La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE
A L'ÉVÊCHÉ DE TOURS
Tours, le 18 février
La place Emile-Zola s'appelait naguère la
place de l'Archevêché ; ...
.....
D'un geste, comme pour chasser une pensée
qui le tourmente et l'obsède, Mgr Renou passe sa main droite sur
son front ; enfin lentement les paroles qui vont suivre tombent de se lèvres.
-" Je ne pourrais, sur ce sujet, vous dire que des
paroles en l'air, et c'est une question qui mérite qu'on y réfléchisse
avant d'en parler. J'ai jeté, ce matin, un rapide coup d'œil sur
le projet qui a été déposé sur le bureau de
la Chambre. A mon avis, autant que j'ai pu en juger, tel qu'il est, il
me paraîtrait difficilement applicable dans la pratique ; du reste,
il subira de nombreuses modifications avant d'être voté,
s'il est voté, car ne pensez-vous pas que plusieurs députés
vont hésiter avant de faire une loi qui précipitera la France
dans l'inconnu ? C'est après le vote, et même la promulgation
de cette loi, qu'on pourra donner une opinion éclairée et
justifiée sur la question. Jusque là, à quoi bon émettre
des idées, faire connaître des intentions sur un sujet qui
n'existe pas encore. Pour l'instant, je ne me suis occupé que d'une
chose, aviser aux moyens d'avoir les ressources nécessaires pour
empêcher mon clergé de mourir de faim, organiser des comités
afin, en cas de surprise, de pouvoir parer immédiatement à
toute éventualité. Nos prêtres ont leur dignité,
et si le projet était voté, je n'imagine pas que le Saint-Père
nous conseillerait d'accepter l'indemnité de 400 francs qu'on veut
leur attribuer. Il est donc évident que les évêques
vont avoir surtout à s'occuper du côté matériel,
dans certains villages, faute de subsides indispensables, les curés
seront obligés d'abandonner leurs cures ; il est probable que pour
vivre plus économiquement, nous les grouperons par trois
ou quatre dans un endroit, la vie en commun est moins coûteuse que
la vie isolée. De leur demeure, les prêtres rayonneront sur
un certain territoire, et ils iront dire leur messe ou porter les sacrements
comme ils pourront, à bicyclette si cela est nécessaire.
C'est égal, moi qui suis un ancien aumônier militaire qui,
sous l'Empire, étais mal noté pour mes tendances libérales,
moi, qui ait toujours été partisan du régime républicain,
je n'aurai pas cru que la France en arriverai là, et que sous la
République on accomplirait aussi brutalement des actes de césarisme
le plus révoltant. Espérons que tout cela n'aura qu'un temps
et qu'il sera court.
-"Monseigneur, n'avez-vous pas une lettre pastorale
dans laquelle vous auriez effleuré la question de la séparation
de l'Église et de l'État ?
-"Non, monsieur, dans aucune de mes lettres à
mon clergé je n'ai abordé ce sujet. La séparation
des Églises et de l'État, il faut y penser toujours et n'en
parler jamais ; cette phrase sera donc la conclusion de notre entretien
sur événement pour lequel, soyez-en assuré, il y aura
une marche générale de tout le clergé français
obéissant aux ordres du Souverain Pontife. mais avant que vous ne
me quittiez, laissez-moi vous faire les honneurs de l'archevêché".
.....
Mais nous voici à la porte. Mgr de Tours
me tend la main, j'y pose respectueusement la mienne et nous nous séparons.
Éric Besnard