Accueil 2

Proposition de loi
sur la séparation des Églises et et de l'État
Déposée au Sénat le 11 juin 1903
par MM. Boissy d'Anglas, Clemenceau, Gauthier, Aude, Jouffray, Al. Latterade, d'Aunay, Boissier, Petitjean, Delpech, Crémieux, Paul Destieux-Junca, Vuillod, Victor Leydet, Maurice Faure, Louis Blane, Brisson, Peyrot, J. Pochon, Jean Boyot, Alexandre Lefèvre, Béraud, A. Knight, Velten, Saint-Germain (Oran), H. Ricard, Bizot de Fonteny, Bézine, Beaupin,            A. Thyillier, Saint Romme, Cocula, A. Bassinet, Collinot.

Exposé des motifs

    Messieurs, l'opinion est faite aujourd'hui, sur la question des rapports entre les Églises et l'État.
    Tout a été tenté pour amener l'harmonie entre les deux puissances, clergé constitutionnel, clergé concordataire, tout a échoué
    Un seul régime, celui qui a fonctionné en France de 1794 à 1802, c'est à dire pendant près de huit ans, la séparation a donné les résultats attendus. Les rêves ambitieux de Bonaparte y mirent fin.

    Pourquoi ne pas revenir à cet état de choses qui dans des conditions bien plus défavorables que celles que nous vivons, a fait ses preuves !
    La France est, actuellement, en termes amicaux avec le monde entier, tandis qu'en 1794 et 1795, elle était en guerre avec l'Europe.
    Sa tranquillité intérieure est parfaite, alors qu'à cette époque, elle avait sur les bras la guerre extérieure, la guerre civile et la trahison partout.

    A un seul point de vue, la situation de la France actuelle est moins bonne que celle de la France d'il y a 100 ans. Il existe encore des congrégations, mais on peut croire que les choses changeront et que ce point d'infériorité disparaîtra sous peu. ( Rapport du conventionnel Boissy d'Anglas : "Mettez au rang des délits publics tout ce qui tiendrait à rétablir ces corporations religieuses que vous avez sagement détruites.")
    Ce fut dans la séance du 8 septembre 1794 ( 2° sans-culotide de l'an II) que le conventionnel Cambon présenta à l'Assemblée un principe nouveau en France, à savoir que la "République ne paye plus les frais ni les salaires d'aucun culte".
    Quelques mois après, le 3 ventôse an III ( 21 février 1795), son collègue Boissy d'Anglas déposa sa motion sur la liberté et la police des cultes qui organisait et réglementait le principe précédemment adopté par la Convention.
    L'Assemblée la vota presque sans débat et ce fut sous l'empire de ce régime, auquel, depuis, on adonné le nom de séparation des Églises et de l'État, que la France vécut pendant plusieurs années.
    Il ne faisait point la guerre à la religion, puisqu'il est établi que quand le Concordat le remplaça, en 1802, un très grand nombre de lieux de cultes s'étaient ouverts sur toute la surface du territoire, mais il obtint ce résultat d'enlever à l'Église tout pouvoir politique.
 
    C'est le même but que nous poursuivons et c'est pourquoi nous vous proposons, messieurs, d'en revenir à une législation qui a procuré à notre pays, comme à tous ceux qui l'ont plus ou moins expérimentée, les avantages d'un système logique et équitable, laissant à chaque citoyen le soin de rétribuer le culte de son choix.
    C'est la législation même, votée par la Convention, que nous soumettons à vos délibérations.
    Nous y apportons de légères modifications, particulièrement en ce qui concerne les délits qui troubleraient le culte dont nous proclamons la liberté et ceux commis contre l'État par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions.
    Nous pensons donner au Gouvernement le moyen efficace de rappeler à l'ordre ceux des prêtres qui s'en écarteraient et chercheraient à revenir à leurs anciens errements.
    L'Église pourra ainsi redevenir ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être, une société de fidèles, occupée de prières et de charité, au grand profit de sa propre dignité, de la liberté et de la paix publiques.

Proposition de loi

Art. 1er

    Conformément à la déclaration des droits de l'homme, la République assure la liberté de conscience et le libre exercice des cultes sous la protection et le contrôle des lois.

Art. 2

    Elle ne salarie aucun culte.

Art. 3

    Elle ne fournit aucun local ni pour les cérémonies du culte, ni pour le logement des ministres.

Art. 4

    Les cérémonies de tout culte sont interdits hors de l'enceinte choisie pour leur exercice.

Art. 5

    La loi ne reconnaît aucun ministre du culte ; nul ne peut paraître en public avec les habits, ornements ou costumes affectés à des cérémonies religieuses.

Art. 6

    Tout rassemblement de citoyens pour l'exercice d'un culte quelconque est soumis à la surveillance des autorités constituées. cette surveillance se renferme dans des mesures de police et de sûreté qui seront l'objet d'in règlement d'administration publique.

Art. 7

    Aucune proclamation ni convocation ne peut être faite pour inviter les citoyens à assister au culte.
    L'usage des cloches et autres moyens d'appel n'auront lieu qu'après entente avec le maire et approbation du préfet.

Art. 8

    Les communes ou section de commune en nom collectif ne pourront acquérir ni prendre en location de local pour l'exercice des cultes.
    Elles pourront louer les églises et les temples qui leur appartiennent, à un ou plusieurs cultes ou sociétés, alternativement à des jours et heures fixés d'avance, pour cinq ans au plus, sauf ratification du préfet.
    De même, pour les églises métropolitaines, les locations seront faites, ainsi qu'il vient d'être dit, par le préfet avec approbation du conseil d'État.

Art. 9

    Il ne peut être formé aucune dotation perpétuelle ou viagère, ni établi aucune taxe pour acquitter les dépenses des cultes.

Art. 10

    L'exercice d'aucun culte ne peut être troublé. Quiconque troublerait par la violence les cérémonies d'un culte quelconque ou en outragerait les objets, sera puni conformément aux dispositions des articles 260, 261, 262 du code pénal.
    Tout ministre du culte qui, dans l'exercice de ses fonctions, par paroles ou par écrits, se livre à des critiques de la politique gouvernementale sera puni d'un emprisonnement qui ne pourra, pour la première fois, dépasser six mois ni être moindre d'un mois.
    En cas de récidive, la peine sera au minimum de six mois et au maximum d'un an.
    Dans ce dernier cas, la résiliation du contrat de location sera de plein droit.

Art. 11

    Il sera pourvu par une loi spéciale au règlement des pensions ecclésiastiques qui pourront être dues à titre alimentaire.

Art. 12

    Tout décret ou loi dont les dispositions seraient contraires à la présente loi, est rapporté.