Le Siècle daté du 24 février 1905
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La Séparation et les Églises
NOTRE ENQUÊTE

A L'ÉVÊCHÉ DE TOURS

                Tours, le 18 février

    La place Emile-Zola s'appelait naguère la place de l'Archevêché ; ...
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    D'un geste, comme pour chasser une pensée qui le tourmente et l'obsède, Mgr Renou passe sa main droite sur son front ; enfin lentement les paroles qui vont suivre tombent de se lèvres.
    -" Je ne pourrais, sur ce sujet, vous dire que des paroles en l'air, et c'est une question qui mérite qu'on y réfléchisse avant d'en parler. J'ai jeté, ce matin, un rapide coup d'œil sur le projet qui a été déposé sur le bureau de la Chambre. A mon avis, autant que j'ai pu en juger, tel qu'il est, il me paraîtrait difficilement applicable dans la pratique ; du reste, il subira de nombreuses modifications avant d'être voté, s'il est voté, car ne pensez-vous pas que plusieurs députés vont hésiter avant de faire une loi qui précipitera la France dans l'inconnu ? C'est après le vote, et même la promulgation de cette loi, qu'on pourra donner une opinion éclairée et justifiée sur la question. Jusque là, à quoi bon émettre des idées, faire connaître des intentions sur un sujet qui n'existe pas encore. Pour l'instant, je ne me suis occupé que d'une chose, aviser aux moyens d'avoir les ressources nécessaires pour empêcher mon clergé de mourir de faim, organiser des comités afin, en cas de surprise, de pouvoir parer immédiatement à toute éventualité. Nos prêtres ont leur dignité, et si le projet était voté, je n'imagine pas que le Saint-Père nous conseillerait d'accepter l'indemnité de 400 francs qu'on veut leur attribuer. Il est donc évident que les évêques vont avoir surtout à s'occuper du côté matériel, dans certains villages, faute de subsides indispensables, les curés seront obligés d'abandonner leurs cures ; il est probable que pour vivre plus économiquement, nous les grouperons par trois ou quatre dans un endroit, la vie en commun est moins coûteuse que la vie isolée. De leur demeure, les prêtres rayonneront sur un certain territoire, et ils iront dire leur messe ou porter les sacrements comme ils pourront, à bicyclette si cela est nécessaire. C'est égal, moi qui suis un ancien aumônier militaire qui, sous l'Empire, étais mal noté pour mes tendances libérales, moi, qui ait toujours été partisan du régime républicain, je n'aurai pas cru que la France en arriverai là, et que sous la République on accomplirait aussi brutalement des actes de césarisme le plus révoltant. Espérons que tout cela n'aura qu'un temps et qu'il sera court.
    -"Monseigneur, n'avez-vous pas une lettre pastorale dans laquelle vous auriez effleuré la question de la séparation de l'Église et de l'État ?
    -"Non, monsieur, dans aucune de mes lettres à mon clergé je n'ai abordé ce sujet. La séparation des Églises et de l'État, il faut y penser toujours et n'en parler jamais ; cette phrase sera donc la conclusion de notre entretien sur événement pour lequel, soyez-en assuré, il y aura une marche générale de tout le clergé français obéissant aux ordres du Souverain Pontife. mais avant que vous ne me quittiez, laissez-moi vous faire les honneurs de l'archevêché".
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    Mais nous voici à la porte. Mgr de Tours me tend la main, j'y pose respectueusement la mienne et nous nous séparons.

            Éric Besnard



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