La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE
L'archevêque de Cambrai a chargé un
avocat du barreau de Lille, M° G. Théry, ancien bâtonnier,
d'étudier le projet de loi déposé par le gouvernement
en vue de la séparation des Églises et de l'État.
M° Théry a terminé son travail
et l'a remis à l'archevêque. Nous sommes en mesure de donner
le texte de ce mémoire qui précise les critiques que le clergé
catholique peut formuler sur le projet actuellement soumis aux délibérations
de la commission.
Nous le publions in extenso :
Monseigneur,
Vous m'avez fait l'honneur de me demander d'étudier
le projet de loi qui vient d'être déposé par le gouvernement
en vue de la "séparation des Églises et de l'État"
et de vous dire mon sentiment au point de vue de l'Église catholique.
Votre Grandeur désire savoir quelle serait
après la séparation la situation de l'Église de France,
quels dangers la menaceraient alors, et s'il est dans notre législation
quelque moyen d'y échapper.
J'ai l'honneur, Monseigneur, de vous adresser le
résultat de mon étude.
*****
La première lecture du projet
de loi provoque une singulière impression.
On s'attendait à plus de brutalité,
à la mort sans phrases. Il semble, au contraire, à celui
qui se borne à examiner in surface et s'arrête à
la première impression, qu'une certaine bienveillance ait présidé
à l'élaboration du projet.
Mais si on l'étudie plus attentivement, on
ne tarde pas à se convaincre que ces apparences masquent des dispositions
combinées avec une astuce incroyable pour détruire en France
l'Église catholique.
Si, par malheur, l'Église s'y laissait prendre,
elle succomberait par le jeu même de la législation à
laquelle elle se serait imprudemment soumise, et sans que le gouvernement
ait autre chose à faire qu'à laisser la loi fonctionner normalement.
Pour démontrer le véritable esprit
du projet, rétablissons dans leur ordre logique ses diverses dispositions
et étudions-les successivement.
RAPPORT DE L'ÉGLISE
CATHOLIQUE
ET DE L'ÉTAT
FRANÇAIS
L'État ne connaît
que des groupements de citoyens associés pour exercer un culte et
ne veut avoir de rapports qu'avec ces associations. Pour l'État,
il n'y a pas de hiérarchie catholique. L'évêque descend
au rang d'employé des associations de son diocèse ; le curé
est l'employé de l'association paroissiale.
RAPPORT DES ASSOCIATIONS
AVEC L'ÉGLISE
Elles ont tout d'abord le grave inconvénient
de constituer un pouvoir établi en face de l'autorité ecclésiastique
; or, il ne faut pas se faire illusion sur les dangers de cette situation.
L'homme n'est point parfait; il est toujours homme, portant au fond de
son cœur des passions prêtes à se réveiller.
Combien n'a-t-on vu de conseils de fabrique en lutte
avec leur curé ? Au moindre conflit, à la moindre contrariété,
l'association, ou plutôt ceux qui la gouvernent, ne vont-ils pas
faire sentir au curé qu'ils tiennent les cordons de la bourse ?
Que deviendra alors, pour ce dernier, l'indépendance
et la dignité de son ministère, obligé qu'il sera
de compter avec une association qui le fait vivre, lui donne les moyens
financiers de maintenir le culte dans la paroisse et peut à sa volonté
lui donner congé ?
Que l'on fasse des quêtes, des collectes,
des souscriptions, la situation sera tout autre, parce que chaque paroissien
alors donne directement à son curé par l'entremise de simples
collecteurs ; le curé ne trouve plus devant lui un pouvoir organisé.
L'association, telle que la loi l'entend, est au
sein même de l'Église la négation pratique et le renversement
de la hiérarchie.
Il y a donc là un premier ordre de difficultés,
avec lequel, l'expérience des conseils de fabrique le montre, il
est nécessaire de compter.
SITUATION DES ASSOCIATIONS
AU REGARD DE L'ÉTAT
Il faut, d'après le projet, une association
par canton.
Les associations peuvent former des unions; ces
unions ne peuvent dépasser les limites d'un département.
Que seront ces unions, quel sera leur but ? On ne
le voit pas exactement. L'union d'associations suppose la préexistence
d'associations. L'union n'est donc pas une association départementale,
chaque association est forcément
limitée à un canton ; chaque association a pour objet la
propriété de certains biens et la collecte de certaines ressources.
On ne voit donc pas bien l'objet de leur union, et on se demande à
quoi tendent ceux qui voudraient dès maintenant combattre la limitation
des unions à un département.
Quelles sont les conditions de création et
de fonctionnementdes association ?
La loi du 1er juillet 1901 traite dans son premier
titre des associations.
Il y a deux espèces d'associations : les
unes qui ne demandent rien à l'État et se forment librement
entre citoyens ; ces associations, que la loi (art.2) appelle associations
de personnes, peuvent se former sans conditions ; leurs membres jouissent
de tous les droits que la loi française accorde aux citoyens.
Les autre sont des
associations déclarées (art. 5). Par la déclaration,
elles se soumettent à une législation spéciale qui a
la prétention de donner à l'association, érigée
à l'état d'être juridique, une existence complètement
indépendante des associés et une capacité limité,
si on la compare à celle que les individus tirent du droit commun.
De plus, l'association déclarée est
soumise, sous des sanctions pénales, à des déclarations
et à la tenue de registres, qu'elle doit communiquer aux autorités
publiques.
Or, dès qu'il s'agit de culte, l'association
doit être déclarée, l'association libre est prohibée (
art. 6, §1er)
C'est la première dérogation au droit
commun.
CONDITIONS DE CRÉATION
ET DE FONCTIONNEMENT
DES ASSOCIATIONS POUR
LE CULTE
Elles n'ont même pas cette liberté.
Aux termes de la loi du 1er juillet 1901, la déclaration
doit être faite à la préfecture ou à la sous-préfecture;
elle indique :
Le titre et l'objet de l'association;
Le siège de ses établissements;
Les noms, professions et
domiciles de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés
de son administration ou de sa direction.
Deux exemplaires des statuts
sont joints à la déclaration.
Les associés sont tenus de faire connaître,
dans les trois mois, tous les changements survenus dans leur administration
ou direction ainsi que toutes les modifications apportées à
leurs statuts.
Les modifications et changements et changements
sont, en outre, consignés sur un registre spécial, qui devra
être présenté aux autorités administratives
ou judiciaires, chaque fois qu'elles en feront la demande.
En cas d'infraction aux dispositions qui précèdent,
la dissolution de l'association peut être prononcée par le
tribunal civil à la requête du ministère public.
De plus, ceux qui auront contrevenu à ces
dispositions seront punis d'une amende de 16 à 200 francs et, en
cas de récidive d'une amende du double.
Toutes ces dispositions dispositions
s'appliquent aux associations ayant pour but l'exercice d'un culte.
En outre :
Ces associations ne peuvent employer aucun étranger
dans les fonctions de ministre du culte (projet, art.6,§3)
Leurs administrateurs, ou directeurs doivent être
français, jouissant de leurs droits civils, et ayant leur domicile
dans le canton où se trouve les immeubles consacrés à
l'exercice du culte (§4).
Les unions d'associations ne peuvent dépasser
les limites d'un département (art. 8).
Ces associations tiennent état de leur dépenses
; elles dressent chaque années le compte financier de l'année
écoulée et l'inventaire de leurs biens meubles et immeubles
(art. 9, § 1er).
Leurs fonds de réserve ne peut dépasser
le tiers de le tiers de leurs de leurs recettes annuelles (§2)
ce fonds de réserve est placé soit
à la Caisse des dépôts et consignations, soit en titres
nominatifs de rentes françaises ou de valeurs garanties par l'État
(§3)
Le fonds de réserve peut être employé,
par arrêté préfectoral, pour réparer les les
immeubles concédés à l'association (§4).
Les associations peuvent verser d'autres d'autres
fonds à la Caisses des dépôts et consignations, mais
seulement en vue de la construction ou de l'achat d'immeubles nécessaires
à l'exercice du culte (§5)
Les associations sont tenues de présenter
leurs comptes et états sur toute réquisition du préfet
ou de son délégué (§6).
Les directeurs ou administrateurs d'une association,
qui auront contrevenu aux dispositions ci-dessus, seront passibles d'une
amende de 16 à 200 francs et d'un emprisonnement de six jours à
un an (§7).
Telles sont les dispositions qui régissent
les associations formées en vue de l'exercice d'un culte.
Nous avons déjà signalé qu'il
faudra au moins une association par canton ; cela résulte implicitement
de l'article 6, § 4 du projet, qui oblige les administrateurs et directeurs
à avoir leur domiciles dans le canton où se trouvent les
immeubles consacrés à l'exercice du culte.
Cet exposé des conditions et obligations
que le projet impose aux associations montre combien grande est l'illusion
de ceux qui ont cru trouver dans dans le
droit d'association le moyen de sauvegarder la religion catholique en France.
Ils se sont laissé séduire par les idées qu'éveille
le mot association et ont oublié d'étudier le projet
de loi. Dès maintenant, on parle cependant de l'association dans
les revues et les congrès catholiques comme d'un remède à
tous les maux.
G. Théry
avocat, ancien bâtonnier
Lille, le 30 novembre 1904
FONCTIONNEMENT DES ASSOCIATIONS
DES LIEUX OU S'EXERCERA LE CULTE
PROPRIÉTÉ DES ÉGLISES ET DU MOBILIER
DÉCLARATION D'EXERCICE DU CULTE
G. Théry
avocat, ancien bâtonnier
Le grand rabbin
Paris, le 2 janvier 1905
du consistoire central
17, rue St-Georges
des
israélites de France
Monsieur le rédacteur en chef du journal Le Siècle
Je m'aperçois, par la citation que le Siècle
du 1er janvier emprunte à la Semaine religieuse du diocèse
de Cambrai, qu'on est en train, dans certains milieux, de créer
une nouvelle légende sur le compte du culte israélite. On
voudrait faire croire au public que lui seul, par je ne sais quel extraordinaire
tour de passe-passe, échapperait aux conséquences de la récente
loi réglant le monopole des inhumations.
Il n'en est rien, hélas ! Nous partageons
le sort commun de toutes les confessions religieuses en France. Il suffit
d'une lecture même superficielle des termes de la loi pour s'assurer
que "les fabriques, consistoires ou autres établissements
religieux" sont traités par elle de la même façon,
et on à peine à s'expliquer que des esprits réfléchis
ou sans parti pris aient pu s'y tromper.
veuillez agréer, monsieur le rédacteur
en chef, l'expression de mes sentiments de haute considération.
Zadoc-Kahn
grand-rabbin