé d'examiner en détail les points successifs sur lesquels elle porte et qui ont provoqué de la part de quelques notables personnalités protestantes des observations auxquelles je souscris de grand cœur et auxquelles il me serait difficile d'ajouter grand-chose d'intéressant.
    D'ailleurs, le temps marche vite et les projets de loi se transforment : voici le président du conseil et le rapporteur de la commission qui paraissent en train de se mettre d'accord ; la nouvelle rédaction de l'article constitue un progrès notable sur celle qu'avait d'abord adoptée M. Combes ; elle parait sauvegarder le droit d'association dans les limites des circonscriptions ecclésiastiques actuellement existantes.
    C'est quelque chose ; mais il est impossible de ne pas reconnaître le bien fondé des réserves que votre collaborateur ordinaire M. Raoul Allier a très judicieusement exprimées ici même à propos des termes de cet article : pour l'avenir, c'est une source de contestations probables, sinon certaines ; et pour le présent, que signifie-t-il exactement en ce qui concerne, nous, protestants réformés ?
    Nos circonscriptions synodales peuvent-elles être données comme actuellement existantes aux yeux de la loi ?
    Nos circonscriptions régionales peut-être ?
    Mais notre synode général, qui réunit les représentants de toutes les Églises réformées françaises, peut-il être vraiment considéré comme la représentation d'une simple circonscription ?
    Pratiquement, qui dit circonscription ne dit-il pas ipso facto fraction du territoire total ?
    Et si cet article 8 ainsi refondu prête encore le flanc à des critiques fondées, que dire de l'article 3 ?
    Qu'est-ce que cette confiscation préalable des biens des Églises, suivie d'une attribution conditionnelle  et temporaire dans la mesure des besoins  des sociétés cultuelles ?
    Qui détermine la mesure légitime de ces besoins ? et sur quelles données ? - Est-il exagéré de prétendre que, sous prétexte de séparation, c'est en réalité l'asservissement des Églises que l'on cherche ?
    J'ajoute qu'on le cherche en vain.
    J'écris ces lignes rapides du fond d'une vieille Église rurale au sein de laquelle, malgré le vent de scepticisme qui dessèche aujourd'hui biens des cœurs, se conservent, à travers les siècles, les lugubres et héroïques souvenirs des persécutions passées : l'âme des ancêtres revivait encore dans les enfants, s'il le fallait, et, sans aller jusqu'à prévoir le retour d'horreurs désormais impossibles, je n'hésite pas à affirmer que nous n'accepterons pas d'un cœur léger certaines vexations, certaines restrictions à l'exercice de nos droits imprescriptibles et de notre liberté nécessaire : braver l'amende et même la prison paraîtrait facile aux descendants de ceux qui, pour la liberté de leur religion, risquaient gaiement, tous les jours, les galères et le bûcher.
    Il est triste, monsieur, que de pareils souvenirs puissent être évoqués à propos d'un projet de loi élaboré par un gouvernement républicain cent ans après la  Révolution. - Quel vent de folie et d'inavouable terreur souffle donc dans certains milieux ? - Le cléricalisme, voilà l'ennemi, dit-on de nos jours - Non, vraiment : L'ennemi, c'est la liberté !
    Ferme partisan de la séparation totale des Églises et de l'État, je crois au triomphe définitif de la liberté.
    Veuillez agréer, monsieur le rédacteur, l'expression de mes sentiments distingués.

                                    E. de Védrines.



    Nous trouvons dans le Journal des débats le texte d'un ordre du jour adopté à l'unanimité par la commission exécutive du synode luthérien que préside M. Vaspari.
    La commission exécutive commence par établir que la loi du 1er juillet 1879, élaborée par un synode générale, concilie d'une manière équitable les droits de l'État et les libertés de l'Église luthérienne. Elle demande donc le maintien de ce régime.
    Envisageant ensuite l'hypothèse où le Parlement se prononcerait pour le principe de la séparation, la commission exécutive s'exprime en ces termes :
    Considérant que l'article 3 du projet du gouvernement dépouille les consistoires et les conseils presbytéraux de tous les biens meubles et immeubles dont ils sont aujourd'hui propriétaires pour les attribuer à l'État;
    Considérant que le même article prononce la confiscation, au profit des établissements publics d'assistance, des biens donnés aux établissements du culte pour en distribuer les revenus aux pauvres ;
    Considérant que l'article 4 accorde aux pasteurs des pensions insuffisantes, sans tenir compte, dans une assez large mesure, de leurs années de service et de leur charges de famille;
    Considérant que l'article 5 est en contradiction avec les règles du code civil, en imposant la charge des grosses réparations à un simple concessionnaire, et en permettant au préfet d'affecter, par un arrêté, les fonds de réserve de l'association au payement de ces grosses réparations;
    Considérant que l'article 7, en interdisant les quêtes à domicile et en ne donnant pas aux associations formées pour subvenir aux frais du culte la capacité de recevoir des dons et des legs, rend impossible le fonctionnement de ces associations qui auront à pourvoir elle-même à toutes les dépenses figurant actuellement au budget de l'État ou des communes;
    Considérant que l'article 8 est rédigé en termes peu précis et ne garantit pas d'une manière formelle à notre Église le droit de convoquer un synode général et de créer une caisse centrale destinée a subvenir aux frais du culte dans les paroisses dont les ressources sont insuffisantes;
    Considérant que l'article 9 limite à une somme trop minime le fond de réserve des associations cultuelles;
    Considérant que l'article 2 n'autorisant les célébrations religieuses que dans les édifices concédés par le gouvernement, semble par voie de conséquence interdire l'exercice public du culte dans les immeubles appartenant à des particuliers dans les édifices qui seront construits à l'avenir par les associations déclarées;
    Considérant que l'article 12 soumet les réunions du culte à des formalités compliquées, puisqu'à la déclaration unique prévue par la commission, il substitue une déclaration renouvelable tous les ans et exige en outre le dépôt d'une déclaration chaque fois qu'un pasteur étranger à la paroisse préside un service religieux;
    Considérant que l'article 20 rend l'association cultuelle responsable des délits commis par les ministres du culte et permet à l'État de la déclarer déchue de la concession de l'édifice, même dans le cas où de simples poursuites auront été exercées;
    Considérant que, par l'application de la jurisprudence actuelle, les associations cultuelles seront soumises à la taxe d'accroissement et à l'impôt de 4% sur le revenu, dont sont affranchies les associations déclarées qui n'ont pas un caractère religieux;
    Considérant que l'Église luthérienne se trouve dans une situation spéciale puisque, lors de l'annexion de l'Alsace à l'empire d'Allemagne, les fondations de Saint-Thomas, qui servaient a subvenir aux frais du séminaire, et dont le revenu annuel dépassait 250 000 francs, ont intégralement passé à l'Allemagne, sans qu'aucune compensation ni aucune réserve aient été stipulées dans le traité de Francfort en faveur des Églises luthériennes demeurées françaises; que c'est pour les indemniser en partie de la perte de leurs droits sur les revenus de Saint-Thomas que le gouvernement, par décret du 27 mars 1877, a transféré à Paris la Faculté mixte de théologie protestante de Strasbourg;
    Pour tous ces motifs :
    La commission exécutive sollicite subsidiairement des modifications profondes à ces divers articles de manière à ce que le libre exercice du culte soit maintenu, le droit de propriété respecté et que l'Église luthérienne, au lendemain de la promulgation de la loi nouvelle puisse se réorganiser conformément à ses origines historiques et à ses traditions séculaires.

     M. Armand Lods qui commente cet ordre du jour conclut ainsi :
    Les protestants ont décidé de revendiquer la liberté du culte pour tous, pour les catholiques aussi bien que pour eux-mêmes. En face d'un projet qui ressuscite les dispositions les plus injustes des édits de Louis XIV, les descendants de ceux qui ont été persécutés et exilés pour cause de religion, tiendront à honneur, ainsi que le demande le pasteur  Lafon, de soutenir la cause du droit et de faire triompher la justice.



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