La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE
Nous avons publié les intéressantes
déclarations faites à notre collaborateur Éric Besnard
par l'évêque de Beauvais, M. Douais. Ce prélat publie
aujourd'hui une "lettre de Mgr l'évêque de Beauvais à
un député sur le "séparation et le pape".
Cette lettre constitue le développement des
exposées à notre collaborateur, elle forme donc la suite
naturelle de l'interview déjà publiée :
En voici les principaux passages :
J'entends beaucoup
parler de la séparation : c'est un thème habituel ; on y
revient chaque jour dans la presse et au Parlement. Mais j'entends peu
parler de la liquidation, et pourtant, dans l'intérêt de la
paix, il faudra une liquidation honnête. La pension en faveur des
membres du clergé, prévue par le projet que nous connaissons,
n'y est qu'à titre de mesure transitoire et non d'indemnité
équivalente.
Appelez-la du nom
que vous voudrez et serait-elle équivalente pour les prêtres
en fonction leur vie durant, on ne peut y voir une liquidation. Une question
d'ordre supérieure et d'honnêteté publique domine cette
matière : c'est le respect des contrats.
Un contrat synallagmatique a été passé entre l'Église
et l'État, en 1802. Je dis un contrat, pour faire écho cette
fois aux justes cris des adversaires de l'Église si un publiciste,
mal renseigné, se permet de dire qu'en telle matière l'Église,
étant souveraine n'a ni pu ni voulu s'engager.
Les papes qui se sont succédés depuis 1802 se sont regardés
comme tenus ; ils ont vu dans l'acte de 1802 un contrat synallagmatique
contenant des obligations réciproques. Donc, en justice, le pape
ne peut être mis systématiquement à l'écart
de de la séparation. Il faut l'entente pour la préparer et
la réaliser. Il est indispensable que le pape Pie X y donne son
assentiment, de même que la signature du pape Pie VII fut indispensable
pour rendre valable l'acte de 1802. Puisqu'il s'agit du culte et des biens
de l'Église, c'est sa signature qui donna au contrat une valeur
obligatoire devant la conscience catholique. Si aujourd'hui nous nous sentons
chez nous dans nos églises, c'est parce que c'est la signature du
pape, qui nous y a introduit, nous y maintient. Que la signature du pape
manque à la séparation, nous la regarderons comme illégitime
et violente, et nous ne sortirons pas de nos églises, où
la même autorité nous retiendra.
On n'a jamais vu l'une des deux parties liées par un contrat prétendre
légitimement le rompre seule et à son profit. Les tribunaux
prononcent entre les citoyens d'un même pays; c'est la sanction légale.
Parce que le Saint-Siège ne peut pas en appeler à des juges
constitués, le droit est-il moindre ou différent ? Voyez-vous
le gouvernement d'une grande démocratie qui se flatte de ne chercher
que la justice, violant tout le premier ce primordial principe ? Si la
séparation se fait, tout le monde a intérêt à
ce qu'elle se fasse à l'honneur de chacune des deux parties, l'Église
et l'État. La paix ne peut exister qu'à cette condition.
Que si l'État décide tout tout seul, arrange tout tout seul
et nous impose les clauses de son arbitrage intéressé, la
liquidation engendrera chaque jour les plus vifs dissentiments. Nous la
subirons ; nous ne l'accepterons pas.
Car, enfin, il y a la question des biens.
D'abord les églises. L'article XII du Concordat les a mises à
la disposition des évêques : usage à titre perpétuel
équivalant à une restitution. On ne fera jamais croire que
l'État ait pu autrement qu'à la suite d'une spoliation s'emparer
des églises, des presbytères, des séminaires, des
évêchés, bâtis par le clergé. En 1789,
la Constituante mit les édifices à "la disposition de la
nation" ; ce fut l'acte de spoliation ; le premier consul par le Concordat
mit ces mêmes édifices à "la disposition des évêques"
; ainsi ils furent restitués. L'usage nous en appartient. C'est
une espèce sur laquelle le pape et le gouvernement doivent se mettre
d'accord. Si non, nous crierons sans cesse.
De même et ensuite pour les traitements. On sait comment et pourquoi
ils furent assurés. La convention du 15 juillet 1801 porte :
"XIII. - Sa Sainteté, pour le bien de la paix et l'heureux rétablissement
de la religion catholique, déclare que ni elle ni ses successeurs
ne troubleront en aucune manière les acquéreurs des biens
ecclésiastiques aliénés, et qu'en conséquence
la propriété de ces mêmes biens, les droits et revenus
y attachés, demeureront incommutables entre leurs mains ou celles
de leurs ayants-cause.
"XIV. - Le gouvernement assurera un traitement convenable aux évêques
et aux curés dont les diocèses et les cures seront compris
dans la circonscription nouvelle."
Aujourd'hui, il n'est pas loisible à l'État de répudier
cette charge. Il ne le peut que d'accord avec le pape. Que le pape l'en
exonère et lui donne quittance, alors, mais alors seulement, nous
considérerons la séparation comme régulière,
légitime et obligatoire. Autrement, le droit de l'Église
sur "les biens aliéné" demeurera entier et nous considérerons
l'État comme un injuste détenteur. Je n'ai pas le souci de
l'honneur du gouvernement. A ses yeux, l'honneur compte pour beaucoup.
Il a aussi entre ses mains l'honneur de la France.
On ne blesse pas impunément le sentiment national : on l'a vu dans
la triste affaire des délations. Mais que le gouvernement. Mais
que le gouvernement supprime, en agissant seul, le budget des cultes, il
passera pour un spoliateur. La liquidation lui sera reprochée ;
elle se retournera contre lui ; il en pâtira. Nous la subirons, parce
qu'il est la force ; mais nous réclamerons sans cesse, parce que
nous seront le droit. Ce déni de justice,
s'il se produisait, ne promettrait de beaux jours à personne.
En un mot, le gouvernement désire la paix religieuse; nous la voulons
aussi ardemment que lui ; à Beauvais, fidèles et pasteurs
ne sont mus que par ce sentiment ; dans les autres diocèses, il
est est certainement de même.
A mon avis, la paix est, d'abord et premièrement, dans le maintien
du Concordat, et je tiens pour certain que, si le gouvernement le veut
sincèrement et énergiquement, il arrêtera sans trop
de peine le mouvement artificiel qui pousse vers la séparation.
Que si le maintien du Concordat
n’est plus possible, ce qui n’est pas démontré, la paix religieuse
ne pourra être assuré que par une séparation équitable,
libérale, et ratifiée par le pape.
M’autorisant de mes relations,
me souvenant de ce que j’ai vu et me rappelant ce que j’ai entendu à
Rome même, ce mois de janvier passé, je crois pouvoir affirmer
que le pape Pie X, sincèrement partisan de la liberté, très
ami de la France dont il veut passionnément le bien, résolu
aussi à soutenir le gouvernement qui est l’autorité et l’ordre,
est décidé à se montrer conciliant, pacifique et,
même large. Encore faut-il que le gouvernement se mette en rapport
avec lui et l’entretienne de la séparation, s’il veut la séparation.
Il lui serait facile de reprendre la conversation, à l’occasion
du protectorat ou de la nomination des évêques. Il faut bien
pourvoir aux évêchés vacants, qui, à l’heure
actuelle, sont au nombre de onze. C’est une affaire courante, simplement,
et l’on ne voit pas comment, sinon
par un dessein formé, on lui a donné un caractère
politique. N’y-t-il pas quelque urgence à la traiter, cette affaire
de la nomination des évêques ?